Beautés de la poésie anglaise/Vérités

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Anonyme
Traduction par François Chatelain.
Beautés de la poésie anglaiseRolandivolume 1 (p. 34-35).


Vérités.


Qui jugera d’un homme à ses seules manières,
Et qui sur ses habits le connaîtra jamais ?
Le pauvre quelquefois a des vertus princières,
Le prince bien souvent des vices de laquais.
Chemise chiffonnée, et jaquette indécise,
Enveloppent parfois tout un minerai d’or
Des plus profonds pensers, et de morale exquise ;
Tandis que le satin couvre le similor.
L’eau vive du rocher se fait jour sous la pierre
Pour porter l’abondance et la vie en tous lieux ;
Des boutons purpurins cachés à la lumière
Se trouvent écrasés par des fouillis nombreux.
Dieu qui jauge le fond et non pas la surface
Aime et fait prospérer Vous et Moi… Gloire à Dieu !
Mais que sont, dites-moi, les Rois devant sa face ?
Poussière d’océan, de l’ouragan l’enjeu !

L’homme une fois hissé sur le dos de ses frères
Les renie, et se croit supérieur à tous ;
Tyrans ! souvenez-vous que les plus pauvres hères
Que diable ! sont au moins des hommes comme vous !
Hommes par le travail, hommes par la pensée,
Par le cœur, par l’esprit, réclamant droits égaux
Aux rayons du soleil, lumière inéclipsée,
Au noble titre d’homme, et non comme vassaux !
On voit des océans tout soutachés d’écume ;
Par les herbes gênés de petits ruisselets ;

Des arbrelets ayant l’épaisseur d’une plume ;
Des cèdres qui des monts encerclent les sommets.
Dieu qui jauge le fond et non pas la surface,
Aime et fait propérer Vous et Moi… Gloire à Dieu !
Que sont nos vanités dans ce monde où tout passe ?
Poussière d’océan, de l’ouragan l’enjeu !

De travailleuses mains seules sont architectes
De la gloire et du nom de chaque nation ;
Cette gloire et ce nom, parasites insectes,
Des fainéants titrés en font absorption,
De la sueur d’autrui s’engraissant ces vampires !
Tandis que du travail s’élève en vain la voix,
Et que la liberté raconte ses martyres
Aux échos des prisons où la cloîtrent les Rois.
Justice et Vérité sont pourtant éternelles,
Car ces nobles enfants ont pris naissance aux cieux,
Les ténèbres jamais ne prévaudront constelles
Tant que luira sur nous le soleil radieux.
Dieu dont s’entend partout la voix toujours propice,
Qui nous prêche l’amour, Dieu vainqueur de l’enfer,
Sait de l’oppression renverser l’édifice,
Ses titres vains pour lui sont cailloux de la mer !