Biographie nationale de Belgique/Tome 2/BÉTHUNE, Guillaume DE

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BÉTHUNE (Guillaume DE), chevalier-trouvère, né vers 1152 ; mort le 14 avril 1213, au château de Béthune. Deuxième fils de l’avoué d’Arras Robert V, il est tour à tour désigné par les historiens sous les noms de Guillaume II, Guillaume le Roux ou Guillaume le Dur. Ainsi que son frère aîné il accompagna son père à la croisade de 1177. Les damoiseaux de Béthune se firent remarquer dans la brillante suite de Philippe d’Alsace ; quand ils arrivèrent au mois d’août à Saint-Jean d’Acre, le roi de Jérusalem Baudouin IV envoya des barons et des prélats pour les recevoir avec beaucoup d’honneur. L’historien Guillaume de Tyr raconte que leur père, qui figure plus d’une fois comme premier baron dans les actes du comte de Flandre, voulut tirer parti du succès de ses fils. Il usa donc de l’entremise de Guillaume, comte de Mandeville, qui était alors plus avant que lui dans l’intimité de leur commun seigneur. Si le comte de Flandre voulait négocier le mariage des deux filles de feu Amaury, roi de Jérusalem, avec les deux fils de l’avoué d’Arras, celui-ci s’engageait à céder au comte tout l’opulent patrimoine qu’il avait au pays flamand. L’une de ces deux filles, Sibylle, était depiis quelques mois veuve de Guillaume de Montferrat ; l’autre, appelée Ysabeau, non encore nubile, était à Naplouse, chez la reine Marie, sa mère. Toutes deux, héritières présomptives de leur frère, Baudouin le Lépreux, étaient cousines germaines du comte de Flandre, fils de Sibylle d’Anjou et neveu d’Amaury de Jérusalem. « Ce qui, dit Duchesne (p. 129) rendit le comte d’autant plus enclin à consentir et promouvoir les propositions de l’advoué Robert, que cognoissant la grandeur et noblesse de sa maison, il ne reputoit pas à deshonneur de l’avoir pour allié. »

Mais les envoyés de Baudouin, après avoir consulté leur maître, répondirent au comte que la coutume du pays ne permettait pas à une veuve de se remarier dans le temps de plour (première année du veuvage). Il y aurait toutefois moyen de s’accorder, si le comte daignait nommer « aucun hault homme, à cui elle fust bien mariée » (manuscrit cité par Duchesne). On se défiait du comte parce qu’il venait de refuser au roi Lépreux de le remplacer dans l’administration du royaume. Cette fois il répondit hautainement qu’il n’entendait pas exposer ses protégés à l’humiliation d’un refus qui rejaillirait sur lui ; il ne consentirait à révéler les noms que lorsque tous les barons de Jérusalem auraient juré d’accepter les deux seigneurs qu’il désignerait. Comme on lui déclarait qu’aucun homme loyal ne pouvait conseiller au roi de donner ses sœurs à des inconnus, Philippe d’Alsace arrêta brusquement tous les pourparlers, se hâta d’achever ses dévotions au Saint-Sépulcre et prit la palme pour indiquer la fin de son pèlerinage. Quelques mois plus tard, les Béthune l’accompagnaient dans la traversée vers la Flandre.

Guillaume se consola aisément de n’avoir pas épousé Ysabeau de Jérusalem. Cadet d’une des plus brillantes maisons, il prit part aux tournois et aux puys d’amour. Autant qu’on peut en juger par ses chansons conservées à Paris, à Berne et à Rome, c’était un véritable maître en gai savoir. Les poètes du temps aimaient à le consulter pour la scolastique d’amour.

C’est vers l’an 1195 et quand il était déjà marié et tout occupé de gouvernement et de politique, qu’il fut sommé par Jehan Fremaus, le lauréat de Lille, de juger définitivement ce point de casuistique galante :

Se cil doit estre recueillis,
Qui tot jors sert entièrement.

Faisait-il lui-même la musique des jolies strophes qu’il nous a laissées ? C’est peu probable, quoiqu’il faille reconnaître en ce trouvère un sens musical digne des troubadours :

Kant li boscaige retentist
Dou (cant) des oxillons en may,
Et la roze el verger florist
En icel tens joious et gai ;
Lors chanterai de cuer verai,
Car quant li mais d’ameir me prist,
Et plux hault leu del mont me mist.

Si l’on connaissait la date de cette avenante chanson « légère à entendre » comme disait Quenes de Béthune, on pourrait décider si elle fut adressée à la femme de Guillaume ou à sa maîtresse.

Il épousa en 1189 une des plus riches dames de Flandre, Mahault ou Mathilde de Termonde, héritière de la ville et seigneurie de Termonde, des terres de Molembeek, de Lokeren, etc., et de l’avouerie de Saint-Bavon de Gand. Elle était la fille aînée de Gautier III qui, comme la plupart de ses ancêtres, avait coutume de prendre le titre de prince dans ses lettres.

En 1194, Guillaume succéda à son frère aîné Robert le Grand, seigneur de Béthune, avoué d’Arras et de Husse, et mort sans enfants. Il garda toutefois dans ses armoiries la brisure de cadet qu’il avait dû adopter quand son aîné avait pris la place du père, chef de la puissante maison qui se rattachait aux premiers comtes d’Artois. En même temps qu’il était seigneur de Warneton et de Richebourg, il avait, comme avoué, la haute main sur tous les droits et biens que l’antique et riche abbaye de Saint-Vaast possédait tant en la ville d’Arras qu’en plusieurs autres lieux de l’Artois. Ce fut là une des sources de la grande influence des Béthune, encore bien qu’ils n’eussent rien à voir dans la châtellenie d’Arras.

Cette famille, obligée depuis la mort de Philippe d’Alsace de se rattacher provisoirement à la France, avait néanmoins ses meilleures relations et ses plus grands intérêts en Belgique. Guillaume surtout appartenait à la Flandre. Tout en relevant sa baronnie de Béthune du comté d’Artois, il était vassal du comte Baudouin pour le plus grand nombre de ses seigneuries. C’est pour cela que vers la fin du xiie siècle et au début du xiiie on voit si souvent son nom figurer au premier rang dans les actes de la chancellerie comtale de Bruges et de Lille.

En 1202, il fut avec ses frères Quenes et Barthélémy[1] parmi les premiers qui prirent la croix à Bruges, à imitation de Baudouin de Flandre et de Hainaut. Avant de partir, il fit diverses dispositions en faveur de l’église collégiale de Saint-Barthélémy et renonça à un péage de chaussée que son père avait injustement enlevé à la commune de Béthune. Il accorda aussi de larges immunités à l’abbaye des Dunes, et voulut que Mahaut sa femme et Daniel son fils aîné fussent témoins et garants de ces libéralités.

En 1204 il se distingua à la prise de Constantinople, et contribua beaucoup à l’élection de l’empereur Baudouin. Mais, soit désir de reprendre le gouvernement de son pays, soit secrète jalousie de la supériorité de son frère cadet Quenes, il quitta la Grèce dès 1205, et peu de temps après la défaite d’Andrinople. C’était la même impatience qu’avait montrée son ancien seigneur, Philippe d’Alsace, en 1177. Elle fut encore plus honteuse. L’avoué de Béthune, fatigué de butin, de razzias et de trahisons, laissa son frère gouverner Constantinople, et profita de l’occasion du retour de cinq navires vénitiens pour s’y jeter avec une centaine de chevaliers français et flamands. Ce fut en vain que son propre frère se jeta à ses genoux pour le conjurer de ne pas forfaire à l’honneur de la famille ; il demeura inflexible. Villehardouin, le preud’homme, qui d’ordinaire tait généreusement les noms des chevaliers défaillants, n’omet pas cette fois le nom de l’avoué de Béthune en tête de la liste, et il ajoute : « Mult en reçurent grant blasme en cel pais où ils allèrent et en celui dont ils partirent… et por ce dit hom, que mult fait mal, qui par paor de mort fait chose qui li est reprovée à toz jors. »

M. A. Dinaux prétend qu’il participa ensuite à la croisade ordonnée par le pape Grégoire IX contre les Stadinghen, idolâtres de l’Elbe ; mais il y a ici confusion de noms : il doit s’agir du fils de Guillaume, qui portait le prénom de son père.

Il paraît qu’à son retour Guillaume II se tint de préférence à Béthune. Ce fut là qu’en 1206 il reçut du roi de France l’invitation à être sa caution ou pleige à l’égard de Philippe de Namur, tuteur de Jeanne et de Marguerite de Constantinople. En 1210, il octroya à la commune ou université de Béthune le privilége de n’être assujettie à aucune loi ou coutume étrangère, de ne pouvoir être ni abandonnée ni engagée pour aucune dette du seigneur, de tout décider par l’échevinage et enfin d’avoir l’usage de tous les pacages adjacents à la ville. En 1213, étant demeuré malade en son château de Béthune, il y ordonna pieusement de ses affaires, et entre autres dispositions de sa dernière volonté, légua à Mathieu, son fidèle secrétaire depuis longtemps, douze livres de la monnaie courante de Béthune, à prendre tous les ans sur les échoppes de la ville.

J. Stecher.

A. Duchesne, Histoire généalogique de la maison de Béthune (Paris, 1659, in-fol.). — A. Dinaux, Les Trouvères artésiens. — Histoire littéraire de la France, t. XIII.


  1. Qui devint plus tard cordelier.