Biographie nationale de Belgique/Tome 2/BOSSCHAERT, G.-J.-J.

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BOSSCHAERT (G.-J.-J.), peintre et administrateur, né à Bruxelles en 1757, mort en la même ville en 1815. Encore adolescent, il entra à l’atelier d’André Lens et y acquit assez d’habileté pour exécuter de bonnes copies d’après Rubens; mais son contact avec un maître aussi instruit lui valut d’autres avantages; il eut pour effet de développer son goût, de l’initier aux beautés des différentes écoles, de lui faire acquérir les connaissances multiples d’un judicieux collectionneur, connaissances qu’il mit au service de sa ville natale, et qui ont mérité à son nom une honorable notoriété. Issu d’une famille aisée, qui le mit à même d’achever ses études, Bosschaert obtint le diplôme de licencié en droit et fut attaché, en qualité de secrétaire, au comte de Cobenzl, qui remplissait à Bruxelles les fonctions de ministre plénipotentiaire. Il parcourut la France, l’Angleterre, l’Allemagne, avec ce célèbre homme d’État et renonça, lors du décès de celui-ci, à s’occuper des affaires publiques pour se livrer exclusivement au penchant qui l’entraînait vers l’étude des beaux-arts. Il visita, à cet effet, les principaux musées de l’Italie, devint fort expert et fit si bien reconnaître sa compétence en peinture qu’il fut chargé, dès 1782, par le surintendant des bâtiments en France, M. d’Angevillers, d’acquérir à Munich les tableaux destinés à enrichir la galerie de Versailles. Le gouvernement autrichien, qui dominait alors en Belgique, le chargea bientôt d’une mission plus délicate encore : celle d’examiner, de classer, de trier les tableaux enlevés aux couvents, dont la suppression venait d’être ordonnée par Joseph II. Les plus mauvais de ces tableaux devaient, d’après son appréciation, être vendus, les meilleurs entrer dans les collections de l’État.

Cette classification, consciencieusement exécutée, eut pour résultat d’enrichir le Musée de Vienne aux dépens de la Belgique. Une seconde et plus déplorable exportation de chefs-d’œuvre ne tarda pas à avoir lieu en 1792, lorsque les armées françaises, sous le commandement de Dumouriez, envahirent nos contrées. Malgré ces rapines, il restait encore à Bruxelles un nombre considérable de tableaux et leur entassement, dans les locaux de la Cour des Comptes et dans ceux de l’Orangerie était même tel qu’il devait suggérer l’idée de choisir ceux qui pouvaient convenablement figurer dans un musée.

Bosschaert eut l’initiative de ce projet et, grâce à une rare tenacité, il lui fut aussi réservé de le réaliser. Il nous apprend par une note conservée aux archives communales et reproduite par M. Édouard Fétis, dans l’excellente Notice historique placée en tête du Catalogue du Musée royal de Belgique, que l’administration s’occupa, dès l’an iv (1795), de faire rassembler les tableaux restants des maisons religieuses supprimées, « afin de procurer aux amis des arts un faible dédommagement des pertes que l’enlèvement des objets les plus précieux avait fait subir à la Belgique. » Un jury fut nommé pour seconder Bosschaert dans ce travail, qui aboutit à réunir une centaine de tableaux jugés dignes de former les premiers éléments d’une collection[1]. Il s’en fallait cependant que l’existence de ce musée fût prochaine. Non-seulement il restait à vaincre les lenteurs habituelles de l’administration, mais il fallait découvrir un local convenable, et Bosschaert, après avoir entamé d’infructueuses négociations pour obtenir l’église des Jésuites ou celle des Minimes, après avoir reconnu les inconvénients inhérents à celle du Grand-Béguinage et à celle de la Chapelle, dut se contenter des bâtiments de l’ancienne Cour, ceux mêmes où depuis lors sont restées installées les collections de l’État.

Cet obstacle étant levé, le conservateur du futur musée, déjà désireux de l’agrandir, commença aussitôt des démarches qui durèrent plusieurs années. Il agissait tantôt auprès de l’autorité municipale et du préfet; tantôt auprès du délégué du département de la Dyle, envoyé à Paris; d’autrefois encore, il entamait, avec ardeur, des négociations officielles ou officieuses dans le but d’obtenir « une quarantaine de tableaux parmi ceux qui n’auraient pas été choisis pour le Musée du Louvre. » Les mois s’écoulaient cependant sans qu’il obtînt autre chose que des réponses vagues ou des promesses évasives; mais les difficultés mêmes paraissaient exciter son zèle; il faisait mouvoir tous les ressorts, profitait des moindres circonstances et savait habilement mettre en relief la légitimité de ses réclamations. « S’il est juste, écrivait-il, que Paris, comme centre commun, réunisse les meilleures choses, il l’est également qu’après avoir fixé son choix, il accorde, en restitution ou en remplacement, aux départements réunis, la surabondance de ses richesses. Et quel département a plus de droits que le nôtre à la surabondance de ces richesses? N’est-ce point à nos artistes que le musée de la capitale doit son principal éclat? »

En retournant souvent à Paris, en y frappant à toutes les portes, il parvint graduellement à intéresser au succès de ses démarches des membres du clergé, de l’armée, de la faculté de médecine, notamment le célèbre Corvisart. Tant de persévérance fut couronnée de succès : le musée s’ouvrit à la fin de messidor an xi (1803), après six ans de négociations : les premières démarches dataient de l’année 1797. Le catalogue publié par Bosschaert comprenait deux cent cinquante numéros; mais l’arrangement des salles étant incomplet, la moitié des tableaux seulement fut visible. Les greniers en étaient encore pleins cependant; Bosschaert y fit un nouvel examen et le préfet consentit, sur son avis, non pas à en restituer, mais à en prêter aux églises, qui se trouvaient complètement dépouillées. Pour donner une idée de l’abondance de ces œuvres, il ne sera pas inutile d’ajouter que l’église Sainte-Gudule obtint cent vingt-cinq de ces tableaux, celle de la Chapelle cent cinquante-six, celle de Notre-Dame des Victoires cinquante-trois, et que beaucoup d’autres églises de Bruxelles obtinrent des lots moins considérables. Bosschaert se disait néanmoins qu’en pareille matière, la quantité ne saurait suppléer à la qualité, et comme il était surtout avide des productions des grands maîtres, il recommença, dès 1804, ses sollicitations à Paris, afin d’obtenir un certain nombre de toiles, forcément éliminées du Louvre pour faire place à celles que les conquêtes du nouvel empereur ne cessaient d’y amener. Pendant plusieurs années, il apporta le même zèle, la même ténacité, à ces négociations, et elles réussirent alors que, lassé d’une aussi longue poursuite, il désespérait du succès. Par lettre du 1er avril 1811, le préfet annonçait au maire de Bruxelles le don de trente et un tableaux provenant de la collection du Louvre. Bosschaert fut aussitôt chargé d’aller les prendre et les faire emballer à Paris. Cet accroissement, joint à quelques bonnes acquisitions, nécessita la formation d’un nouveau catalogue, comprenant deux cent vingt-quatre numéros pour les écoles modernes et quatre-vingt et un pour les tableaux dits anciens. Les précédents catalogues, publiés en 1802, 1806 et 1809, montrent, à chaque fois, l’addition de quelques tableaux, qui ne proviennent cependant jusqu’alors, ni de nouveaux dons, ni de nouveaux achats, mais simplement de nouvelles fouilles effectuées, avec plus de soin et plus de loisir, dans les magasins encombrés.

La chute de l’empire français modifia cette situation; des négociations diplomatiques furent entamées par le gouvernement des Pays-Bas, afin d’obtenir la restitution des œuvres d’art dont le pays avait été dépouillé en vertu de la conquête française. Ces négociations aboutirent. Bosschaert fut nommé président de la commission chargée de surveiller la stricte exécution de la convention qui venait d’être conclue; mais la mort vint le saisir au moment même où il acceptait, avec enthousiasme, cette nouvelle mission. Il n’eut donc pas la douceur, si bien méritée par lui, de voir installer dans le musée, qui lui doit son origine, quelques-uns des chefs-d’œuvre les plus accomplis de Rubens et de Jordaens.

Félix Stappaerts.


  1. Une ordonnance de l’administration municipale porte : « que le jury sera composé de neuf membres : les citoyens, Lens, ainé, peintre; François, peintre; Janssens, sculpteur; Forteyll, rentier; Debiefve, père, rentier; Le Roy, peintre; Marneffe, marchand de tableaux; Thys, restaurateur de tableaux; Bosschaert, peintre. » Catalogue historique et descriptif du Musée royal de Belgique. C’est à ce catalogue, rédigé par M. Ed. Fetis, après de longues et consciencieuses recherches,que sont empruntés les faits biographiques contenus dans cette notice.