Biographie nationale de Belgique/Tome 2/BOURGOGNE, Antoine, dit le grand bâtard DE

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BOURGOGNE, Antoine, dit le grand bâtard DE



BOURGOGNE (Antoine, dit le grand bâtard DE), homme de guerre, naquit en 1421 et mourut en 1504. Antoine de Bourgogne était fils naturel de Philippe le Bon et de Jeanne de Prelle, fille de Louis ou Raoul, seigneur de Lisy. Il reçut de son père les seigneuries de Beveren et de Vassy et les comtés de Sainte-Menehould, de Guines, de la Roche en Ardenne et de Steenberghe ; il épousa en 1459 Marie de la Viéville, fille de Pierre et d’Isabeau de Preure. Après avoir fait ses premières armes en 1452, sous les ordres du comte d’Étampes, dans la campagne que le duc de Bourgogne eut à soutenir contre les Gantois, il fut investi du commandement de l’avant-garde de l’armée, conduite, le 24 avril 1452, au secours d’Audenarde. Arrivé près de la ville, le comte d’Étampes pria le bâtard de Saint-Pol de l’armer chevalier, puis il donna lui-même l’accolade à Antoine de Bourgogne, qui sauva, le mois suivant, à Nevele, l’armée du comte et fut chargé de la défense de Hulst, dans le pays de Waes ; il y défit complétement les Gantois et les poursuivit jusqu’à Meulebeke.

Il était doué d’une activité infatigable ; les Gantois ne pouvaient tenter aucune expédition sans qu’il ne vint la faire échouer : c’est ainsi que, revêtu du commandement de Termonde, il sauva la garnison d’Alost menacée d’être surprise par les ennemis.

Le 27 janvier 1453, les députés de la ville de Gand vinrent lui porter les premières propositions de paix dans la ville de Termonde ; il les transmit au duc Philippe. Peu de temps après, la guerre s’étant rallumée, il marcha de nouveau contre les Gantois, les défit dans plusieurs rencontres, prit part au siége du château de Poucques, assista le 16 juillet 1453 à la bataille de Gavre et signa le fameux traité de Gavre qui termina cette campagne. Surnommé le grand bâtard depuis la mort de son frère Corneille, il jouissait de toute la confiance de son père et de celle du comte de Charolais, son frère légitime. Il était premier chambellan de ce dernier et avait un commandement important dans les armées : « Avait ledict bastard fort grand charge soubz ledict duc, dit Philippe de Commines. » Il fut élu chevalier de l’ordre de la Toison d’or au chapitre célébré à la Haye le 2 mai 1456.

En 1457, il partit de l’Écluse à la tête d’une flotte bien armée pour combattre des pirates qui dévastaient les États du duc de Bourgogne. En 1458, il se rendit à Utrecht, pour réduire à l’obéissance les habitants de cette ville qui s’était insurgée. Il fut envoyé ensuite, ainsi que le comte d’Étampes, à Saint-Omer, pour y tenir parlement (selon l’expression de Chastellain) avec le comte de Warwick, qui commandait la ville de Calais. Il accompagna aussi le comte de Charolais, l’année suivante, afin de représenter le duc de Bourgogne à Arras, où avaient été mandés les trois états d’Artois. Nous le voyons dans toutes les joutes, qui eurent lieu à cette époque, « en moult fier et pompeux arroy; » il manifestait le plus grand penchant pour ces plaisirs guerriers « pensant, au dire de Chastellain, par icelle voie surpasser tous autres chevaliers de devant lui. » La lutte qu’il soutint en Angleterre contre lord Scalles, en 1467, est célèbre dans l’histoire. Jean de Wavrin, dans ses chroniques, en parle en ces termes : « les queles armes eulx deux, de cheval et de pié, adcomplirent moult notablement. » En 1461, encore, il assista avec le duc Philippe de Bourgogne aux fêtes qui furent célébrées à Paris lors du couronnement du roi de France Louis XI. Jacques Du Clercq nous apprend que parmi les seigneurs présents à ces fêtes Antoine de Bourgogne « estoit l’ung des mieux enpoinct. »

Chargé par le duc de conduire deux mille combattants dans les mers de la Propontide, pour y prendre part à la croisade, Antoine de Bourgogne s’embarqua à l’Écluse le 21 mai et sa flotte se trouva réunie à Marseille à la fin de juillet 1464, après avoir été dispersée par une tempête affreuse. Il organisa une expédition sur les côtes de Barbarie et fit lever le siége de Ceuta, attaqué par les Mores. De retour à Marseille, il y reçut l’ordre de ramener l’expédition en Flandre, et vers les derniers jours de février 1465, il arriva à Bruxelles, à la cour du duc Philippe.

Au mois de mai 1465, le grand bâtard fut revêtu d’un commandement important dans l’armée destinée à envahir la France sous les ordres du comte de Charolais. Après avoir obligé la place de Nesle, en Vermandois, à lui ouvrir ses portes, il mit le siége devant Beaulieu qui se rendit au bout de huit jours, et rejoignit le comte de Charolais au mois de juillet, dans les plaines de Montlhéry. Dans la bataille qui s’y livra le 16 juillet, il lui sauva la vie. Philippe de Commines nous dit que sa bannière y fut tellement dépecée « qu’elle n’avoit pas ung pied de longueur. »

L’année suivante, on lui confia le commandement de l’avant-garde dans l’armée que le duc conduisait contre Dinant. Les Dinantais vinrent lui offrir, comme les Gantois l’avaient fait en 1453, les clefs de la ville. Le duc de Bourgogne les ayant acceptées, envoya immédiatement le bâtard combattre les Liégeois, qui s’étaient mis en route pour porter secours à leurs alliés : il les rencontra et les défit près de Waremme. Cette même année il fut envoyé en Angleterre afin de combattre les efforts du roi de France pour entraîner cette puissance dans une ligue contre le duc; il séjourna tout un mois en Angleterre et y apprit la mort de son père. — A la fin de l’année 1467, il prit part à une nouvelle expédition contre les Liégeois, assista à la bataille de Saint-Trond, à la reddition de la ville de Tongres et enfin à la reddition de Liége. — L’année suivante, les Liégeois s’étant de nouveau soulevés, le grand bâtard assista au siége et à la prise de leur ville et fut envoyé au pays de Franchimont, « là où touts les Liégeois se sont retraiz, pour les combattre. »

Le grand bâtard conserva toujours au duc Charles une fidélité peu douteuse; « si le duc, dit Meyer, avait écouté ses avis, il n’eût pas commis les fautes qui amenèrent sa perte. » Aussi jouissait-il de toute la confiance de son frère, qui le chargea du commandement de ses armées dans ses pays de Bourgogne. Le 18 septembre 1473, il accompagna à Trèves le duc lors de l’entrevue qu’eut celui-ci avec l’empereur d’Allemagne. L’année suivante, il se rendit en Angleterre, avec mission d’entraîner le roi Édouard dans une ligue contre la France. Le 2 mars 1476, il commanda l’avant-garde à la funeste journée de Granson; au mois de juin suivant, le duc lui confia l’aile gauche lors de la bataille qui fut livrée près de Morat; enfin le 5 janvier 1477, il partagea avec lui le commandement du centre de bataille dans les plaines de Nanci, et fut au nombre des prisonniers, faits en ce jour, par le duc René de Lorraine. Ici se termine la longue et glorieuse carrière militaire d’Antoine de Bourgogne. Le duc de Lorraine ayant cédé son prisonnier au roi de France, le grand bâtard s’engagea dans le parti de ce prince et le 15 août 1478 il prêta, sur un fragment de la vraie croix, le serment de fidélité. Devenu l’un des conseillers les plus écoutés de son souverain, il joua un rôle important dans l’histoire politique de cette époque. Par lettres du 20 août 1478, le roi de France l’investit des seigneuries de Grand-Pré, Château-Thierry, Passavant et Châtillon-sur-Marne; il le créa plus tard chevalier de son ordre de Saint-Michel.

Sa conduite en cette circonstance a été jugée très-sévèrement par quelques historiens; on peut cependant faire valoir diverses excuses en sa faveur, et l’on a vu, plus tard, l’archiduc Maximilien lui-même prendre chaudement la défense du bâtard, devant un chapitre de l’ordre de la Toison d’or, où sa conduite était attaquée. Plancher, dans son Histoire générale de Bourgogne, nous dit qu’Antoine n’entra au service de la France qu’après que le mariage de la princesse Marie fut arrêté avec Maximilien d’Autriche. La couronne ducale étant alors passée dans une maison étrangère, le grand bâtard, descendant de la maison royale de France, se soumit au roi Louis XI son parent. En 1482, il intervint, au nom de ce souverain, dans la conclusion du traité d’Arras.

Il se rendit plusieurs fois en Flandre et servit de médiateur entre le roi des Romains et les communes flamandes. Despars, dans ses chroniques, raconte la brillante réception qui lui fut faite à Bruges, le 19 mai 1484. Le 4 juillet de la même année, il fut encore prié par les états de Flandre réunis à Termonde d’employer ses bons offices auprès du roi des Romains et de lui porter des propositions d’arrangement. — En 1487, enfin, Maximilien le chargea de négocier la paix avec les Gantois insurgés. — Le roi de France, Charles VIII, le légitima par lettres patentes, données à Melun en janvier 1485. — Meyer, dans ses Annales Flandriæ, rapporte qu’au mois de mai 1475 le pape Sixte IV l’avait également légitimé. — Si le fait est exact, il serait difficile d’expliquer pourquoi le roi de France lui a accordé des lettres de légitimation dix ans plus tard. — Antoine de Bourgogne fut un protecteur éclairé des lettres et des arts : sa bibliothèque était une des plus riches de l’époque. On conserve à la bibliothèque dite de Bourgogne, à Bruxelles, plusieurs manuscrits fort remarquables qui lui ont appartenu. On les reconnaît à la devise « Nul ne s’y frotte » écrite à la main; ils portent d’ailleurs sa signature. Le magnifique manuscrit de Froissart, auquel les habitants de Breslau attachent tant de prix, provient aussi de sa librairie. Georges Chastellain, dans ses chroniques, parle de lui en ces termes : « un très-gentil bel chevalier entre mille, en qui honneur et nature avoient mis des dons beaucoup et de hautes apparences en fait de chevalerie et dont desjà on en a vu les espreuves. »

Il mourut à l’âge de quatre-vingt-trois ans et fut enterré à Tournan en Brie. — L’auteur de l’Histoire chronologique et généalogique de la maison royale de France (Amsterdam, 1713) nous apprend qu’il eut trois filles. Son fils, Philippe, seigneur de Beveren, fut amiral de Flandre, gouverneur d’Artois et plus tard gouverneur de Flandre.

Bon Albéric de Crombrugghe.