Biographie nationale de Belgique/Tome 3/CHARLES-QUINT

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CHARLES-QUINT, né au Princenhof (Cour des Princes), à Gand, le 24 février 1500, mort au monastère de Yuste, dans l’Estrémadure, le 21 septembre 1558, était fils de l’archiduc Philippe le Beau (V. de ce nom) et de Jeanne, deuxième fille des rois catholiques, Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille. La naissance de ce prince, qui était le premier rejeton mâle issu du mariage de Philippe le Beau, fit éclater une joie universelle dans les Pays-Bas ; les Gantois, en particulier, la célébrèrent par des fêtes splendides. Le 7 mars fut le jour fixé pour son baptême, qui eut lieu le soir en l’église de Saint-Jean (aujourd’hui Saint-Bavon). Le prince de Chimay, Charles de Croy, avait été désigné pour le tenir sur les fonts avec Marguerite d’Autriche, sœur de l’archiduc, princesse douairière de Castille ; Marguerite d’Yorck, veuve de Charles le Téméraire, le porta à l’église ; il fut baptisé par Pierre Quick, évêque de Tournai et abbé de Saint-Amand. Il reçut le nom de Charles, soit comme étant celui de son parrain, soit en mémoire de son bisaïeul, et l’archiduc lui donna le titre de duc de Luxembourg. La ville de Gand avait fait pour cette cérémonie des préparatifs extraordinaires : par ses soins et à ses frais un plancher, élevé de trois pieds au-dessus du sol, avec une barrière de chaque côté et trois fois treize portes qui y donnaient accès, avait été construit depuis le Princenhof jusqu’à l’église de Saint-Jean ; toutes ces portes étaient resplendissantes de lumière ; en outre, une galerie de cordes, partant du Beffroi, allait en droite ligne jusqu’à la flèche du clocher de Saint-Nicolas, illuminée d’un bout à l’autre par des flambeaux et des lanternes de papier ; enfin le dragon du Beffroi jetait des feux grégeois par la bouche et par la queue. Jamais, à Gand, illumination semblable n’avait été vue.

Charles n’avait pas un an encore quand il fut élu chevalier de la Toison d’or par le chapitre de l’ordre réuni à Bruxelles. À cette occasion, le 23 janvier 1501, Marguerite d’Yorck le prit dans ses bras et vint avec lui au lieu où le chapitre tenait sa séance : un siége avait été préparé au milieu de la salle ; on y plaça le jeune prince, et Philippe le Beau l’arma chevalier, après l’avoir revêtu du collier de l’ordre. Au mois de novembre suivant, Philippe, partant pour l’Espagne, commit la garde de son fils et des princesses ses sœurs, Éléonore et Isabelle, à Anne de Bourgogne, dame douairière de Ravestain. Lorsqu’en 1506 il retourna dans la Péninsule, où il était appelé à recueillir la succession de la reine Isabelle, il nomma gouverneur et premier chambellan du duc de Luxembourg le prince de Chimay, et ordonna que, pendant son absence, Charles et ses autres enfants résideraient à Malines, où ils avaient été élevés jusque là.

A la nouvelle de la mort inopinée du roi de Castille, arrivée à Burgos le 25 septembre 1506, les états généraux furent convoqués à Malines ; Charles parut à cette assemblée, entouré des princes du sang, des chevaliers de la Toison d’or et des seigneurs du conseil (17 octobre). Le 18 et le 19 juillet de l’année suivante, il présida, en grand deuil, aux obsèques de son père, qui furent célébrées dans la même ville, en l’église de Saint-Rombaut. Après la messe achevée, le 19, le principal roi d’armes des Pays-Bas, Toison d’or, cria par trois fois : Le roi est mort, vive Monseigneur ! Alors on présenta à Charles l’épée de justice ; il s’en servit pour créer un chevalier, montrant par là qu’il était prince du pays. Les états généraux avaient offert à l’empereur la régence des Pays-Bas et la tutelle des enfants du roi défunt ; Maximilien avait nommé, pour exercer l’une et l’autre en son nom, Marguerite d’Autriche, et l’archiduchesse avait été reconnue en cette double qualité par les représentants de la nation, à Louvain, au mois d’avril précédent. Le 20 juillet, elle fit aux états la demande d’un subside dont le chancelier de Brabant et elle-même s’attachèrent à montrer la nécessité. Charles était présent : il se leva et pria l’assemblée d’accorder le subside qui lui était demandé, par une petite harangue « plus, entendue — dit le chroniqueur Jean Lemaire de Belges — par les gestes de son visage que par la sonorité de sa voix puérille, mais toutesvoyes en telle sorte qu’il devoit bien souffire au peuple. »

Au mois de mai 1509, le prince de Chimay résigna la charge de gouverneur et premier chambellan de archiduc à Guillaume de Croy, seigneur de Chièvres, son cousin. Charles était parvenu à l’âge où les inclinations de l’esprit et du cœur commencent à se manifester, où il importe qu’elles soient bien dirigées : le seigneur de Chièvres s’appliqua à développer son intelligence, à faire naître en lui, avec le goût des choses sérieuses, des sentiments et des principes conformes à sa naissance et au rôle qu’il était appelé à jouer sur la scène du monde. Les premières leçons de lecture et d’écriture lui avaient été données par don Juan de Vera, évêque de Léon, son grand chapelain[1]. En 1505, Ferdinand le Catholique ayant désiré que ce prélat revînt à sa cour, Philippe le Beau nomma maître d’école du duc de Luxembourg Louis Vacca, qui pendant six années fut son unique précepteur. Ce temps écoulé, il parut nécessaire de confier la direction des études du jeune prince à un personnage plus considérable par sa science ainsi que par son rang, et Marguerite d’Autriche, d’accord avec le seigneur de Chièvres, fit choix d’Adrien d’Utrecht, doyen de Louvain. Charles ne montrait pas de grandes dispositions pour les lettres : le latin le rebutait ; jamais il ne parvint à parler l’allemand ; il savait dire à peine quelques mots d’espagnol lorsqu’il partit pour la Castille, et n’était pas plus fort sur l’italien : on doute s’il connaissait même sa langue maternelle, le flamand, qu’il ne commença à apprendre qu’en 1513, sur l’ordre de l’empereur son aïeul. Les armes, équitation, la chasse, c’était là les goûts favoris de Charles. Il se livrait avec ardeur aux exercices qui donnent au corps de la vigueur et de l’agilité ; il mettait son plaisir et son amour propre à manier avec dextérité la lance et l’épée, à se servir avec adresse de l’arc, de l’arbalète, de l’arquebuse. Il fut proclamé roi des couleuvriniers de Malines en 1508, des arbalétriers de Bruxelles en 1512, des archers de Malines en 1514. Plus tard, il sentit la nécessité d’étudier les mathématiques, sans la connaissance desquelles il jugea qu’il ne deviendrait pas, comme il aspirait à l’être, un grand capitaine ; il avait alors trente-deux ans et se trouvait à Madrid. Comme il éprouvait des scrupules à se faire écolier à cet âge, saint François de Borja, en ce temps marquis de Lombay et son favori, se chargea de recueillir journellement les leçons du fameux cosmographe Santa Cruz, qu’il lui rapportait avec exactitude. Six mois suffirent à l’un et à l’autre pour posséder au moins les éléments de la science[2].

Charles allait atteindre sa quinzième année; à la demande expresse des états généraux, l’empereur résolut de l’émanciper. Cet acte solennel s’accomplit le 5 janvier 1515, au palais de Bruxelles, en présence des représentants de la nation. A partir de ce moment, Charles s’occupe avec assiduité des affaires publiques : Martin du Bellay, qui pouvait le savoir, car il accompagnait les ambassadeurs envoyés aux Pays-Bas par François Ier peu de temps après son avénement, rapporte que « tous les paquets qui venoient de toutes provinces étoient présentez au prince, encores qu’il fust la nuit, » et qu’il en rendait compte lui-même à son conseil, dont il suivait attentivement les discussions. Le poste de chancelier de Bourgogne était vacant depuis plusieurs années; Charles choisit, pour le remplir, Jean le Sauvage, seigneur d’Escaubecque, chancelier de Brabant, ancien président du conseil de Flandre et du conseil privé, auquel il confère le titre de grand chancelier. Il ratifie la donation du comté de Bourgogne faite par l’empereur, en 1509, à l’archiduchesse Marguerite. Il envoie à Paris le comte Henri de Nassau, avec la mission de le représenter, comme duc de Bourgogne et doyen des pairs de France, au sacre de François Ier, et de rendre, en son nom, à cause des comtés de Flandre et d’Artois, foi et hommage à ce monarque. Il visite, pour y être inauguré, à l’exemple de ses prédécesseurs, les différentes provinces des Pays-Bas; partout il est reçu avec enthousiasme. Le comte de Nassau avait été accompagné en France d’une ambassade nombreuse chargée de négocier le mariage de l’archiduc avec la princesse Renée, belle-sœur de François Ier, âgée alors de six ans : les démarches des ambassadeurs sont couronnées d’un plein succès; par un traité signé à Paris (24 mars 1515), la princesse est promise à Charles avec une dot de 600,000 écus, et une alliance offensive et défensive est stipulée entre les deux couronnes. Un peu plus tard (24 janvier 1516), des traités signés à Bruges confirment ceux que Philippe le Beau avait conclus avec Henri VII. Ces conventions diplomatiques assuraient la tranquillité des Pays-Bas; aussi y sont-elles accueillies avec une satisfaction universelle. Un autre acte contribue à jeter de l’éclat sur le nouveau règne : au moyen d’un arrangement fait avec Georges de Saxe, Charles annexe à ses États la Frise occidentale (19 mai 1515).

Le 23 janvier 1516, Ferdinand le Catholique meurt à Madrigalejo dans l’Estrémadure. Par son testament daté de la veille, il instituait la reine Jeanne, sa fille, et l’archiduc Charles, son petit-fils, ses successeurs au royaume de Navarre; il déclarait la reine son héritière universelle des royaumes dépendants de la couronne d’Aragon; vu l’infirmité mentale de Jeanne, il commettait le gouvernement général de ces royaumes à l’archiduc, qui l’exercerait au nom de sa mère, et, en attendant la venue de ce prince en Espagne, il chargeait de les régir don Alonso d’Aragon, archevêque de Saragosse et de Valence, son fils naturel; il disposait enfin que Charles gouvernerait la Castille pour sa mère comme lui-même il l’avait gouvernée, et que, jusqu’à ce qu’il y vînt, le gouvernement en serait exercé, sous lui, par le cardinal Ximenes de Cisneros. Charles, quelques semaines avant la mort du roi, lui avait envoyé son ancien précepteur, le doyen de Louvain, qui était revêtu des pouvoirs nécessaires pour le représenter en Castille le jour où Ferdinand viendrait à manquer : il n’hésite pas toutefois à confirmer la désignation de Ximenes pour gouverner ce royaume; seulement il lui adjoint Adrien, en donnant un pouvoir égal à l’un et à l’autre. Aux termes des constitutions espagnoles, Charles n’était que prince de Castille et d’Aragon : il se décide (14 mars 1516), malgré l’avis contraire du conseil de Castille, à prendre le titre de roi, que, sur les instances de l’empereur, le pape et le sacré collége venaient de lui attribuer. En recevant la nouvelle de la mort de Ferdinand, il avait annoncé à Ximenes son prochain départ pour l’Espagne : son intention était en effet de s’y rendre dans un court délai; il avait demandé aux états généraux des Pays-Bas, en ce moment assemblés à Bruxelles, une aide de quatre cent mille florins pour les dépenses du voyage. Mais l’état des affaires publiques vint retarder l’exécution de ses desseins. Avant de quitter les Pays-Bas, il avait à cœur de les mettre à l’abri de toute entreprise de la part de leurs voisins; dans cette vue, une alliance plus étroite avec l’Angleterre et la France lui parut nécessaire. Deux nouveaux traités, au second desquels l’empereur intervint, furent conclus entre lui et Henri VIII (19 avril et 29 octobre 1516). Les différends que pouvaient faire naître les prétentions de François Ier sur le royaume de Naples et la revendication de la Navarre par la maison d’Albret, furent ajustés par le traité de Noyon du 13 août, auquel Maximilien adhéra le 3 décembre; et le 11 mars 1517, à Cambrai, l’empereur, le souverain de la France et le successeur de Philippe le Beau et des rois catholiques contractèrent une ligue par laquelle ils se garantissaient mutuellement leurs États, s’engageaient à ne soutenir en aucune manière leurs ennemis extérieurs et intérieurs, à ce prêter une assistance réciproque, à ne faire de conquêtes que de commun accord.

La sûreté des Pays-Bas étant garantie par ces conventions diplomatiques, rien ne s’opposait plus à ce que Charles se rendît en Espagne. Il fait équiper dans les ports de Zélande la flotte destinée à l’y transporter. Il avait, au mois d’octobre 1516, tenu à Bruxelles un chapitre de la Toison d’or; dans cette assemblée, après les élections aux places vacantes, il avait été résolu que le nombre des chevaliers de l’ordre, fixé à trente et un par Philippe le Bon, serait augmenté de vingt, et que des vingt nouveaux colliers dix seraient à la disposition du chef et souverain, pour qu’il en pût gratifier des seigneurs espagnols. Le 16 juin 1517, Charles prend congé des états généraux à Gand; il leur déclare, par l’organe de son chancelier, que son cœur demeurera avec eux; qu’entre tous ses sujets, les Belges lui seront toujours les plus chers; il ajoute, de sa bouche, que si les états lui conservent l’affection dont ils ont donné des marques jusque-là, il leur sera bon prince. Pendant plus de deux mois les vents contraires le retiennent en Zélande. Le 6 septembre enfin il s’embarque avec la princesse Éléonore, sa sœur aînée, et le 8 il fait voile de Flessingue, laissant, pour gouverner les Pays-Bas pendant son absence, un conseil privé dont il nomme chef Claude Carondelet (Voy. ce nom). Sa traversée n’est pas favorisée par le temps; il est obligé d’aborder, le 19 septembre, au petit port de Tanzones dans les Asturies. Le 4 novembre il arrive à Tordesillas, résidence de la reine sa mère et de la plus jeune de ses sœurs, l’infante doña Catalina; il y fait célébrer un service pour son père en l’église de Santa Clara, où le corps de Philippe le Beau était déposé. Sur ces entrefaites, Ximenes, qui avait quitté Madrid pour venir le joindre et était tombé malade en route, meurt dans le bourg de Roa (8 novembre). Charles prend congé de sa mère, et le 18 il fait son entrée à Valladolid, accompagne de l’archiduc Ferdinand, qui était venu à sa rencontre à Mojados. Huit jours après, en l’église de San Pablo, il honore de sa présence la remise du chapeau à Adrien d’Utrecht que, avant son arrivée en Espagne, il avait nommé évêque de Tortosa, et que Léon X venait de créer cardinal. Le 12 décembre il convoque les cortès.

Bien des gens en Castille avaient vu avec mécontentement que Charles se fût attribué le titre de roi alors que la reine doña Juana était en vie. Les cortès lui reconnaîtraient-elles ce titre? et lui prêteraient-elles serment, s’il ne jurait au préalable d’observer les lois et priviléges du royaume, ceux nommément qui excluaient les étrangers des charges, dignités et bénéfices? Ces questions, qui occupaient le public avant même que les cortès se réunissent, donnèrent lieu à beaucoup de débats dans leur sein et de discussions avec les ministres. Enfin, le 7 février 1518, les trois états des royaumes de Castille, de Léon et de Grenade reçurent Charles pour leur roi et seigneur, conjointement avec la reine sa mère; à partir de ce jour, tous les actes émanés de l’autorité royale portèrent en tête le nom de la reine et le sien. La session des cortès s’acheva d’une manière entièrement conforme à ses vœux. Cette assemblée lui accorda un subside plus considérable qu’aucun souverain de la Castille n’en eût encore obtenu.

Le 22 mars Charles se met en route pour l’Aragon, après avoir réglé l’organisation de la maison de la reine doña Juana, à la tête de laquelle il place, en qualité de gouverneur, le marquis de Denia, qui avait rempli la charge de grand maître dans celle de Ferdinand le Catholique. A Aranda de Duero il se sépare de son frère, qu’il avait résolu d’envoyer aux Pays-Bas et qui va s’embarquer à Santander. Le 6 mai il arrive aux faubourgs de Saragosse; trois jours après il fait son entrée dans cette capitale. Il se dirige vers la cathédrale de San Salvador : là, en présence de la dépulation du royaume, des chefs de la ville, de l’archevêque, d’un grand nombre de membres des cortès, il jure, au nom de sa mère et au sien, d’observer les lois, priviléges, libertés et coutumes de l’Aragon. La députation avait longuement délibéré, elle avait consulté les plus savants magistrats et les jurisconsultes les plus fameux sur le point de savoir si elle assisterait à la cérémonie au cas que Charles y voulût prendre le titre de roi; elle avait même demandé là-dessus l’avis des membres des cortès : l’opinion générale était que Charles devait, à son entrée, se contenter du titre de prince; néanmoins les députés se déterminèrent à condescendre à son désir, et ce fut comme roi qu’il jura à San Salvador. Le 20 mai Charles ouvre les cortès; il leur demande deux choses : qu’elles lui prêtent serment, ainsi qu’à la reine sa mère, et qu’elles lui accordent un subside. La première de ces demandes soulève de nombreuses objections; c’est seulement le 27 juillet que les quatre bras du royaume y font une réponse favorable. Le 29 les cortès prêtent serment à la reine doña Juana et au roi don Carlos conjointement, après qu’il a renouvelé devant elles celui de maintenir les fueros de l’Aragon. Le subside n’est voté qu’au mois de janvier, au grand déplaisir de Charles, qui se voit forcé de demeurer à Saragosse beaucoup plus longtemps qu’il n’aurait voulu. Dans l’intervalle il conclut le mariage de sa sœur Éléonore avec le roi de Portugal Emmanuel le Fortuné; cette princesse part le 9 octobre pour aller se réunir à son époux.

Charles quitte enfin Saragosse (24 janvier 1519). Son grand chancelier, Jean le Sauvage, était mort en cette ville[3]; il l’avait remplacé par un Piémontais, Mercurino di Gattinara, qui avait été président de Bourgogne, et auquel l’archiduchesse Marguerite et l’empereur Maximilien avaient confié d’importantes négociations. Dans le trajet de Saragosse à Barcelone, il apprend la mort de l’empereur[4]; il ne la divulgue qu’après son entrée dans la capitale de la Catalogne, qui a lieu le 15 février. Le 1er mars, à la cathédrale, il fait célébrer les obsèques de son aiëul; le 5 et les jours suivants, il y tient un chapitre de la Toison d’or où il appelle à prendre séance les chevaliers dont il avait fait choix parmi les grands seigneurs de la Castille et l’Aragon. Il ouvre les cortès le 13 avril et leur fait les mêmes demandes qu’il avait faites aux Castillans et aux Aragonais. Elles répondent sur-le-champ, par la bouche de l’archevêque de Taragone, qu’elles sont prêtes à le reconnaître pour leur prince souverain, et la prestation réciproque des serments s’accomplit le 16. Depuis l’arrivée de Charles à Valladolid, la reine Germaine de Foix, veuve de Ferdinand le Catholique, se trouvait à sa cour; il la marie, à Barcelone, au marquis Jean de Brandebourg, venu avec lui des Pays-Bas. Quelques jours après, M. de Chièvres, accompagné du grand chancelier et de plusieurs autres ministres espagnols et belges, va conférer, à Montpellier, avec les ambassadeurs de France, sur différents points qui étaient en contestation entre les deux couronnes; cette conférence reste sans résultat.

Dans les premiers jours de juillet, Charles reçoit la nouvelle que les électeurs, assemblés à Francfort, l’ont unanimement, le 28 juin, élu roi des Romains et futur empereur. Son ambition voyait par là tous ses vœux remplis : pour parvenir à la dignité impériale, il n’avait rien épargné, ni les dons, ni les promesses, ni les pensions, en faveur de ceux qui pouvaient la lui procurer. Les rois ses prédécesseurs, et lui jusqu’alors, n’avaient été traités que d’Altesse; il se fait donner dorénavant le titre de Majesté. Au mois d’octobre, la peste qui régnait à Barcelone l’engage à aller s’établir à Molin del Rey; c’est là que, à la fin de novembre, le comte palatin Frédéric lui apporte le décret de son élection, avec une lettre du collége électoral qui l’invitait à se rendre aussi tôt que possible en Allemagne. Il se hâte de terminer les affaires qui le retenaient dans la Péninsule. Il presse les cortès de Catalogne d’achever leurs délibérations. Il renonce à aller se faire inaugurer à Valence, et y envoie le cardinal évêque de Tortosa, pour prêter serment et le recevoir en son nom. Le 23 janvier il part de Barcelone, traverse l’Aragon sans passer par Saragosse, s’arrête neuf jours à Burgos, visite la reine sa mère à Tordesillas, et arrive le 26 mars à Saint-Jacques en Galice, où il avait convoqué les cortès de Castille. Il ouvre en personne leur session le 1er avril, leur expose les raisons majeures qui le forcent de se rendre dans la Germanie, leur demande un service[5] extraordinaire, et les requiert de demeurer, pendant son absence, en paix et tranquillité. Son départ causait en Castille un mécontentement général, et déjà, sur plusieurs points du royaume, se manifestaient les symptômes des troubles qui devaient bientôt y éclater : le service n’est voté que par la majorité des villes.

Le 20 mai 1520, Charles s’embarque à la Corogne, laissant pour gouverneur des royaumes de Castille et de Navarre le cardinal de Tortosa, pour gouverneur et capitaine général d’Aragon don Juan de Lanuza, et don Diego Hurtado de Mendoza, comte de Melito, pour vice-roi de Valence. Le 25 il fait jeter l’ancre sur la côte d’Angleterre; le lendemain il débarque à Douvres. Henri VIII vient l’y trouver; ils vont ensemble passer deux jours à Cantorbery, où était la reine Catherine d’Aragon, et ne se séparent qu’après avoir échangé les protestations d’une amitié inaltérable. Charles reprend la mer le 31. Le jour suivant il aborde à Flessingue. L’archiduchesse Marguerite, que, par des lettres données à Barcelone (1er juillet 1519), il avait nommée régente des Pays-Bas, l’attendait à Gand avec l’archiduc Ferdinand : tous trois partent pour Bruxelles, où, le 26 juin, Charles assemble, en sa présence, les états généraux. Il avait besoin d’argent pour les dépenses de son couronnement en Allemagne; il fait appel à leur libéralité. Le 3 juillet il part pour Gravelines. Il y reçoit la visite de Henri VIII, qu’il accompagne à Calais : là, le 14, les deux souverains signent une convention par laquelle ils resserrent leur alliance. Charles reprend ensuite le chemin de la Flandre et du Brabant. A Louvain, où il arrive le 23, des dépêches lui parviennent d’Espagne qui lui causent les plus graves soucis.

Nous avons, dit le fâcheux effet qu’avait produit en Castille son départ de ce pays. Ce n’était pas le seul grief qu’eussent contre lui les Castillans. Ils se plaignaient du peu de cas qu’il faisait de leur nation et des preférences qu’il montrait pour les Belges; ils étaient blessés du pouvoir que s’arrogeait son ancien gouverneur, devenu son grand chambellan, Guillaume de Croy; ils trouvaient mauvais, et avec raison, qu’il eut conféré à M. de Chièvres la charge éminente de grand trésorier du royaume; ils étaient scandalisés de ce qu’il avait nommé à l’archevêché de Tolède, la plus riche prélature d’Espagne et qui était enviée des premiers dignitaires de l’Église, le neveu de M. de Chièvres; ils s’indignaient du trafic que, sous ses yeux, son grand chambellan et son grand chancelier faisaient des charges, des dignités et des offices. Le choix du cardinal de Tortosa pour gouverner la Castille en l’absence du roi, vint mettre le comble aux murmures de la nation : les vertus d’Adrien lui avaient attiré le respect des Espagnols; mais ils regardaient comme un affront qu’un étranger fût placé à la tête de l’administration de leur pays. Dans l’état de fermentation où étaient les esprits, il ne fallait qu’une étincelle pour causer un embrasement général. Tolède, qui, déjà avant le départ de l’empereur, s’était livrée à des manifestations séditieuses, donna le signal de l’insurrection. Ségovie, Zamora, Burgos, Avila, Madrid, Salamanque ne tardèrent pas à suivre son exemple; l’incendie de Medina del Campon par les troupes royales sous les ordres d’Antonio de Fonseca acheva d’exaspérer les populations, et l’insurrection s’étendit à toutes les parties du royaume. Partout les procuradores qui avaient voté le service étaient en butte aux fureurs populaires; on les mettait à mort; on détruisait ou saccageait leurs demeures. Une junte des députés des villes fut convoquée à Avila, pour délibérer sur les mesures que réclamait la situation du royaume; les députés, en y entrant, juraient qu’ils voulaient vivre et mourir pour les comunidades[6]. Ils juraient aussi, à la vérité, de vivre et mourir pour le roi; mais cela n’empêchait pas que les villes dont ils étaient les représentants ne méconnussent les ordres d’Adrien et du conseil établi près sa personne; qu’elles ne déposassent les officiers royaux et ne s’emparassent des revenus de la couronne; qu’elles ne se considérassent, en un mot, comme affranchies de tout devoir de fidélité et d’obéissance envers leur souverain. Tel était, en substance, ce qu’on mandait d’Espagne à Charles-Quint. A Bruxelles, peu de temps après, il reçut d’autres nouvelles encore plus affligeantes : elles lui apprenaient que don Juan de Padilla, capitaine de Tolède, était entré à Tordesillas; qu’il en avait expulsé le marquis et la marquise de Denia; que, profitant de la maladie mentale de la reine sa mère, la junte des comuneros faisait approuver par elle tous ses actes.

Dans ces conjonctures critiques, Charles prit les seuls mesures qui, à défaut de sa présence; en Espagne, pouvaient y amener le rétablissement de son autorité : il nomma le connétable et l’amirante de Castille gouverneurs de ce royaume conjointement avec Adrien; il écrivit aux villes des lettres conçues en termes affectueux; il fit grâce du service voté par les cortès à celles qui étaient restées sous son obéissance ou qui y rentreraient; il consentit que les revenus royaux connus sous le nom d’alcávalas se perçussent comme du temps des rois catholiques, renonçant ainsi à l’augmentation qu’ils avaient subie depuis; il déclara enfin que dorénavant il ne serait plus donné de charges, d’offices ni de bénéfices à des étrangers. Il avait convoqué les états généraux des Pays-Bas à Anvers; il les réunit le 28 septembre, les remercia des aides qu’ils lui avaient accordées, leur annonça qu’il avait de nouveau confié la régence du pays à l’archiduchesse sa tante, et leur dit adieu. Le 22 octobre 1520 il fit son entrée à Aix-la-Chapelle, qui ne dura pas moins de cinq heures, tant était nombreux le cortége qui l’accompagnait. Le jour suivant, les électeurs vinrent le prendre à son palais et le conduisirent à l’église de Notre-Dame, où il fut sacré et couronné, avec les cérémonies d’usage, par l’archevêque de Cologne, assisté des archevêques de Mayence et de Trèves. Le même jour il prêta, à la maison de ville, les serments accoutumés. A partir de ce moment, il remplaça, par les titres d’élu empereur des Romains, toujours auguste, roi de Germanie, ceux d’élu roi des Romains, futur empereur, qu’il avait pris jusque là. Après son couronnement à Bologne le mot élu cessa de figurer dans ce formulaire.

Les dispositions de la bulle d’or voulaient que Charles-Quint assemblât la diète de l’empire à Nuremberg : à cause de la peste qui régnait en cette ville, il la convoque à Worms, où il arrive le 28 novembre. Il demande à la diète les moyens d’aller recevoir la couronne impériale à Rome; elle vote la levée d’une armée de vingt-quatre mille hommes pour l’y accompagner, à condition qu’elle ne pourra être employée à aucune autre entreprise. D’accord avec lui, elle réorganise la chambre impériale et le conseil de régence; elle attribue à celui-ci l’autorité qui appartenait à l’empereur, lorsqu’il sera absent, sauf en ce qui concerne la collation des grands fiefs. Les doctrines et les publications de Luther mettaient en trouble toute l’Allemagne; deux fois excommunié par le pape, le fougueux augustin ne gardait plus aucun ménagement dans ses invectives contre le saint-siége. L’empereur le cite à comparaître devant la diète, pour se justifier, en lui donnant un sauf-conduit et un héraut chargé de l’accompagner. Luther entre à Worms le 16 avril 1521. Le lendemain il va faire la révérence au chef de l’empire, qui l’accueille avec courtoisie. Le même jour il est appelé devant la diète. Le docteur Jean Eck, fiscal de l’archevêque de Trèves, l’invite à répondre sur ces deux points : si tous les livres qui ont paru sous son nom et dont il lui remet la liste, sont bien de lui, et s’il entend affirmer les maximes qui y sont contenues, ou les révoquer en tout ou en partie. Luther se reconnaît l’auteur de ces livres; il réclame un délai pour répondre sur le deuxième point. Le fiscal, après avoir pris les ordres de l’empereur, lui accorde vingt-quatre heures de réflexion. Le 18 avril il est ramené devant la diète : il prononce un long discours qu’il conclut en disant qu’il ne peut ni ne veut rien révoquer de ce qu’il a écrit, et qu’il n’entend le faire jusqu’à ce qu’on le convainque de ses erreurs par le témoignage de l’Écriture sainte et par des raisons solides, sans alléguer l’autorité du pape ni des conciles, qu’il n’admet pas. L’assemblée se sépare dans une grande agitation. Le 19, Charles-Quint fait présenter à la diète un écrit où il annonce l’intention, vu la pertinacité de Luther, de ne plus l’entendre et de le traiter en ennemi de l’Église. Il consent cependant, à la prière de plusieurs de ses conseillers, à lui accorder encore trois jours, pendant lesquels des théologiens choisis par l’archevêque de Trèves cherchent à l’ébranler, mais en vain. Il fait alors commandement à Luther de sortir de Worms, et le 8 mai, de l’avis et avec le concours des électeurs, des princes et des états de l’Empire, il rend un édit où il le déclare schismatique et hérétique notoire; défend à tous et un chacun de le recevoir, soutenir ou favoriser; ordonne de procéder contre lui et contre tous autres hérétiques ses complices et fauteurs; interdit la lecture, la vente ou la possession de livres sortis de sa plume; enjoint de saisir ces livres partout où on les trouvera et de les brûler, de même que tous écrits, images, peintures contre la foi catholique, et enfin soumet à l’approbation préalable de l’ordinaire de chaque diocèse l’impression des livres traitant de matières religieuses. Cette déclaration est bientôt suivie de la clôture de la diète. Charles quitte Worms le 31 mai.

Trois jours auparavant, il avait perdu l’homme qui avait guidé sa jeunesse, qui l’avait initié aux combinaisons de la politique, et dont il n’avait cessé de suivre les avis avec une condescendance que des historiens ont taxée de déférence aveugle. Est-il vrai, comme le dit Robertson, sans le prouver, que la mort du seigneur de Chièvres ne lui causa point de regrets? On ne saurait contester, en tout cas, que Guillaume de Croy n’ait été un ministre tout dévoué à la gloire et à la grandeur de son maître, en même temps qu’un des hommes d’État les plus habiles de son époque. Il est fâcheux pour sa mémoire qu’on puisse lui reprocher une avidité sans scrupule, car il était insatiable d’honneurs et de richesses. Charles donna la charge de grand chambellan, qu’il remplissait, au comte Henri de Nassau; mais personne ne remplaça M. de Chièvres dans sa confiance et sa faveur.

Cependant François Ier, mortifié de la préférence que les électeurs de l’Empire avaient donnée au roi d’Espagne, cherchait à s’en venger en faisant la guerre à celui qui avait été son rival heureux. Sous le prétexte de soutenir les prétentions d’Henri d’Albret sur la Navarre, il rassemblait des troupes pour envahir ce royaume; à son instigation, et avec son aide, Robert de la Marck, seigneur de Sedan, alléguant de prétendus torts qui lui auraient été faits, venait d’entrer à main armée dans la province de Luxembourg, où déjà il s’était emparé de plusieurs villes. Charles, en ce moment, se voyait délivré d’inquiétude du côté de l’Espagne : il avait reçu la nouvelle que le connétable et l’amirante de Castille avaient mis en déroute, à Villalar, l’armée des comuneros, et fait prisonniers leurs principaux chefs (24 avril); que, à la suite de cette défaite, toutes les villes qui formaient la ligue des comunidades étaient rentrées dans le devoir. Il accourt aux Pays-Bas afin de hâter, par sa présence, les mesures que l’agression de Robert de la Marck rend nécessaires. Le 17 juillet il assemble les états généraux à Gand : la conduite déloyale du roi de France, les actes d’hostilité qu’il a faits déjà et ceux qu’il prépare contre les Pays-Bas sont les motifs invoqués, en son nom, pour demander des subsides que les provinces votent avec empressement. Il avait réclamé le secours de Henri VIII contre l’infracteur de la paix de Noyon : il se rend à Bruges, où le cardinal Wolsey vient s’aboucher avec lui; le 14 août un traité est conclu en cette ville par lequel Henri et Charles s’engagent à assaillir la France par terre et par mer. Un autre traité, auquel le pape intervient, est signé entre eux à Calais le 24 novembre suivant; il y est stipulé qu’au printemps l’empereur se rendra en Espagne, pour la pacifier; qu’une flotte anglaise l’escortera; 'qu’il aura d’abord une entrevue avec le roi Henri; qu’au mois de mars de l’année suivante, les deux parties contractantes attaqueront la France. Charles avait ordonné au comte de Nassau, général en chef de ses troupes, de mettre le siége devant Tournai; il se rend à Audenarde, afin de suivre de plus près les opérations militaires[7]; il apprend là, presque en même temps, que Tournai et Milan ont été conquis par ses armes : car l’Italie aussi était le théâtre de la guerre. Il unit Tournai et le Tournaisis au comté de Flandre (février 1522).

Avant de s’éloigner des Pays-Bas, il avait à cœur de mettre la dernière main au règlement de ses affaires de famille. Déjà il avait transigé avec l’archiduchesse Marguerite au sujet de la succession de l’empereur Maximilien; moyennant deux cent mille florins d’or, elle avait renoncé à la part qui lui en revenait (18 septembre 1520) : il s’accorde avec l’archiduc Ferdinand sur le partage de la succession de son père et de son aïeul, abandonnant à son frère puîné les États héréditaires d’Allemagne et conservant tous les autres (7 février 1522). Suivant sa coutume, il assemble les états généraux à Bruxelles, pour leur faire ses adieux; il leur annonce que, cette fois encore, il a investi de la régence du pays, pendant le temps de son absence, l’archiduchesse sa tante; il leur dit l’accord qu’il a fait avec son frère, et les informe qu’il l’a nommé son lieutenant dans l’Empire. Le 27 mai il s’embarque à Calais. Il est reçu à Douvres par le cardinal Wolsey; le lendemain le roi vient lui-même l’y trouver. Le 6 juin Charles et Henri entrent ensemble à Londres, « non-seulement en estat de frères conjoints en ung même vouloir, mais habillés tous deux d’une parure et avec toutes les cérémonies accoutumées comme si l’empereur deust estre receu roy en Angleterre[8]. » Ils avaient appris la veille que le héraut Clarence, envoyé par Henri à François Ier pour le défier, s’était acquitté de sa mission. Les deux monarques vont passer une dixaine de jours à Windsor, où Henri VIII tient un chapitre de l’ordre de la Jarretière. Charles prend congé de son hôte royal à Winchester, et le 6 juillet il monte sur le navire qui doit le conduire en Espagne. Il débarque à Santander le 16.

Un événement que Charles était en droit de considérer comme des plus heureux pour lui et pour ses affaires s’était récemment accompli : son ancien précepteur avait été appelé, le 9 janvier 1522, à occuper le siége pontifical, vacant par la mort de Léon X. Au moment où il revenait en Espagne, Adrien se trouvait à Tarragone, occupé des apprêts de son passage en Italie. Charles lui envoie le seigneur de Zevenberghe, chargé de lui exprimer le plaisir qu’il aurait à le voir, et l’intention de se transporter auprès de lui, s’il veut différer de quelques jours son départ. Adrien s’en excuse sur les instances qui lui sont faites de toutes les parties de l’Italie pour qu’il hâte son arrivée dans la ville éternelle. Charles alors se dirige vers Valladolid. A Palencia il tient conseil sur le parti à prendre à l’égard des chefs des comuneros qui étaient détenus en prison : il est décidé que le procès sera fait aux plus compromis d’entre eux; huit sont condamnés à mort et exécutés. Charles arrive à Valladolid le 26 août; il va, quelques jours après, visiter la reine sa mère à Tordesillas; il envoie une ambassade en Portugal, pour en ramener la reine Éléonore, qui avait perdu son époux. Toute la Castille attendait avait anxiété la détermination à laquelle s’arrêterait l’empereur à l’égard des corporations et des individus qui avaient pris une part active au soulèvement des comunidades : le 28 octobre, sur une estrade dressée au milieu de la Plaza Mayor de Valladolid, Charles, entouré des grands, des ministres, des conseils de gouvernement et de justice, fait donner lecture d’un acte d’amnistie qui s’étendait à tous les crimes et délits commis depuis le commencement de la rébellion. La plupart des historiens espagnols, et Sandoval surtout, rendent hommage, à cette occasion, à la clémence et à la générosité de l’empereur; Robertson parle de l’amnistie dans les mêmes termes, tout en l’attribuant à un calcul de prudence autant qu’à un sentiment de générosité. Un historien de notre temps, M. Lafuente, se refuse à confirmer ces éloges; il va même jusqu’à se demander s’il n’y eut pas dans l’acte de Charles-Quint plus de cruauté que de clémence : le grand nombre de personnes exceptées de l’amnistie est la raison qu’il donne à l’appui de sa critique[9]. Il ne révoque pourtant pas en doute l’assertion de Sandoval que, de toutes ces personnes, il n’y en eut pas deux qui furent punies; il ne conteste pas non plus ces paroles de l’empereur à un courtisan qui était venu lui découvrir le lieu où était caché l’un des plus considérables d’entre les proscrits : Vous auriez mieux fait d’avertir Hernando de Avalos de s’en aller que de me le dénoncer pour queb je le fasse prendre[10].

Des troubles plus sanglants encore que ceux de la Castille avaient agité le royaume de Valence dans le temps que l’empereur était aux Pays-Bas et en Allemagne. Là le peuple, vexé, opprimé par les nobles, s’était soulevé contre eux, avait pillé leurs maisons, ravagé leurs terres, attaqué leurs châteaux. Plein de respect d’abord pour l’autorité royale, qui dans le principe avait favorisé ses prétentions, il s’était mis en état d’hostilité contre elle dès qu’elle avait voulu réprimer ses excès. Partout les artisans avaient dépossédé de force les magistrats qui exerçaient le pouvoir municipal, pour se substituer à eux. A Valence les chefs du mouvement populaire s’étaient, au nombre de treize, constitués en junte, donnant à celle-ci le nom de germania[11], qui fut bientôt adopté dans les autres villes. Nous n’avons pas ici à tracer le tableau des atrocitésb que commirent les agermanados et des représailles auxquelles les nobles se livrèrent de leur côté, car ces derniers étaient sans pitié pour ceux de leurs ennemis qui tombaient entre leurs mains. Plus d’un combat meurtrier signala cette guerre fratricide, qui, au rapport d’un historien national, ne fit pas moins de quatorze mille victimes, jjorsque l’empereur débarqua à Santander, déjà l’autorité des lois était rétablie dans la plus grande partie du royaume, grâce aux secours que, après la victoire de Villalar, le vice-roi D. Diego de Mendoza avait reçus des gouverneurs de la Castille; la fin de la sédition suivit de près son arrivée. L’île de Majorque, qui avait suivi l’exemple de Valence, ne tarda pas aussi à rentrer dans le devoir. A partir de cette époque, et pendant tout le règne de Charles-Quint, on peut dire que l’Espagne fut un des pays les plus paisibles de l’Europe : dans la relation dont il donna lecture au sénat de Venise, en 1525, l’ambassadeur Gaspare Contarini faisait la remarque que jamais roi de Castille n’avait joui de plus d’autorité que l’empereur Charles[12].

Au commencement de 1523, des avis certains parvinrent à la cour impériale que François Ier faisait des préparatifs de guerre considérables, dans le dessein de passer les Alpes en personne et de reconquérir le duché de Milan : Charles-Quint, afin de l’en divertir, résolut de pénétrer lui-même en France par la Navarre. Le 26 août il quitta Valladolid, se dirigeant vers Pampelune, où il arriva le 12 octobre; il avait réuni une armée nombreuse, bien pourvue d’artillerie et de munitions : il dut cependant renoncer à son entreprise, l’argent lui faisant défaut, la peste s’étant mise parmi ses troupes, et Bayonne, que ses généraux avaient assiégée, ayant résisté à toutes leurs attaques. Le 2 janvier 1524, il retourna en Castille, laissant l’armée, dont il avait licencié une partie, aux ordres du connétable don Iñigo Fenandez de Velasco, qui se contenta de reprendre Fontarabie, occupée par les Français depuis plusieurs années.

François Ier avait abandonné le projet de conduire en personne les troupes qu’il faisait descendre en Italie; mais c’était moins l’expédition de l’empereur que la trahison du connétable de Bourbon, qui l’y avait déterminé : ce prince, en effet, pour se venger des injures qu’il prétendait avoir reçues du roi et de la duchesse d’Angoulême, sa mère, venait de traiter avec les ennemis de la France. L’amiral Bonivet, investi du commandement en chef de l’armée d’Italie, fut loin de justifier cette marque de la confiance de son souverain : battu par les chefs des troupes impériales, il se vit obligé de repasser les Alpes (avril 1524) : Bourbon et le marquis de Pescaire, voulant profiter de leurs avantages, envahirent alors la Provence; après avoir soumis une partie du pays, ils échouèrent devant Marseille : à leur tour ils furent réduits à battre précipitamment en retraite (28 septembre). Animé par ce succès, et ayant rassemblé des forces imposantes, François, à qui la perte du Milanais causait une humiliation profonde, reprit son premier dessein : au mois d’octobre, il franchit le Mont-Cenis; le 26 il entra dans Milan sans coup férir.

Tandis que ces événements se passaient, Charles-Quint était à Valladolid, en proie à une fièvre opiniâtre. Ses médecins, n’en pouvant triompher, lui donnèrent le conseil d’aller respirer l’air pur et vif de Madrid. Il y arriva le 21 novembre. Les nouvelles qu’il recevait coup sur coup d’Italie remplissaient son esprit de trouble et d’inquiétude. Entraînés par la supériorité qui semblait acquise aux armes de la France, les princes et les États de la péninsule se prononçaient successivement contre lui; ses alliés mêmes l’abandonnaient l’un après l’autre. Le pape avait déjà traité avec François Ier; les Vénitiens s’apprêtaient à suivre son exemple; le duc de Ferrare n’en avait pas eu besoin pour fournir des secours de tout genre aux Français. Les dernières dépêches du vice-roi de Naples (Charles de Lannoy) étaient alarmantes. François Ier déclarait hautement qu’il ne se contenterait pas, cette fois, du Milanais, et qu’il voulait avoir aussi le royaume de Naples.

C’est dans ces circonstances que, le 10 mars 1525, un envoyé du vice-roi, le commandeur don Rodrigo de Peñalosa, vient lui apprendre la victoire remportée par son armée, à Pavie, sur les Français et la prise de leur roi. Sans que son visage ni ses paroles laissent rien paraître de l’impression qu’il en éprouve, il passe dans son oratoire, s’y agenouille et, durant une heure, reste en prières, rendant des actions de grâces à Dieu. Bientôt la grande nouvelle s’est répandue dans Madrid. Le palais se remplit des seigneurs, de la noblesse, des officiers de la cour, des envoyés des puissances étrangères, qui viennent le féliciter. Il reçoit leurs compliments avec le même calme, la même gravité, la même retenue qu’il avait montrés dans le premier moment; il leur dit de remercier Dieu, car lui seul est l’arbitre des victoires, comme il l’est du châtiment des hommes. Le lendemain il se rend, avec toute sa cour, à l’ermitage de Notre-Dame d’Atocha, patronne de Madrid; il y entend la messe et un sermon prêché par un moine de l’ordre de Saint-Dominique. Il ne veut pas permettre que, dans sa résidence ou en aucun autre endroit de ses domaines, des réjouissances publiques aient lieu. Plusieurs de ses ministres, et l’archiduc Ferdinand lui-même, l’engageaient à profiter de sa victoire pour pousser la guerre avec vigueur; la France, dans la consternation et l’abattement où elle était plongée par la perte de la plus florissante armée qu’elle eût eu depuis longtemps, par la captivité de son roi, par la mort ou la prise de ses meilleurs généraux, semblait hors d’état de continuer la lutte : mais, comme il le déclara aux ambassadeurs de Venise, il y avait une seule gloire à laquelle il aspirât, et c’était qu’il fût dit que, de son temps, l’Europe avait joui de la tranquillité et de la paix. Il charge donc Adrien de Croy, seigneur du Rœulx, l’un des principaux personnages de sa cour, d’aller visiter de sa part le roi de France et de lui porter des propositions d’arrangement. Il mande en même temps à Lannoy et au connétable de Bourbon de suspendre toutes hostilités, « lui semblant honnête » — c’étaient ses propres expressions — « de ne pas les continuer pendant que le roi était entre ses mains; » il donne les mêmes ordres aux Pays-Bas et sur les frontières d’Espagne.

Cependant François Ier, que les chefs de l’armée impériale avaient résolu de faire conduire à Naples, sut persuader à Lannoy de le mener en Espagne; il se flattait qu’en traitant directement avec l’empereur, il obtiendrait plus tôt et à de meilleures conditions sa délivrance. Il arriva au mois d’août à Madrid, où l’alcazar lui fut donné pour prison, Charles se trouvait alors à Tolède; il y tenait les cortès de Castille. Dès qu’il avait été informé du débarquement du roi en Espagne, il s’était empressé de lui écrire, lui exprimant le plaisir qu’il en éprouvait et l’espoir que sa venue hâterait l’œuvre d’une pacification générale si nécessaire à la chrétienté; il lui avait envoyé, pour le saluer et le complimenter de sa part, l’évêque d’Avila. Il donna l’ordre que rien ne fût négligé, à Madrid, de ce qui pouvait adoucir sa captivité : ainsi on l’entourait des soins les plus attentifs et les plus respectueux; il avait la faculté d’aller dans les champs, de se promener sur sa mule, de chasser quand cela lui faisait plaisir. François, néanmoins, au bout de quelque temps, tomba dans une profonde mélancolie; son sang s’échauffa; il eut une fièvre qui bientôt prit le caractère le plus violent. Deux de ses médecins étaient à ses côtés; l’empereur lui envoya le sien propre avec le vice-roi de Naples; au premier avis de sa maladie, il avait fait partir pour Madrid quelqu’un chargé de lui rapporter de ses nouvelles. Le 18 septembre, revenant de Ségovie, il reçoit des dépêches qui lui apprennent que l’état du malade s’est aggravé, et qu’il réclame instamment sa présence comme le seul remède qui le puisse soulager. À l’instant même il monte à cheval et court, à bride abattue, jusqu’à Madrid ; en moins de deux heures, il franchit une distance égale à neuf de nos lieues ; il met pied à terre au palais et se fait annoncer au roi. François, dès qu’il aperçoit l’empereur, lui tend les bras ; Charles s’y précipite avec effusion : « Empereur, mon seigneur, lui dit François, vous voyez ici votre serviteur et votre esclave. » — « Non, répond Charles, je ne vois en vous que quelqu’un de libre et mon bon frère et véritable ami » François repart : « Je ne suis que votre esclave. » Charles répète à son tour qu’il est libre et son bon frère et ami. « Ce qui importe le plus, ajoute-t-il, c’est votre santé ; ne pensez pas à autre chose. » Le lendemain il lui fait une seconde visite, qui se passe comme la première. Pendant qu’ils devisaient ensemble, on vient l’avertir que la duchesse d’Alençon entrait à l’alcazar ; il va au-devant de Marguerite d’Angoulème, l’accueille de la manière la plus courtoise, et, lui offrant la main, la conduit lui-même à la chambre de son frère ; comme elle pleurait, il s’efforce de la consoler par toute sorte de paroles affectueuses et encourageantes. Il prend alors congé d’elle et du roi, et retourne à Tolède.

Ce n’était pas seulement le désir de voir un frère chéri qui avait conduit Marguerite d’Angoulême en Espagne, c’était aussi l’espoir qu’elle réussirait, mieux que les ambassadeurs envoyés par la régente de France, à obtenir de l’empereur des conditions auxquelles le roi pût souscrire. Elle va trouver Charles à Tolède, emploie auprès de lui toutes les séductions de son esprit et de sa grâce : mais, n’étant pas autorisée à lui offrir la restitution du duché de Bourgogne, elle le trouve sourd à ses propositions. Elle repart pour la France, piquée d’avoir eu si peu de succès dans son entreprise. Un mois après qu’elle a quitté Tolède, le connétable de Bourbon y arrive ; Charles va à sa rencontre et lui donne des marques de la plus haute distinction. Bourbon lui ayant dit qu’il ne regrette pas d’avoir perdu son État pour le servir, il lui répond : « Duc, votre État n’est point perdu et ne le sera pas ; vous le recouvrerez ; c’est moi qui vous le donnerai, et un autre bien plus considérable. Je sais que tout ce que vous dites est la vérité ; le temps et les faits vous montreront la volonté que j’ai de coutribuer à votre grandeur. En vous voyant, j’ai vu l’homme du monde que j’ai le plus désiré de connaître personnellement, car vos actions je les connais très-bien. »

Sur ces entrefaites, un nouvel envoyé français, l’évêque de Tarbes, avait cherché sans succès à renouer les négociations : la restitution préalable du duché de Bourgogne, à laquelle le roi ne voulait pas consentir, était toujours la grande difficulté. François Ier, dont l’impatience de sortir de captivité était extrême, a recours à différentes feintes pour déterminer l’empereur à se désister de ses prétentions ; en même temps il concerte avec quelques serviteurs affidés les moyens de s’évader : il gagne des soldats italiens de la garde du palais ; il suborne un esclave noir qui était chargé d’allumer et d’entretenir le feu dans sa chambre. Toutes ces tentatives ayant échoué, il autorise les plénipotentiaires français à stipuler la restitution de la Bourgogne, après qu’il aura été mis en liberté, et à offrir en otage, comme garantie de l’exécution de l’engagement qu’il prendra, le dauphin et l’un de ses frères. Dans le conseil de l’empereur les avis sont partagés sur cet arrangement ; le grand chancelier Gattinara s’y montre absolument opposé : Charles, adoptant l’opinion de Lannoy, du comte de Nassau, du seigneur du Rœulx, se détermine à l’accepter. L’acquisition du duché de Bourgogne n’était pas le seul avantage qu’il dût retirer du traité négocié par ses plénipotentiaires[13] ; d’autres stipulations d’une grande importance y étaient contenues. Le roi de France renonçait à toutes ses prétentions sur le royaume de Naples, le duché de Milan, les seigneuries de Gênes et d’Asti, la cité d’Arras, Tournai, le Tournaisis, Mortargne et Saint-Amand ; il renonçait au ressort et souveraineté sur les comtés de Flandre et d’Artois, au droit de rachat des châtellenies de Lille, Douai et Orchies ; il épousait la reine douairière de Portugal ; il contractait une ligue offensive et défensive avec l’empereur ; il promettait de lui fournir une armée et une flotte pour le voyage qu’il ferait en Italie afin d’y être couronné, de l’accompagner en personne lorsqu’il marcherait à une croisade contre les Turcs et les hérétiques ; il s’engageait à le tenir quitte et indemne de tout ce qu’il devait au roi d’Angleterre, etc.

Le 14 janvier 1526, François Ier, qui le même jour avait protesté secrètement contre l’acte qu’il allait accomplir, signe le traité, et, après la messe célébrée par l’archevêque d’Embrun, jure sur l’Évangile de l’observer dans toutes ses dispositions. Cette cérémonie est suivie d’une solennité plus imposante encore. Pour déterminer l’empereur à lui rendre la liberté, François Ier avait promis de lui donner sa foi comme chevalier : la foi donnée au nom de la chevalerie était de tous les serments le plus sacré ; le chevalier devait la garder à peine d’être déclaré infâme et parjure. C’était Lannoy que l’empereur avait commis pour recevoir le serment du roi. François Ier, s’étant découvert, et ayant mis sa main droite en celle du vice-roi de Naples, jure que si, dans les six semaines qui suivront son retour en France, il n’effectue pas la restitution du duché de Bourgogne, et si, dans les quatre mois, il ne délivre pas la ratification du traité, il reviendra se mettre au pouvoir de l’empereur comme son prisonnier de guerre. Qui aurait pu croire que des engagements aussi solennels n’étaient qu’une comédie imaginée pour abuser l’empereur et ses ministres ?

Aux termes du traité, François Ier devait être mis en liberté le 10 mars. Le 13 février Charles-Quint vient à Madrid pour lui rendre visite ; le roi va à sa rencontre, et dès qu’ils se sont joints, ils s’embrassent avec de grandes démonstrations d’amitié ; ils soupent ensemble au palais. Deux jours après ils vont aussi ensemble à la messe à San Francisco. Ils partent le 16 pour Illescas, où François a une première entrevue avec la reine Éléonore, sa fiancée. Le 19 à Torrejon de Velasco ils se séparent : l’empereur pour aller se marier à Séville, François pour se diriger vers la France. Au moment de se faire leurs adieux, Charles, ayant pris le roi à part, lui dit : « Mon frère, vous souvenez-vous de ce dont vous êtes convenu avec moi ? » — « Je m’en souviens si bien, répond le roi, que je vous dirais tous les articles de notre traité, » et il les dit en effet. Charles reprend : « Puisque vous vous en souvenez si bien, dites-moi franchement si vous avez l’intention de les accomplir, ou si vous y trouvez quelque difficulté, car, dans ce dernier cas, nous serions exposés à voir nos inimitiés se renouveler. » Le roi réplique : « J’ai l’intention d’accomplir le tout, et je sais que personne n’y mettra obstacle en mon royaume. Si vous voyez que j’agisse autrement, je veux et consens que vous me teniez pour méchant et lâche. »

Charles-Quint avait été fiancé, une première fois, à madame Claude, fille de Louis XII, et une deuxième fois à Renée, sœur de Claude ; le traité de Noyon avait substitué à Renée madame Louise, fille de François Ier ; en 1522, à Windsor, Charles était convenu avec Henri VIII qu’il épouserait sa fille, la princesse Marie. Aucun de ces arrangements, dictés ou conseillés à l’empereur par la politique, n’avait été du goût des Espagnols. Au cortès de Tolède dont nous avons parlé, les représentants de la Castille exprimèrent le vœu qu’il se mariât avec l’infante Isabelle, fille du feu roi de Portugal Emmanuel le Fortuné. Charles, ayant vainement demandé à Henri VIII, ou qu’il lui envoyât sa fille, afin qu’elle fût élevée dans le pays sur lequel elle aurait à régner, ou qu’il trouvât bon qu’il contractât une autre alliance, résolut de condescendre à la pétition des cortès ; son mariage avec Isabelle fut célébré à Séville le 11 mars 1526, à la satisfaction générale de l’Espagne. La fille du roi Emmanuel réunissait tous les avantages : elle était jolie ; les agréments de la figure étaient rehaussés en elle par les qualités de l’esprit et du cœur ; née en 1503, elle avait à peu près le même âge que son époux ; enfin elle lui apportait en dot neuf cent mille ducats, somme des plus considérables pour ce temps-là.

Charles-Quint se livrait tout entier au bonheur que lui faisait goûter cette union, quand de fâcheuses nouvelles lui vinrent à la fois de France et d’Italie. Son ambassadeur en France, le seigneur de Praet, lui mandait que le roi, arrivé à Bayonne, avait pris des prétextes pour différer la ratification du traité de Madrid ; qu’à Mont-de-Marsau, à Bordeaux, à Cognac, où il l’avait suivi, il n’avait pu en obtenir autre chose que des paroles vagues ou des raisons spécieuses. En même temps Charles apprenait, par les dépêches de ses ministres en Italie, les intrigues que le pape nouait pour former une ligue contre lui. Quoiqu’il comprit dès lors qu’il avait été joué par le roi de France, il donna l’ordre à Lannoy de l’aller trouver, comme celui qui, ayant reçu sa foi, était, plus que personne, autorisé à lui rappeler le devoir que lui dictait cet engagement d’honneur, Lannoy ne réussit pas mieux que de Praet auprès de François Ier. Après bien des feintes et des subterfuges de ce monarque et de ses ministres, le 22 juin, à Angoulême, dans une assemblée solennelle du conseil, le chancelier de France déclara nettement aux deux envoyés de l’empereur que son gouvernement tenait le traité de Madrid pour nul et non avenu : le pape venait de délier François Ier du serment qu’il avait fait d’en accomplir les stipulations.

Déjà, un mois auparavant, à Cognac, un traité avait été conclu entre Clément VII, le roi de France, la république de Venise, les Florentins et le duc de Milan, par lequel ils s’obligeaient à mettre sur pied une armée de 30,000 hommes d’infanterie, 2,500 hommes d’armes et 3,000 chevau-légers, pour contraindre l’empereur, au cas qu’il ne voulût le faire de bonne grâce, à restituer, moyennant une honnête rançon, le dauphin et le duc d’Orléans qui avaient été délivrés au vice-roi de Naples, sur la Bidassoa, au moment où il remettait leur père au seigneur de Lautrec ; à laisser le duché de Milan au duc Sforza, et à rétablir les choses, dans les autres parties de l’Italie, en l’état où elles étaient avant la dernière guerre : les confédérés s’engageaient aussi à attaquer le royaume de Naples, dont le pape aurait disposé à sa volonté après qu’il aurait été conquis. Henri VIII était prié d’accepter le titre de protecteur et conservateur de cette sainte ligne (ce fut le nom que les confédérés lui donnèrent); pour l’y déterminer, ils offraient à ce prince un État dans le royaume de Naples de 30,000 ducats de revenu ; ils n’oubliaient point le cardinal Wolsey, qui devait en recevoir un d’une valeur de 10,000 ducats par année.

Charles s’était rendu de Séville à Grenade. Dans les premiers jours de septembre, les ambassadeurs de France, de Rome et de Venise, lui ayant fait demander audience, tentèrent de le persuader d’accéder au traité de Cognac ; ils lui représentèrent qu’il n’était pas au pouvoir du roi François Ier d’aliéner le duché de Bourgogne ; ils l’engagèrent à remettre le duché de Milan à Francesco Sforza, à rappeler les Espagnols qui étaient en Lombardie, à renoncer au royaume de Naples, ne lui laissant pas ignorer que, s’il se refusait à ces demandes, ainsi qu’à la restitution du dauphin et du duc d’Orléans, ils s’étaient confédérés pour le contraindre à y satisfaire. Charles était indigné. Se contenant toutefois, il répondit avec calme aux ambassadeurs que le roi très-chrétien agissait mal en manquant à sa parole ; que, quant à lui, il était décidé à ne pas rendre les princes qui lui avaient été délivrés en otage ; que Francesco Sforza était son vassal, et qu’il pouvait et devait le punir pour sa félonie ; qu’ayant à passer en Italie afin de s’y faire couronner, il avait besoin des Espagnols qui se trouvaient dans le Milanais ; que le royaume de Naples lui appartenait par héritage autant que par droit de conquête et en vertu de titres inattaquables. Se tournant alors vers le président de Calvymont[14], ambassadeur de France, et donnant un libre cours à ses sentiments, il lui dit que, si son maître avait observé ses promesses, la chrétienté serait en paix; qu’il avait usé envers le roi de magnanimité et de libéralité; que le roi, en échange, n’avait montré que de la pusillanimité et de la malice; qu’il ne s’était conduit ni en chevalier ni en gentilhomme, mais qu’il avait agi lâchement et méchamment, et que, s’il y prétendait contredire, il était prêt à le lui prouver par combat de sa personne à la sienne. Il lui dit encore que, si le roi voulait être fidèle à sa parole, il reviendrait se constituer prisonnier; qu’alors ses fils recouvreraient leur liberté; qu’ils ne l’obtiendraient pas autrement; que, si le roi pensait les ravoir par des menaces, il s’abusait : car la force le contraignît-elle d’abandonner tous ses royaumes et de se retirer à Grenade, jusqu’à ce tout lui vînt à manquer[15], il ne restituerait les deux princes : n’ayant jamais songé à se procurer de l’argent par de tels moyens, mais son but n’ayant cessé d’être de faire une bonne paix avec le roi, et après avec toute la chrétienté, afin de tourner ensuite ses armes contre les infidèles[16].

Déjà les hostilités avaient commencé en Italie : le connétable de Bourbon s’était emparé du château de Milan, que le duc Sforza occupait encore (24 juillet 1526); un coup de main hardi de don Ugo de Moncada et du duc de Sesa, ministres espagnols à Rome, secondés des Colonna, les avait rendus maîtres de la personne du pape, et, pour racheter sa liberté, Clément VII avait été obligé de consentir à une trêve de quatre mois. Ce n’était là que le prélude des disgrâces que la politique vacillante et tortueuse de ce pontife devait attirer sur lui. Charles-Quint, pris au dépourvu par la guerre, car il avait sincèrement compté sur la paix, suppléa, par son activité, à ce qui lui manquait afin de soutenir la lutte contre ses ennemis : il fit partir Lannoy pour le royaume de Naples avec 7,000 hommes de troupes espagnoles et allemandes; il ordonna la levée en Allemagne de 12,000 gens de pied destinés à renforcer son armée de Lombardie. Bourbon, ayant reçu ce renfort, se vit en état de prendre l’offensive; jusque là les confédérés lui avaient été trop supérieurs en forces pour qu’il put les combattre : il entra en campagne, quoiqu’on fût au cœur de l’hiver, menaçant à la fois Florence et Rome. Depuis le débarquement de Lannoy à Gaëte (1er décembre), des négociations s’étaient ouvertes entre Clément VII et celui-ci; le but du pape était de gagner du temps. L’approche de Bourbon le détermina à hâter un accommodement; le 15 mars 1527 il signa avec le vice-roi une trève de huit mois, à la condition que Lannoy se rendrait à Rome, pour y servir d’otage, jusqu’à ce que les troupes impériales eussent évacué les terres de l’Église.

Avant de traiter avec le pape, le vice-roi s’était assuré de l’assentiment de Bourbon. Cependant, lorsque le connétable connut les stipulations de la trève, il se refusa à les observer et continua sa marche en avant. Lannoy, à la réquisition du pape, l’alla trouver; Bourbon ne consentit à faire retirer ses troupes que si le pape lui envoyait deux cent quarante mille ducats pour les payer. Clément VII, se flattant que l’armée de la ligue le secourrait, et encouragé par l’attitude de la population romaine, aima mieux se défendre que de donner cette somme. Le 5 mai, Bourbon arriva devant la ville éternelle : le jour suivant il donna l’assaut; après un combat opiniâtre, où il fut frappé mortellement, ses soldats pénétrèrent dans Rome par trois points à la fois. La plume se refuse à décrire les horreurs qui suivirent cet événement. Le pape, qui se berçait toujours de l’espoir d’un secours prochain des confédérés, s’était réfugié au château Saint-Ange, accompagné de treize cardinaux, des ambassadeurs de France, d’Angleterre, de Venise et de Florence : ce fort, assez mal pourvu et dont l’état de défense n’était rien moins que formidable, fut aussitôt investi par les assiégeants. Philibert de Chalon, prince d’Orange, avait pris le commandement de l’armée impériale : destitué enfin de toute espérance, Clément VII fit, le 5 juin, avec lui et les autres chefs de l’armée, une capitulation par laquelle il s’engageait à payer 400,000 ducats, à remettre au pouvoir de l’empereur, indépendamment du château Saint-Ange, Ostie, Civita Vecchia, Civita Castellana et les villes de Parme, de Plaisance et de Modène. Jusqu’après le payement de 150,000 ducats, le château Saint-Ange devait lui servir de prison, ainsi qu’aux treize cardinaux qui l’avaient suivi; alors il serait conduit à Naples ou à Gaëte, pour y attendre les ordres de l’empereur.

Quels que fussent les griefs que Charles-Quint avait contre le pape, il n’était point entré dans sa pensée de lui infliger l’humiliation qu’il subissait en ce moment; son désir était de détacher Clément VII de la ligue et de s’entendre avec lui; il aurait souhaité surtout que ce pontife voulût venir en Espagne, afin qu’ils concertassent les moyens d’assurer la pacification et la tranquillité future de l’Italie; ses dernières instructions à Lannoy et à Bourbon étaient conçues en ce sens[17]. Aussi, lorsque les nouvelles de la prise de Rome lui parvinrent à Valladolid, son étonnement fut extrême; ajouterons-nous, avec Robertson, que sa joie égala sa surprise, ou, avec Sandoval, que ces nouvelles lui causèrent une grande douleur? Les cœurs des princes sont des abîmes qu’il est difficile de sonder, et nous nous contentons de rapporter les faits tels qu’ils sont acquis à l’histoire. La cour et toute la population de Valladolid étaient en fête à l’occasion de la naissance et du baptême du prince Philippe[18]; de grands préparatifs avaient été ordonnés pour des joûtes, des tournois et d’autres divertissements publics : Charles commanda qu’on les fît cesser[19]; il se vêtit de deuil; il exprima au nonce la peine qu’il éprouvait de ce qui était arrivé; il envoya à Rome fray Francisco de Quiñones, général des Cordeliers, avec des lettres au pape où il l’assurait de son amitié. Il n’était pourtant point indifférent à la victoire que ses troupes avaient remportée, ni méconnaissant des services que Bourbon lui avait rendus : il fit célébrer pour le connétable, pendant cinq jours, des obsèques auxquelles il assista; il écrivit à Lannoy et à Antonio de Leyva afin que le corps de ce prince fût inhumé avec pompe à Naples ou à Milan; ses intentions n’ayant pas été remplies par eux, il chargea le prince d’Orange, qui avait succédé à Lannoy dans sa vice-royauté, de « donner ordre que ledit corps fût mis et sépulture au principal lieu où étaient les rois de Naples, et son sépulcre tant riche qu’il le méritait et comme à un roi se pourrait et devrait faire[20]. » Quand il connut mieux tous les détails du sac de Rome et ce qui s’était passé avec le pape, et qu’il eut reçu la capitulation du 5 juin, il adressa aux princes de la chrétienté des lettres où il protestait qu’il n’avait pu prévoir ni prévenir des faits qu’il était le premier à déplorer (2 août); il dépêcha à Clément VII Pierre de Veyre, baron du Mont-Saint-Vincent, l’un des gentilshommes de sa chambre, avec des propositions d’arrangement (31 juillet). La mort de Lannoy arrivée sur ces entrefaites (23 septembre), les retards apportés par le pape dans le payement de la plus grande partie des 400,000 écus qu’il devait, les mouvements de l’armée française en Italie, dont Clément VII attendait l’issue avant de se déterminer, furent cause que les négociations traînèrent en longueur. Enfin, le 26 novembre, un accord fut conclu en vertu duquel ce pontife fut rétabli dans l’exercice non-seulement de sa charge spirituelle, mais encore de son autorité temporelle, à condition qu’il convoquerait un concile universel pour la réforme de l’Église et l’extirpation de l’hérésie luthérienne; qu’il remettrait entre les mains de l’empereur Ostie, Civita Castellana et Forli, et qu’il donnerait en otage ses neveux ainsi que plusieurs princes de l’Église; une convention particulière régla les termes de payement des 250,000 écus qu’il lui restait à compter aux troupes impériales. Le 10 décembre était le jour fixé pour sa mise en liberté; dans son impatience, la nuit précédente, il s’enfuit du château Saint-Ange déguisé en marchand.

Malgré l’état de guerre existant entre l’empereur et les signataires de la ligue de Cognac, des ambassadeurs de France, de Venise, de Florence, de Milan, n’avaient pas cessé de résider à sa cour. Au mois de juillet 1527 arriva à Valladolid un nouvel ambassadeur français, l’évêque de Tarbes; il était accompagné d’un envoyé du roi d’Angleterre : Henri VIII, quoiqu’il eût conclu, le 29 mai, un traité d’alliance offensive et défensive avec François Ier, se donnait comme médiateur entre lui et Charles-Quint. L’évêque de Tarbes entama, avec l’empereur et ses ministres, des négociations de paix qui furent continuées à Palencia et à Burgos, où la cour impériale s’était transportée. On était à peu près tombé d’accord : Charles-Quint acceptait, pour la rançon du dauphin et du duc d’Orléans, deux millions d’écus, sur lesquels devaient être décomptées les sommes qu’il avait à payer au roi d’Angleterre; il consentait à ce que l’article du traité de Madrid qui concernait le duché de Bourgogne fut annulé, et que la détermination de la cause du duc Sforza fût remise à des juges non suspects; François Ier s’engageait à rappeler ses troupes d’Italie, à restituer Gênes ainsi que les autres places dont elles s’étaient emparées. Mais le roi prétendait qu’avant tout ses fils lui fussent remis, et l’empereur, que l’expérience avait rendu prudent, regardait comme un préalable dont il ne pouvait se départir l’accomplissement des stipulations relatives à l’Italie. Encouragé par l’alliance de l’Angleterre et par les succès récents de ses armes, François, à la fin de novembre, envoya le secrétaire Bayard à ses ambassadeurs, avec l’ordre d’insister auprès de l’empereur sur les propositions qu’ils avaient faites, et, au cas qu’il ne voulût point y souscrire, de lui intimer la guerre. Charles-Quint était animé d’intentions pacifiques; il engagea les ambassadeurs à demander de nouvelles instructions; il offrait toutes les sûretés que le roi pouvait désirer pour la délivrance des princes ses fils. L’évêque de Tarbes et ses collègues s’excusèrent d’en référer à leur cour, étant liés par les ordres qu’ils avaient reçus. Le 21 janvier 1528, ils se présentèrent au palais de l’empereur en compagnie des ambassadeurs d’Angleterre, de Venise et de Florence[21] : l’évêque de Tarbes porta la parole; il dit en substance que, tout espoir de paix étant évanoui, ils venaient prendre congé de Sa Majesté Impériale. Charles, sans s’émouvoir, leur répondit qu’il regrettait beaucoup que les rois et les républiques dont ils étaient les ministres eussent si peu d’égard à ce qu’exigeaient le bien et la paix de la chrétienté; il leur souhaita un bon voyage, mais en les prévenant qu’ils ne sortiraient de ses royaumes que quand ses propres ambassadeurs en France, en Angleterre et à Venise seraient en des lieux, où l’échange des uns avec les autres se pourrait effectuer. Le jour suivant, il les fit conduire, sous bonne garde, à Poza, à huit lieues de Burgos.

Avec le secrétaire Bayard étaient venus à Burgos, sous des déguisements, Guyenne, roi d’armes de France, et Clarenceaux, roi d’armes d’Angleterre. Le 22 janvier ils firent supplier l’empereur de leur donner audience : Charles-Quint la leur accorda sur-le-champ; il les reçut entouré de sa cour, de ses conseils et d’une foule de grands personnages. Après avoir fait les révérences d’usage, les deux hérauts s’approchèrent de l’empereur et, par la bouche de Clarenceaux, lui demandèrent que, suivant les lois observées par les rois, les princes et les capitaines, il leur fût donné accès et bon traitement en ses pays, en attendant sa réponse aux défis dont ils étaient porteurs, ainsi que les moyens de retourner sûrement auprès de leurs maîtres. L’empereur répondit : « Dites ce que les rois vos maîtres vous ont donné en charge; vos priviléges vous seront gardés, et l’on ne vous fera nul déplaisir en mes royaumes. » Alors Guyenne et Clarenceaux, le premier en lisant un papier qu’il tenait à la main, le second de vive voix, exposèrent les raisons qui déterminaient leurs souverains à lui déclarer la guerre. La détention du pape était une des principales : les ambassadeurs d’Angleterre et de France savaient bien, quand ils s’étaient décidés à faire présenter ces défis, que le pape avait été mis en liberté, mais ils se flattaient que l’empereur n’en aurait pas encore connaissance, et justement, la veille, la nouvelle lui en était parvenue.

Charles-Quint trouva étrange le défi du roi de France, qui lui faisait la guerre depuis six ou sept ans; il aurait pu se refuser à accepter ce défi, venant de quelqu’un qui était son prisonnier de guerre et lui avait donné sa foi. C’est ce qu’il déclara à Guyenne, ajoutant que personne n’avait eu plus de regret que lui de la détention du pape; qu’elle avait eu lieu sans son su ni commandement; que ce qui s’était fait l’avait été par des gens désordonnés et qui n’obéissaient à aucun de leurs capitaines. Quant au dauphin et au duc d’Orléans, dont Guyenne parlait aussi dans son écrit, il dit qu’il n’avait pas tenu à lui qu’ils ne fussent libres. Clarenceaux avait avancé, entre autres choses, que le roi d’Angleterre, de concert avec le roi très-chrétien et leurs confédérés, était résolu à le contraindre, par force et puissance d’armes, à rendre les enfants de France; il lui répondit qu’il les eût rendus déjà, si on lui avait proposé des conditions raisonnables : « mais, à cette heure, poursuivit-il, que vous me dites que le roi votre maître me forcera à les rendre, j’y répondrai d’autre sorte que jusqu’ici je n’ai fait, et espère les garder de sorte que par force je ne les rendrai point : car je n’ai point accoutumé d’être forcé ès choses que je fais. » Il leur annonça à l’un et à l’autre qu’il ferait à leurs défis des réponses plus péremptoires[22]. Au moment où ils allaient se retirer, il appela Guyenne et lui adressa ces paroles : « Dites au roi votre maître que je crois qu’il n’a été averti d’aucunes choses que je dis en Grenade à son ambassadeur, le président de Bordeaux, lesquelles le touchent fort, et que le tiens en ce cas si gentil prince que, s’il les eût sues, il m’eût répondu : il fera bien de les savoir de son ambassadeur, car par ce il connaîtra que je lui ai mieux tenu ce que je lui promis à Madrid que lui à moi; et je vous prie que le dites ainsi au roi, et gardez bien d’y faillir. » Guyenne promit de le faire sans point de faute.

François Ier avait-il ignoré jusque-là les choses dites, à Grenade, par Charles-Quint à son ambassadeur? Il est assez difficile de le croire : quelque blessantes qu’elles fussent pour lui, le président de Calvymont pouvait-il, sans manquer à son devoir, se dispenser de les lui faire connaître, ou tout au moins de les transmettre à son chancelier[23]? Quoi qu’il en soit, dans l’audience publique de congé que le roi donna, le 28 mars, à Nicolas Perrenot, seigneur de Granvelle, ambassadeur de l’empereur, il déclara que son ambassadeur l’avait averti de beaucoup de propos, mais d’aucuns qui touchassent son honneur; que s’il avait connu alors les paroles injurieuses dont il avait été informé en dernier lieu, il n’aurait pas tant tardé à y répondre. Il venait de faire lire, en présence des princes du sang, des cardinaux, des seigneurs de sa cour et des ministres des princes et, États étrangers, un cartel qu’il adressait à l’empereur; c’était là sa réponse : « Si nous avez voulu ou voulez charger, y disait-il, que nous ayons jamais fait chose qu’un gentilhomme aimant son honneur ne doit faire, nous disons que vous avez menti par la gorge, et autant de fois que vous le direz vous mentirez, étant délibéré de défendre notre honneur jusques au dernier bout de notre vie. » Et il le requérait de lui assurer le camp, se chargeant, lui, d’apporter les armes.

Ce cartel fut présenté à Charles-Quint, le 8 juin, à Monzon, par le roi d’armes Guyenne. Charles, avant d’y répondre, crut devoir demander l’avis du conseil de Castille, ainsi que des grands, des prélats et des villes de ses royaumes. Quelques-unes des lettres qui lui furent écrites à cette occasion ont été publiées[24], et l’on peut les regarder comme exprimant l’opinion des divers ordres de la nation espagnole. L’archevêque de Tolède et l’évêque d’Avila, alléguant leur profession et leur peu d’expérience de semblables affaires, s’excusaient d’énoncer leur sentiment sur le parti que l’empereur avait à prendre; le premier lui faisait toutefois observer que trop d’orgueil et un désir trop vif d’accepter le défi qui lui était envoyé, s’il n’y avait en cela une obligation notoire, serait chose condamnée et défendue par la religion. Les avis des grands n’étaient pas conformes : les uns trouvaient que le roi de France, étant le prisonnier de l’empereur, ne pouvait pas le défier; d’autres que ce n’était pas à lui, comme il le prétendait, qu’appartenait le choix des armes; d’autres encore auraient voulu que l’empereur ne se déterminât qu’après son retour en Castille : mais le duc de Nájera l’engageait formellement à accepter le combat qui lui était offert. Burgos et Murcie, au contraire, le suppliaient de dédaigner le défi cauteleux et la téméraire audace du roi de France; elles lui rappelaient les obligations qu’il avait envers ses royaumes et envers la chrétienté; c’était à ses sujets, suivant ces deux villes, de s’exposer à tous les dangers, de faire tous les sacrifices possibles pour la défense de sa cause, avant de le laisser mettre en péril sa personne, et elles lui déclaraient, au nom de leurs habitants, que leurs biens et leurs vies étaient à sa disposition. Le conseil de Castille enfin lui représentait que la loi divine et la raison naturelle étaient également opposées à de pareils défis; que, comme empereur, roi et seigneur, il ne devait ni ne pouvait donner suite au cartel du roi; que d’ailleurs la guerre ne finirait point par là, et que les esprits ne feraient que s’enflammer davantage. Dans un avis particulier, le président de ce conseil, don Juan de Tavera, archevêque de Santiago, se montrait d’autant plus contraire au combat singulier auquel était provoqué l’empereur, qu’il n’en attendait que de déplorables résultats : « car, disait-il, si le roi de France était vaincu par Votre Majesté, comme on doit espérer en Dieu qu’il le serait, il ne perdrait point l’honneur, étant déjà si déshonoré et ayant un si mauvais renom dans le monde, tandis que Votre Majesté aventurerait tant et de telles choses qu’on n’oserait penser au péril qu’elle pourrait courir[25]. »

Charles-Quint avait vraisemblablement pris sa résolution d’avance. Le 24 juin il répondit au cartel de François Ier par un autre cartel, où il répétait que le « roi avait fait lâchement et méchamment de ne lui avoir gardé la foi et promesse qu’il avait de lui, selon le traité de Madrid. Si vous voulez affirmer le contraire, continuait-il, je vous dis que, pour le bien de la chrétienté, pour éviter effusion de sang et mettre par ce fin à cette guerre, et pour défendre ma juste querelle, je maintiendrai de ma personne à la vôtre ce que j’ai dit être véritable... Et à cet effet je vous nomme dès maintenant le lieu du combat sur la rivière qui passe entre Fontarabie et Andaye, en tel endroit et de la manière qui, de commun consentement, sera avisé plus sûr et plus convenable ; et me semble que par raison ne le pouvez aucunement, refuser, ni dire de n’être bien assuré, puisque y fûtes délivré en donnant vos enfants pour otages… Et si, dans quarante jours après la présentation de cette ne me répondez et ne m’avisez de votre intention sur ce, l’on pourra bien voir que le délai du combat sera vôtre, qui vous sera imputé et adjoint avec la faute de n’avoir accompli ce que vous promîtes à Madrid. »

Le roi d’armes Bourgogne, chargé par l’empereur de porter ce cartel au roi de France, quitta Monzon le même jour. Arrivé à Fontarabie, il demanda un sauf-conduit au gouverneur de Bayonne, qui le lui fit attendre pendant près de deux mois. Lorsqu’il n’était plus qu’à quelques lieues de Paris, à Lonjumeau, on l’obligea de s’y arrêter jusqu’au 9 septembre. Le lendemain François Ier le reçut dans son palais, entouré de toute sa cour. Au moment où Bourgogne parut, le roi, sans lui laisser le temps de parler, lui dit : « Héraut, m’apportes-tu la sûreté du camp, comme je l’ai écrit à l’empereur ton maître ? » Bourgogne réponndit : « Sire, permettez-moi de remplir mon office et de dire ce dont j’ai été chargé par l’empereur. » — « Non, repartit le roi ; il me faut avant tout la patente qui contienne la sûreté du canp. » Vainement le héraut, en conformité de ses instructions, insista pour remplir sa charge et donner lecture de l’acte dont il était porteur ; vainement il affirma que cet acte contenait, quant à la sûreté du camp, tout ce que le roi pouvait désirer : interrompu par lui à chaque parole qu’il proférait, il se vit réduit à se retirer sans avoir accompli son message. Telle fut l’issue de ce fameux défi qui avait retenti dans toute l’Europe : la manière dont il se termina ne contribua point à y faire respecter le nom de François Ier. Le marquis de Villena, l’un des plus grands seigneurs de Castille, put, avec vérité, écrire à Charles-Quint : « Il est notoire que Votre Majesté a accompli ce à quoi était obligé un prince de toute excellence; il l’est également que le roi de France ne l’a pas fait[26]. »

C’était sur les champs de bataille que devaient se vider les querelles qui divisaient les deux plus puissants monarques de la chrétienté. La campagne de 1527 en Italie avait été favorable aux armes de la France ; celle de 1528 eut pour elles des résultats tout différents : Lautrec, que François Ier avait placé à la tête des troupes envoyées par lui au secours de la ligue, mourut le 16 août devant Naples, qu’il assiégeait ; son armée, forcée de battre en retraite, se vit réduite à capituler à Aversa. Dans le même temps Andrea Doria passait au service de Charles-Quint, et bientôt après il soulevait Gênes, qu’il reconstituait en république sous la protection de l’Empereur. Les affaires de la France ne se rétablirent point en 1529 : une nouvelle armée française était entrée en Lombardie, l’été précédent, sous les ordres de François de Bourbon, comte de Saint-Pol ; le 21 juin, à Landriano, elle fut mise en déroute par Antonio de Leyva, qui commandait en chef les troupes impériales dans le Milanais.

Charles-Quint avait depuis longtemps un vif désir de passer en Italie[27]. Étant à Madrid, au mois d’octobre 1528, il résolut de le réaliser ; mais il voulut que son dessein demeurât secret jusqu’à ce qu’il fût en mesure de le mettre à exécution, afin que les princes et les États italiens n’en prissent pas de l’ombrage avant le temps[28]. Lorsque ses premiers préparatifs furent faits, il annonça aux grands et aux villes des royaumes de Castille son prochain départ pour Barcelone : il ne leur disait pas positivement qu’il se disposait à traverser la Méditerranée ; mais il le leur faisait assez comprendre ; il leur notifiait, dans la même lettre, que, pendant son absence, le gouvernement serait exercé par l’impératrice, auprès de laquelle resterait le prince Philippe, que les cortès avaient reconnu pour prince des Asturies au mois d’avril précédent[29]. Il quitta Tolède, où il avait séjourné plusieurs mois, le 9 mars 1529 ; le 30 avril il arriva à Barcelone.

Déjà nous avons fait remarquer combien Charles attachait de prix à l’amitié du pape. Clément VII, de son côté, instruit par les leçons de l’expérience, était revenu à de meilleurs sentiments pour l’empereur. Après son évasion du château Saint-Ange, il s’était gardé de renouer ses liaisons avec la France ; il avait même écrit à Charles-Quint (11 janvier 1528) une lettre affectueuse et où il exprimait la confiance qu’il plaçait en lui. Le 21 juin 1528, à Viterbe, il s’engagea, par un acte signé de sa main, à exécuter le traité auquel il avait souscrit pour sa délivrance, à condition que l’empereur accordât ce qu’il lui faisait demander par le cardinal de Saint-Sixte et en jurât l’observation ; il promettait, par le même acte, et jurait in verbo et fide romani pontificis, d’être à toujours ami de l’empereur, de ne se détacher de lui directement ni indirectement, au cas que l’empereur eût envers sa personne les égards qu’un fils devait à son père ; enfin il y donnait l’assurance qu’il convoquerait un concile dans l’année qui suivrait la conclusion de la paix. Les demandes auxquelles le pape faisait allusion étaient que Civita Vecchia et Ostie lui fussent restituées avec l’artillerie qui s’y trouvait, quand on les avait remises aux troupes impériales, et ce qu’on y avait transporté du château Saint-Ange et d’ailleurs ; qu’il fût dégagé des promesses de garantie qu’on l’avait contraint de faire durant sa captivité ; que les cardinaux détenus en otage au château-neuf de Naples fussent en conséquence rendus à la liberté.

Charles-Quint, le 3 septembre, ratifia et promit d’accomplir l’acte du 21 juin 1528. Il n’en était pourtant pas entièrement satisfait, et il donna l’ordre à micer Miguel May[30], qu’il venait de choisir pour son ambassadeur auprès du pape, ainsi qu’au prince d’Orange, d’agir de concert afin d’amener ce pontife à contracter avec lui une union plus étroite. Sur ces entrefaites, Clément tomba grièvement malade. Lorsque, après son rétablissement, l’ambassadeur espagnol mit sur le tapis la négociation dont il était chargé, Clément, flottant de nouveau entre l’aigle impériale et le coq gaulois[31], déclara qu’il voulait rester neutre[32]. Ses hésitations ne cessèrent[33] qu’après qu’il eut acquis la certitude de la prochaine venue de l’empereur en Italie; alors il fit partir pour Barcelone Girolamo Schio, évêque de Vasone, qu’il nomma son nonce à la cour d’Espagne, en lui donnant le caractère de légat à latere. Ce prélat était porteur de ses pleins pouvoirs à l’effet de traiter avec l’empereur, qui, de son côté choisit pour ses plénipotentiaires son grand chancelier, Louis de Flandre, seigneur de Praet, et le seigneur de Granvelle. Le traité fut conclu et signé le 29 juin. Il portait que le pape et l’empereur auraient une entrevue en Italie; qu’Alexandre de Médicis épouserait Marguerite, fille naturelle de l’empereur et serait mis en possession de l’Ëtat de Florence; que l’armée impériale qui sortirait du royaume de Naples aurait le passage libre par les terres de l’Église ; que Cervia, Ravenne, Modène, Reggio et Rubiera seraient restituées au saint-siége ; que le duché de Milan serait rendu à Francesco Sforza, s’il prouvait son innocence ; que, dans le cas contraire, l’empereur en disposerait du consentement du pape ; que le pape donnerait à l’empereur l’investiture du royaume de Naples ; enfin que l’empereur, le roi Ferdinand, son frère, et le pape s’uniraient pour ramener au giron de l’Église, de gré ou de force, les sectateurs de Luther. Par des articles séparés, le pape s’obligeait à excommunier quiconque attirerait les Turcs au royaume de Naples ; à accorder à l’empereur et à son frère le quart des revenus des bénéfices ecclésiastiques, pour qu’ils s’en aidassent contre les infidèles ; à absoudre tous ceux qui avaient pris part au sac de Rome. Charles-Quint jura le traité, sur le grand autel de la cathédrale de Barcelone, le jour même de sa conclusion. Le pape le jura le 23 juillet, étant au lit, en présence de l’ambassadeur ordinaire de l’empereur micer Miguel May et du seigneur de Praet, que Charles lui avait envoyé en ambassade extraordinaire.

L’accord de l’empereur avec Clément VII était un acheminement à la pacification de l’Italie, laquelle n’avait cessé d’être le but de sa politique et l’objet de ses instructions à ses ministres et à ses généraux. Un autre traité ne tarda pas à se conclure, qui devait aussi contribuer à ce résultat. Découragé par les revers de ses armes, fatigué d’une lutte qui épuisait toutes les ressources de son royaume, désireux surtout de ravoir ses fils, François Ier aspirait à un accommodement avec son rival ; mais il lui répugnait de faire les premières démarches. Louise de Savoie, sa mère, se chargea de lui en épargner la mortification ; elle fit naître une occasion pour s’en ouvrir confidentiellement à Marguerite d’Autriche. La régente des Pays-Bas, qui n’avait rien plus à cœur que de préserver des calamités de la guerre les provinces confiées à ses soins, et qui, mue parce motif, avait, le 15 juin 1528, à Hamptoncourt, fait avec Henri VIII une trève à laquelle le roi de France avait accédé, s’empressa d’accueillir les ouvertures de madame d’Angoulême. Après que les deux princesses eurent échangé leurs vues sur les points qui pouvaient servir de préliminaires à la paix, Marguerite envoya à l’empereur le seigneur de Rosimbos, son premier maître d’hôtel, et le secrétaire des Barres, pour lui rendre compte de tout ce qui s’était passé et lui demander ses ordres.

Charles-Quint, sans rechercher la paix avec le roi de France[34], était disposé a y entendre ; mais il voulait une paix qui fût à son honneur et surtout une paix solide ; le manque de foi de François Ier l’avait rendu défiant : « Plutôt que faire paix non honorable ou sans assurance », écrivait-il à l’un de ses ministres, « aimerais mieux y mettre le tout à l’aventure[35]. » L’accomplissement du traité de Madrid, sauf la modification relative à la Bourgogne qu’il avait consentie à Burgos, était à ses yeux une condition sine qua non : car, « si le roi n’accomplissait pas ce traité, il ne savait comment il se pourrait dédire de ce qu’il avait dit de lui, ou souffrir que le roi ne se dédît du démenti qu’il lui avait donné[36]. » Ce fut dans cet esprit que furent conçues les instructions qu’il transmit à Marguerite avec ses pleins pouvoirs, et il y insista dans des dépêches subséquentes[37].

Les négociations s’ouvrirent, à Cambrai, entre Marguerite et Louise de Savoie, qui s’étaient donné rendez-vous en cette ville et y étaient arrivées, chacune de son côté, le 5 juillet. Les deux princesses n’admirent personne à leurs conférences; elles discutèrent et résolurent elles-mêmes les différents points qui étaient restés en débat. Enfin, le 31 juillet, elles tombèrent d’accord : la paix ne fut toutefois signée que le 3 août; la publication s’en fit le sur lendemain, en grand appareil, à la cathédrale. La veille, le roi d’Angleterre y avait donné son accession, après avoir tenté vainement d’empêcher qu’elle ne se conclût[38]. Les stipulations en étaient telles que Charles-Quint pouvait le désirer. Le traité de Madrid était confirmées tous ses articles, excepté ceux qui concernaient le duché de Bourgogne, les comtés d’Auxerrois, de Maçonnais, etc., sur lesquels duché et comté il était dit que l’empereur conserverait les droits et actions qu’il y avait auparavant, pour les poursuivre par voie amiable ou de justice. La rançon des princes français était fixée à deux millions d’écus d’or. Le roi s’obligeait à rappeler les troupes qu’il avait en Italie, à remettre à l’empereur les places qu’il occuperait, au moment de la ratification de la paix, dans le duché de Milan, le comté d’Asti et le royaume de Naples, à ne prendre part, en Italie ni en Allemagne, à aucune pratique au préjudice de l’empereur. Non-seulement il abandonnait tous ses alliés d’Italie, mais encore il prenait l’engagement de requérir les Vénitiens de délivrer aux autorités impériales, dans les six semaines, les villes, châteaux et forts du royaume de Naples qui seraient en leur pouvoir, et, au cas qu’ils s’y refusassent, de se déclarer leur ennemi et d’aider l’empereur à les y contraindre par un subside mensuel de 30,000 écus; il s’engageait de même à intervenir auprès de la république de Florence pour que, dans les quatre mois, elle s’arrangeât avec l’empereur. De son côté, l’empereur lui faisait quelques concessions; mais elles étaient insignifiantes. Aussi n’y a-t-il pas lieu de s’étonner qu’un historien de grand renom trouve le traité de Cambrai « bien plus déshonorant pour la France que celui de Madrid, qu’il était destiné à modifier[39]. »

Tandis que la gouvernante des Pays-Bas et la régente de France débattaient les conditions de la paix qu’on a nommée, d’après elles la paix des Dames, Charles-Quint pressait l’achèvement des préparatifs de son passage en Italie. Il avait compté partir à la fin de juin; ce fut seulement dans les derniers jours de juillet que la flotte, les troupes, l’artillerie, les munitions dont il devait être accompagné, purent être rassemblées dans le port de Barcelone. Il emmenait avec lui huit mille hommes d’infanterie environ et un certain nombre de gens de cheval : pour payer tout ce monde, il venait d’engager au roi de Portugal, moyennant 350,000 ducats, les épiceries des Moluques. Avant de quitter Tolède, il avait fait son testament, écrit en quadruple original; deux étaient en castillan, deux en latin; il envoya l’un des derniers à l’archiduchesse Marguerite, pour être gardé par elle : « C’est un ouvrage nécessaire, — lui écrivit-il — et je l’ai volontiers fait par temps pour le bien des miens et de mes pays et sujets, et au surplus, m’en remets au bon plaisir du Créateur[40]. » Le 27 juillet il monta sur la galère commandée par Andrea Doria qu’il avait appelé d’Italie. Sa suite était nombreuse et brillante; la fleur de la noblesse castillane avait brigué l’honneur d’en faire partie. Elle comprenait aussi ses principaux ministres : le grand chancelier, les seigneurs de la Chaulx et de Granvelle, le secrétaire d’État Francisco de los Covos, le grand commandeur don Garcia de Padilla. Notons ici un détail qui ne nous paraît pas indigne de figurer dans cette notice. Il était de mode en Espagne de porter la chevelure très-longue. Quelques jours avant de s’embarquer, Charles fit couper la sienne, espérant par là se délivrer de maux de tête qu’il ressentait fréquemment, et son exemple fui suivi par les seigneurs de sa cour, non sans regret toutefois : car, au rapport d’un historien[41], beaucoup d’entre eux en versèrent des larmes. A partir de ce temps, les Espagnols ne portèrent plus que les cheveux courts.

La flotte impériale, ayant mis à la voile le même jour 27 juillet, jeta l’ancre, le 7 août, dans la rade de Savone. Charles-Quint séjourna en cette ville, afin de donner le temps à ses troupes de débarquer. Le 12 il arriva à Gênes, où la Seigneurie et les habitants lui firent une réception magnifique : « Les Italiens, — dit Robertson — qui avaient tout souffert de la licence et de la férocité de ses troupes, s’étaient accoutumés à se former, dans leur imagination, un portrait de l’empereur assez ressemblant à l’idée qu’ils avaient des souverains barbares des Goths ou des Huns qui n’avaient pas fait plus de mal que lui à leur pays; ils furent très-surpris de voir un prince aimable et plein de grâce, affable et prévenant dans ses manières, régulier dans sa conduite et dans ses mœurs, et donnant l’exemple d’une attention scrupuleuse à remplir tous les devoirs de la religion[42]. » Trois cardinaux légals, ainsi que son futur gendre, Alexandre de Médicis, attendaient l’empereur à Gênes; ils le complimentèrent au nom du pape. Des ambassadeurs vinrent aussi l’y visiter de la part des princes et des États italiens avec lesquels il n’était pas en guerre. Il avait à peine débarqué à Savone qu’un député de Florence se présentait pour lui offrir les félicitations de cette république, et le supplier de trouver bon qu’elle lui envoyât quatre ambassadeurs avec la mission de lui demander pardon des choses passées. Il reçut à Gênes ces ambassadeurs, qui s’efforcèrent d’excuser la conduite de leurs compatriotes, et déclarèrent qu’ils étaient prêts à traiter avec lui de façon à le satisfaire entièrement, pourvu qu’ils les maintînt en leur liberté : car, plutôt que de la perdre, les Florentins étaient résolus à sacrifier leurs biens, leurs vies, leurs femmes et leurs enfants. Il leur répondit qu’il ne pouvait traiter avec eux sans le consentement du pape. Ils insistèrent : leurs affaires, lui dirent-ils, ne concernaient point le pape, et ils ne pouvaient croire que, lui étant empereur et leur État dépendant de l’empire, il voulût permettre qu’ils fussent replacés sous le joug; ils consentaient d’ailleurs à rendre ses biens à la famille de Médicis, et à la traiter honorablement, comme l’une des principales de leur ville. Il repartit qu’il s’entremettrait volontiers pour les raccommoder avec le pape; que c’était tout ce qu’il pouvait faire en leur faveur[43]. Charles était lie par le traité de Barcelone, qu’il voulait exécuter fidèlement. Il persista dans cette intention malgré les embarras que lui causèrent les prétentions contraires des Florentins et du pape, et malgré les sacrifices en hommes et en argent qu’il lui fallut faire pour réduire la ville récalcitrante à l’obéissance des Médicis.

A l’arrivée de l’empereur à Gènes, on y savait déjà que la paix était signée entre l’Espagne et la France : Charles-Quint ne reçut que plusieurs jours après les dépêches de l’archiduchesse Marguerite qui l’en informaient, et instrument du traité; ils lui furent apportés par le secrétaire des Barres. Celui-ci lui remit en même temps des lettres autographes de François Ier de madame d’Angoulême pleines de paroles courtoises et d’assurances amicales. Des Barres était accompagné d’un gentilhomme de la chambre du roi, lequel allait à Venise communiquer au sénat les clauses du traité et le requérir, ainsi que son maître s’y était obligé, de rendre les places du royaume de Naples que la république occupait. L’empereur fit publier la paix le 30 août; le 1er septembre il partit pour Plaisance. Là de graves nouvelles lui parvinrent d’Allemagne. Soliman II s’approchait de Vienne avec une armée de deux cent mille hommes, en intention de s’en emparer : s’il réussissait dans cette entreprise, le trône de Ferdinand serait fortement ébranlé et la chrétienté exposée à un éminent péril. Charles aurait voulu marcher incontinent au secours de son frère[44]. Mais s’éloigner de l’Italie avec la majeure partie de ses forces avant qu’elle fût pacifiée, était une détermination dont les conséquences éventuelles réclamaient de sa part l’attention la plus sérieuse : les Vénitiens en effet et leurs alliés les Florentins, le duc de Milan, le duc de Ferrare, pourraient profiter de son éloignement pour resserrer leur ligue ; peut-être même entraîneraient-ils la France à se joindre de nouveau à eux : quels dangers ne courraient pas alors les royaumes de Naples et de Sicile[45] ? Ces considérations l’engagèrent à accepter avec empressement l’offre que Clément VII lui fit de se rendre à Bologne, pour l’y rencontrer et conférer avec lui tant sur la pacification de l’Italie que sur les moyens d’extirper les hérésies régnantes et de repousser l’attaque du Turc[46]. Il quitta Plaisance le 26 octobre. Le 16 le seigneur de Brion, amiral de France, le secrétaire Bayard et un maître des requêtes de l’hôtel du roi étaient venus en cette ville, chargés par leur souverain de recevoir de lui la ratification de la paix récemment conclue, et d’assister à la prestation du serment qu’il ferait de l’observer : il accomplit cette dernière formalité le 18 octobre. Deux jours après, François Ier prétait le même serment à Paris, dans la cathédrale, de Notre-Dame, en la présence du seigneur de la Chaulx et du secrétaire des Barres, ambassadeurs de l’empereur[47].

Charles-Quint fit, le 5 novembre, en grande pompe, son entrée à Bologne, où Clément VII l’attendait, depuis le 24 octobre, avec vingt-cinq cardinaux et toute la cour pontificale. Parmi les troupes qui formaient son cortège, on remarquait, pour leur air martial et leur belle tenue, plusieurs compagnies d’hommes d’armes des vieilles ordonnances de Bourgogne qui étaient venues des Pays-Bas à travers l’Allemagne et avaient pris part aux opérations militaires sous les ordres du comte Félix de Werdemberg. Charles montait un genet d’Espagne richement caparaçonné et enharnaché ; il avait une robe de brocart d’or au-dessus de son armure, et était coiffé d’un bonnet de velours noir. Il marchait sous un dais de drap d’or que portaient les principaux de la ville. Un échafaud garni de magnifiques tapis avait été dressé sur la Piazza Maggiore, joignant la façade de la cathédrale de San Petronio; c’était là que l’empereur devait être reçu par le pape, assis sur son trône, la tiare en tête, entouré des membres du sacré collége, d’une foule d’archevêques et d’évêques et des dignitaires du palais apostolique. Arrivé au pied de l’estrade, Charles descendit de cheval : avant d’en monter les degrés, il mit un genou en terre et fit la révérence au souverain pontife. Il s’agenouilla une deuxième fois en montant, et lorsqu’il fut près du saint père, il s’agenouilla encore et lui baisa le pied. Clément le releva, lui présenta sa main à baiser et lui donna l’osculum pacis. Charles, prenant la parole, dit au chef de l’Église en langue castillane : « Je suis venu, très-saint père, aux pieds sacrés de Votre Sainteté (ce qui est certainement ce que j’ai le plus désiré en ce monde), afin que, de commune volonté, elle et moi nous concertions et ordonnions les choses de la religion chrétienne qui sont en de si mauvais termes. Je supplie le Dieu tout-puissant, puisqu’il a daigné permettre que ce saint désir que j’avais s’accomplit, d’assister toujours en nos conseils, et de faire que ma venue tourne au bien de tous les chrétiens. » Clément lui répondit : « Dieu et tous les saints savent et me sont témoins, mon fils, que jamais je ne désirai rien tant que de nous voir réunis comme nous le sommes en ce moment. Je rends des grâces infinies à Notre-Seigneur de ce que Votre Majesté est arrivée ici en bonne santé et disposition. Je suis très-heureux de voir (et Dieu en soit béni et loué!) que les choses se disposent de façon à ce que par votre main la paix sera donnée à toute l’Italie. » L’empereur offrit au pape, en signe d’obédience, des médailles et des monnaies d’or et d’argent de la valeur de mille ducats. Après cela ils descendirent ensemble les degrés de l’estrade. Arrivés à la porte de San Petronio, Charles entra dans l’église et y fit sa prière; Clément continua son chemin, pour se rendre au palais, où il avait son logement et où il avait fait préparer celui de l’empereur.

Leurs appartements étaient disposés de sorte que des uns on pouvait aller secrètement aux autres; aussi le chef spirituel et le chef temporel de la chrétienté avaient-ils des conférences fréquentes[48]. La pacification de l’Italie en était le principal objet. Les Vénitiens se montraient disposés à traiter avec l’empereur; leur ambassadeur auprès du pape, Gaspare Contarini, avait reçu des pleins pouvoirs à cet effet; mais s’ils consentaient à rendre les places qu’ils occupaient dans le royaume de Naples, ils faisaient des difficultés de restituer au saint-siége Ravenne et Cervia dont ils s’étaient emparés au moment de la captivité de Clément VII; ils se refusaient surtout, afin de ne pas exciter les défiances du Turc, à entrer dans une ligue défensive des princes et États d’Italie contre toute puissance qui attaquerait l’un d’eux, ligue que l’empereur voulait absolument, car il craignait que, lui parti pour l’Allemagne et les princes français remis à leur père, il ne prît fantaisie à François Ier de reconquérir l’État de Milan. Le rétablissement de Francesco Sforza était une des conditions auxquelles les Vénitiens attachaient le plus de prix[49]. Charles-Quint était très-mécontent de Sforza, qui n’avait accepté aucune des propositions qu’il lui avait fait faire à son arrivée en Italie : à la persuasion de Contarini, le duc demanda à l’empereur un sauf-conduit qui lui fut accordé; le 22 novembre il arriva à Bologne. Quelques jours auparavant Charles avait dit à l’ambassadeur de Venise : « J’userai envers le duc de Milan de la raison convenable; mais sachez qu’il est hautain et obstiné; qu’il ne veut point avouer ses torts et qu’il soutient même n’en avoir pas. » Sforza, au contraire, en présence de l’empereur, se montra plein d’humilité et dans son attitude et dans son langage. Charles, touché de sa soumission, l’accueillit avec bonté, et l’assura qu’après avoir pris connaissance de sa justification, il agirait à son égard raisonnablement et courtoisement.

Il ne formait point pour lui-même de prétentions sur l’État de Milan : « Je ne veux — avait-il dit à l’ambassadeur de Venise — je ne veux en Italie un seul pouce de terre, excepté ce qui m’appartient en propre, et je veux manifester au monde entier que je n’ai pas l’ambition de dominer dont quelques-uns m’accusent; » mais il inclinait à donner cet État à Alexandre de Médicis. Clément VII eut la générosité ou la sagesse de ne pas se prêter aux vues de l’empereur : il lui fit observer que les princes d’Italie, et plus encore les Vénitiens, seraient contraires à son neveu; qu’il faudrait d’ailleurs chasser Sforza de la partie du Milanais restée en sa possession[50], et que ce serait la continuation de la guerre, au lieu de la paix qu’ils désiraient tous deux si vivement. Enfin, après de longues discussions, toutes les difficultés s’aplanirent, et le 23 décembre, deux traités furent signés. Par le premier, fait entre l’empereur et le duc Sforza, celui-ci était rétabli dans le duché de Milan, à la condition de payer à l’empereur 500,000 ducats en dix années et 400,000 pour son investiture; en garantie de ce double payement, il devait lui remettre le château de Milan et la ville de Côme. Les plénipotentiaires du pape, de l’empereur, du roi Ferdinand, de la seigneurie de Venise et du duc Sforza étaient les signataires du second traité, dont les principales clauses portaient que les Vénitiens restitueraient au pape Ravenne et Cervia; qu’ils restitueraient à l’empereur tous les lieux du royaume de Naples qu’ils occupaient, et lui payeraient 100,000 écus, outre différentes sommes dont ils lui étaient restés redevables depuis 1523; qu’il y aurait entre les parties contractantes une ligue perpétuelle pour la défense de l’État de Milan et du royaume de Naples contre tout prince chrétien qui les attaquerait. Charles, que Contarini alla féliciter avec un autre envoyé vénitien et deux cardinaux de leur pays, leur dit qu’il avait eu dans sa vie bien des victoires, mais qu’aucune ne lui avait jamais causé autant de joie que la conclusion de cette paix. La publication du traité se fit avec solennité à Bologne le 1er janvier 1530; Charles, Clément et Sforza assistèrent ensemble à la messe qui fut célébrée, à cette occasion, à la cathédrale de San Petronio. Il restait à arranger le différend qu’il y avait entre le pape et Alphonse d’Est, duc de Ferrare, au sujet de Reggio et de Modène; l’empereur s’y employait avec chaleur, mais il n’y réussit pas d’abord : Clément VII était fort courroucé contre le duc; c’était l’homme du monde dont il désirait le plus se venger[51]. Quant aux Florentins, tout espoir de les réduire autrement que par la force s’était évanoui.

Jusqu’alors Charles-Quint était indécis sur la préférence qu’il donnerait, pour son couronnement, à Rome ou à Bologne. Il aurait souhaité qu’il eût lieu à Rome conformément à la tradition; de Rome il serait allé visiter son royaume de Naples, où l’appelaient les vœux de tous ses vassaux, car bien des désordres et des abus s’étaient introduits dans l’administration de cette partie de ses États, auxquels il aurait remédié par sa présence[52]. D’autre part, des raisons d’un grand poids le persuadaient de hâter son arrivée en Allemagne : l’hérésie luthérienne se propageait de jour en jour dans ce pays; le gouvernement de l’empire germanique souffrait de l’absence prolongée de son chef, et quoique les Turcs eussent été forcés de lever le siége de Vienne au mois d’octobre, toute inquiétude n’avait pas cessé de ce côté[53]. Ces dernières raisons l’emportèrent, et Charles convint avec Clément VII que la cérémonie se ferait à Bologne. Le 22 février, dans la chapelle du palais, en présence des ambassadeurs et des personnages principaux des deux cours, il reçut des mains du pape la couronne de fer des rois lombards; le 24, jour de Saint-Mathias, trentième anniversaire de sa naissance, Clément le couronna, comme empereur d’Allemagne, à San Petronio : ce pontife était accompagné de cinquante-trois archevêques et évêques et de tout le sacré collége; Charles se rendit à l’église précédé du marquis de Montferrat portant, le sceptre, du duc d’Urbin portant l’épée, du duc Philippe de Bavière portant le globe, et de Charles III, duc de Savoie, portant la couronne d’or. Un incident fâcheux marqua cette imposante cérémonie, qui avait attiré des diverses provinces d’Italie une immense affluence de curieux. Afin que le pape et l’empereur pussent se transporter à la cathédrale sans être génés par la foule, une galerie en bois avait été construite depuis le palais jusqu’à cet édifice qui y faisait face : au moment où Charles venait de franchir la porte de San Petronio, le plancher de la galerie s’effondra derrière lui; quelques-unes des personnes qui le suivaient tombèrent sur le sol d’une assez grande hauteur; dans le nombre il y en eut de grièvement blessées. Cet incident fit sensation : les gens superstitieux en tirèrent le pronostic que ce serait la dernière fois qu’un pape couronnerait un empereur; et ce pronostic se vérifia.

Pendant le temps qu’il passa encore à Bologne, Charles régla avec Clément VII les dernières mesures à prendre pour la réduction de Florence; il l’entretint de différentes affaires, d’un intérêt majeur, concernant le régime ecclésiastique de ses États des Pays-Bas, et notamment du projet d’ériger dans ces provinces de nouveaux siéges épiscopaux, projet qui lui était vivement recommandé par l’archiduchesse Marguerite et qui ne se réalisa que trente années plus tard, sous Philippe II; il parvint à amener ce pontife et le duc de Ferrare à s’en remettre à lui de la décision de leur différend, et le duc à séquestrer entre ses mains, jusqu’à ce qu’il eût rendu sa sentence, la ville et le territoire de Modène; il eut enfin de longs pourparlers avec le chef de l’Église sur la conduite qu’il tiendrait envers les protestants d’Allemagne. Ces graves affaires ne l’absorbaient pas tout entier : il appela de Venise le Titien, dont la renommée était venue jusqu’à lui, et le chargea de faire son portrait à cheval : il fut si satisfait de l’œuvre de Vecellio qu’il ne voulut plus être peint par d’autres que par ce grand artiste[54], auquel il accorda une pension en le nommant peintre de son hôtel, et que plus tard il créa chevalier.

Le 22 mars 1530, Charles-Quint quitte Bologne, après avoir pris congé du pape, dont il se sépare « en toute bonne et cordiale amitié[55]. » Au moment de se mettre en route, il signe un diplôme par lequel il fait don de l’île de Malte aux chevaliers de Saint-Jean de Jerusalem. Il arrive le 25 mars à Mautoue, où il est reçu par le marquis Frédéric de Gonzaga qu’il élève au rang de duc, récompensant ainsi les services que le marquis lui avait rendus pendant la dernière guerre. Le 19 avril il part de Mantoue, se dirigeant, par Peschiera, Ala, Roverbella, Trente, Bolzano, Brixen, vers Inspruck, où l’attendait le roi Ferdinand, son frère, et où il entre le 4 mai. Le grand chancelier Gattinara, que Clément VII avait fait cardinal au mois d’août précédent, était depuis quelque temps malade; il meurt le 5 mai. Charles ne veut plus de ministre revêtu d’un titre ni d’une autorité aussi considérables; il confie les sceaux à Nicolas Perrenot, seigneur de Granvelle, qu’il nomme son premier conseiller d’État[56].

Il avait convoqué la diète de l’Empire à Augsbourg : le 6 juin il part pour cette ville, accompagné de Ferdinand; il y fait son entrée le 15 avec une pompe extraordinaire. Les électeurs et les princes de l’Empire qui s’y étaient réunis vont à sa rencontre; l’archevêque de Mayence lui adresse une harangue de bienvenue, à laquelle le comte palatin, Louis V, répond en son nom. De grands événements s’étaient passés depuis qu’il s’était fait voir une première fois à l’Allemagne; il reparaissait devant elle comblé de bonheur et de gloire : il avait imposé au roi de France les conditions d’une paix humiliante pour ce monarque; il avait, par les armes et par les négociations, assuré sa prépondérance en Italie. Il semblait, après cela, qu’il n’y eût plus d’adversaire qui pût lui résister. Cependant, dès le lendemain, les princes protestants lui manifestent leur mauvais vouloir : invités à l’accompagner à la procession du Corpus Christi, l’électeur de Saxe, le landgrave de Hesse, le duc de Lunebourg, le marquis Georges de Brandebourg, le comte d’Anhalt s’y refusent; ils protestent aussi contre la défense qu’il venait de faire à leurs prédicateurs de parler dans Augsbourg, et le forcent en quelque sorte de consentir qu’il n’y ait point de sermon de part ni d’autre, et qu’on se contente de lire l’Évangile et l’épître du dimanche. Le 20 juin il ouvre la diète; il lui recommande, par l’organe du comte palatin, l’observation ponctuelle de la religion catholique et l’union des forces de la Germanie contre les entreprises du Turc. Le cardinal Campeggio, légat du pape, prend ensuite la parole pour exhorter les luthériens à rentrer dans la communion de l’Église romaine. Ceux-ci avaient eu le temps de se concerter, la diète ayant été convoquée pour le 8 avril : ils présentent à l’empereur un écrit comprenant les points sur lesquels la nouvelle doctrine se séparait de la doctrine ancienne de l’Église; cet écrit, devenu célèbre sous le nom de Confession d’Augsbourg, était l’ouvrage de Melanchton; il est lu publiquement dans la séance du 25 juin. Charles-Quint charge de l’examiner des théologiens catholiques, qui le réfutent article par article; il fait donner lecture à la diète de leur travail le 3 août; mais c’est en vain qu’il s’efforce d’amener l’électeur de Saxe et ses adhérents à abjurer leurs erreurs; ils demeurent sourds à toutes ses instances. Ne voulant pas user des voies de rigueur que quelques-uns, et le légat surtout, lui conseillaient, il déclare aux protestants, le 22 septembre, qu’il leur accorde jusqu’au mois d’avril de l’année suivante, pour se déterminer sur le point de savoir s’ils veulent ou non, relativement aux articles en discussion, se réunir avec le pape, l’empereur et les princes catholiques jusqu’à ce qu’un concile dont il va solliciter la convocation ait statué à cet égard, leur faisant défense, dans l’intervalle, d’écrire ou d’imprimer quoi que ce soit contre l’Église romaine, de propager leur secte et de molester les catholiques de leurs États. Il envoie, sans perdre de temps, à Rome D. Pedro de la Cueva, pour représenter au pape la nécessité de convoquer le concile à bref délai; il charge ses ambassadeurs en France et en Angleterre de réclamer dans le même but l’intervention des souverains de ces deux pays. Mécontents de la déclaration du 22 septembre, le protestants se retirent d’Augsbourg. Charles-Quint, irrité, met fin, le 19 novembre, aux délibérations de la diète : par le recez que signent avec lui le roi Ferdinand, trente princes ecclésiastiques et séculiers, vingt-deux abbés, trente-deux comtes, trente-neuf villes libres, la doctrine de Luther est traitée d’hérétique avec de très-dures expressions; l’exercice de toute religion autre que la catholique, ainsi que toute innovation dans la doctrine et les cérémonies de l’Église, sont interdits dans l’Empire sous des peines sévères; la restitution des couvents et établissements religieux confisqués est ordonnée. Le même recez fixe le siége de la chambre impériale dans la ville de Spire.

Depuis longtemps Ferdinand aspirait à être élu roi des Romains; indépendamment de l’amitié étroite qui l’unissait à son frère, des raisons politiques d’une haute importance engageaient Charles à seconder son désir. Les affaires de ses autres États ne permettaient pas qu’il résidat fréquemment ni longtemps en Allemagne : or les désordres croissants qu’y excitaient les disputes de religion, le voisinage redoutable des Turcs, demandaient la présence continuelle d’un prince qui eût en même temps assez de prudence pour apaiser les querelles théologiques et assez de valeur et de forces pour repousser les Ottomans : ces qualités étaient réunies dans Ferdinand, au jugement de toute la nation allemande. Charles indique une assemblée des électeurs à Cologne pour le 29 décembre. Il part, le 24 novembre, d’Augsbourg. A Spire il reçoit la nouvelle de la mort de l’archiduchesse Marguerite[57]. Il jette les yeux, pour la remplacer dans le gouvernement des Pays-Bas, sur sa sœur Marie : cette princesse, alors dans sa vingt-sixième année, était veuve de Louis II, roi de Hongrie, qui avait péri les armes à la main dans les plaines de Mohacs le 29 août 1526; elle avait pendant quelque temps gouverné la Hongrie en qualité de régente; depuis elle avait fixé sa résidence en Autriche. Il lui annonce, dans une longue lettre écrite de sa main[58], le choix qu’il a fait d’elle, l’invite à venir le trouver avec toute la hâte possible, et lui envoie, pour l’accompagner, le seigneur de Boussu, son sommelier de corps. Le 17 décembre il arrive avec Ferdinand à Cologne. Au jour fixé il réunit le collége électoral de l’Empire : tous les électeurs étaient présents, à l’exception du duc de Saxe, qui non-seulement n’avait pas voulu comparaître, mais encore avait envoyé son fils pour protester contre l’élection, qu’il prétendait être contraire à la bulle d’or et aux priviléges de l’Empire. Les autres électeurs passent outre, et, le 5 janvier 1531, à l’unanimité des suffrages, ils confèrent à Ferdinand la dignité de roi des Romains. Ferdinand et Charles se rendent à Aix-la-Chapelle, où le nouveau roi est couronné le 11; l’empereur, à cette occasion, fait plusieurs chevaliers avec l’épée de Charlemagne. Pendant ce temps, les princes protestants sur la convocation du duc de Saxe, s’assemblent à Smalkalde, petite ville de Franconie, et y signent entre eux un traité d’alliance qui prend le nom de ligue de Smalkalde; ils s’adressent aux rois de France et d’Angleterre, pour les intéresser à la défense de la liberté germanique.

Le 15 janvier Charles et Ferdinand se séparent, celui-ci pour retourner en Autriche, l’empereur pour aller visiter ses États des Pays-Bas. Charles entre à Maestricht le même jour; le 24 il arrive à Bruxelles. Le 2 mars il y assemble les états généraux; l’archevêque de Palerme, chef du conseil privé, donne, par son ordre, lecture à l’assemblée d’un exposé de tout ce qu’il a fait depuis 1522. Cette lecture finie, il prend lui-même la parole pour remercier les états des aides qu’ils lui ont accordées. L’audiencier, Me Laurent du Blioul, lui exprime, au nom de l’assemblée, les sentiments de la nation, reconnaissante des mesures qu’il a prises, des peines qu’il s’est données dans l’intérêt du pays; il lui promet que les états l’assisteront de corps et de biens jusqu’à la mort inclusivement. Avant de retourner chez eux, les représentants des provinces lui offrent une tapisserie représentant la bataille de Pavie et la prise du roi de France, chef d’œuvre à la fois d’art et d’industrie, sorti des ateliers renommés de Bruxelles. Il se montre sensible à cet hommage, qui lui rappelle un des plus glorieux événements de son règne.

La reine douairière de Hongrie, non sans bien des scrupules, avait accepté la charge qu’il lui destinait[59] : il va, le 14 mars, à sa rencontre jusqu’à Louvain; il visite, avec elle, avant de rentrer dans la capitale, Malines, Anvers, Gand et Termonde. Après la reddition de Florence au, mois d’août de l’année précédente, il en avait nommé duc Alexandre de Médicis : il trouve à Bruxelles (4 avril) un envoyé de ce jeune prince, le seigneur de Strozzi, chargé de recevoir en son nom l’investiture de ce titre et de l’autorité qui y était attachée; il la lui donne. Le 5 juillet il réunit une seconde fois les états genéraux; il vient à leur assemblée avec la reine Marie. Il annonce aux états, par la bouche de l’archevêque de Palerme, que des affaires majeures l’obligent de retourner dans la Germanie, d’où il prendra le chemin de l’Espagne; qu’il a prié la reine sa sœur de se charger du gouvernement des Pays-Bas et qu’elle a bien voulu se rendre à son désir. Il leur communique, pour qu’ils en disent leur avis, des projets d’édits sur les monnaies, les hérésies, les coutumes, les notaires ou tabellions, les monopoles des vivres et des marchandises, les banqueroutes, le vagabondage, le dérèglement des buveries et gourmandises, le désordre des habillements, les blasphèmes, les irrévérences envers l’Église. L’assemblée accueille avec beaucoup de satisfaction le choix qu’il a fait de la reine Marie; l’audiencier du Blioul l’en remercie au nom des états. Ce n’est toutefois que plus de deux mois et demi après, le 27 septembre, que les patentes de la nouvelle régente sont expédiées : avant de l’installer dans une charge aussi pesante, Charles veut qu’elle se mette au courant des affaires, et connaisse les hommes qui devront concourir avec elle à les diriger. Il s’occupe aussi d’organiser le gouvernement sur des bases qui à la fois facilitent la tâche de sa sœur et procurent à ses sujets les bienfaits d’une bonne administration. Dans cette vue, par des ordonnances du 1er octobre, il institue, auprès de la reine régente, et sous sa surintendance, un conseil d’État, un conseil privé et un conseil des finances : le premier, chargé de traiter « les grandes et principales affaires et celles qui concernaient la sûreté et la défense du pays; » le second ayant dans ses attributions les matières touchant les hauteurs et l’autorité du souverain « dans les choses procédant de grâces, tant au civil qu’au criminel, » sans qu’il puisse, comme le conseil privé qui avait fonctionné sous la régence de Marguerite, s’entremettre de questions dont la connaissance appartenait aux tribunaux; le troisième appelé à intervenir dans tout ce qui concernait les revenue royaux et les dépenses auxquelles ils étaient destinés à faire face. Cette constitution donnée au gouvernement des Pays-Bas était si bien appropriéen au génie de la nation, qu’elle subsista pendant près de trois siècles : elle était encore en vigueur lors de l’incorporation de la Belgique à la France en 1794.

Le 7 octobre Charles convoque de nouveau à Bruxelles une assemblée nationale. Il lui fait communiquer les patentes de la reine régente, les ordonnances portant institution des trois conseils de gouvernement, et les édits qu’il vient de signer concernant le luthéranisme et les autres matières sur lesquelles les états avaient été consultés[60]. La conclusion du principal de ces édits mérite d’être citée, car elle atteste la sollicitude dont l’empereur était animé pour le bien de ses sujets des Pays-Bas : il les y exhorte, s’ils désirent lui obéir et lui complaire, à s’entr’aimer, à vivre en bonne intelligence, à se communiquer mutuellement les choses qui abondent en l’une province et manquent dans l’autre, à s’assister pour leur mutuelle sûreté et défense, à vider amiablement entre eux leurs différends ou à réclamer, pour le faire, l’entremise des gouverneurs provinciaux et, au besoin, de la reine, sans en venir à des procès; de son côté, il s’engage à les garder de tout outrage, insulte, attaque ou violence. Après cette communication, Charles dit adieu aux états, les conviant, ainsi qu’il avait l’habitude de le faire, à rester ses bons, vrais et loyaux sujets, et les assurant qu’il leur sera bon et bénin prince.

Il avait convoqué la diète impériale à Spire pour le 14 septembre, et il se disposait à s’y rendre; un événement qu’il ne pouvait prévoir vient l’en empêcher. Le mari de sa sœur Isabelle, Christiern II, après son détrônement par les Danois, s’était réfugié aux Pays-Bas : tout à coup l’on apprend qu’il est allé se mettre à la tête de plusieurs milliers de lansquenets rassemblés dans l’Oost-Frise, et qu’il s’est dirigé vers la Hollande, mettant cette province à contribution, afin de la contraindre à lui fournir des vaisseaux, de l’artillerie, des munitions dont il avait besoin pour envahir le Danemark. Charles essaie de le détourner de cette entreprise; il fait à l’empereur une réponse insolente et continue ses exactions. Toutes les provinces du Nord étaient en émoi. Dans de telles conjonctures, Charles n’aurait pu s’éloigner des Pays-Bas sans donner lieu aux Belges de se plaindre qu’il s’étaient abandonnés par lui, et sans que sa réputation en souffrît des atteintes. Il se décide donc à proroger la diète au jour de l’Epiphanie de l’année suivante, en indiquant Ratisbonne pour le lieu où elle siégera. Quelque temps après, il reçoit l’avis que Christiern a fait voile pour le Danemark.

Depuis treize années il n’avait pas été tenu de chapitre de la Toison d’or, et le nombre des places qui vaquaient dans l’ordre était considérable. Charles choisit, pour y assembler capitulairement les chevaliers ses confrères, la cathédrale de Tournai : il ne connaissait pas encore cette ville dont la conquête avait jeté de l’éclat sur les premières années de son règne; c’était pour lui une occasion de la visiter. Il y fait son entrée le 28 novembre. De grandes fêtes ont lieu à cette occasion. Le 3 décembre le chapitre, s’ouvre; il commence par s’occuper d’objets concernant le régime de l’ordre, et, conformément aux statuts, il entend les critiques auxquelles les vie et mœurs des chevaliers ont donné lieu. Le chef et souverain n’échappe pas à la censure de ses confrères. Le chancelier, leur organe, dit à l’empereur qu’on le trouve lent dans l’expédition des affaires; qu’il s’occupe beaucoup de petites choses et en néglige d’importantes; qu’il ne consulte guère son conseil, d’ailleurs trop peu nombreux; que les tribunaux ne sont pas composés ainsi qu’ils devraient l’être; enfin qu’il paye fort mal et les officiers de sa maison et les gens de ses ordonnances. Ce dernier reproche était certainement le plus fondé de tous : mais était-ce la faute de l’empereur, si ses ressources étaient toujours au-dessous de ses besoins? Charles reçoit avec bonté les remontrances qui lui sont faites : il rejette la faute de la mauvaise administration de la justice sur ceux qu’il a chargés d’y pourvoir en son absence et sur ses grandes occupations; il ajoute que, manquant d’hommes assez expérimentés et assez affectionnés à son service pour qu’il pût s’en reposer sur eux, il a été obligé de se charger seul du soin de beaucoup d’affaires. Il promet d’être attentif à prévenir le renouvellement des observations qui viennent de lui être faites. Le chapitre termine ses travaux par les élections aux vingt-quatre places vacantes. Un des élus est le prince d’Espagne, don Philippe, qui n’avait encore que quatre ans et demi.

Charles revient à Bruxelles le 14 décembre. Son grand aumônier, Guillaume de Vandenesse, évêque de Coria, et Guillaume, seigneur de Montfort, son grand écuyer, étaient morts depuis peu : il remplace le premier par l’évêque de Jaën, Esteban Gabriel Merino[61], et le second par Jean de Hennin, seigneur de Boussu. Le 17 janvier 1532 il se met en route pour Ratisbonne, où il arrive le 28 du mois suivant; le roi Ferdinand l’y attendait. Le duc de Saxe, le landgrave de Hesse et leurs adhérents se refusaient à comparaître à la diète, et ils ne voulaient pas reconnaître l’élection de Ferdinand comme roi des Romains. L’empereur, qui déjà avait cherché à les ramener par l’entremise de l’archevêque de Mayence et de l’électeur palatin, autorise ces deux princes à entrer en négociation avec eux. Des conférences se tiennent à Schwernfort en Franconie, puis à Nuremberg. Les nouvelles reçues que Soliman venait d’entrer en Hongrie à la tête de trois cent mille hommes et menaçait Vienne, contribuent à hâter un accommodement. On s’accorde (23 juillet) sur les points suivants, savoir : que l’empereur, fera proclamer une paix publique par toute l’Allemagne, avec défense de molester ou inquiéter personne pour cause de religion, jusqu’à ce qu’un concile général dont il tâchera de procurer la convocation dans l’espace de six mois, ait été réuni; que la chambre impériale suspendra l’exécution des sentences rendues contre les protestants; qu’elle n’admettra contre eux aucune action nouvelle; que, de leur part, les protestants rendront obéissance à l’empereur et l’aideront de toutes leurs forces à repousser l’invasion du Turc. Cette transaction était pour les luthériens un triomphe signalé : car, selon la remarque d’un historien, jusque là ils n’avaient encore été regardés que comme une secte religieuse, et ils acquirent dès lors le rang et le crédit d’un corps politique. Charles-Quint, quelque répugnance qu’il en éprouve, prend le parti d’y souscrire et de la faire sanctionner par la diète (2 août); deux motifs le déterminent : le besoin du concours des luthériens pour résister à Soliman, et l’espoir que cette condescendance les portera à agréer l’élection du roi son frère. Les princes et les villes de la ligue de Smalkalde, voulant lui marquer leur reconnaissance, mettent en campagne des forces beaucoup plus considérables qu’ils n’étaient obligés d’en fournir; les princes catholiques de l’Empire rivalisent de zèle avec eux.

Charles avait résolu de prendre lui-même le commandement de l’armée qui allait marcher au secours de Vienne. Il avait donné l’ordre au gouvernement des Pays-Bas de lui envoyer les compagnies d’ordonnances et quelques régiments d’infanterie de ces provinces; il avait fait savoir à ses généraux en Italie qu’ils eussent à le venir joindre avec les troupes qui étaient sous leur charge; il avait levé des lansquenets en Allemagne; il avait fait appel à la vaillance et à l’ardeur pour la foi de la noblesse espagnole, et un grand nombre de ses vassaux de Castille et d’Aragon étaient accourus se ranger sous ses étendards; D. Fernando Gonzaga et le duc de Ferrare lui avaient amené de la cavalerie légère. À ces troupes Ferdinand avait joint les siennes, et le cardinal Hyppolite de Médicis, neveu du pape, un corps considérable de cavalerie hongroise qu’il avait levé au moyen de l’argent fourni par les églises et les monastères d’Italie. Tout cela, avec les contingents des princes et des états de l’Empire, formait une des plus grandes et des plus belles armées que l’Allemagne eût jamais vues : on n’y comptait pas moins de quatre-vingt-dix mille hommes d’infanterie régulière et trente mille chevaux, outre un nombre prodigieux de troupes irrégulières.

Le 2 septembre Charles, ayant clos la diète, part de Ratisbonne avec le roi son frère. En approchant de Vienne, où il arrive le 23, il apprend que l’occasion lui manquera, à son extrême regret, de se mesurer avec son adversaire : Soliman n’a pas voulu l’attendre; il est en pleine retraite. C’était la première fois que l’empereur se montrait à la tête de ses troupes : il ne s’acquit pas peu de renommée dans l’Europe entière, pour avoir fait fuir le formidable ennemi de la chrétienté, le prince dont la puissance faisait trembler tout l’Orient.

Aucun danger ne menaçait plus l’Allemagne. Charles, le 4 octobre, prend le chemin de l’Italie. Arrivé aux frontières des États vénitiens, il y trouve des ambassadeurs extraordinaires chargés de le complimenter et de l’accompagner sur tout le territoire de la république. En approchant de Mantoue, il voit venir au devant de lui les ducs de Mantoue, de Ferrare, d’Urbin; il reçoit en cette ville la visite du duc de Milan. Il désirait avoir encore avec le pape une entrevue et lui en avait fait faire la proposition. Clément VII y était peu disposé : le mécontentement qu’il avait ressenti de la sentence rendue par l’empereur en faveur du duc de Ferrare[62] n’était point calmé; il avait sur le cœur l’affront récent fait à son neveu le cardinal Hyppolite de Médicis[63]; enfin il ne doutait pas que l’empereur ne le pressât pour la convocation d’un concile à laquelle il était absolument contraire[64]. Il céda néanmoins de crainte de déplaire au monarque qu’il avait tant de raisons de ménager[65]. Bologne fut une seconde fois choisie pour le lieu de l’entrevue; Clément s’y rendit le premier; Charles y fit son entrée le 13 décembre. Le pape était à la cathédrale; l’empereur alla l’y joindre et voulut lui baiser le pied : Clément ne le souffrit pas. Ils se dirigèrent ensemble vers le palais, où, comme la première fois, le logement de l’un et de l’autre avait été préparé.

Charles s’efforça en vain de convaincre le pape que l’intérêt de la religion, tout autant que la tranquillité de l’Allemagne, réclamait la prompte convocation d’un concile œcuménique. Clément répondit à ses instances en alléguant qu’il fallait commencer par régler avec toutes les parties intéressées le lieu de l’assemblée, la forme de ses procédés, le droit des personnes qui y auraient voix, le degré d’autorité de leurs décisions. Il était encouragé dans sa résistance aux vœux de l’empereur par les cardinaux de Tournon et de Gramraont que le roi de France avait envoyés à Bologne : François Ier ne voulait point d’un concile qui aurait servi à augmenter le pouvoir de son rival. Charles réussit mieux dans une autre affaire qui ne l’intéressait pas moins, si elle ne l’intéressait davantage, et c’était la conclusion d’une ligue nouvelle pour la défense de l’Italie, au moyen de laquelle il pût se décharger des troupes qu’il avait à sa solde dans le Milanais. Cette ligue fut signée, le 24 février 1533, par les plénipotentiaires de tous les princes et États italiens, Venise exceptée, qui déclara s’en tenir au traité précédent. Il y était stipulé que, au premier péril d’invasion, une armée dont Antonio de Leyva aurait le commandement, serait formée et entretenue à frais communs, suivant une proportion déterminée entre les confédérés. L’empereur essaya d’obtenir de Clément l’assurance qu’il ne contracterait de liaisons politiques ni avec le roi de France ni avec le roi d’Angleterre; il lui demanda Catherine de Médicis, fille du duc d’Urbin, pour Francesco Sforza. La réponse du pape à ces deux demandes fut loin de le satisfaire : Clément lui dit que, comme chef de l’Église, il ne pouvait se dispenser d’entretenir des rapports d’amitié avec les princes chrétiens, et que Catherine était promise au duc d’Orléans, second fils du roi du France.

Charles partit de Bologne le dernier jour de février, pour aller s’embarquer à Gênes. Il voulut visiter, en passant, le champ de bataille de Pavie : le marquis del Vasto lui expliqua les positions qu’avaient occupées les armées espagnole et française, et lui fit voir l’endroit où le roi de France avait été fait prisonnier. Arrivé à Gênes le 28 mars, il monta, le 9 avril, sur une des galères d’Andrea Doria qui le transporta, en douze jours, à Rosas, au comté de Roussillon. Là il prit la poste pour se rendre à Barcelone, où l’impératrice était venue l’attendre avec le prince Philippe et l’infante doña Maria.

Il avait convoqué, pour le 15 mai, à Monzon, les cortès générales des trois royaumes de la couronne d’Aragon; il en fit l’ouverture le 18 juin. Ayant laissé l’impératrice malade à Barcelone, il retourna le lendemain auprès d’elle, du consentement de cette assemblée : d’après les fueros de l’Aragon, le souverain, quand les cortès étaient réunies, ne pouvait pas s’absenter du lieu où elles siégeaient. Il revint à Monzon le 8 juillet. Le 20 décembre il mit fin à la session des représentants de la nation aragonaise, qui lui accordèrent un service de deux cent mille écus payable en trois ans. Quelques jours après il se dirigea vers la Castille. A Madrid, où il séjourna depuis le 10 octobre 1534 jusqu’au 2 mars de l’année suivante, il tint les cortès du royaume, avec le concours desquelles il fit des règlements et promulguades ordonnances sur différentes matières d’un grand intérêt pour le bien public[66].

Ce fut pendant ce séjour de Madrid qu’il prépara l’expédition qui devait être l’événement le plus glorieux de son règne. Les entreprises audacieuses d’Haradin Barberousse répandaient la terreur parmi les nations commerçantes de l’Europe, et plus encore parmi les populations chrétiennes du littoral de la Méditerranée. Ce redoutable corsaire, qui avait succédé à son frère Horuc sur le trône d’Alger, usurpé par celui-ci, ne s’était pas contenté de cet héritage : à l’aide des forces mises à sa disposition par Soliman II, sous la suzeraineté duquel il s’était placé et qui l’avait fait son grand amiral, il avait conquis le royaume de Tunis. Maître des deux États les plus considérables de la côte africaine, reconnu par tous les pirates pour leur chef, pouvant compter, au besoin, sur l’appui des flottes ottomanes, il faisait des descentes fréquentes et inattendues en Sicile, en Italie, en Espagne, tandis que ses vaisseaux infestaient la Méditerranée; le nombre allait chaque jour croissant des chrétiens des deux sexes pris par lui sur terre et sur mer; les plus jeunes et les plus belles femmes étaient destinées aux harems des riches musulmans; une dure captivité était le partage des hommes. L’Europe retentissait des plaintes des malheureux qui avaient perdu leurs proches, ou qui les pleuraient vivants, mais condamnés à l’opprobre et à la servitude. Tous les regards étaient tournés vers l’empereur, comme celui qui seul pouvait mettre un terme à tant de brigandages; tous les vœux l’appelaient à venger la chrétienté des insultes du roi corsaire. Si son grand cœur ne l’y eût porté naturellement, la protection qu’il devait à ses sujets aurait fait une loi à Charles de répondre à cet appel : aussi n’hesita-t-il pas. Résolu à attaquer Barberousse au centre même de sa puissance, il fit passer des instructions à ses vice-rois et aux commandants de ses troupes, en Espagne et en Italie, sur le concours que chacun d’eux aurait à lui prêter; il écrivit, pour réclamer leur assistance, au pape, aux rois de France et de Portugal et aux princes italiens.

Le 3 avril 1535 il arriva à Barcelone, qu’il avait choisie pour point de réunion d’une partie de son armée. Là vinrent successivement une escadrille envoyée par le roi Jean III de Portugal, les galères d’Andrea Doria, celles d’Espagne que conduisait don Alvaro de Bazan, et le marquis de Mondejar, capitaine général de Grenade, avec une cinquantaine de navires, amenant les troupes et les munitions de guerre et de bouche qui avaient été rassemblées en Andalousie. Lorsque ces forces furent réunies, Charles fit ses dispositions de départ. Le 28 mai il alla en pèlerinage à Notre-Dame de Monserrat ; il s’y confessa et y communia; le 30, en même temps qu’il donnait l’ordre d’appareiller aux différentes divisions de la flotte, il s’embarqua sur la galère qu’Andrea Doria commandait en personne. Il partait accompagné de son beau-frère l’infant dom Luis de Portugal et d’une multitude de gentilshommes des premières familles de ce pays et de l’Espagne. Comme en 1529, il avait confié à l’impératrice, pendant son absence, le gouvernement de ses royaumes de Castille et d’Aragon; il avait aussi fait un acte de dernière volonté[67] par lequel plusieurs de ses précédentes dispositions testamentaires étaient modifiées. Contrarié les premiers jours par le vent, il mouilla, le 10 juin, dans la rade de Cagliari, où l’attendaient, outre six galères du pape et quatre de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, les galères, galions, carraques et autres navires qui portaient l’infanterie espagnole, allemande, italienne, tirée du Milanais et des royaumes de Naples et de Sicile. L’armée navale se trouva ainsi forte de soixante-quatre galères, trente galiotes, brigantins et fustes et environ trois cents navires à voiles, entre lesquels étaient une dixaine de galions puissamment armés[68]; Andrea Doria en avait le commandement en chef. Les troupes de débarquement présentaient un effectif de trente-quatre mille hommes selon les uns[69], et selon les autres de vingt-sept mille seulement dont deux mille de cavalerie, mais sans y comprendre les personnes attachées à la cour et les aventuriers[70]; le marquis del Vasto, Alonso de Avalos, en était le général sous les ordres de l’empereur.

Après avoir visité la capitale de son royaume de Sardaigne, Charles remit à la voile le 14 juin. Le lendemain il jetait l’ancre à l’entrée du golfe de Tunis, à trois milles de la Goulette. Le débarquement de ses troupes eut lieu le jour suivant; lui-même il descendit à terre avec les chefs de l’armée. Il établit son camp sur le lieu où avait été assise Carthage; plusieurs châteaux-forts y étaient occupés par les Mores, qui en furent délogés promptement. A la nouvelle que l’empereur venait en personne l’attaquer, Barberousse avait renforcé la garnison de la Goulette et en avait confié la défense au juif renégat Sinan, le plus vaillant de ses pirates. Charles, ayant fait reconnaître la place, jugea qu’elle ne pourrait être prise sans un siége en règle : il l’investit, fit mettre en position l’artillerie pour la battre, et donna l’ordre d’ouvrir la tranchée. La garnison et les troupes qui étaient dans Tunis ne négligèrent rien pour entraver les opérations des assiégeants ; chaque jour des escarmouches avaient lieu entre les deux armées : Charles-Quint ne manquait jamais d’accourir au secours des siens, bravant les périls jusqu’au point que plusieurs fois les boulets de la grosse artillerie turque atteignirent, à ses côtés, des personnes de sa suite[71]. Le 26 juin fut marqué par une affaire sérieuse qui tourna à l’avantage de l’armée expéditionnaire, mais qui, sans la vigilance et l’énergie de l’empereur et les efforts héroïques de ses soldats, aurait pu avoir pour elle les plus désastreuses conséquences : Barberousse avec des forces supérieures était venu l’attaquer sur tous les points à la fois. Enfin, le 14 juillet, malgré une résistance désespérée, la Goulette fut prise d’assaut, après avoir été battue par terre et par mer depuis trois heures du matin jusqu’à une heure de l’après midi. Charles était à la tête de ses troupes qu’il animait par ses paroles et par son exemple ; il entra dans la place avec l’infant de Portugal. Quatre cents pièces de canon, quarante-deux galères et, parmi celles-ci, la Capitana que Barberousse avait amenée de Constantinople, quarante galiotes, fustes, brigantins et plus de quatre-vingts petits navires de différente forme tombèrent par là en son pouvoir. Notons un trait qui honore encore plus l’empereur que la victoire qu’il venait de remporter. Un More, ayant demandé de lui parler en secret et ayant été admis en sa présence, lui offrit d’empoisonner Barberousse : rien ne lui était plus facile, car il était le boulanger du roi. Charles, indigné, dit à ce traître que ce serait la honte d’un prince d’employer de tels moyens pour se défaire d’un ennemi, fût-il même un abominable corsaire comme Barberousse. Et il renvoya le More avec mépris[72].

Charles voulait, le jour même de la prise de la Goulette, marcher sur Tunis ; des objections de ses généraux lui firent différer jusqu’au 20 juillet l’exécution de ce dessein. Ce jour-là, de bonne heure, il fit la revue de son armée qu’il mit aussitôt après en mouvement. La marche fut extrêmement pénible. La chaleur était accablante. Le peu d’eau que les soldats avaient pu emporter s’était trouvé bientôt épuisé, et il n’y avait nul moyen de s’en procurer dans les sables brûlants que l’on traversait. L’armée avait fait sept à huit milles, lorsqu’elle rencontra Barberousse en personne, qui l’attendait de pied ferme avec plus de cent mille hommes, dont quinze à vingt mille de cavalerie, dans une position qu’il avait choisie et fortifiée. Charles n’avait qu’une vingtaine de mille hommes avec douze pièces d’artillerie : sans se laisser intimider par la supériorité numérique de son adversaire, il rangea ses troupes en bataille. S’étant placé à l’avant-garde, il leur adressa une harangue qui les remplit d’ardeur et de courage : il leur dit qu’elles ne devaient pas s’effrayer de la multitude de leurs ennemis; que la victoire était en la main de Dieu; que lui, leur empereur, était le premier qui devait périr ou vaincre; qu’il dépendait d’elles que l’honneur de l’Espagne, de l’Italie et de l’Allemagne ne reçût point d’atteinte en Afrique. Barberousse se confiait non-seulement dans le grand nombre de ses soldats, mais encore dans la fatigue des impériaux, dans la soif qui les dévorait; il commença l’attaque. Après plusieurs heures d’un combat acharné, il fut mis en une déroute complète. Ce qu’il y eut de remarquable dans cette rencontre, c’est que l’armée impériale ne perdit que quelques hommes; du côté des Mores, il y en eut trois à quatre cents de tués. Charles passa la nuit sur le champ de bataille. Le lendemain, à la pointe du jour, il se remit en marche. Barberousse avait espéré défendre Tunis : mais, quand il se présenta devant le château, pour y rentrer, il en trouva les portes fermées; les chrétiens qui y étaient détenus, ayant gagné deux de leurs gardiens, étaient parvenus à se débarrasser de leurs chaînes; alors ils étaient tombés sur la garde turque, l’avaient désarmée et s’étaient rendus maîtres de l’artillerie. Déconcerté par ce coup inattendu, le roi corsaire, suivi des Turcs qui lui étaient restés fidèles, s’enfuit à Bone, d’où Andrea Doria le força de sortir, en s’emparant de cette ville et de sa citadelle. Charles, le 21 juillet, entra sans coup férir dans Tunis, qu’il ne put malheureusement pas sauver du pillage. Son premier acte fut de mettre en liberté tous les chrétiens qui y étaient en esclavage; il n’y en avait pas moins de dix-huit mille à vingt mille. Ceux auxquels le château servait de prison avaient couru un grand danger; avant d’aller livrer bataille à l’empereur, Barberousse avait résolu de les faire mourir; les représentations du renégat Sinan l’empêchèrent seules de donner suite à cette atroce détermination. Charles s’empressa d’informer de la prise de Tunis tous les princes de la chrétienté; il envoya au pape et à l’impératrice des gentilshommes de sa maison chargés de leur rendre un compte plus détaillé de ce grand événement. Il y avait, dans les faubourgs de la ville africaine, un petit monastère de cordeliers; le 25 juillet il y solemnisa la fête de Saint-Jacques.

Quelques jours après le débarquement de l’empereur, le roi détrôné de Tunis, Muley Hassem, était venu dans son camp. Charles le remit en possession de son royaume, à condition qu’il donnerait la liberté à tous les captifs chrétiens qui y existaient, et ne souffrirait jamais qu’ils y fussent maltraités; qu’il y permettrait l’érection d’églises consacrées au culte catholique; que ni lui ni ses successeurs ne réduiraient en captivité des chrétiens sujets de l’empereur ou de son frère le roi Ferdinand; qu’il céderait à l’empereur et à ses successeurs, rois d’Espagne, les villes de Bone, de Biserte et les autres positions maritimes usurpées par Barberousse; qu’il leur céderait de même la Goulette avec un territoire de deux milles de circonférence; qu’il payerait, entre les mains de celui qui aurait la garde de cette forteresse, douze mille ducats d’or annuellement; que lui et ses successeurs délivreraient à perpétuité au roi d’Espagne, le 25 juillet de chaque année, six bons chevaux mores et douze faucons en reconnaissance de passerage; enfin qu’ils ne recevraient dans leurs ports et terres, mais au contraire qu’ils en expulseraient, les corsaires, pirates et écumeurs de mer et les ennemis de l’empereur, quels qu’ils fussent. Ces conditions furent l’objet d’un traité que les deux souverains signèrent le 6 août. Muley Hassem ne s’était pas fait aimer de ses sujets; lorsqu’il prit congé de l’empereur, Charles lui dit : « J’ai conquis ce royaume au prix du sang des miens; tu le dois conserver en gagnant les cœurs des tiens. N’oublie pas les faveurs que tu as reçues, et tâche d’oublier les injures qu’on t’a faites[73] ».

Tels furent les résultats de cette mémorable expedition dont la renommée porta le récit jusqu’aux extrémités du monde connu, et qui fit bénir le nom de Charles-Quint par des millions d’hommes. Ce prince eût bien désiré poursuivre ses succès et chasser Barberousse d’Alger, comme il venait de le chasser de Tunis. Mais la saison s’avançait; la distance qu’il fallait franchir était grande; l’armée comptait un nombre considérable de malades : il se détermina à remettre cette entreprise à un autre temps et à aller visiter ses royaumes de Sicile et de Naples qu’il ne connaissait pas encore[74]. Après avoir licencié la flotte de Portugal, renvoyé en Espagne une partie de ses troupes, mis garnison à la Goulette et dans le château de Bone, il se rembarqua le 16 août, pour faire voile le lendemain. Le 22 il aborda à Trapani, d’où il se rendit par terre à Palerme. Il fit dans cette capitale une entrée solennelle (12 septembre). Il y avait convoqué les états du royaume; cette assemblée lui accorda un subside de trois cent cinquante mille ducats. De Palerme il passa à Messine, qui le reçut magnifiquement (21 octobre) et lui présenta dix mille écus d’or. En quittant la Sicile, il y laissa pour vice-roi don Fernando de Gonzaga. Le 25 novembre il entra à Naples : là l’enthousiasme qu’excita sa présence n’eut pas de bornes; les Napolitains lui témoignèrent leur admiration et leur dévouement par les démonstrations les plus significatives. Les états, qu’il assembla, ainsi qu’il l’avait fait à Palerme, manifestèrent les sentiments dont ils étaient animés pour leur souverain en votant trois cent mille ducats de subside extraordinaire. A peine sut-on en Italie qu’il se trouvait à Naples, que les ducs de Ferrare, d’Urbin, de Florence, vinrent l’y visiter; des légats du pape, des ambassadeurs de Venise, des envoyés des autres princes et États italiens, y arrivèrent aussi, chargés de le complimenter sur ses récentes victoires. Il avait fait venir des Pays-Bas sa fille Marguerite; il la maria, le 29 février 1536, à Alexandre de Médicis, suivant l’engagement qu’il en avait pris envers Clément VII.

Ce pontife était mort dans le temps que, par ses condescendances pour François Ier, il allait compromettre la paix de l’Italie. Adoptant une politique plus sage, son successeur, Paul III, s’attachait à tenir la balance égale entre le roi de France et l’empereur. Charles-Quint prend la résolution de l’aller trouver : il espère obtenir de lui la convocation d’un concile général qu’il avait sollicitée en vain de Clément VII; il veut aussi l’entretenir de l’état de ses relations avec le monarque français qui chaque jour devenait plus critique. Il part de Naples le 22 mars 1536. A Terracine, première ville des États pontificaux, il trouve les cantonaux Trivulzio et San Severino, que le pape a commis pour le recevoir, l’accompagner et lui faire rendre partout les honneurs qui lui sont dus. Il couche à Saint-Paul hors des murs de Rome le 4 avril; le jour suivant il fait son entrée dans la ville éternelle. Vingt-deux cardinaux, suivis d’un grand nombre d’archevêques, d’éveques, d’abbés et d’autres prélats, ainsi que le sénat et les principaux de la ville, viennent au-devant de lui; ils se joignent aux seigneurs de sa cour et aux officiers de sa maison, avec lesquels ils forment son cortége. Des gentilshommes romains portent le dais sous lequel il s’avance. Cinq cents hommes d’armes et quatre mille hommes d’infanterie, commandés par le marquis del Vasto et le duc d’Albe, ouvrent et ferment la marche. Au moment où il passe devant le château Saint-Ange, la garnison incline devant lui ses drapeaux et ses armes; tous les soldats mettent le genou en terre. Le pape l’attendait à la porte extérieure de Saint-Pierre, entouré de quatre cardinaux : Charles descend de cheval au bas de l’escalier, et vient lui baiser le pied; Paul III l’embrasse, entre avec lui dans la basilique, où ils font leur prière; ensuite il regagne ses appartements, tandis que l’empereur est conduit dans ceux que, quarante-deux années auparavant, sous le pontificat d’Alexandre VI, Charles VIII avait occupés. Quelques jours après commencent les cérémonies de la Semaine-Sainte; Charles y prend une part assidue : l’humilité avec laquelle, le jeudi, il lave les pieds à douze pauvres lui attire l’admiration du peuple romain. Le jour de Pâques il assiste, à Saint-Pierre, à la messe célébrée par le souverain pontife; il s’y rend dans un grand apparat, à la manière des anciens empereurs; devant lui le marquis de Brandebourg porte le sceptre, le seigneur de Boussu l’épée, Pierre-Louis Farnèse, fils du pape, le globe; la queue de son manteau est tenue par les princes de Bisignano, de Salerne, de Sulmone et le duc d’Albe; deux cardinaux marchent à ses côtés. Arrivé à la chapelle de Saint-Pierre, il prend place à la droite de Paul III. Pendant l’office, le même cérémonial est observé par le pontife et par l’empereur : tous deux se lèvent et s’asseyent en même temps; l’empereur ôte et remet sa couronne, quand le chef suprême de l’Église quitte et reprend sa tiare. Charles communie de la main du pape. La messe achevée, ils sortent ensemble : l’empereur retourne dans ses appartements; le pape, du haut du portail de Saint-Pierre, donne la bénédiction urbi et orbi.

Ces cérémonies religieuses et les réceptions officielles ne font pas perdre de vue à Charles-Quint les objets pour lesquels il est venu à Rome. Dans ses entretiens avec Paul III, il lui représente avec tant de force les dangers que court la religion en Allemagne, que ce pontife lui promet formellement de convoquer à bref délai un concile général[75]. Il fait en même temps le chef de l’Église juge de ses différends avec le roi de France, et n’a pas de peine à le convaincre que tous les torts sont du côté de ce dernier. En effet avec quelle ardeur le roi n’avait-il pas recherché la paix conclue à Cambrai? Cette paix signée, l’amiral de Chabot et les autres ambassadeurs envoyés par lui à Plaisance avaient déclaré spontanément à l’empereur « que non-seulement il ne désirait le duché de Milan et le comté d’Asti, mais encore que c’était un très-grand contentement à son royaume qu’il en fût quitte et n’eût plus rien à faire en Italie[76]. » Cependant, aussitôt après qu’il avait recouvré ses fils, il avait commencé à changer de langage; il était revenu à ses prétentions sur Milan, que l’empereur ne pouvait pas lui donner, puisqu’il en avait investi Francesco Sforza sur les instances et avec le concours des princes et États italiens. Sforza étant mort le 24 octobre 1535, sans laisser de postérité, les réclamations du roi étaient devenues plus pressantes. L’empereur alors lui avait offert le Milanais pour le troisième de ses fils, le duc d’Angoulême, qui aurait épousé Christine de Danemark, veuve de Sforza, ou une autre princesse de la maison impériale : mais il n’acceptait pas cet arrangement; il voulait le Milanais et le comte d’Asti pour le duc d’Orléans, son second fils, qui, du chef de sa femme Catherine de Médicis, formait déjà des prétentions sur les duchés de Florence et d’Urbin, et il en prétendait l’usufruit pour lui-même. L’empereur aurait peut-être fini par céder en ce qui concernait le duc d’Orléans, moyennant des garanties pour la sûreté des autres États italiens, lorsque, sous des prétextes frivoles, le roi avait envahi la Savoie d’abord (11 février 1536) et ensuite le Piémont (6 mars). C’était vouloir la guerre : car l’empereur ne pouvait souffrir, ni que le duc de Savoie, son beau-frère, fût dépouillé de ses États, ni que les Français occupassent des positions d’où ils menaçaient incessamment la Lombardie.

Charles-Quint devait quitter Rome le surlendemain de Pâques, 18 avril. Il apprend que les ambassadeurs de France se plaignent publiquement de lui, disant qu’il avait promis le duché de Milan à leur roi et lui avait manqué de parole; l’accusant d’être la cause des guerres passées; allant même jusqu’à lui imputer les hérésies de l’Allemagne et les maux que le Turc faisait à la chrétienté. Indigné de tant d’audace, il demande au pape de réunir, le 17, au Vatican, le collége des cardinaux et tous les ambassadeurs qui se trouvent à sa cour; il se rend au milieu de cette assemblée. Là il prononce un discours où, après avoir retrace tout ce qui, depuis son avènement à la couronne, s’est passé entre lui et le roi de France, le prix qu’il a toujours attaché à l’amitié de ce monarque, le désir qui n’a cessé de l’animer de vivre en paix avec lui, et qui lui a fait, dit-il, « comporter beaucoup de choses dont il aurait eu très-grande occasion de se ressentir, » il déclare qu’il est encore dans ces sentiments : non pas qu’il redoute les forces du roi de France, car il a bien le moyen de lui résister, mais pour épargner à la chrétienté de merveilleux dommages. Si cependant, ajoute-t-il, par le fait du roi, la paix ne peut être conservée, en ce cas, « pour éviter les inconvénients et maux qui surcèderont de rentrer en guerre, tant à ladite chrétienté qu’aux sujets d’un côté et d’autre, serons content que ladite guerre s’achève de notre personne à la sienne, et lui offrons d’ainsi le faire, avec armes et sûretés égales, soit en mer ou en terre, lesquelles seront assez faciles à trouver...... Et entendons que ledit seigneur roi nous réponde, en dedans vingt jours, soit du rétablissement de paix ou, au défaut de ce, dudit combat[77]. »

Charles avait mis une telle animation dans ces paroles que le pape, se levant, lui dit : « Mon fils, que Votre Majesté se calme, et que la juste indignation qu’elle ressent le cède à sa clémence naturelle! A Dieu ne plaise que jamais un pareil combat se fasse, et que votre personne, qui importe tant au monde, s’expose à ce danger[78]! » L’empereur s’était exprimé en espagnol, et les ambassadeurs français ne comprenaient pas cette langue; ils demandèrent des explications; ils voulaient savoir surtout si, par les propos qu’il avait tenus, l’empereur avait entendu défier le roi leur maître à un combat particulier et tenir la guerre déclarée entre eux : Charles leur dit, le lendemain, en présence du pape et de plusieurs grands personnages, que son intention n’avait été de médire du roi en façon quelconque, ni de le défier, ni de lui déclarer la guerre, mais qu’au contraire elle était d’éviter celle-ci autant que possible; que la paix était l’objet de tous ses vœux; que si le roi voulait y entendre, il était prêt à accepter la médiation du souverain pontife; enfin que, s’il avait parlé d’un combat singulier, c’était pour le cas que la guerre ne pût être conjurée[79]. François Ier, cette fois encore, se montra peu jaloux de se mesurer avec son rival. Il répondit que leurs épées étaient trop courtes pour qu’ils pussent se combattre de si loin; que, s’ils rentraient en guerre, l’occasion s’offrirait sans doute à eux de se rapprocher; qu’alors il dépendrait de l’empereur de l’appeler au combat, et que s’il refusait de satisfaire à son honneur, il acceptait d’avance la condamnation que prononceraient contre lui les gens de bien[80]. A quoi l’empereur répliqua, avec ironie, que c’était probablement parce que « leurs épées étaient trop courtes pour frapper de si loin », que, lui étant en Espagne, le roi lui avait offert, de Paris, le combat de sa personne à la sienne[81].

En quittant Rome, Charles-Quint s’était dirigé vers Florence; il passa plusieurs jours en cette ville (23 avril-4 mai) avec sa fille et son gendre le duc Alexandre de Médicis. De Florence il se rendit à Asti, où il séjourna pendant une grande partie du mois de juin, tandis que les troupes qu’il avait levées en Italie ou fait venir d’Allemagne, et celles qu’il avait tirées de ses royaumes de Naples et de Sicile (car, depuis plusieurs mois, il regardait la guerre comme inévitable), se concentraient près de Savigliano. L’armée qu’il avait réunie n’était pas forte de moins de soixante-dix mille hommes, infanterie et cavalerie[82], parmi lesquels on comptait douze cents hommes d’armes des Pays-Bas et du duché de Clèves sous les ordres du seigneur d’Isselsteyn[83]; elle avait cent pièces de canon; à sa tête marchaient des chefs d’une valeur et d’une expérience éprouvées, Antonio de Leyva, le marquis del Vasto, D. Fernando de Gonzaga, Ascanio Colonna, le duc d’Albe, le comte de Benavente, le prince de Bisignano, le prince de Salerne. Le 23 juin Charles vint en prendre le commandement. Les opérations militaires avaient commencé, le 7 juin, par le siége de Fossano en Piémont que les Français occupaient et qui capitula le 24. A la suite de plusieurs conseils de guerre, Charles résolut d’entrer en Provence. Ce n’était pourtant pas l’avis de tous ses généraux; ce n’était pas surtout celui du marquis del Vasto, qui rappela à l’empereur le sort éprouvé, douze années auparavant, par le duc de Bourbon et le marquis de Pescaire; selon lui, avant de s’engager dans une entreprise aussi difficile, il fallait soumettre le Piémont, afin de ne pas laisser derrière soi un ennemi qui, en cas de défaite, pourrait faire le plus grand mal à l’armée. Mais Charles se voyait entouré de troupes pleines d’ardeur; les victoires qu’il avait remportées en Afrique lui inspiraient quelque orgueil; il avait à cœur aussi de fournir au roi, de France l’occasion de montrer, autrement que par des paroles, son désir de le combattre : il ordouna de marcher en avant. Le 25 juillet il passa le Var et planta ses enseignes à Saint-Laurent, premier village de Provence; dans le même temps les comtes de Nassau et du Rœulx, ses généraux aux Pays-Bas, envahissaient le Vermandois et la Picardie. Antibes, Brignolles, Cannes, Fréjus, Aix lui ouvrirent leurs portes presque sans coup férir, et Andrea Doria s’empara de Toulon. Le maréchal de Montmorency, que François Ier avait nommé son lieutenant en Provence, avait résolu de ne défendre que les villes d’Arles et de Marseille; il avait fait ruiner tout le reste du pays, les villes aussi bien que les villages, de façon que l’armée impériale n’y pût subsister. Charles, en entrant à Aix, pensait à faire revivre les droits de l’empire d’Allemagne sur les royaumes d’Arles et de Provence, dont cette ville était la capitale; mais le clergé, la noblesse, le parlement, la chambre des comptes en étaient partis, et ils se refusaient à y rentrer; il fut obligé de renoncer à ce dessein.

Il y avait plus d’un mois qu’il était à Aix : le roi ne venait pas l’y chercher; il se tenait à Valence, où il rassemblait une armée de réserve, tandis que Montmorency formait une autre armée à Avignon. La situation devenait embarrassante pour l’empereur. Pénétrer plus avant en France, il n’y fallait pas songer; attaquer Arles ou Marseille, c’était s’exposer à un échec certain, car ces deux villes avaient de fortes garnisons, elles étaient bien munies de provisions de guerre et de bouche, elles étaient défendues par des ouvrages solides. D’autre part l’hiver s’approchait; les vivres étaient de plus en plus rares; pendant des jours entiers l’armée manquait de pain et de viande; quand les soldats découvraient du blé dans quelque cachette de paysan, ils étaient réduits à le piler eux-mêmes pour en faire de la farine, tous les moulins ayant été détruits; la mortalité était grande dans le camp[84]. Toutes ces circonstances déterminèrent l’empereur à reprendre le chemin de l’Italie : le 12 septembre, il commença son mouvement de retraite; le 25 il repassa le Var dans le même endroit où il l’avait franchi deux mois auparavant, mais cette fois c’était avec une armée découragée et considérablement réduite par les maladies et la misère. Aux Pays-Bas la campagne, qui avait commencé sous d’heureux auspices, ne s’était pas terminée aussi bien : après s’être emparés de Bray-sur-Somme, de Guise, de Bohain, les comtes de Nassau et du Rœulx avaient échoué devant Saint-Quentin et Péronne.

Charles, ayant mis garnison à Nice et distribué ses troupes dans les places du Piémont et de la Lombardie, prit le chemin de Gênes. Là, le 3 novembre, il prononça sur les prétentions à la succession du Monferrat que formaient plusieurs princes ses alliés; ce fut Frédéric de Gonzaga, duc de Mantoue, qu’il appela à la recueillir. Il nomma le marquis del Vasto capitaine général du Milanais en remplacement d’Antonio de Leyva, qui était mort à Aix le 10 septembre. Le 15 novembre il monta sur les galères d’Andrea Doria; après trois semaines de navigation, il arriva à Barcelone. L’impératrice l’attendait à Valladolid ; il alla l’y joindre. Il tint en cette ville les cortès de Castille, auxquelles il demanda un service extraordinaire; les procuradores, de leur côté, lui firent différentes demandes, dont la première était qu’il ne quittât plus l’Espagne et n’exposât plus sa personne à tant de risques et de périls qu’il l’avait fait jusque-là. Il convoqua ensuite les cortès générales des royaumes d’Aragon, de Valence et de Catalogne, qu’il ouvrit à Monzon, le 13 août 1537. Cette fois, dit un historien espagnol, les représentants des trois royaumes firent preuve de déférence et même de générosité envers leur souverain : l’Aragon lui accorda deux cent mille livres, Valence cent mille et la Catalogne trois cent mille[85].

Les désastres de l’armée impériale en Provence avaient inspiré à François Ier l’envie d’humilier son rival. Le 15 janvier 1537 il se rendit en grande pompe au parlement. L'avocat du roi, Jacques Cappel, prononça un plaidoyer où il s’efforça d’établir que l’empereur, vassal de la couronne pour la Flandre et l’Artois, s’était rendu coupable de félonie en faisant la guerre à son seigneur suzerain, et que les terres qu’il tenait en fief devaient en conséquence être confisquées sur lui. Le chancelier, ayant recueilli les voix, déclara que l’empereur serait cité à comparaître par un seul édit péremptoire, et que, par provision, tous ses vassaux et sujets, dans les terres qui d’ancienneté dépendaient de la couronne, seraient déliés de leur serment de fidélité. Après que le roi, par les traités de Madrid et de Cambrai, avait formellement renoncé à ses droits de souveraineté et de ressort sur l’Artois et la Flandre, c’était là assurément une démonstration non moins ridicule que vaine. Aussi François, qui n’en attendait aucun résultat, rassembla-t-il une armée considérable avec l’intention de porter la guerre dans ces provinces. Le 16 mars il entra dans l’Artois; il attaqua Hesdin, qui se rendit après une résistance vigoureuse; il prit Saint-Pol, Saint-Venant et d’autres places de peu d’importance. Là s’arrêtèrent ses conquêtes. Dès le 3 mai il fit mettre le feu à tous les endroits qu’il occupait, Hesdin et Saint-Pol exceptés, et licencia son armée. Les généraux belges reprirent alors Saint-Pol, et s’emparèrent de Montreuil. Dans le Piémont les armées françaises avaient d’abord subi des revers, mais elles venaient de forcer le Pas-de-Suse, et François se disposait à franchir les Alpes, où il avait été précédé du dauphin et du connétable de Montmorency.

Depuis que la guerre s’était rallumée entre Charles-Quint et François Ier, le pape, par ses légats auprès de ces deux monarques, n’avait cessé de faire tous ses efforts afin de les réconcilier. Les reines de France et de Hongrie avaient agi avec chaleur dans le même but. Grâce à leur influence, une trêve de dix mois fut signée à Bomy, près de Térouane, le 30 juillet 1537, pour les Pays-Bas et la Picardie, et une autre trève de trois mois pour l’Italie à Monzon, le 16 novembre, laquelle, prolongée jusqu’au 1er juin 1538, fut rendue universelle par terre et par mer. Paul III, désirant que ces trèves aboutissent à une paix définitive, offrit à l’empereur et au roi de se transporter, malgré son grand âge, partout où il leur conviendrait de se réunir, et de remplir entre eux l’office de médiateur; il leur proposa Nice, qu’ils acceptèrent. Le 25 avril 1538 Charles s’embarqua à Barcelone sur les galères d’Andrea Doria; il aborda à Villefranche le 9 mai. Paul III arriva à Nice le 17; il prit son logement dans un monastère de Saint-François hors des murs. François Ier n’arriva que le 31[86]; il s’établit à Villeneuve, à une petite distance de la ville. Aussitôt que l’empereur et le roi eurent visité le souverain pontife, les conférences et les négociations commencèrent. Chacun des deux souverains rivaux témoignait les meilleures dispositions à conclure la paix[87]; toutefois telle était leur défiance mutuelle que, dès qu’il s’agissait d’en arrêter les bases, il n’y avait plus moyen de les mettre d’accord. Le duché de Milan était toujours la grande difficulté. L’empereur consentait à en investir le duc d’Angoulême, devenu duc d’Orléans depuis la mort du dauphin (10 août 1536); mais il ne voulait le remettre entre ses mains que dans trois années, lorsqu’il pourrait épouser la deuxième fille du roi Ferdinand et en prendre possession avec elle, ou bien il proposait de le donner en garde à Ferdinand, en le faisant gouverner, pendant neuf années, sous le nom du duc d’Orléans, par un cardinal que choisirait le pape : en l’un et en l’autre cas, il demandait que le roi restituât de suite la Savoie et Hesdin; qu’il se déclarât contre le Turc; qu’il facilitât la réunion du concile; qu’iln renonçât à ses liaisons avec les princes protestants d’Allemagne et le roi d’Angleterre. François, de son côté, était content d’attendre, pendant trois ans, la remise du Milanais : mais il entendait ne rien restituer, ni prendre d’engagement, ni abandonner ses alliés en aucune manière, jusqu’au moment où cette remise serait effectuée par l’empereur[88]. Ce dissentiment fit que, de part et d’autre, on renonça à conclure la paix, et que les deux princes signèrent, le 18 juin, une trève de dix ans, aux termes de laquelle ils restèrent en possession de tous les lieux qu’ils occupaient respectivement[89].

L’empereur et le pape partirent pour Gênes le 20 juin; ils y passèrent ensemble plusieurs jours pendant lesquels ils eurent de longues conférences sur les affaires publiques de la chrétienté. Le pontife, au milieu de ces graves occupations, n’oubliait pas les intérêts de sa famille. Le duc de Florence, Alexandre de Médicis, était mort le 6 janvier de l’année précédente, assassiné par un de ses parents : Paul III sollicita de l’empereur la main de la duchesse veuve pour son petit-fils, Octave Farnèse. Charles la lui accorda sans consulter Marguerite et contre le gré de cette princesse, peu flattée qu’on lui donnât un mari qui n’était qu’un enfant, car Octave Farnèse ne comptait pas encore treize ans accomplis.

Le 4 juillet Charles se rembarqua. A Nice lui et François Ier ne s’étaient pas vus; chacun d’eux avait négocié séparément avec le pape, et bien des personnes en avaient conjecturé que leur réconciliation n’était pas sincère. Cette présomption n’était cependant rien moins que fondée; une fois la trève conclue, il avait été convenu entre les deux souverains qu’ils auraient une entrevue près de Marseille, lorsque l’empereur retournerait en Espagne[90]. Arrivé à la hauteur de Nice, Charles rencontra deux galères de France sur l’une desquelles venait le seigneur de Vély, Claude Dodieu, ancien ambassadeur du roi à sa cour; ce personnage était chargé de l’informer que le roi, la reine et les princes avaient dû quitter Marseille, et de lui proposer Aigues-Mortes pour lieu de l’entrevue : proposition qu’il accepta sans difficulté. Après une navigation qui ne fut pas sans danger, Charles mouilla au port d’Aigues-Mortes le dimanche 14 juillet. Il y était à peine que le connétable de Montmorency et le cardinal de Lorraine vinrent lui annoncer la visite de leur souverain : aussitôt il envoya au roi, pour le complimenter, le duc d’Albe, le grand commandeur Covos et le seigneur de Granvelle; mais déjà François était à l’entrée du port. On raconte que l’empereur donna la main au roi, pour l’aider à monter à son bord, et que le roi lui dit en l’embrassant : « Mon frère, me voici de nouveau votre prisonnier[91]. » Ces deux princes qui naguère étaient des ennemis jurés, qui s’étaient accusés mutuellement, en face de l’Europe, d’avoir manqué à leur parole, qui s’étaient donné tour à tour un démenti formel et s’étaient défilés en combat singulier, échangèrent, pendant deux heures, les paroles les plus affectueuses et les témoignages la plus vifs d’amitié et de sympathie. François désirait beaucoup que l’empereur descendit à terre; il ne l’en pressa pas toutefois, se bornant à lui dire qu’il ferait plaisir en cela à la reine et aux princesses. Charles hésita d’abord : mais la confiance que le roi venait de lui témoigner, la mortification que ce monarque aurait ressentie, si, de son côté il n’y correspondait pas, les sollicitations de la reine Éléonore, le déterminèrent, et le lendemain matin il se dirigea, en un petit bateau, vers la ville. Il trouva hors de la porte d’Aigues-Mortes le roi, la reine, le dauphin, le duc d’Orléans et tous les seigneurs et dames de la cour qui l’attendaient et lui firent la réception la plus empressée et la plus cordiale. Conduit au logis du roi, il y passa la journée, la nuit et la plus grande partie du jour suivant. Il eut avec François plusieurs entretiens particuliers dans lesquels ils protestèrent de nouveau qu’ils voulaient être et demeurer toujours vrais bons frères, amis et alliés; ne rien croire, provoquer ni faire qui fût au désavantage l’un de l’autre; procurer leur honneur et leur bien respectif; se communiquer pleinement et ouvertement tout ce qui ponvait les intéresser; aviser enfin, de commun accord et en toute sincérité, aux mesures qu’exigeait l’état de la république chrétienne. Leurs ministres, pendant ce temps, conféraient sur les affaires publiques : le langage du connétable et du cardinal de Lorraine ne permettait pas de douter que le roi n’usât de tous ses moyens d’influence pour réduire les protestants d’Allemagne, et qu’il ne prît une part active à la guerre contre le Turc, dès que la trève qu’il avait avec Soliman scerait expirée. Le 16, dans l’après-midi, le roi et les princes reconduisirent l’empereur jusqu’à sa galère, où ils passèrent encore une heure avec lui. A minuit Charles leva l’ancre; mais le mauvais temps le força le matin de rentrer au port, et il ne mit définitivement à la voile que le 17 dans la soirée[92]. En Espagne, en France, en Italie, aux Pays-Bas, la trève de Nice et l’entrevue d’Aigues-Mortes donnèrent lieu à de grandes démonstrations d’allégresse. Après tant de calamités, fruits de guerres incessantes, les peuples se flattaient qu’ils allaient jouir enfin de longues années de paix et de prospérité. On verra bientôt qu’ils si confiaient trop dans la sagesse des princes qui disposaient de leurs destinées.

De retour à Barcelone le 18 juillet, Charles en partit le 26 pour Valladolid, où était l’impératrice. Il avait convoqué à Tolède les cortès générales de Castille; il s’y rendit au mois d’octobre. Ces cortès sont célèbres dans l’histoire d’Espagne par les discussions dont nous parlerons tout à l’heure, mais surtout par cette circonstance que ce furent les dernières auxquelles intervinrent les trois états du royaume, le clergé, la noblesse et les procuradores des villes. L’ouverture s’en fit le 1er novembre 1538. Il fut donné lecture à l’assemblée d’un long exposé des guerres que l’empereur avait eu à soutenir contre sa volonté, des dépenses extraordinaires qu’elles avaient entraînées, et de l’impossibilité où il se trouverait de faire face aux besoins de la monarchie, si les représentants de la nation ne lui en donnaient le moyen : il demandait que les cortès autorisassent la levée d’un impôt sur les objets de consommation (sisa), comme étant celui qui procurerait le plus de ressources au trésor sans être onéreux au peuple. L’état ecclésiastique vota cet impôt, à condition qu’il ne fût perçu que pendant un certain temps, qu’il fût modéré et qu’on restreignît autant que possible le nombre des objets qui y seraient soumis. L’ordre de la noblesse ne suivit pas cet exemple; il se montra, au contraire, presque unanimement opposé à la demande de l’empereur. Le connétable de Castille, don Iñigo Fernandez de Velasco, le même qui avait combattu et défait les comuneros à Villalar, était principalement celui qui n’en voulait pas entendre parler. Après beaucoup de débats entre les ministres et les commissaires nommés par l’état noble, Charles, voyant qu’il ne pouvait vaincre la résistance de celui-ci, se décida à dissoudre les cortès (1er février 1539); il s’adressa aux villes en particulier, afin qu’elles le secourussent. A partir de cette époque, les grands et les gentilshommes de Castille ne furent plus convoqués aux assemblées nationales, sous le prétexte que ceux qui étaient exempts des impôts ne pouvaient être appelés à les voter.

Sandoval rapporte que, quelque temps après la session des cortès, l’empereur, étant allé à la chasse au Pardo, près de Madrid, et s’étant égaré, rencontra un vieux laboureur avec lequel il entra en conversation. Comme il voulut savoir combien de rois l’homme des champs avait connus, celui-ci lui répondit qu’il en avait connu cinq, Jean II, Henri, Ferdinand, Philippe et le roi régnant Charles. L’empereur lui ayant demandé quel avait été le meilleur et le plus mauvais de ces rois : « Pour le meilleur, — repartit le vieillard — il n’y a aucun doute; ç’a été le roi Ferdinand qu’avec raison on a nommé le Catholique. Quant au plus mauvais, par ma foi, celui que nous avons maintenant est très-mauvais : il ne nous laisse pas tranquilles; il ne l’est pas lui-même, allant tantôt en Italie, tantôt en Allemagne, tantôt aux Pays-Bas, abandonnant sa femme et ses enfants et emportant tout l’argent de ces royaumes : si encore les revenus qu’il en tire et les trésors des Indes lui suffisaient! mais il ne s’en contente pas et il impose des tributs qui ruinent les pauvres laboureurs. Plût à Dieu qu’il fût seulement roi d’Espagne! » Charles, loin de se fâcher de la liberté de ce langage, fit observer à son interlocuteur que l’empereur était obligé de défendre la chrétienté contre ses ennemis, ce qui entraînait des dépensée excessives, lesquelles ne pouvaient être couvertes par les revenus ordinaires du royaume; il ajouta que l’empereur était très-attaché à sa femme et à ses enfants; que, s’il les quittait, c’était bien à regret et parce qu’il y était forcé. En ce moment des personnes de sa suite, qui le cherchaient, s’approchèrent. Le laboureur, voyant le respect qu’elles lui témoignaient toutes, dit à l’empereur : « Seriez-vous le roi? Pour Dieu, si je l’avais su, je vous en aurais dit bien d’autres. » Charles, riant, le remercia de la franchise avec laquelle il lui avait parlé, et le pria d’accepter les raisons qu’il lui avait données pour sa décharge. Ils ne se séparèrent pas sans que le vieillard reçût des marques de la libéralité du prince sut lequel il avait porté un jugement si sévère[93].

Le 21 avril 1539, à Tolède, l’impératrice mit au monde, avant terme, un enfant qui mourut aussitôt après[94]. Sa grossesse avait été accompagnée de beaucoup d’incommodités, et son accouchement très-laborieux : les médecins toutefois ne concevaient aucune inquiétude. Mais, le troisième jour de sa délivrance, la fièvre lui prit; elle se compliqua d’un catarrhe, et le 1er mai Isabelle expira[95] : elle n’avait que trente-huit ans, un an de moins que son époux. La douleur qu’une perte aussi cruelle et aussi imprévue causa à Charles-Quint ne se pourrait exprimer[96] : il aimait tendrement l’impératrice; il avait trouvé en elle une compagne digne de lui; jamais leur union n’avait été troublée par le plus léger nuage. La nation tout entière s’associa au deuil de son souverain : Isabelle s’était fait également aimer et des grands et du peuple; durant les absences de l’empereur, elle avait gouverné l’Espagne avec autant de sagesse que de sollicitude. Charles se retira au monastère de la Sisla, de l’ordre de Saint-Jérôme, près de Tolède, où il passa deux mois. Dans les cours de l’Europe on supposa gratuitement qu’il serait disposé à se remarier : les seigneurs de Brissac et de Lordres, qui vinrent lui présenter les compliments de condoléances de François Ier et de la reine Éléonore, et le cardinal Farnèse, que Paul III chargea de la même mission, mirent en avant, auprès de ses ministres, une alliance avec la princesse Marguerite, fille du roi. Il refusa de prêter l’oreille à cette proposition[97]. Toute sa vie il conserva dans son cœur la mémoire de l’impératrice. Chaque année, en quelque lieu qu’il se trouvât, il faisait célébrer un service pour elle le jour anniversaire de sa mort, et ne manquait jamais d’y assister.

Tandis que ces choses se passaient en Espagne, aux Pays-Bas le gouvernement de l’empereur était dans de grands embarras. Lorsque, au mois de mars 1537, François Ier avait envahi l’Artois, la reine Marie avait assemblé les états généraux, pour leur demander une aide de douze cent mille florins destinée à la levée et à l’entretien, pendant six mois, d’une armee de trente mille hommes. Toutes les provinces avaient voté cette aide avec un empressement patriotique; seulement, en Flandre, le vote n’avait pas été unanime de la part des quatre membres qui formaient la représentation provinciale : Bruges, Ypres et le Franc avaient consenti; mais Gand avait répondu qu’il était prêt à fournir un secours en hommes, si l’empereur en avait absolument besoin, « selon l’ancien transport et ancienne coutume de faire, » et autrement point, « considéré le mauvais temps, petite négociation et gagnage et les précédentes aides encore courantes. » La reine, ayant reçu cette réponse, avait ordonné que l’aide fut levée au quartier de Gand[98] comme dans les autres, par le motif qu’elle avait été réclamée et accordée pour la défense du pays; que, « selon le droit écrit et la raison naturelle, » l’accord de trois membres devait être réputé pour accord général et universel; qu’il obligeait toute la province; qu’il en avait été usé ainsi de tout temps, et notamment en 1525 et 1535.

Les échevins et deux doyens de Gand se plaignirent; ils invoquèrent leurs priviléges : ils demandèrent qu’il fût sursis à la levée de l’aide, et que les contribuables mis en prison pour refus de la payer fussent élargis. La reine leur offrit le recours à la justice; elle leur laissait l’option entre le conseil privé et le grand conseil de Malines : ce dernier était le tribunal souverain et le juge en dernier ressort de la Flandre. Les Gantois voulaient, avant tout, que la reine cédât à leur double demande : la reine s’y étant refusée, le 31 décembre 1537, par acte fait devant notaire, ils appelèrent de son refus à la personne même de l’empereur. Charles, que sa sœur avait tenu au courant de tous les incidents de cet te affaire, leur écrivit, de Barcelone, le 31 janvier, une tongue lettre : il y témoignait son étonnement qu’ils n’eussent pas accepté la voie de justice que la reine leur avait offerte et de laquelle tous bons et loyaux sujets se devaient contenter; il s’émerveillait qu’ils prétendissent non-seulement s’exempter du paiement de l’aide, mais encore empêcher que les habitants de leur quartier ne la payassent, comme si ceux-ci étaient leurs sujets et non les siens, et ne lui pouvaient rien donner ou accorder sans leur aveu ou consentement. « Nous avions — ajoutait-il — toujours eu cette opinion et espoir de vous que, durant notre absence, vous vous employeriez plus à nous aider, assister et servir que nuls autres, à cause que sommes gantois et avons pris naissance en notre ville de Gand. » Il les requérait enfin de vouloir, « à sa contemplation, » consentir la levée de l’aide dans leur quartier : s’ils continuaient à s’y montrer opposés, il leur ordonnait, sous peine d’encourir son indignation, de relever leur appel devant le grand conseil, n’entendant pas, lui, en prendre connaissance hors du pays, et le temps où il y pourrait revenir étant incertain. Cette lettre, qui leur fat remise au mois de mars, produisit sur eux une médiocre impression. Ils ne tinrent également pas de compte d’un mandement de l’empereur que le conseiller d’État Schore, revenant d’Espagne, leur insinua le 25 avril, et qui enjoignait à tous contribuables du quartier de Gand d’acquitter leur quote-part dans l’aide : à défaut de quoi ils y seraient contraints.

Au mois de mai 1538, la reine, ayant à solliciter une nouvelle aide des membres de Flandre, ainsi qu’elle l’avait fait des autres provinces, pour la solde des gens de guerre et l’entretien des places fortes, ordonna l’élargissement provisoire des personnes qui s’étaient laissé emprisonner plutôt que de payer la somme à laquelle elles étaient taxées. Cette mesure ne produisit pas le fruit qu’elle s’en promettait : Gand accueillit sa demande par un refus unanime; Ypres ne montra pas une meilleure volonté; Bruges et le Franc étaient dans des dispositions plus favorables, mais ils n’osaient les manifester de crainte de mécontenter le peuple[99]. La reine, voyant cela, fit recommencer les poursuites pour la perception de l’aide de 1537. Les Gantois réclamèrent de nouveau et avec une grande vivacité; elle leur répondit, comme précédemment, que, s’ils se croyaient lésés, ils n’avaient qu’à s’adresser à la justice. La plupart des villes et des villages du quartier de Gand finirent par payer la contribution; mais il n’en fut pas de même de la châtellenie du Vieux-Bourg qui était contiguë au territoire de la ville : là les Gantois ne permettaient pas aux huissiers d’exécuter les contribuables.

Les choses étaient en cet état lorsque, le 7 juillet 1539, le magistrat assembla la collace[100]. Les provinces de Brabant, de Hainaut et d’Artois avaient résolu d’envoyer une ambassade à l’empereur, pour lui présenter des compliments de condoléances sur la mort de l’impératrice : le magistrat proposa à la collace d’adjoindre à cette ambassade des députes de la Flandre; il lui fit, de plus, suivant la coutume, la proposition de mettre en ferme, pour l’année commençant au 15 août, les impôts et accises de la ville. Les trois membres dont était composé le corps représentatif de la commune se prononcèrent contre l’envoi de députés en Espagne ; le premier seul consentit à la mise en ferme des impôts : les deux autres voulaient que la perception en fût suspendue tant que la reine n’aurait pas fait droit à leurs prétentions ; ils disaient ouvertement qu’ils ne voteraient plus de subside quelconque qui leur serait demandé par l’empereur ou en son nom[101]. Quelque temps après, le magistrat, à la réquisition des métiers, fit extraire du secret de la ville[102] et lire publiquement tous les priviléges. On avait fait accroire au peuple qu’il en existait un, appelé l’Achat de Flandre, en vertu duquel aucune aide ne pouvait être levée dans la province sans le consentement des Gantois ; on ne le trouva point ; il n’en existait pas même la moindre trace dans les inventaires des archives.

Le 15 août, les commissaires de la reine renouvelèrent la loi en la manière accoutumée. Il était d’usage que, aussitôt après ce renouvellement, chaque métier élût et présentât au grand bailli et aux échevins trois personnes entre lesquelles ils choisissaient le doyen qui allait entrer en fonctions : les métiers déclarèrent qu’ils ne procéderaient à l’élection de leurs doyens qu’après qu’on aurait fait cesser la perception de tous les impôts dans la ville et constitué prisonniers les magistrats qui avaient été en charge du 15 août 1536 au 15 août 1537 : ils accusaient surtout ceux qui avaient rapporté à la reine, en des termes inexacts suivant eux, la résolution de la collace sur l’aide des quatre cent mille florins[103], et ceux qui seraient allés clandestinement au secret de la ville, pour en emporter plusieurs priviléges, au nombre desquels était le fameux Achat de Flandre. Les échevins se virent obligés de céder à leurs exigences ; ils firent prendre Liévin Pien et Jean van Waesberge : le premier avait été grand doyen en 1537, et le second échevin ; la plupart des autres magistrats avaient eu le temps de s’enfuir. Pien, après avoir été, à plusieurs reprises, sur la réquisition impérative des métiers, mis à la torture de la manière la plus barbare, fut décapité le 28 août ; il fallut le porter sur une chaise au lieu de l’exécution, tant son corps était brisé par les tourments qu’on lui avait fait souffrir. Les échevins, qui étaient convaincus de son innocence, le condamnèrent, pour ne pas s’exposer à la fureur du peuple ; il mourut courageusement en leur reprochant leur pusillanimité.

Les exigences des métiers augmentaient avec les concessions qui leur étaient faites. Le 11 avril 1515, quelques jours après son inauguration comme comte de Flandre, Charles, par un acte signé de sa main, avait ordonné qu’à l’avenir le grand bailli, les échevins, les doyens et tous les officiers de la ville de Gand feraient serment, avant d’entrer en fonctions, d’observer la paix de Cadsant[104]; cet acte, sur son commandement exprès, avait été déposé au secret de la ville et enregistré dans le livre aux priviléges. Les métiers demandèrent que le calfvel (c’est ainsi qu’ils l’appelaient, parce qu’il était écrit sur parchemin) fût déchiré ou brûlé. En vain le grand bailli et les échevins leur représentèrent qu’anéantir un acte portant la signature de l’empereur, ce serait outrager l’empereur lui-même et encourir son indignation ; en vain ils leur offrirent de mettre le calfvel dans un coffre à trois clefs dont chacun des membres de la ville aurait une, et d’en tenir l’observation en surséance jusqu’à la venue de l’empereur : ces raisons ne les touchèrent point, et force fut au magistrat de se soumettre à leur volonté. Le 2 septembre, l’acte de 1515, ayant été apporté sur le bureau des échevins, à l’hôtel-de-ville, en présence de toute la loi, des métiers et d’une multitude de peuple, fut coupé en plusieurs morceaux[105], lesquels on jeta à la foule, qui les déchira en plus fde mille pièces. On déchira de même le feuillet du livre aux priviléges sur lequel l’acte était transcrit.

La reine était partie, au mois de juillet, pour les provinces du nord; à la nouvelle de ce qui se passait à Gand, elle se hâta d’en revenir. Arrivée à Malines le 7 septembre, elle y appela, pour les consulter sur la conduite qu’elle avait à tenir dans les conjonctures difficiles où elle se trouvait, les principaux seigneurs des Pays-Bas, ainsi que les députés de Bruges, d’Ypres et du Franc; ces derniers s’excusèrent de lui donner leur avis, de crainte de se coin promettre envers les Gantois. Ceux-ci, cependant, s’enhardissant de plus en plus, prétendirent que les échevins de la keure nommés le 15 août fussent destitués; que les sergents du grand bailli, qui tenaient leurs commissions du gouvernement, fussent remplacés par d’autres; que les membres du magistrat et tous les officiers de la ville prêtassent un nouveau serment dont ils dictèrent la formule. Ils firent emprisonner, sous des prétextes frivoles, plusieurs bourgeois qui avaient rempli l’office de trésorier. Les émigrations étaient devenues nombreuses : ils intimèrent aux absents l’injonction de rentrer dans leur domicile, sous peine de confiscation de leurs biens; ils firent afficher aux portes des villes, dans toute la Flandre, les noms des fugitifs, avec promesse de six cents carolus pour chacun de ceux qui leur seraient délivrés vivants. Ils ordonnèrent la construction de nouveaux ouvrages de fortification et la mise en état de l’artillerie, des tentes et des pavillons de la ville, contraignant les maisons religieuses à leur donner de grosses sommes pour couvrir ces dépenses. Ils firent faire le dénombrement des habitants, qu’ils répartirent en connétables commandées par des chefs dévoués à la cause populaire.

Déjà l’esprit de sédition s’était propagé dans d’autres parties de la Flandre, dans celles surtout qui formaient le quartier de Gand. A Alost les habitants, s’étant assemblés en armes, avaient réclamé la lecture des priviléges[106]. A Courtrai les gens de métiers ne s’étaient pas bornés à cette demande, mais ils avaient fait emprisonner plusieurs bourgeois qui leur déplaisaient et exigé l’abolition de certains impôts. Une grande fermentation régnait à Audenarde. La régente était impuissante à réprimer ces désordres; elle n’avait à sa disposition ni troupes ni les moyens d’en lever. Elle ne pouvait cependant se résoudre à céder aux dernières prétentions des Gantois : révoquer sans cause des magistrats légalement institués au nom de l’empereur, et admettre une formule de serment qui renfermait une abrogation implicite de la paix de Cadsant, c’était à ses yeux des actes de la plus mauvaise conséquence. De l’avis des ministres et des seigneurs qui étaient auprès d’elle, elle envoya à Gand Adolphe de Bourgogne, seigneur de Beveren, chevalier de la Toison d’or, amiral de la mer, et le président du grand conseil, Lambert de Bryarde. Ces deux personnages y étaient bien vus; elle espérait que, par leur influence, ils amèneraient les métiers à reconnaître ce que leurs demandes avaient d’exorbitant. Elle ne tarda pas à apprendre qu’elle s’était abusée : la commune voulait absolument la destitution des échevins de la keure et le nouveau serment; rien n’eût été capable de l’y faire renoncer. La régente fut obligée de céder sur l’un et l’autre point; mais elle le fit en protestant, par acte authentique[107], qu’elle agissait comme contrainte et forcée, et qu’elle tenait pour nulle et de nulle valeur la commission à laquelle elle allait apposer sa signature (26 septembre 1539).

Après la nomination de nouveaux échevins et qu’ils eurent prêté serment dans la forme imposée par les métiers, les commissaires de la reine requirent ceux-ci, puisqu’il avait été satisfait à leurs demandes, de ne plus s’immiscer dans l’administration de la justice, de se retirer de leurs chambres, où ils étaient en armes depuis plusieurs semaines, et de reprendre leurs travaux habituels. Loin de déférer à cette réquisition, les métiers exigèrent qu’il fût procédé contre les échevins des parchons de 1537 par appréhension de leurs personnes, comme il l’avait été contre les échevins de la keure; ils déchirèrent qu’à l’avenir ils ne présenteraient plus de candidats au collége échevinal pour le choix de leurs doyens, mais qu’ils les choisiraient eux-mêmes. La reine avait mis quelques gens de guerre au château de Gavre appartenant à la comtesse d’Egmont; les Gantois lui écrivirent pour qu’elle les rappelât, ainsi que tous ceux qui occupaient des châteaux ou des forts au quartier de Gand; ils réclamèrent le renvoi des fugitifs de leur ville qui étaient auprès d’elle. Le ton de leurs lettres était arrogant; ils y affectaient, en parlant de l’empereur, de ne le traiter que de leur seigneur naturel, au lieu de l’appeler leur souverain seigneur, comme le faisaient les autres corps politiques des Pays-Bas. Ils proposèrent aux villes de Bruges, d’Ypres, d’Audenarde, de Courtrai, d’Alost, de Termonde, de se confédérer avec eux; ils leur demandèrent, si le gouvernement leur envoyait des troupes, de ne pas les recevoir; ils résolurent qu’à celles qui viendraient au plat pays on se mettrait en mesure de résister par le son de la cloche; ils députèrent des commis pour prendre le commandement des forteresses de leur quartier; ils sommèrent le capitaine du château de Rupelmonde de leur en donner l’entrée; ils résolurent de munir d’artillerie les portes, tours et murailles de la ville; ils tirent faire des ponts-levis; ils commandèrent aux baillis, mayeurs, écoutètes, de clore tous les passages. Entre ces actes et une rébellion ouverte il n’y avait guère de différence[108]. Le narrateur anonyme des troubles, qui était sur les lieux, assure que les chefs du mouvement voulaient faire de Gand « une ville de commune et non subjecte à nul prince ne seigneur, comme il y en avoit plusieurs ès Allemagnes, Ytalie et ailleurs »; il ajoute que les Gantois « cuidoient qu’il n’y eût prince, tant feust puissant, qu’il les eust sceu vaincre et mectre en obéissance[109]. »

Depuis que le différend avec les Gantois avait pris un caractère inquiétant, la reine avait, à diverses reprises et en des termes pressants[110], écrit à son frère, pour le supplier de venir aux Pays-Bas; elle ne voyait que dans sa présence le remède à la situation périlleuse où elle était; lui seul pouvait imposer aux séditieux, réprimer leur audace et rétablir l’autorité du gouvernement et des lois. Charles en était convaincu autant qu’elle même. Mais s’éloigner de l’Espagne lorsqu’il y avait à peine quelques mois qu’il y était de retour, ne lui était pas chose facile : les Castillans se plaignaient, en toute occasion, qu’il résidât si peu dans les royaumes d’où il tirait sa principale puissance; les observations qui lui avaient été faites à ce sujet aux dernières cortès de Valladolid avaient été renouvelées aux cortès de Tolède; il avait à craindre aussi que son éloignement de la Péninsule n’encourageât Barberousse, qui venait de reprendre Castel-Novo[111], à poursuivre ses entreprises dans la Méditerranée[112]. Il n’hésita plus en apprenant les événements des derniers jours d’août et du commencement de septembre. Afin d’arriver bientôt aux Pays-Bas, il résolut, malgré les remontrances de la plupart de ses ministres espagnols[113], de passer par la France : le roi lui avait fait témoigner le plaisir qu’il aurait à l’y recevoir et l’y accompagner[114].

Les Gantois ne crurent pas d’abord à ce voyage de l’empereur; ils étaient persuadés que les armements du Turc, qui menaçaient ses États d’Espagne et d’Italie, les difficultés que lui suscitaient les luthériens en Allemagne, et les affaires intérieures de ses royaumes, ne lui permettraient point de veniraux Pays-Bas. Dans cette persuasion, loin de songer à entrer en arrangement avec la reine, ils insistèrent pour qu’elle leur délivrât ceux de leurs concitoyens qui avaient cherché un refuge auprès d’elle; ils continuèrent de s’opposer à la levée, dans le quartier de Gand, de l’aide de quatre cent mille florins, déclarant qu’ils y résisteraient même par la force, prescrivant aux gens de loi des villages d’appréhender et de remettre entre leurs mains ceux qui tenteraient de les exécuter pour le payement de leur quote-part; ils firent prendre et amener dans leurs prisons deux hauts-pointres de la châtellenie de Courtrai auxquels on ne reprochait autre chose que d’avoir procédé à la répartition de l’aide dans cette châtellenie. L’arrivée à Gand, le 30 octobre, du comte du Rœulx, venant directement d’Espagne, les remontrances qu’il leur adressa en vertu de lettres de créance et d’instructions signées de la main de l’empereur, commencèrent à leur ouvrir les yeux. Ils consentirent alors à laisser la justice suivre son cours; ils autorisèrent le rétablissement de certains impôts; ils souffrirent que les échevins relaxassent tous ceux qui avaient été mis en prison pour cause de la réponse donnée à la reine en 1537[115]. Quand il ne leur resta plus de doute sur la venue de l’empereur, ils nommèrent douze députés, quatre de chacun des membres de la ville, chargés d’aller au-devant de lui, de le complimenter et de justifier leur conduite.

François Ier, informé de l’intention de Charles-Quint de traverser la France, s’était empressé de l’engager à y donner suite, l’assurant, en foi de prince, qu’il lui serait fait, dans son royaume, le même honneur, le même traitement qu’on ferait à sa propre personne[116]. Le connétable de Montmorency et le cardinal de Lorraine avaient joint leurs instances à celles de leur maître[117]. Le dauphin, à son tour, s’était associé au vœu et aux assurances du roi : il avait ajouté qu’il entretiendrait et observerait à jamais tout ce que son père aurait promis et accorée à l’empereur[118]. Des engagements aussi formels, si l’empereur avait eu quelque défiance, ne l’auraient pas laissé subsister dans son esprit, car, en les violant, François Ier se serait déshonoré aux yeux du monde entier. Charles fait donc ses dispositions de départ. Il commet au gouvernement de la Castille le cardinal archevêque de Tolède, don Juan de Tavera, et le grand commandeur Francisco de los Covos. Il nomme le comte de Morata, le duc de Calabre, le marquis de Lombay, D. Diego Hurtado de Mendoza, vice-rois respectivement d’Aragon, de Valence, de Catalogne et de Navarre. Par un codicille et une instruction qu’il laisse au prince son fils[119], il lui fait connaître ses vues sur les alliances matrimoniales à contracter entre les maisons d’Autriche et de France; il recommande particulièrement au prince, au cas que Dieu dispose de lui, ses pays d’embas et de Bourgogne, « ayant si bien et léalement toujours servi et tant souffert par les guerres passées et sa longue absence d’iceux; » il l’exhorte « à toujours préférer leur bien et contentement raisonnable au sien particulier. » Le 11 novembre il quitte Madrid. Il va visiter, en passant, la reine sa mère à Tordesillas. Le 21, à Valladolid, il prend la poste avec une suite peu nombreuse[120]. Entre Saint-Sébastien et Fontarabie il rencontre le duc d’Orléans; il trouve à Bayonne le dauphin, le connétable, le cardinal de Châtillon et plusieurs princes et seigneurs français. Le 1er décembre il couche à Bordeaux. Le roi et la reine l’attendaient à Loches avec une cour brillante; il y arrive le 12; il est accueilli par son beau-frère et par sa sœur de la manière la plus affectueuse. Le lendemain ils se mettent en chemin tous ensemble. Ils couchent au château de Chenonceaux le 13, à Amboise le 14, à Blois le 17, à Orléans le 20, le 24 à Fontainebleau, où de grandes chasses avaient été préparées : on savait que c’était le plaisir favori de l’empereur. Ils partent de Fontainebleau le 30. Le jour suivant Charles s’arrête au bois de Vincennes; il fait son entrée à Paris le 1er janvier 1540.

Les Parisiens étaient très-curieux de connaître le puissant empereur, le conquéant de Tunis, le monarque qui avait tenu leur roi captif : l’impression qu’il produisit sur eux répondit à l’idée qu’ils s’étaient faite de lui, et ils manifestèrent, par des démonstrations non équivoques, la joie qu’ils éprouvaient de voir réunis deux souverains dont l’inimitié avait coûté à la France tant de sang et de trésors. Charles passa six jours à Paris pendant lesquels le roi, la reine, les princes et toute la cour, rivalisant de prévenance pour sa personne, s’efforcèrent de lui procurer des distractions qui lui laissassent de son séjour dans cette capitale un souvenir agréable[121]. Le 7 il se remit en route. Il aurait souhaité faire ses adieux au roi à Paris même; il aurait ainsi achevé plus rapidement, son voyage[122] : mais François voulut le conduire jusqu’aux frontières de son royaume, et ce fut seulement à Saint-Quentin, le 20 janvier, qu’ils se séparèrent. Le dauphin et le duc d’Orléans continuèrent d’accompagner l’empereur, qui, le même jour, arriva avec eux à Cambrai. Il y trouva une partie des seigneurs des Pays-Bas, ayant à leur tête le duc d’Arschot, lieutenant, capitaine général et grand bailli de Hainaut. Le 21 il entra à Valenciennes, où la reine sa sœur l’attendait, entourée de la duchesse douairière de Milan, des dames principales du pays, des évêques de Tournai et d’Utrecht et des seigneurs qu’elle avait gardés auprès d’elle. Les princes retournèrent en France le 24. Le 26 l’empereur et la reine quittèrent Valenciennes; ils arrivèrent à Bruxelles le 29.

Charles avait donné audience, à Valenciennes, à la députation gantoise[123]. Le 9 février il part de Bruxelles avec sa sœur et sa nièce la duchesse de Milan, suivi de sa maison, de sa garde et d’une foule de grands personnages. C’est à la tête de ce cortége et des cinq compagnies d’hommes d’armes des Pays-Bas qu’il entre, le 14, à Gand, où il avait été précédé d’un corps d’infanterie levé récemment en Allemagne par ses ordres[124]. La première mesure qu’il prend a pour objet la mise en liberté des deux hauts pointres de la châtellenie de Courtrai qui avaient été amenés dans les prisons de la ville. Il ordonne l’arrestation des principaux auteurs des troubles. Quelques-uns de ceux-ci avaient pris la fuite : il mande à ses officiers de la Flandre et du Brabant de les arrêter, s’ils les découvrent dans les lieux de leur juridiction; il défend à tous ses sujets, sous peine de punition corporelle, de leur donner asile ou de cacher leur retraite. Il enjoint aux échevins de renouveler leur serment suivant la formule prescrite par la paix de Cadsant. Dès le surlendemain de son arrivée, ceux-ci lui avaient présenté une requête où ils le suppliaient de les maintenir en leurs libertés et priviléges : il les fait comparaître devant lui, le 24 février, en l’une des salles de son palais, dont les portes avaient été ouvertes au public. Là le procureur général, Me Baudouin Le Cocq, prononce un long réquisitoire qu’il termine en déclarant que les Gantois, par les délits dont ils se sont rendus coupables, ont encouru la perte de leurs corps, de leurs biens et de tous leurs priviléges. Les échevins demandent copie de ce réquisitoire, qui leur est accordée, avec le temps nécessaire pour y répondre. Charles et Marie vont à Bruxelles au-devant de leur frère le roi des Romains, qu’ils amènent à Gand. Aussitôt après son retour, l’empereur ordonne la levée de l’aide de quatre cent mille florins dans les localités de la Flandre où elle restait à recouvrer en tout ou en partie; il prescrit que les impôts et accises dont la perception a été suspendue dans la ville durant les troubles, y soient rétablis. Le 6 mars les échevins se rendent au palais et présentent leur réponse aux accusations formées contre eux. L’avocat fiscal près le grand conseil, Me Pierre du Breul, prend la parole : il s’émerveille de leur audace et de leur arrogance; il réfute, de point en point, ce qu’ils ont allégué pour leur justification; il conclut, en son nom et en celui du procureur général, à ce que leurs priviléges soient revoqués et que l’empereur règle le gouvernement de la ville de telle sorte qu’à l’avenir la sédition dont elle a été le théâtre ne se renouvelle plus. L’empereur annonce qu’il fera connaître sous peu sa détermination.

Quelques jours auparavant, Charles avait mandé le président du grand conseil, le chancelier de Brabant et le président d’Artois, afin qu’ils délibérassent, avec les conseils d’État et privé et les chevaliers de la Toison d’or, sur les mesures qu’il avait à prendre. Le 16 mars il déclare, de leur avis, « retenir à lui » la décision des procès des Gantois prisonniers, « attendu la qualité des cas et délits dont ils sont chargés. » Le jour suivant il en condamne neuf au dernier supplice; ils sont exécutes sur la place de Sainte-Pharaïlde, au même endroit où Liévin Pien avait péri; leurs corps sont attachés à des roues et leurs têtes mises sur des pieux hors de la porte de Ter Muyden[125]. Les échevins, ayant sollicité une audience de l’empereur, viennent, le 21, accompagnés des doyens et jurés des métiers et d’un grand nombre de bourgeois notables, implorer sa clémence; le lendemain ils se rendent auprès de la reine, qu’ils supplient d’avoir pitié d’eux, de leur pardonner les offenses que quelques méchants lui ont faites, d’être leur avocate auprès de l’empereur. Charles leur répond qu’il n’a d’autre désir au monde que d’user de grâce et de miséricorde, mais qu’il a aussi le devoir de faire justice; que, dans le moment même où ils parlent, il est averti que la plupart des habitants continuent en leur mauvais vouloir, et que, s’ils se repentent de quelque chose, c’est de n’avoir pas mis à exécution tous leurs projets. La reine leur témoigne son étonnement de l’animosité qu’on a montrée contre elle, jusqu’à l’attaquer même en son honneur; elles les assure toutefois qu’elle n’en conserve aucun ressentiment; elle leur promet de parler en leur faveur à son frère. Les fêtes de Pâques approchaient; l’empereur va les passer à l’abbaye de Baudeloo, le roi des Romains à l’abbaye de Tronchiennes, la reine Marie à l’abbaye de Deynze.

Charles avait résolu, pour tenir en bride la population de Gand, d’y faire ériger une citadelle; il en pose la première pierre le 24 avril[126]. Le 29, à neuf heures du matin[127], il mande à son palais les échevins de la keure et des parchons, les deux grands doyens, les notables de la bourgeoisie, les doyens et jurés des métiers, représentant les trois membres de la ville, pour entendre la lecture de la sentence qu’il a rendue contre eux dans le procès que leur a intenté le procureur général. Cette sentence déclare les Gantois coupables des crimes de « déloyauté, désobéissance, infraction de traités, sédition, rébellion et lèse-majesté. » Elle les prive à perpétuité de leurs priviléges, droits et franchises. Elle ordonne que ces priviléges et les livres où ils sont enregistrés soient apportés à l’empereur, pour qu’il en fasse son bon plaisir. Elle prononce la confiscation de tous les biens, rentes, revenus, maisons, artillerie, munitions de guerre que la ville et les métiers possédaient. Elle dispose que les échevins des deux bancs avec leurs pensionnaires, clercs et commis, trente notables bourgeois, le grand doyen et le doyen des tisserands, vêtus de robes noires sans ceinture et à tête nue; six personnes de chacun des cinquante-trois métiers, cinquante du métier des tisserands et cinquante de ceux qui pendant les troubles étaient appelés creesers[128], en chemise, et les creesers la corde au cou, comparaîtront devant l’empereur au jour et à l’heure qu’il fixera, et, à genoux, le prieront, ainsi que la reine, de leur faire grâce et miséricorde. Enfin elle condamne les Gantois à payer, outre leur quote-part dans l’aide de 1537, cent cinquante mille carolus d’or pour une fois et six mille carolus d’or chaque année, à titre d’amende[129]. Une ordonnance de la même date que la sentence donne une nouvelle constitution à la ville. La nomination des échevins est attribuée au prince ou à ses délégués, sans l’intervention d’électeurs. Les trois membres qui représentaient la commune sont abolis ; la collace sera formée désormais des deux colléges échevinaux et de six notables choisis dans chacune des sept paroisses de la ville par ces colléges et par le bailli. Les Gantois n’auront plus de juridiction, autorité et prééminence sur le Vieux-Bourg, les villes et châtellenies de Courtrai, Audenarde, Termonde, Alost, Grammont, Ninove, les Quatre-Métiers, le pays de Waes, en un mot sur tout ce qu’on avait accoutumé d’appeler les châtellenies et le quartier de Gand. Toute réunion du peuple, quel qu’en soit le but, est interdite ; quiconque la convoquerait ou y assisterait en armes encourra la peine de mort. Les cinquante-trois métiers et le métier des tisserands sont réduits à vingt et un. Le titre et les fonctions de doyen sont supprimés ; chaque métier aura un chef (overste) que le bailli et le magistrat choisiront parmi les bourgeois. Les fêtes de la Tauwe wet et de Saint-Liévin, si chères au Gantois, mais qui, il faut le dire, occasionnaient beaucoup d’abus et de désordres[130], sont abolies. Nous ne citons ici que les dispositions les plus essentielles de cette charte, qui se compose de soixante-quinze articles. L’humiliation, l’abaissement des Gantois sont consommés, le 3 mai, par l’amende honorable qu’ils viennent faire à l’empereur et à la reine, en présence de la cour, des chevaliers de la Toison d’or, des seigneurs, des ministres et « d’une multitude de gens de toutes qualités et quartiers[131]. » Le 4, sept arrêts de mort sont encore rendus par le prévôt général de l’hôtel et exécutés[132] ; ils sont suivis de nombreuses condamnations au bannissement ou à des pèlerinages. Les corporations et les individus qui, dans diverses parties de la Flandre, s’étaient associés à la rébellion, sont punis, à leur tour, de peines plus ou moins rigoureuses, selon le plus ou le moins de part qu’ils y ont pris. Courtrai voit ses priviléges confisqués et sa constitution réformée comme Gand. La charte d’Audenarde est modifiée dans un sens peu favorable aux libertés communales. Des dispositions analogues sont appliquées à Grammont, à Ninove, à Renaix, à Deynze. Toutes ces condamnations, toutes ces mesures législatives, semblent dictées moins encore par l’intention de châtier le mouvement qui vient d’avoir lieu que par celle de prévenir de nouveaux soulèvements dans la suite. Sous ce rapport on ne saurait contester que Charles-Quint n’ait atteint son but : la Flandre fut, à partir de ce temps, — si l’on excepte les quelques années de la révolution qui éclata sous Philippe II — l’une des provinces les plus paisibles des Pays-Bas.

Pendant son séjour dans la capitale de la Flandre, Charles signa[133] le renouvellement de la trève que, trois années auparavant, la reine sa sœur avait conclue avec le roi de Danemark Christiern III. Il reçut la visite des ducs de Clèves et de Savoie, des ducs de Brunswick, de la comtesse palatine du Rhin, sa nièce, du cardinal Farnèse, légat de Paul III, de l’évêque de Trente et d’autres grands personnages[134]. Guillaume de Clèves s’était flatté d’obtenir de lui l’investiture du duché de Gueldre avec la main de la duchesse douairière de Milan : ses propositions ayant été rejetées, il se tourna vers la France, à laquelle il ne tarda pas à s’allier étroitement. Charles reçut aussi des ambassadeurs du duc de Saxe, du landgrave de Hesse et des autres princes protestants d’Allemagne. Quelque temps avant son départ de Madrid, des conférences avaient eu lieu, à Francfort[135], entre Louis de Bavière, électeur palatin, et Joachim, marquis de Brandebourg, munis de ses pleins pouvoirs, d’une part, et des députés des pays de la confession d’Augsbourg, de l’autre : il y avait été convenu[136] que l’empereur accorderait aux protestants une trève de quinze mois; que l’accord de Nuremberg; et l’édit de Ratisbonne demeureraient dans leur force et vigueur; que si, durant la trève, on ne pouvait s’accommoder sur le fait de la religion, la paix n’en subsisterait pas moins entre les protestants et les catholiques jusqu’à la prochaine diète générale; que toutes procédures intentées contre les premiers devant la chambre impériale seraient suspendues; que les protestants ne recevraient aucun prince, État ni ville dans leur confédération, et que, de part et d’autre, on s’abstiendrait de tout appareil de guerre; enfin que, sous le bon plaisir de l’empereur, une journée, à laquelle on n’appellerait point de légat du pape, serait assignée, à Nuremberg, entre les catholiques et les protestants pour le règlement des affaires de la religion. Paul III, informé de cette convention, avait dépêché sur-le-champ à l’empereur pour qu’il ne la ratifiât point, la regardant comme attentatoire à l’autorité du saint-siége. Charles, qui ne voulait mécontenter ni le pape ni les protestants, avait évité de se prononcer. C’était afin de le faire sortir de son indécision, d’obtenir de lui l’approbation de la trève de Francfort et conséquemment la convocation, soit d’une diète impériale, soit d’une assemblée particulière des princes et états de l’Empire, que le landgrave, l’électeur de Saxe et leurs adhérents venaient de lui envoyer des ambassadeurs. Ceux-ci montraient les dispositions les plus conciliantes; ils se déclaraient prêts à tout sacrifier pour la justice; l’agent du landgrave allait jusqu’à protester au seigneur de Gravelle que son maître avait un grand désir de faire service à l’empereur[137]. Charles leur répondit que, d’accord avec le roi son frère, il ne négligerait aucun des moyens propres à rétablir la concorde et la paix dans la Germanie. Comme ils le suppliaient de mettre un terme aux procédures qui étaient intentées contre eux devant la chambre impériale, il leur donna l’assurance qu’aucune nouveauté ne serait faite à leur préjudice, à condition qu’ils s’abstinssent eux-mêmes de toute innovation[138]. Lorsqu’il eut pris l’avis de Ferdinand, il annonça aux princes qui les avaient nommés, qu’une diète se tiendrait, au mois de juin, à Spire ou dans quelque autre ville d’Allemagne qui serait jugée plus convenable. Ce fut à Haguenau qu’elle se réunit.

A la suite de l’entrevue d’ Aigues-Mortes, des négociations en vue d’alliances matrimoniales avaient été entamées entre les cours de France et d’Espagne. Par un écrit délivré, le 22 décembre 1538, à l’évêque de Tarbes et au Sr de Brissac, ambassadeurs de François Ier[139], Charles avait promis de ne traiter du mariage du prince son fils qu’avec madame Marguerite, fille du roi, et de donner sa fille aînée ou la seconde fille du roi des Romains au duc d’Orléans. Ce dernier mariage se serait accompli quand les parties auraient eu l’âge compétent; alors l’empereur aurait disposé du duché de Milan en faveur des époux; en même temps tous les différends qu’il y aurait eu encore entre lui et le roi se seraient vidés, et l’on aurait recherché les moyens d’assoupir ceux qui auraient subsisté entre le roi et le duc de Savoie. Quelques mois après, François Ier ayant envoyé à Tolède l’évêque élu d’Avranches, Charles avait dit à cet ambassadeur que la reddition du duché de Milan était chose « sûre et du tout conclue et arrêtée[140]. Elle n’était pourtant pas aussi décidée dans son esprit qu’il l’assurait, et il songeait dès lors à une autre combinaison sur laquelle il se proposait de consulter la reine Marie et le roi des Romains, lorsqu’il serait aux Pays-Bas[141].

A son arrivée dans ces provinces, il y fut suivi d’un nouvel ambassadeur de François Ier[142], Georges de Selve, évêque de Lavaur, à qui avaient été confiées déjà les ambassades de Venise et de Rome; ce prélat[143] était chargé, de continuer les négociations commencées en Espagne[144]. Alors l’empereur mit en avant la combinaison dont nous parlons plus haut. Il avait reconnu que ses sujets des Pays-Bas étaient mécontents, et avec raison, de se voir si souvent privés de la présence de leur prince naturel; que de là étaient nés les divisions, les troubles, les mutineries qui s’étaient produits dans ces provinces[145]; il résolut, pour assurer leur tranquillité et leur indépendance, de les donner en dot, ainsi que les comtés de Bourgogne et de Charolais, à sa fille aînée, l’infante Marie, en contemplation de son mariage avec le duc d’Orléans. C’était offrir au roi de France beaucoup plus que le duché de Milan ne valait; après la réunion aux Pays-Bas de la Gueldre et du comté de Zutphen, on aurait pu faire du tout un royaume qui aurait été d’un des meilleurs de toute « la chrétienté[146] : » aussi Charles Quint était-il persuadé que le roi accepterait cette offre avec empressement et gratitude. Il n’en fut pourtant pas ainsi. A la vérité, l’empereur entendait retenir, sa vie durant, la souveraineté des Pays-Bas; jusqu’à son décès, le duc et la duchesse d’Orléans n’en auraient eu que le gouvernement; il entendait que, si la princesse d’Espagne, venait à décéder sans hoirs, ces provinces retournassent à lui et à ses successeurs; il demandait que le roi se désistât de toutes prétentions à l’État de Milan, comme lui-même il abandonnerait celles qu’il avait au duché de Bourgogne; qu’il fît à son fils un parti convenable; qu’il ratifiât les traités de Madrid et de Cambrai, sauf en ce qui serait innové par le traité à conclure ; il proposait, pour être le mari de madame Marguerite, le fils aîné du roi des Romains, au lieu du prince Philippe, qui aurait épousé Jeanne d’Albret, héritière du royaume de Navarre ; une des conditions de cet arrangement était encore que les États du duc de Savoie lui fussent restitués ; enfin l’empereur se promettait que le roi lui prêterait son concours pour le soutien de la guerre contre les Turcs et la réduction des protestants d’Allemagne[147]. François Ier répondit qu’il n’accepterait les Pays-Bas, au lieu du duché de Milan, que si l’empereur en mettait en possession la princesse d’Espagne et le duc d’Orléans incontinent après le mariage consommé ; il consentait au retour de ces pays à l’empereur et à ses successeurs, au cas que la princesse mourût sans postérité, mais alors lui et ses enfants rentreraient dans leurs droits sur le Milanais ; il se refusait à ratifier les traités de Madrid et de Cambrai, mais, tant que les Pays-Pas et les comtés de Bourgogne et de Charolais seraient entre les mains du duc d’Orléans, ou de l’empereur en cas de retour et durant sa vie, il consentait que le fait de la souveraineté de la Flandre et de l’Artois demeurât en l’état qu’il était ; il donnerait au duc d’Orléans, pour portion de son apanage, le comté de Saint-Pol et Hesdin, avec la querelle de Tournai, Tournaisis, Mortagne et Saint-Amand. Dans l’incertitude du sort futur des Pays-Bas et du comté de Bourgogne, il n’était pas disposé à restituer les domaines du duc de Savoie ; il voulait bien toutefois donner à ce prince un dédommagement dans son royaume. Quant aux autres mariages, le roi était d’avis que ce n’était pas le moment de s’en occuper[148]. Ce qui donnait à cette réponse un caractère plus grave, c’est que, dans le temps qu’il la faisait, François s’éloignait de la frontière des Pays-Bas, alors qu’on s’attendait à le voir rendre à l’empereur la visite qu’il en avait reçue, et que le connétable ne parlait plus de venir à la cour impériale, comme il en avait manifesté l’intention[149]. La conduite du roi causa à Charles-Quint autant de regret que t’étonneraient : il attachait le plus grand prix à l’établissement d’une paix et d’une amitié solide entre sa maison et celle de France[150] ; il s’était flatté que ses dernières propositions auraient ce résultat, et non-seulement le roi les repoussait, mais encore il voulait revenir sur les traites de Madrid et de Cambrai, il remettait en question l’abandon qu’il avait fait de la suzeraineté sur la Flandre et l’Artois, la cession de Tournai et du Tournaisis, etc. Il était impossible à Charles de souscrire à de telles exigences. D’autre part, François ne se prononçait pas sur le concours qu’il en attendait pour l’arrangement des affaires publiques de la chrétienté. En un mot, ses ministres trouvaient que le roi désirait beaucoup de lui, mais que lui ne montrait pas ce qu’il voulait faire pour l’empereur[151]. Charles déclara que, s’il donnait le duché de Milan, il ne le donnerait qu’au duc d’Orléans et aux enfants que ce prince aurait, sans qu’il pût retourner au roi et à ses enfants ; que si, au contraire, il lui donnait les Pays-Bas avec la main de la princesse d’Espagne, il entendait que le roi restituât le Piémont et les autres États du duc de Savoie. On verra plus loin à quoi aboutit cette négociation[152]. Charles ayant, le 10 mai, renouvelé la loi de Gand, quitte cette ville, deux jours après, avec la reine Marie et le roi des Romains, qui reprend le chemin de l’Allemagne. Il visite Anvers, Malines, Louvain; passe une quinzaine de jours à Bruxelles; retourne à Gand afin de s’assurer de l’état d’avancement des travaux entrepris pour la construction du château; va de là à Bruges, d’où il se dirige vers la Zélande et la Hollande, toujours en compagnie de la reine, et revient le 31 août à Bruxelles, pour s’occuper des affaires du gouvernement. Le 4 octobre il assemble, dans la grande salle de son palais, en sa présence et celle de la reine, les états généraux des Pays-Bas, que le conseiller d’état Schore harangue en son nom. Ce ministre commence par rappeler succinctement les actions de l’empereur depuis son départ des Pays-Bas en 1531; il déduit ensuite les motifs qui l’y ont ramené. C’est d’abord le désir de remercier ses bons et loyaux vassaux et sujets de toutes les preuves de dévouement qu’ils lui ont données; c’est, en second lieu, l’affaire de Gand : « S. M. — dit l’orateur — est venue par deçà pour remédier à aucunes indues violences et désobéissances, afin que, sous ombre d’icelles, ses autres bons et loyaux vassaux et sujets ne tombassent en inconvénient : à quoi S. M. avec grande clémence a mis l’ordre que chacun sait, non pour innover quelque chose quant aux autres[153], mais seulement pour éviter l’inconvénient qui autrement y auroit pu advenir, en tenant et ayant seul regard à l’assurance et tranquillité de la généralité de ses pays de par deçà, et comme il a connu et trouvé qu’il était plus que nécessaire et requis après tant d’autres exemples passés. » Enfin l’empereur a voulu prendre connaissance par lui-même de ce qui s’est fait depuis 1531, et pourvoir à la bonne administration des affaires publiques pour l’avenir. Dans cette vue, il a promulgué contre les sectes réprouvées de l’Église une nouvelle ordonnance dont communication va être donnée aux états; il en a fait rédiger une autre, qui leur sera communiquée également, sur les banqueroutes et les banqueroutiers, les monopoles, l’usure, les juges ecclésiastiques, les notaires, les avocats, les mariages clandestins, l’élection des gens de loi; frappé de la multitude de délits qui se commettent par la négligence des officiers de justice et leur facilité à composer avec les délinquants, il a consulté les conseils provinciaux sur les mesures à prendre pour remédier à ce mal; il s’est, en outre, occupé des monnaies ainsi que des moyens d’abréger la durée des procès et de diminuer les dépenses supportées par les parties. L’orateur annonce que, pour déférer à la prière de tous les états de la Germanie, l’empereur a résolu de convoquer une diète et de s’y trouver en personne; qu’il reviendra aux Pays-Bas le plus tôt et y demeurera le plus de temps possible; qu’il a continué la reine sa sœur dans la charge du gouvernement dont elle s’est si bien acquittée jusque-là. Il termine en faisant appel a l’union des états entre eux, et en les assurant de l’affection de l’empereur. Le docteur Schore ayant achevé, un secrétaire donne lecture des deux ordonnances mentionnées dans son discours[154]. Le pensionnaire de Bruxelles, après avoir recueilli les opinions des membres les plus considérables de l’assemblée, remercie l’empereur, au nom des états, de l’amour qu’il porte à ses pays d’embas, le suppliant de le leur continuer, et protestant qu’ils lui seront toujours bons et loyaux sujets[155].

On remarqua que le discours impérial ne disait pas un mot de la France ni de son roi. C’est que les relations entre les deux cours, naguère si cordiales, s’étaient singulièrement refroidies : François Ier avait déclaré définitivement qu’il ne voulait entendre ni à l’un ni à l’autre des deux partis proposés par l’empereur, mais qu’il préférait laisser les choses dans l’état où elles étaient[156]; il n’aurait accepté le duché de Milan que si l’investiture lui en eût été donnée en la même forme que Louis XII l’avait reçue de l’empereur Maximilien Ier[157], et il était résolu de retenir les États du duc de Savoie[158]. Dans ces circonstances, Charles prend une détermination qui devait faire grand bruit en Europe : il investit du duché de Milan son propre fils le prince Philippe, pour l’avoir et tenir selon la nature du fief et sous la supériorité et autorité de l’Empire[159]. L’expérience avait fait reconnaître que l’organisation des conseils d’État, privé et des finances des Pays-Bas, telle qu’il l’avait réglée en 1531, laissait à désirer; il la modifie par de nouvelles instructions données à ces conseils (12 octobre). Le 27 octobre il réunit les chevaliers de la Toison d’or qui se trouvaient à Bruxelles; d’accord avec eux, il dispose, en faveur du prince d’Orange, René de Chalon, et de Maximilien d’Egmont, comte de Buren, de deux colliers que n’avaient point reçus ceux auxquels les avait destinés le dernier chapitre; il pourvoit aussi aux charges de trésorier et de roi d’armes qui étaient devenues vacantes. Une particularité curieuse est consignée dans le procès-verbal de cette réunion. L’empereur, étant à la tête de ses armées au royaume de Tunis et en Provence, avait porté, pour sa commodité, au lieu du collier prescrit par les statuts de l’ordre, un petit collier en forme de carcan : s’étant assuré qu’il ne pouvait le faire, il s’en excusa et promit qu’il ne le ferait plus. Le 29 octobre Charles se remet en route, en compagnie de la reine sa sœur; il avait fait, la veille, un second codicille où, entre autres points, il énonçait ses intentions relativement aux Pays-Bas, et c’était que son fils pût les retenir ou en disposer en contemplation du mariage de l’une ou de l’autre des infantes ses sœurs, en ayant égard et à la situation et à la qualité de ces pays, selon qu’ils importaient « et que méritait leur grande loyauté et fidélité[160]. » Il visite successivement les parties de la Flandre et les autres provinces des Pays-Bas qu’il n’avait pas comprises dans sa première tournée : la châtellenie de Lille, Douai et Orchies, le Tournaisis, l’Artois, le Hainaut, le Namurois, le Luxembourg. Dans le cours de ce voyage, il rend plusieurs ordonnances importantes, entre lesquelles nous mentionnerons celle du 7 décembre ayant pour objet d’abrévier les procès de matières réelles, personnelles et mixtes qui étaient mus devant le siége de la gouvernance de Lille, et celle du 26 décembre sur l’amirauté. Le 8 janvier 1541, à Luxembourg, il se sépare de la reine, prenant le chemin de Ratisbonne, où il arrive le 23 février. C’était là qu’il avait convoqué la diète générale de l’Empire.

L’assemblée qui s’était tenue à Haguenau, au mois de juin de l’année précédente, n’avait pas eu de résultat, quoique le roi Ferdinand y eût présidé en personne. Ce prince, voyant l’impossibilité de concilier les docteurs catholiques et les ministres luthériens, avait, sous l’approbation de l’empereur, remis l’examen des questions controversées entre eux à une conférence qui se réunirait à Worms le 28 octobre, conférence où le nombre des théologiens serait égal de part et d’autre, et à laquelle des nonces du pape seraient admis. L’empereur n’avait point hésité à ratifier le décret de son frère; il avait fait partir pour Worms, avec la mission de l’y représenter, le seigneur de Granvelle, son principal ministre pour les affaires de l’Allemagne, comme l’était, pour celles d’Espagne et de l’Italie, le grand commandeur Francisco de los Covos; Paul III, de son côté, y avait envoyé Tommaso Campeggio en qualité de nonce du saint-siége. Après de longs pourparlers sur des points de forme, le colloque s’était enfin ouvert, le 13 janvier[161], par une dispute publique entre le docteur Eck et Mélanchton : mais, dès le troisième ou le quatrième jour, il avait été rompu, Granvelle ayant reçu des lettres de l’empereur qui évoquaient le débat à la diète de Ratisbonne.

Cette diète, si vivement désirée des catholiques aussi bien que des protestants, Charles, le 5 avril 1541[162], y donna commencement. On a vu qu’il était à Ratisbonne depuis le 23 février; mais la plupart des électeurs et des princes, ou des commis qu’ils avaient revêtus de leurs pouvoirs, s’y étaient fait attendre; le cardinal Gaspare Contarini, légat du pape, n’y était arrivé que dans le courant du mois de mars. La proposition, rédigée en langue allemande, fut lue en partie par le comte palatin Frédéric, que l’empereur avait nommé son lieutenant auprès de la diète, en partie par le conseiller de Naves[163]; l’empereur y déclarait que l’objet essentiel dont les représentants de l’Allemagne avaient à s’occuper était de mettre un terme aux dissensions religieuses : il offrait de s’y employer avec tout le zèle d’un bon chrétien; il exhortait les états à faire de même; il leur disait que, s’ils ne trouvaient pas de meilleurs moyens pour atteindre ce but, il était prêt à députer des personnages savants, pieux, de bonne conscience et amis de la paix, qui examineraient les points et articles étant en débat, et s’appliqueraient à amener un accord entre les partis. Il priait aussi les électeurs, les princes et les villes de considérer ce qu’exigeait la défense de la chrétienté contre les Turcs. Le cardinal de Mayence, répondant au nom de l’assemblée, assura l’empereur des dispositions des états à seconder ses vues. Ils en donnèrent une preuve en lui déférant le choix de la députation dont il avait parlé. En conséquence il nomma, pour les catholiques, Jean Eck, Jules Pflug et Jean Gropper; pour les protestants, Philippe Mélanchton, Martin Bucer et Jean Pistorius : ces députés devaient se réunir et discuter sous la présidence du comte Frédéric et du seigneur de Granvelle, à l’intervention de plusieurs prélats.

Le colloque s’étant terminé le 28 mai, ils présentèrent à l’empereur, le 31, les articles qu’ils avaient adoptés d’un commun accord et ceux sur lesquels ils n’avaient pu convenir[164]. Charles, le 8 juin, communiqua les uns et les autres à la diète, avec les écrits dont ils étaient accompagnés, afin qu’elle en fit la matière de ses délibérations; il en donna aussi communication au légat. Les évêques ne se montrèrent pas satisfaits des actes du colloque. Le légat répondit à l’empereur que, les écrits des députés différant en plusieurs points de la croyance de l’Église, il fallait renvoyer le tout au saint-siége, qui déciderait ces points conformément à la vérité catholique, soit dans un concile général, soit de quelque autre manière. Les protestants ne faisaient point d’objections contre les articles adoptés; ils trouvaient même qu’avec un peu de bonne volonté il ne serait pas difficile de s’entendre également sur les autres. Au milieu de ces discussions, le roi des Romains arriva à Ratisbonne (20 juin); il y avait été précédé d’ambassadeurs des états de l’archiduché d’Autriche et du royaume de Hongrie qui étaient venus implorer l’assistance de l’empereur et de l’Empire contre les Turcs. Charles, le 25 juin, réunit la diète en la présence de son frère, et l’invita à s’occuper avec sollicitude d’une affaire qui était d’une si haute importance pour la sûreté de l’Allemagne. Quelques jours après, le duc de Savoie, ayant demandé audience, réclama, comme prince de l’Empire, l’intervention de la diète auprès du roi de France afin que ses pays lui fussent restitués. Des commis du duc de Clèves se présentèrent dans le même temps à cette assemblée, requérant, au nom de leur maître, l’investiture des duchés de Juliers et de Gueldre. Charles se refusa à la leur donner : il venait tout récemment de remontrer à la diète le droit qu’il avait au duché de Gueldre et qui s’appuyait sur des titres incontestables. Plusieurs des princes et des députés des villes voulurent intercéder en faveur du duc; ils supplièrent l’empereur d’avoir pitié de lui : il les reçut fort mal; il y avait cinq mois, leur dit-il, qu’il était à Ratisbonne, attendant leur résolution sur un petit nombre de points qui les regardaient, et en trois jours ils avaient résolu de demander miséricorde pour un rebelle[165]!

Ces paroles montraient son impatience de voir arriver la fin de la diète. Il avait hâte en effet de partir pour l’Italie; aussi, le 12 juillet, ayant réuni cette assemblée, il la requit, par l’organe du comte Frédéric, d’accélérer ses délibérations, car il comptait se mettre en route le 22 ou le 24. Ce ne fut toutefois que le 29 que le recez put être arrêté et publié. Les dispositions principales en étaient celles que nous allons énumérer. Les états remettaient les avis des théologiens concernant la religion au futur concile général que le pape, par son légat, avait offert de convoquer, ou, au défaut de celui-ci, à un concile national, et si l’un ni l’autre ne se célébrait, à une diète qui se tiendrait dans dix-huit mois. L’empereur était prié de faire des démarches auprès du pape pour que le concile général fût indiqué dans une ville de la Germanie. Les protestants observeraient les points auxquels leurs théologiens avaient adhéré; ils ne chercheraient à attirer personne à eux, et ne recevraient en leur protection aucun de ceux de la religion catholique. Les prélats entendraient à la réformation de leur clergé. La paix de Nuremberg s’observerait exactement. Les ecclésiastiques jouiraient des biens qu’ils avaient dans les pays des protestants, et les églises y demeureraient en leur entier. La chambre impériale et les autres justices ne connaîtraient que des causes profanes; celles qui se rapporteraient à la religion seraient renvoyées à la future diète, si des commissaires à nommer par l’empereur ne pouvaient concilier les parties. Les états accordaient la levée et la solde, pendant quatre mois, de dix mille hommes de pied et deux mille chevaux, pour secourir le roi des Romains en Hongrie; ils accordaient, en outre, pendant trois ans, une aide de vingt mille hommes de pied et quatre mille chevaux qui seraient employés contre les Turcs, sous tel capitaine général qu’il plairait à l’empereur de désigner. Défense était faite à tous gens de guerre d’aller servir hors de la Germanie sans l’autorisation de l’empereur. Était défendue aussi l’impression de tous libelles fameux et injurieux. Le recez témoignait du grand contentement qu’avaient les états de la sollicitude avec laquelle l’empereur avait dirigé les travaux de la diète; il constatait qu’il « laissait l’Allemagne et tous les États d’icelle en grande dévotion envers lui et bonne intelligence avec tous. » Il y était dit, à l’égard de la réclamation du duc de Savoie, que l’on écrirait affectueusement au roi de France, et, quant au duché de Gueldre, que les états reconnaissaient l’évident et inexcusable tort du duc de Clèves; qu’on le lui remontrerait vivement, et qu’on le requerrait de faire en sorte qu’un plus grand inconvénient ne lui en advînt. Quoiqu’on tînt pour assuré que la paix serait observée de tous, d’après les déclarations faites à la diète par l’un aussi bien que par l’autre parti, une ligue était conclue entre le pape, l’empereur, le roi des Romains, le cardinal de Mayence, l’archevêque de Salzbourg, les ducs de Bavière et de Brunswick et d’autres prélats, princes et membres des états pour la défense de la foi catholique contre quiconque y voudrait dorénavant attenter. Les protestants n’avaient pas adhéré sans difficulté à ce recez : une déclaration de l’empereur, faite, selon plusieurs historiens[166], à l’insu des états catholiques, en adoucit les articles dont ils croyaient avoir à se plaindre; il y était dit, entre autres, que les couvents ne seraient point détruits, mais que les moines seraient exhortés à se corriger; que les ecclésiastiques garderaient leurs revenus, sans distinction de religion; que, s’il était défendu aux protestants d’exciter les catholiques à embrasser leur doctrine, ils pourraient néanmoins recevoir ceux qui se présenteraient d’eux-mêmes. Des garanties leur étaient données aussi relativement à la composition de la chambre impériale. Tous ces ménagements de l’empereur pour les protestants peuvent paraître extraordinaires : ils s’expliquent cependant par la situation où étaient ses affaires et celles du roi des Romains : les Turcs s’avançaient de plus en plus en Hongrie, et il était à prévoir qu’un long temps ne s’écoulerait pas sans que la trève de Nice fût rompue par la France.

Le jour même de la clôture de la diète, Charles quitta Ratisbonne. Il avait été concerté entre lui et le pape qu’ils auraient une entrevue à Lucques : il prit son chemin par Munich, Inspruck, Trente, Peschiera, Crémone, Milan, Pavie, Alexandrie, Gênes, où il arriva le 3 septembre. Dans ce trajet il vit venir au-devant de lui le duc de Camerino, mari de sa fille Marguerite, le duc de Ferrare, le duc de Mantoue, des ambassadeurs de la seigneurie de Venise. A Milan, où il resta sept jours, il reçut la visite du duc d’Urbin. A Gênes le duc de Florence, le prince de Piémont, le prince Doria accoururent pour lui présenter leurs hommages. Le 10 septembre il s’embarqua. Le 12 il descendit au port de Via-Reggio, d’où il se dirigea vers Lucques. Il trouva, à mi-chemin, les cardinaux Santiquatro et Farnèse envoyés par le pape, et à la porte de la ville tout le sacré collége. Paul III était à la cathédrale; Charles s’y rendit : il baisa les pieds du souverain pontife, avec lequel il s’entretint quelques instants; il fut conduit ensuite au palais de la république, qui avait été destiné pour son logement. Les cinq jours suivants, il eut des conférences de plusieurs heures, et sans témoins, avec le chef de l’Église; elles eurent lieu dans les appartements du pape, à l’exception de la troisième, pour laquelle Paul se transporta lui-même chez l’empereur[167]. Dans ces conférences il fut surtout question de ce qui avait été traité à Ratisbonne et du lieu ainsi que de l’époque à déterminer pour la réunion du futur concile. Il y fut parlé aussi du fait de Rincon et Fregoso dont François Ier prenait occasion pour se plaindre, dans les cours de l’Europe, que l’empereur eût enfreint la trève. Antonio Rincon, transfuge espagnol, avait été plusieurs fois employé par le roi à Constantinople, où il s’était acquis quelque crédit auprès du divan. Dans l’été de 1541, François résolut de l’y renvoyer; il lui fit prendre le chemin de Venise, afin de faire de sa part une communication confidentielle au sénat. Le 2 juillet Rincon s’embarqua sur le Tésin en compagnie du capitaine César Fregoso, gênois, comme lui au service de la France. Le lendemain, au moment où ils allaient franchir l’embouchure du Tésin pour entrer dans le Pô, des gens masqués qui les y attendaient attaquèrent leur barque, les mirent à mort avec tous ceux qui s’y trouvaient[168], et allèrent jeter leurs cadavres dans des lieux écartés. Le marquis del Vasto, gouverneur du Milanais, accusé d’avoir ordonné ou du moins autorisé cet attentat, afin de se rendre maître des dépêches dont Rincon était porteur, s’en défendit vivement[169]. Chose singulière! on ignorait ce qu’étaient devenues les victimes du guet-apens du 3 juillet; on supposait qu’elles étaient détenues dans quelque cachot. François Ier fit partir pour Lucques un gentilhomme de la chambre du dauphin, chargé de demander à l’empereur que ses ambassadeurs lui fussent rendus, et de réclamer à cet effet l’intervention du pape, en rappelant à Paul III qu’il avait été le médiateur de la trève de Nice. Charles-Quint répondit à l’envoyé du roi qu’il ignorait où pouvaient être Fregoso et Rincon; que s’ils étaient en un lieu quelconque de ses États dont il fût informé, il les ferait immédiatement restituer à son maître; qu’il était prêt à donner de nouveaux ordres pour qu’on les recherchât; qu’il se soumettait du reste, quant à cette affaire, au jugement du souverain pontife[170]. Le 18 septembre Charles prit congé du pape et partit pour la Spezzia, où il s’embarqua dix jours après. A la sortie du port, une furieuse tempête l’assaillit, qui le força de chercher un refuge en Corse d’abord et ensuite en Sardaigne; il ne put arriver à Majorque, où il était attendu, que le 13 octobre.

C’était avec regret qu’après son expédition de 1535 Charles s’était éloigné des rives africaines sans avoir porté ses armes dans l’Algérie, car il prévoyait qu’Alger deviendrait le réceptacle des pirates chassés par lui de Tunis; mais il n’avait pas renoncé à une entreprise qui devait (il l’espérait du moins) ajouter à sa gloire, en délivrant ses peuples d’Espagne et d’Italie des maux qu’ils souffraient par les brigandages des Barbaresques. La guerre avec la France qui suivit son passage en Italie l’obligea d’en différer l’exécution. Il avait à peine signé, à Nice, la trève de dix ans qu’il entama avec Barberousse, dans le but de l’attirer à son service, des négociations secrètes[171]; si elles avaient eu l’issue qu’il s’en promettait, il n’aurait plus été question d’enlever l’Algérie au corsaire couronné : au contraire, la possession lui en eût été garantie, sous l’engagement qu’il aurait pris de faire cesser toutes pirateries dans la Méditerranée. Ces négociations se poursuivirent assez longtemps : on ne connaît pas bien les circonstances qui en amenèrent la rupture, mais il est certain qu’elles avaient cessé au mois de septembre 1540. Charles alors reprit son premier dessein, résolu de le mettre à effet après qu’il aurait tenu la diète de l’Empire, et il envoya des ordres en Espagne et en Italie afin qu’on y formât une armée expéditionnaire; plus tard il assigna pour rendez-vous aux différentes divisions de cette armée le port de Majorque. Là étaient rassemblés, quand il y arriva, deux cent cinquante à trois cents navires, dont une cinquantaine de galères, portant vingt et quelques mille hommes d’infanterie, de cavalerie, d’artillerie, espagnols, italiens et allemands; les Espagnols avaient pour chef don Ferrante Gonzaga, vice-roi de Sicile, les Allemands Georges Fronsperg, les Italiens Camillo Colonna. Toute la flotte était sous le commandement du grand amiral Andrea Doria. Seize galères et soixante navires équipés dans les ports d’Espagne, et qui amenaient une foule de gentilshommes appartenant aux principales familles de la Péninsule, avec de l’artillerie, des munitions et des vivres, étaient retenus dans l’île d’Iviça par les vents contraires. Charles fixa au 18 octobre le départ de l’expédition; il s’embarqua ce jour-là au soleil levant; il avait, la veille, fait savoir à D. Bernardino de Mendoza, général des galères demeurées à Iviça, qu’il eût à se diriger directement vers Alger. Plusieurs historiens rapportent que Doria et del Vasto le supplièrent d’abandonner son entreprise, par le motif surtout que c’était faire courir des risques certains à la flotte que de l’envoyer sur les côtes dangereuses d’Afrique dans une saison si avancée, où la violence des vents était toujours à craindre. Mais des sommes considérables avaient été dépensées; tous les préparatifs de l’expédition étaient faits; non-seulement les populations chétiennes des côtes de la Méditerranée, mais encore les nations dont les vaisseaux parcouraient cette mer, en attendaient avec impatience les résultats : Charles persista dans sa résolution.

Les premiers jours le temps se montra favorable : l’armée expéditionnaire arriva devant Alger le 20 octobre sans aucun accident fâcheux, et Charles avec toutes les galères jeta l’ancre à une portée de canon de la ville. Le 21 le temps changea tout à coup; le vent devint si fort et la mer si haute que, redoutant une tempête, l’empereur jugea prudent de se retirer à Metafus[172]. Le vent ayant calmé dans la nuit du 22 au 23, il ordonna, au lever de l’aurore, que les troupes débarquassent; lui-même il descendit à terre. Le 24 l’armée parvint jusqu’à un ou deux milles d’Alger, et les divisions espagnole, italienne, allemande, prirent position autour de la ville : l’empereur, avec les princes, seigneurs, gentilshommes et officiers de sa cour, s’établit dans un vignoble au milieu du quartier des Allemands. Dans la soirée il s’éleva une affreuse tempête, accompagnée de pluie, de grêle et d’une obscurité effrayante. Le débarquement des troupes s’était fait avec une telle hâte que les soldats n’avaient pris ni tentes pour s’abriter, ni vêtements autres que ceux qu’ils portaient sur le corps; en peu de temps ils furent trempés jusqu’aux os, et leurs campements entièrement inondés.

Alger avait pour gouverneur ou vice-roi Hassein Aga, renégat sarde et eunuque qui, par son audace et sa férocité, s’était rendu plus redoutable que Barberousse lui-même; il disposait, pour la défense de la ville, de huit cents Turcs et de cinq mille Mores. Profitant de la détresse où la tourmente jetait l’armée chrétienne, Hassein sortit, le 25, de grand matin, avec une partie de ses forces, qu’il divisa en deux corps : l’un se porta contre les Espagnols, qui occupaient une montagne; il fut obligé de battre en retraite après avoir subi d’assez grandes pertes; l’autre attaqua les Italiens dont le quartier était tout près de la ville; ceux-ci prirent la fuite sans avoir opposé de résistance. Averti de ce qui se passait, Charles accourut l’épée à la main : animant les uns, admonestant les autres, les haranguant tous, il finit par rallier les fuyards, et, secondé des gens de sa maison et de quelques compagnies allemandes, il força les Mores de rentrer dans la place. Cette journée coûta à l’armée impériale trois cents hommes de tués et deux cents de blessés. Charles ne s’y montra pas seulement un valeureux capitaine, mais ses soldats purent se convaincre encore qu’ils avaient en leur empereur un chef plein de sollicitude pour eux. Quoique l’eau ruisselât sur son corps et qu’il fût excédé de fatigues, il ne voulut regagner sa tente qu’après que les blessés eurent reçu les soins que réclamait leur état[173].

Cependant la tempête continuait et elle redoublait même de fureur : les navires, arrachés de leurs ancres, se brisaient les uns contre les autres, ou, jetés à la côte, se fracassaient contre les rochers; plusieurs furent abîmés dans les flots. En peu de temps, quatorze galères et plus de cent bâtiments de transport, grands et petits[174], périrent; tout ce qu’ils contenaient fut perdu; une grande partie des hommes qui étaient à bord se noyèrent ou furent massacrés par les Arabes[175]. La situation de l’armée devenait de moment en moment plus critique : lorsqu’elle était descendue à terre, on n’avait débarqué que pour deux jours de vivres; ils étaient consommés et il n’y avait pas de moyen de s’en procurer d’autres, l’impétuosité des flots empêchant toute communication avec les navires qui avaient résisté à la tourmente. Dans cette extrémité, Charles n’avait qu’un parti à prendre : il ordonna la retraite sur Metafus; les blessés et les malades furent placés au centre; les hommes qui avaient conservé le plus de vigueur prirent la tête ou formèrent l’arrière-garde. Ce fut un spectacle lamentable que cette marche en arrière qui dura trois jours. Beaucoup de soldats pouvaient à peine soutenir le poids de leurs armes; d’autres tombaient d’épuisement dans les chemins profonds et marécageux qu’il fallait traverser; d’autres périssaient d’inanition, car, pour toute subsistance, l’armée avait les palmiers qu’on trouvait dans les champs et la chair des chevaux que l’empereur faisait abattre. Il y en eut beaucoup de tués par les Mores d’Alger et les Arabes des montagnes qui ne cessèrent, pendant toute la marche, de harceler l’armée le jour et la nuit, et, pour surcroît de misère, il fallut passer deux rivières où les hommes avaient de l’eau jusqu’aux épaules. « Dans cette horrible enchaînement de malheurs, Charles — dit un de ses historiens — fit admirer sa fermeté, sa constance, sa grandeur d’âme, son courage et son humanité : il supportait les plus grandes fatigues comme le dernier soldat de son armée; il exposait sa personne partout où le danger était le plus menaçant; il ranimait le courage de ceux qui se laissaient abattre; il visitait les malades et les blessés et les encourageait tous par ses discours et par son exemple[176]. » Enfin, le 28 octobre, l’armée atteignit Metafus, où elle put se refaire de ses fatigues. Doria avait rassemblé dans ce port tous les bâtiments de la flotte qui avaient échappé au désastre des jours précédents.

Dans l’armée, surtout parmi les Espagnols, il y en avait qui étaient d’avis de tenter une nouvelle attaque contre Alger. Charles n’écouta pas ces conseils imprudents, et le 1er novembre il s’embarqua avec sa maison, après avoir pourvu à l’embarquement des troupes. Le surlendemain il donna l’ordre du départ : il avait réglé la destination de tous les corps de l’armée ainsi que des différentes divisions de la flotte; les galères d’Espagne, celles d’Andrea Doria, de Naples, de Monaco, devaient l’accompagner jusqu’à Cartagène[177]. Ce jour-là la tempête, qui avait paru apaisée, gronda de nouveau, et Charles eut beaucoup de peine à gagner le port de Bougie. Le ciel ne s’éclaircissant pas, il fit faire, le 11, le 12 et le 13 novembre, pour implorer la miséricorde divine, des processions générales auxquelles il assista. Ses vœux ne furent pas d’abord exaucés : car ayant essayé, le 17, de sortir du port, il se vit contraint d’y rentrer. Une seconde tentative, faite la nuit suivante, eut le même résultat. Enfin, le 23, il parvint, à force de rames, à gagner la haute mer; le 26 il mouilla devant Majorque; il aborda à Cartagène le 1er décembre.

Les bruits les plus alarmants couraient dans la Péninsule sur l’armée expéditionnaire; aussi les Espagnols, en revoyant leur souverain, firent-ils éclater leur joie. Charles, le 5 décembre, quitta Cartagène pour aller visiter la ville de Murcie; il prit ensuite le chemin de la Castille. Il trouva à Ocaña les infantes ses filles, et le prince Philippe vint l’y joindre avec le cardinal Tavera. Après un court séjour à Tolède et à Madrid, il partit pour Tordesillas, où il passa trois jours auprès de la reine sa mère[178]; de là il se rendit à Valladolid. Il avait convoqué dans cette ville les cortès de Castille; il en fit l’ouverture le 10 février 1542. Les cortès lui exprimèrent derechef le vœu qu’il ne s’éloignât plus de l’Espagne, ses absences causant de trop vives inquiétudes à ses sujets : il répondit qu’il ne songeait point à s’absenter de nouveau, et que, s’il lui arrivait encore de le faire, ce serait pour des motifs impérieux, son âge l’invitant déjà plus au repos qu’à des entreprises guerrières ou à des voyages lointains[179]. Il aurait pu alléguer aussi l’état de sa santé, car la goutte le tourmenta pendant tout le temps qu’il fut à Valladolid. Les cortès terminèrent leur session, le 4 avril, par le vote d’un service de douze cent mille ducats. Le 22 mai Charles partit avec son fils pour la Navarre et l’Aragon. Un mois, jour pour jour, après, il arriva à Monzon, où le lendemain il ouvrit la session des cortès d’Aragon, de Valence et de Catalogne. Pendant cette session, qui se prolongea jusqu’à la fin d’août[180], des nouvelles de la plus haute gravité lui parvinrent à la fois de France, des Pays-Bas et d’Italie.

François Ier avait conçu un vif ressentiment de l’issue des négociations qui suivirent le passage de l’empereur au travers de son royaume; il était résolu à se venger et, nonobstant la trève qui existait entre eux pour plusieurs années encore, à recommencer la guerre dès qu’il croirait pouvoir la faire avec avantage. Dans cette intention il s’était attaché le duc Guillaume de Clèves, en lui donnant la main de l’héritière de Navarre (15 juillet 1540); il avait éloigné de ses conseils[181] le connétable de Montmorency, qui toujours s’était appliqué à conserver ou à rétablir la concorde entre les deux monarques rivaux; il avait continué ses relations avec Soliman, quoiqu’il se fût engagé à les rompre; il avait cherché des alliances jusque dans la Scandinavie, qui semblait devoir rester étrangère à la politique du midi de l’Europe. Le désastre d’Alger vint lui fournir l’occasion qu’il épiait, et le meurtre de Rincon et Fregoso un prétexte plausible pour en profiter. L’hiver de 1541 à 1542 fut employé par lui à lever des troupes dans toutes les parties de son royaume et à se créer des appuis au dehors : il conclut des traités avec les rois de Danemark et de Suède; il fit passer de l’argent au duc de Clèves; il renforça son armée en Piémont; il sollicita Soliman d’envoyer à Marseille, pour s’y réunir à la flotte française et agir de concert avec elle, une flotte conduite par Barberousse. Au mois de juin, avant toute déclaration de guerre[182], le duc de Vendôme, gouverneur de Picardie, envahit l’Artois et la Basse-Flandre; le duc d’Orléans entra dans le Luxembourg; Martin van Rossem, maréchal de Gueldre, pénétra en Brabant; en même temps le dauphin assemblait dans le Midi une armée de quarante mille hommes d’infanterie, deux mille hommes d’armes et deux mille chevau-légers avec laquelle il se proposait de faire le siége de Perpignan, et, après l’avoir pris, de pousser jusqu’en Castille.

Charles-Quint était loin de supposer qu’un pareil dessein pût entrer dans la tête des Français[183]. Lorsqu’il en fut averti par le marquis del Vasto, que ses espions en avaient instruit, il se hâta d’envoyer le duc d’Albe à Perpignan, pour mettre cette place en état de défense, et réclama l’assistance de ses vassaux d’Aragon et de Castille. Les grands, la noblesse, les villes répondirent avec enthousiasme à son appel : toute l’Espagne, dit Sandoval[184], prit les armes, comme s’il se fût agi de conquérir la France. En marchant avec plus de célérité, le dauphin eût vraisemblablement réussi dans son entreprise[185] : mais ce fut seulement le 26 août qu’il se présenta devant Perpignan, et alors le duc d’Albe avait eu le temps d’en réparer et augmenter les fortifications, et d’y faire entrer une nombreuse garnison, commandée par des chefs d’une valeur et d’une expérience éprouvées. Toutes les tentatives des Français pour s’en emparer échouèrent. François Ier s’était avancé le 5 septembre jusqu’à douze lieues de là : découragé par le peu de progrès que faisait le siége, il envoya au dauphin l’ordre de le lever; « cette armée française, la plusb belle et la plus nombreuse qu’on eût vue de tout le règne, effectua sa retraite le 4 octobre[186]. » François n’avait guère plus à se louer du succès de ses armes dans les autres pays où il avait porté la guerre. En Piémont les exploits du seigneur de Langey, son lieutenant, s’étaient réduits à la prise de quelques places de peu d’importance. Aux Pays-Bas le duc d’Orléans avait d’abord conquis tout le Luxembourg, Thionville exceptée, mais la reine Marie n’avait pas tardé à recouvrer cette province. Le maréchal de Gueldre, après avoir défait le prince d’Orange à Hooghstraeten, avait vainement mis le siége devant Anvers et Louvain; il s’était vu forcé de battre en retraite, et n’avait pu empêcher les troupes belges de s’emparer de Sittard, Juliers et Heinsberg. Quelques places insignifiantes dans le voisinage de Calais et de Boulognae étaient tombées au pouvoir du duc de Vendôme. En résumé, la campagne de 1542, pour laquelle François Ier avait fait des efforts prodigieux, en y épuisant en une fois presque toutes ses ressources, se terminait sans lui avoir procuré aucun avantage notable.

Charles avait dû attendre, à Monzon, que les cortès eussent mis fin à leurs délibérations. Deux points faisaient principalement l’objet des demandes soumises à cette assemblée : c’était le vote d’un subside, et la reconnaissance du prince Philippe pour héritier présomptif des couronnes d’Aragon, de Valence et de Catalogne. Les représentants des trois royaumes accueillirent sans difficulté l’une et l’autre demande[187]. Philippe fut reçu et juré prince et futur souverain, à Monzon, en présence de l’empereur, le 14 septembre par les cortès de Catalogne, le 23 par les cortès de Valence, le 6 octobre par les cortès d’Aragon[188]. Quelques jours après, Charles partit pour Barcelone; de là il se rendit à Valence. Dans ces deux capitales il assista à l’entrée solennelle du prince son fils : Philippe, le lendemain de sa réception par les cortès d’Aragon, était allé accomplir la même cérémonie à Saragosse[189].

Cependant Paul III s’était décidé à convoquer à Trente le concile, qui n’avait pu se réunir ni à Mantoue ni à Vicence. Dans la bulle de convocation[190], il rappelait les démarches qu’il avait faites, les peines qu’il s’était données afin d’amener la conclusion, entre l’empereur et le roi de France, d’une paix générale et définitive; il exprimait le regret de n’y avoir pas réussi, sans imputer l’insuccès de ses efforts à l’un plus qu’à l’autre des deux souverains. Au moment où Charles-Quint reçut cette bulle des mains du nonce résidant à sa cour, il venait d’apprendre que les Français avaient commencé les hostilités aux Pays-Bas et dans le Roussillon : il se formalisa de ce que le pontife n’établissait nulle différence entre lui, qui avait tant fait pour la pacification et le bien de la chrétienté, pour sa défense contre les Turcs, pour la célébration d’un concile qui pût mettre fin aux dissensions religieuses dans la Germanie, et celui qui en tout avait fait le contraire ; il s’en plaignit au pape lui-même, lui disant que, s’il voulait, comme sa dignité lui en imposait l’obligation, le rétablissement de la paix dans la république chrétienne, il devait se déclarer ouvertement contre le roi[191]. Sur ces entrefaites, Paul résolut d’envoyer des légats aux monarques rivaux, afin de les exhorter à poser les armes ; il désigna pour la France le cardinal Sadoleto, et pour l’Espagne le cardinal Contarini : ce dernier étant mort en chemin, il le remplaça par le cardinal de Viseu, portugais, de la maison de Silva. Charles n’en fut pas plus tôt informé qu’il signifia au nonce accrédité auprès de lui et fit savoir au pape son intention de ne pas recevoir le légat ; mais Viseu usa d’une telle diligence qu’on apprit, à la cour impériale, son arrivée à Barcelone en même temps que son départ de Rome ; il arriva à Monzon vers la fin de septembre. Ne pouvant s’excuser de lui donner audience, Charles lui fit comprendre tout d’abord qu’il avait fait un voyage inutile, et il le congédia dès le 3 octobre[192]. Il écrivit au pape que le persuader d’entendre à une nouvelle communication de paix était chose bien superflue, car Sa Sainteté devait tenir pour certain qu’une telle communication ne servirait qu’à accroître l’insolence de celui « qui ne se pouvait soûler de guerroyer et continuellement conciter et nourrir trouble en la chrétienté ; » que d’ailleurs on ne saurait avoir d’assurance quelconque que le roi de France observerait ce qu’il aurait promis, comme le montrait l’expérience des choses passées. Quant à lui, ayant reconnu que sa facilité et sa promptitude à se prêter aux négociations proposées par le saint-père avaient tourné à son préjudice, il était décidé à courir les chances d’une guerre ouverte, plutôt que de recommencer des pratiques de paix dont il n’avait à se promettre nulle conclusion raisonnable. Il terminait en sommant en quelque sorte le pape de se déclarer, comme il avait souvent dit qu’il le ferait, et de procéder en toute rigueur contre l’infracteur de la trève de Nice, contre le prince qui adhérait au Turc[193]. Ces lettres de l’empereur produisirent une grande sensation à Rome. Dans le sacré collége ses partisans étaient nombreux ; ils proposèrent que le gouvernement pontifical se confédérât avec lui et joignît ses forces aux siennes ; ils auraient même voulu que le roi de France fût déclaré ennemi commun et privé du titre de roi très-chrétien, puisqu’il se faisait l’allié de l’ennemi capital de la croix et du nom du Christ. Ces suggestions passionnées restèrent sans effet sur le pape : Paul III n’entendait point se départir de son système de neutralité ; il craignait, s’il rompait avec le roi de France, de voir se renouveler ce qui était arrivé à son prédécesseur avec Henri VIII[194]. Charles prit alors une mesure qui causa un vif mécontentement à la cour de Rome : les cortès de Castille lui avaient fait des doléances au sujet des pensions que la chancellerie romaine assignait sur les églises d’Espagne et des bénéfices dont elle disposait en faveur de personnes qui n’appartenaient pas à la nation : il promulgua une pragmatique statuant que nul étranger ne serait admis à l’avenir à jouir de bénéfice ni de pension dans ses royaumes[195].

Voyant qu’il ne pouvait compter sur le pape, Charles prêta l’oreille aux ouvertures que lui fit faire le roi d’Angleterre. Depuis quelque temps déjà, ses relations avec Henri VIII étaient redevenues amicales ; à Ratisbonne il avait été convenu, entre l’évêque de Winchester et le seigneur de Granvelle, que, dans le terme de dix mois, il serait avisé aux moyens de former une plus étroite confédération entre leurs maîtres[196]. Le 26 mars 1542 arriva à Valladolid l’évêque de Londres, qui venait remplacer l’ambassadeur anglais à la cour d’Espagne dans la première audience que l’empereur lui accorda, ce diplomate rappela la convention de Ratisbonne, et déclara que son roi était prêt à y donner suite[197] : Henri était irrité en ce moment contre François Ier, à cause de l’appui que trouvait auprès de lui le roi d’Écosse Jacques V. L’ambassadeur impérial à Londres eut ordre de pressentir le roi et ses ministres sur les conditions de l’alliance qu’ils seraient disposés à conclure[198]; elles furent apportées à Charles, le 23 juillet, à Monzon, par l’évêque de Westminster[199]. Plusieurs des points de ce projet de confédération ne lui parurent pas admissibles, et les négociations se poursuivirent à Londres; elles se terminèrent le 11 février 1543. Par le traité qui fut conclu ce jour-là, les deux monarques se promettaient réciproquement l’oubli des anciennes offenses, une amitié véritable, une aide mutuelle et l’extradition réciproque des ennemis ou des rebelles qui chercheraient un asile de l’un chez l’autre. Ils s’engageaient à faire sommer François de renoncer à l’alliance du Turc, et de compenser envers l’empereur et l’Empire les pertes qu’il leur avait occasionnées par cette alliance; de rendre la Bourgogne à Charles; de cesser immédiatement toute hostilité contre lui, afin de le laisser en liberté de s’opposer à l’ennemi commun de la foi; enfin de payer sans délai à Henri les sommes dont il lui restait redevable, ou de lui délivrer quelque ville en nantissement de sa dette. Si François n’acquiesçait pas à toutes ces conditions dans l’espace de quarante jours, les deux souverains s’obligeaient à entrer en France, chacun avec une armée de vingt mille hommes de pied et de cinq mille chevaux, et à ne point quitter les armes qu’ils n’eussent recouvré, l’un la Bourgogne et les villes de la Somme, l’autre la Normandie et la Guyenne, ou même toute la France. Ce traité ne reçut pas de publicité d’abord; Henri VIII désirait qu’il demeurât secret pendant quelque temps : aussi ce fut dans sa chambre, en présence des membres de son conseil d’État et de l’ambassadeur du monarque anglais, que Charles, à Barcelone, en jura l’observation[200].

L’alliance de Henri VIII était d’une extrême importance pour l’empereur dans un moment où les affaires de l’Allemagne réclamaient de sa part une attention sérieuse. Au mois de juillet 1541, l’armée du roi Ferdinand, sous les ordres du comte de Roghendorff, avait été mise en déroute, devant Bude, par les Ottomans, qui s’étaient répandus ensuite dans toute la Hongrie. Afin d’opposer une digue au débordement de ces terribles ennemis de la chrétienté, une diète avait été tenue à Spire, au mois de février de l’année suivante, sous la présidence du roi; elle avait voté la levée de quarante mille hommes d’infanterie et de huit mille chevaux. Ces troupes, que commandait le marquis Joachim de Brandebourg et auxquelles Ferdinand avait joint les siennes, s’étaient dispersées à la fin de la campagne, sans avoir réalisé aucune des espérances qu’on avait fondées sur elles. Une nouvelle diète était indiquée à Nuremberg pour le mois de janvier 1543, où des secours contre les Turs allaient encore être demandés à l’Empire. Dans ces circonstances Ferdinand sollicitait vivement son frère de passer en Allemagne; il lui représentait que sa présence pouvait seule y rétablir les affaires : elle était surtout nécessaire pour inspirer quelque respect aux protestants, dont les prétentions croissaient chaque fois qu’on avait besoin d’eux.

Jaloux de remplir les obligations que lui impose sa dignité de chef de l’Empire; prévoyant aussi que les efforts des Français, combinés avec ceux du duc de Clèves, vont être principalement dirigés contre ses États des Pays-Bas, Charles se détermine à condescendre aux instances du roi des Romains, sans se dissimuler qu’il prend une résolution des plus graves[201]. De Valence, où il avait assisté aux fêtes de l’entrée du prince, il était revenu en Castille : le 25 décembre 1542, à Alcala, il déclare le mariage de son fils avec la princesse Marie, fille du roi Jean III de Portugal, et celui de l’infante doña Juana, la plus jeune de ses deux filles, avec le prince don Juan, frère de Marie[202]. Le 15 janvier, à Madrid, il fait signifier à tous les gentilshommes de sa maison qu’ils aient à se trouver à Barcelone pour la fin de mars, complètement équipés et armés[203]. Il mande au prince Doria de faire ses dispositions afin d’y arriver dans le même temps avec ses galères. Il ordonne que dans les ports d’Espagne on apprête les bâtiments de transport dont il aura besoin pour son voyage. Il prend toutes les mesures qu’exige la sûreté des places frontières du côté de la France[204]. Comme il faut beaucoup d’argent pour l’entreprise qu’il va mettre à exécution, il emprunte une grosse somme au roi de Portugal[205]. Le 1er mars 1543, après avoir commis le gouvernement de la monarchie espagnole au prince Philippe, avec l’assistance du cardinal Tavera et du grand commandeur Covos, nommé le duc d’Albe capitaine général de ses royaumes de Castille et d’Aragon, donné des instructions précises à tous ses conseils, il quitte Madrid. Le 11 avril il arrive à Barcelone, où Doria lui amène quarante-quatre galères, précédant les galères de Naples qui devaient aussi faire partie de la flotte. Il s’embarque le 1er mai[206] et va prendre terre à Palamos d’abord, à Rosas ensuite, attendant, pour mettre à la voile, un vent favorable et le rassemblement de toute son armée navale. C’est à Palamos, où il s’arrête dix jours, qu’il dicte pour son fils des instructions, monuments de sagesse, de prévoyance, d’une expérience consommée dans l’art de gouverner, d’une connaissance profonde des hommes et des choses, qui seuls suffiraient pour placer Charles-Quint au premier rang des politiques de son siècle[207]. Le 17 mai il se rembarque : la flotte, composée de cent cinquante voiles, dont cinquante-sept galères, portant huit mille hommes de vieille infanterie espagnole et sept cents chevaux, lève l’ancre bientôt après[208]. Charles aborde à Gênes le 25; il reçoit en cette ville la visite de Pierre-Louis Farnèse, duc de Castro, fils du pape, de Côme de Médicis, duc de Florence, du duc de Savoie, du prince de Piémont, du marquis del Vasto. Le 6 juin il arrive à Pavie, où l’attendait avec impatience sa fille naturelle, Marguerite d’Autriche, duchesse de Camerino, qu’il n’avait pas vue depuis qu’en 1536 il l’avait mariée à Alexandre de Médicis, et où vient le rejoindre le seigneur de Granvelle, qu’il avait envoyé à la diète de Nuremberg. Le duc de Florence avait suivi l’empereur à Pavie ; il en obtient, moyennant cent cinquanten mille ducats, la remise des forteresses de Florence et de Livourne que les troupes espagnoles occupaient encore. Charles, poursuivant son voyage, entre le 14 juin à Crémone.

Paul III souhaitait beaucoup s’aboucher avec l’empereur; il s’était dans ce but avancé jusqu’à Bologne, accompagné de tout le sacré collége; dès qu’il avait su le débarquement de Charles à Gènes, il y avait dépêché le cardinal Farnèse, et ce prince de l’Église était convenu avec l’empereur que l’entrevue aurait lieu à Busseto, petite ville de l’État de Parme, située entre Crémone et Plaisance[209]. Le 21 juin Charles part pour Busseto, où le pape l’avait précédé; il trouve hors des murs quatorze cardinaux venus à sa rencontre[210]; il est conduit au château et reçu par le saint-père, qui ne souffre pas qu’il lui baise le pied; ils y logent ensemble. Ce jour-là et les deux suivants ils ont de longues conférences[211]. Elles roulent sur le traité de Londres, la pragmatique publiée en Espagne, la guerre existante entre l’empereur et le roi de France, les efforts à faire contre les Turcs, le concile, la création de cardinaux, le duché de Milan. Paul III avait vu avec un grand déplaisir l’alliance conclue entre l’empereur et le roi d’Angleterre; la pragmatique ne lui en avait pas causé moins : Charles lui fournit, au sujet de ces deux actes, des explications dont il finit par se contenter. Paul propose, pour la conclusion de la paix avec la France, des moyens que l’empereur ne juge pas admissibles : à son tour il tâche de persuader le pape de se déclarer contre le roi, qui a enfreint la trêve et s’allie aux ennemis de la chrétienté; mais Paul s’excuse de le faire, au moins jusqu’à ce qu’il voie si le roi joindra ses galères à celles du Turc, alléguant le dommage qu’il causerait à l’Église au cas que François, pour se venger, vint à se soustraire de l’obéissance du saint-siége. Charles alors le presse de secourir le roi des Romains contre les Ottomans; il reçoit de lui la promesse de l’envoi d’un corps de quatre mille Italiens en Allemagne. Le concile ne s’était pas ouvert à Trente au mois de novembre, comme le portait la bulle de convocation, et le pape voulait le suspendre tant que durerait la guerre qui désolait la chrétienté; il était, de plus, d’avis de le transférer ailleurs. Trente étant un endroit malsain et incommode pour les logements ainsi que pour les vivres : Charles lui objecte que c’est lui qui, de son propre mouvement, a offert, à la diète de Ratisbonne, de convoquer un concile œcuménique; que la nécessité de ce concile est plus grande que jamais; que ses légats et lui-même ont tenu Trente un lieu très-convenable; que cette ville d’ailleurs a été choisie d’accord avec les états de l’Empire, et que ce serait leur donner de justes motifs de se plaindre que de la remplacer par une autre saus leur consentement. Ébranlé par toutes ces raisons, Paul déclare que, à son retour à Parme, il délibérera sur le fait du concile avec tout le sacré collége. Charles désirait voir élever à la dignité cardinalice plusieurs prélats qui lui étaient attachés : le pape lui remontre qu’il ne saurait faire une création de cardinaux sans y comprendre deux Français au moins, mais qu’il en pourra nommer jusqu’à huit, tant allemands d’italiens, qui seront à la dévotion de l’empereur. Cette combinaison n’est pas agréée de Charles : il trouve que, les Français ayant déjà seuls plus de cardinaux que tous les autres princes ensemble, le nombre n’en doit pas être augmenté. Une affaire intéressait surtout Paul III, dont toute la politique tendait à l’accroissement de sa maison, et cette affaire l’avait déterminé, plus qu’aucun autre motif, à prendre la peine de se transporter jusqu’à Busseto : c’était l’acquisition du duché de Milan au profit du duc de Camerino, son petit-fils : déjà le cardinal Farnèse en avait entretenu l’empereur à Gènes et à Tortona, et l’on peut bien supposer qu’elle n’était pas restée étrangère aux entretiens de Marguerite d’Autriche avec son père. Paul offre un million d’or pour le Milanais, sans même exiger que les châteaux soient remis entre les mains de son petit-fils, et il s’engage, si l’affaire se conclut, à s’unir à l’empereur pour chasser les Français du Piémont. Charles ne décline ni n’accepte cette offre; il avait, comme on l’a vu, donné l’investiture de l’État de Milan au prince d’Espagne; il ne pouvait donc en disposer sans consulter son fils : c’est la réponse qu’il fait au pape, en ayant soin de ne pas lui ôter tout espoir d’un arrangement conforme à ses vœux[212]. Ainsi se termina cette fameuse entrevue sur laquelle étaient fixés les yeux de toute l’Europe. Un ton amical avait constamment régné entre les deux augustes interlocuteurs, et ils se séparèrent, sinon entièrement satisfaits l’un de l’autre, du moins en se témoignant un bon vouloir réciproque. L’empereur avait pris à tâche de convaincre le souverain pontife que son désir sincère était de vivre avec lui en la meilleure intelligence, de protéger sa maison, de correspondre à tout ce qui intéressait son autorité et celle du saint-siége ainsi que le bien public de la chrétienté, enfin de lui montrer une confiance sans réserve[213].

Le 25 juin Charles fait ses adieux au pape et se remet en route. Le 29 il est à Peschiera, le 3 juillet à Trente, le 9 à Inspruck, le 18 à Ulm, le 23 à Stuttgart; il arrive à Spire le 25. On avait répandu le bruit, dans la Germanie, que, à son retour d’Alger, le navire qui le portait avait péri en mer, qu’on faisait passer pour l’empereur un mannequin qui lui ressemblait beaucoup; de diverses parties de l’Allemagne accourt à Spire une multitude de gens qui désirent s’en assurer[214]. Les protestants s’étaient refusés, à la diète de Nuremberg, à contribuer, avec les catholiques, dans les dépenses de la guerre contre les Turcs; ils envoient à Charles des ambassadeurs pour s’en justifier : ces envoyés lui exposent que leurs maîtres n’auraient pas fait difficulté de fournir leur quote-part dans l’aide demandée, si on leur avait donné des garanties au sujet de la paix de religion, si la chambre impériale eût été réformée selon ce dont on était convenu à Ratisbonne, enfin si les contributions n’étaient pas réparties d’une manière inégale. Il leur fait répondre, par le vice-chancelier de Naves, que les décrets existants garantissent la paix de religion; qu’avant de casser les assesseurs de la chambre impériale, la justice commande de les entendre; qu’il n’est pas en son pouvoir de changer ni de modérer les contributions de l’Empire; que cela ne peut se faire qu’avec le concours de tous les états. Il les adjure de considérer la situation de l’Allemagne et d’engager les princes qui les ont députés à ne pas persister dans leur refus de secours contre les Turcs. Quant à lui, ajoute-t-il, il se voit forcé de marcher avec toutes ses forces contre les alliés des Turcs, le roi de France et le duc de Clèves, qui se sont unis pour attaquer ses États[215]. Aux griefs anciens que Charles avait contre Guillaume de Clèves il s’en était joint un tout récent : ce prince avait chargé ses ambassadeurs à la diète de Nuremberg de négocier une trève avec les ministres impériaux; il ne l’avait obtenue que grâce à l’intervention de plusieurs princes allemands, et lorsqu’il s’était agi d’y apposer sa signature, il avait pris -des prétextes pour s’en excuser, ses troupes ayant dans l’intervalle battu celles de l’empereur devant Sittard[216]. Aussi l’archevêque de Cologne et le comte palatin étant venus parler à Charles en faveur du duc, il leur déclare qu’il n’entrera en aucun arrangement avec celui-ci, tant qu’il n’aura pas renoncé à ses prétentions sur le duché de Gueldre et le comté de Zutphen.

Charles avait amené avec lui quatre mille hommes d’infanterie espagnole, quatre mille gens de pied italiens, huit cents chevau-légers italiens aussi; il avait fait lever en Allemagne seize mille lansquenets et quatre mille chevaux. Ces troupes étant rassemblées, le 5 août il quitte Spire. Il s’embarque, le 12, sur le Rhin, à Mayence; il arrive à Bonn le 17. Là il passe la revue de son armée; il fait don Ferrante Gonzaga son lieutenant général, et mestre de camp général Stefano Colonna. Le 20 il se met en marche. Deux jours après il se présente devant Duren, au pays de Juliers, appartenant à Guillaume de Clèves; il y est joint, le lendemain, par le prince d’Orange, venant des Pays-Bas à la tête de neuf mille hommes d’infanterie, de deux mille chevaux et d’une artillerie nombreuse; il fait aussitôt sommer la ville, promettant aux habitants, s’ils se rendent, de leur conserver leurs franchises et priviléges, sous l’autorité du Saint-Empire. Ceux qui y commandent ne veulent pas entendre le héraut porteur de cette sommation : l’empereur alors fait disposer l’artillerie pour battre en brèche les remparts. La canonnade commence le 24. Le même jour, dans l’après-midi, les Espagnols et les Italiens, sans attendre que la brèche soit convenablement ouverte, et sans en avoir reçu l’ordre, franchissent deux fossés profonds et remplis d’eau dont les remparts étaient entourés, escaladent la muraille et, après une lutte acharnée, pénètrent au cœur de la place. La garnison était composée de cinq compagnies de gens de pied et de quelque cavalerie, sans compter un grand nombre de bourgeois armés; presque tous sont tués ou pris. La ville est livrée au pillage; mais l’empereur défend, sous peine de mort, qu’on touche aux églises ou aux monastères, et qu’on ôte la vie à des femmes, à des filles ou à des enfants. Le lendemain un incendie causé par un accident réduit en cendres la moitié de la malheureuse cité. Charles lève son camp le 27 août. La prise et le sac de Duren avaient répandu la terreur dans tous les pays de Guillaume de Clèves : Juliers, Erckelens, Sittard, Ruremonde, Gueldre, Wachtendonck, Stralen se soumettent sans attendre l’approche de l’armée impériale; Charles reçoit en personne le serment de fidélité des habitants de Juliers et de Ruremonde. Le 2 septembre il va conférer avec la reine Marie, qui était venue de Bruxelles à Weert. Le 3 il se remet en marche, et bientôt il est sous les murs de Venlo. C’était la place la plus forte du duché de Gueldre; elle avait une garnison de trois mille hommes; elle était bien pourvue d’artillerie et de munitions de toute espèce : aussi le gouverneur, malgré le vœu non équivoque des bourgeois, répond-il par un refus à la sommation qui lui est faite.

Cependant Guillaume de Clèves, désespérant d’être secouru par la France et se voyant menacé de perdre tous ses États, se résigne à subir la loi du vainqueur. Par l’intermédiaire du coadjuteur de Cologne, le comte Adolphe de Holstein-Lauenbourg, d’un député de cette ville, le comte de Nieuwenaer et de Meurs, et du duc Henri de Brunswick, il sollicite un sauf-conduit qui lui permette de venir se jeter aux pieds de l’empereur, le supplier de le recevoir en sa grâce et remettre son sort entre ses mains; Charles le lui accorde. Le 5 septembre, Henri de Brunswick quitte le camp impérial pour aller chercher le duc, qu’il amène le jour suivant, en compagnie du coadjuteur et du député de Cologne. L’empereur les reçoit le 7, entouré des principaux personnages de sa cour et de son conseil. Tous quatre s’étant agenouillés, le duc de Brunswick[217] prend la parole en langue allemande. Il invoque, en faveur de Guillaume, sa grande jeunesse; il rejette sur de mauvais conseils les fautes qu’il a commises; il sollicite son pardon, promettant qu’il sera à l’avenir fidèle et obéissant à l’empereur. Le député de la ville de Cologne parle dans le même sens[218]. Charles répond, par la bouche du vice-chancelier de Naves, que le duc l’a grandement offensé; qu’il pourrait en raison et justice le traiter avec rigueur; que néanmoins, voyant qu’il reconnaît ses torts, et pour l’honneur de Dieu, pour le respect du roi des Romains, son frère, qui l’en a supplié, pour l’intercession des électeurs, des princes et des états de l’Empire, pour l’affection qu’il a toujours eue a la commune paix et au bien public de la Germanie, pour épargner enfin aux pays du duc, ainsi qu’aux duchés de Gueldre et comté de Zutphen les maux qu’en traînerait la continuation de la guerre, il accepte sa soumission; qu’il chargera ses ministres de traiter avec lui. Jusqu’à ce moment le visage de l’empereur avait été sévère; son attitude était celle d’un prince qui voyait devant lui un vassal rebelle : après la réponse du vice-chancelier, il fait signe au duc et à ses trois intercesseurs de se relever; il se lève lui-même, tend d’un air gracieux la main à Guillaume et lui adresse quelques paroles[219]. Déjà dans les pourparlers qui avaient eu lieu entre Granvelle et les personnages dont le duc avait réclamé l’intervention, les conditions auxquelles il obtiendrait sa grâce avaient été convenues; le duc y avait souscrit lui-même à son arrivée au camp; le traité fut donc bientôt conclu[220]. Par cette convention, Guillaume de Clèves s’engageait à maintenir en la religion catholique et en l’obéissance. de l’Église romaine tous ses États héréditaires, aussi bien ceux qui allaient lui demeurer que ceux qu’il devait restituer à l’empereur, et à en extirper l’hérésie, si elle s’y était introduite; à être fidèle et obéissant à l’empereur, au roi des Romains et au Saint-Empire; à rompre toutes alliances et confédérations avec leurs ennemis, nommément avec le roi de France, le duc de Holstein, se disant roi de Danemark, et l’intrus de Suède; à ne jamais faire de ligues qui leur fussent préjudiciables. Il cédait et transportait à l’empereur tous les droits et actions qu’il avait aux duché de Gueldre et comté de Zutphen; déliait de leurs serments les états, le peuple et les gens de guerre de ces pays; consentait qu’ils reconnussent l’empereur et ses hoirs pour leurs vrais et naturels seigneurs; promettait de faire évacuer, par ses troupes les places, châteaux et forteresses des mêmes duché et comté qu’elles occupaient et de remettre ceux-ci aux personnes que l’empereur chargerait de les recevoir. De son côté, Charles pardonnait toute offense que le duc pouvait lui avoir faite; il lui accordait ses bonnes grâces; il promettait de le traiter en bon prince de l’Empire et de le prendre en sa protection, ainsi que ses terres et ses vassaux; il s’engageait à lui rendre tout ce qu’il occupait des duchés de Juliers et de Clèves, se réservant seulement l’occupation temporaire des villes de Heinsberg et de Sittard pour assurance de l’exécution du traité.

Le 11 septembre[221] Charles entra dans Venlo, dont les gens de guerre du duc de Clèves étaient sortis, et reçut le serment de fidélité des habitants. Les députés des barons, des nobles et des villes, formant les états des pays de Gueldre et de Zutphen, arrivèrent le même jour au camp impérial. Le maréchal de Gueldre, Martin van Rossem, qui, en 1542, avait envahi et ravagé le Brabant, était avec eux; le duc de Brunswick le présenta le 12 à l’empereur : Van Rossem, les genoux fléchis, sollicita son pardon, protestant qu’il servirait son nouveau maître avec le même zèle la même fidélité qu’il avait montrés à ses deux précédents souverains. Charles lui fit un bienveillant accueil[222]. Les députés des états, à genoux, attendaient l’empereur dans une salle voisine; il s’y transporta. Après qu’il se fut assis, le duc de Brunswick, lui adressant la parole, dit que les représentants de la Gueldre étaient venus là pour lui faire leur soumission, le supplier d’excuser leur conduite passée, et lui prêter serment comme à leur vrai et originel seigneur. Le président du conseil privé, Schore, donna lecture de lettres par lesquelles l’empereur confirmait les priviléges du pays et lui en accordait de nouveaux; la rédaction de ces lettres[223] avait été concertée entre les ministres impériaux et les députés. Le vice-chancelier de Naves lut ensuite la formule du serment, et tous les députés le prêtèrent, après que Guillaume de Clèves, qui était présent, eut déclaré qu’il les déliait de celui qu’il avait reçu d’eux. Charles, à son tour, jura d’observer leurs priviléges[224]. Cette cérémonie terminée, le prince d’Orange, René de Chalon, nommé stadhouder ou gouverneur de Gueldre, partit avec quatre à cinq mille hommes d’infanterie et six cents chevaux pour prendre possession du duché[225]. Deux jours après, le duc Guillaume releva de l’empereur les pays de Juliers et de Clèves[226]. Ce prince, qui avait été l’un de ses plus ardents ennemis, devint un allié fidèle de sa maison ; il épousa, en 1546, l’archiduchesse Marie, fille du roi des Romains : François Ier et le duc de Vendôme, lorsqu’ils avaient connu son traité avec l’empereur, n’avaient pas voulu lui donner Jeanne d’Albret, à qui il avait été marié en 1540, et ce mariage avait été cassé par le pape.

La conquête de la Gueldre était un événement aussi heureux pour les Pays-Bas que glorieux pour Charles-Quint[227]. Elle complétait la réunion des dix-sept provinces; elle leur procurait, au nord, une frontière défendue par des forteresses imposantes : elle délivrait la Hollande, le pays d’Utrecht, l’Overyssel, le Brabant, des incursions et des ravages auxquels, depuis la mort du dernier duc de Bourgogne, ils avaient été en proie. Charles se trouvait par là en position de pouvoir tourner ses armes contre les Français, qui avaient pris Landrecies et étaient maîtres de la plus grande partie du Luxembourg. Le 14 septembre il donna l’ordre à son armée de marcher vers le Hainaut; lui-même il se mit en route, quoiqu’il fût tourmenté de la goutte depuis deux jours. Arrivé à Diest, les souffrances qu’il endurait ne lui permirent pas d’aller plus loin; il appela en cette ville les états généraux, qui avaient été convoqués à Bruxelles. L’assemblée nationale se tint, le 22, dans une salle de la maison où il avait son logement; il s’y fit porter; la reine Marie prit place à côté de lui. Ce fut par l’organe du président Schore qu’il s’adressa aux états. Après les avoir assurés qu’il avait tout fait pour conserver aux peuples placés sous son sceptre les bienfaits de la paix, et que le roi de France n’avait pas eu de véritable motif de recommencer la guerre, il dit qu’en apprenant, l’année précédente, l’invasion des Pays-Bas, il serait accouru à leur secours, comme il l’avait promis à son dernier départ de ces provinces, si dans le même temps les Français n’avaient attaqué ses royaumes d’Espagne ; qu’aussitôt après les avoir chassés du Roussillon, il avait fait ses dispositions pour passer en Italie et de là en Allemagne, mais que des causes indépendantes de sa volonté avaient retardé ce voyage. Il parla de la réduction du duché de Juliers et de la Gueldre, de sa réception par les états de cette dernière province, du traité qu’il avait conclu avec le duc de Clèves. Il reconnut que, depuis le commencement de la guerre, les états avaient accordé à son gouvernement de bien grands subsides ; il les en remercia ; mais il les invita à considérer aussi que, pour venir les défendre, non-seulement il avait laissé ses enfants, ses royaumes d’Espagne et d’Italie et mis sa personne en plus d’un hasard, mais encore qu’il avait levé, aux dépens de ses autres États, trente mille hommes de pied et quatre mille chevaux. Il leur exposa enfin que, vu la force des troupes françaises qui occupaient le Luxembourg, les levées que le roi faisait de tous côtés, les garnisons qu’il convenait, en ces commencements, d’entretenir dans les places de Gueldre, il n’était point expédient de diminuer l’armée. Il les requérait donc de pourvoir à la solde des gens de guerre du pays, suivant la répartition qui leur serait communiquée, se chargeant, lui, de payer ceux qu’il avait amenés. Le chancelier de Brabant, Engelbert Vanden Daele, répondit au nom de l’assemblée. Les états généraux, dit-il, rendaient grâces à Dieu, qui avait préservé l’empereur en tant de divers, lointains et périlleux voyages ; ils se félicitaient de le revoir, et, surtout après une conquête comme celle qui avait marqué son retour, car elle avait abattu un de leurs principaux ennemis ; ils lui témoignaient leur reconnaissance de ce qu’il n’avait pas hésité à quitter ses autres royaumes et messieurs ses enfants pour venir à leur secours ; ils le suppliaient de prendre de bonne part le petit service qu’ils lui avaient fait pendant son absence, et d’être persuadé qu’il les trouverait toujoursn prêts à le servir, de tout leur pouvoir, comme ses tres-humbles et ses très-obéissants vassaux et sujets. Charles, prenant alors lui-même la parole, entretint l’assemblée de la conduite artificieuse et déloyale du roi de France, qui l’avait attaqué dans tous ses États, alors que ce même prince protestait, par ses lettres, de son intention de maintenir la paix ; il loua beaucoup les mesures que la reine régente avait prises pour la défense du pays, et il réitéra ses remercîments de l’assistance que la nation avait prêtée à sa sœur[228].

Le 25 septembre Charles, se sentant mieux, quitte Diest pour aller rejoindre son armée. Un nouvel accès de goutte le retient à Binche une quinzaine de jours ; dès qu’il en est rétabli, il continue son chemin. Le 19 octobre il arrive au Quesnoy, où il confère sur les opérations militaires avec don Ferrante Gonzaga, le duc d’Arschot et le comte du Rœulx. Le jour suivant il va visiter ses troupes qui avaient investi Landrecies. Bientôt il apprend que François Ier a rassemblé les siennes, qu’il en a pris le commandement et qu’il marche vers lui. Un de ses plus ardents désirs était depuis longtemps de combattre son rival : à peine a-t-il reçu cet avis qu’il prend la résolution de livrer bataille au roi. En vain Granvelle lui fait les remontrances les plus pathétiques pour l’en détourner ; en vain la reine Marie le conjure, au nom de sa maison, de ses sujets, de toute la chrétienté, de ne pas exposer sa personne aux risques de la guerre. Il ne se rend pas plus aux prières de sa sœur qu’aux raisons de son premier ministre ; l’occasion qu’il avait tant souhaitée venait s’offrir à lui, il ne veut pas la laisser échapper. Le 28 octobre il se confesse et communie. Le 2 novembre il met son armée en mouvement pour aller chercher les Français, qui s’étaient avancés jusqu’à Cateau-Cambrésis. La bataille semblait inévitable ; François Ier faisait publier partout qu’il la recherchait, et l’on croyait d’autant plus à ses déclarations que, selon le témoignage de l’ambassadeur de Venise qui était au camp de l’empereur, il avait cinquante mille hommes d’infanterie et dix mille hommes de cavalerie, tandis que l’armée impériale ne comptait que trente à trente-cinq mille gens de pied et cinq à six mille chevaux. L’anxiété était grande dans les Pays-Bas aussi bien qu’en France, car le conflit auquel on s’attendait pouvait avoir des suites incalculables[229]. Le 3 novembre Charles « se présente à la barbe du roi de France[230] ; » mais c’est en vain : les Français s’enferment dans leurs retranchements. Le 4 il se rapproche encore de leur camp, sans qu’ils bougent. François Ier, malgré toutes ses bravades, n’avait pas envie de courir les chances d’une action générale ; dans la nuit du 4 au 5[231] il décampe sans bruit et se retire vers Guise. Avertis trop tard de cette retraite, les impériaux ne peuvent atteindre que l’arrière-garde du roi, à qui ils font essuyer quelques pertes. Charles occupe, le 5 et les jours suivants, Cateau-Cambrésis, Ligny, Crèvecœur ; le 10 il entre dans Cambrai. Il avait des griefs contre l’évêque et les habitants de cette cité impériale, qui avaient fait refus de recevoir les gens de guerre envoyés par lui lors de l’approche de l’armée française ; pour les punir, il met garnison dans la ville et ordonne qu’aux frais du pays il y soit érigé une citadelle. La campagne était finie. Elle n’avait pas eu les résultats que s’en était promis l’empereur : car, s’il pouvait se glorifier d’avoir fait reculer devant lui le roi de France, Landrecies restait au pouvoir de ses ennemis, et, dans le Luxembourg, le comte Guillaume de Furstemberg, général des troupes impériales, n’était parvenu à recouvrer aucune des places dont les Français s’étaient emparés. Charles licencie une partie de son armée et assigne des quartiers d’hiver aux troupes qu’il conserve à sa solde. Le 15 novembre il prend le chemin de Bruxelles. À Valenciennes le duc de Lorraine Antoine le Bon et son fils le duc de Bar viennent le visiter. Le duc Antoine, en protestant qu’il agit de son seul mouvement, lui offre d’aller trouver le roi pour le disposer à la paix, si lui-même y est incliné. Charles fait à ce prince l’accueil le plus distingué, mais il n’est pas dupe de son langage ; il savait que sa démarche lui avait été inspirée par les Français[232] : il lui dit que, puisque son offre procède de son seul mouvement, il n’y a pas lieu de sa part d’y répondre ; que d’ailleurs il ne pourrait traiter de la paix sans s’être mis d’accord avec ses alliés.

Le temps qu’il passe à Bruxelles est employé par Charles à l’expédition des affaires majeures de ses nombreux États et aux préparatifs de la prochaine campagne contre la France. Afin de resserrer son alliance avec Henri VIII et d’en obtenir une coopération vigoureuse, il lui envoie don Ferrante Gonzaga. Il comptait aussi sur une assistance efficace des états de l’Empire ; dans ce but il les avait convoqués à Spire pour la fin de novembre ; il croyait pouvoir s’y rendre à cette époque ; les circonstances ne le lui ayant pas permis, il avait renvoyé au mois de janvier l’ouverture de la diète. Le 23 décembre il assemble dans son palais les états généraux, ayant auprès de lui la reine sa sœur. Cette fois encore, c’est le président du conseil privé qui lui sert d’organe. Schore instruit l’assemblée du prochain départ de l’empereur pour l’Allemagne. Il exprime l’espoir que, à l’aide de Dieu, ce voyage sera utile à son saint service et au bien public de la chrétienté, particulièrement des Pays-Bas, « desquels, dit-il, et de tout ce qui les concerne, Sa Majesté tiendra continuellement le soin qu’un bon prince doit avoir et que méritent les parfaites loyauté, fidélité et continuels grands services des sujets de ces pays. » Il annonce que l’empereur a conclu avec le duc de Clèves une confédération et ligue défensive perpétuelle, qui leur assure, de ce côté, des relations de bon voisinage. De nouveaux subsides devant être prochainement demandés aux états, il fait appel à leur patriotisme et à la fidélité dont ils ont donné tant de preuves à leur souverain, pour les engager à seconder son gouvernement par un puissant effort, qui donne le moyen de ranger une bonne fois les Français à la raison, et de garantir à toujours le pays de leurs entreprises[233]. Charles, se levant, insiste, en quelques paroles, sur les considérations qui ont été exposées par son ministre. Le pensionnaire de Bruxelles, au nom des états, remercie l’empereur de la communication qui vient de leur être faite ; il répète ce que le chancelier de Brabant a déclaré à Diest, qu’ils seront toujours prêts à le servir de leurs corps et de leurs biens.

Le 2 janvier 1544 Charles part pour Spire. A Cologne il apprend que l’archevêque, Herman de Wied, qui avait adopté les principes des novateurs, a récemment proposé à son chapitre d’admettre dans tous les lieux de l’archevêché des prédicateurs luthériens, d’adopter la communion sous les deux espèces, et d’autoriser la célébration des offices en langue allemande, propositions que le chapitre a repoussées avec énergie : il loue hautement le bon esprit dont les membres de ce corps sont animés ; il leur donne l’assurance qu’il ne manquera pas de les soutenir, si eux-mêmes ils ne faillent point à leur devoir[234]. A Creuznach, le 20 janvier, il est joint par le cardinal Farnèse, venant de France, où le pape l’avait envoyé pour exhorter le roi à la paix, et qui était chargé de la même mission auprès de lui. Paul III ne l’avait pas prévenu de son intention de faire cette démarche ; de plus il savait, par les lettres de son ambassadeur à Rome, que Farnèse ne l’aimait point ; que le pape lui-même ne voulait rien faire en sa faveur, se flattant de le contraindre par là à lui céder le Milanais, qui était l’objet de toutes ses convoitises[235] : il accueille froidement le légat, et lui tient un langage assez aigre[236]. Farnèse met en avant quelques propositions d’accommodement : comme elles avaient pour base la conservation par le roi de France de ce qu’il occupait en Piémont, l’empereur lui déclare que, tant que le roi aura un pouce de terre en Italie, on ne pourra faire avec lui de paix sûre et stable. Le légat le prie, si ces propositions ne lui agréent pas, de s’expliquer sur les conditions auxquelles il consentira à traiter : il répond qu’il a offert, par le passé, de fort grands partis et fort avantageux au roi ; que, le roi les ayant refusés, il n’a plus d’offre à faire ; que, quand le roi proposera des moyens d’arrangement, s’ils sont justes, on retrouvera disposé à y entendre. Farnèse s’efforce à justifier les actions du pape : Charles lui dit que la façon dont S. S. s’est conduite dans les affaires publiques, comme dans les affaires particulières qui le touchaient, a été telle qu’il ne sait si S. S. serait un bon « troisième » dans les négociations de la paix, car elle s’est toujours montrée favorable au roi ; il ajoute qu’il connaît S. S. si attachée à son opinion qu’il serait superflu d’en parler ; que si, pour le présent, elle fait ou ne fait pas ce qu’elle doit faire, il fera, lui, dans l’un et dans l’autre cas, ce à quoi il est tenu. Le légat a plusieurs conférences avec Granvelle, sans en pouvoir tirer davantage[237] ; il quitte la cour impériale, le 26 janvier, pour aller rendre compte au roi de France du résultat peu satisfaisant de son voyage. François Ier, qui avait avec tant de présomption recommencé la guerre, recourait maintenant à toute sorte de moyens pour obtenir la paix; on a vu qu’il y avait employé le duc de Lorraine; au moment où Farnèse négociait à Creuznach et à Worms, un contrôleur de la maison de la reine de France était à Bruxelles auprès de la reine Marie, qu’Eléonore sollicitait vivement de travailler a la réconciliation de son mari et de son frère[238].

Charles fit son entrée à Spire le 30 janvier 1544. Aucun des électeurs ni des princes les plus considérables de l’Allemagne ne s’y trouvait encore. Le 7 février y vint le landgrave de Hesse, Philippe le Magnanime; les électeurs de Mayence, de Trêves et de Cologne y arrivèrent les jours suivants. Charles fit au landgrave un accueil plein de bienveillance. Cela n’empêcha point qu’ayant appris que des prédicateurs attachés à sa cour prêchaient publiquement, il ne l’invitât à leur ordonner de s’en abstenir; un de ces prédicateurs proclamait qu’il était licite à chaque laïe d’avoir deux femmes, et aux évêques d’en avoir autant qu’ils avaient d’évêchés[239]. Le duc de Saxe, Jean-Frédéric, arriva à Spire le 18 février. Deux électeurs, celui de Brandebourg et le palatin, y manquaient encore, ainsi que bien des princes séculiers catholiques; Charles se détermina néanmoins à ne plus différer l’ouverture de la diète. Le 20 février, après avoir, à la grande église, entendu la messe du Saint-Esprit célébrée par l’évêque d’Augsbourg, il se transporta à la maison de la ville, et fit faire la proposition aux états assemblés par le vice-chancelier de l’Empire, de Naves. Trois points en étaient principalementn l’objet : la demande d’une aide contre les Turcs et contre le roi de France, leur allié; la question religieuse, sur le règlement de laquelle l’empereur incitait les électeurs, les princes et les autres états à lui communiquer leurs vues; l’organisation de la chambre impériale, dont il les requérait aussi de s’occuper, le terme de trois ans, pour lequel l’entretien de la chambre avait été voté à la diète de Ratisbonne, étant à la veille d’expirer.

Après de courtes délibérations, la diète se prononça pour la guerre contre la France. L’alliance de François Ier avec les Turcs avait excité l’indignation de toute l’Allemagne; on reprochait aussi au roi d’avoir dit qu’il ne dédirait rien tant que de faire boire à son cheval de l’eau du Rhin : l’entraînement contre lui fut général. Le 13 mars, une députation de six membres du collége électoral et six membres du collége des princes alla porter à l’empereur la résolution de la diète; Charles en ressentit une satisfaction indicible : « Ç’a été, par ma foi, une grande chose » — dit à cette occasion Granvelle, parlait aux ambassadeurs de Venise — « et même une chose inespérée de Sa Majesté, que l’Allemagne, où le roi de France se vantait d’avoir tant d’amis, se soit tout entière déclarée comme elle l’a fait[240]. » François Ier avait destiné, pour le représenter auprès de la diète, des ambassadeurs qui s’étaient avancés jusqu’à Nancy, où ils attendaient un sauf-conduit de l’empereur. Non-seulement la diète ne voulut pas les recevoir; mais le héraut qui avait été envoyé à Spire, avec la charge de réclamer ce sauf-conduit, fut arrêté, et, en le congédiant quelques jours après, on lui dit qu’il était heureux de s’en retourner la vie sauve; qu’on lui pardonnait pour cette fois, mais qu’il se gardât bien à l’avenir de se charger de pareilles commissions. Dans le même temps la diète écrivit aux ligues suisses, les adjurant de ne donner aucun secours à la France.

Le roi Ferdinand était arrivé à Spire, le 11 mars, avec les archiducs ses deux fils aînés; le nouvel électeur palatin, Frédéric[241], y arriva le 31, et le marquis Joachim de Brandebourg le jour suivant. Le collége électoral se trouvait par là au complet. D’autres princes, et le duc de Clèves nommément, y étaient venus aussi. Jusqu’alors l’électeur de Saxe s’était refusé à reconnaître Ferdinand pour roi des Romains : des négociations s’ouvrirent entre leurs ministres, à l’intervention de Granvelle, à la suite desquelles Jean-Frédéric se désista de son opposition; moyennant cela, l’empereur ratifia son contrat de mariage avec Sybille, sœur du duc de Clèves, en vertu duquel, si le duc décédait sans hoirs mâles, les enfants qui naîtraient de Jean-Frédéric et de Sybille lui succéderaient. On reçut à Spire, vers la fin d’avril, la nouvelle de la défaite des troupes impériales sous le commandement du marquis del Vasto, à Cerisolles[242]; les électeurs, la plupart des princes de l’Empire, les ambassadeurs, allèrent exprimer à l’empereur le déplaisir qu’ils en éprouvaient : « Ce qui me peine seulement, répondit Charles-Quint, ce sont les pauvres gens qui sont morts pour mon service[243]. » Le 5 mai eut lieu une imposante solennité : Charles, revêtu de ses habits impériaux et entouré des électeurs aussi en costume de cérémonie, des archiducs et des autres princes, donna, à la maison de la ville, à Wolfgang Schuzbar l’investiture de la grande maîtrise de l’ordre Teutonique. Une autre cérémonie, qui fut suivie, pendant plusieurs jours, de fêtes brillantes[244], occupa bientôt après la cour impériale : ce fut le mariage du comte Lamoral d’Egmont avec la princesse Sabine de Bavière[245]. Le 23 mai Charles, écoutant plus les intérêts de ses sujets des Pays-Bas que ceux de sa famille, signa, avec le roi de Danemark Christiern III, un traité de paix héréditaire et perpétuelle[246].

Autant il avait été aisé de réunir les suffrages de la diète sur la guerre contre la France, autant il fut difficile de mettre d’accord les protestants et les catholiques au sujet de la paix publique de l’Allemagne et de l’organisation de la chambre impériale. Comme le remarque l’ambassadeur vénitien Bernardo Navagero, la position de Charles-Quint, en présence des prétentions opposées des deux partis, était embarrassante : car si, d’un côté, il était plein de zèle pour la religion catholique, de l’autre le besoin qu’il avait des protestants le forçait de les ménager[247]. A la suite de conférences qu’il avait eues avec l’électeur de Saxe et le landgrave de Hesse, il s’était décidé à appuyer auprès des états les demandes des protestants : à peine eut-il été donné lecture à la diète de l’écrit qui les contenait, que les catholiques abandonnèrent la salle des séances, disant que de telles propositions étaient contraires à la fois à la religion, à l’autorité du saint-siége et à celle même de l’empereur. Les deux nonces qui suivaient la cour impériale et celle du roi des Romains firent de très-fortes remontrances à l’un et à l’autre monarque. Charles et Ferdinand leur répondirent qu’ils ne manqueraient pas à leur devoir de maintenir la religion, qu’ils vivraient toujours catholiquement, mais qu’il fallait chercher les moyens de mettre un terme aux dissensions de l’Allemagne et pourvoir aux plus pressants besoins de la chrétienté. Un des principaux griefs des catholiques était la déclaration de Ratisbonne; non-seulement ils s’opposaient à ce que le recez la sanctionnât, mais ils en demandaient l’annulation : Charles leur dit qu’il tenait en son esprit cette déclaration pour nulle, car il avait été trompé lorsqu’il l’avait donnée, et que, quand on examinerait si elle devait ou non conserver sa force, il promettait, en parole d’empereur, de l’annuler, mais que, pour le moment et dans l’état où étaient les choses, il serait inopportun d’en parler; il les assura qu’il continuerait d’être le prince religieux et catholique qu’il avait été jusque-là; que, s’il faisait maintenant quelque chose contre leur gré, c’était parce qu’il ne pouvait faire autrement[248]. Enfin, et après bien des pourparlers de Gravelle avec les hommes influents des deux partis, le recez put être arrêté et publié le 10 juin. Il portait que les états accordaient, pour six mois, à l’empereur l’entretien de vingt mille hommes de pied et de quatre mille chevaux qui seraient employés contre le roi de France et les Turcs; qu’une capitation dont le produit servirait aussi à faire la guerre aux Turcs serait levée par toute l’Allemagne, sans exemption aucune; que nul sujet de l’Empire ne pourrait aller servir à l’étranger et particulièrement en France; que ceux qui contreviendraient à cette défense seraient punis de peines très-séveres; que, les autres affaires dont les états avaient eu à s’occuper n’ayant pas permis de résoudre la question religieuse, cette question était renvoyée à une dicte qui se tiendrait l’automne ou l’hiver suivant; que, dans l’intervalle, l’empereur chargerait des personnes pieuses, honnêtes et savantes de dresser un projet de réformation; que les princes étaient invités à faire, de leur côté, la même chose; que les différents projets qui seraient formés seraient soumis à la prochaine diète, afin qu’on pût convenir unanimement de la maniére dont on se conduirait jusqu’à l’assemblée d’un concile universel ou d’un concile national; que provisoirement les différentes paix de religion qui avaient été établies seraient observées; que le décret d’Augsbourg et tous autres décrets rendus contre les protestants seraient suspendus; que les juges de la chambre impériale continueraient à remplir leurs fonctions jusqu’à l’expiration du terme fixé pour l’entretien de cette chambre; que, dans la prochaine diète, on délibérerait sur cet entretien pour l’avenir, et que les juges seraient choisis alors sans égard à la religion qu’ils professaient[249].

Charles était impatient d’entrer en campagne. Le recez à peine proclamé, il monte à cheval, laissant au roi des Romains le soin de le signer, et se dirige vers Metz[250]. C’était dans cette ville et aux environs que se trouvaient rassemblées les troupes dont il se proposait de prendre en personne le commandement. Le 6 juillet il se met à leur tête et marche vers Saint-Dizier, que don Ferrante Gonzaga venait d’investir, après s’être emparé de Luxembourg, de Commercy et de Ligny; il comptait sous ses drapeaux treize enseignes de lansquenets, fortes de six mille cinq cents hommes, commandées par le prince d’Orange, René de Chalôn; trois mille sept cents Espagnols; les escadrons du duc Maurice de Saxe, du marquis Albert de Brandebourg, du grand maître de l’ordre Teutonique et de quelques autres princes allemands, les gens de sa garde et de sa maison, qui tous ensemble faisaient deux mille trois cents chevaux environ, avec mille pionniers et huit pièces de canon[251]. Quoiqu’on fût au cœur de l’été, il pleuvait continuellement et les chemins étaient affreux : durant toute cette marche, Charles ne néglige aucune des dispositions qu’on pouvait se promettre d’un prudent et valeureux capitaine, ordonnant lui-même chaque chose et voulant être constamment au milieu de son armée[252]. Il arrive, le 13, au camp devant Saint-Dizier, brisé de fatigue : ce qui ne l’empêche pas d’aller reconnaître la place. Le lendemain un événement fatal le plonge dans la consternation : le prince d’Orange, dont il faisait le plus grand cas, est frappé d’un, coup mortel dans la tranchée, où il venait de descendre. Saint-Dizier était défendu par des fortifications qui le rendaient difficile à emporter; il avait une garnison nombreuse et dont les chefs jouissaient d’une grande réputation militaire; l’armée impériale manquait de pionniers; le temps continuait d’être détestable : aussi le siége avançait peu. Le 23 juillet, Charles fait attaquer les Français, qui occupaient Vitry, d’où ils interceptaient les convois dirigés vers son camp et épiaient l’occasion de jeter du renfort dans la place assiégée; ils essuyent une déroute complète et évacuent Vitry; après avoir perdu plus de quinze cents hommes tués ou pris. Le 9 août, le comte de Sancerre, qui commandait dans Saint-Dizier, perdant l’espoir d’être secouru, capitule; il remet la ville aux impériaux huit jours après. Charles alors se porte en avant; il avait en ce moment sous ses Ordres vingt mille hommes d’infanterie, dont cinq mille Espagnols, et la cavalerie qu’il avait amenée d’Allemagne. Il couche le 26 août à Vitry, le 28 à Saint-Pierre, le 30 à la Chaussée; le jour suivant il s’approche de Châlons, qu’il laisse derrière lui. Il espérait forcer les Français à la bataille : mais le dauphin, qui était à leur tête, avait ordre du roi d’éviter un engagement à tout prix, et il reculait toujours. L’armée impériale traverse Aï et Epernay, auxquels elle met le feu; elle entre sans coup férir dans Château-Thierry. Le 12 septembre elle arrive devant Soissons, qui, à la première sommation, lui ouvre ses portes. À cette nouvelle la terreur se répand dans Paris; un grand nombre de bourgeois s’enfuient vers la Touraine et la Bourgogne, emportant ce qu’ils ont de plus précieux.

Depuis l’ouverture de la campagne, François Ier avait fait plusieurs tentatives, directes et indirectes, pour porter l’empereur à accueillir des propositions de paix. Charles n’avait pas d’abord prêté l’oreille à ces ouvertures, n’y trouvant pas un fondement solide à de sérieuses négociations[253] : mais, après la reddition de Saint-Dizier, il permit que le secrétaire d’État Claude de l’Aubespine vînt conférer, près de son quartier général, avec Granvelle et Gonzaga. A la suite de cette conférence, il consentit à donner un sauf-conduit à l’amiral d’Annebault. Il avait lui-même des raisons d’un grand poids de désirer la fin de la guerre[254]. Henri VIII, qui s’était engagé à entrer en France avec une armée de trente-cinq mille hommes d’infanterie et de sept mille chevaux, et à lui donner la main pour marcher ensemble sur Paris, n’avait pas rempli ses promesses, et n’était pas disposé à les remplir. La disette, à mesure qu’il s’éloignait des frontières des Pays-Bas, se faisait de plus en plus sentir dans son camp. L’argent commençait aussi à lui manquer. La saison avançait, et il était à craindre que, dans peu de temps, les chemins ne devinssent impraticables pour l’artillerie et les convois de vivres. Enfin son armée diminuait chaque jour par les maladies et les désertions. Toutes ces raisons, auxquelles il faut ajouter les soucis que lui donnaient les affaires religieuses de l’Allemagne et la situation de la Hongrie, le déterminèrent à ne pas former de prétentions qui pussent être des obstacles à un arrangement[255]. Les négociations, commencées le 29 août, entre l’amiral d’Annebault, le conseiller de Neuilly, le secrétaire Bayard, fondés de pouvoirs du roi, et les plénipotentiaires de l’empereur, Granvelle et Gonzaga, se terminèrent le 18 septembre, à Crépy, par un traité de paix dont les stipulations les plus importantes étaient que l’empereur et le roi se restitueraient tout ce que l’un avait conquis sur l’autre depuis la trève de Nice; que l’empereur évacuerait immédiatement la Champagne; que les deux souverains s’engageaient à travailler de concert à la réunion de l’Église et à la défense de la chrétienté contre les Turcs; que, pour ce second objet, François fournirait, six semaines après qu’il en aurait été requis, six cents hommes d’armes à sa solde et dix mille piétons; qu’afin de cimenter l’amitié entre les maisons d’Autriche et de France, le duc d’Orléans épouserait ou la fille aînée de l’empereur, qui lui apporterait en dot tout l’héritage de la maison de Bourgogne dans les Pays-Bas et la Franche-Comté, ou la seconde fille du roi des Romains, dont la dot serait le Milanais; que dans le premier cas, l’empereur conserverait la souveraineté des Pays-Bas sa vie durant, et que le duc et la duchesse d’Orléans seraient mis en possession de ces provinces seulement en qualité de gouverneurs; que l’empereur devrait opter entre l’un et l’autre mariage dans un délai de quatre mois; qu’après l’accomplissement de celui pour lequel il se serait prononcé, le roi restituerait toute la partie des États du duc de Savoie dont il s’était emparé, tant deçà que delà les monts. Ces conditions, on le voit, étaient celles que Charles avait mises en avant en 1540; on ne pouvait donc lui reprocher d’abuser de ses avantages; sa modération lui attira même le blâme de bien des gens, en Angleterre, aux Pays-Bas et en Espagne[256].

Le 19 septembre, Charles jure l’observation du traité en présence du duc d’Orléans, du duc de Vendôme et des plénipotentiaires français. La veille, l’amiral d’Annebault lui avait présenté le duc d’Orléans; il avait fait à ce jeune prince un accueil tout paternel[257]. Il quitte Crépy le 20, couche le 22 à Cateau-Cambrésis, d’où il va le lendemain voir la reine Marie à Cambrai, retourne le 24 à Cateau-Cambrésis pour licencier son armée, et rejoint Marie à Valenciennes le 28, s’étant arrêté quelques heures à Landrecies, qui venait de lui être restituée. Le 1er octobre il arrive à Bruxelles. Il reçoit dans cette capitale la visite de la reine Éléonore et celle du duc d’Orléans; il va au-devant de la reine de France jusqu’à une demi-lieue de Mons; Eléonore et le prince son beau-fils séjournent à Bruxelles du 22 octobre au 3 novembre; pendant ces deux semaines, les joûtes, les tournois, les jeux de cannes, les festins, les danses, les mascarades se succèdent sans interruption à la cour. Charles avait convoqué les états généraux; il les assemble dans son palais le 4 novembre. Il leur dit que, depuis leur dernière réunion, les états de Gueldre et de Zutphen, considérant le grand bien que leur réduction sous son obéissance leur a procuré, voyant aussi le soin qu’il a de maintenir leurs priviléges et de les gouverner avec justice, « comme est son intention en user envers tous ses sujets, » l’ont fait supplier de leur donner l’assurance, par un acte en forme, qu’ils ne seront jamais séparés des Pays-Bas. Il parle du traité que, dans l’intérêt de la navigation et du commerce de ces provinces, il a conclu avec le roi de Danemark, de l’aide qu’il a obtenue des états de l’Empire contre « les Turcs et ses autres ennemis. » Il passe très-légèrement sur sa campagne de France, se bornant à dire qu’il « s’est mis aux champs et a exploité la guerre comme les états ont pu l’entendre. » Il se réjouit de la conclusion de la paix qu’il a toujours désirée, et qui va donner à ses pays les moyens de se refaire des pertes, des dommages, des charges qu’ils ont eu à supporter. Il expose la nécessité où il est de se rendre dans la Germanie, afin de pourvoir, avec les états de l’Empire, tant au fait de la religion qu’à la guerre contre le Turc. Il exprime son regret que cette circonstance ne lui permette pas de se rendre dans toutes les provinces, comme il l’aurait voulu, et de leur témoigner en personne la satisfaction qu’il a de leurs services, desquels il gardera le souvenir, pour leur être toujours bon, gracieux et bénin prince. Il termine en les priant de vouloir, cette fois encore, montrer le zèle du bien public dont ils sont animés, en accordant à son gouvernement les moyens de payer les dettes de la dernière guerre[258]. Les documents que nous avons consultés sont muets sur la réponse faite à cette proposition par les états généraux : mais ils nous apprennent que les provinces avaient chargé leurs députés de féliciter l’empereur sur les succès qu’il avait eus en France et sur la paix qui en avait été le fruit.

En raison de sa population et de sa richesse, la Flandre était la province qui avait à fournir le plus fort contingent dans le subside demandé aux états généraux[259]; Charles, désirant complaire aux Flamands, part, pour Gand le 2 décembre. Il y était à peine de deux jours, que la goutte le prend. Les médecins conseillent son retour à Bruxelles, dont ils jugent que l’air lui convient mieux : c’est avec beaucoup de difficulté qu’après un traitement de six semaines, il peut monter dans une litière qui doit l’y transporter. Le pauvre prince « — écrivait l’ambassadeur de Venise Bernardo Navagero, qui était présent à son départ — a exité la compassion de tous ceux qui l’ont vu, tant il était faible, pâle et en mauvais état[260]. » À Bruxelles un nouvel accès de goutte, qui l’atteint en même temps à l’épaule, au bras, à la main et au pied, se déclare le 1er février ; il est tout aussi violent et ne dure pas moins que celui qui l’a précédé. Entré en convalescence vers le milieu de mars, l’auguste malade, quoique bien faible encore, veut s’occuper des affaires publiques ; le 25 il reçoit cet ambassadeur de Venise dont nous avons tout à l’heure cité les paroles. Navagero mande au doge qu’il l’a trouvé très-maigre et très-pâle. « Il avait au cou — ajoute-t-il — une bande de taffetas noir, qui lui sert, je suppose, à appuyer le bras gauche. Les doigts de la main m’ont paru fort amaigris et fort dissemblables à ce que j’en ai vu d’autres fois. Il était assis et appuyé à une petite table couverte de velours noir placée devant lui[261]. »

Aux douleurs physiques qui étaient venues assaillir Charles-Quint se joignait la peine d’esprit où le mettait la déclaration qu’il avait à donner sur l’alternative énoncée dans le traité de Crépy. Aussitôt après la conclusion de la paix, il avait envoyé en Espagne le secrétaire Alonso de Idiaquez, pour lui rapporter l’opinion du prince et celle de ses ministres au sujet de cette alternative ; il en avait écrit au roi des Romains ; il avait consulté les principaux seigneurs des Pays-Bas. Ceux-ci s’étaient prononcés contre l’aliénation de la Belgique, en exprimant le vœu que l’empereur prît les arrangements nécessaires pour qu’il pût, ou le prince son fils, y résider habituellement. Le roi Ferdinand s’y était montré plus opposé encore : la donation des Pays-Bas aurait eu, à ses yeux, des inconvénients extrêmement graves pour l’empereur, pour ses enfants, pour sa maison et pour ses autres États. Quant à l’opinion du prince et du conseil d’Espagne, chose étrange ! l’histoire ne l’a pas fait connaître. Après bien des hésitations (car la cession du Milanais pouvait avoir des conséquences redoutables pour la domination espagnole en Italie), Charles se décide à donner au duc d’Orleans aà seconde fille de son frère ; un courrier parti de Bruxelles le 23 mars 1545 ; et qui arrive le 30 à Amboise, où était la cour de France, en porte la notification à son ambassadeur le sieur de Saint-Mauris. Elle est bien accueillie par François Ier, quoique, sans aucun doute, ce monarque eût mieux aimé que son petit-fils fût appelé à régner sur les Pays-Bas : il en fait remercier l’empereur en son nom et en celui du prince. Le duc d’Orléans vient l’en remercier en personne ; il arrive, le 24 avril, à Anvers, où l’empereur était venu de Bruxelles : Charles le reçoit avec toute sorte de démonstrations d’amitié, auxquelles il répond par de grandes marques de respect. Le jeune prince passe cinq jours à la cour du monarque qui doit devenir son oncle[262].

Suivant l’engagement qu’il en avait pris, Charles avait convoqué les états de l’Empire à Worms. La goutte l’ayant retenu à Gand d’abord et ensuite à Bruxelles, il avait envoye à la diète, en qualité de ses commissaires, le seigneur de Granvelle, l’évêque d’Arras son fils et le vice-chancelier de Naves. Le 30 avril, s’étant séparé, à Lierre, de la reine Marie et du duc d’Orléans, il prit le chemin de l’Allemagne. Il fit son entrée à Worms le 16 mai, escorté de six cents chevaux des bandes d’ordonnance des Pays-Bas. Le jour suivant arriva dans la ville impériale le cardinal Farnèse, député de nouveau vers lui par le pape. Les rapports de Charles-Quint avec Paul III étaient loin de s’être améliorés depuis l’entrevue de Creuznach. Au moment où la paix de Crépy venait d’être conclue, le pape dépêchait à Bruxelles un de ses camériers porteur d’un bref dans lequel il se plaignait, en termes très-vifs, de la partialité que l’empereur avait montrée pour les protestants à la diète de Spire; il faisait faire les mêmes plaintes au roi des Romains par son nonce en Allemagne; dans une nombreuse promotion de cardinaux il affectait de ne pas comprendre l’évêque de Pampelune dont l’empereur désirait la nomination. Tout cela avait blessé Charles-Quint, qui voyait dans Paul III un pontife jaloux de sa grandeur et mal disposé envers lui, envers sa maison, envers les États placés sous son sceptre[263]. Cependant le pape, ayant besoin du concours de l’empereur pour la célébration du concile qu’il avait convoqué à Trente, et ne pouvant compter que sur lui pour la réduction des protestants, s’était décidé à faire une démarche qui témoignât de son désir de rétablir entre eux la bonne intelligence; et tel était l’objet de la mission du cardinal Farnèse. Les premières paroles que ce prince de l’Église adressa à l’empereur furent des excuses de ce qui l’avait mécontenté dans les actions du pape : Charles, l’interrompant aussitôt, lui dit qu’il n’était besoin de parler plus de choses anciennes; qu’il fallait commencer à faire un livre nouveau. Farnèse était chargé de demander que l’empereur agréât l’ouverture du concile, qu’il y envoyât les prélats de ses royaumes, et qu’il prît des mesures rigoureuses contre les protestants; ces demandes étaient accompagnées de l’offre de cent mille ducats pour la guerre contre les Turcs. Charles accepta les cent mille ducats; il promit d’envoyer au concile les évêques de ses États; quant aux protestants, il convint qu’ils faisaient preuve d’une obstination extrême, mais, dans la situation où étaient les affaires de l’Allemagne, il trouvait qu’il valait mieux tenter des moyens d’arrangement avec eux que recourir à des voies de rigueur. Farnèse retourna à Rome le 27 mai, porteur de cette réponse[264].

La diète que avait été ouverte le 24 mars par le roi des Romains, assisté des commissaires de l’empereur, était peu nombreuse; on n’y comptait aucun des électeurs ni des princes de l’Empire. Le 9 juin arriva à Worms le comte palatin Frédéric; mais il n’y resta que peu de jours. Les délibérations ne faisaient aucun progrès; le désaccord était plus grand que jamais entre les protestants et les catholiques. Ceux-ci voulaient que toutes les controverses sur la religion fussent remises à la décision du concile convoqué à Trente; que la paix publique de la Germanie s’observât, non d’après les derniers décrets, mais conformément à l’édit ancien, et qu’en conséquence ceux qui occupaient des biens appartenants à autrui fussent tenus de les restituer, que la chambre impériale se réglât, dans ses jugements, sur les dispositions des statuts en vigueur; enfin que l’empereur ne confirmât point le recez de Spire. Les protestants, au contraire, demandaient que ce recez fût prorogé par une déclaration expresse; ils demandaient la réforme de la chambre impériale; ils se refusaient à se faire représenter à Trente, disant que le concile n’était pas l’assemblée libre et chrétienne qu’on leur avait promise; qu’il aurait dû être indiqué dans l’une des quatre villes de Cologne, Mayence, Trèves ou Metz; que d’ailleurs l’empereur avait fait imprimer à Louvain certains articles, tous contraires à leur doctrine, un surtout qui attribuait au pape une prééminence qu’ils ne lui reconnaissaient point; qu’il avait par là manifesté son opinion; qu’ils ne voyaient pas dès lors à quoi servirait le concile, et à leur tour ils demandaient que sur les différends de la religion il fût tenu un colloque entre des députés qui seraient choisis tant par eux que par les catholiques. En vain l’empereur leur fit remontrer qu’une nouvelle déclaration sur la paix publique était inutile, puisqu’ils n’étaient molestés de personne et que nul ne songeait à les molester; que leur opposition au concile n’était point raisonnable. Trente étant une ville allemande, où leurs mandataires pourraient aller et d’où ils pourraient partir en toute liberté : ils dirent résolument qu’ils ne délibéreraient point sur les matières soumises à la diète, s’ils n’obtenaient la satisfaction par eux prétendue. Il y avait, en outre, l’affaire du duc de Brunswick, que les protestants avaient dépouillé de ses États : l’empereur souhaitait qu’ils fussent restitués à ce prince; les protestants ne consentaient qu’à les remettre à l’empereur lui-même, et sous certaines conditions[265].

Sur ces entrefaites, un courrier expédié de Rome apporta au nonce accrédité à la cour impériale des dépêches d’une haute importance. C’était le 23 juin : le nonce, sans perdre de temps, en donna connaissance à l’empereur. Paul III offrait à Charles, s’il voulait faire la guerre aux protestants, deux cent mille écus pour les préparatifs de l’expédition et un corps auxiliaire de douze mille hommes de pied et cinq cents chevaux qui serait à la solde du saint-siége; il mettait, en outre, à sa disposition les demi-fruits des revenus ecclésiastiques de tous ses royaumes et le pouvoir de vendre les seigneuries et vassaux des monastères, moyennant une compensation à leur donner en rentes. De telles offres étaient faites pour exciter au plus haut point l’attention de l’empereur; elles donnèrent lieu à de longues délibérations dans le sein de son conseil. Charles en communiqua aussi avec le roi son frère. Tous deux jugèrent que l’entreprise proposée était le seul moyen d’empêcher que la religion ne se perdît en Allemagne; mais il ne leur parut point qu’on pût y songer pour l’année qui courait; les préparatifs à faire exigeaient trop de temps et la saison était trop avancée. Charles se résolut, en conséquence, à envoyer à Rome le seigneur d’Andelot, afin d’engager le pape à remettre à l’année suivante l’exécution du dessein qu’il avait conçu, étant prêt à y concourir alors de tout son pouvoir. Le plus grand secret fut recommandé aux personnes qui avaient connaissance de cette négociation. On donna pour couleur au voyage de d’Andelot qu’il allait visiter la duchesse de Camerino, Marguerite d’Autriche, alors enceinte, de la part de son père[266].

Depuis que le comte palatin avait quitté Worms, nul autre prince allemand n’y était venu. Charles, voyant que la diète ne pouvait oboutir à aucun résultat, se détermina à la rompre. Le recez souffrit quelques difficultés, à cause de l’opposition des catholiques; mais enfin il fut lu le 4 août. L’empereur y déclarait que, l’absence des principaux membres des états n’ayant pas permis à la diète de décider les affaires importantes pour lesquelles elle avait été réunie, il la transférait à Ratisbonne au jour des Trois Rois de l’année suivante. Il invitait les électeurs et les princes de la Germanie à s’y rendre en personne, va la gravité des questions qui y devaient être résolues, donnant l’assurance qu’il s’y trouverait lui-même. Comme, dans la diète qui finissait, on n’avait pu rien conclure au sujet des affaires de la religion, il annonçait qu’il serait tenu sur ces affaires un colloque par un petit nombre de personnes pieuses, savantes, éclairées, d’une bonne conscience et amies de la paix, dont les unes seraient désignées par lui, et les autres, en nombre égal, par les protestants. Il confirmait enfin les précédents recez tels qu’ils avaient été généralement admis[267].

Charles avait reçu, le 18 juillet, une nouvelle qui l’avait comblé de joie : la princesse d’Espagne était, le 8, accouchée d’un fils. Sa joie se changea en une douleur profonde, lorsque des dépêches expédiées de Valladolid vinrent lui apprendre, le 30, que la princesse était morte quatre jours après sa délivrance. Il part de Worms le 7 août, après avoir mandé à la reine Marie de faire tout préparer pour la célébration à Bruxelles des obsèques de sa belle-fille. A Cologne il a un entretien avec l’électeur. Pendant qu’il était à la diète, le chapitre de la cathédrale lui avait fait parvenir une protestation contre les entreprises de l’archevêque, qui ne tendaient à rien moins qu’à l’anéantissement du catholicisme dans sa principauté. Herman de Wied essaie de justifier sa conduite. Charles ne veut entendre ni sa justification ni ses excuses : il lui déclare qu’il doit rétablir dans son électorat l’ancienne religion telle qu’elle y a toujours été observée, et destituer les apostats et les prêcheurs appelés par lui; que s’il ne le fait pas, le pape procédera contre sa personne, et qu’il pourra perdre en même temps et sa dignité épiscopale et celle de prince de l’Empire, car, pour sa part, il est bien décidé à ne plus tolérer ses excès. Il prend les chanoines sous sa protection, leur enjoignant de procéder en toute rigueur contre ceux qui oseraient se soustraire à l’autorité de l’église romaine[268]. Le 20 août Charles arrive à Louvain, où il est reçu par la reine Marie. De Louvain il va avec la reine au château de Tervueren attendre que les préparatifs des obsèques de la princesse d’Espagne soient terminés. Cette cérémonie a lieu le 26 et le 27 août à Sainte-Gudule; il y assiste avec l’archiduc Maximilien, le prince de Piémont Emmanuel-Philibert et tous les seigneurs de sa cour. Il avait mandé à Bruxelles des députés des provinces; il ne les réunit pas cette fois en états généraux, comme il en avait l’habitude, il leur en dit la raison : c’est « qu’il leur veut faire entendre aucuns secrets du pays qu’il n’est besoin que chacun sache, et qu’en l’assemblée générale plusieurs se fourrent qui ne sont appelés. » Il reçoit donc, l’une après l’autre, dans les journées du 30 et du 31 août, les différentes députations. Il leur remet en mémoire les dangers que les Pays-Bas ont courus au commencement de la guerre passée, s’étant trouvés désarmés lorsqu’ils ont été soudainement envahis. Il leur remontre que, ne pouvant continuellement demeurer dans ces provinces, à cause des affaires de ses autres royaumes, il souhaiterait, avant son départ, pourvoir à leur sûreté de manière qu’ils n’eussent rien à craindre pendant son absence. Il leur dit qu’il a consulté, sur les mesures à prendre, afin d’atteindre ce but, les chevaliers de la Toison d’or ainsi que les principaux seigneurs du pays, et c’est après les avoir entendus qu’il s’est déterminé à demander aux états l’aide nécessaire pour l’entretien de trois mille chevaux qui seront toujours prêts à se porter partout où il en sera besoin[269]. Cette proposition est accueillie avec faveur par les députés; toutes les provinces, sur le rapport de ceux-ci, votent successivement l’aide demandée.

Le retour de Charles-Quint à Bruxelles était regardé par tous les hommes politiques comme le moment où la déclaration de ce monarque sur l’alternative stipulée dans le traité de Crépy devait sortir ses effets. Le duc d’Orléans l’attendait avec impatience; afin d’être libre à ce moment-là, il n’avait pas accepté le commandement de l’armée levée par le roi son père pour reprendre Boulogne. Tout à coup on apprend que ce jeune prince est mort le 9 septembre après quelques jours de maladie, emporté par une pleurésie suivant les uns, par la peste suivant les autres. À cette nouvelle, Charles envoie complimenter les sieurs de Grignan et Mesnage, qui étaient accrédités auprès de lui par le roi très-chrétien, et les assurer de son intention de maintenir la paix conclue l’année précédente. Il fait partir Philippe de Lannoy, seigneur de Molembais, chevalier de la Toison d’or, pour la cour de France, avec la mission d’exprimer au roi et à la famille royale la part qu’il prend au coup qui les a frappés. En même temps il transmet à son ambassadeur à cette cour, le sieur de Saint-Mauris, des instructions sur la conduite qu’il aura désormais à tenir. Il lui recommande de ne plus s’occuper de questions dépendantes du traité de Crépy; de parler de ce traité le moins possible; de répondre au roi et à ses ministres, s’ils lui en parlent, que la volonté de lui, empereur, est de remplir toutes ses obligations, et qu’il ne désire rien autant que de vivre en bonne amitié avec le roi son beau-frère. Il le charge enfin de mettre sur le tapis, comme pouvant servir de base à une nouvelle convention, le mariage du prince d’Espagne avec madame Marguerite, deuxième sœur du dauphin. Le 25 et le 26 septembre il fait célébrer, à Saint-Gudule, pour le prince défunt, des obsèques auxquelles il assiste en personne[270].

Le 15 octobre il quitte Bruxelles, pour aller visiter la Flandre; il séjourne à Gand du 23 octobre au 2 novembre, et à Bruges du 3 au 16 de ce dernier mois. Le jour même où il entrait dans Bruges, y arrivait, en qualité d’ambassadeur extraordinaire de Henri VIII, l’évêque de Winchester; trois ambassadeurs de François Ier, l’amiral d’Annebault, le chancelier de France Olivier et le secrétaire Bayard, venaient bientôt l’y trouver aussi. Depuis la paix de Crépy, il s’était donné des peines infinies pour amener un accommodement entre Henri et François; non-seulement il y avait employé ses ministres résidents en France et en Angleterre, mais encore il avait tout récemment fait partir deux fois pour Londres Corneille Scepperus, seigneur d’Eecke, l’un des conseillers les plus habiles de la reine Marie. Tous ses efforts avaient échoué devant la volonté bien arrêtée des Français de ravoir Boulogne, et la prétention non moins obstinée des Anglais de ne pas la rendre. L’envoi, fait à Bruges par les deux monarques ennemis, d’ambassadeurs extraordinaires, avait pour but de parvenir enfin à un accord, sous la médiation de l’empereur; les envoyés français étaient, de plus, chargés de négocier avec les ministres impériaux sur les arrangements propres à remplacer les stipulations du traité de Crépy qui concernaient le duc d’Orléans. Le 16 novembre Charles se rend de Bruges à Anvers; les ambassadeurs de France et d’Angleterre l’y suivent; les conférences commencées à Bruges continuent entre eux, à l’intervention des ministres impériaux; elles se terminent et les ambassadeurs retournent auprès de leurs maîtres sans qu’ils soient parvenus à s’entendre : c’était toujours la question de Boulogne qui y faisait obstacle. Les négociations des ambassadeurs français avec l’empereur n’amènent pas non plus de résultat : on était d’accord sur le mariage du prince Philippe avec madame Marguerite, et l’empereur consentait à donner l’État de Milan ou les Pays-Bas aux enfants mâles qui naîtraient de ce mariage, mais il voulait que les Français restituassent tous ses États au duc de Savoie, et les Français entendaient garder le Piémont[271].

Charles avait résolu de tenir un chapitre de la Toison d’or à Utrecht le jour de Saint- André (30 novembre); il n’y en avait pas ou depuis 1531; son dessein était, après que le chapitre aurait achevé ses travaux, de visiter la Gueldre, et ensuite de se rendre à Ratisbonne par le Luxembourg : il comptait y arriver pour l’époque à peu près où il avait convoqué la diète. Retenu à Anvers, par les négociations dont nous avons parlé, plus longtemps qu’il ne l’aurait voulu, il ne peut se mettre en route pour Utrecht qu’au commencement de décembre. La goutte, qui l’attaque, à un bras d’abord, puis au genou, le force de s’arrêter à Bois-le-Duc; c’est seulement l’avant-dernier jour de l’année qu’il fait son entrée à Utrecht. Le chapitre de la Toison d’or s’ouvre le 2 janvier 1546; un nouvel accès de goutte vient surprendre Charles au milieu des délibérations de cette assemblée, et, plusieurs jours durant, les chevaliers doivent se réunir dans sa chambre. En conformité des statuts de l’ordre, le chapitre consacre trois séances à l’examen de la conduite de chacun des chevaliers, présents et absents : il fait, par l’organe du chancelier, différents reproches à l’empereur, et notamment d’avoir manqué aux statuts en exécutant des entreprises importantes sans que ses confrères en aient été au préalable informés; de s’exposer trop à la guerre; d’être fort lent dans l’expédition des affaires publiques. Charles écoute gracieusement le chancelier : il répond que les expéditions de Tunis et d’Alger, auxquelles il a été fait allusion, ont dû être préparées avec une grande circonspection et dans le plus profond secret, pour que les ennemis ne les traversassent point; que néanmoins il en a donné connaissance à quelques-uns des chevaliers qui étaient dans ce temps-là auprès de lui. À l’égard de la lenteur dans les négociations, il déclare que ce parti lui a toujours été avantageux. Il assure du reste l’assemblée qu’il sera désormais plus attentif à remplir ses devoirs. L’élection de nouveaux chevaliers se fait le 15 et le 16 janvier : vingt-deux places étaient vacantes; quatre sont conférées à des Espagnols, trois à des Italiens, trois à des Allemands, et les douze autres à des seigneurs des Pays-Bas[272]. Charles se rétablissait à grand’peine; mais son énergie lui fait surmonter sesdouleurs physiques, et, le 3 février, il se met en route pour la Gueldre : Wagheninghe, Arnhem, Zutphen, Nimègue, Venlo, Ruremonde, le reçoivent successivement dans leurs murs. Il va ensuite à Maestricht, où il reste une dizaine de jours, afin de terminer avec la reine Marie les affaires qui concernaient le gouvernement commis à ses soins; la reine l’avait accompagné dans tout son voyage. L’inquisition existait aux Pays-Bas depuis 1522; mais l’autorité civile n’avait jamais déterminé les formes que les inquisiteurs et leurs subdélégués devaient observer, non plus que l’étendue et les limites de leur juridiction : Charles signe à Maestricht une instruction très-détaillée qui a pour objet de combler cette lacune; il la termine par une recommandation destinée à prévenir des excès de zèle : « Les inquisiteurs, disait-il, se conduiront de manière à ne pas rendre impossible une œuvre aussi sainte qu’elle est difficile; ils ne se montreront pas trop exigeants; avant tout, ils s’appliqueront à redresser les abus qui ne pourraient être tolérés sans péril pour la religion, ou sans inconvénient pour la chose publique. Ils s’efforceront aussi de persuader à tout le monde que ce n’est pas leur profit, mais celui du Christ qu’ils cherchent, s’attachant seulement a purger les Pays-Bas de toute erreur et à les préserver de l’hérésie. » Une ordonnance impériale de la même date (dernier février 1546) enjoint à tous les conseils, justiciers et officiers de faire appréhender et garder en leurs prisons les personnes, ecclésiastiques ou laïques, que les inquisiteurs et leurs subdélégués leur dénonceront; de faire donner à ceux-ci toute aide et assistance sans délai ou difficulté quelconque, et sans souffrir qu’il leur soit fait aucun obstacle ou injure[273]. Le 2 mars Charles, ayant pris congé de la reine sa sœur, se dirige vers Ratisbonne par Liége, Aix-la-Chapelle, la Roche, Bastogne, Arlon, Montmédy, Luxembourg, Saarbruck et Spire. Il arrive à Ratisbonne le 10 avril.

Dans les précédentes diètes, Charles, ainsi que le remarque un historien, s’était efforcé de concilier les deux partis qui divisaient l’Allemagne, en recourant toujours à des voies de douceur et d’accommodement, à des éclaircissements réciproques entre eux; il y avait employé les écrits, les discussions publiques et toute son éloquence[274]. C’était avec des dispositions bien différentes qu’il allait inaugurer la diète de Ratisbonne. La négociation entamée, à Worms entre le pape et lui avait suivi son cours; un envoyé spécial de Paul III, Girolamo Dandino, évêque de Cassano, était venu aux Pays-Bas avec la mission d’y mettre la dernière main. Tout avait été réglé pendant le séjour de la cour impériale à Utrecht[275]. La résolution de Charles était prise. Il voyait qu’il fallait renoncer à l’espoir de ramener, par la persuasion, les protestants au giron de l’Église; qu’au contraire, le luthéranisme s’étendait de jour en jour en Allemagne; que de là il se propageait dans les Pays-Bas. Il considérait que, s’il n’en arrêtait point les progrès par des mesures énergiques, il ne pourrait plus s’éloigner de ces contrées, sans avoir à craindre qu’elles ne fussent bientôt tout entières en proie à l’hérésie. Les circonstances d’ailleurs semblaient le convier à agir contre les protestants; une trève avait été consentie par le Turc; François Ier continuait d’être en guerre avec les Anglais; un concours puissant était offert par le pape pour l’exécution de l’entreprise. À ces raisons, déduites par Charles-Quint dans une lettre au prince son fils[276], il s’en joignait d’autres qu’explique très-bien un ambassadeur de Venise qui avait résidé à la cour impériale dans les années 1546 à 1548 : « Le landgrave de Hesse, dit Alvise Mocenigo, le duc de Wurtemberg, le duc de Saxe, s’étaient faits si grands et avaient acquis tant de réputation en Allemagne que, quand ils étaient appelés aux diètes par l’empereur, ou ils ne daignaient pas y venir, ou, s’ils y venaient, ils y étaient plus honorés et respectés que l’empereur lui-même et le roi des Romains, desquels ils faisaient paraître qu’ils tenaient peu de compte, contredisant audacieusement ce que Sa Majesté Impériale proposait : de sorte que, voyant qu’il ne pouvait rien obtenir sans leur appui, l’empereur était contraint de les caresser, de leur faire honneur et souvent de les prier, pour avoir des diètes ce qu’il désirait[277]. »

Malgré le mystère dont avait été entourée la négociation avec la cour de Rome, il en avait transpiré quelque chose. Les protestants s’étaient assemblés à Francfort au mois de janvier; ils avaient délibéré sur les moyens de résister à l’empereur, au cas qu’il voulût user de la force contre eux; ils s’étaient occupés aussi du fait de l’archevêque de Cologne, qui était cité à la fois à comparaître et devant l’autorité impériale et devant le pape. Leur confédération venait d’acquérir un nouvel allié : le comte palatin avait à son tour aboli le catholicisme dans ses États. A son arrivée à Maestricht[278], le 19 février, Charles y trouva des ambassadeurs de la ligue de Smalkalde et des trois électeurs séculiers, le palatin, le duc de Saxe et le marquis de Brandebourg; ils étaient chargés de lui demander qu’il ne procédât pas en rigueur contre Herman de Wied, mais qu’il remît la cause de ce prince à la prochaine diète, où il serait entendu dans sa décharge en présence des états de l’Empire; ils devaient aussi lui exposer le soupçon, auquel différents indices avaient donné naissance, que son intention fût de leur faire la guerre, en le suppliant de ne pas permettre que de son temps des soldats étrangers foulassent le sol de la Germanie et répandissent le sang de ses fils. Il leur fit répondre, par le vice-chancelier de Naves, quant à l’archevêque de Cologne, que, si ce prince se désistait de ses entreprises, il n’y avait rien qu’on pût désirer de lui à quoi il ne fût disposé à se prêter, et à l’égard des craintes qu’ils témoignaient d’intentions hostiles de sa part, qu’elles étaient sans fondement[279]. Il tint le même langage au landgrave de Hesse, à l’électeur palatin et à l’archevêque de Mayence, dont il reçut la visite à Spire.

La diète de Ratisbonne, d’après le dernier recez, devait être précédée d’un colloque dans la même ville. Convoqué par l’empereur pour le 4 décembre, ce colloque s’était ouvert seulement le 27 janvier; quatre théologiens catholiques y avaient disputé contre quatre docteurs luthériens[280], sous la présidence de Maurice, évêque d’Eichstædt, et de Frédéric, comte de Fürstemberg, auxquels l’empereur avait adjoint plus tard Jules Pflug, évêque de Naumbourg. Les discussions avaient duré plusieurs semaines, et, comme toujours, on n’avait pu s’accorder sur aucun point. Le colloque avait cessé à la fin de mars, les docteurs luthériens ayant quitté Ratisbonne sur l’ordre de leurs maîtres, sans attendre la présence de l’empereur et sans son autorisation[281].

Aucun des princes protestants ne se trouvait à la diète, lorsque Charles y arriva. Il leur écrivit en termes affectueux pour les engager à y comparaître : ni le landgrave de Hesse, ni l’électeur de Saxe, ni le duc de Wurtemberg, ni même l’électeur palatin, neveu de l’empereur, malgré la promesse qu’il lui en avait faite à Spire, ne se rendirent à son invitation; tous se contentèrent, de se faire représenter par des commis, personnes dépourvues d’autorité, de basse condition et ayant des instructions fort restreintes[282]. Le 28 mai, le roi des Romains arriva à Ratisbonne avec la reine, l’archiduc Maximilien et cinq des archiduchesses. Le 29 y arrivèrent le duc et la duchesse de Bavière, accompagnés de leurs enfants, ainsi que le grand-maître de Prusse[283]. On y comptait en ce moment, outre ces personnages, les cardinaux de Trente et d’Augsbourg, les évêques de Bamberg, de Wurzbourg, de Passau, d’Hildesheim, le duc Maurice de Saxe, les marquis Albert et Jean de Brandebourg, le duc de Mecklembourg, le duc Eric de Brunswick. Charles ouvrit la diète le 5 juin. Dans la proposition qu’il fit à cette assemblée il témoigna son mécontentement de ce que le colloque avait été rompu avant que les états de l’Empire fussent réunis; il demanda l’avis de la diète sur les moyens de pacifier le corps germanique ; il dit que, l’Allemagne ne pouvant subsister sans justice, le rétablissement de la chambre impériale était indispensable, et il requit ceux qui en avaient le droit de lui présenter des assesseurs pour la constituer; il annonça enfin la trève qu’il avait conclue avec Soliman II, en exprimant l’espoir que, si les Turcs reprenaient les armes après qu’elle serait expirée, les états fourniraient au roi son frère les secours dont il aurait besoin[284].

Les catholiques, après avoir délibéré sur cette proposition, répondirent que le moyen le plus propre : pacifier l’Allemagne était de remettre au concile assemblé à Trente la décision de toutes les disputes de religion; de leur côté, les protestants soutinrent que l’assemblée de Trente n’était ni libre ni telle qu’ils l’avaient demandée et qu’elle leur avait été promise; ils renouvelèrent les instances qu’ils avaient faites précédemment afin que les différends en matière de religion fussent portés devant un concile légitime qui se réunirait en Allemagne, ou devant une diète de l’Empire, ou bien qu’un colloque de personnes savantes de l’un ou de l’autre parti fût appelé à les vider[285]. En présence de sentiments aussi contradictoires, il était manifeste qu’on ne parviendrait pas à s’entendre.

Mais Charles attachait une médiocre importance aux délibérations de la diète; ses préoccupations étaient ailleurs. Aussitôt après l’arrivée du roi des Romains et du duc de Bavière, il avait conféré avec eux sur la situation des affaires publiques, et ces deux princes l’avaient confirmé dans la résolution de recourir à la force pour réduire les protestants. Il avait alors fait partir pour Rome le cardinal de Trente, chargé de conclure le traité dont le projet lui avait été apporté à Utrecht par le nonce Dandino[286], et de solliciter Paul III de faire diriger sans délai vers l’Allemagne les douze mille hommes d’infanterie et les cinq cents chevaux que ce pontife s’était engagé à prendre à sa solde ; il avait mandé à la reine Marie de lui envoyer un corps de dix mille gens de pied et de trois mille chevaux que commanderait Maximilien d’Egmont, comte de Buren, et auxquels seraient joints deux cents chevaux arquebusiers et cent hommes d’armes des ordonnances des Pays-Bas[287]; il avait appelé de Hongrie D. Alvaro de Sande, qui avait sous ses ordres deux mille huit cents Espagnols; il en faisait venir six mille du Milanais et du royaume de Naples; il avait donné commission aux colonels Madrutz, Georges de Regensburg, Georges, comte de Schauwembourg, et marquis de Marignan d’enrôler chacun quatre mille lansquenets : l’archiduc Maximilien s’était chargé de lever quinze cents chevaux, le marquis Albert de Brandebourg deux mille cinq cents, le marquis Jean de Brandebourg six cents, le grand-maître de Prusse mille, le duc Eric de Brunswick quatre cents[288]. À ces forces devaient se réunir celles du roi des Romains et du duc Maurice de Saxe : pour obtenir le concours de Maurice, dont l’ambition égalait les talents militaires, Charles, non sans répugnance toutefois, s’était décidé à lui promettre la dignité électorale dont était revêtu Jean-Frédéric, son cousin[289]. La guerre qui allait commencer aurait pour motif la détention du duc de Brunswick et de son État par les chefs de la ligue de Smalkalde, le mépris que ceux-ci faisaient de l’autorité impériale, le trouble qu’ils causaient dans la Grermanie. En gardant le silence sur l’affaire de la religion, qui était son objet principal, Charles ne se flattait guère de faire prendre le change à la nation allemande : mais il fournissait aux villes protestantes une raison de ne pas embrasser le parti de ses ennemis, et au duc Maurice, ainsi qu’aux marquis de Brandenbourg, le moyen de se justifier envers leurs coréligionnaires[290].

Tous ces préparatifs ne pouvaient échapper à l’attention des confédérés de Smalkalde. Le 16 juin les députés qu’ils avaient à la diète, ayant demandé audience à l’empereur, lui exprimèrent le désir, au nom de leurs maîtres, de connaître la but dans lequel se faisaient des armements qu’on ne s’expliquait point, puisqu’il n’était en guerre ni avec le Turc ni avec aucun prince de la chrétienté. Charles leur répondit, par l’organe du vice-chancelier de Naves, que, depuis le commencement de son règne, il n’avait cessé de travailler à entretenir la paix dans la Germanie; qu’il n’avait maintenant encore d’autre dessein que d’y faire régner la tranquillité, la concorde et la justice; que ceux qui lui obéiraient en cela devaient s’attendre, de sa part, à toute sorte de bienveillance et de faveur, mais qu’il agirait avec rigueur contre les autres[291]. Le lendemain il écrivit à la plupart des villes de la ligue protestante, nommément à celles de Strasbourg, de Nuremberg, d’Augsbourg et d’Ulm, pour les prémunir contre les rumeurs mensongères qu’on ne manquerait pas de semer sur ses intentions, et leur donner l’assurance que, s’il prenait les armes, c’était pour faire rentrer dans le devoir ceux qui témérairement cherchaient à détruire son autorité, qui ne visaient qu’à s’assujettir tous les ordres de l’Empire, qui s’étaient emparés du bien d’autrui, et, pour s’assurer le fruit de leurs spoliations, avaient conspiré la suppression des tribunaux appelés à rendre la justice à la nation allemande. De Naves et Granvelle parlérent dans le même sens aux députés des villes à qui ces lettres étaient adressées, les exhortant à garder la fidélité et l’obéissance qii’ils devaient à l’empereur, afin qu’il n’eût pas sujet de se mécontenter d’eux[292].

L’électeur de Saxe et le landgrave de Hesse, dans une lettre qu’ils adressèrent à l’empereur[293], se plaignirent qu’il les accusât sans qu’ils eussent été admis à se défendre, ils lui rappelèrent le serment qu’il avait prêté lors de son élection à l’Empire; ils lui dirent qu’ils remettaient leurs intérêts à Dieu dans la violence qu’il se disposait à leur faire : ils ajoutèrent que l’antéchrist romain et l’impie concile de Trente avaient pu seuls lui suggérer le dessein d’opprimer la doctrine de l’Évangile et la liberté germanique[294]. Quelques jours après[295], ils firent paraître un long manifeste où ils s’attachaient à montrer que la guerre qui allait ensanglanter l’Allemagne était entreprise pour la religion, et que le but de l’empereur, en la couvrant du prétexte de punir de prétendus rebelles, était de détacher les confédérés les uns des autres, pour les subjuguer tous plus facilement[296]. La réponse de Charles à ce manifeste ne se fit pas attendre : le 20 juillet, par un décret public, il mit au ban de l’Empire le landgrave et l’électeur, les proscrivant comme perfides, rebelles, séditieux, criminels de lèse-majesté et perturbateurs du repos public; défendant à tous et un chacun de se joindre à eux ou de leur donner aucun secours, sous peine de la vie et de confiscation des biens; enjoignant, sous les mêmes peines, à ceux qui seraient à leur service de le quitter; déliant enfin la noblesse et tous les peuples de leurs États du serment de fidélité qu’ils leur avaient fait[297]. Le jour suivant, le roi des Romains quitta Ratisbonne pour aller en Bohême se concerter avec le duc Maurice : il avait, le 3 juillet, marié l’archiduchesse Anne, sa fille aînée, au prince Albert, fils unique du duc de Bavière, et le 18 sa deuxième fille, l’archiduchesse Marie, au duc de Clèves[298]. Le 23 la diète fut close : un petit nombre de membres des états prit part au recez; les commis des princes protestants étaient partis déjà depuis plusieurs semaines. Les affaires sur lesquelles cette assemblée n’avait pas statué, furent remises à une diète qui s’assemblerait à la Chandeleur, l’année suivante.

Les protestants n’avaient pas attendu jusque-là pour commencer les hostilités[299]. Dès la fin de juin, douze mille piétons et quinze cents chevaux, avec vingt pièces d’artillerie[300], sous le commandement de Sébastien Schertlin, capitaine général d’Augsbourg, étaient sortis de cette ville et s’étaient portés sur Füssen, où le marquis de Marignan et le colonel Madrutz rassemblaient les lansquenets qu’ils étaients occupés à lever. Ils s’en emparèrent sans peine; les lansquenets opérèrent leur retraite sur Ratisbonne. Le but des protestants était d’empêcher le passage aux troupes qui venaient d’Italie; de Füssen ils se dirigèrent vers Chiusa, forteresse du Tyrol, qui leur ouvrit ses portes. Poursuivant leur marche, ils s’avancèrent jusque auprès d’Inspruck. La prise de cette capitale aurait été pour eux de la plus grande importance; elle les aurait rendus maîtres des communications du Tyrol avec la Bavière, et de la route qui d’Inspruck conduisait à Trente. Mais ceux à qui le roi Ferdinand en avait confié la garde prirent des mesures de défense si promptes et si vigoureuses que Schertlin perdit l’espoir de réussir dans son entreprise. Après avoir mis garnison dans Füssen et Chiusa, il retourna sur ses pas et alla s’établir à Donauwerth, où, peu de temps après, le duc de Saxe, le landgrave de Hesse, le duc de Wurtemberg vinrent le joindre avec les troupes qu’ils avaient réunies. L’armée de la ligue de Smalkalde était forte alors de cinquante-cinq à soixante mille hommes d’infanterie et de six à sept mille chevaux, avec cent dix pièces de canon[301]. Outre les princes que nous avons nommés, on voyait dans ses rangs Jean-Ernest, frère, et Jean-Frédéric, fils de l’électeur de Saxe; le duc Philippe de Brunswinck et ses quatre fils, Ernest, Albert, Jean et Wolfgang; le duc François de Lunebourg; le prince d’Anhalt Wolfgang, le comte Louis d’Oettingen, le comte Albert de Mansfelt et leurs fils, avec beaucoup d’autres seigneurs de marque[302].

Charles, au moment de l’expédition de Schertlin, n’avait à Ratisbonne que deux compagnies d’hommes d’armes qui l’avaient escorté depuis son départ des Pays-Bas, les Espagnols qu’il avait appelés de Hongrie, et quelques enseignes d’Allemands nouvellement levées. Si, au lieu d’aller vers le Tyrol, Schertlin était venu droit à Ratisbonne, il eût mis l’empereur dans un cruel embarras; peut-être même l’aurait-il forcé de gagner l’archiduché d’Autriche, pour y trouver un refuge[303]. Ce qu’il n’avait pas fait, les chefs de l’armée de la ligue pouvaient concevoir le dessein de le faire Charles, le 3 août, partit de Ratisbonne, y laissant, pour la garde de la ville, deux cents fantassins espagnols et quatre mille lansquenets sous les ordres de Pietro Colonna; avec le reste de ses forces, qui consistait en cinq à six mille gens de pied et quinze cents chevaux[304], il résolut d’aller au-devant de celles qu’il attendait d’Italie, « quoi qu’il eu pût advenir, car il voulait, mort ou vivant, demeurer empereur en Allemagne[305]. » Arrivé près de Landshut, à neuf lieues de Ratisbonne, il y prit position. Tandis qu’il était là, le duc de Saxe, le landgrave et leurs confédérés lui envoyèrent un héraut porteur d’une lettre par laquelle ils lui dénonçaient la guerre. Il refusa de la recevoir, ordonna au messager des confédérés de la leur rendre, en les prévenant que, si quelqu’un osait encore venir de leur part le trouver, il serait pendu, et lui fit remettre, avec injonction de le délivrer au duc de Saxe et au landgrave, le décret par lequel ils étaient proscrits[306].

Le 13 août arrivèrent à Landshut les troupes papales, sous le commandement d’Octave Farnèse, neveu de Paul III et gendre de l’empereur; elles formaient un corps magnifique de onze mille à douze mille piétons et six cents chevau-légers; deux cents chevau-légers du duc de Florence et cent du duc de Ferrare les accompagnaient. Octave Farnèse avait avec lui le cardinal Alexandre, son frère, nommé par le pape son légat près l’empereur. Les Espagnols de Naples, venus par la mer Adriatique, et ceux du Milanais, qui avaient traversé le Tyrol, ne tardèrent pas à renforcer le camp impérial, ainsi que les lansquenets levés en la Montagne Noire par le comte de Schauwenbourg. Charles avait enfin une armée; il comptait sous ses drapeaux treize mille lansquenets, huit mille gens de pied espagnols, l’infanterie italienne que nous avons dit et trois mille chevaux. C’était les plus beiles troupes qu’il eût jamais commandées[307]. Il nomma l’archiduc Maximilien général en chef de la cavalerie allemande, et le prince de Piémont, Emmanuel-Philibert, capitaine de sa maison ainsi que de la cavalerie flamande et bourguignonne[308]. Le 15 août il reprit le chemin de Ratisbonne, pour en retirer l’artillerie, les munitions et les troupes qu’il y avait laissées. Cette opération faite, et ayant appris que les confédérés s’étaient portes sur Ingolstadt, il résolut de marcher à eux : il lui importait extrêmement de ne pas les laisser s’emparer de cette ville, où il n’y avait qu’une faible garnison, car c’était là que le comte de Buren devait faire sa jonction avec lui. Le 24 août il passa le Danube à Neustadt; le surlendemain il campa tout près d’Ingolstadt, en un lieu où il avait cette ville à dos, le Danube à sa gauche, un marécage à sa droite et devant lui une plaine toute découverte. Cette nuit-là, par des causes qui ne sont pas expliquées, il y eut entre ses troupes une confusion telle que, si les protestants étaient vernis l’attaquer, il aurait été vraisemblement perdu[309].

L’armée de la ligue, qui d’abord avait pris position à une assez grande distance de celle de l’empereur, s’en était rapprochée; elle n’était plus qu’à trois lieues; entre les deux camps il y avait une petite rivière. Pendant quatre jours, les deux armées se bornèrent à des reconnaissances et des escarmouches. Le 31 août, avant l’aube, les confédérés se mirent en mouvement, traversèrent la rivière et s’avancèrent jusqu’à un mille et demi italien[310] du camp impérial, sans qu’on s’y fût aperçu de leur marche. Le marquis de Marignan, le premier, en eut connaissance; il s’empressa de prévenir l’empereur, qui était encore au lit[311]. Charles se leva aussitôt, revêtit son armure, donna l’ordre que chaque régiment occupât le poste de bataille qui lui avait été désigne d’avance. Il crut que le dessein des confédérés était de l’attaquer dans son camp; quoique de beaucoup inférieur en forces, il était bien résolu de leur tenir tête. Arrivés à la distance que nous avons indiquée, ceux-ci firent halte, se déployèrent en bataille, et, ayant disposé leur artillerie sur un mamelon situé en face de l’armée impériale, ainsi qu’à sa droite et à sa gauche, en des endroits où se trouvaient des maisons pour leur servir d’abri, ils commencèrent contre elle une canonnade terrible. Charles n’avait, pour leur riposter, qu’une quarantaine de bouches à feu[312], et ses troupes étaient en rase campagne, protégées seulement par des tranchées très-imparfaites. La canonnade dura de huit heures du matin à quatre heures de l’après-midi; les plus vieux soldats ne se souvenaient pas d’en avoir vu une pareille; huit à neuf cents coups de grosse artillerie avaient été tirés par les protestants. Les boulets, dit un témoin oculaire[313], tombaient au milieu des bataillons et des escadrons de l’empereur dru comme la grêle. Dans ses Commentaires[314], Charles-Quint se plaît à faire l’éloge de ses soldats, dont aucun, dit-il, ne montra le moindre semblant de peur. Tel n’est pas tout à fait le langage de l’ambassadeur vénitien Mocenigo : ce diplomate assure qu’il n’y eut personne dans l’armée impériale qui n’avouât avoir eu plus de peur ce jour-là qu’en aucune autre circonstance de sa vie[315]; le comte de Stroppiana, ambassadeur de Savoie, écrit de son côté que, pendant l’action, le cœur tremblait à plus de trois[316]. Quoi qu’il en soit, il est certain que chacun fit son devoir et demeura ferme au poste qui lui avait été assigné; il n’y eut que le cardinal Farnèse qui quitta le champ de bataille. Les paroles de l’empereur, qui harangua tour à tour les différents corps de ses troupes, mais surtout son exemple, ne contribuèrent pas peu à les encourager. C’était aux endroits les plus exposés au feu de l’ennemi qu’il se plaçait de préférence, et une trentaine de boulets tombèrent entre les pieds, à la tête, à la croupe de son cheval, même si près de sa personne qu’ils le touchèrent presque; en les voyant venir il souriait, immobile comme un roc[317]. Le duc d’Albe et plusieurs autres de ses capitaines l’ayant supplié de s’éloigner, il leur répondit qu’il avait mis toute sa confiance en Dieu, pour la sainte Église et la juste cause duquel il combattait; que Dieu le préserverait, comme il rendrait vaine toute autre machination de ses ennemis, car il connaissait les intentions dont il était animé et le fond de son cœur; que si Dieu voulait sa mort ou sa ruine, il la lui enverrait aussi bien dans le lieu le plus sûr où dans celui où il se trouvait[318]. Les confédérés, voyant le peu de fruit de la canonnade qu’ils avaient engagée, regagnèrent leur camp. En résultat, la journée du 31 août fut à l’honneur de l’armée impériale, qui n’y fit que des pertes insignifiantes[319]. Par ordre de l’empereur, la nuit fut employée à fortifier les tranchées, qu’on mit dans un état de défense respectable. Le jour suivant se passa en escarmouches. Le 2 et le 3 septembre, les confédérés recommencèrent la canonnade contre le camp de l’empereur, et le 3 avec une grande furie : car ce jour-là plus de mille coups furent tirés par eux, mais ce fut encore sans faire grand mal aux impériaux. Charles-Quint, dit le comte de Stroppiana, se tenait dans les tranchées, observant quand les artilleurs ennemis mettaient le feu à leurs pièces; alors il criait à ceux qui se trouvaient à ses côtés de se baisser; lui il restait debout.

En venant à Ingolstadt, les chefs de l’armée de la ligue s’étaient flattés que Charles, les voyant si supérieurs en forces, n’essaierait pas de leur résister et se retirerait de l’autre côté du Danube; le landgrave avait même promis à ses confédérés qu’en moins de trois mois il obligerait l’empereur à abandonner l’Allemagne, ou le ferait prisonnier[320]. Quand ils reconnurent qu’après une canonnade effroyable il n’avait pas reculé d’un pas, n’osant l’attaquer dans ses retranchements[321], ils prirent le parti de décamper : dès le 3 au soir, ils commencèrent leur mouvement de retraite, qui s’opéra d’ailleurs dans le meilleur ordre; Charles ne pouvait songer à les suivre ni à tenir la campagne tant que le comte de Buren n’aurait pas opéré sa jonction avec lui. Enfin, le 15 septembre, Maximilien d’Egmont, ayant surmonté tous les obstacles que les protestants avaient semés sur sa route, arriva au camp impérial[322]; il y amenait douze mille hommes d’infanterie, cinq mille chevaux et douze pièces d’artillerie; il apportait aussi à l’empereur trois cent mille écus dont Charles avait le plus grand besoin pour la solde de son armée. Une partie de la cavalerie du marquis Albert de Brandebourg, du duc Henri de Brunswick et du grand-maître de Prusse, qui n’avait pu traverser les pays occupés par les protestants, s’était jointe aux troupes du comte de Buren. « Celles-ci » — écrivait le président Schore à Viglius — « étaient les plus belles qu’on pût voir; elles étaient capables de passer partout où elles voudraient en dépit des ennemis, ores qu’il fussent en plus grand nombre[323]. »

Charles se trouvait à la tête de près de quarante-cinq mille hommes d’infanterie et de dix mille chevaux; il avait cinquante et quelques pièces d’artillerie[324] : ayant donné deux jours de repos au corps du comte de Buren, il passa le Rhin le 17 et marcha sur Neubourg, capitale de l’État du comte palatin Othon-Henri, qui avait adhéré à la ligue de Smalkalde. A son approche, les habitants et la garnison, qui consistait en trois enseignes d’infanterie, se rendirent à discrétion. Cet événement, au rapport de l’ambassadeur Mocenigo, produisit un grand effet en Allemagne[325] : Neubourg, que les protestants n’avaient pas tenté de défendre, était une position importante pour eux : elle leur donnait le moyen de courir toute la haute Bavière jusqu’à Munich; elle assurait leurs communications avec Augsbourg et Ulm; elle les rendait maîtres du cours du Danube; Neubourg était aussi le centre d’un pays abondant en vivres, en fourrages et en toute sorte de commodités pour l’armée qui l’occupait[326]. Charles fit prêter, par les habitants de la ville et des autres lieux du comté, serment de fidélité à l’Empire et à son chef : à cette occasion, il ordonna qu’il fût publié dans toute la Germanie qu’il n’entendait, malgré les assurances contraires de ses ennemis, s’emparer, pour lui en particulier, d’un seul pouce de terrain appartenant à l’Empire[327]. Les protestants s’étaient établis et fortement retranchés près de Donauwerth; il repassa le Danube le 23, pour marcher à eux. Arrivé au village de Marxheim, à une lieue de leur camp, il reconnut qu’il ne pourrait les approcher de ce côté, à cause de bois très-épais dont ils étaient couverts, et se dirigea sur la droite vers Monheim. Pendant dix jours il s’efforça, par de fréquentes escarmouches, de les attirer hors de leur position, sans y réussir : ce que voyant et que dans ces affaires l’avantage n’était pas toujours du côté des siens, il décampa le 2 octobre, pour se porter sur Nördlingen. Les protestants, afin de défendre cette ville, accoururent de Donauwerth; pour la seconde fois les deux armées se trouvèrent en présence, et le 4 une bataille parut imminente; Charles la souhaitait, comme il le déclara expressément au duc d’Albe[328]. Quoique, dans la nuit, il eût souffert de la goutte, il n’en monta pas moins à cheval[329], et il parcourut les rangs de ses troupes, les animant par ses paroles et leur faisant partager la confiance qu’il avait lui-même; mais tout se réduisit à des marches, des contre-marches et des escarmouches. Le 8, Charles envoya Octave Farnèse, avec quatre mille hommes d’infanterie italienne, quatre mille lansquenets, les chevau-légers du pape, sept cents chevaux allemands et dix pièces d’artillerie, attaquer Donauwerth, qui capitula après une courte résistance. Höchstadt, Dillingen, Lauingen, Gundelfingen, se rendirent à l’armée impériale sans.attendre qu’elle les y forçât. Charles marchait sur Ulm en intention de l’assiéger; il avait atteint Sontheim-an-der-Brenz, distant de trois lieues de cette ville, lorsqu’il apprit que les confédérés s’étaient mis en mouvement pour traverser son entreprise; déjà leurs têtes de colonnes se montraient à Gingen, village situé à une lieue de l’endroit où il se trouvait; il alla lui-même les reconnaître avec deux escadrons de cavalerie. La position qu’ils avaient choisie là était très-forte. Charles, voyant l’impossibilité de les y attaquer — car, outre l’avantage qu’elle leur donnait, ils avaient celui d’une grande supériorité numérique[330], — tenta, mais en vain, par des escarmouches et des embuscades, de la leur faire abandonner; il s’attacha alors à intercepter les convois de vivres qui leur étaient expédiés : de leur côté ils en firent autant, et il advint que, pendant deux fois vingt-quatre heures, les troupes impériales manquèrent de vin et de pain[331]. Le 28 octobre Charles voulut essayer, de nuit, ce qui ne s’était pu faire de jour : il ordonna une camisade de toute l’infanterie espagnole, de sept mille lansquenets, de la cavalerie du grand-maître de Prusse et du marquis Albert de Brandebourg, lesquels, sous le commandement du duc d’Albe, marchèrent vers le camp des confédérés. Il se promettait un important résultat de cette expédition; comme il en avait l’habitude à la veille d’une bataille, il s’était confessé et avait reçu la communion. Toute la nuit il demeura armé, et il prit seulement quelques heures de repos dans un chariot couvert. L’affaire manqua, les protestants ayant été prévenus par leurs espions de ce qui était projeté contre eux. Quand le duc d’Albe s’approcha, il les trouva préparés à le recevoir : leur camp était éclairé par des torches et des falots allumés en si grand nombre qu’on y voyait comme en plein jour[332].

Cependant l’hiver commençait à se faire sentir; les nuits étaient très-froides; il pleuvait presque tous les jours, et les chemins devenaient impraticables; dans le camp impérial il y avait plus d’un pied de boue. À ces incommodités se joignait la difficulté de se procurer des vivres. Beaucoup de monde mourait au camp de peste, de froid et de faim. Les soldats italiens, qui avaient à se plaindre et de la paye insuffisante qu’on leur donnait[333] et des traitements de leurs chefs, ne pouvant supporter tant de privations et de fatigues, abandonnaient journellement leurs drapeaux; il en partit trois mille en une matinée[334], à l’occasion du retour en Italie du cardinal Farnèse, qui avait été rappelé par le pape. Dans ces circonstances, les chefs de l’armée conseillaient à l’empereur de lui faire prendre des quartiers d’hiver; mais Charles n’y voulut pas entendre, et, comme on insistait, il défendit qu’on lui en parlât davantage[335]. « Il considéra » — c’est lui-même qui nous l’apprend dans ses Commentaires[336] — « que tout le bon effet de son entreprise consistait à disperser l’armée des protestants et à séparer leurs forces; il lui sembla que placer son armée dans des garnisons, c’était la diviser, l’amoindrir, la rompre. » Il ne songeait plus toutefois à faire le siége d’Ulm : loin de là, le 31 octobre, il résolut de revenir sur ses pas et de se loger le long du Danube, entre Lauingen et Dillingen, à six milles italiens des protestants.

Sa situation ne laissait pas d’être critique, car chaque jour qui s’écoulait ajoutait aux souffrances de son armée, lorsque, le 8 novembre, un courrier lui apporta la nouvelle que le roi Ferdinand et le duc Maurice s’étaient emparés d’une grande partie de la Saxe. Il n’y avait rien qui eût pu lui survenir plus à propos; en effet il était à prévoir que l’électeur Jean-Frédéric quitterait les confédérés pour aller reconquérir ses États; aussi fit-il annoncer à tout son camp cette importante nouvelle par des salves d’artillerie. Plusieurs jours cependant se passèrent sans qu’aucun mouvement se fit apercevoir dans l’armée ennemie. Comme le lieu qu’occupait le camp impérial était bas et fangeux, Charles, qui avait en personne reconnu tous les environs, alla le 13 s’établir sur des collines, à deux milles seulement de l’électeur et du landgrave. Cette manœuvre, par laquelle il manifestait sa résolution de tenir la campagne, impressionna extraordinairement les confédérés, parmi lesquels la perte de la Saxe avait déjà jeté beaucoup de découragement[337]. Le landgrave fit écrire, par le chancelier de l’électeur de Brandebourg, au marquis Jean, frère de ce prince, qu’il était prêt, avec tous ses alliés, à faire acte de bon vassal envers l’empereur, moyennant certaines conditions qui lui seraient présentées, s’il voulait recevoir des députés qu’ils lui enverraient. Charles, à qui le marquis rendit compte de ce message, le chargea de répondre que, si les villes libres lui envoyaient des députés, il les recevrait, avec plaisir, mais qu’avec le landgrave et le duc de Saxe il ne ferait aucun accord qu’après qu’ils auraient posé les armes et seraient venus personnellement se remettre entre ses mains. Ces deux princes proposèrent alors d’entrer en conférence avec le marquis Jean et le comte de Buren; ils n’obtinrent d’autre réponse que celle qui leur avait été précédemment faite[338].

L’événement qui avait été prévu dès le 8 novembre se réalisa le 22. Ce jour-là, Jean-Frédéric ayant annoncé aux autres chefs de la ligue son intention de partir pour la Saxe avec ses troupes, toute l’armée protestante décampa. Charles se mit à la poursuite des confédérés; mais il ne leur causa aucun dommage sérieux; il avait été prévenu trop tard de leur retraite. Le temps d’ailleurs devenait de plus en plus mauvais; le froid était excessif; il tombait une neige épaisse; les soldats étaient épuisés de fatigues[339]. La plupart des généraux auraient voulu « que l’empereur se contentât des résultats obtenus, qu’il mît ses troupes en garnison et laissât reposer son armée. Charles l’eût fait volontiers, tant pour ménager les troupes que pour ne pas suivre presque seul son opinion; mais il comprit quel inconvénient en pouvait résulter et que l’on perdrait ainsi le fruit de tous les succès déjà obtenus..... Il se détermina donc, bien contre son gré, à suivre son opinion[340]. » Revenu dans son camp, il le quitta le 25 pour marcher sur Nordlingen, qui se rendit à la première sommation. Dinkesbühl, Rottenbourg, Bopfingen et plusieurs autres villes et châteaux des environs suivirent cet exemple. Charles séjourna à, Rottenbourg du 3 au 15 décembre[341]. L’armée des confédérés s’était dispersée; les gens du duc de Saxe, du duc de Wurtemberg, du landgrave, ceux des villes d’Augsbourg et d’Ulm, étaient retournés chez eux : l’empereur jugea à propos de renvoyer aux Pays-Bas le comte de Buren avec les troupes de ces provinces, en lui ordonnant de prendre son chemin par Francfort, pour tâcher de réduire cette ville importante, comme il le fit en effet. De Rottenbourg Charles, dont l’armée se trouvait réduite à douze mille hommes d’infanterie et deux mille chevaux[342], se rendit à Hall en Souabe, qui lui avait envoyé sa soumission. Là l’électeur palatin vint le trouver. Le landgrave et le duc de Saxe avaient prié le comte Frédéric de s’interposer pour que l’empereur consentît à traiter avec toute la ligue de Smalkalde ; mais ce prince eut assez de peine à obtenir un accord pour lui-même, et il y aurait réussi difficilement, si par le passé il n’eût rendu beaucoup de services à l’empereur, s’il n’avait été autant aimé de lui, et s’il n’avait eu pour femme une de ses nièces[343]. Charles, qui avait la goutte aux pieds depuis plusieurs jours, le reçut assis dans un fauteuil ; à ses excuses, à l’expression de son repentir, il répondit : « Mon cousin, il m’a déplu extrêmement qu’ayant été nourri en ma maison, vous ayez, sur la fin de vos jours, fait contre moi, qui suis de votre sang, la démonstration que vous avez faite, en envoyant des secours à mes ennemis : mais ayant égard à ce que nous avons été si longtemps élevés ensemble et à votre repentir ; espérant qu’à l’avenir vous me servirez comme vous le devez et vous conduirez tout autrement que vous ne l’avez fait jusqu’ici, je suis content de vous pardonner et de mettre en oubli le passé, me confiant que par de nouveaux mérites vous vous rendrez digne de la grâce que je vous fais en vous rendant mon amitié. » L’électeur s’excusa de nouveau, les larmes aux yeux ; son humilité était telle qu’elle émut tous les assistants[344]. Des députés d’Ulm vinrent aussi à Hall implorer à genoux leur pardon de l’empereur, qui le leur accorda à condition qu’ils payeraient soixante-dix mille florins pour les frais de la guerre[345].

Résolu de contraindre le duc de Wurtemberg à s’humilier à son tour, Charles donna l’ordre au duc d’Albe de marcher vers le pays de ce prince avec les Espagnols, les Italiens, les lansquenets de Madrutz et de Schauwembourg, quelque cavalerie allemande et les hommes d’armes napolitains ; lui-même il se mit en route le 23 décembre, emmenant ce qui lui restait de troupes. Le lendemain il entra dans Heilbronn, cité impériale qui était de la ligue de Smalkalde. A l’approche du duc d’Albe, la plupart des villes du Wurtemberg qui n’étaient pas fortifiées lui avaient fait leur soumission : aussi, dès le 29, des ambassadeurs du duc Ulric arrivèrent à Heilbronn, chargés de négocier un accommodement. Charles y était peu disposé[346] ; il se détermina toutefois à y entendre, mû par des considérations qu’il déduit dans une lettre au roi son frère, publiée par Lanz[347]. Le traité fut signé le 3 janvier 1547 ; il portait que, l’état de la santé du duc ne lui permettant pas de venir à Heilbronn, il y enverrait des députés pour en son nom implorer la miséricorde de l’empereur, et que lui-même accomplirait ce devoir dans le terme de six semaines ; qu’il observerait les décrets impériaux concernant la chose publique de l’Allemagne ; qu’il ne donnerait de secours ni au duc de Saxe ni au landgrave, mais, au contraire, qu’il aiderait l’empereur à faire exécuter le ban décerné contre eux ; qu’il ne contracterait aucune alliance dans laquelle ne fussent compris l’empereur et le roi Ferdinand ; qu’il délivrerait à l’empereur toute l’artillerie et les munitions des confédérés qui avaient été laissées dans ses États ; qu’il lui payerait, pour les frais de la guerre, trois cent mille écus, la moitié immédiatement et l’autre moitié dans les vingt-cinq jours ; qu’en garantie de l’exécution de ses engagements, il lui remettrait trois de ses principales forteresses, Asberg, Kircheim et Schorndorf; que, dans le délai de six semaines, son fils Christophe et son pays ratifieraient toutes ces conditions; qu’enfin son frère Georges ne jouirait point du bénéfice du traité[348]. Cinq jours après, trois députés du duc Ulric, au nombre desquels était son chancelier, eurent audience publique de l’empereur en présence de l’électeur palatin. S’étant mis à genoux, ils lui dirent, par la bouche du chancelier qu’ils venaient, de la part de leur maître, confesser qu’il avait offensé grièvement son souverain seigneur; qu’il en ressentait une vive affliction; qu’il suppliait l’empereur de lui pardonner et d’avoir pitié de lui et de ses sujets. Charles leur fit répondre, par le vice-chancelier de Naves, que, le duc reconnaissant sa faute et en demandant pardon, il userait envers lui de sa clémence accoutumée; qu’il traiterait lui et les siens humainement et amiablement comme un bon prince devait faire ses bons sujets[349]. Ces députés étant sortis, Charles reçut les bourgmestres de la ville de Francfort, qui venaient aussi lui présenter leur soumission et implorer sa miséricorde, s’excusant sur ce que le landgrave les avait trompés[350]. Le jour suivant, des envoyés de sept autres villes de la ligue, dont les principales étaient Memmingen et Kempten, furent encore pour le même objet admis en sa présence. Les conditions auxquelles toutes ces villes obtinrent leur pardon étaient : qu’elles feraient serment d’être fidèles à l’empereur; qu’elles s’engageraient à observer les mêmes lois que les autres ordres de l’Empire; qu’elles renonceraient à l’alliance du duc de Saxe et du landgrave; qu’elles ii’entreraient à l’avenir dans aucune ligue contre la maison d’Autriche; qu’elles ouvriraient leurs portes à la garnison qui leur serait envoyée : une contribution de guerre proportionnée à leurs ressources leur était de plus imposée[351]. Le 18 janvier Charles partit d’Heilbronn, après que les habitants lui eurent prêté serment à la maison de la ville; il arriva à Ulm le 25. Les gouverneurs de cette ville impériale eurent pour lui une attention toute particulière : étant venus à sa rencontre aux limites de leur territoire, ils le complimentèrent en langue espagnole; il leur fit une réponse gracieuse dans la même langue[352]. Comme nous l’avons dit au commencement de cette notice, Charles-Quint ne savait pas l’allemand.

Charles reçut à Ulm la soumission de la ville d’Augsbourg, qui paya cent cinquante mille écus le pardon qu’il voulut bien lui accorder[353]. Il se proposait de prendre le chemin de Francfort, où il avait convoqué des députés des princes et des villes de l’Empire qui reconnaissaient son autorité, afin de les engager à se confédérer avec lui[354] : des lettres qu’il reçut du roi des Romains et du duc Maurice le firent changer de dessein. Jean-Frédéric n’avait pas seulement reconquis ce que ceux-ci lui avaient pris en Saxe, mais il s’était emparé de plusieurs de leurs possessions, et par les intelligences qu’il s’était créées en Bohême, une partie de ce royaume était en révolte ouverte contre le roi : Ferdinand écrivait à son frère que, s’il ne venait en personne à leur aide, tout serait perdu[355]. Charles lui envoya d’abord le marquis Albert de Brandebourg avec dix-huit cents chevaux et seize enseignes de piétons; quelques jours après il les fit suivre de huit enseignes de lansquenets sous les ordres du marquis de Marignan et six cents chevaux commandés par le marquis Jean de Brandebourg[356]; lui-même il se dirigea, vers la Saxe le 4 mars avec le reste de ses troupes, qui était peu considérable, car le pape venait de rappeler tous les Italiens qui étaient encore à son service, et il lui avait fallu destiner deux de ses régiments d’infanterie allemande, ceux des comtes Jean de Nassau et de Schauwenbourg, pour les garnisons d’Ulm et d’Augsbourg[357]. Le jour de son départ, le duc Ulric de Wurtemberg vint faire l’acte d’humiliation auquel l’obligeait le traité du 3 janvier : la maladie l’avait empêché jusque-là de se présenter devant l’empereur, et il était si faible encore qu’on dut le porter sur une chaise dans la salle où la cérémonie devait s’accomplir. Lorsque tout le monde y eut pris place, le chancelier du duc répéta ce qu’il avait dit en son nom deux mois auparavant; la réponse de l’empereur fut conçue aussi dans les mêmes termes que celle qu’il avait faite alors. Tant que dura la cérémonie, le chancelier et les autres gens du conseil d’Ulric de Wurtemberg se tinrent à genoux : par une faveur spéciale, que motivait son état de maladie, ce prince eut la permission de demeurer assis sur sa chaise, qu’on plaça au bas du marche-pied de l’empereur[358].

A Nördlingen, où il arriva le 5 mars, Charles fut pris de la goutte. Plusieurs de ses conseillers étaient d’avis qu’il retournât à Ulm, pour y faire la cure de décoction de china dont il s’était bien trouvé d’autres fois, et chargeât le duc d’Albe de l’expédition de Saxe; il y résistait, venant d’apprendre la défaite et la prise du marquis Albert de Brandebourg[359] par le duc Jean-Frédéric. En cette occasion son médecin, le brugeois Corneille de Baersdorp, montra qu’il était tout autant jaloux de la gloire que de la santé de son maître : interrogé par l’empereur sur ce qu’il devait faire, il lui conseilla de suivre son inspiration, qui le portait à marcher au secours du roi son frère. Baersdorp considérait judicieusement que de la présence de l’empereur pouvait dépendre l’issue de cette entreprise; il trouvait que, si elle avait le résultat qu’il y avait lieu d’en espérer, il valait mieux que l’empereur en recueillit l’honneur que ses capitaines; il n’envisageait pas d’ailleurs l’accès dont souffrait son maître comme devant faire naître des craintes sérieuses[360]. Le dévoué médecin n’eut pas à regretter le conseil qu’il avait donné : l’empereur put, le 23 mars, continuer sa route en litière[361]. Ce jour-là les bourgmestres de Strasbourg lui jurèrent obéissance au nom de la ville qu’ils gouvernaient[362], en acceptant les conditions qu’il leur avait dictées, et qui étaient moins rigoureuses que celles auxquelles d’autres cités de la Germanie avaient dû se soumettre : car il ne les obligeait point à recevoir garnison et n’exigeait d’eux que trente mille écus et douze pièces d’artillerie[363]. Il y avait quelque temps déjà que des députés de Strasbourg négociaient avec les ministres impériaux; un point avait surtout été entre eux un sujet de difficulté : les Strasbourgeois n’avaient jamais prêté serment au chef de l’Empire[364]; ils auraient voulu être dispensés de le prêter à l’empereur régnant.

De Nördlingen Charles était venu à Nuremberg. Il y eut une rechute : ce qui ne l’empêcha pas de se mettre en marche, à la tête de ses troupes, le 29 mars, faisant le chemin, tantôt en litière, tantôt à cheval[365]. Il comptait en ce moment sous ses drapeaux son infanterie espagnole comprenant cinq mille têtes, huit à neuf mille lansquenets des régiments de Marignan et de Madrutz, et deux mille chevaux environ : quatre à cinq mille gens de pied dont il avait ordonné la levée dans cette partie de l’Allemagne devaient le suivre à quelques jours d’intervalle[366]. Le 5 avril il entra dans Egra : à trois lieues de cette ville il avait été joint par le roi son frère, qui lui amenait dix-sept cents chevaux, dont neuf cents hongrois[367], ainsi que par le duc Maurice et le marquis Jean-Georges de Brandebourg, fils de l’électeur, qui en conduisaient, le premier mille, le second quatre cents[368].

Ce fut à Egra que Charles apprit la mort du roi de France[369]. Cet événement ne pouvait manquer d’avoir une grande influence sur ses affaires. Pendant plus d’un quart de siècle, François Ier avait été pour lui non-seulement un rival envieux de tout ce qui devait contribuer à sa prospérité et à sa grandeur, mais encore un ennemi déclaré. L’absence de loyauté et de franchise avait toujours caractérisé la politique de ce monarque : il n’avait observé ni le traité de Madrid, ni celui de Cambrai; il avait violé la trève de Nice, au moment où il protestait contre l’intention qu’on lui attribuait d’y contrevenir. A la vérité, il n’avait pas enfreint ouvertement la paix de Crépy, il ne cessait même de déclarer officiellement qu’il avait à cœur de l’entretenir, mais il n’attendait qu’une occasion favorable pour la rompre[370]. Il avait approuvé l’empereur de faire la guerre aux protestants; il avait trouvé très-raisonnable qu’il les châtiât[371], et, à chaque incident de cette guerre qui était favorable aux armes impériales, il en témoignait son dépit dans le cercle de ses familiers[372]; lorsqu’il fut atteint de la maladie qui l’emporta, il y avait à sa cour des envoyés de l’électeur de Saxe et du landgrave de Hesse qu’il ne se bornait pas à recevoir de la manière la plus gracieuse, mais auxquels il promettait des secours efficaces[373]. Charles se flattait que, quelles que fussent les dispositions de son successeur, elles ne lui seraient jamais aussi hostiles que l’avaient été celles du prince qui venait de descendre dans la tombe; il fit partir pour la France le seigneur d’Humbercourt, gentilhomme de sa maison, chargé de présenter à la reine douarière sa sœur et au nouveau lui ses compliments de condoléances[374].

Charles et Ferdinand passèrent à Egra la semaine sainte et les fêtes de Pâques. Le 13 avril ils se mirent en marche pour pénétrer en Saxe; l’empereur avait envoyé en avant le duc d’Albe avec tous les gens de pied et une partie de la cavalerie. Ayant cheminé dix jours sans s’arrêter, les deux monarques arrivèrent, le 22, à trois lieues de Meissen sur l’Elbe, où ils avaient été informés que se trouvait le duc Jean-Frédéric avec le gros de ses forces; ils résolurent d’y laisser reposer leurs troupes pendant vingt-quatre heures qui seraient employées à reconnaître la position de l’ennemi et le chemin le plus convenable pour l’attaquer[375]. L’armée impériale, renforcée des troupes du roi et du duc Maurice, comptait alors vingt-trois mille hommes d’infanterie, espagnole, allemande, bohémienne, et six mille chevaux[376]; celle du duc de Saxe lui était de beaucoup inférieure en nombre; elle ne se composait que de six mille piétons et trois mille cavaliers[377]; quatorze enseignes de ce prince avaient été défaites, en diverses rencontres, par les impériaux, et tous les châteaux-forts et les villes situés dans le pays que l’empereur avait traversé lui avaient fait leur soumission. Le 23, à l’approche de quelques détachements envoyés en éclaireurs, Jean-Frédéric abandonna sa position de Meissen, après avoir mis le feu au pont de la ville : dans la pensée que l’empereur se porterait sur Wittenberg, il alla camper à Mühlberg, à deux lieues en aval de l’Elbe, où il fit jeter un pont de bateaux au moyen duquel il pût, au besoin, passer sur la rive opposée. Mais Charles, ayant eu connaissance, dans la soirée, de la direction qu’il avait prise[378], fit incontinent partir dans cette direction son artillerie et les pontons qu’il menait avec lui ; le 24, aux premières lueurs de l’aube, il fit prendre le même chemin à toute son armée ; il était sur pied depuis minuit, ayant voulu veiller lui-même à l’exécution de ses ordres[379]. Vers neuf heures du matin, son avant-garde se trouva en face du pont de bateaux que les Saxons avaient construit et qui était défendu par dix enseignes de gens de pied[380] : les Espagnols qui la composaient attaquèrent vigoureusement les ennemis et leur firent éprouver de grandes pertes. Voyant que le pont allait être pris, les Saxons le coupèrent en trois parties, dont ils emmenèrent deux au bas de la rivière ; mais quelques arquebusiers espagnols[381] se jetèrent à l’eau, tenant leurs épées entre les dents, et nageant vers les bateaux, ils les ramenèrent, après avoir tué ceux qui les conduisaient. Tandis qu’on s’occupait de refaire le pont, le duc d’Albe présenta à l’empereur un homme du pays qui offrait, d’indiquer un gué pour le passage de la cavalerie[382].

Charles avait hâte de passer la rivière; il craignait que le duc Jean-Frédéric n’eût le temps de s’éloigner ; il ne voulait pas attendre que le pont fût reconstruit. Après avoir fait sonder le gué par une vingtaine de hussards qui le reconnurent praticable, il donna l’ordre à la cavalerie hongroise, aux chevau-légers du prince de Sulmone, aux hommes d’armes de Naples, tous ayant à leur tête le duc d’Albe, et au duc Maurice avec ses gens, de traverser le fleuve. Il s’y élança après eux[383], ainsi que le roi son frère et tous les gentilshommes attachés à leurs maisons. Quatre mille cavaliers et cinq cents arquebusiers à pied[384] passèrent de la sorte, en une demi-heure, sur l’autre rive ; ces derniers avaient été pris en croupe par les hussards hongrois et les chevau-légers du prince de Sulmone. Aussitôt qu’ils eurent gagné la terre, ils se mirent à la poursuite des Saxons, qui, désespérant de pouvoir se défendre à Mühlberg, battaient en retraite. Pendant ce temps, le pont avait été rétabli, et le reste de l’armée, infanterie et cavalerie, à l’exception de ce qui était nécessaire pour la garde du camp, traversa l’Elbe. La cavalerie impériale fit trois lieues, toujours galopant, avant d’atteindre les fuyards. Jean-Frédéric, à son approche, crut n’avoir affaire qu’à une avant-garde ; il résolut de s’arrêter et de se fortifier dans un bois plein de marécages et d’un accès difficile, d’où, la nuit, il pourrait opérer sa retraite sur Wittenberg : dans ce dessein il fit charger les impériaux par tous, ses gens de cheval et toute son arquebuserie de pied. L’empereur suivait de près son avant-garde ; il ordonna lui-même une charge contre les Saxons, et sa cavalerie les attaqua avec une telle impétuosité qu’ils se mirent en désordre et se jetèrent dans les bois, où les impériaux entrèrent avec eux et en firent un grand carnage. Cette action leur coûta plus de mille hommes tués, et un nombre considérable de blessés et de prisonniers : la perte des impériaux ne fut que de sept ou de huit hommes. Parmi les prisonniers étaient l’électeur Jean-Frédéric et le duc Ernest de Brunswick[385] : l’électeur assistait au prêche quand on vint lui dire que l’empereur traversait l’Elbe ; il n’en voulut pas moins entendre le sermon jusqu’à la fin[386]. La poursuite des Saxons dura jusqu’à minuit. Alors seulement Charles, avec le roi Ferdinand et les archiducs, reprit le chemin de son camp[387].

Telle fut l’issue de la bataille de Mühlberg[388]. La victoire de Charles-Quint était complète : au jugement de bien du monde, elle était plus grande, plus importante encore que celle remportée par ses lieutenants, quand ils firent prisonnier le roi de France[389] : à dater de ce jour, en effet, quoique le landgrave de Hesse eût encore ses troupes sur pied, et que plusieurs villes de la ligue de Smalkalde n’eussent pas fait leur soumission à l’empereur, on put considérer la guerre des protestants comme terminée, et comme désormais établie la suprématie impériale en Allemagne. Charles, avant de quitter le champ de bataille, commanda au duc d’Albe de lui amener l’électeur de Saxe. Ce prince, qui avait combattu vaillamment jusqu’à la fin, avait le visage couvert de sang, par suite d’un coup d’épée qu’il avait reçu à la joue gauche ; sa contenance était ferme[390] malgré son malheur. Il voulut descendre de cheval et ôter son gant pour toucher la main de l’empereur suivant la coutume d’Allemagne ; Charles ne le souffrit pas. S’étant découvert, il dit : « Très-puissant et très-gracieux empereur, je suis votre prisonnier. » Charles lui répondit : « Vous me traitez d’empereur maintenant ; c’est un nom bien différent que vous aviez l’habitude de me donner : » faisant allusion par là aux écrits où, lorsqu’ils conduisaient l’armée de la ligue, lui et le landgrave l’appelaient Charles de Gand, celui qui se croit empereur ; il ajouta que ses actions l’avaient réduit à l’état où il se voyait. Jean-Frédéric ne répliqua rien ; il baissa la tête ; puis la relevant, il supplia l’empereur de le traiter comme son prisonnier : à quoi Charles repartit qu’il serait traité selon ses mérites. Il ordonna qu’il fût conduit au camp sous bonne garde ; le duc d’Albe le remit aux mains d’Alonso Vives, mestre de camp d’un régiment espagnol[391].

Le courroux de Charles contre l’electeur était grand; il voulait lui faire trancher la tête comme à un vassal rebelle et hérétique; son confesseur l’y excitait; c’était aussi l’avis du roi Ferdinand[392] et de plusieurs dts ministres : le duc d’Albe et l’évêque d’Arras, Antoine Perrenot, (monsieur de Granvelle, son père, était en ce moment en Bourgogne) lui conseillèrent, déterminés surtout par des considérations militaires et politiques[393], de faire grâce de la vie à son prisonnier, à des conditions qui lui assurassent tous les fruits de sa victoire[394]. Charles, à qui Torgau et plusieurs autres places s’étaient rendues aussitôt après la défaite de l’électeur, décampa le 27 avril pour marcher sur Wittenberg; le 4 mai il passa l’Elbe et se présenta devant cette ville[395]. Le jour suivant, l’électeur de Brandebourg, Joachim II, arriva à son quartier général; il venait le supplier d’avoir pitié du duc de Saxe; ce prince était prêt à s’en remettre entièrement à son bon plaisir, pourvu qu’il eût la vie sauve[396]. Le duc de Clèves, beau-frère de Jean-Frédéric, et les ambassadeurs du roi de Danemark[397] joignirent leurs sollicitations à celles de l’électeur Joachim. Charles cousentit à entrer en négociations. Le chancelier du duc avait été pris en même temps que lui; l’évêque d’Arras eut ordre de s’aboucher avec tous deux; il était, parmi les principaux ministres de l’empereur, le seul qui possédât la langue allemande. Après de longs pourparlers[398], le traité fut conclu le 18 mai. Jean-Frédéric renonçait, pour lui et ses successeurs, à l’électorat de Saxe, approuvant toute disposition que l’empereur en voudrait faire en faveur de qui que ce fût. Il s’obligeait à remettre à l’empereur les villes et forteresses de Wittenberg et de Gotha; à restituer aux comtes de Solms et de Mansfelt Sonnewald et Heldrungen, et aux grand-maître de Prusse et autres, ecclésiastiques ou séculiers, ce qu’il leur avait pris; à rendre sans rançon le marquis Albert de Brandebourg; à n’entretenir ni favoriser aucune pratique avec les ennemis de l’empereur et du roi des Romains, en la Germanie ni dehors; à observer ce que l’empereur, avec la participation des etats de l’Empire, ordonnerait pour le bien, quiétude et tranquillité de l’Allemagne. Il consentait à la délivrance des ducs de Brunswick, père et fils, et à la restitution de tous leurs biens, pays et États. De son côté, l’empereur s’engageait à mettre en liberté et recevoir en sa grâce le duc Ernest de Brunswick, « après qu’il aurait fait l’humiliation et prié mercy; » il remettait au duc-Jean-Ernest, frère de Jean-Frédéric, lapeine qu’il avait encourue. Les biens que l’électeur possédait ayant été donnés au roi des Romains et au duc Maurice, ce dernier s’obligeait à payer à ses enfants une rente annuelle de cinquante mille florins de Rhin, en garantie de laquelle plusieurs seigneuries, châteaux, villes et places leur seraient laissés; il prenait de plus à sa charge, jusqu’à concurrence de cent mille florins, le payement des dettes que Jean-Frédéric avait contractées « devant le commencement de la ligue de Smalkalde. » Moyennant ce que dessus, l’empereur « se contentait de commuer la peine de mort que le ci-devant électeur avait méritée par sa rébellion, à demeurer en la cour de Sa Majesté ou en celle de monseigneur le prince son fils en Espagne, au choix de Sadite Majesté, et pour tel temps qu’il plairait à icelle, et jusqu’à ce qu’elle ordonnât autre chose, obligeant pour ce sa foi; et serait sous garde[399]. »

Ce traité fut notifié le 19 à la duchesse Sibylle, femme de Jean-Frédéric, à son frère Jean-Ernest, à Jean-Frédéric, son troisième fils[400] et à ceux qui commandaient pour lui dans Wittenberg. Cette place était très-forte, bien pourvue d’artillerie et de munitions de guerre et défendue par une garnison de trois mille hommes; jusqu’alors Charles, qui espérait l’avoir par composition, n’avait pris aucune mesure pour l’assiéger dans les règles. Les conditions de l’accord furent trouvées extrêmement dures par la famille du prisonnier et par ses serviteurs; néanmoins son frère et son fils vinrent le même jour au camp impérial y apposer leurs signatures[401], et il fut convenu que Wittenberg serait rendu le 23. Ce jour-là, en effet, la garnison en sortit; elle fut remplacée par quatre enseignes d’Allemands sous les ordres du colonel Madrutz. La duchesse Sibylle ayant, le lendemain, demandé à l’empereur la permission de voir son mari, l’électeur de Brandebourg et les deux archiducs, Maximilien et Ferdinand, allèrent au-devant d’elle; elle était accompagnée de son beau-frère, de la femme de celui-ci, sœur du duc Ernest de Brunswick, de son fils et d’une suite nombreuse de dames et de demoiselles toutes en deuil. Parvenue à la tente de l’empereur, où étaient le roi des Romains, le duc Maurice, le duc de Camerino, le duc d’Albe et beaucoup d’autres princes et seigneurs, elle se jeta à ses pieds; Charles, lui ayant tendu la main, la fit relever par son frère. Alors un de ses conseillers représenta à l’empereur qu’elle se résignait à ce que son mari demeurât prisonnier où et autant de temps qu’il lui plairait de l’ordonner, mais qu’elle le suppliait de ne pas le faire mener hors d’Allemagne : Charles lui fit faire une réponse courtoise, sans s’engager toutefois à rien. Elle se jeta de nouveau à ses genoux en implorant sa pitié pour elle et pour ses enfants; il la fit relever comme la première fois et la consola de son mieux[402]. Le duc d’Albe la conduisit auprès de son mari, avec qui elle resta une demi-heure seulement; elle retourna ensuite à Wittenberg. Le 25 Charles alla lui rendre visite, et le lendemain Jean-Frédéric fut amené au château, où elle résidait, sous la garde de cinq cents arquebusiers espagnols que commandait Alonso Vives, afin de passer quelques jours avec elle et de régler ensemble leurs affaires de famille[403]. Il fut ramené au camp de l’empereur le 3 juin.

On a vu que, dès le mois de novembre, le landgrave avait tenté d’entrer en arrangement avec l’empereur. Il avait depuis, par l’intermédiaire du duc Maurice, renouvelé à diverses reprises cette tentative; à Héilbronn, à Ulm, à Nördlingen, Charles avait reçu des messagers de Maurice qui le suppliaient de prêter l’oreille aux ouvertures de son beau-père : celui-ci allait jusqu’à offrir de donner des troupes pour combattre le duc de Saxe, son allié. Mais Charles était bien décidé à n’entendre à aucun accommodement si Philippe de Hesse ne se rendait à sa volonté, et cette condition le chef de la ligue de Smalkalde avait dit constamment qu’il ne s’y soumettrait jamais. Après la défaite et la prise de Jean-Frédéric, le landgrave eut une conférence, à Leipsick, avec Maurice et le marquis Joachim de Brandebourg, qui avaient consenti à servir de médiateurs entre lui et l’empereur : les propositions que ces princes rapportèrent de sa part au camp impérial ne furent pas jugées plus acceptables que les précédentes, et Charles invita les médiateurs à rompre les négociations; en même temps il résolut de marcher vers les pays du landgrave, afin de lui faire voir qu’il avait en main des forces suffisantes pour le mettre à la raison[404]. Le 2 juin il leva son camp de devant Wittenberg et repassa l’Elbe, prenant le chemin de Halle-sur-Saale : le roi son frère était parti pour la Bohême avec ses troupes huit jours auparavant. Le 4, en présence de l’électeur de Brandebourg, de l’archiduc Maximilien et de plusieurs autres princes, Charles déclara publiquement le duc Maurice électeur de Saxe au lieu et place de Jean-Frédéric. L’artificieux Maurice le remercia avec humilité, disant que, s’il avait fait la guerre à son cousin, ce n’était pas qu’il aspirât à la dignité électorale, qu’il la lui avait faite pour remplir ses obligations envers l’empereur et le roi des Romains, auxquels son cousin était désobéissant et rebelle. Il témoigna sa gratitude de la faveur que recevait sa maison par la conservation de cette dignité, et de la miséricorde qu’avait montrée l’empereur envers l’électeur déchu, en ne lui faisant point trancher la tête. Le jour suivant il entra dans Wittenberg[405], Charles, après l’avoir mis en possession de l’objet de tous ses vœux, avait continué sa route; il arriva le 10 à Halle. Le 13 le duc Ernest de Brunswick comparut devant lui et accomplit l’acte d’humiliation auquel le traité de Wittenberg l’obligeait[406].

Cependant le landgrave, convaincu qu’il ne pourrait résister à la puissance de l’empereur, s’était résigné à subir la loi de la nécessité; il avait autorisé le duc Maurice et le marquis Joachim à soucrire, en son nom, à tout ce qu’on exigeait de lui. Par le traité que ces princes conclurent avec les ministres impériaux, Philippe de Hesse remettait entièrement sa personne et ses États au pouvoir de l’empereur. Il s’engageait à venir le trouver et à lui demander pardon à genoux; à lui rendre à l’avenir toute obéissance; à observer ponctuellement les décrets qui seraient faits par lui pour le bien de la chose publique; à déférer aux jugements de la chambre impériale et à contribuer à l’entretien de cette chambre; à renoncer à toute ligue et nommément à celle de Smalkalde; à ne contracter aucune nouvelle alliance dans laquelle ne seraient pas compris l’empereur et le roi des Romains; à punir sévèrement ceux de ses sujets, qui, dans la suite, porteraient les armes contre l’un ou l’autre de ces deux monarques; à payer à l’empereur, pour les frais de la guerre, cent cinquante mille écus d’or et à lui délivrer toute son artillerie; à faire raser ses citadelles, à la réserve de Ziegenhain et de Cassel; à mettre en liberté le duc Henri de Brunswick et le prince son fils; à restituer au duc son pays et transiger avec lui pour le dommage qu’il lui avait causé; à restituer de même au grand-maître de Prusse et aux autres ce dont il les avait dépouillés; enfin à faire ratifier toutes ces stipulations par ses enfants, ainsi que par sa noblesse et son peuple[407].

Maurice et Joachim engagèrent le landgrave à venir sans délai à Halle. En annonçant à l’empereur que ce prince se rendait à sa discrétion, gnade und ungnade, ils l’avaient prié de leur donner une déclaration, qui serait pour eux seuls, sur la portée de l’ungnade. Condescendant à leur désir, Charles leur avait délivré un écrit en allemand, signé de sa main[408], où il promettait que le landgrave ne serait ni puni de mort ni réduit à une prison perpétuelle ni privé d’aucune partie de ses pays patrimoniaux. Soit que, par une légèreté ou une méprise également inconcevable, ils eussent mal lu ou mal interprété cet écrit, soit qu’ils se fissent illusion sur le crédit dont ils jouissaient auprès de l’empereur, les deux électeurs assurèrent le landgrave qu’il n’avait pas à craindre qu’on le retint prisonnier; ils lui donnèrent sur cela leur parole; ils ajoutèrent que, si l’on voulait le garder en prison ou lui imposer des conditions plus rigoureuses que celles qui étaient contenues dans le projet de traité, ils seraient prêts à courir la même fortune que lui, et que, dès qu’ils en seraient sommés par ses enfants, ils se mettraient en devoir de satisfaire à leur promesse; qu’à l’égard de la religion, il aurait les mêmes sûretés qu’eux et le marquis Jean de Brandebourg avaient obtenues[409]. Pour donner plus de force à cet engagement, ils le consignèrent dans des actes en forme, qu’ils revêtirent de leurs signatures et de leurs sceaux[410].

Philippe de Hesse, avec une suite de soixante chevaux, arriva à Halle le 18 juin, entre les électeurs de Brandebourg et de Saxe, qui étaient allés au-devant de lui jusqu’à Naumbourg. Une heure après y arrivèrent le duc Henri de Brunswick et le prince Charles-Victor, son fils, que depuis cinq ans il retenait en prison. Le jour suivant, les deux électeurs conduisirent le landgrave au palais de l’empereur. Charles les reçut assis sur son trône, ayant à ses côtés, avec les principaux personnages de sa cour, l’archiduc Maximilien, le prince Emmanuel-Philibert de Savoie, le grand-maître de Prusse, le duc d’Albe, les évêques d’Arras, de Naumbourg et d’Hidelsheim, le duc et les princes de Brunswick, les ambassadeurs du pape, des rois de Bohême et de Danemark, du duc de Clèves et de plusieurs villes de la Germanie[411]; un grand nombre de seigneurs et de gentilshommes allemands était accouru pour être témoins de ce à quoi jamais ils n’auraient pu croire[412]; le peuple aussi avait voulu assister au « mystère qui se passait[413] ». La cérémonie était publique; la salle la plus spacieuse du palais avait été choisie pour en être le théâtre.

Le landgrave, introduit dans cette salle avec beaucoup d’appareil, s’avaria vers le trône, se mit à genoux, les mains jointes et la tête baissée. A sa gauche, un peu derrière lui, se plaça dans la même posture son chancelier Guntherode. Celui-ci avait à la main un écrit dont, sur les ordres de son maître, il donna lecture : il y était dit en substance que, le landgrave ayant, en la guerre passée, très-gravement offensé l’empereur et mérité par là une punition exemplaire, il s’en repentait de tout son cœur et, selon ses offres, se rendait à la discrétion de Sa Majesté; qu’il le suppliait très-humblement, et pour la miséricorde de Dieu, de lui vouloir pardonner, de révoquer le ban décerné justement contre lui, de lui laisser ses pays et sujets et de recevoir ceux-ci en sa grâce : promettant de toujours reconnaître et honorer l’empereur comme son seul souverain et seigneur, de lui faire et au Saint-Empire tout ce à quoi était tenu un loyal et obéissant prince, sujet et vassal. Charles répondit, par la bouche du vice-chancelier de l’Empire Seldt[414], que, quoiqu’il eût sujet de condamner le landgrave à la peine la plus griève, il voulait bien, prenant égard à son repentir et à sa soumission, ainsi qu’aux prières de plusieurs princes de l’Allemagne, user envers lui de son accoutumée et naturelle clémence ; qu’il consentait à révoquer le ban contre lui publié, lui remettait la peine de mort qu’il avait encourue par sa rébellion, et l’assurait qu’il ne subirait d’emprisonnement et de perte de ses biens que selon les termes du traité qui venait d’être conclu[415]. Le landgrave, qui était resté à genoux pendant les deux allocutions, se leva sur un signe de l’empereur, après avoir fait entendre quelques paroles de remerciment[416]. Les deux princes ses intercesseurs auraient désiré que l’empereur lui donnât la main, comme il avait l’habitude d’en user avec ceux à qu’il faisait grâce ; mais cette faveur ne lui fut pas accordée[417].

La cérémonie terminée, le duc d’Albe pria le landgrave et les deux électeurs à souper au château, où il était logé. Après le repas et comme les convives allaient se retirer, le duc annonça au landgrave qu’il avait ordre de le retenir prisonnier ; il chargea de veiller sur lui le capitaine espagnol don Juan de Guevarra. Le landgrave se récria vivement ; les deux électeurs protestèrent, disant qu’ils avaient entendu que ce prince ne serait pas mis en prison, et qu’ils lui en avaient donné l’assurance. On appela l’évêque d’Arras, qui avait été pour l’empereur le principal négociateur du traité. Perrenot discuta avec les électeurs jusqu’à deux heures du matin ; il s’efforça de les convaincre de leur tort : ils finirent par déclarer que, n’étant pas des docteurs, ils n’avaient pas bien compris l’écrit de l’empereur, et ils demandèrent qu’en considération de leur honneur, qui leur était si cher, le landgrave fût remis entre leurs mains, s’engageant à ne l’en laisser sortir que lorsqu’il aurait accompli toutes les stipulations du traité. Charles, à qui le lendemain l’évêque d’Arras rapporta ce qui s’était passé la nuit, fut très-blessé de ce que sa fidélité à tenir sa parole avait été mise en dispute : il fit dire aux deux électeurs qu’il voulait qu’avant tout on vidât la question de savoir si, par ce qui avait été convenu et accepté, de part et d’autre, il pouvait ou non retenir prisonnier le landgrave, et si eux avaient pu lui promettre le contraire[418]. Le marquis Joachim et le duc Maurice, assistés d’un de leurs conseillers, s’assemblèrent avec les ministres impériaux ; l’instrument du traité, l’écrit particulier de l’empereur furent examinés et débattus. A la suite d’une longue discussion, les deux princes convinrent, « et ils le répétèrent par trois fois », que sans nul contredit l’empereur pouvait détenir prisonnier le landgrave le temps qu’il lui plairait, pourvu que la prison ne fût pas perpétuelle ; ils dirent même qu’ils seraient les premiers à le soutenir contre quiconque prétendrait qu’il n’en fût pas ainsi : avouant que, s’il y avait eu en cela quelque malentendu, c’était à eux que la faute devait être imputée[419]. Le marquis et le duc, ayant eu audience de l’empereur, lui confirmèrent ce langage ; ils le supplièrent d’excuser ce qu’ils avaient fait, l’abréger la durée de l’emprisonnement du landgrave et d’en fixer le terme. Charles, sans prendre d’engagement à cet égard, leur répondit de façon à les satisfaire : ils lui en adressèrent leurs remercîments[420].

Tandis qu’en Allemagne tout succédait aux vœux de l’empereur, des événements se passaient en Italie qui lui causaient de sérieuses préoccupations. Une conjuration avait été tramée à Gênes au commencement de 1547, dont le but était de détruire du même coup l’ascendant que les Doria avaient dans les conseils de la république, et l’influence qui y était acquise à la politique impériale. Cette conjuration n’avait avorté que par une circonstance fortuite : le chef de l’entreprise, Giovan Luigi de Fieschi, comte de Lavagna, étant tombé dans la mer, y avait péri au moment où il venait de s’emparer de la flotte de la république et où presque toute la ville était au pouvoir de ses partisans. Sa mort avait déconcerté les conjurés; le sénat, profitant de la consternation qu’elle répandait parmi eux, s’était, par des mesures promptes et énergiques, remis en possession de l’autorité. Dès le lendemain, Gênes reprenait son aspect ordinaire, et Andrea Doria, qui était parvenu à s’enfuir tandis que son neveu Gianettino tombait sous le poignard des conspirateurs, rentrait dans la ville aux acclamations des habitants. Quoique ce complot eût échoué, Charles, ne doutant pas que le roi de France, le duc de Parme et le pape lui-même ne l’eussent encouragé sous main, en concevait des inquiétudes pour la tranquillité future de la péninsule italique; il craignait aussi qu’il ne se renouvelât quand Andrea Doria, qui allait atteindre sa quatre-vingtième année, viendrait à mourir, et il ne voyait d’autre moyen de prévenir les suites d’une éventualité qu’il redoutait, que de se faire entièrement maître du gouvernement et des forces de la république[421]. Dans le même temps, Naples se soulevait contre le vice-roi don Pedro de Tolède, qui voulait, d’après les ordres de l’empereur, introduire dans le royaume l’inquisition d’Espagne. Cette innovation avait excité un mécontentement général : tousb les ordres de l’État se montrèrent résolus à s’y opposer, les habitants de la capitale coururent aux armes; la noblesse fit cause commune aec le peuple; ils signèrent même un acte d’union par lequel ils contractaient l’obligation mutuelle de se soutenir contre quiconque les attaquerait ou porterait atteinte aux libertés de la patrie. Pendant plusieurs mois Naples fut en proie à une agitation violente et le théâtre de sanglants conflits entre la population et les Espagnols, qui occupaient les chàteaux-forts. L’ordre et la tranquillité ne s’y rétablirent qu’après la publication d’une amnistie émanée de l’empereur et l’assurance, donnée en son nom par le vice-roi, qu’il ne serait plus parlé d’inquisition.

Charles quitta Halle le 23 juin. Cette petite ville eut à payer quinze mille florins, en punition de la part qu’elle avait prise à la guerre[422]. On calcula que les contributions imposées aux princes et aux villes de la ligue de Smalkalde avaient fait entrer dans le trésor impérial près de quinze cent mille florins[423]; tous en outre, avaient eu à livrer à l’empereur une partie plus ou moins considérable de l’artillerie qu’ils possédaient : cinq cents pièces de canon servirent ainsi de trophées au vainqueur. De celles qui avaient été tirées du Wurtemberg, au nombre de cent, Charles en envoya cinquante à Milan et cinquante à Naples. Toutes les autres furent rassemblées à Francfort, d’où on les dirigea sur les Pays-Bas, pour servir à l’armement des places fortes de ces provinces, ou pour être transportées en Espagne[424]. On n’en peut guère douter : cette répartition des canons conquis sur l’ennemi avait été combinée par Charles-Quint en vue de donner à ses sujets, dans les divers pays soumis à son sceptre, une haute idée de sa puissance et de sa gloire.

La veille de son départ de Halle, Charles avait envoyé en avant ses deux prisonniers, Jean Frédéric de Saxe et Philippe de Hesse, sous la conduite du duc d’Albe et l’escorte d’arquebusiers espagnols[425]. A Naumbourg les électeurs de Brandebourg et de Saxe prirent congé de l’empereur, non sans l’avoir de nouveau Sollicité de déterminer et abréger la durée de la detention du landgrave : tout ce qu’ils obtinrent de lui fut la promesse de faire à la requête qu’ils lui présentairent en faveur de ce prince, après qu’ils aurait rempli ses engagements, telle réponse qu’ils pourraient avoir raisonnable satisfaction[426]. Ils avaient cherché à gagner l’évêque d’Arras : mais ce ministre ne se laissa pas séduire par leurs offres[427]. Ils firent alors, sans plus de succès, agir le roi Ferdinand, auprès duquel ils étaient en grand crédit[428]. Charles rétablit dans sa dignité épiscopale, à Naumbourg, Jules Pflug, que le duc Jean-Frédéric en avait dépossédé[429]. Arrivé à Bamberg le 3 juillet, il y trouva le cardinal Sfondrato, que le pape lui envoyait, avec le caractère de légat. Il avait plus d’un grief contre Paul III. Ce pontife s’était empressé de rendre public le traité du 26 juin 1546, donnant par là à connaître que son alliance avec l’empereur avait pour but de ramener par la force les protestants de l’Allemagne à la foi catholique, tandis que l’empereur déclarait partout qu’il prenait les armes, non pour attaquer les protestants, mais pour réduire à l’obéissance des vassaux rebelles; il avait publié une bulle accordant des indulgences à quiconque s’associerait à la croisade contre les hérétiques, et institué un jubilé à Rome pour que les fidèles secondassent de leurs prières la sainte entreprise des champions de l’Église; il n’avait pas rempli plusieurs des engagements qu’il avait contractés envers l’empereur; il avait si mal payé les troupes envoyées par lui à l’armée impériale qu’une partie en avait déserté; il avait rappelé ces troupes dans un temps où la guèrre était loin d’être finie; enfin, sans consulter l’empereur et contre le gré de celui-ci, il avait transféré le concile de Trente à Bologne. Aussi l’accueil que Charles fit au légat fut-il froid et sévère. Aux compliments de félicitation de Sfondrato lui adressa sur ses victoires, il répondit que les succès qu’il avait obtenus, il les devait à Dieu et non aux hommes, car Dieu seul ne l’avait pas abandonné, au contraire de ce qu’avait fait le pape, lequel après l’avoir entraîné dans une entreprise pleine de périls, l’avait délaissé, espérant peut-être qu’il ne s’en tirerait pas. Sfondrato essaya de justifier le rappel que le pape avait ordonné de ses troupes, et la suppression des subsides qu’il avait promis, en disant que l’empereur, dans les conditions imposées aux princes et aux villes de l’Allemagne, n’avait point compris celle du rétablissement de l’ancienne religion, mais les avait obligées seulement de reconnaître son autorité; que jamais il n’avait fait part ni au cardinal Farnèse ni au nonce apostolique des choses qui se passaient, ni des opérations militaires projetées; que, d’après tout cela, le saint-père s’était convaincu que l’empereur ne faisait point la guerre pour restaurer en Allemagne la religion catholique, qu’il la faisait en vue de la soumission de ses sujets déobéissants et rebelles, c’est-à-dire de son avantage tout personnel, et que l’argent qu’on aurait continué à lui envoyer dans ce but aurait été employé sans utilité pour l’Église. L’empereur repartit que les prétextes ne manquaient jamais à qui voulait abandonner un ami; que dès le commencement, on était tombé d’accord de ne point parler de la religion tant que les protestants pourraient opposer de la résistance; que si l’on avait manifesté l’intention de faire la guerre dans l’intérêt du catholicisme, pour un ennemi il y en aurait eu cent qu’il eût fallu combattre et qui auraient poussé les choses jusqu’aux dernières extrémités; qu’il avait promis de perdre la vie et ses États ou de restaurer la religion en Allemagne; que le pape devait avoir foi dans sa parole, comme il s’était fié à celle de Sa Sainteté en entrant dans ce labyrinthe. Il s’excusa de n’avoir rien communiqué des opérations militaires au légat ni au nonce, en alléguant la nécessité de les tenir secrètes pour tout le monde, excepté pour ceux qui devaient les mettre en exécution. Il repoussa le reproche de n’avoir fait la guerre que pour châtier les princes et les villes rebelles à son autorité : s’il n’avait pas voulu avoir égard à ce qu’exigeait la cause de la religion, il n’aurait pas eu contre lui la moitié de ceux qui s’étaient trouvés dans les rangs de ses ennemis. Il se plaignit de la mauvaise foi du saint-père, qui, après avoir payé mesquinement ses troupes dans le but vraisemblable de les pousser à la désertion, avait fini par les rappeler, le laissant ainsi dans une position embarrassante; du reste, ajouta-t-il, il était très-content d’avoir pénétré les inclinations du pape, car, dans l’avenir, il se tiendrait sur ses gardes. La discussion se prolongea quelque temps encore sur ce ton. Le légat, voulant colorer la translation du concile de Trente à Bologne, l’attribua au mauvais air et à la peste qui avaient forcé les cardinaux et les prélats à fuir : « Si c’est la peste qui a occasionné la translation du concile, — répliqua l’empereur — pourquoi, maintenant que ce fléau a cessé, le pape ne le remet-il pas à Trente? Les prélats d’Espagne, de Naples, des Pays-Bas et d’autres pays n’ont pas eu peur de la contagion: ceux des États romains seuls craindraient-ils d’en être atteints? » Alors Sfondrato lui demanda ce qu’il ferait pour l’amour du pape et le maintien de son autorité, si Sa Sainteté, par égard pour lui, rétablissait le concile à Trente : « Je ferai — répondit l’empereur — ce qui sera juste et d’accord avec ma conscience. » Au mois de janvier précédent, un envoyé spécial de Paul III[430] était venu trouver l’empereur à Ulm, pour l’engager à conclure avec la France une paix plus assurée et plus étroite; le pape s’offrait à en être le médiateur : Charles lui avait répondu que son plus grand désir était de vivre en paix avec le roi de France, et qu’il était prêt à s’unir plus étroitement à ce monarque, si on lui proposait pour cela des moyens qu’il pût accepter[431]. Le cardinal Sfondrato revint sur ce sujet; l’empereur lui fit une réponse conçue à peu près dans les mêmes termes. Le légat le sollicita enfin d’user de son influence en Angleterre pour que ce royaume retournât au giron de l’Église, et au besoin de l’y contraindre par la force ; l’argent qu’il lui faudrait pour une telle entreprise, le souverain pontife était tout disposé à le fournir. Charles lui dit qu’il avait déjà agi auprès des régents d’Angleterre, afin de les engager à y rétablir le catholicisme ; qu’il renouvellerait ses efforts dans ce but, mais qu’il n’aurait jamais recours à la violence, car non-seulement le nouveau roi[432] et le royaume étaient sous sa protection, mais encore il avait avec eux une ligue perpétuelle et héréditaire ; il ajouta qu’il prendrait plutôt les armes pour le dernier des Romagnols qu’en faveur du pape, qui l’avait abandonné dans la récente guerre d’Allemagne[433]. Quelques mots furent échangés encore entre les deux interlocuteurs : après quoi le légat se retira[434]. Paul III attachait une grande importance à l’ambassade du cardinal Sfondrato[435] ; il apprit avec un vif déplaisir le peu d’effet qu’elle avait eu. L’assassinat de son fils Pierre-Louis Farnèse, dans lequel il fut avéré qu’avait trempé le gouverneur de l’État de Milan, et l’occupation de Plaisance par don Ferrante Gonzaga, mirent le comble à son animosité contre l’empereur.

Charles, poursuivant son chemin, arriva le 6 août à Nuremberg, où il s’arrêta douze jours. Il y reçut des députés de Hambourg, de Brême, de Lubeck, ainsi que des ducs de Poméranie et de Lunebourg, qui lui présentèrent la soumission de ceux par lesquels ils étaient envoyés[436]. Nous avons dit que, lorsqu’il projetait de se rendre à Francfort, il avait convoqué dans cette ville les états de l’Empire. Les affaires de Saxe l’ayant appelé de ce côté, il avait contremandé l’assemblée de Francfort, et indiqué à Ulm, au 25 mars, le réunion de la diète, près laquelle il avait député, en qualité de ses commissaires, le cardinal d’Augsbourg, le marquis Jean de Brandebourg et le sieur de Lyere, son lieutenant-gouverneur du duché de Luxembourg[437]. Cette Réunion était restée sans fruit, une maladie contagieuse s’étant déclarée à Ulm, qui avait déterminé les membres des états à en partir avant qu’ils eussent résolu sur les points soumis à leurs délibérations. Charles convoqua une nouvelle diète à Augsbourg pour le 1er septembre, en annonçant qu’il y présiderait lui-même. Le roi Ferdinand et le duc de Bavière auraient désiré qu’elle se tint à Ratisbonne : l’empereur donna la préférence à Augsbourg, d’où il pouvait mieux diriger les affaires d’Italie, observer les mouvements des Français et des Suisses, et au besoin recevoir des secours des Pays-Bas[438]. Il fit son entrée dans cette ville le 23 juillet. Le duc Jean-Frédéric l’y avait précédé ; le landgrave resta à Donauwerth.

Charles était de quelques jours à peine à Augsbourg qu’il fut pris de la jaunisse ; pendant la plus grande partie du mois d’août, cette maladie le tint éloigné des affaires[439]. À la date fixée, le 1er septembre, il ouvrit la diète. Elle était plus nombreuse qu’on ne l’avait vue depuis bien des années : la plupart des princes et des députés de presque toutes les villes de la Germanie assistaient à la séance d’ouverture ainsi que les électeurs de Mayence et de Saxe; ceux de Trèves, de Cologne et le comte palatin n’étaient pas arrivés encore, mais on les attendait dans la même semaine : retenus chez eux par des affaires importantes, l’électeur de Brandebourg et le roi des Romains n’arrivèrent que plus tard[440]. Charles avait fait l’archiduc Maximilien son lieutenant et président du conseil pour les requêtes qui seraient présentées aux états; ce prince adressa à l’assemblée quelques paroles, à la suite desquelles le vice-chancelier Seldt donna lecture de la proposition. L’empereur, après y avoir rappelé l’affection que, dès le commencement de son règne, il avait portée et qu’il portait à la nation germanique, les efforts qu’il n’avait cessé de faire pour que la paix, la justice, la concorde régnassent dans l’Empire, le peu de fruit qu’avaient produit les diètes de Worms et de Ratisbonne par les pratiques artificieuses de gens malintentionnés, disait qu’il avait réuni les états, pour les consulter sur le fait de la religion et sur tous autres objets concernant le bien de la Germanie, et que son intention était de conclure et maintenir, avec leur conseil et assistance, ce qui serait trouvé le plus profitable à la nation. Les différends religieux étant la racine et la cause principale des maux qu’elle avait soufferts, il regardait come nécessaire, avant tout, de rechercher les moyens d’y mettre un terme. La réorganisation de la chambre impériale était un second point également urgent; il demandait que la diète lui délégnât le pouvoir de la rétablir et que, vu le grand nombre de procès intentés et pendants à la chambre depuis sa suspension, dix personnes possédant les qualités requises fussent préposées pour les décider conjointement avec ceux des assesseurs qui étaient encore vivants. Touchant les biens ecclésiastiques pris et aliénés, il voulait connaître l’opinion de l’assemblée sur le parti qu’il convenait d’adopter. La proposition parlait encore des monnaies, du secours à donner contre les Turcs, point qui serait toutefois remis jusqu’à ce que le roi de Romains fût présent, de l’ordre à tenir dans les séances des états. En terminant, l’empereur exhortait les représentants de l’Allemagne à exprimer franchement leur avis, et à faire en congrégation générale, sans tenir de conventicules ou de congrégations séparées, comme quelques-uns, contre l’ancienne coutume, l’avaient fait aux dernières diètes. L’archevêque de Mayence répondit au nom de l’assemblée. La séance fut levée après une courte réplique de l’archiduc Maximilien[441].

Les états ne perdrirent pas de temps pour s’occuper des importants objets sur lesquels ils étaient appelés à délibérer; dès les premiers jours d’octobre[442], ils présentèrent à l’empereur leur réponse sur la question religieuse. Elle ne le satisfait pas entièrement : aussi, pour mieux faire entrer l’assemblée dans ses vues, il parla en particulier aux électeurs, aux princes et aux autres membres principaux de la diète[443]. Ces moyens d’influence produisent l’effet qu’il s’en était promis : le collége électoral et le collége des princes déclarèrent qu’ils étaient prêts à soumettre les différends en matière de religion à la décision du concile, dès qu’il aurait repris ses séances à Trente, et qu’en attendant ils se reposeraient sur l’empereur du soin d’assurer la paix publique de l’Allemagne[444]. Les villes, après quelques difficultés, se conformèrent à cette détermination. Charles fit partir pour Rome, le 5 novembre, le cardinal de Trente, Christophe de Madrutz, afin d’informer le pape de « ceste très-bonne et sainte œuvre[445], » et de le supplier de prendre sans délai des mesures conformes au vœu des états de la Germanie; il donna l’ordre à son ambassadeur près le saint-siége, D. Diego Hurtado de Mendoza, d’appuyer énergiquement les démarches du cardinal.

En attendant qu’elle en apprit le résultat, la diète entama l’examen des autres affaires qu’elle avait à discuter. Le 22 novembre arriva à Augsbourg Marie d’Autriche, reine douairière de Hongrie, régente des Pays-Bas. Cette princesse, depuis son veuvage, avait des affaires d’intérêt à régler avec son frère Ferdinand sur lesquelles ils n’avaient pu parvenir à s’entendre; elle voulut profiter de la présence simultanée du roi et de l’empereur à Augsbourg pour qu’elles fussent arrangées d’une manière définitive; elle y réussit après un séjour de plusieurs mois dans cette ville[446], où elle reçut de ses deux frères et de tous les princes, de l’Allemagne l’accueil que méritaient sa naissance, les éminentes qualités qui étaient réunies en elle, et la part considérable qu’elle prenait, depuis plus d’un quart de siècle, aux affaires générales de l’Europe. Dans le même temps des ambassadeurs de la iandgravine de Hesse[447] se présentèrent à la Diète, pour réclamer la mise en liberté de son époux, qui s’était empressé de satisfaire aux stipulations du traité conclu entre lui et l’empereur. Charles non-seulement repoussa leur réclamation, se fondant sur le droit qu’il avait de retenir captif le landgrave pendant un temps indéterminé, mais encore, comme il avait découvert que, du fond de sa prison, Philippe tramait des complots contre lui, il ordonna que ses conseillers et ses domestiques, à l’exception d’un valet de chambre, d’un page et d’un cuisinier, lui fussent ôtés et qu’on ne lui permit d’écrire à personne[448]. Les nouveaux archevêques de Cologne et de Trèves, Adolphe de Schauenbourg et Jean d’Isembourg, n’avaient pas encore fait foi et hommage au chef de l’Empire; ils s’acquittèrent de ce devoir le 4 décembre, en présence du roi des Romains, des autres électeurs et des princes de l’Allemagne. Après eux, les fils du duc de Mecklenbourg Albert-le-Bel, décédé récemment[449], accomplirent la même formalité[450]. Le 29 l’empereur reçut, sur son trône, les députes de la ville de Brunswick, qui à genoux lui demandèrent pardon et implorèrent sa miséricorde[451]. De toutes les villes de la Germanie, Magdebourg et Constance étaient les seules qui n’eussent pas fait acte de soumission à l’autorité impériale.

Pendant l’hiver de 1547 à 1548, Charles fut attaqué de la goutte d’une manière assez sérieuse pour en éprouver des inquiétudes[452] : considérant que cette maladie pourrait le conduire au tombeau lorsqu’il s’y attendrait le moins, il dicta des instructions pour le prince Philippe sur la conduite qu’il aurait à tenir dans le gouvernement de ses États, dans ses négociations avec les puissances étrangères et dans ses rapports avec les membres de sa famille. La prévoyance, la sagacité, la sagesse de Charles-Quint, sont empreintes dans ces instructions[453], comme dans celles qu’il avait laissées à son fils à son départ d’Espagne en 1543. Philippe tenait les cortès d’Aragon à Monzon : informé de l’état de l’empereur, il envoya Ruy Gomez de Silva, pour le visiter et lui rapporter de ses nouvelles[454]. Ce fut en ce temps que Charles, d’accord avec le roi des Romains et la reine douairière de Hongrie, résolut de donner en mariage sa fille aînée, l’infante doña Maria, à l’archiduc Maximilien : ce prince devait aller épouser l’infante en Espagne, où il resterait comme gouverneur, et Philippe venir trouver l’empereur, qui voulait le faire connaître de ses sujets des Pays-Bas. Maximilien se mit en route le 11 juin[455].

Paul III avait en vain, par le cardinal Sfondrato, qui avait suivi la cour impériale à Augsbourg, et par un nonce particulièrement envoyé a cette fin, l’évêque Milianelo, sollicité la restitution de Plaisance[456]. Irrité des refus de l’empereur, il ne songeait plus qu’à traverser ses desseins : il répondit d’une manière évasive aux sollicitations du cardinal de Madrutz, alléguant qu’il ne pouvait rétablir le concile à Trente sans avoir entendu préalablement les pères assemblés à Bologne. Le cardinal revint à Augsbourg, avec cette réponse, le 5 janvier[457]. Le 14 Charles assembla la diète : Madrutz rendit compte de sa négociation à Rome; l’archiduc Maximilien, au nom de l’empereur, exposa que, l’époque où le concile pourrait reprendre ses délibérations à Trente étant incertaine, il convenait d’adopter des mesures qui assurassent la paix religieuse à l’Allemagne; il demanda que la diète désignât quelques théologiens choisis parmi les plus gens de bien, les plus savants et les plus modérés, pour former un projet qui fût de nature à concilier les protestants et les catholiques. Par cette proposition, Charles faisait déjà sentir au pape le juste mécontentement qu’il avait de ses procédés; mais il ne s’en tint pas là : il envoya à Bologne le docteur Velasco et le fiscal Vargas pour protester contre la continuation du concile en cette ville, et il fit renouveler cette protestation par son ambassadeur à Rome, Mendoza, en plein consistoire.

Une cérémonie imposante et qui mit en émoi la cour et la ville eut lieu à Augsbourg le 24 février : ce jour-là, sur une des principales places publiques, l’empereur, entouré du roi des Romains, des électeurs et des princes de l’Empire, donna an duc Maurice l’investiture de l’électorat de Saxe, appelant à lui succéder, à défaut de postérité mâle, le duc Auguste son frère et les descendants de celui-ci. Cette substitution éventuelle avait été vivement sollicitée par Maurice[458]; pour se rendre l’empereur plus favorable, il avait pris l’engagement solennel, par écrit et par serment, d’accepter sans aucune contradiction les décrets du concile de Trente[459]. Le même jour le général de Vogelsbergen, qui, l’année précédente, au mépris des mandements impériaux, avait levé des troupes en Saxe pour le service du roi de France, fut décapité et deux de ses capitaines pendus[460].

Cependant les états, ne pouvant convenir entre eux des personnes auxquelles serait confiée la délicate et difficile mission de rédiger un formulaire sur la question religieuse, s’étaient remis à l’empereur du soin de les choisir, et Charles avait jeté les yeux sur l’évêque de Naumbourg Pflug, sur Michel Helding, grand vicaire de Mayence, et sur Jean Agricola d’Islèbe; le dernier avait été l’un des plus ardents défenseurs de la confession d’Augsbourg. Lorsque ces théologiens se furent acquittés de leur tâche, et que leur travail eut été revu et amendé par les conseillers de l’empereur, il le fit communiquer aux électeurs ainsin qu’à d’autres membres influents de la diète. Les trois électeurs luthériens l’acceptèrent sans contradiction[461]. Fort de leur assentiment, Charles réunit les états le 15 mai. Après que le vice-chancelier Seldt eut fait lecture du projet de formulaire, les électeurs et les princes se retirèrent de l’assemblée, afin d’en communiquer ensemble[462]. A leur rentrée, l’archevêque de Mayence, au nom des états, déclara qu’ils agréaient le système de doctrine qui venait de leur être proposé; seulement ils demandaient qu’une copie leur en fût délivrée. L’empereur répondit qu’ils en recevraient copie en latin et en allemand[463].

Ce système de doctrine ou formulaire, auquel on donna le nom d’intérim, parce qu’il ne devait être en vigueur que jusqu’à la décision du concile général, contenait vingt-six articles; il fut rendu public[464] précédé d’une déclaration de l’empereur qui en établissait l’opportunité et requérait tous les membres de l’Empire, non-seulement de l’observer, mais de ne pas permettre, pour le bien de la paix, qu’on écrivît ou qu’on préchât contre les articles qui y étaient contenus[465]. Dans le fond, dit un historien, « ce système était conforme, presque dans tous les points, à la doctrine de l’Église romaine, mais exprimé, pour la plus grande partie, en un style plus doux, en phrases tirées de l’Écriture, ou en termes d’une ambiguïté concertée. On y confirmait tous les dogmes particuliers aux papistes, et l’on y enjoignait l’observation de tous les rites que les protestants condamnaient comme des inventions humaines introduites dans le culte de Dieu. Il y avait deux points seulement sur lesquels on se relâchait de la rigueur des principes et l’on admettait quelque adoucissement dans la pratique : il était permis à ceux des ecclésiastiques qui s’étaient mariés et qui ne voudraient pas se séparer de leurs femmes, d’exercer toutes les fonctions du ministère sacré, et les provinces qui avaient été accoutumées à recevoir le pain et le vin dans le sacrement de l’Eucharistie pouvaient conserver le privilége de communier ainsi sous les deux espèces; mais on déclarait que ces articles étaient des concessions faites uniquement pour un temps, en vue de la paix, et par égard pour la faiblesse et les préjugés des peuples[466]. » En proposant l’intérim, Charles avait promis aux états de pourvoir à la réforme de la discipline ecclésiastique : un règlement rédigé dans ce but par Pflug, Helding et Agricola fut communiqué à la diète et accepté par elle[467].

Il semblait que ces arrangements dussent procurer à l’Allemagne la paix intérieure dont elle avait tant besoin. Les électeurs, les princes ecclésiastiques et séculiers en témoignaient hautement leur satisfaction; tous avaient souscrit l’interim[468]. La conduite du comte palatin et du marquis de Brandebourg aurait pu faire croire même que, ces deux électeurs n’étaient pas éloignés de rentrer dans le giron de l’Église romaine : ils assistaient à toutes les cérémonies religieuses où figurait l’empereur; le jour des Rois, à la grand’messe dite dans sa chapelle, Charles, suivant sa coutume, avait offert trois coupes garnies d’or, de mirrhe et d’encens : c’était le comte Frédéric et le marquis Joachim qui avaient porté les deux premières jusqu’à l’autel[469]; les mêmes princes, an fêtes de Pâques, s’étaient confessés et avaient communié en public avec une contrition qui avait excité une admiration générale[470]; et cette admiration redoubla lorsque, à la procession du Corpus Christi, on les vit marcher aux côtés du cardinal d’Augsbourg portant le saint sacrement[471]. A la vérité, les villes libres, et en particulier Nuremberg, Ulm, Strasbourg, Augsbourg, dont les gouverneurs étaient des protestants zélés, ne se montraient pas animées d’un esprit aussi conciliant on aussi docile[472]; mais l’empereur espérait bien les réduire de gré ou de force.

En ce temps[473] arriva à Augsbourg, Muley Hassem, que Charles-Quint avait rétabli sur le trône de Tunis et que son fils Amida venait d’en déposséder, après, avoir en la barbarie de faire crever les yeux à l’auteur de ses jours. L’état de cet infortuné prince excita la compassion de Charles-Quint et de toute la cour; mais Charles ne put que le consoler dans son malheur : il avait bien d’autres choses à faire que de s’occuper du régime intérieur de la Tunisie.

L’organisation de la chambre impériale ne donna pas lieu à de grands débits dans le sein de la diète. Les états prirent à leur charge l’entretien de ce tribunal; ils abandonnèrent à l’empereur le pouvoir de nommer les juges qui en feraient partie, et l’autorisèrent à leur adjoindre, comme il l’avait proposé, dix assesseurs extraordinaires et temporaires, mais sous la restriction que la chose ne tirerait pas à conséquence pour l’avenir, que ceux qu’il nommerait auraient les qualités requises par les statuts de la chambre, et que le droit des princes qui étaient en possession de faire cette nomination demeurerait en son entier. Sur la question des biens ecclésiastiques, ils s’en rapportèrent à ce que l’empereur déciderait par lui ou par ses commis. Charles, aussitôt après l’acceptation de l’interim, avait représenté à la diète la nécessité d’avoir en réserve une bonne somme de deniers afin que, si quelqu’un dans l’Empire, à l’exemple du ci-devant électeur de Saxe et du landgrave de Hesse, voulait troubler la tranquillité publique, on eût de l’argent tout prêt pour lever des troupes; il lui avait demande aussi, en lui annonçant qu’il avait récemment conclu une trève de cinq années avec le Turc, un subside destiné à l’entretien des fortifications des places frontières de Hongrie pendant la durée de cette trève : les états accordèrent, pour former une caisse de réserve (Vorrath), une somme proportionnée à ce que coûterait la solde de 20,000 hommes de pied et 4,000 chevaux; ils votèrent un subside annuel de cent mille florins, pendant cinq ans, que le roi des Romains appliquerait à la réparation et l’entretien des forteresses de Hongrie. Charles avait engagé à son frère les préfectures provinciales de Souabe pour une somme considérable; il devait de plus à Ferdinand deux cent mille florins environ que celui-ci avait avancés pour la solde des troupes impériales en Hongrie : il obtint de la diète que, suivant une convention faite avec son frère, cette dernière somme fût ajoutée à celle qu’il y aurait à rembourser au roi, en cas de dégagement des préfectures susmentionnées[474].

On voit qu’il eût été impossible de montrer plus de bon vouloir, plus de condescendance envers l’empereur, que ne le faisaient les représentants de l’Allemagne[475]. Il y eut cependant une affaire dans laquelle Charles ne parvint qu’avec beaucoup de peine, et après de longs pourparlers, à leur faire adopter ses vues[476]. Cette affaire intéressait les Pays-Bas et était pour ces provinces d’une importance majeure.

Depuis de longues années une contestation existait entre le gouvernement de Bruxelles et les états de la Germanie. Ceux-ci, se fondant sur ce que Maximilien Ier, en 1512, avait érigé les Pays-Bas en cercle de l’Empire sous le nom de cercle de Bourgogne, prétendaient les astreindre à payer les contributions que l’Empire votait et les soumettre à la juridiction de la chambre impériale. Les Pays-Bas s’y refusaient; ils ne reconnaissaient point leur incorporation à l’Allemagne, car jamais il ne l’avaient consentie, et ils n’avaient même pas été appelés à y donner leur assentiment, sans lequel elle ne pouvait avoir d’effet. Maximilien avait été d’autant moins en droit de disposer ainsi d’eux qu’il n’était pas leur souverain, qu’il n’était que le tuteur de son petit-fils l’archiduc Charles, et qu’il exerçait seulement la régence du pays pendant la minorité de ce prince.

A Worms, en 1521, la diète, profitant du besoin que Charles-Quint avait, à son avènement, de se concilier la bienveillance du corps germanique, réclama et obtint de lui la promesse que les Pays-Bas acquitteraient leur quote-part dans les contributions de l’Empire : promesse faite toutefois « sous protestation de non-préjudice des libertés et exemptions que lesdits pays pouvaient avoir de non être contribuables[477] ». Quelque temps après, l’archiduchesse Marguerite reçut la demande du contingent des provinces placées sous son gouvernement dans les dépenses de la guerre contre les Turcs et de l’entretien du conseil impérial : elle fit savoir à son neveu que non-seulement ces provinces ne voudraient, pour chose quelconque, contribuer aux charges de l’Empire, mais qu’elles ne souffriraient pas que, même sans leur assistance, elle y contribuât en son nom[478]. Il s’ensuivit, entre l’archiduchesse et les états de la Germanie, des discussions qui ne manquèrent pas d’aigreur.

Ces discussions se renouvelèrent sous la régence de la reine Marie. A la diète de Spire de 1542, que présida le roi Ferdinand, une levée de troupes et des subsides ayant été votés pour faire la guerre au Turc, les commissaires de la diète écrivirent à la reine afin que les Pays-Bas y contribuassent à deux titres : l’un du chef des pays d’Utrecht et d’Overyssel, qui en 1527 avaient été annexés à ces provinces et qui dépendaient notoirement du cercle de Westphalie; l’autre, comme formant le cercle de Bourgogne[479]. La reine était disposée à fournir le contingent des pays d’Utrecht et d’Overyssel; elle assembla les états de ces pays; sur le refus qu’ils firent, soutenant que jamais ils n’avaient contribué à de pareilles charges, elle nomma des capitaines et fit lever des gens qu’elle se préparait à envoyer en Allemagne. Sur ces entrefaites elle apprit, par des lettres interceptées, que le maréchal de Gueldre, Martin van Rossem, faisait des préparatifs pour surprendre la ville de Gand, et que le roi de France en faisait, de son côté, dans le dessein d’envahir le Luxembourg : elle crut devoir garder, pour la défence des provinces commises à ses soins, les gens qu’elle avait fait enrôler, et elle envoya à la diète, qui devait se réunir à Nuremberg le 13 juillet de la même année 1542, le seigneur de Bersele, Henri de Witthem, avec le conseiller au conseil privé Viglius de Zwichem, qu’elle chargea d’expliciter et de justifier sa conduite[480]. Cette diète ayant été prorogée au 4 novembre, elle y renvoya Viglius, qui cette fois eut pour collègue le seigneur de Crehenges[481]. Les députés de la reine avaient surtout pour instructions d’insister sur l’illégalité de la prétendue érection du cercle de Bourgogne et sur ce qu’avait de contraire à la raison et à la justice la prétention des états de la Germanie d’astreindre les Pays-Bas à participer aux charges de l’Empire, tandis que jamais l’Empire n’avait assisté ces provinces dans les guerres qu’elles avaient eu à soutenir contre la France. Marie n’était pas éloignée, du reste, d’entendre à un arrangement équitable et elle le souhaitait même : que l’Allemagne voulût s’obliger à secourir les Pays- Bas chaque fois qu’ils seraient attaqués; que les souverains de ces provinces fussent convoqués aux diètes de l’Empire et qu’ils y eussent le rang et séance auxquels ils avaient droit; qu’il y eût, en un mot, confédération et ligue défensive entre les Pays-Bas et l’Allemagne, alors elle serait contente que, dans toutes les charges générales de l’Empire, ces pays contribuassent autant qu’un prince électeur; elle ferait même quelque chose de plus, s’il le fallait, pour parvenir à un accord[482].

La diète de Nuremberg n’accueillit pas ce projet de confédération : toutefois, grâce à l’intervention du roi Ferdinand et de M. de Granvelle, les procédures entamées devant la chambre impériale contre les Pays-Bas, en exécution du recez de Spire, furent suspendues. Les choses. demeurèrent en cet état jusqu’à la convocation de la diète à Augsbourg[483]. La reine Marie, persuadée qu’après les événements qui venaient d’avoir lieu en Allemagne, les états de l’Empire « seraient à l’entière dévotion de son frère[484] », jugea l’occasion favorable pour remettre sur le tapis le projet qu’elle avait conçu en 1542. Charles-Quint avait appelé Viglius à Augsbourg, désirant s’en aider dans les affaires qu’il avait à traiter avec la diète : elle chargea ce ministre de demander avec instance à l’empereur qu’il voulût profiter des circonstances pour mettre fin à des différends qui étaient de nature à altérer les bonnes relations des Pays-Bas avec la Germanie; elle lui recommanda d’agir dans le même sens auprès de M. de Granvelle et de l’évêque d’Arras, qui pouvaient beaucoup pour la réussite de l’affaire[485]. Pendant le séjour qu’elle fit à Augsbourg, elle s’employa elle-même à faire goûter son projet des électeurs, des princes et des membres de la diète avec lesquels elle fut en rapport.

Quoique Charles-Quint prît la chose fort à cœur, que les deux Perrenot, père et fils, dont l’habileté et l’influence étaient grandes, plaidassent avec chaleur la cause des Pays-Bas[486], que Viglius mît à la faire triompher tout son zèle et toute son industrie, la négociation, ainsi que nous l’avons dit, fut longue et laborieuse. Ce fut seulement le 26 juin 1548 que les deux parties tombèrent d’accord, et que fut signée la célèbre transaction par laquelle l’empereur et l’Empire prenaient sous leur tutelle et protection toutes les provinces des Pays-Bas, sans exception aucune, avec leurs appartenances et dépendances, s’obligeaient à les défendre contre quiconque les voudrait envahir ou molester; leur assuraient le bénéfice de la paix commune, des priviléges et des prérogatives de la nation germanique, en leur conservant leurs anciennes libertés et franchises, et notamment l’exemption de toute sorte de juridictions de l’Empire et de ses tribunaux; attribuaient enfin au souverain des Pays-Bas le droit d’envoyer des députés aux diètes de l’Empire et d’être représentés dans la chambre impériale. De leur côté, les Pays-Bas s’engageaient à fournir, dans les contributions de l’Empire, soit en troupes, soit en argent, autant que deux électeurs, et autant que trois électeurs lorsqu’il s’agirait d’une guerre contre les Turcs, et leur souverain devait relever de l’Empire le duché de Gueldre, le comté de Zutphen et les seigneuries d’Utrecht et d’Overyssel. Le même jour se fit un second traité, qui comprenait la Franche-Comté dans le nouveau cercle de Bourgogne comme ancien fief impérial.

La convention du 28 juin fut le dernier acte de la diète, dont la clôture eut lieu deux jours après. Le recez fut publié le 30 à la maison de la ville. Les jours suivants, le roi des Romains, les électeurs, les princes de l’Empire, quittèrent Augsbourg. Charles alla visiter à Munich la famille ducale de Bavière et chasser dans les environs : il revint à Augsbourg le 23 juillet[487]. Le 2 août les magistrats de cette ville restituèrent à leur évêque, le cardinal Othon Truchsès de Waldburg, les églises et les couvents que les protestants avaient occupés. Le lendemain, les bourgmestres et tous les membres du conseil général de la cité, au nombre de trois cents personnes, furent mandés au palais. L’empereur, étant sur son trône, leur fit déclarer l’ordre qu’il avait résolu d’établir dans le gouvernement de leur ville; il réduisit le nombre des officiers qui le composaient, destitua ceux qui étaient en exercice, et les remplaça par des catholiques, prescrivant à ceux-ci de faire observer ponctuellemment l’intérim[488]. Le 4 août il prononça sa sentence dans le procès qui, depuis plusieurs années, était pendant entre le landgrave de Hesse et le comte Guillaume de Nassau au sujet du comté de Cazenellenbogen[489]; cette sentence était favorable au comte, qui en profita peu toutefois, car elle fut révoquée, à certains égards, par le traité de Passau.

Charles partit d’Augsbourg le 13 août, y laissant des troupes suffisantes pour contenir, au besoin, les habitants. Le lendemain il entra dans Ulm. Là aussi il changea le magistrat et réforma le gouvernement de la ville. Le jour de l’Assomption il assista à la messe à la grande église, où, depuis plus de quinze années, il n’en avait pas été célébré[490]. Il passa six jours à Ulm. Avant de prendre le chemin des Pays-Bas, il renvoya en Hongrie le régiment espagnol de don Alvaro de Sande, et en Piémont sa cavalerie légère[491]. Il traînait sa suite ses deux prisonniers, Jean-Frédéric de Saxe et Philippe de Hesse; à Maestricht, où il arriva le 12 septembre, il licençia quatre enseignes de lansquenets, qui avaient formé jusque-là une partie de leur escorte[492]. La reine Marie l’attendait à Louvain; elle lui donna une chasse magnifique à Héverlé, terre du duc d’Arschot, située tout près de cette ville; de là ils se rendirent au château de Tervueren[493], tandis que les deux chefs infortunés de la ligue de Smalkalde étaient dirigés sur Bruxelles, où ils arrivèrent le 17 septembre. Jean-Frédéric était dans un chariot découvert; Philippe montait un petit cheval; ils étaient entourés de trois à quatre cents cavaliers et fantassins espagnols[494]. Le duc de Saxe demeura à Bruxelles; le landgrave fut conduit au château d’Audenarde. Le premier conservait, dans son adversité, une résolution, une constance, à laquelle ses ennemis eux-mêmes se voyaient forcés de rendre hommage; c’était en vain que plusieurs tentatives avaient été faites, et ce fut non moins infructueusement qu’on les renouvela, pour le persuader d’accepter l’intérim. Il n’en était pas de même du second, qui, dans des requêtes pleines d’humilité, promettait de se ranger à la volonté de l’empereur touchant la religion, si l’on voulait le rendre à la liberté[495].

Après s’être livré au plaisir de la chasse, pendant plusieurs jours, dans les bois de Tervueren et de Groenendael, Charles fit, le 22 septembre, son entrée à Bruxelles. Des réjouissances publiques, des processions, des illuminations célébrèrent le retour du souverain qui revenait comblé de gloire et plus puissant qu’il n’avait jamais été. Le 26 octobre Charles réunit, dans son palais, les états généraux des Pays-Bas. Il avait à leur demander des subsides et la ratification de la transaction conclue avec les états de l’Empire à Augsbourg : il les remercia, par l’organe de Philippe Nigri, chancelier de la Toison d’or, du concours qu’ils avaient prêté à la reine régente durant son absence ; il leur montra le grand avantage que ses sujets des Pays-Bas trouveraient dans la confédération qui leur garantissait la protection de l’Empire envers et contre tous ceux qui voudraient les attaquer ; il leur dit que, désirant leur manifester encore plus l’amour qu’il leur portait et le cas qu’il faisait de leur fidélité et de leur dévouement, il avait mandé le prince son fils, afin qu’il les visitât, prît connaissance du pays et partageât l’inclination qu’il avait pour eux ; il leur annonça aussi le mariage de la princesse Marie, sa fille, avec l’archiduc Maximilien. Le pensionnaire de Bruxelles remercia l’empereur au nom de l’assemblée. Tous les états donnèrent leur assentiment à la convention d’Augsbourg. Tous accordèrent aussi les subsides qui leur furent demandés.

La santé de Charles était en ce moment assez satisfaisante : « Tout homme, » — écrivait, le 5 octobre, à Henri II Charles de Marillac, son ambassadeur à la cour impériale — « tout homme qui le voit maintenant, ne l’ayant auparavant vu, peut aisément juger qu’il porte visage et contenance de ne la faire longue ; mais ceux qui l’ont vu, l’an passé, en Auguste, s’aperçoivent qu’il se porte encore moins mal qu’il ne faisait en Allemagne, et mêmement à Spire et à Cologne, où il avait un piteux et pauvre visage, lequel maintenant il semble avoir amende de beaucoup depuis qu’il est ici[496]. » À la fin de ce mois la goutte le prit et, pendant plusieurs jours, le fit cruellement souffrir aux bras, aux mains et aux épaules[497]. Le 16 novembre il se mit à la diète, son remède ordinaire ; mais il fut contraint de la laisser, s’en trouvant trop affaibli et plus mal que les autres fois[498]. Les médecins durent recourir à d’autres moyens, lesquels ne restèrent pas sans effet : il put, au commencement de décembre, assister à la messe[499]. Il attendait la visite de la reine douairière de France ; il se réjouit d’être en état de recevoir sa meilleure sœur[500].

Éléonore n’avait pas été heureuse avec François Ier ; depuis la mort de son époux, sa situation était devenue plus triste encore : Henri II avait peu d’égards pour elle ; à l’exemple du souverain, la cour ne lui témoignait qu’une médiocre déférence[501] ; aussi désirait-elle vivement quitter la France et aller vivre aux Pays-Bas avec la reine douairière de Hongrie. Charles-Quint ne condescendit point d’abord au vœu qu’elle lui en fit exprimer par la reine Marie[502]; il craignait que le départ d’Éléonore ne fût mal interprété par le roi ; il voulait ne donner aux Français aucun prétexte de rupture, si léger qu’il fût. Mais, après son arrivée à Bruxelles, il crut devoir prendre en considération les instances de sa sœur, et il fit demander à Henri II son consentement à ce que la reine douairière vînt le trouver dans cette capitale ; Henri le donna sans difficulté[503]. La reine Marie, avec une suite nombreuse, alla jusqu’à Cambrai au devant d’Éléonore, que le roi ne vit point et n’envoya même pas visiter à son départ, quoiqu’il fût tout près de Paris[504]. Charles lui dépêcha le seigneur de la Chaulx, l’un des premiers gentilshommes de sa chambre, pour lui exprimer le plaisir qu’il avait de sa venue, et le regret qu’il éprouvait de ne pouvoir le lui écrire à cause de sa goutte[505]; il chargea le prince de Piémont de se porter à sa rencontre hors de la ville, et il l’attendit dans l’appartement qu’il avait fait préparer pour elle au palais[506]. Ce fut le 5 décembre dans la soirée qu’elle arriva à Bruxelles ; le magistrat et la bourgeoisie la reçurent avec de grands honneurs.

La goutte continuait de tourmenter l’empereur ; elle le força de garder le lit pendant les fêtes de Noël[507]. Se trouvant un peu mieux, il voulut aller à la chasse ; cette imprudence lui valut une rechute[508]. Un médecin napolitain vint à cette époque à Bruxelles, promettant de faire merveille pour la guérison de l’empereur ; il fut résolu de mettre ses talents à l’épreuve[509]. Charles se trouva bien d’abord du régime que lui prescrivit son nouveau docteur ; mais l’efficacité n’en fut pas de longue durée, et la goutte ne tarda pas à le reprendre[510]. Il assista néanmoins, dans sa chapelle, le 22 janvier 1549, au mariage de Nicolas de Lorraine, comte de Vaudemont, avec mademoiselle d’Egmont, sœur du comte Lamoral[511], mariage qui, pendant plusieurs jours, donna lieu, a la cour, à des tournois, des festins et des bals auxquels les deux reines présidèrent[512]. L’ambassadeur Marillac instruisait régulièrement et minutieusement son maître des vicissitudes que subissait la santé de l’empereur ; ses dépêches sont pleines de détails sur ce sujet. Il en est une où il représente l’état de Charles-Quint comme à peu près désespéré : « On peut en juger, dit-il, à voir qu’il a l’œil abattu, la bouche pâle, le visage plus d’homme mort que vif, le cou exténué et grêle, la parole faible, l’haleine courte, le dos fort courbé et les jambes si faibles qu’à grand’peine il peut aller avec un bâton de sa chambre jusques à sa garde-robe. Et combien qu’il fasse encore parfois contenance de rire, et qu’il s’essaye de sortir dehors, disant qu’il ne sent point de mal, ceux qui le peuvent bien savoir m’ont affirmé que cela provient de ce que toutes les parties de son corps sont si affaiblies, et lui en somme si usé, qu’il ne peut avoir le sentiment si vif qu’un autre. » Marillac ajoute qu’avant qu’il ait terminé les affaires de l’Allemagne et du concile, l’heure viendra vraisemblablement pour lui d’aller voir ce qui se fait en l’autre monde, car tous ceux qui se mêlent d’en juger estiment que nature, sans grâce spéciale de Dieu, ne le saurait supporter plus de dix-huit mois[513]. L’ambassadeur était certain de plaire à sa cour par de telles informations.

Aussitôt après la publication de l’intérim, Charles avait fait demander au pape qu’il envoyât des nonces en Allemagne avec les facultés nécessaires pour dispenser les protestants qui avaient communié sous les deux espèces, les prêtres qui s’étaient mariés et les possesseurs des biens dont avaient été dépouillés les églises et les monastères. L’intérim et la réforme du clergé excitaient à Rome une indignation profonde; on s’y récriait contre l’audace impie de l’empereur, qui usurpait les fonctions du sacerdoce, en prétendant, avec le seul concours des laïques, définir des articles de foi et régler des formes de culte; on allait jusqu’à le comparer à Henri VIII[514]; on n’avait pas découvert moins de sept ou huit hérésies dans l’intérim[515]. Le pape et tout son entourage étaient très-mécontents[516]. Le ressentiment de Paul III contre l’empereur pour l’affaire de Plaisance était loin d’ailleurs de s’être apaisé; l’occupation de Sienne par les troupes impériales venait, au contraire, de l’accroître. Ce pontife n’osa pas toutefois se refuser aux demandes de Charles-Quint : mais il fit attendre jusqu’à la fin du mois d’août la désignation des nonces porteurs des facultés réclamées, et ces facultés il les donna, non telles que l’empereur les désirait, mais avec des limitations qui devaient être peu agréables à ce monarque[517], en laissant entrevoir qu’il ne se refuserait pas à les étendre, si on lui faisait des concessions sur les points qui lui tenaient au cœur[518]. Les nonces choisis par Paul III étaient les évêques de Vérone et de Ferentino. Ces prélats, vraisemblablement selon les instructions qu’ils avaient reçues, ne se pressèrent point de se rendre à la cour impériale; ils arrivèrent à Bruxelles seulement le 27 décembre. Charles les admit à son audience le 5 janvier. Dans la réponse qu’il leur fit, après qu’ils lui eurent exposé l’objet de leur mission, il ne leur dissimula pas qu’il était peu satisfait du pape, qui avait été si long à se résoudre dans une affaire de tant d’importance pour le bien de la religion; il leur témoigna aussi son déplaisir de la lenteur qu’ils avaient apportée dans leur voyage[519]. Il chargea néanmoins ses ministres de s’entendre avec eux sur la façon dont ils procéderaient à l’accomplissement de leur mandat. Les deux nonces partirent, à cet effet, pour l’Allemagne au printemps de 1549[520].

Charles, au mois de février, se trouva assez bien pour solenniser l’anniversaire de sa naissance : il alla le 24, suivi de toute sa cour, à l’église de Saint-Dominique, où il entendit la messe, et, selon son usage, offrit cinquante pièces d’or, nombre égal à celui de ses années. De retour à son palais, il dîna en public[521]. Mais cette amélioration ne se soutint pas, et au mois de mars la goutte l’attaqua de nouveau : elle se déclara d’abord à la tête, lui faisant endurer des douleurs atroces; de la tête elle descendit au cou, puis aux genoux; ensuite elle remonta dans les bras et dans les épaules. Pendant tout le mois de mars il fit la diète du bois de china, qui était contre ce mal son remède habituel[522].

Cependant le prince Philippe était parti de Valladolid, le 1er octobre, pour venir aux Pays-Bas; le 2 novembre il s’était embarqué à Barcelone sur la flotte d’Andréa Doria; il avait pris port à Gênes le 25. Traversant ensuite la Lombardie, le Tyrol, l’Allemagne, il était arrivé à Luxembourg le 17 mars 1549, et le 23 à Namur, où l’avaient reçu le prince Emmanuel Philibert de Savoie, le duc Adolphe de Holstein, frère du roi de Danemark, et l’évêque d’Arras, envoyés par l’empereur. A Wavre il avait trouvé la reine Marie, qui s’était portée à sa rencontre avec la duchesse de Lorraine et les principaux personnages de la cour. Il entra à Bruxelles le 1er avril, après avoir assisté à un spectacle magnifique qui lui fut donné dans une plaine à une demi-lieue de la ville : celui d’un simulacre de combat auquel prirent part deux troupes de gentilshommes appuyés chacune par cinquante arquebusiers à cheval et par un corps-d’infanterie. Son entrée dans la capitale des Pays-Bas fut entourée d’un appareil digne de l’héritier présomptif de la première couronne du monde[523] : les magistrats en costume de velours et de satin cramoisi, accompagnés de douze à quize cents bourgeois, tous à cheval, le reçurent et le haranguèrent à l’entrée du faubourg de Louvain. Il avait à ses côtés le cardinal de Trente, qui avait été son conducteur en Allemagne, le marquis Albert de Brandebourg, le duc de Holstein, le prince de Piémont; à sa suite marchait une foule de grands seigneurs d’Espagne, d’Italie et des Pays-Bas. Les reines douairières de France et de Hongrie l’attendaient au palais; elles le conduisirent dans la chambre de l’empereur, qui éprouva, en le voyant, une joie extrême[524].

Le jour qui suivit cette entrée, mourut subitement à Bruxelles[525] Philippe de Croy, premier duc d’Arschot, qui était allé au-devant du prince jusqu’à Bruchsal en Souabe à la tête de douze cents chevaux des ordonnances. C’était une perte notable pour l’empereur, auquel le sire de Croy avait rendu de très-bons services dans les guerres contre la France ainsi que dans le gouvernement intérieur du pays, et notamment lors de la révolte des Gantois. Charles, quelque temps auparavant, avait perdu le meilleur de ses généraux belges, Màximilien d’Egmont, comte de Buren[526], et le principal de ses ministres aux Pays-Bas, Louis de Schore, président des conseils d’État et privé[527]. Il remplaça le duc d’Arschot par le comte Charles de Lalaing dans le gouvernement du Hainaut, donna celui de la Frise et de l’Overyssel, que d’Egmont occupait, au comte d’Arenberg, Jean de Ligne, l’intime ami et le frère d’armes du défunt, et divisa les deux charges qui étaient réunies sur la tête de Louis de Schore, conférant à Viglius la présidence du conseil privé et celle du conseil d’État à Jean de Saint-Mauris, seigneur de Montbarrey, beau-frère de monsieur de Granvelle.. Ce dernier était, depuis plusieurs années, son ambassadeur en France; il n’y était bien, vu ni du roi ni du connétable de Montmorency : son remplacement fut particulièrement agréable à Henri II[528]. Charles lui donna pour successeur Simon Renard, bourguignon comme lui.

En appelant d’Espagne le prince Philippe, l’empereur n’avait pas eu en vue seulement de lui faire connaître une partie considérable des États sur lesquels il aurait à régner un jour; deux autres objets, tous deux d’une grande importance, occupaient ses pensées : il désirait que son fils fût reçu et juré pour futur prince des Pays-Bas; il voulait, afin qu’ils demeurassent toujours réunis sous le même sceptre, y établir une pragmatique déterminant qu’en matière de succession au trône la représentation y aurait lieu uniformément en ligne directe et en ligne collatérale. Il y avait des pays, comme la Flandre, l’Artois, le Hainaut, où les coutumes n’admettaient point cette représentation; il pouvait en résulter que les dix-sept provinces vinssent à tomber en partage à des souverains différents. Pour ce double objet il fallait le consentement des mandataires de la nation. Charles, le 23 mai, le demanda aux états de Brabant, assemblés en sa présence et celle de la reine régente; il fit, le même jour, la même demande aux députés des états de Flandre qu’il avait convoqués à Bruxelles[529]. Les états des autres provinces successivement eurent à en délibérer à leur tour. Tous accédèrent, sans difficulté, aux propositions de l’empereur; les états de Brabant se prêtèrent même, pour lui complaire, à plusieurs modifications à la joyeuse entrée[530]. Charles avait cru devoir consulter, sur sa pragmatique, le grand conseil de Malines et le conseil de Brabant : ces deux cours de justice, les plus élevées des Pays-Bas, y applaudirent comme à une mesure inspirée par une haute prévoyance et dictée par l’intérêt manifeste du pays[531].

Ce fut par le Brabant, la première en rang des dix-sept provinces, que Philippe, au mois de juillet, commença la série de ses inaugurations. Après avoir été reçu à Louvain et à Bruxelles, il se rendit successivement dans la Flandre, la châtellenie de Lille, Douai et Orchies, le Tournaisis, l’Artois, le Hainaut, d’où il revint à Bruxelles pour passer à Malines et à Anvers. Les villes qu’il visita s’efforcèrent à l’envi de solenniser sa réception; mais Anvers les surpassa toutes par la magnificence que déployèrent le magistrat, les marchands étrangers et les bourgeois[532]. La reine Marie lui donna aussi des fêtes splendides dans son palais de Binche, où il s’arrêta pendant huit jours avant d’aller, se faire inaugurer à Mons[533]. Charles-Quint, dont la bonne saison avait rétabli les forces, accompagnait son fils dans cette tournée. Il ne lui avait pas été difficile de s’apercevoir de l’impression fâcheuse qu’avaient produite sur la nation l’air froid et hautain du prince et le dédain qu’il affectait pour tout ce qui n’était pas espagnol : il voulut par sa présence donner de l’élan aux démonstrations populaires.

Ce voyage le fatigua beaucoup; aussi, laissant son fils aller, en compagnie de la reine de Hongrie, accomplir son inauguration dans les provinces du Nord, il reprit le chemin de Bruxelles, pour s’y reposer et y faire la diète du bois de china[534]. Il l’avait à peine commencée que la goutte l’attaqua aux deux mains et lui occasionna une fièvre et des faiblesses telles qu’on fut sur le point d’envoyer un courrier au prince pour le faire revenir[535]. Il en souffrit jusqu’au commencement du mois d’octobre. Le 4 novembre il assembla les états généraux ; Philippe et la reine régente, de retour de leur visite aux provinces septentrionales, étaient à ses côtés. Après avoir rappelé les deux propositions qu’il avait soumises, quelques mois auparavant, à chacun des corps d’états en particulier et que tous avaient sanctionnées, il remercia cordialement les représentants de la nation de l’accueil que lui et son fils avaient reçu dans toutes les provinces où ils étaient allés, et de celui qu’elles avaient fait aux reines douairières de France et de Hongrie. Il annonça que l’œuvre de la pacification de l’Allemagne, si heureusement commencée les années précédentes, l’obligeait à retourner en ce pays ; que la reine Marie, cédant à sa prière, voulait bien ne pas insister pour le moment sur la demande, qu’elle lui faisait depuis plusieurs années, d’être déchargée du gouvernement des Pavs-Bas. Il ne négligea point la recommandation, qu’il avait l’habitude de leur faire, de vivre en bonne concorde pendant son absence ; il y ajouta celle de soutenir la vraie et ancienne religion catholique, en repoussant toutes les nouvelles opinions erronées[536]. Le même jour il promulgua la pragmatique sanction à laquelle les états avaient donné leur assentiment[537]. Le 5 novembre il appela les députés des différentes provinces a part, et les entretint de la nécessité d’équiper un certain nombre de navires de guerre pour la garde et la défense du littoral des Pays-Bas, leur proposant d’en couvrir la dépense au moyen d’un impôt à établir sur l’importation des vins[538].

Une grande nouvelle, celle de la mort du pape[539], lui parvint quelques jours après. Il n’avait pas à regretter le pontife défunt : dans les dernières années de sa vie, Paul III s’était montré l’adversaire déclaré de sa politique en Italie et en Allemagne ; il avait tout fait pour susciter contre lui les Vénitiens et le roi de France. L’élection d’un nouveau pape fut longue ; le conclave était divisé en plusieurs partis. Charles penchait pour le cardinal Polus[540]. Ce fut le cardinal Giovanni Maria del Monte qui l’emporta, grâce surtout aux suffrages des cardinaux français qui, par ordre de Henri II, étaient tous accourus à Rome[541]. Del Monte avait été précepteur du neveu de Paul III ; il avait été fait cardinal par celui-ci ; il avait eu à se plaindre de l’empereur, qui lui avait refusé l’évêché de Pavie ; dans le consistoire et hors du consistoire on l’avait entendu plus d’une fois s’exprimer d’une manière défavorable à ce monarque ; il avait eu la confiance particulière du pape qui venait de mourir ; il avait été son légat au concile de Trente ; il était un de ceux qui avaient le plus contribué à la translation et au maintien de ce concile à Bologne. Tout cela avait persuadé la cour de France que, si le cardinal del Monte était élevé au siège pontifical, il continuerait la politique de son prédécesseur[542].

Aussi la surprise et le mécontentement y furent extrêmes[543], lorsqu’on sut qu’aussitôt après son élection, Jules III (c’était le nom qu’avait pris le nouveau pontife) avait envoyé don Pedro de Tolède à l’empereur, pour l’assurer de ses sentiments d’amitié, lui témoigner le désir que leurs relations fussent fondées sur une confiance mutuelle, et lui faire l’offre de rétablir le concile à Trente, comme la chose à laquelle il savait que Charles attachait le plus de prix. Don Pedro de Tolède arriva à Bruxelles le 1er mars ; la veille, l’empereur avait fait partir pour Rome le grand commandeur d’Alcantara don Luis d’Avila y Zúñiga, avec la mission de présenter ses félicitations au saint-père et de lui baiser les pieds en son nom[544]. Il avait différé jusque-là de convoquer la diète de l’Empire, voulant voir auparavant quelle serait l’issue du conclave, et de quelles intentions le successeur de Paul III se montrerait animé[545] : le 13 mars il fit expédier les lettres de convocation aux électeurs, aux princes et aux états de la Germanie ; Augsbourg y était désigné pour être cette fois encore le siége de la diète, et l’ouverture en était fixée au 25 juin[546].

Charles s’était proposé de partir pour l’Allemagne à la fin d’avril ou au commencement du mois suivant[547] : il fut retenu à Bruxelles jusqu’au dernier jour de mai. Dans cet intervalle il promulgua plusieurs ordonnances qui méritent que nous en disions quelques mots ici. Malgré la rigueur des édits qu’il avait fait publier pour empêcher que les nouvelles doctrines religieuses ne se propageassent aux Pays-Bas, elles continuaient d’y avoir un grand nombre de prosélytes : voulant exterminer le fonds et racine de cette peste, il renouvela ces édits, en les rendant plus rigoureux encore, et, à cette occasion, il sanctionna un catalogue, qu’à sa demande l’université de Louvain avait dressé, des livres réprouvés et de ceux que les maîtres d’école pouvaient mettre dans les mains de leurs élèves[548]. Il décréta aussi une nouvelle instruction pour les inquisiteurs de la foi, sans cependant modifier, en des points essentiels, celle de 1546[549]. Dans le cours de son règne, il avait été fait plusieurs règlements pour mettre des bornes au luxe excessif qui s’était introduit dans les habillements des différentes classes de la population ; ils n’étaient guère observés, et le luxe, au lieu de diminuer, ne faisait que s’accroître : afin de remédier à ce désordre, il défendit l’usage de draps, de toiles et de brocards d’ôr et d’argent, même aux barons, comtes, marquis, princes et ducs ; à ceux-ci, aux chevaliers de la Toison d’or et aux principaux officiers de la cour il permit de porter des robes, manteaux, sayes et cottes de damas et de velours cramoisi, mais il l’interdit à tous autres ; il réserva les robes de velours, de satin ou de damas non cramoisi pour les conseillers du conseil privé, du grand conseil, des cours provinciales de justice, les gens des finances et des chambres des comptes, les receveurs généraux, les baillis, drossards, écoutètes, mayeurs, prévôts ; il ne voulut plus que les gentilshommes donnassent à leurs laquais des livrées de soie, ni que des sayes ou pourpoints de soie fussent portés par des artisans et des paysans[550]. On ne risquerait guère de se tromper en disant que ces dispositions ne furent pas mieux gardées que les précédentes[551]. Une autre ordonnance impériale révoqua la permission que le gouvernement des Pays-Bas avait donnée, en 1537, aux nouveaux chrétiens ou juifs convertis de Portugal de s’établir dans ces provinces, en enjoignant à tous ceux qui, depuis six ans, y étaient venus pour fuir l’inquisition portugaise, de s’en retirer dans le délai d’un mois avec leurs familles, à peine de confiscation de corps et de biens : les motifs de cette mesure furent que, bien qu’ils feignissent d’être chrétiens, la plupart de ceux qui étaient venus de Portugal « étaient juifs et marans (marranes), et les autres retombaient avec le temps en judaïsme, tenant et observant en leurs maisons et demeures le sabbat et autres cérémonies judaïques si sécrètement qu’on ne le savait bonnement vérifier, quelque soupçon qu’on en eût, » et qu’on avait trouvé par expérience « que plusieurs d’entre eux, qu’on estimait bons chrétiens, après avoir longuement résidé aux Pays-Bas et accumulé or, argent, bagues et autres biens, étaient passés à Salonique et en d’autres lieux de la chrétienté, où ils vivaient publiquement comme juifs[552]. »

Le 31 mai Charles, ayant fait ses adieux à ses sœurs, monta à cheval avec le prince Philippe, et prit le chemin de l’Allemagne; les compagnies d’ordonnances des comtes d’Egmont et d’Arenberg formaient son escorte; elles devaient le suivre jusqu’à Augsbourg. Il laissait aux Pays-Bas le landgrave de Hesse, sous la garde d’un capitaine espagnol, mais il emmenait son autre prisonnier, le duc Jean-Frédéric. Vandenesse rapporte que « sur le Marché il se tourna vers le peuple et prit congé d’icelui, ce qui ne fut sans grand regret et lamentation dudit peuple. » A Tongres Charles trouva le prince évêque de Liége, qui y était venu pour lui faire la révérence. A Cologne l’archevêque électeur se porta à sa rencontre. En ce dernier endroit, le 14 juin, il s’embarqua sur le Rhin, qu’il remonta jusqu’à Mayence : l’archevêque l’y attendait et le complimenta, comme celui de Trèves l’avait fait à son passage à Coblence. A Spire il reçut la visite d’un autre électeur, le comte palatin Frédéric[553]. Arrivé à Ulm le 2 juillet, il se détourna de sa route pour faire voir et expliquer à son fils les positions que, dans la campagne de 1547, son armée avait occupées à Gingen, à Nördlingen et à Donauwerth. Il entra, le 10, dans Augsbourg, où le roi Ferdinand l’avait devancé. M. de Granvelle et l’évêque d’Arras s’y trouvaient aussi depuis plusieurs jours[554]. La veille de son entrée avait eu lieu celle du duc Jean-Frédéric : ce prince, à qui sa corpulence ne permettait guère de voyager autrement, était en un chariot, entoure d’une garde d’infanterie et de cavalerie espagnole; il avait l’air si riant qu’on l’eût pris pour un triomphateur plutôt que pour un prisonnier; tous les habitants le saluaient avec respect[555]. Quatre enseignes d’infanterie allemande avaient été réunies à Augsbourg, pour en former la garnison pendant le séjour de l’empereur[556].

Lorsque, deux années auparavant, Charles quittait l’Allemagne, l’intérim avait été accepté par la plupart des villes impériales[557]; seules, Constance, Strasbourg, Brême, Magdebourg refusaient de s’y soumettre. Depuis, Constance avait été réduite par la force ; Strasbourg était entré en composition avec son évêque : mais Brême et Magdebourg persistaient dans leur refus malgré les injonctions et les édits de l’empereur. Il s’agissait d’obtenir des états le moyen de contraindre ces villes rebelles ; il y avait aussi des mesures à prendre à l’égard de quelques-unes de celles qui, ayant adhéré à l’intérim par crainte plus que volontairement, ne l’observaient pas dans tous ses points[558]. C’était là, avec la question du concile, les objets principaux dont Charles avait à entretenir la prochaine diète : mais il y en avait un autre encore qui le ramenait dans la Germanie et auquel il attachait une importance capitale.

En 1548 l’empereur, le roi des Romains et la reine Marie se trouvant réunis à Augsbourg, Ferdinand avait mis en avant la question de la succession éventuelle à l’Empire et parlé pour son fils aîné l’archiduc Maximilien, en faisant entendre qu’à l’élection de l’archiduc pourrait être rattachée la nomination du prince Philippe comme vicaire de l’Empire en Italie. Charles, avant de se prononcer là-dessus, avait voulu avoir l’avis de son fils ; il avait donné l’ordre à M. de Granvelle d’en écrire au duc d’Albe, qui depuis peu était reparti pour l’Espagne. Dans sa réponse, le prince exprima le vœu que la question qui venait d’être soulevée fût remise à un autre temps, vu l’état des affaires publiques en Allemagne et surtout en Italie, où le pape et le roi de France suscitaient à son père toute sorte de traverses : si, en de telles conjonctures, les princes et les républiques de la Péninsule apprenaient que l’expectative de l’Empire eût été assurée à l’archiduc, il pourrait arriver que la crainte qu’ils avaient eue jusque-là de l’empereur vînt à se perdre, et qu’ils cherchassent quelque occasion d’entreprendre sur ses possessions. Philippe, du reste, protestait de son respect pour le roi son oncle et de l’affection qu’il portait à l’archiduc, dont il appréciait le rare mérite et les belles qualités ; il assurait, et il avait à cœur qu’on le sût, qu’il désirait le bien et l’agrandissement de son cousin comme le sien propre[559]. L’empereur trouva fondées les observations de son fils ; il engagea le roi des Romains à ne plus parler d’une question qui pourrait engendrer de la haine entre les princes de leur famille et qui rencontrerait de grands obstacles si l’on voulait y donner suite[560]. Ferdinand n’insista point[561].

Soit qu’en répondant à l’empereur, Philippe n’eût pas découvert le fond de son âme, soit que la réflexion eût fait naître en lui des pensées ambitieuses qu’il n’avait pas conçues dans le premier moment, on le vit, peu de temps après, manifester la prétention, non pas seulement de réclamer pour lui-même la succession qui semblait dévolue à son cousin, mais de succéder directement à son père sur le trône impérial. Le bruit s’en répandit du moins en Espagne et au dehors ; on allait jusqu’à dire que le roi Ferdinand consentirait à se démettre, en faveur du prince, de la dignité de roi des Romains, et la conclusion de cet arrangement était regardée comme l’objet principal du vovage que Philippe allait faire aux Pays-Bas[562].

Ces bruits ne tardèrent pas à devenir publics en Europe. Ferdinand s’en émut ; il écrivit à la reine Marie qu’il ne pouvait croire que de tels desseins eussent passé par la tête de l’empereur, « car il le tenait si bon seigneur, frère et même vrai père, qu’il était assuré qu’il ne voudrait faire ni penser chose qui si grièvement tournât à sa honte et des réputation. » Il la priait de démentir les rumeurs qui en couraient et qui étaient de nature à causer un grand scandale et de l’émotion entre beaucoup de gens ; si elles venaient à s’accréditer, disait-il, « elles engendreraient choses qui ne seraient pas bonnes et principalement de la défiance entre les affaires de S. M. et les miennes »[563]. Marie lui répondit que les rumeurs dont il parlait n’avaient aucun fondement ; qu’elle ne voyait nulle apparence que, du vivant de l’empereur et de lui, il se fît quelque innovation : « Quant à l’assurance après vos décès, — ajoutait-elle — tiens pour certain que S. M. ne se résoudra que avec vous[564]. » Ces assurances tranquillisèrent Ferdinand. « Je vous crois, — répliqua-t-il à sa sœur — comme est raison, plus que aux bruits de autrui… Je n’ai jamais en rien dubité de S. M. ni eu suspicion quelconque d’icelle, comme ne l’aurai jamais : car je sais qu’il m’est si bon seigneur et frère qu’il ne fera jamais chose qui vînt à mon préjudice en façon quelconque »[565].

A quelque temps de là, Charles envoya au roi des Romains le seigneur de Chantonay, l’un des fils de M. de Granvelle, pour régler avec lui différents points concernant son retour en Allemagne qu’il croyait prochain alors ; Marie, à cette occasion, écrivit au roi : « Hors de la charge de Chantonay vous pourrez connaître que l’intention de Sa Majesté quant à l’affaire dont vous m’avez écrit est conforme à ce que je vous ai répondu, et je vous assure que je n’ai jamais connu autre chose »[566]. Ferdinand n’en jugea pas moins à propos, en renvoyant Chantonay, de supplier l’empereur de ne point permettre qu’on traitât ou proposât quelque chose qui fût à son préjudice et contre son honneur et sa réputation, car il n’en pourrait résulter que de l’aigreur, et lui ne viendrait pas vers son frère, ou, quand il y serait, il s’en irait[567]. Il insista là-dessus dans plusieurs autres lettres à la reine. Quand il connut la convocation de la diète, il lui annonça qu’il s’y trouverait, « ne doutant pas que l’empereur, en toutes les affaires qu’ils auraient à traiter ensemble, aurait l’égard vers lui et les siens qu’il avait mérité, et sous l’espoir qu’il mettrait à part et laisserait reposer l’affaire dont il avait été parlé, comme affaire qui, si l’on voulait la renouveler, pourrait engendrer plus de mal que de bien »[568].

Si Philippe s’était en effet flatté de l’espoir que son oncle pourrait être amené à lui céder la dignité de roi des Romains, le langage de Ferdinand dut le convaincre qu’il s’était abusé : aussi ne s’agit-il plus dès lors, entré l’empereur, le prince et la reine Marie, que d’assurer au prince la succession à l’Empire après la mort de Ferdinand, et Marie se chargea de faire au roi des ouvertures en ce sens. Dans la lettre qu’elle lui écrivit[569], elle s’attacha à le convaincre qu’un tel arrangement serait conforme à l’intérêt de toute leur maison ; que lui et l’archiduc Maximilien ne devaient pas y mettre obstacle, mais au contraire y adhérer sans réserve ; que, lorsque le prince parviendrait à la dignité impériale, l’archiduc commanderait en Allemagne bien plus que lui, qui n’y pourrait guère résider. Elle fit entrevoir à Ferdinand, comme la conséquence de cette combinaison, le mariage du prince avec une des archiduchesses. Elle lui insinua qu’en donnant la priorité au prince sur l’archiduc pour la succession à l’Empire, il satisferait à son obligation de rendre à l’empereur le bien que son frère lui avait fait, quand il l’avait préféré lui-même à son fils propre. Elle lui marquait d’ailleurs que, si le prince était « très-enclin de aspirer à s’assurer de l’Empire après lui, » l’empereur « y trouvait plus de pro et contra, et ne voulait s’en résoudre qu’après qu’ils auraient conféré ensemble »[570]. Ferdinand se borna à répondre à la reine que l’affaire dont elle venait de l’entretenir était « si grande et de tel poids et importance qu’elle lui semblait requérir bonne délibération »[571].

Charles, quoi qu’en dît la reine de Hongrie, désirait tout aussi ardemment que son fils de le voir assuré de parvenir à la dignité impériale[572]; sa faiblesse pour ce fils était extrême; lui laisser de vastes États et une puissance que n’égalât celle d’aucun des monarques de l’Europe était sa préoccupation constante. Il répugnait toutefois à Charles d’être le premier à entretenir le roi des Romains d’un sujet qui devait lui être si désagréable; il aurait voulu que Ferdinand prît l’initiative. Par son ordre, l’évêque d’Arras, à peine arrivé à Augsbourg, alla voir le roi sous prétexte de lui rendre compte de ce qui s’était passé pendant le voyage de l’empereur, mais en réalité pour lui donner occasion de parler de l’affaire sur laquelle la reine Marie lui avait écrit. Ferdinand ne se laissa point prendre à ce manége[573].

Charles se flatta de réussir mieux en lui faisant communiquer une série de questions qui roulaient sur les moyens d’apporter remède a la confusion dans laquelle se trouvaient les affaires de l’Allemagne, soit qu’on employât la voie des négociations, soit qu’on recourût à la force, et, dans ce dernier cas, sur la difficulté qu’il y aurait à se procurer de l’argent pour subvenir à la dépense; une des questions était de savoir comment, après le décès de l’empereur, ou lui étant absent de la Germanie pendant plusieurs années, la masse des affaires pourrait s’y soutenir. Cette forme d’interrogation était celle dont Charles-Quint avait coutume d’user en des occasions semblables. Les questions furent lues trois fois au roi des Romains, afin qu’il en dît son avis, la dernière fois en présence de l’empereur. Ferdinand parut y attacher une médiocre importance[574]. Tout ce qu’on put tirer de lui fut « qu’il n’était en son pouvoir de fournir chose, quelle qu’elle fût[575]. » Voyant qu’il n’y avait pas moyen de le faire sortir de sa réserve, on chercha à le persuader que la communication qu’on lui avait faite n’était à autre fin que de voir ce qu’on aurait à proposer à la diète, et l’empereur chargea l’évêque d’Arras de lui déclarer que, si les états de l’Empire, comme c’était vraisemblable, n’accordaient une grosse aide, il faudrait renoncer à se servir de la force en se contentant d’avoir recours aux négociations[576]. La reine Marie avait offert de venir à Augsbourg, si on le jugeait nécessaire, pour moyenner une transaction entre les deux branches de la maison impériale. Charles accepta cette offre, et Philippe pria avec instance sa tante d’y donner suite[577]. De son côté, Ferdinand se félicitait de ce qu’on ne lui avait pas parlé de l’affaire qui était pour lui le sujet des plus vives inquiétudes; dans sa correspondance avec la reine, il exprimait l’espoir qu’on laisserait tomber un projet dont l’exécution lui paraissait impossible, et qu’on ne pourrait proposer sans faire naître beaucoup de défiances et d’aigreurs[578].

Le 26 juillet Charles fit, à la maison de la ville, l’ouverture de la diète. Cette assemblée était bien différente de celle qui, la dernière fois, avait été réunie dans le même lieu. Des sept électeurs, ceux de Mayence et de Trèves étaient les seuls qui y fussent présents; le comte palatin, dans son entrevue avec l’empereur à Spire, s’était excusé d’y comparaître sur son grand âge[579]; le duc Maurice et le marquis de Brandebourg avaient prévenu le roi des Romains, dès le mois d’avril, qu’ils n’y viendraient pas, si le landgrave n’était mis en liberté[580]. La plupart des princes ecclésiastiques et séculiers y manquaient aussi, et parmi les commis des absents et les députés des villes impériales, beaucoup étaient allés chez eux d’après le bruit répandu que la diète s’ouvrirait seulement vers le milieu du mois d’août ou même dans les premiers jours de septembre[581]. La séance commença par une allocution du cardinal d’Augsbourg. Le secrétaire de l’Empire donna ensuite lecture de la proposition. L’affaire de la religion en était le point essentiel : l’empereur faisait connaître que, conformément au vœu des états, il n’avait cessé de solliciter à Rome la continuation du concile à Trente, qu’il l’avait obtenue du nouveau pape, et qu’il attendait d’heure en heure un nonce apostolique avec lequel cet important objet serait réglé. Il se plaignait que l’intérim et la réforme de l’Église ne fussent pas observés, même par beaucoup de ceux qui les avaient reçus. Il réclamait des mesures énergiques contre les villes qui se montraient obstinées dans leur rébellion aux ordonnances et à l’autorité de l’empereur et de l’Empire. Il parlait de ce qu’il avait fait, en conformité du recez de la dernière diète, pour l’organisation de la chambre impériale et la restitution des biens ecclésiastiques usurpés. Les autres points de la proposition concernaient les monnaies, la répartition des contributions de l’Empire et l’observation des lois politiques que les états avaient votées. Le secrétaire ayant fini sa lecture, il fut annoncé à l’assemblée que l’empereur nommait président de la diète l’archevêque de Mayence. Trois jours après, Charles, avec le roi son frère et le prince Philippe, partit pour la Bavière, afin de s’y livrer au plaisir de la chasse. Il revint à Augsbourg le 8 août[582].

Pendant qu’il était en Bavière, Sebastiano Pighino, archevêque de Siponte, choisi par Jules III pour son nonce à la cour impériale en remplacement de l’êvêque de Fano, était arrivé à Augsbourg[583]; Charles lui donna audience le 11 août[584]. Le nonce, suivant ses instructions[585], l’assura de l’intention du saint-père de faire office de bon pasteur en convoquant le concile à Trente, et de marcher d’accord avec lui, afin que le concile produisît le fruit qu’on devait s’en promettre pour la conservation et l’exaltation de la foi, la confusion des hérétiques, l’avantage de l’empereur et de ses États, sans que l’autorité du saint-siége en reçût d’atteinte : mais il le pria de considérer les égards qu’il fallait avoir pour le roi de France, si l’on voulait qu’il envoyât au concile les prélats de son royaume, sans la présence desquels cette assemblée aurait peu de réputation; la pauvreté des évêques italiens, qui ne leur permettait pas de séjourner longtemps à Trente, et l’impossibilité où se trouvait le saint-siége de les secourir; par conséquent la nécessité de bien calculer le moment où l’on donnerait principe au concile et de bien régler la façon dont on y procéderait afin qu’une heure ne fût pas consumée en vain ; il en déduisit l’opportunité d’obtenir de nouveau des états de la Germanie, des protestants aussi bien que des catholiques, l’engagement de se soumettre aux décrets du concile. Il appela ensuite l’attention de l’empereur sur l’importance de déclarer que les décisions prises antérieurement à Trente sur les matières de la foi ne pourraient plus être mises en débat ; enfin il réclama son assistance pour que, dans le concile et hors du concile, l’autorité que le pape tenait immédiatement de Dieu fût respectée de tous. Cette communication fut très-bien prise par Charles, qui témoigna au nonce sa satisfaction des dispositions où était le souverain pontife[586]; seulement il lui fit observer que le moment n’était pas propice pour déclarer qu’on ne remettrait pas en question ce qui avait déjà été décidé à Trente, et que cela serait plus à propos lorsque le concile serait réuni. Quant à l’autorité du pape et du saint-siége, il l’assura qu’il en serait le protecteur à l’avenir, comme il l’avait été par leb passé[587].

Les états de l’Empire, ayant délibéré sur la proposition du 26 juillet, présentèrent leur réponse au roi des Romains (l’empereur étant indisposé) le 19 août[588]. Ils consentaient à soumettre les différends sur la religion au concile universel, comme y avait consenti la diète précédente. Ils demandaient, relativement à ceux qui, ayant accepté l’intérim, ne l’observaient pas, qu’on s’enquît des raisons qu’ils avaient de s’en excuser, et qu’on les entendît ensuite. Ils offraient de s’employer auprès des villes réfractaires, pour les amener à une amiable composition. Au grand étonnement de la diète et du public, les commis de l’électeur Maurice ne votèrent pas la première résolution, mais ils protestèrent qu’ils voulaient un concile où le pape n’eût la présidence ni en personne ni par ses légats. Cette conduite de Maurice fut attribuée à son désir de gagner les cœurs des peuples luthériens, et surtout des Saxons ses sujets, qui ne l’aimaient guère et le haïssaient même[589]. Charles ne s’en émut point[590], ayant, comme nous l’avons dit, l’engagement écrit de Maurice de se soumettre aux décisions du concile.

Depuis plusieurs années, la santé de M. de Granvelle allait en dépérissant d’une manière sensible. Dans l’été de 1549 il avait quitté la cour pour allerau comté de Bourgogne ; il espérait que l’air natal contribuerait à le rétablir[591]. Quoique souffrant encore, il était venu à Augsbourg, où l’empereur jugeait sa présence nécessaire, surtout pour l’affaire de la succession à l’Empire[592]; il y était arrivé accablé de fatigue. C’était d’hydropisie qu’il était atteint, et ce voyage avait augmenté son mal[593]. Vers le milieu d’août on n’avait plus d’espoir de le conserver ; il rendit le dernier soupir le 27 de ce mois dans sa soixante-sixième année[594]. Charles-Quint faisait en lui une perte considérable. Granvelle, selon l’opinion des juges les plus compétents, était le premier homme d’État de son époque[595]; sa prudence, sa dextérité dans le maniement des affaires, égalait laconnaissance qu’il avait des vues et de la politique des différentes cours de l’Europe. Jamais il n’était embarrassé, et dans les circonstances les plus critiques, il trouvait toujours quelque expédient pour en sortir[596]. La modération formait le fond de son caractère[597]; il était affable et courtois; les ministres étrangers se louaient beaucoup des rapports qu’ils avaient avec lui[598]. La confiance qu’il inspirait à Charles-Quint était sans bornes; l’empereur ne faisait rien sans le consulter, et son opinion était celle qu’il suivait presque toujours : il y avait d’ailleurs une si grande conformité dans leur manière de voir qu’il était rare qu’ils ne se trouvassent pas d’accord dans leurs appréciations et leurs conclusions[599]. Chaque matin l’empereur faisait demander à Granvelle son avis sur ce qu’il avait à faire ce jour-là et a dire aux ambassadeurs et aux autres personnages officiels auxquels il avait accordé audience[600]. On ne pouvait reprocher au premier ministre que son désir d’amasser et d’enrichir sa famille : il recevait volontiers les présents qu’on voulait lui faire; le bruit public était que les accords avec les princes et les villes d’Allemagne en 1546 et 1547 lui avaient valu un puits d’or[601]. Aussi, né pauvre, Granvelle laissa-t-il sa nombreuse postérité dans une brillante position de fortune[602]. Charles-Quint, le roi des Romains, le prince Philippe, à la nouvelle de sa mort, envoyèrent à Nicole Bonvalot, sa veuve, et à ceux de ses enfants qui étaient auprès d’elle, des personnages principaux de leurs maisons, pour les consoler[603]. Le 30 août fut célébré à la cathédrale un service auquel présida le duc d’Albe en sa qualité de grand maître de la maison de l’empereur; tous les princes, tous les membres de la diète, tous les officiers de la cour y assistèrent[604]. Le corps du défunt fut porté à Besançon, pour y être inhumé. Charles-Quint donna à l’évêque d’Arras les charges qu’occupait son père; l’ayant appelé, il lui dit avec bonté :' « J’ai plus perdu que vous, car j’ai perdu un ami tel que je n’en trouverai plus de semblable; vous, si vous avez perdu un père, je vous reste pour vous en tenir lieu[605] ».

Le 10 septembre la reine Marie arriva à Augsbourg. Le but de son vovage avait été tenu secret, même au roi Ferdinand; elle avait publié que d’importantes affaires concernant les Pays-Bas en étaient le motif. A la vérité il y en avait une, dans ce moment-là, qui donnait beaucoup de soucis à la régente et à son conseil. Les dispositions de l’édit impérial du 29 avril contre le luthéranisme où il était parlé des inquisiteurs, la défense de loger ou recevoir chez soi des personnes suspectes d’hérésie, l’injonction d’exiger de celles qui venaient résider aux Pays-Bas un certificat du curé de l’endroit où elles avaient demeuré en dernier lien, avaient causé une profonde émotion à Anvers. Cet édit y était envisagé comme devant entraîner la ruine ou tout au moins la décadence du commerce; déjà plusieurs marchands étrangers qui y étaient établis, effrayés de l’idée qu’ils pourraient se voir attraits devant les inquisiteurs, annonçaient l’intention de retourner dans leur pays. En vain Marie avait répondu aux remontrances du magistrat que l’intention de l’empereur n’était d’introduire en aucune façon aux Pays-Bas l’inquisition d’Espagne; qu’il s’agissait uniquement de l’inquisition telle qu’elle existait dans ces provinces depuis plus de vingt années; que la disposition relative aux certificats de curé à produire par les personnes qui voudraient s’y établir ne devait pas s’entendre à la rigueur[606] : les esprits ne s’étaient tranquillisés que sur l’assurance, donnée par la reine, qu’elle allait trouver l’empereur surtout pour solliciter de lui des modifications à l’édit du 29 avril.

Durant le temps qu’elle passa à Augsbourg, Marie eut de fréquents et de longs entretiens avec Ferdinand. Sur les raisons qu’elle allégua pour faire condescendre son frère aux désirs de l’empereur, sur les propositions qu’elle lui fit afin de l’y déterminer, comme sur les réponses du roi, les documents nous font défaut. Nous avons bien les correspondances des ambassadeurs de France et de Venise, où nous trouvons les échos des rumeurs de la cour et des cercles diplomatiques; mais nous ne savons jusqu’à quel point ces rumeurs méritent créance : c’est pourquoi nous nous abstenons de les rapporter. Ce qui est certain, c’est que Ferdinand ne céda point, ne voulant, en l’absence de son fils, entrer dans aucune négociation qui pût avoir pour résultat de porter atteinte à ses droits éventuels[607]. L’empereur alors résolut de faire revenir d’Espagne le roi de Bohême[608]. Marie repartit d’Augsbourg le 26 septembre. Charles avait, la veille, signé une ordonnance par laquelle était modifiée celle du 29 avril dans les points qui avaient soulevé le plus de réclamations de la part de la ville d’Anvers[609]. Le 27 il donna l’investiture du duché de Bavière à Albert, fils du duc Guillaume Ier, mort le 6 mars précédent; la cérémonie se fit dans sa chambre, sans apparat[610].

Avant que la reine Marie vînt à Augsbourg, le prince d’Espagne était fort mal vu des électeurs, des princes de l’Empire et des autres membres de la diète : on avait été scandalisé de ce que, rendant visite à l’archevêque de Mayence, il s’était de lui-même place à la droite de l’électeur et était resté couvert tandis que celui-ci tenait son bonnet à la main[611]; sa taciturnité, jointe à sa hauteur, lui aliénait tout le monde. Marie s’appliqua à lui faire comprendre l’intérêt qu’il avait à se concilier les sympathies des Allemands; elle le mit en rapport plus intime avec les électeurs. Dès lors il dîna quelquefois chez eux; d’autres fois il les invita à sa table. Il leur adressait la parole en latin, ne connaissant pas la langue allemande et ne parlant pas le français, quoiqu’il le comprît[612]. Il n’avait point passé jusque-là pour très-adroit dans les exercices du corps; un succès qu’il obtint le réhabilita dans l’opinion publique : le 19 octobre, un tournoi fut donné en l’honneur de la duchesse douairière de Lorraine, sa cousine; ce fut lui qui eut le prix pour avoir le mieux rompu les lances[613].

Depuis la réponse faite par la diète, le 18 août, à l’empereur, plusieurs écrits avaient été échangés entre lui et les états. Sur la question du concile l’entente s’était établie tout d’abord. Il n’en était pas de même en ce qui concernait l’intérim. Charles aurait souhaité que les états lui proposassent des mesures pour lever les obstacles que rencontrait, dans une partie de l’Allemagne, l’exécution de ce qui était prescrit par ce formulaire; les états y répugnaient. Voyant qu’il ne parviendrait pas à triompher de leur répugnance, Charles déclara qu’il prenait sur lui, « pour autant qu’elle appartenait à son office impérial, » la charge de remédier aux infractions faites à son ordonnance[614]. La diète, comme on l’a vu, était d’avis de recourir d’abord, pour la réduction des villes de Magdebourg et de Brème, aux voies de conciliation et d’accommodement. Charles ne s’y montra pas contraire, quoiqu’il se crût autorisé, par l’obstination de ces deux villes, de la première surtout, à user envers elles de moyens de rigueur[615]. Les états écrivirent à l’une et à l’autre afin qu’elles envoyassent des députés pour rendre compte à la diète des raisons de leur conduite[616]. Magdebourg s’en excusa. Brème déféra à l’invitation des états; mais ses députés furent loin de faire entendre le langage de la soumission[617]. L’empereur alors demanda à la diète de voter les subsides nécessaires pour la réduction des rebelles par la force. Quant aux points relatifs à la chambre impériale, à la restitution des biens dont les ecclésiastiques avaient été dépouillés, aux règlements des monnaies, aux surcharges dans les contributions contre lesquelles réclamaient plusieurs membres de l’Empire, et à d’autres objets de moindre importance, comme Charles était animé d’intentions conciliantes, il se mit sans peine d’accord avec les états. Mais il y eut une prétention qu’ils formèrent et sur laquelle il ne put pas leur céder. Aux termes de la transaction conclue, en 1548, entre l’Allemagne et les Pays-Bas, ces provinces devaient être à tout jamais exemptes de la juridiction des tribunaux de l’Empire, sauf en ce qui touchait leur contingent dans les contributions. Cependant les états, sous le prétexte qu’il pourrait arriver que les gouverneurs des Pays-Bas attentassent quelque chose contre l’un ou l’autre des pays de la Germanie ou contre la paix publique, sollicitèrent de l’empereur une déclaration portant que, dans ce cas, ils auraient à en répondre devant la chambre impériale. Charles se refusa à la donner : il avait juré à ses sujets des Pays-Bas de les maintenir en leurs franchises, libertés et priviléges; il ne lui était évidemment pas loisible de modifier, sans leur consentement, ce qui avait été convenu en 1548. Il persista dans cette détermination, malgré toutes les instances de la diète, et plus particulièrement des électeurs ecclésiastiques, en les assurant du reste que si, de la part des Pays-Bas, il était fait quelque chose contre la paix publique de l’Allemagne, on le trouverait toujours prêt à administrer bonne justice à ceux qui seraient en droit de se plaindre, et à châtier les délinquants[618].

Le roi de Bohème était attendu avec impatience à Angsbourg par l’empereur, par le roi Ferdinand et par toute la diète. Il avait quitté Valladolid le 30 octobre; il s’était embarqué le 17 novembre à Rosas, et avait pris terre à Gênes le 24. Il arriva à Augsbourg le 10 décembre, au matin, ayant couru la poste toute la nuit à la lueur des torches[619]. La nouvelle s’en répandit bientôt dans la ville; elle y causa une satisfaction générale. Les seigneurs aussi bien que les peuples de la Germanie avaient une affection particulière pour Maximilien, qui la méritait par les rares qualités dont la nature l’avait doué[620]. Quelque temps auparavant, le cardinal d’Augsbourg, s’entretenant avec les ambassadeurs de Venise, qui se félicitaient de la prochaine venue du roi de Bohême, leur avait dit : « Vous avez raison de vous en réjouir : pour ma part, j’en suis charmé, ainsi que toute l’Allemagne, laquelle jamais ne souffrira que l’Empire passe à un prince qui ne soit pas allemand, et je ne saurais croire que le roi Maximilien ni le roi des Romains consentent à ce que le prince d’Espagne devienne coadjuteur de l’Empire, car si le roi Ferdinand s’accordait à cet égard avec l’empereur, il courrait le risque de perdre sa réputation et la bienveillance de la nation germanique, qui ne lui fournirait plus de Secours. Jamais d’ailleurs, ajoutait-il, l’Allemagne ne serait tranquille sous le gouvernement du prince Philippe, et des soulèvements y éclateraient sans cesse[621]. » L’électeur de Trèves s’exprimait avec plus de circonspection, mais au fond il pensait comme le cardinal d’Augsbourg : « Nous n’avons pas besoin pour le présent, disait-il, d’un coadjuteur, puisque nous avons un empereur et un roi des Romains. La nomination d’un coadjuteur serait chose qui n’a jamais été usitée depuis que l’élection appartient aux princes de la Germanie[622]. » Aussitôt après l’arrivée du roi de Bohême, Philippe se rendit auprès de lui et le mena chez l’empereur. Il avait à cœur de gagner l’affection de son beau-frère; il fit tout ce qu’il put pour se lier avec lui : mais Maximilien y résistait; il fuyait les occasions de rencontrer le prince d’Espagne; quand ils se trouvaient ensemble, il était froid et réservé[623]. L’archiduc Ferdinand, second fils du roi des Romains, arriva à Augsbourg quatre jours après son frère.

Il avait été convenu, entre l’empereur, le roi des Romains et la reine Marie, que cette princesse reviendrait à Augsbourg, pour reprendre les négociations qu’elle avait commencées, dès que Maximilien y serait. Le 1er janvier 1551 la cité impériale vit la reine entrer dans ses murs. Charles avait en vain, dans l’intervalle, essayé de pressentir les dispositions du roi de Bohême et de son père : lorsque, à l’arrivée de Maximilien, il l’avait remercié de la diligence qu’il avait apportée dans son voyage, « pour les choses qu’ils avaient à traiter, » le jeune prince avait soudain changé de propos. Le roi des Romains avait de même éludé ce sujet d’entretien, et à Granvelle (nous appellerons désormais ainsi l’évêque d’Arras), qui, sous couleur de communiquer avec lui d’affaires de l’Empire, lui avait fait de respectueuses remontrances sur les suites fâcheuses qu’aurait pour les deux branches de la maison de Habsbourg, pour leurs États et pour la chrétienté la discorde entre lui et l’empereur, il s’était borné à répondre qu’il était bien éloigné de vouloir rompre avec son frère, et qu’il l’avait prouvé en faisant venir son fils, « pour s’accommoder à tout ce qui se trouverait convenable[624]. » Charles avait en ce moment plusieurs griefs contre le roi. Il trouvait que Ferdinand ne prenait pas à cœur, comme auparavant, les affaires de la diète; qu’il cherchait plutôt à complaire aux états, et surtout aux électeurs[625]. Ferdinand avait eu l’intention de partir pour le Tyrol, en attendant la venue de son fils; Charles l’en avait empêché : ce départ aurait certainement entraîné celui d’autres princes qui étaient à la diète[626]. Enfin Ferdinand voulait demander aux états une aide pour préserver la Transylvanie des entreprises du Turc, et Charles y était opposé, du moins jusqu’à ce que la diète eût voté les dépenses nécessaires pour la réduction de Magdebourg; une vive discussion avait eu lieu entre eux à ce sujet le 22 novembre; Charles s’était mis en colère jusqu’à dire à son frère que, s’il donnait suite à son dessein, il le contrecarrerait[627]. Trois semaines après, néanmoins, Ferdinand était revenu à la charge dans un écrit raisonné, et cette fois il avait déclaré qu’il ne pouvait se dispenser, sans compromettre son âme, son honneur et ses biens, de faire cette proposition aux états; que si l’empereur y mettait obstacle (ce qu’il ne pouvait croire), il se sentait plus tenu à Dieu, à sa conscience et à son honneur qu’à lui[628]. Cet écrit avait vivement blessé l’empereur : « Enfin — écrivait-il à la reine Marie — je suis jusques au bout de patience, remémorant ce que j’ai fait pour eux, et que, après qu’ils ont tiré de moi ce qu’ils ont voulu, nous tombons en tels termes[629]. » Malgré cela il n’avait pas voulu pousser les choses à l’extrême. Croyant même que des concessions faites à son frère sur ce point le disposeraient plus favorablement pour l’affaire principale qu’il avait à traiter avec lui, il lui avait envoyé Granvelle, afin qu’il consentît à différer quelque peu sa proposition, puisqu’on n’était pas au bout de la diète[630].

A peine arrivée à Augsbourg, Marie entama avec le roi des Romains la délicate négociation dont elle s’était chargée. Dans les premiers pourparlers, Ferdinand se montra intraitable; il y eut même un jour où la reine le quitta toute fâchée, disant qu’elle ne voulait plus se mêler de rien, puisque, mal conseillé, il accordait moins de créance à elle, qui était sa sœur et n’avait d’autre but que l’établissement de leur maison, qu’à des ministres, ignorants et intéressés, lesquels, pour le faire luthérien, ainsi qu’ils l’étaient, ne se souciaient ni de sa ruine, ni de celle de ses royaumes[631]. Cette dissension ne fut toutefois pas de longue durée, Ferdinand, quelques instants après la sortie de la reine, lui ayant envoyé le roi son fils pour l’apaiser, et étant lui-même passé chez elle afin de lui expliquer les raisons qui le faisaient agir[632]. Ces raisons, celles qu’il alléguait du moins, étaient le serment qu’il avait prêté lors de son élection; qu’il ne se trouvait pas, depuis que l’Empire était venu aux mains des Allemands, que, du vivant de l’empereur et du roi des Romains, on eût élu une troisième personne pour leur coadjuteur; que cette élection serait contraire à la fois et à la coutume et à la bulle d’or; que rien n’en démontrait la nécessité; que les électeurs n’y consentiraient très-probablement pas, et que l’autorité et la réputation de l’empereur souffriraient de leur refus; que s’ils y donnaient leur consentement, comme contraints et forcés, il serait à craindre que plus tard ils ne le révoquassent, que même ils ne cherchassent alors un chef hors de l’Empire[633]. Ferdinand les trouvait d’un si grand poids qu’il demanda d’en conférer avec l’empereur lui-même. On ne peut se figurer la curiosité qu’excitait cette négociation parmi les diplomates présents à Augsbourg : mais, comme l’empereur, les rois des Romains et de Bohême et la reine douairière de Hongrie étaient, avec Granvelle, les seules personnes qui y eussent part, elle était enveloppée d’un secret qui faisait leur désespoir. Les ambassadeurs de Venise écrivent au doge le 10 janvier : « Nous sommes tous attentifs pour tâcher d’avoir quelque lumière de ce qui se négocie; mais les choses se passent entre Leurs Majestés seules, de manière qu’il n’y a personne à cette cour qui puisse se flatter d’en avoir connaissance avec certitude[634]. » Ils lui mandent encore le 1er février : « Dans l’affaire de la coadjutorerie tout se fait si secrètement que nul n’en peut savoir la moindre chose. Il n' a que Leurs Majestés et la sérénissime reine qui interviennent dans les pourparlers, et elles ne s’en entretiennent avec personne, sauf avec monsieur le révérendissime d’Arras. Deux fois ces trois Majestés ont été seules ensemble, et chaque fois plus de quatre heures »[635]. L’ambassadeur Marillac, dans une lettre du 8 janvier à Henri II, avoue aussi qu’on ne peut, sur ce qui se traite entre les membres de la maison impériale, former que des conjectures[636].

Cependant les princes et les états de l’Empire s’étaient plaints déjà, plusieurs reprises, que la diète durât aussi longtemps. Ils avaient statué sur toutes les propositions de l’empereur; en dernier lieu[637] ils avaient voté une aide de soixante mille florins par mois pour la réduction de Magdebourg, en autorisant qu’on prît par anticipation cent mille florins des deniers qui étaient en réserve en vertu des résolutions de la diète précédente; sur la remontrance du roi des Romains[638], que, nonobstant la trève, les Ottomans avaient occupé plusieurs châteaux en Transylvanie, ils avaient décidé que si la guerre éclatait, la moitié de la contribution contre le Turc votée à Spire se payerait au premier jour de l’année suivante, sans que personne en pût être exempt : ils ne voyaient pas dès lors ce qui pouvait empêcher qu’il ne fût mis fin à leurs travaux; leur séjour prolongé à Augsbourg, où tout était d’une cherté excessive, les entraînait dans des dépenses considérables, et leurs affaires souffraient de leur long éloignement de leurs pays et de leurs villes[639]. Charles, condescendant enfin à leur désir, indiqua le 14 février pour la clôture de la diète. La cérémonie eut lieu dans la chapelle de la maison où il habitait[640]. Il était présent, ainsi que le roi son frère, les électeurs, les princes et tous les membres des états. Le cardinal d’Augsbourg commença la lecture du recez, qui fut continuée par le secrétaire de l’Empire[641]. Cette lecture finie, Charles, par l’organe du cardinal, remercia les états des peines qu’ils avaient prises et des soins qu’ils s’étaient donnés pour les affaires de la Germanie; il les exhorta à comparaître au concile que le pape avait convoqué à Trente pour le 1er mai. Le secrétaire de l’électeur de Mayence, au nom de l’assemblée, remercia l’empereur de tant de fatigues qu’il avait souffertes dans l’intérêt de l’Allemagne, et promit que protestants et catholiques se rendraient au concile[642].

Charles avait fait recevoir son fils par les états des Pays-Bas pour leur futur souverain; il voulut aussi lui donner, par anticipation, l’investiture de ceux de ces pays qui relevaient de l’Empire. Son dessein était d’entourer cette cérémonie d’une grande solennité; il espérait que les électeurs, les princes et les autres membres de la diète en rehausseraient l’éclat par leur présence; dans cette vue, des préparatifs furent, par son ordre, commencés sur la Grand’Place d’Augsbourg[643]. Il se vit toutefois déçu de son attente. Comme il entendait se réserver l’administration des Pays-Bas, contrairement à la forme des investitures impériales, et stipuler, relativement au duché de Gueldre, que les femmes y pourraient succéder, en opposition à ce qui était statué dans les anciennes investitures de ce duché, les commis des membres des états absents déclarèrent qu’ils ne pourraient intervenir à un tel acte sans une autorisation spéciale de leurs commettants[644]. Charles alors abandonna l’idée d’une cérémonie publique, et ce fut dans sa demeure qu’il investit son fils[645]. La chose est racontée en ces termes par Vandenesse : « Le 7 mars, étant Sa Majesté à Augsbourg, assise en son siége impérial, accompagnée de plusieurs princes, seigneurs et prélats et ceux de son conseil, vinrent le prince de Gavre, comte d’Egmont, et le comte de Hornes, lesquels étant à genoux devant le passet de S. M., fut par ledit prince de Gavre exposé en latin comment ils étaient là envoyés de la part de son fils Philippe, prince d’Espagne, etc., lequel suppliait à Sadite Majesté être reçu en fief de l’Empire, et lui octroyer l’investiture des pays que S. M., son père, tient en fief dudit saint-empire en général, sans spécifier aucun desdits pays, étant prêt d’en faire son devoir et serment de fidélité envers S. M. et le saint-empire. Les ayant ouïs, Sadite Majesté appela l’évêque d’Arras et le docteur Seldt, et après fut répondu, au nom de S. M., auxdits comtes ambassadeurs que S. M. était prête de recevoir ledit prince, lequel fut lors amené par lesdits deux seigneurs. Et étant entré, fit trois révérences, se mettant à genoux sur le bord du passet de S. M., et les deux derrière lui, où par ledit d’Egmont fut derechef exposé plus amplement ce que ledit prince requérait. A quoi fut de S. M. répondu par ledit Seldt. Puis le prince se leva, et, approchant de Sadite Majesté, se mit encore à genoux, tenant ses deux mains sur le missel ouvert, prononçant les paroles qui lui furent prédites et leues par icelui Seldt, qui étaient le serment accoutumé, qu’il fit à S. M. Puis prit icelle l’épée impériale en ses mains, que le maréchal impérial tenait, faisant baiser audit prince le pommeau d’icelle. En après se leva et se fut remettre à genoux sur ledit passet, où par le dessus nommé prince de Gavre fut fait un beau remercîment. Ce achevé, chacun se retira[646]. »

Après la clôture de la diète, la reine Marie avait continué ses pourparlers avec Ferdinand. Le roi se montrait toujours difficile; il savait que toute la nation allemande se prononçait contre ce qu’on réclamait de lui. Les électeurs disaient ouvertement qu’il ne leur appartenait d’élire ni un coadjuteur de l’empire ni un second roi des Romains; que tout leur pouvoir consistait à élire un empereur, quand l’empire était vacant, et, en l’absence de l’empereur, alors que le besoin s’en faisait sentir, un roi des Romains; qu’aucun de ces deux cas ne se présentait actuellement; que, si l’on voulait faire un coadjuteur ou un nouveau roi des Romains, il faudrait réunir tous les princes et les états qui comparaissaient aux diètes, afin qu’ils délibérassent sur ce qu’exigeait le bien de la Germanie. Ils espéraient par-là se soustraire aux demandes de l’empereur, étant certains d’ailleurs qu’il n’obtiendrait point le consentement des états assemblés, car beaucoup de princes disaient que, plutôt que d’élire Philippe, ils s’accorderaient avec le Turc[647]. Cependant Ferdinand finit par céder[648] et, le 9 mars 1551, dans la chambre de l’empereur, où étaient avec lui le roi des Romains, le prince d’Espagne, la reine douairière de Hongrie, le roi de Bohême et Granvelle, quatre actes furent lus et signés dont nous allons faire connaître, en substance, le contenu.

Le premier était une convention entre le roi des Romains et le prince d’Espagne par laquelle Ferdinand s’engageait à employer tous moyens convenables pour que les électeurs assurassent d’élire le prince à la dignité de roi des Romains, « incontinent que ledit seigneur roi serait couronné empereur, » à condition qu’ils assurassent aussi d’élire l’archiduc Maximilien roi des Romains, quand le prince parviendrait à l’empire. De son côté, le prince s’engageait, ce cas arrivant, à députer Maximilien, en qualité de son lieutenant, pour gouverner l’Empire en son absence, comme l’empereur l’avait fait à l’égard du roi son frère. Il prenait de plus l’engagement, lorsqu’il aurait été élu roi des Romains, « de ne se mêler en façon quelconque du gouvernement de l’Empire plus avant que le roi, lors empereur, lui consentirait. » Le roi et le prince se promettaient après le décès de l’empereur, une assistance mutuelle envers et contre tous. Ils convenaient enfin, et ce du consentement de l’empereur, que le prince, étant parvenu à la dignité de roi des Romains, épouserait une des archiduchesses filles du roi[649].

Par le deuxième acte Philippe ne faisait que confirmer les engagements qu’il prenait dans le premier envers le roi et l’archiduc[650].

Le troisième consistait dans des lettres par lesquelles Eerdinand donnait sa parole de roi que, venant à l’administration de l’Empire, il nommerait le prince Philippe gouverneur et son lieutenant en Italie, pour y exercer, lorsque lui, Ferdinand, ne serait point en ce pays, l’autorité qui lui appartenait, tant en matière de justice qu’autrement : il se réservait la première et générale reprise des fiefs qui se faisait à l’avènement d’un nouvel empereur; après celle-ci le prince jouirait de tous les reliefs, excepté ceux des gros fiefs tels que Mantoue, Montferrat, Florence, le vicariat de Piémont et ce que le duc de Ferrare tenait en l’Empire. Le prince ne pourrait demander aide aux feudataires impériaux que du su et consentement de l’empereur, excepté pour la défense de l’Italie et des royaumes et États que l’Espagne y possédait. Le roi se réservait de leur demander aide et assistance contre le Turc[651].

Des reversales de Philippe formaient le quatrième acte. Indépendamment de l’obligation qu’il contractait d’observer le contenu des lettres précédentes, il y promettait que, étant nommé au gouvernement de l’Italie, il porterait à Ferdinand « tout honneur, révérence et obéissance, comme roi des Romains était tenu de faire à un empereur, ou un lieutenant à son chef, et qu’il rendrait tout le meilleur devoir qu’il lui serait possible pour la bonne conduite et administration de ladite Italie en ce qui dépendait de l’Empire, et pour la maintenir sous l’autorité impériale etc.[652] »

Ces quatre actes étaient en français et écrits tout entiers de la main de la reine Marie; c’était Granvelle qui les avait conçus. La rédaction en avait été assez longuement débattue entre la reine et le roi Ferdinand et plusieurs fois modifiée.

Après que les parties contractantes y eurent apposé leurs signatures, Maximilien, qui jusque-là s’était tenu dans un coin de la chambre avec Granvelle, s’approchant de l’empereur et lui adressant la parole en langue espagnole, le supplia de croire qu’il n’avait fait de démarches, directes ni indirectes, auprès des électeurs, pour parvenir à la succession de l’Empire, et que s’il avait eu la volonté d’y parvenir, ce n’eût été que de son su et consentement; il le supplia, s’il avait eu de lui une opinion différente, de ue pas la conserver; il promit à l’empereur, ainsi qu’au prince d’Espagne, sur sa foi et honneur, non-seulement de n’apporter aucun empêchement, par lui ni par d’autres, à ce que ladite succession fût assurée au prince, mais encore d’y aider : se soumettant, s’il agissait autrement, à la punition de l’empereur; enfin il déclara se vouloir employer, toute sa vie, au service de l’empereur, comme son seigneur et père, et du prince, comme son bon seigneur et frère. Ce langage, dont il fut dressé acte[653], aurait eu de l’importance, si dans la bouche den l’archiduc il eût été spontané ; mais on a la preuve qu’il fut dicté à Maximilien par la reine de Hongrie[654].

Tous les arrangements étant terminés entre les deux branches de la maison d’Autriche, Ferdinand partit, le 10 mars, pour la Hongrie ; il fut suivi, le lendemain, par le roi de Bohême, et, quelques jours après, par ses deux autres fils, les archiducs Ferdinand et Charles. Le 7 avril la reine Marie retourna aux Pays-Bas. Philippe se mit en route le 25 mai, allant s’embarquer à Gênes, où devait le rejoindre Maximilien, qui avait à amener d’Espagne la reine sa femme[655]. Charles-Quint demeura à Augsbourg. Il y fit publier, le 13 avril, que les légats du pape étant en chemin pour venir à Trente, il requérait les protestants et tous autres de s’y trouver au jour où avait été indiquée l’ouverture du concile ; qu’ils pourraient franchement et librement y aller et demeurer, et, quand ils le voudraient, retourner chez eux ; qu’ils y seraient ouïs en leurs raisons ; que s’ils ne s’y trouvaient point et que des décrets fussent rendus en opposition à leurs doctrines, ils ne seraient pas admis à alléguer plus tard qu’on aurait refusé de les entendre ; enfin que ce que le concile déterminerait serait observé et mis à entière exécution[656].

La santé de Charles ne s’était pas améliorée pendant son séjour en Allemagne : depuis le commencement du mois d’août jusqu’à la fin de l’hiver il avait été presque constamment obligé de garder le lit ou la chambre, souffrant tantôt de flux de sang occasionnés par ses hémorrhoïdes, tantôt de la goutte, d’autres fois de l’asthme, qui était aussi une de ses maladies[657]. Il n’avait point pour cela négligé les affaires publiques ; mais il avait donné de rares audiences aux ambassadeurs, « assis en une chaise et ayant les pieds haussés et appuyés[658]. » On croyait que ces indispositions répétées lui auraient fait sentir la nécessité de mettre un frein à son intempérance, car celle-ci n’avait pas peu contribué à l’affaiblissement de sa constitution[659] ; on assurait même qu’il s’était décidé à suivre un autre régime de vie ; qu’il avait ordonné de réduire le nombre des plats à servir sur sa table ; qu’il s’abstiendrait dorénavant des mets qui lui étaient contraires[660]. Nous avons regret de le dire : le témoignage de Granvelle, mieux informé que tout autre sur ce point, ne concorde pas avec les propos qui se tenaient à Augsbourg dans le monde politique[661].

Le concile, qui causait à Charles-Quint tant de préoccupations, s’ouvrit à Trente au jour fixé, le 1er mai 1552, sous la présidence du cardinal Marcel Crescentio, légat du pape, assisté du cardinal de Siponte, que Jules III venait à cet effet de rappeler de sa nonciature à la cour impériale, et de l’évêque de Vérone[662]. La session suivante fut fixée au 1er septembre, afin que les prélats et les théologiens des divers pays catholiques, ainsi que les protestants, eussent le temps d’arriver. Jules III avait fait offrir à l’empereur, par le cardinal d’Imola, de se trouver en personne à Trente, si lui-même il voulait y être, afin qu’ils travaillassent ensemble à apaiser les différends religieux de l’Allemagne; il était disposé, dans cette vue, à consentir pour toujours la communion sous les deux espèces : Charles ne trouva point praticable la combinaison qui lui était proposée. Il nomma ses ambassadeurs auprès du concile, le comte Frédéric de Furstemberg, D. Francisco de Tolède, prieur de Roncevaux, et le comte de Monteagudo, auxquels la reine Marie adjoignit, pour représenter les Pays-Bas, le protonotaires Guillaume de Poitiers, chancelier de l’évêque de Liége[663].

Depuis l’avènement de Henri II à la couronne, les relations entre l’empereur et le monarque français étaient celles de deux princes qui, ayant peu de confiance l’un dans l’autre, s’observent mutuellement. Charles désirait, comme il l’avait toujours désirée, la paix avec la France; il évitait avec soin tout ce qui aurait pu donner à cette puissance des motifs de rupture. Henri II, de son côté, protestait et faisait protester par ses ambassadeurs de ses intentions pacifiques; mais ce langage n’était rien moins que sincère, quoique, à son arrivée à la cour impériale, Marillac eût déclaré, et par ordre exprès du connétable de Montmorency, que le règne du roi son maître serait tout différent de celui du feu roi; que sous ce règne ce qu’on affirmerait serait trouvé véritable : que le oui serait oui et le non serait non[664]. Henri en effet, jaloux de l’ascendant de l’empereur en Europe, ne cherchait qu’à lui susciter sous main des ennemis, et à allumer une guerre générale[665]; aussi s’empressa-t-il de saisir l’occasion qui lui fut offerte de prendre un nouveau pied en Italie. Paul III, après l’assassinat de son fils, Pierre-Louis Farnèse, avait résolu de réunir à la directe du saint-siége l’État de Parme; Octave, son petit-fils, y avait résisté. Jules III rendit d’abord le duché de Parme à Octave; mais plus tard il voulut le reprendre, pour le restituer à l’Église, et il proposa, en échange, à Farnèse le duché de Camerino. Octave alors invoqua le secours de la France; avec ses frères, les cardinaux Alexandre et Ranuce, et Horace, duc de Castro, qui devait épouser Diane, fille naturelle de Henri II, il se mit sous la protection du roi : par un traité signé le 27 mai 1551, Henri s’engagea à faire passer à Parme deux mille fantassins et deux cents chevaux; il promit de plus à Octave Farnèse un subside de douze mille écus par année[666].

A la première nouvelle des négociations des Farnèses en France, Jules III avait réclamé l’assistance de l’empereur : Charles, convaincu des dangers que l’occupation de Parme par les Français ferait courir à l’État de Milan, n’hésita pas à accueillir les demandes du pape. Il lui prêta deux cent mille écus pour les frais de la guerre; il ordonna à D. Ferrante Gonzaga, gouverneur du Milanais, de réunir ses forces aux troupes pontificales que commandait Gioan Battista del Monte, neveu de Jules; il mit à la disposition du saint-père les Italiens et les Espagnols qui occupaient Sienne sous les ordres de D. Diego Hurtado de Mendoza. Celui-ci s’empara sans peine de tout le duché de Castro[667] : mais Gonzaga et del Monte ne purent mettre obstacle à ce que les Français renforçassent les garnisons de la Mirandole et de Parme. Une chose assez bizarre, c’est que l’intervention de la France et de l’empereur dans la querelle du pape avec Octave Farnèse n’était pas envisagée comme une infraction à la paix de Crépy : la France prétendant n’agir qu’à titre d’alliée de Farnèse[668]; l’empereur soutenant que les feudataires de l’Empire en Italie qui n’obéissaient pas à son chef étaient formellement exceptés du traité[669].

Le rôle d’auxiliaire du duc de Parme ne pouvait longtemps suffire à Henri II, et il était impatient d’en venir à des mesures plus décisives. Déjà l’évêque d’Astorga, qui se rendait au concile, avait été, par ses ordres, ou tout au moins avec son assentiment, arrêté à Turin[670]; il avait fait saisir dans son royaume des navires et des biens appartenant aux sujets des Pays-Bas, et autorisé d’autres actes d’hostilité contre ces provinces[671] : il manda à Cossé-Brissac, gouverneur du Piémont, de commencer la guerre, sans la déclarer auparavant, foulant ainsi aux pieds les lois en usage chez toutes les nations civilisées. Le 2 septembre, dans la nuit, les Français, sortis de Turin, tentèrent de surprendre trois endroits différents : San Damiano de Montferrat, qui ne fit point de résistance ; Chieri, dont la garnison était sur ses gardes, et Cherasco, d’où ils furent repoussés avec perte[672]. Dans le même temps le baron de la Garde, un de leurs amiraux, capturait en pleine mer quarante-cinq navires belges chargés de marchandises d’une valeur de cinq cent mille écus[673]; les galères de Marseille s’emparaient à l’improviste, sur la côte de Catalogne, de plusieurs bâtiments qui étaient à l’ancre sans défiance aucune, et l’ambassadeur de France à Constantinople, d’Aramon, étant venu avec deux galères et une galiote se joindre à la flotte turque qui assiégeait Tripoli d’Afrique, dont l’ordre de Saint-Jean était en possession, déterminait le gouverneur, par ses pratiques, à rendre la place aux Musulmans, quoiqu’elle eût été battue pendant six jours à peine, et qu’elle n’eût pas eu encore à soutenir d’assaut[674]. Le 12 septembre le connétable de Montmorency fit savoir à l’ambassadeur impérial, Simon Renard, que sa mission avait pris fin[675]. Charles-Quint et la reine Marie congédierent, à leur tour, les sieurs de Marillac et de Basse-Fontaine. La déclaration de guerre fut publié dans les Pays-Bas le 26 septembre. Charles écrivit à la reine qu’il fallait faire « tout le pis que l’on pourrait à l’encontre des Français, la courtoisie et douceur dont on avait usé envers eux les ayant rendus plus insolents[676]. » La saison était toutefois trop avancée pour que, de l’une ou de l’autre part, on essayât de mettre à exécution, dans cette campagne, quelque entreprise importante.

On a vu que la diète avait laissé à l’empereur le soin d’aplanir les difficultés que rencontrait l’observation de l’intérim. Dans les derniers jours d’août, Charles donna l’ordre que les ministres luthériens qui étaient demeurés à Augsbourg, au nombre de dix, fussent examinés, l’un après l’autre, par des commissaires, au nombre desquels était l’évêque d’Arras. Si nous en croyons Granvelle, cet examen fit voir « que les ministres étaient tous dix d’opinions différentes et que plusieurs d’entre eux avaient été rebaptisés ; » les examinateurs trouvèrent de plus « qu’ils étaient ignorants et idiots comme des gens qui n’avaient aucune institution de lettres. » L’empereur les bannit d’Augsbourg et de l’Allemagne, après leur avoir fait prêter serment qu’ils ne rentreraient point dans la ville ni dans son district, ni ne traiteraient dorénavant avec les bourgeois, par lettres ou autrement, de choses concernant la religion. Le grand conseil de la cité approuva cette expulsion des prédicants, sans contradiction d’un seul des quatre cents membres dont il se composait[677]. Des mesures semblables furent prises dans plusieurs villes de la Souabe où une résistance sérieuse n’était pas à craindre[678]. En ce temps aussi Charles s’accorda avec le nouveau duc de Wurtemberg, Christophe[679], s’engageant à lui rendre les forteresses de son pays qui, depuis le traité d’Heilbronn, étaient occupées par des troupes espagnoles.

Avant de se séparer, Charles et Ferdinand étaient convenus des moyens qu’ils emploieraient afin de faire agréer des électeurs les arrangements conclus le 9 mars touchant la succession à l’empire. Ferdinand s’était chargé de négocier avec le duc Maurice et le marquis de Brandebourg, Charles avec les quatre électeurs du Rhin. Les lettres et les instructions des personnages à députer vers les électeurs devaient être écrites au nom de l’empereur et du roi des Romains conjointement et porter les signatures de l’un et de l’autre; il y aurait, outre des instructions générales, des instructions particulières appropriées à la situation et aux intérêts de chacun des princes qui formaient le collége électoral[680]. Les choses se passèrent ainsi que cela avait été réglé entre les deux frères. Ferdinand choisit, pour aller vers les électeurs de Brandebourg et de Saxe, le comte Albert de Schlick, son conseiller et sommelier de corps de Bohême; Charles envoya à l’électeur palatin le conseiller Gérard Veltwyck, aux archevêques de Mayence et de Cologne le vice-chancelier de l’Empire Seldt, et le seigneur de Lyere à l’archevêque de Trèves. Maurice et le marquis Joachim, qui s’étaient concertés, répondirent au comte de Schlick que, sans en avoir conféré avec leurs collègues, il leur était impossible de traiter une affaire d’une aussi haute, importance que celle de la succession à l’empire[681]. Charles comptait beaucoup sur l’électeur palatin; il espérait que son exemple entraînerait les autres électeurs du Rhin; la reine Marie, en retournant aux Pays-Bas, l’avait visité à Heidelberg, et n’avait rien néglige pour le disposer favorablement. L’attente de Charles fut déçue. Le comte Frédéric dit à Veltwyck qu’il avait toujours été et voulait demeurer toute sa vie serviteur de l’empereur, mais qu’avant de donner suite à ce qui lui était proposé, son serment l’obligeait d’en communiquer avec les électeurs ses collègues[682]. Seldt reçut de l’archevêque de Mayence[683] une réponse qui n’était pas plus satisfaisante : ce prince lui fit observer que l’affaire dont il venoit de l’entretenir touchait l’Empire en général; que par conséquent il convenait de la soumettre à une assemblée générale des états, ou du moins à une assemblée de tous les électeurs. Le vice-chancelier lui ayant demandé s’il croyait qu’une réunion de ceux-ci aurait l’effet désiré, il repartit franchement qu’il eu doutait, parce que le prince d’Espagne s’était rendu peu agréable aux Allemands et qu’ils ne voulaient point du gouvernement des Espagnols; il ajouta que, parmi les électeurs, il y en avait qui ne regardaient pas comme volontaire le consentement donné par le roi des Romains à la convention du 9 mars, et qui craignaient que plus tard ce monarque ne fît sentir son mécontentement à ceux qui l’auraient ratifiée; qu’on remarquait aussi que le roi de Bohême restait entièrement étranger aux négociations entamées avec les électeurs. L’archevêque de Cologne[684] s’excusa absolument de se prononcer jusqu’à ce qu’il eût consulté l’archevêque de Mayence, qui à ce moment était parti pour le concile[685]. Quelque temps après, ayant vu l’empereur lui-même à Augsbourg, il l’assura de son dévouement, rendit hommage à ses intentions toutes paternelles pour l’Allemagne, reconnut la force des raisons qui l’avaient déterminé à désirer que son fils succédât à la dignité impériale après le roi Ferdinand, mais allégua l’impossibilité où il était d’exprimer une opinion là-dessus, alors qu’il ignorait celle des princes qui composaient avec lui le collége électoral[686]. L’archevêque de Trèves[687] s’était déjà mis en route pour Trente, quand de Lyere arriva à Coblence, où il espérait le rencontrer[688]; l’envoyé de l’empereur lui écrivit afin de lui faire part de sa mission : la réponse de l’archevêque fut, en substance, la même que celle des autres électeurs[689]. Il était évident que ceux-ci s’étaient entendus[690]. En résultat, toutes ces négociations s’en allèrent en fumée, et les événements dont nous aurons à parler bientôt ne permirent plus de les reprendre. Charles-Quint put reconnaître alors le tort qu’il avait eu de mettre en avant des prétentions qui l’avaient rendu odieux aux Allemands, lui avaient aliéné l’affection des princes de sa famille, et n’avaient certainement pas été étrangères au soulèvement qu’il y eut contre lui dans la Germanie[691]. On peut dire que le projet auquel les actes du 9 mars 1551 donnèrent un commencement d’exécution fut la plus grande faute politique de son règne, et celle qui eut pour lui les conséquences les plus funestes.

Charles cependant ne pouvait pas prolonger plus longtemps son séjour à Augsbourg. Il allait être privé de ses troupes espagnoles qu’il devait retirer des forteresses du Wurtemberg et qu’il lui fallait faire passer en Italie, car il n’aurait pu les loger dans d’autres lieux de l’Allemagne sans provoquer les plus vives réclamations. Il n’avait à Augsbourg, outre sa maison, les deux compagnies d’hommes d’armes venues avec lui des Pays-Bas et la garde du duc Jean-Frédéric, que les quatre enseignes de lansquenets qui, depuis son arrivée, en formaient la garnison : or, ces forces n’étaient pas suffisantes pour garantir sa sûreté dans la situation où se trouvait la Germanie, et néanmoins elles étaient extrêmement à charge aux habitants, qui en faisaient des plaintes continuelles. Il avait eu d’abord le dessein de passer aux Pays-Bas[692] : les mouvements des Français en Italie étaient venus modifier ses résolutions. Aux Pays-Bas il aurait été bien loin pour pourvoir aux affaires de Parme et de la Lombardie; et puis si, comme le bruit en courait, le roi Henri franchissait les Alpes, il n’aurait pas voulu qu’on pût dire qu’il s’était éloigné à dessein du théâtre de la guerre; son intention était, au contraire, ce cas venant à se réaliser, de descendre lui-même en Italie pour combattre le monarque français. Il trouvait encore qu’en Flandre les nouvelles d’Espagne lui parviendraient tardivement ; que, s’il pouvait compter sur l’assistance de ses sujets des Pays-Bas pour la défense de ces provinces, il ne devait rien attendre d’eux pour une guerre offensive ; qu’il se verrait donc là dans l’impossibilité de donner secours à ceux qui viendraient lui en demander. Il considérait enfin que, s’il s’éloignait autant du lieu où siégeait le concile, il lui faudrait renoncer au fruit qu’il s’était promis de cette assemblée, car déjà elle ne montrait que trop de tiédeur pour les intérêts de la religion ; et le concile venant à se dissoudre, les choses iraient en confusion dans la Germanie. Toutes ces considérations[693] lui faisaient penser qu’Inspruck serait le lieu où il pourrait le plus convenablement s’établir : cependant, avant de se déterminer, il voulut prendre l’avis de Granvelle et de la reine Marie. Granvelle opina pour qu’il s’établît aux Pays-Bas[694]. Marie lui conseilla Worms ou Spjre, de préférence à Inspruck[695]. Charles, après avoir pesé les raisons de sa sœur et de son premier ministre, se décida pour Inspruck[696] ; le roi Ferdinand, à qui il en avait écrit, venait de mettre à sa disposition le palais de cette capitale. Le 20 octobre, ayant donné l’ordre aux Espagnols du Wurtemberg ainsi qu’aux lansquenets d’Augsbourg de prendre le chemin de l’Italie, il partit avec sa maison, les deux compagnies d’hommes d’armes des Pays-Bas et l’escorte du duc Jean-Frédéric ; il arriva à Inspruck le 2 novembre.

Il y était depuis une quinzaine de jours lorsqu’une ambassade des électeurs de Saxe et de Brandebourg, du roi de Danemark, de l’électeur palatin, des ducs de Wurtemberg et de Mecklembourg, du marquis Jean de Brandebourg et du marquis de Bade vint solliciter de lui la mise en liberté du landgrave, A son départ des Pays-Bas, il avait fait transférer Philippe de Hesse d’Audenarde à Malines, Cet infortuné prince, impatient de la captivité dans laquelle il languissait, n’avait qu’une pensée, et c’était d’en sortir par n’importe quels moyens[697] : il avait fait, dans ce but, à Audenarde, des tentatives qui étaient restées infructueuses ; à Malines, au mois de décembre 1550, il forma un nouveau projet d’évasion qui échoua comme les précédents[698]. Ces tentatives avortées avaient eu pour résultat de le faire resserrer davantage; la reine Marie aurait même voulu qu’il fût mené en Espagne, et elle le demanda à l’empereur. Lorsqu’il donna audience aux ambassadeurs, Charles savait que plusieurs des princes qui les avaient envoyés ne s’étaient associés que par complaisance à la démarche des électeurs de Brandebourg et de Saxe[699] : il leur dit que la demande qu’ils lui faisaient était de grande conséquence; qu’attendant sous peu de jours le duc de Saxe, il désirait, avant de prendre une résolution, en conférer avec lui; qu’ils pouvaient cependant retourner auprès de leurs maîtres, et les assurer qu’il leur témoignerait le cas qu’il faisait de leur recommandation[700].

Le moment est venu de parler de la conduite et des pratiques de Maurice de Saxe depuis que, au mois d’août 1550, ses commis à la diète s’étaient séparés des autres états sur la question du concile. Nous avons rapporté que Charles-Quint ne s’était point offensé de son opposition, et nous avons dit pourquoi : il s’était contenté d’écrire à l’électeur qu’il désirait sa présence à Augsbourg, ayant à traiter avec lui des choses d’un intérêt majeur. Maurice feignit de vouloir se rendre à cette invitation; il envoya même en avant une partie de son train : mais en même temps il lit avec adresse observer à l’empereur qu’au point où en étaient les opérations militaires contre Magdebourg, il pourrait être préférable qu’il joignît ses forces aux troupes du duc de Mecklembourg, qui assiégeait cette ville. Charles se laissa prendre au piége et n’insista point pour que l’électeur vînt le trouver[701]. A quelque temps de là, d’accord avec la diète, il nomma Maurice général de l’armée de l’Empire chargée de la réduction de Magdebourg. Nous n’avons pas à raconter ici les incidents de cette guerre ni de l’expédition que Maurice dirigea en personne contre les rebelles : disons seulement que, pendant l’hiver de 1550 à 1551, le siége fit peu de progrès; le général en chef ne paraissait pas pressé de soumettre la ville; pour l’exécution de ses desseins secrets, il avait besoin de tenir sur pied les troupes qui marchaient sous ses drapeaux.

Maurice écrivait fréquemment à Charles-Quint, et toutes ses lettres étaient pleines de témoignages de déférence pour le chef de l’Empire[702]. Charles fut averti cependant qu’il ne cachait pas son mécontentement de la détention prolongée de son beau-père; qu’autour de lui on parlait même d’aller de force délivrer le landgrave; qu’il levait des gens de guerre auxquels il faisait prêter serment de le servir contre tous sans exception[703] : Maurice venait de faire une chose qui lui était particulièrement désagréable, en choisissant, malgré tout ce qu’il lui avait écrit au contraire, le marquis Albert de Brandebourg pour son lieutenant[704]. Au mois d’août 1551, l’ambassadeur impérial en France, Simon Renard, apprit que des négociations secrètes étaient entamées entre le roi, l’électeur de Saxe et d’autres princes allemands; il sut que l’évêque de Bayonne, Jean de Fresse, était parti pour la Germanie avec la mission de les terminer; il s’empressa d’en instruire l’empereur[705]. Ce qu’on croira difficilement, c’est que des informations aussi graves et qui devaient éveiller toute l’attention de Charles et de ses ministres, les trouvèrent, pour ainsi dire, indifférents, tant elles leur parurent invraisemblables : l’empereur envoya néanmoins, afin de s’en éclaircir, des personnes de confiance en diverses parties de l’Allemagne; mais comme celles-ci ne parvinrent à rien découvrir, il demeura persuadé que la conspiration qui lui avait été signalée par son ambassadeur était imaginaire[706]. Des historiens ont, à ce sujet, prêté des propos ridicules à Granvelle; ils lui font dire qu’il n’était pas possible que des têtes allemandes, toujours prises de vin, conçussent des projets qu’il ne fût aisé de pénétrer[707]. La confiance de ce ministre et de son maître apposait sur d’autres motifs : ils ne jugeaient pas Maurice (l’événement montra combien ils se trompaient) capable de grandes entreprises; ils savaient que ses ressources financières étaient médiocres, que ses sujets de Saxe ne l’aimaient point; ils étaient convaincus surtout que la crainte de voir l’empereur mettre en liberté le duc Jean-Frédéric l’empêcherait toujours de se déclarer contre lui[708].

Le 5 octobre 1551, Maurice, en son nom et en ceux de Georges-Frédéric, marquis de Brandebourg, son pupille, de Jean-Albert, duc de Mecklembourg, et de Guillaume de Hesse, signa, avec l’évêque de Bayonne, muni des pleins pouvoirs du roi de France, un traité par lequel les parties contractantes s’engageaient à déclarer la guerre à l’empereur. Le soutien de la religion protestante, la liberté de l’Allemagne et la délivrance du landgrave Philippe étaient le but de leur alliance. Le roi s’obligeait à payer, avant le 25 février 1552, deux cent quarante mille écus, qui serviraient à couvrir les dépenses des trois premiers mois de la guerre, et chacun des mois suivants soixante mille écus. Les confédérés allemands lèveraient sept mille chevaux et autant de gens de pied qu’il serait jugé nécessaire; l’électeur Maurice aurait le commandement en chef de ces troupes. Il ne serait fait de paix ni de trève avec l’empereur que de commun accord. Le roi tâcherait de se saisir de Cambrai, de Metz, de Toul et de Verdun; il les garderait comme vicaire de l’Empire; en même temps il attaquerait les Pays-Bas. Maurice marcherait droit vers la personne de l’empereur. Lui et les princes pour lesquels il se portait fort promettaient, si le succès couronnait leur entreprise, d’aider le roi à recouvrer les seigneuries patrimoniales qu’il avait perdues, et même, au cas qu’il prétendît à l’empire, de favoriser son élection de tout leur pouvoir[709]. Le plus profond mystère enveloppa la conclusion de ce traité. Peu de temps après, Maurice amena la ville de Magdebourg à lui ouvrir ses portes, en accordant aux habitants des conditions plus favorables que celles auxquelles ils devaient s’attendre; il fit son entrée dans cette ville le 16 novembre, aux applaudissements de la population, qui le proclama son burgrave. Pour continuer à endormir l’empereur, il lui avait offert d’aller lui rendre compte des particularités du siége qui venait de finir[710]; Charles se laissa abuser par cette offre insidieuse : on a vu qu’il avait annoncé la prochaine arrivée de l’électeur de Saxe aux ambassadeurs envoyés vers lui pour réclamer la délivrance du landgrave. Une circonstance aurait dû pourtant faire naître la défiance dans son esprit : un des principaux ministres de Maurice, Christophe Carlowitz, écrivait à Granvelle que, si l’on désirait la présence de son maître, il fallait lui faire tenir un sauf-conduit. Cette démarche ne causa à Charles que de la surprise[711].

Maurice ne partit point pour Inspruck; il prétexta l’embarras où il était, faute d’argent pour licencier les gens de guerre qu’il avait sous sa charge[712]. Charles se paya encore de cette raison, malgré les observations de la reine Marie, à qui la conduite de l’électeur de Saxe était de plus en plus suspecte[713]. Il est vrai qu’il n’y avait aucune sorte d’artifices auxquels Maurice n’eût recours : le 30 decembre l’agent qu’il entretenait à la cour impériale déclara à Granvelle qu’il ne pouvait penser, comme on en semait le bruit dans la Germanie, que son maître voulût se déclarer contre l’empereur, et que, s’il manquait ainsi à son devoir, la plupart des nobles de son pays, et lui aussi, abandonneraient son service[714]. Maurice, dans le même temps, écrivait à l’empereur qu’il le suppliait ne vouloir croire le mauvais bruit « que ses ennemis faisaient courir de lui, et qu’il donnerait le contraire à connaître; » il lui annonçait son prochain départ pour Inspruck : telle était l’habileté avec laquelle il cachait ses desseins, que Lazare Swendy, envoyé à son camp pour le surveiller, était, tout le premier, persuadé de sa bonne foi[715]. Pourquoi dès lors Charles aurait-il manifesté du mécontentement contre l’électeur et contre les gens de guerre qu’il tenait réunis[716]? D’ailleurs, sans se faire illusion sur les dispositions peu favorables des Allemands à son égard et sur les dangers de la situation où il se trouvait[717]; sans se dissimuler l’ambition et l’humeur inquiète de Maurice, il persistait dans la fatale croyance que ce prince n’oserait se mettre à la tête d’une confédération contre lui[718]. Aussi il écrivit aux trois électeurs ecclésiastiques qui étaient à Trente, afin qu’ils ne s’effrayassent point des bruits qu’on faisait courir, et qu’ils demeurassent au concile[719]. Ce n’était pas qu’il attendit grand’chose de cette assemblée, voyant que non-seulement les protestants travaillaient de tout leur pouvoir à la rendre infructueuse, mais encore que le pape et ses ministres, et les électeurs ecclésiastiques eux-mêmes, qui tous redoutaient la reformation, n’y montraient pas la volonté qu’exigeaient les circonstances : toutefois il en souhaitait la continuation; il n’aurait pas voulu, si elle venait à se dissoudre, qu’on pût le lui imputer. Il était toujours animé du désir qu’elle eût pour la religion et la pacification de l’Allemagne les résultats qu’il s’en était promis, bien que ses ennemis prétendissent le contraire et que, s’il l’avait sollicitée, c’était en vue de ses intérêts particuliers et non du bien public[720].

Maurice cependant, ayant, à la fin de janvier, reçu des commissaires de l’Empire l’argent qui lui manquait pour le payement de ses troupes, ne put se dispenser de les licencier. Cette nouvelle remplit de satisfaction l’empereur, et ajouta à sa confiance. A la vérité l’électeur retenait à sa solde les ritmaîtres et les capitaines; mais Charles ne s’en émut point : « c’était ce que faisaient souvent les princes d’Allemagne; il y en avait même plusieurs qui s’y étaient ruinés[721]. » En vain la reine Marie lui écrivait coup sur coup que les actes et les paroles de Maurice n’étaient que « jeu et stratagème »; que ses promesses ne tendaient qu’à l’abuser[722]; en vain elle lui avait fait représenter par Granvelle, en lui transmettant les avertissements qui lui étaient parvenus, « qu’il valait mieux être trop crédule que par incrédulité s’exposer à être pris au dépourvu »[723]. Son aveuglement était invincible. Il ne trouvait décidément « rien de grave à reprendre dans la conduite du duc, et ne voyait pas avec quel fondement il pourrait procéder à l’encontre de lui[724]. » Une grande agitation se manifestait sur plusieurs points de l’Allemagne : il semblait l’ignorer, car il se berçait encore de l’espoir « que les choses prendraient bon train[725]. » Il faut tout dire. Le 5 février était arrivé à Inspruck un des conseillers de Maurice, annonçant qu’il précédait l’électeur, dont il était chargé de préparer le logement. Ce ministre protestait avec vivacité contre les rumeurs injurieuses à son maître qu’on répandait dans la Germanie; il assurait qu’aussitôt après la séparation de ses troupes, ce prince s’était mis en chemin pour le lieu où était l’empereur; qu’il n’était accompagné que de quarante chevaux; qu’il recevait fort mal ceux qui voulaient le dissuader de faire ce voyage, « leur disant pourquoi il ne viendrait vers son empereur, son seigneur et maître, n’ayant fait chose pour quoi il dût craindre de venir, et ayant reçu tant de bien et honneur de lui[726]. » Quelque extraordinaire qu’ait été l’aveuglement de Charles-Quint, on est porté à l’excuser lorsqu’on voit tous les artifices auxquels Maurice ne dédaigna pas de recourir.

Quelques jours a peine s’étaient écoulés que des avis certains envoyés de divers côtés à l’empereur vinrent dissiper les fatales illusions auxquelles il s’abandonnait, et ses yeux achevèrent de se dessiller à la réception d’une dépêche de la reine Marie[727] qui lui faisait passer des lettres du marquis Albert de Brandebourg interceptées par le maréchal de Gueldre. Ces lettres, auxquelles était jointe une commission pour la levée de gens de guerre qui s’obligeraient à servir le marquis et ceux de sa ligue contre tous leurs ennemis sans exception, faisaient connaître que le 27 mars était le jour fixé pour le rassemblement des forces destinées à agir en Allemagne contre l’empereur, Charles alors se réveilla de son assoupissement. Il écrivit aux villes principales et à plusieurs des princes de l’Empire, pour les détourner de prêter l’oreille aux pratiques des Français et des Allemands leurs alliés. Il envoya, dans le même but, le comte d’Eberstain à l’électeur palatin, à l’électeur de Trèves, revenu depuis peu du concile, et au duc de Wurtemberg. Il fit partir pour Trente Simon Renard, avec la mission d’informer les électeurs de Mayence et de Cologne de l’état de la Germanie et d’entendre leur avis sur les mesures qu’il convenait de prendre[728]. Il chargea le seigneur de Rye, son premier sommelier de corps, d’aller trouver le roi des Romains, afin qu’il se portât médiateur entre lui et les électeurs de Saxe et de Brandebourg; il autorisait Ferdinand à promettre à ces princes la délivrance du landgrave[729]. Le cardinal de Trente étant venu à Inspruck, il l’engagea à envoyer, comme de lui-même, au duc Maurice et au marquis Joachim le docteur Strauss, qui était un des principaux conseillers de l’électeur de Brandebourg; Strauss devait s’efforcer de persuader le duc de venir trouver l’empereur[730].

Ces mesures tardives ne purent parer aux dangers dont Charles était menacé[731]. En effet Maurice, qui avait pris le chemin d’Inspruck, comme il l’avait annoncé à l’empereur, s’arrêta tout à coup, prétextant que sa santé ébranlée souffrait de la rapidité du voyage; puis, jetant enfin le masque, il retourna vers la Thuringe, se mit à la tête des troupes que le duc Georges de Mecklembourg avait maintenues à sa solde, y joignit les Saxons qu’il avait licenciés quelques semaines auparavant, mais de façon à pouvoir les rassembler dès qu’il en aurait besoin, et avec ces forces il marcha aussitôt dans la direction de l’Allemagne méridionale. En même temps lui, le duc Jean-Albert de Mecklembourg et le landgrave Guillaume de Hesse publièrent un manifeste où ils exposaient les motifs qui leur faisaient prendre les armes; un second manifeste parut sous le nom du marquis Albert de Brandebourg, et le roi de France en publia également un. Dans ces trois écrits la conduite et les actes de Charles-Quint envers les villes et les États de l’Empire étaient vivement attaqués; Henri II rappelait l’ancienne alliance qui avait subsisté entre les nations française et germanique; il prenait le titre de protecteur des libertés de l’Allemagne. Par des marches rapides, Maurice s’avança vers le Danube; son armée se grossit, près de Schweinfurt, des troupes réunies par Guillaume de Hesse. Toutes les villes qui se trouvaient sur sa route lui ouvrirent leurs portes. Le 1er avril il se présenta devant Augsbourg, où il entra quatre jours après. Partout il rétablissait dans leurs charges les magistrats que l’empereur avait destitués, et remettait en possession des églises les ministres protestants qui en avaient été éloignés[732].

Il serait difficile d’exprimer l’étonnement, la consternation qui s’emparèrent de Charles-Quint, lorsqu’il apprit des événements auxquels il s’attendait si peu. Non-seulement il n’avait pas d’armée pour résister à ses ennemis, et pas d’argent pour en lever une, mais encore de tous les princes de l’Allemagne aucun ne se montrait disposé à le secourir[733] ; ajoutons à cela que, quoique l’hiver qui finissait l’eût moins mal traité que les précédents, ses forces diminuaient de jour en jour[734]. Il n’avait pas écouté les remontrances de Granvelle, qui le sollicitait de quitter Inspruck[735] ; maintenant il était obligé de reconnaître que, s’il y demeurait, il courrait le risque « d’être un matin pris en son lit »[736]. Sa situation était critique et son embarras extrême. Quelques semaines plus tôt, il eût pu aisément passer aux Pays-Bas ; cette entreprise était devenue des plus périlleuses depuis que les ennemis occupaient ou avaient à leur dévotion les lieux qu’il lui faudrait traverser. Les chemins de l’Autriche et de l’Italie lui restaient ouverts : mais le roi des Romains le dissuadait de prendre le premier ; sa retraite en Autriche aurait eu, selon Ferdinand, de graves inconvénients pour tous deux[737]. En Italie, où rien ne réclamait sa présence, son arrivée ressemblerait à une fuite, et sa réputation en recevrait une grave atteinte ; il ne trouverait pas d’ailleurs, dans cette province, les esprits moins agités qu’ils ne l’étaient en Allemagne, les désordres que ses troupes, mal payées, y commettaient, soulevant contre elles l’opinion publique ; il serait donc indubitablement contraint de se rendre en Espagne ; dès lors c’en était fait de son autorité dans l’Empire, et ses États des Pays-Bas, que le roi de France menaçait avec des forces considérables, se voyant délaissés par lui, s’abandonneraient au désespoir[738]. Dans cette extrémité, Charles, qui avait en perspective une grande honte ou un grand danger, ne balança point à préférer le danger à la honte, aimant mieux, suivant ses expressions, être traité de vieux fou que de se perdre, en ses vieux jours, sans faire ce qui était en lui pour y reremédier[739] : il résolut, sans consulter aucun de ses ministres, — car il était certain qu’ils s’efforceraient de l’en détourner — de tenter d’arriver aux Pays-Bas. « Si Dieu est servi de donner bonne issue à ce voyage, — écrivit-il à son frère — j’espère que ce sera le plus convenable ; s’il est servi du contraire, je serai plus consolé d’achever mes jours en mourant ou en captivité que de les prolonger en plus de repos et longue vie »[740]. Nobles paroles, que nous voudrions, — si quelque jour la Belgique, un peu prodigue de statues peut-être pour des célébrités contestables, songeait à en élever une au conquérant de Tunis, au vainqueur de Mühlberg, au prince qui eut la gloire de consommer la réunion des dix-sept provinces et qui plaça toujours les Belges, dans son affection, au-dessus de tous ses autres sujets, — que nous voudrions, disons-nous, voir graver sur le piédestal de cette statue.

Le 6 avril, entre onze heures et minuit, Charles sortit à cheval du palais; les seigneurs d’Andelot et de Rosemberg et quatre serviteurs formaient toute sa suite. Il laissa, en partant, une lettre pour les gentilshommes et les officiers de sa chambre où il leur recommandait le secret sur le voyage qu’il allait entreprendre, sans leur en dire le but; il en donna une autre à l’évêque d’Arras, contenant des instructions relatives à la gestion des affaires publiques pendant son absence; il remit en outre à ce ministre des lettres qu’il adressait au roi des Romains et à la reine douairière de Hongrie, pour les informer de la détermination qu’il avait prise, mais qui ne devaient leur être envoyées que lorsque le bruit de son départ d’Inspruck se serait divulgué[741]. Il comptait parvenir jusque près du lac de Constance par des chemins détournés que Rosemberg connaissait, et de là se diriger vers les Pays-Bas. Il marcha toute la nuit et la matinée du jour suivant. Après s’être reposé quelques heures dans une misérable ferme dépendant du village de Nasserit, à six lieues d’Inspruck, il remonta à cheval et atteignit le village de Bachlbach. Il y était de quelques instants à peine qu’y arriva le maître des postes Christophe de Tassis, venant d’Augsbourg, qu’il avait quitté la veille, et rapportant que, selon le bruit commun, le duc Maurice devait, la nuit suivante, mettre son armée en mouvement vers Landsberg et Füssen. Charles, pour poursuivre sa route, devait passer près de ce dernier endroit; les coureurs ennemis auraient pu aisément le surprendre; sa fatigue était extrême; l’essai qu’il venait de faire l’avait convaincu qu’il s’était abusé sur ses forces : il lui fallut donc, quelque chagrin qu’il en éprouvât, renoncer à son entreprise et retourner à Inspruck. Il rentra dans sa chambre sans qu’on s’en doutât plus qu’on ne s’était aperçu de son départ. Le secret fut si bien gardé que ce voyage resta ignoré du public. Le roi des Romains en eut connaissance seulement quand il vint à Inspruck, et ce fut l’empereur qui le lui apprit; la reine Marie elle-même n’en fut instruite que par une lettre que Charles lui écrivit à la fin du mois de mai. C’est cette lettre qui nous a fourni les détails qu’on vient de lire[742].

Ferdinand, aussitôt après avoir vu le Sr de Rye, avait écrit à l’électeur de Saxe, pour lui proposer une entrevue. Maurice lui répondit qu’il irait le trouver à Lintz le 4 avril[743]. A la cour impériale on supposa qu’il avait fait cette réponse pour gagner du temps, lorsqu’on le vit sommer Augsbourg et se refuser, sous le prétexte que les fils du landgrave n’y voulaient pas entendre, à un armistice que le roi des Romains lui avait également demandé[744] : il avait si souvent manqué à sa parole qu’on n’ajoutait plus foi à ce qu’il promettait[745]. Sur ces entrefaites, il envoya d’Augsbourg à Charles-Quint le colonel Hans Walter de Hiernheim, pour lui annoncer qu’il allait se rendre auprès du duc de Bavière, afin de conférer avec lui sur les ouvertures que le roi lui avait faites; cet envoyé devait aussi dire à l’empereur le sujet des plaintes qu’il avait contre lui, et qui étaient : la captivité du landgrave, l’oppression de ceux qui professaient la religion réformée, l’influence donnée à des étrangers dans le gouvernement de l’Allemagne, le livre publié par le commandeur D. Luis d’Avila y Çuñiga sur la guerre de 1546 et 1547[746]. A la suite de son entrevue avec Albert de Bavière, Maurice prit le chemin de Lintz, où il arriva le 18 avril[747]. Le duc Albert et l’évêque de Passau l’accompagnaient : son chancelier et son conseiller Carlowitz l’y avaient précédé[748]. Dans les conférences qui eurent lieu entre lui et Ferdinand, il déclara qu’il ne pouvait rien conclure sans ses confédérés. Il fut convenu en conséquence qu’une autre assemblée, où seraient convoqués tous les princes de l’Allemagne, se tiendrait à Passau le 26 mai. Le roi exprima le désir qu’une trève fût observée à compter du 11 du même mois et durât pendant tout le temps du congrès; Maurice ne s’y montra pas contraire, mais bientôt après il fit savoir à Ferdinand et à l’empereur que ses alliés consentaient seulement à ce que la trève commençât le jour de l’ouverture du congrès, pour prendre fin au 10 juin[749].

Le 8 mai il avait rejoint ses troupes, qui, sous la conduite de Guillaume de Hesse et de Jean-Albert de Mecklembourg, s’étaient portées sur Gundelfingen. Un projet hardi lui roulait dans la tête : il ne visait à rien moins qu’à surprendre l’empereur à Inspruck et à le faire prisonnier. Dans ce dessein, il mit aussitôt son armée en marche : il vint jusqu’à Füssen, dernière ville de la Bavière vers le Tyrol, sans qu’on soupçonnât le but de ses mouvements[750] : il avait soin de publier, sur son passage, qu’il prenait cette direction « pour avoir moyen d’entretenir ses gens et les accommoder de vivres[751]. » L’entrée du Tyrol de ce côté forme un défilé que défendait le château d’Ehrenberger-Klause[752]. Une douzaine d’enseignes d’infanterie allemande étaient chargées de la garde de ce château : comme elles s’y trouvaient mal à l’aise, elles commirent l’imprudence de camper dehors. Assaillies tout à coup avec impétuosité, le 19 mai, par les troupes de Maurice, elles furent mises en une complète déroute, et il n’y en eut qu’une partie qui put rentrer dans la place. Le château d’Ehrenberger, situé sur un rocher escarpé de toutes parts, était très-fort : il ne fit toutefois pas de résistance, les ennemis l’ayant attaqué par un point où la garnison se croyait à l’abri de tout danger, parce qu’elle le regardait comme inaccessible; mais les soldats de Maurice, ayant un berger pour guide, étaient parvenus à cet endroit, en grimpant au haut du rocher par un sentier inconnu[753].

Le roi des Romains se trouvait à Inspruck auprès de Charles-Quint; il y était venu afin de se concerter avec l’empereur sur les concessions qu’il pourrait faire aux confédérés à Passau, et sur les mesures que l’un et l’autre auraient à prendre, au cas que les négociations demeurassent sans résultat[754]. Charles, depuis quelque temps, songeait à rendre à la liberté Jean-Frédéric de Saxe, pour l’opposer à Maurice; c’était un moyen qui, mis en pratique plus tôt, aurait pu changer la face des affaires, car les peuples de la Saxe regrettaient toujour leur ancien souverain. Il en délibéra avec Ferdinand. Son frère s’étant rangé à son avis, il fit annoncer à Jean-Frédéric, par Granvelle[755], qu’il avait résolu de le mettre en liberté, à condition que, si les conférences qui allaient se tenir à Passau n’aboutissaient point à un accord, on aviserait aux secours à lui donner pour qu’il put rentrer en possession de l’électorat de Saxe, mais qu’il demeurerait obligé à observer le traité de Wittemberg, si un arrangement était conclu avec Maurice et ses alliés. Les choses en étaient là lorsque, dans la soirée du 19 mai, Charles reçut la nouvelle que les ennemis s’étaient emparés du château d’Ehrenberger. Ils pouvaient la nuit même arriver à Inspruck; la troupe qui avait été chargée de défendre l’entrée du Tyrol s’était dispersée après sa défaite; il ne fallait pas compter sur les gens du pays, que l’irruption imprévue des confédérés avait frappés de terreur; Charles n’avait autour de lui que les deux compagnies d’hommes d’armes des Pays-Bas, ses archers de corps, le peu d’Espagnols qui formaient la garde du duc Jean-Frédéric, et les gentilshommes de sa maison; il jugea, et ce fut aussi le sentiment du roi, qu’il n’avait pas un instant à perdre pour pourvoir à sa sûreté. Bientôt après les deux monarques quittèrent Inspruck[756], suivis de Jean-Frédéric, à qui il avait été déclaré qu’il était libre sur sa simple parole de ne s’éloigner de la cour qu’avec la permission de l’empereur, ainsi que des ambassadeurs étrangers, et escortés par les hommes d’armes, les archers, les soldats espagnols et les gentilshommes dont il est parlé plus haut. Ayant marché toute la nuit, ils arrivèrent le matin à Sterzing, au pied du Brenner. Ils continuèrent de cheminer ensemble jusqu’au 23 mai : ce jour-là ils se séparèrent, Ferdinand pour se rendre à Passau, Charles se dirigeant vers Villach en Carinthie[757]. Maurice était entré le 20 dans Inspruck. Désespéré de voir échapper sa proie au moment où il se flattait de la saisir, il avait poursuivi le cortége impérial jusqu’à quelques milles de distance; mais celui-ci avait trop d’avance pour qu’il pût l’atteindre, et il était revenu sur ses pas[758]. Tout ce que les personnes attachées à la maison de l’empereur avaient laissé de meubles et d’autres objets dut être livré par les bourgeois, sous peine d’être saccagés, et ce butin se partagea entre les soldats de Maurice. Les chefs s’emparèrent de la petite artillerie de Charles-Quint et de plusieurs pièces de canon qui étaient au duc d’Albe; ils se firent remettre aussi trois fauconneaux appartenants au roi des Romains. Les confédérés quittèrent bientôt après le Tyrol, mais non sans avoir rançonné les paysans, à qui ils enlevèrent leurs chevaux et leur bétail; ils pillèrent, en se retirant, un cloître où étaient les sépultures de plusieurs archiducs d' Autriche[759].

Charles, en ce moment, était hors d’état de se venger de l’audacieuse agression de l’électeur de Saxe[760]. Force lui fut donc de consentir à ce que son frère continuât les négociations qu’il avait entamées avec Maurice; mais il voulut se mettre en mesure de faire face à tous les événements. Il avait depuis peu reçu deux cent mille écus de Naples; il espérait que, par des subsides ou des emprunts, les Pays-Bas et l’Espagne lui fourniraient des secours importants : il ordonna la levée en Allemagne de sept régiments de gens de pied et de huit mille chevaux; il fit renforcer les garnisons de Francfort et de Ratisbonne : il venait de donner son accession à la trève que Jules III avait, le 29 avril, signée pour deux ans avec Henri II et Octave Farnèse[761]; il écrivit en Italie pour qu’on lui envoyât quatre mille hommes de troupes italiennes et deux mille Espagnols; enfin il appela d’Espagne le duc d’Albe, à qui, cette fois encore, il se proposait de confier le commandement de son armée.

Ferdinand arriva à Passau le 29 mai avec l’archevêque de Salzbourg; il y trouva Maurice de Saxe, les ducs de Bavière et de Mecklembourg, les évêques de Passau et d’Eichstædt, ainsi que des envoyés de l’électeur de Brandebourg, du marquis Jean son frère et de l’évêque de Würzbourg. Les jours suivants, des députés des quatre électeurs du Rhin, des ducs de Juliers et de Wurtemberg, du duc Henri de Brunswick, du duc Philippe de Poméranie, vinrent compléter la réunion des princes dont la médiation était réclamée pour le rétablissement de la paix entre l’empereur et les confédérés[762]; Charles-Quint avait chargé de le représenter auprès de cette assemblée le seigneur de Rye et le vice-chancelier Seldt. Le congrès s’ouvrit le 1er juin; l’ordre adopté pour les négociations fut celui-ci. Les princes présents et les députés des absents délibéraient entre eux sur les communications des deux parties; le roi des Romains les examinait de son côté; ils conféraient ensuite leurs opinions, et de ce dont ils étaient tombés d’accord ils en donnaient connaissance au duc Maurice et aux représentants de l’empereur[763]. L’évêque de Bayonne, ambassadeur de Henri II, accouru à Passau sous les auspices de l’électeur de Saxe, se flattait d’influencer les délibérations du congrès; il fut déçu de son attente : à la vérité, l’assemblée des princes lui donna audience le 3 juin, et il prononça devant elle un long discours où il exalta l’ancienne alliance de la France avec la Germanie; mais Ferdinand ne voulut pas le recevoir. Il quitta la ville bientôt après, très-mécontent du peu d’état qu’on avait fait de lui[764].

Dès l’ouverture du congrès, Maurice renouvela les demandes qu’il avait formées touchant la mise en liberté du landgrave, son beau-père, le droit pour les protestants d’exercer leur religion, le redressement des griefs de l’Allemagne contre le gouvernement de l’empereur, l’organisation de la chambre impériale, etc. Charles-Quint, dans les instructions données à ses envoyés et au roi des Eomains, avait sur ces différents points fait des concessions : mais elles n’étaient pas telles qu’elles pussent satisfaire l’électeur de Saxe, et Maurice n’entendait rien rabattre de ses prétentions; Ferdinand avait eu beaucoup de peine à obtenir de lui que l’armistice convenu pour le temps pendant lequel le congrès serait réuni fût quelque peu prolongé. La plupart des princes présents à Passau ou qui y étaient représentés voulaient la paix à tout prix : ceux dont les pays étaient particulièrement exposés aux attaques des confédérés, comme le duc de Bavière, l’archevêque de Salzbourg, l’évêque de Passau, les voyaient « totalement gâtés en trois jours, » au cas que les négociations aboutissent à une rupture[765]. Ces dispositions ne contribuèrent pas peu à accélérer le résultat des conférences. Le 19 juin les médiateurs arrêtèrent un projet de transaction qui devait être soumis par le roi Ferdinand à l’empereur et par l’électeur Maurice à ses alliés. Celui-ci partit le 24 pour le leur communiquer.

De tous les princes qui se trouvaient à Passau, il n’y en avait aucun qui désirât plus ardemment que le roi des Romains la cessation des troubles de l’Allemagne; il avait pour cela des motifs graves. Les Turcs venaient d’envahir la Hongrie avec des forces considérables; ils marchaient vers Temesvar et menaçaient la Transylvanie : Ferdinand n’avait que peu de troupes à leur opposer; l’argent lui manquait même pour leur solde. Si l’accord se faisait entre l’empereur et les confédérés, Maurice lui promettait d’aller au secours de la Hongrie avec toute son armée; les princes médiateurs lui faisaient espérer que l’Empire supporterait les frais de cette expédition : aussi il écrivit à son frère dans des termes pressants, afin de l’engager à accepter le traite sans aucun changement[766]. Le seigneur de Rye et le vice-chancelier Seldt partageaient à cet égard l’avis du roi, quoiqu’ils s’en exprimassent avec plus de réserve[767].

Entre autres stipulations, ce traité auquel Charles-Quint était sollicité de souscrire contenait que les protestants, relativement à l’exercice de leur religion, jouiraient d’une trève indéfinie; que sur les griefs de la nation allemande l’empereur se soumettrait à ce qui serait décidé par le roi des Romains, le roi de Bohême et les princes assemblés à Passau; que, s’il n’observait pas toutes les clauses du traité, les deux rois et les mêmes princes se déclareraient contre lui. Charles s’émerveilla qu’on prétendît lui imposer de telles conditions. Il était prêt à prendre l’engagement de se conduire, quant à la religion, suivant ce qui serait déterminé par la diète de l’Empire, qu’il convoquerait à bref délai, mais il ne voulait point aller au delà. « Combien que je ne sois en délibération de faire la guerre aux protestants, — répondit-il à son frère — ni en aurais à présent le moyen, je ne puis, comme qu’il soit, consentir la bride qu’en ce l’on me veut mettre, afin que je ne puisse jamais procurer le remède, pour être telle obligation contraire à celle que j’ai à mon devoir. Et vois assez que, la trêve devant durer soit qu’on s’accordât sur le différend de la religion ou non, je m’obligerais à comporter perpétuellement sans remède les hérésies, et il pourrait venir temps et occasion où ma conscience m’obligerait au contraire..... Et par ceci tomberait du tout par terre l’intérim et tout ce qui avec si grande peine et frais s’est fait au point de la religion, et se dérogerait, sans participation des états qui y ont intervenu, aux recez des deux dernières diètes : ce que je ne puis ni ne dois faire sans leur consentement, et même en chose qui tant leur importe. Et entends que ce qui s’altérera ou fera en ceci soit avec leur participation, puisqu’avec icelle il s’est déterminé, ni pour rien au monde consentirai-je chose qui soit contre mon devoir et ma conscience, même quand elle se promettrait en mon nom.... » A l’égard des griefs, il ne pouvait accepter le jugement de ceux à qui le traité en déférait la connaissance : si l’autorité impériale se devait perdre, il ne voulait pas que ce fût sous son règne et à son occasion; mais on le trouverait empressé à répondre, en la prochaine diète, à ce qu’on aurait à alléguer contre lui; à réformer volontairement et libéralement ce qui de sa part exigerait quelque réforme; à se justifier de ce dont on le chargerait à tort, de sorte que la nation allemande aurait lieu de se convaincre qu’il désirait le bien du saint-empire et le contentement des états de la Germanie plus que son intérêt particulier. Ferdinand s’était attaché à le persuader qu’il n’y aurait point de honte pour lui à pardonner les offenses dont il avait eu à se plaindre : « Je vous assure — lui réplique-t-il — que s’il n’y avait que la honte, je le passerais aisément pour procurer la pacification, et ne fis oncques difficulté de pardonner les injures qui m’ont été faites particulièrement, pour le bien public : mais le mal est qu’avec la honte, qui se pourrait bien avaler, il y a la charge de la conscience que je ne puis porter. Et aussi ne puis accepter que je vous aye, et notre fils le roi de Bohême, contraires à cause de non observer un traité qu’en bonne conscience je ne puis accepter. » En résumé, Charles, si l’on ne modifiait le traité, était résolu, plutôt que de charger sa conscience, d’aller chercher ses ennemis avec le peu de forces qu’il pourrait assembler, ou bien de quitter l’Allemagne et passer en Italie ou aux Pays-Bas. Ne voulant pas toutefois que pour lui son frère vînt à se perdre, il autorisait Ferdinand à accepter le traité en son nom, sous la réserve qu’il ne serait tenu de l’observer qu’en certains points, et qu’au préalable le roi et son fils Maximilien promettraient, par un acte signé de leurs mains, de ne se déclarer jamais, en aucun cas, l’un ni l’autre contre lui, nonobstant de qui serait stipulé à cet égard dans le traité[768].

Cette réponse mit Ferdinand dans un cruel embarras. Il ne voyait nulle apparence que les confédérés consentissent à faire un changement quelconque au traité, auquel tous venaient de donner leur adhésion; l’armistice était expiré; les médiateurs, redoutant la reprise des hostilités, protestaient que, si l’on ne s’accordait pas, ils seraient contraints de s’unir aux adversaires de l’empereur; ceux-ci donnaient à entendre qu’ils sommeraient le roi des Romains lui-même de se joindre à eux, sous la menace, en cas de refus, d’envahir et de ruiner ses États. D’un autre côté, les nouvelles de Hongrie et de Transylvanie étaient de plus en plus alarmantes; les Hongrois s’abandonnaient au désespoir, voyant qu’ils n’étaient pas secourus de l’Allemagne[769]. Dans ces circonstances, Ferdinand jugea qu’il ne lui restait d’autre parti à prendre que d’aller trouver l’empereur, et d’essayer de le faire revenir sur ses résolutions; il se mit en route le 6 juillet pour Villach.

Ce fut les larmes aux yeux qu’après avoir instruit son frère de tout ce qui s’était passé dans la négociation du traité, après lui avoir dépeint la situation des affaires publiques en général et des siennes en particulier, il le conjura, pour prévenir sa ruine et celle de ses enfants, d’accepter le traité tel qu’il était conçu. Charles lui dit que dans son intérêt il ferait toujours tout ce qui serait en son pouvoir, mais que, pour rien au monde, et quand tout se devrait perdre, et le sien et ce qui était à Ferdinand, il ne voudrait faire chose qui fût contre son devoir et sa conscience; que jamais il ne consentirait à la trève perpétuelle prétendue par les protestants, et qu’il aimerait mieux laisser le roi s’arranger avec eux. En ce qui concernait les griefs, il lui était impossible aussi de reconnaître pour juges et de mettre au-dessus de lui et de ses successeurs ceux qui devaient être gouvernés par eux. Il indiqua au roi les changements à apporter à ces deux articles, si l’on désirait qu’il les admît[770]. Il lui délivra en même temps un écrit où il l’autorisait, en cas de refus des confédérés, à signer le traité, promettant de le ratifier, à l’exception des deux articles susdits, et alors, comme il l’avait déjà annoncé, il se retirerait en Italie ou aux Pays-Bas jusqu’à la convocation de la prochaine diète[771]. Ferdinand reprit le chemin de Passau le 11 juillet. Charles quitta Villach deux jours après, se dirigeant vers Brixen. Le 17, à Lienz, il fut joint par le duc d’Albe, venant d’Espagne[772].

Dès le lendemain de son retour à Passau, Ferdinand communiqua à l’assemblée des princes les changements demandés par l’empereur aux stipulations du traité qui concernaient la religion et les griefs. Les nouvelles reçues de l’approche des troupes que Charles avait appelées d’Espagne et d’Italie, ainsi que des levées d’infanterie et de cavalerie qui se faisaient par ses ordres en Allemagne, avaient modifié l’esprit de cette assemblée : les médiateurs résolurent d’envoyer au duc Maurice et à ses alliés des députés, auxquels le roi adjoignit le comte de Plauen, son grand chancelier de Bohème, afin d’obtenir leur acquiescement aux désirs de l’empereur[773]. Cette ambassade se mit en route le 17 juillet[774]; elle trouva Maurice avec son armée devant Francfort. L’électeur fit d’abord quelque difficulté pour consentir à ce qu’on réclamait de lui; mais il finit par céder, et le jeune landgrave Guillaume de Hesse suivit son exemple. Le 2 août, à Passau, Ferdinand et les princes médiateurs prononcèrent sur les différends qui s’étaient élevés entre les confédérés et l’empereur. La transaction conçue par eux se composait de onze chapitres. Le premier portait que, le 11 ou le 12 août, les confédérés licencieraient tous leurs gens de guerre, ou les feraient passer au service du roi des Romains; que le landgrave de Hesse serait le même jour rendu sain et sauf à Rheinfels; qu’il pourrait achever les fortifications commencées de Cassel; qu’il serait sursis à toutes sentences rendues pendant sa détention en faveur des comtes de Nassau, jusqu’à ce qu’elles eussent été revues et examinées de nouveau par les électeurs qui n’y étaient point intéressés et de plus par six princes de l’Empire. Aux termes du chapitre II, l’empereur convoquerait, dans les six mois, une diète où l’on traiterait de la réunion d’un concile général ou national, ou d’une assemblée générale de l’Empire, afin d’assoupir les dissensions religieuses et de parvenir à une union véritablement chrétienne; au commencement de la diète, il serait fait choix de quelques personnes d'âge et d’un esprit conciliant, lesquelles délibéreraient sur les moyens d’établir cette réconciliation et concorde. Jusque-là les deux religions vivraient en paix, chacune conservant une entière liberté pour son culte. Ce que les états de l’Empire résoudraient avec l’empereur serait ensuite inviolablement observé. A la chambre impériale, les assesseurs et tous ceux qui auraient à prêter serment auraient la liberté de le faire à Dieu et à ses saints, ou à Dieu et sur les Évangiles. L’empereur serait prié d’admettre à faire partie de la chambre et du conseil aulique de l’Empire les protestants aussi bien que les catholiques. Le chapitre III était consacré aux libertés de la nation allemande. Comme l’empereur, y était-il dit, n’avait pas de connaissance de la plupart des plaintes formées relativement à des choses qu’on disait s’être passées dans l’Empire contrairement aux droits de la nation, et qu’il n’avait pu par conséquent donner d’instructions là-dessus à ses ambassadeurs, la décision de telles affaires était renvoyée à la diète prochaine ou à quelque autre assemblée de l’Empire. Le congrès avait reçu avec gratitude la promesse faite, au nom de l’empereur, qu’il composerait de conseillers allemands son conseil aulique, et ne ferait traiter que par des Allemands les affaires de l’Allemagne. Au surplus le roi des Romains, le roi Maximilien, les électeurs et les états de l’Empire mettraient sur le tapis les plaintes alléguées, les représenteraient à l’empereur, et feraient en sorte que toutes choses fussent résolues et traitées conformément à la bulle d’or, aux autres constitutions de l’Empire et aux louables et anciennes coutumes de la nation allemande. Quant aux intérêts particuliers du roi de France, son ambassasadeur pourrait, par l’intermédiaire de l’électeur de Saxe, proposer les demandes qu’il aurait à faire au roi des Romains et aux princes médiateurs, lesquels en référeraient à l’empereur. Les chapitres IV à VIII concernaient la sûreté et retour de ceux qui avaient été mis au ban de l’Empire; l’abrogation de toutes les actions et injures faites pendant la guerre; le comte palatin Othon-Henri, auquel l’empereur consentait à restituer le duché de Neubourg; une sûreté générale pour les gens de guerre; les débats qu’il y avait entre le duc Henri de Brunswick et les villes de Brunswick et de Goslar. Les chapitres IX et X étaient relatifs à l’assentiment que l’électeur de Saxe, le comte Othon-Henri, le duc Jean-Albert de Mecklembourg, le landgrave Guillaume de Hesse avaient donné au traité et à la ratification qui en serait requise de l’empereur. Dans le chapitre X il était stipulé que, si quelque « partie », présentement ou à l’avenir, procédait à l’encontre d’une autre partie par voie de fait, les rois des Romains et de Bohême, les électeurs et les princes de l’Empire donneraient secours et assistance à la partie attaquée et lésée[775].

Tel fut le fameux traité de Passau ou de la paix publique comme on l’appela en Allemagne. Les confédérés, satisfaisant à l’obligation qu’il leur imposait, ne tardèrent pas à licencier leurs troupes, à l’exception de celles que Maurice, suivant ce qu’il avait promis au roi des Romains, dirigea vers la Hongrie. De son côté, Charles donna des ordres, mais en les faisant un peu attendre, pour l’exécution de l’engagement qu’il avait contracté à l’égard du landgrave. Le 2 septembre, à Louvain, Philippe de Hesse fut rendu à la liberté[776]; en prenant congé de la reine Marie, loin de montrer quelque ressentiment de la captivité dans laquelle il avait été si longtemps retenu, il témoigna des dispositions toutes favorables au service de l’empereur[777]. Ce prince, qui avait été si remuant et si hardi, devint, après sa rentrée dans ses États, le plus pacifique des souverains de la Germanie.

Charles-Quint ne ratifia pas, sans beaucoup de répugnance, le traité de Passau[778]. De Brixen il était venu par Inspruck à Munich; il avait rencontré en chemin ses troupes espagnoles et italiennes; à Inspruck il avait, du consentement du roi, pris l’artillerie et les munitions qui lui étaient nécessaires : il trouva rassemblés dans les environs de Munich la plus grande partie des gens de pied et de cheval, ainsi que les pionniers, qu’il avait fait lever en Allemagne et en Bohême[779]. De cette capitale il se dirigea vers Augsbourg, où il rétablit dans leurs charges les gouverneurs que Maurice avait destitués, ordonnant en même temps qu’on expulsât de la ville trois ministres zwingliens et anabaptistes qui y étaient revenus malgré sa défense, et qu’on en fît sortir aussi les femmes et les enfants de ceux qui suivaient le parti du marquis Albert de Brandebourg[780]. Il s’arrêta à Augsbourg pour achever de mettre en ordre son armée, donner le temps aux commissaires des guerres de faire la revue des régiments, et pourvoir à la solde de ceux-ci[781]. Le jour qu’il en partit, le 1er septembre, il mit définitivement en liberté le duc Jean-Frédéric, sans lui imposer aucune condition, sans exiger de lui aucune assurance. Maurice avait fait beaucoup d’instances, fortement appuyées par le roi des Romains, pour qu’il le retînt au moins jusqu’à ce que lui, Maurice, fût de retour de Hongrie : Charles s’y refusa, ne voulant pas manquer à sa parole[782]. Pendant son séjour à Brixen, sans attendre la conclusion des négociations de Passau, il avait pris une mesure qui devait être particulièrement agréable à la nation germanique, car elle lui donnait satisfaction sur un point auquel elle attachait une extrême importance : il avait institué un conseil d’Allemands pour vaquer aux affaires de l’Empire. Il écrivit à cette occasion à son frère : « Afin que l’on voie que ce que je n’ai voulu faire jusqu’à présent, pendant que les adversaires avaient les armes au poing et que j’étais désarme, et afin qu’ils ne puissent dire de m’y avoir forcé, je le veux faire maintenant qu’ils sont loin et que je vais avoir mes forces ensemble[783]. » Il s’était propose de donner pour chef à ce conseil le cardinal de Trente; sur les observations du roi des Romains, il mit à sa tête l’électeur de Mayence[784].

La reine Marie le sollicitait vivement de s’approcher des Pays-Bas. Ces provinces avaient couru de grands dangers et subi des pertes importantes. Henri II, après s’être emparé de Metz, de Toul, de Nancy, et avoir tenté de surprendre Strasbourg, avait ramené son armée vers la Moselle ; il était entré dans le Luxembourg; Rodemacheren, Damvillers, Ivoix, Montmédy s’étaient rendus presque sans résistance[785]; les châteaux de Lummen et de Bouillon avaient aussi ouvert leurs portes aux Français[786]. Satisfait de ces conquêtes, Henri avait licencié son armée; mais les hostilités continuaient sur les frontières du Hainaut et de l’Artois, et ce n’était pas là les seules préoccupations de la reine régente : Albert de Brandebourg, qui n’avait pas voulu adhérer au traité de Passau, venait de passer le Rhin à la tête de vingt mille hommes; les habitants de Trèves l’avaient reçu dans leurs murs; on lui prêtait le dessein de tirer vers le Brabant, pour le mettre à contribution[787].

Charles, dont les vues s’accordaient avec le désir de sa sœur, dirige toutes ses forces vers Strasbourg, où elles traverseront le Rhin sur le pont qui y est construit. Il visite Ulm, voulant témoigner aux habitants sa gratitude de la fidélité et de l’attachement qu’ils lui ont montrés pendant la dernière guerre. Il y reçoit les plaintes des évêques de Mayence, de Spire, de Würzbourg, de Bamberg, qui avaient été obligés de traiter avec le marquis Albert à des conditions très-dures; il casse les traités qui leur ont été imposés, et les autorise, les exhorte même, à recouvrer, l’épée à la main, ce dont ils ont été dépouillés. Il annule également le traité que la ville de Nuremberg s’était vue réduite à conclure avec le marquis[788]. A Strasbourg, où jamais il n’était allé encore, il est reçu solennellement par le sénat, auquel il donne des éloges pour la fermeté et la constance dont cette ville a fait preuve à l’approche des Français. Son armée ayant gagné la rive gauche du Rhin, il lui fait prendre le chemin de Landau par les Vosges et le duché de Deux-Ponts, tandis que l’artillerie descend le fleuve jusqu’à Coblence, pour remonter ensuite la Moselle. Une attaque de goutte le force de s’arrêter à Landau une quinzaine de jours. Pendant ce temps le duc d’Albe, qu’il a fait son capitaine général, se met en marche avec l’infanterie espagnole et italienne, deux régiments de lansquenets, la cavalerie légère et une partie de la cavalerie allemande[789]; le 16 octobre, le seigneur de Boussu, que la reine Marie envoyait au duc, le joint avec le régiment d’infanterie du comte d’Arenberg, quatre des compagnies d’ordonnance des Pays-Bas et trois mille chevaux de Holstein[790]; il arrive devant Metz le 19.

Charles-Quint avait résolu le siége de cette ville impériale : il se flattait de s’en rendre maître et de recouvrer par-là, dans la Germanie, le prestige que sa fuite d’Inspruck lui avait fait perdre. Un autre motif encore l’avait déterminé : Metz tombé en son pouvoir, il ne lui serait pas difficile de chasser les Français de la Lorraine et de rétablir dans le gouvernement de ce pays la duchesse Christine, sa nièce, qu’Henri II en avait dépossédée. La reine Marie, consultée par lui sur cette entreprise, l’avait hautement approuvée[791]. En France on s’y était attendu. Dès le 17 août François de Lorraine, duc de Guise, était venu s’enfermer dans Metz, dont la garnison avait été considérablement renforcée; il y avait été suivi de la fleur de la noblesse française, jalouse de se distinguer sous les yeux d’un capitaine aussi renommé. Cette ville, lorsqu’Henri II l’avait réduite en son pouvoir, était à peine fortifiée; les deux rivières qui l’entouraient, la Moselle et la Seille, lui tenaient lieu de remparts; dans l’espace qui les séparait, elle était couverte, entre l’occident et le midi, par un grand bastion. Les Français réparèrent l’enceinte, délabrée en plusieurs endroits, approfondirent les fossés, ajoutèrent aux fortifications naturelles de la place. L’arrivée du duc de Guise fut le signal d’une série de mesures qui devaient mieux encore en assurer la défense; par ses ordres un grand nombre d’habitations, plusieurs abbayes, sept églises, furent démolies, dont les matériaux servirent à élever, derrière le mur d’enceinte, des terrassements et de larges remparts; les faubourgs, les maisons de plaisance, les bâtiments des environs furent livrés aux flammes; on convertit les voûtes des églises en plates-formes recouvertes de balles de laine et armées d’une nombreuse artillerie, battant les hauteurs qui entouraient la ville; au moyen des réquisitions faites aux habitants des villages voisins, l’approvisionnement de la place fut assuré pour une année. Tous les citoyens furent contraints de travailler en personne aux fortifications, et Guise leur en donna l’exemple. Quand cette œuvre fut terminée, il fit sortir de la ville les vieillards, les femmes, les enfants et tous ceux sur le dévouement desquels il ne croyait pas pouvoir compter[792].

Ni l’empereur, ni ses généraux, ne s’étaient figuré que Metz leur opposerait des moyens de défense aussi formidables. Lorsque, par des prisonniers faits, le 21 octobre, dans une reconnaissance des abords de la place, on sut, au camp impérial, comme elle était fortifiée et avitaillée, et le nombre des troupes ainsi que des volontaires qui la gardaient, plus d’un des chefs de l’armée exprima des doutes sur la possibilité de la prendre : « Je n’ai jamais vu » — écrivit le seigneur de Boussu à la reine Marie — « je n’ai jamais vu homme qui ait vu ni ouï dire que villes ainsi munies soient été prises par force, et n’ai point aussi ouï dire qu’il se soit trouvé par écrit[793]. » Mais l’armée de l’empereur était l’une des plus belles qu’il eût formées depuis son avènement au trône : après l’avoir amenée de si loin et à de si grands frais, n’aurait-il pas été humiliant de la licencier sans qu’elle eût tenté quelque entreprise notable? or la saison était trop avancée pour qu’on pût songer à la faire entrer en France. Il fallait donc (et sur ce point Charles adopta le sentiment du duc d’Albe) poursuivre ce qu’on avait commencé. En ce moment d’ailleurs le duc était en négociation avec le marquis Albert, pour l’attirer au service de l’empereur, et s’il y réussissait, il lui semblait qu’on pouvait concevoir la plus grande espérance d’une issue favorable du siége[794]. Albert avait des griefs contre les Français, qui lui avaient refusé l’entrée de Metz; il prêta l’oreille aux propositions des agents impériaux, et un traité secret fut conclu entre lui et le duc d’Albe par lequel il s’engageait à joindre toutes ses forces à l’armée impériale, à condition que l’empereur le reçût en sa grâce, lui promît l’oubli du passé et confirmât les arrangements qu’il avait faits avec les évêques de Bamberg et de Würzbourg, arrangements dont l’empereur, le mois précédent, avait décrété l’annulation. Charles ratifia ce traité le 24 octobre[795]. Si secrète qu’eût été tenue la négociation, elle avait excité les soupçons des Français, et le duc d’Aumale, frère du duc de Guise, avec un nombreux corps de cavalerie, surveillait les mouvements d’Albert, prêt à tomber sur lui à la première opportunité. Le 4 novembre, l’infanterie du marquis, à laquelle il était dû deux mois de solde, s’étant mutinée, d’Aumale voulut profiter de la circonstance; mais Albert chargea si vigoureusement les Français qu’il les mit en déroute, leur tua deux à trois cents hommes et leur fit un nombre égal de prisonniers, parmi lesquels était d’Aumale lui-même. Huit jours après, il venait renforcer le camp devant Metz de quinze mille hommes d’infanterie, deux mille chevaux, quarante pièces d’artillerie et deux mille quintaux de poudre[796].

Un mois s’était écoulé depuis le commencement des opérations du siége, sans qu’elles eussent eu de résultat marquant. Charles-Quint n’était point à la tête de son armée; une seconde attaque de goutte l’avait obligé d’aller s’établir à Thionville. Le 18 novembre, se trouvant en état de supporter les fatigues du camp, il monte à cheval afin de s’y rendre; il arrive de bonne heure, le 20, au quartier général du duc d’Albe, où il est salué d’acclamations enthousiastes, qu’accompagne une décharge générale de l’artillerie contre la ville. L’inspection des tranchées et des batteries lui donne lieu de reconnaître que certaines dispositions faites par ses généraux n’ont pas été bien entendues; il les rectifie et les complète. La tranchée est ouverte sur plusieurs points qui avaient été négligés; de nouvelles batteries sont dressées; une canonnade terrible est dirigée contre les ouvrages de la place; elle fait brèche en différents endroits; la présence de l’empereur inspirait à ses troupes une ardeur extrême. Mais Charles avait affaire à un ennemi qui ne lui cédait ni en activité ni en énergie : derrière les murailles que démolissait l’artillerie impériale il s’en élevait d’autres comme par enchantement. Bientôt des pluies arrivent qui détrempent le sol; la gelée, la neige leur succèdent; le froid devient insupportable aux soldats, qui manquent de chauffage. Dans ces circonstances, Charles assemble un conseil qu’il appelle à délibérer sur la question de savoir si le siége sera abandonné ou si on le continuera : Granvelle et le marquis de Marignan opinent pour que l’armée se retire; le duc d’Albe émet un avis opposé, et c’est malheureusement à celui-là que se range l’empereur[797]. De nouveaux efforts sont faits pour abattre les défenses de la place; ils demeurent infructueux comme les précédents. La saison était de plus en plus rigoureuse; l’armée se fondait à vue d’œil, vaincue par le froid, par les maladies, par les désertions. Charles, reconnaissant enfin son erreur, prend la résolution de renoncer à une entreprise qui lui a coûté des milliers d’hommes[798]; le 1er janvier 1553, après avoir donné ses ordres pour la levée du siége, il retourne à Thionville. Le même jour, l’armée commence son mouvement de retraite, qui s’opère sans que les assiégés y mettent obstacle. Tandis qu’une partie en est dirigée vers les lieux où elle doit prendre ses quartiers d’hiver, une autre partie en est licenciée : l’empereur ne conserve à sa solde que vingt-six enseignes de Hauts-Allemands, mille reîtres, les chevau-légers et les vieilles bandes espagnoles. Albert de Brandebourg regagne l’Allemagne le 5 janvier.

De Thionville, Charles était venu, le 18, à Luxembourg. Il comptait ne s’y arrêter que vingt-quatre heures : la goutte l’y surprend et l’y retient jusque vers la fin du mois[799]. Il arrive, le 5 février, à Bruxelles, où il est reçu avec de grands transports d’allégresse[800]. Les états généraux, que la reine régente avait convoqués par son ordre, l’attendaient dans cette capitale; il les assemble le 13 en sa présence. Dans la proposition dont il leur fait donner lecture, il les remercie d’abord du concours qu’ils ont prêté à son gouvernement au milieu des circonstances difficiles où le pays s’est trouvé; « se démontrant en ce bons, loyaux et affectionnés sujets, tels qu’il les a toujours trouvés et connus; » il livre ensuite à leur appréciation la conduite du roi de France, qui, sous couleur d’amitié, a occupé une partie des États du duc de Lorraine; qui a circonvenu plusieurs villes du saint-empire pour s’en impatroniser et les soumettre à la cruelle servitude en laquelle il tient son royaume; qui a suscité contre lui plusieurs des princes de la Germanie; qui, non content de tout cela, s’est montré l’ennemi mortel de la chrétienté, en sollicitant le Turc d’envoyer son armée de mer contre l’Italie et de faire attaquer la Hongrie et la Transylvanie par son armée de terre. Il rappelle que, lorsque les Pays-Bas se virent menacés des Français, il voulut y accourir pour les défendre, mais que les « forces corporelles » lui manquèrent et qu’il fut obligé de retourner sur ses pas. Il déduit les raisons qui l’ont engagé à mettre le siége devant Metz. Il dit que, s’il a renoncé à cette entreprise, c’est que « le temps et la saison ont été si rudes et contraires que tous les jours défaillaient les gens, pour non pouvoir comporter, en temps si froid, les guets qu’il fallait faire de tous côtés. » Il termine par un appel pathétique au patriotisme et au dévouement des états[801]. Le lendemain la reine réunit les députations des provinces séparément, et leur demanda des subsides dont le chiffre total s’élevait à trois millions de florins : cette somme fut en grande partie accordée.

L’année 1552 avait été la plus malheureuse du règne de Charles-Quint. En Allemagne il s’était vu réduit à fuir devant ses ennemis; il avait été forcé de souscrire à un traité qui renversait tout l’édifice, si laborieusement élevé, de son pouvoir; il avait échoué dans son entreprise pour faire rentrer l’Empire en possession des territoires qu’Henri II lui avait enlevés. Aux Pays-Bas les Français restaient maîtres des places dont ils s’étaient emparés au début de la campagne; la seule conquête que les généraux de l’empereur eussent faite sur eux, celle de Hesdin, ils n’avaient pu la conserver. En Italie, Sienne, fatiguée des exactions des soldats espagnols qui la gardaient et des insolences de leur chef, D. Diego Hurtado de Mendoza, les avait chassés; elle avait appelé les Français à son aide. Charles ressentait vivement ces disgrâces : il ne s’en laissait point abattre toutefois; énergiquement secondé par la reine Marie, il se disposa à rétablir l’honneur de ses armes dans la campagne qui allait s’ouvrir. Tandis que la cour de France, le croyant incapable de rien tenter de sérieux, ne s’occupait que de festins, de bals, de tournois, pour le mariage de Diane, fille naturelle de Henri II, avec Horace Farnèse, ses troupes parurent tout à coup devant Thérouanne qu’elles investirent (30 avril) : c’était une des plus fortes places du royaume du côté des Pays-Bas, François Ier avait coutume de dire qu’elle était un des deux oreillers sur lesquels les rois de France pouvaient dormir en paix. Les opérations du siége furent conduites par Pontus de Lalaing, seigneur de Bugnicourt, l’un des plus vaillants hommes de guerre que comptât l’armée belge. Les Français avaient réussi à introduire des secours dans la place; François de Montmorency, fils du connétable, et d’Essé de Montalembert, qui s’était distingué dans les guerres d’Ecosse, étaient à la tête des assiégés. Un premier assaut donné sans succès, le 12 juin, par Lalaing, lui coûta beaucoup de monde; les assiégés aussi firent des pertes considérables, parmi lesquelles celle de d’Essé leur fut surtout sensible. Le 18 Lalaing, ayant renouvelé l’attaque, emporta tous les ouvrages extérieurs : deux jours après Montmorency offrit de capituler. Tandis qu’on parlementait, les soldats impériaux montèrent d’eux-mêmes à l’assaut et se répandirent dans la ville, massacrant tout ce qui se présentait devant eux. Les Belges ne firent de quartier à personne : les Artésiens et les Flamands avaient une haine particulière pour les habitants de Thérouanne, à cause des brigandages que ceux-ci exerçaient fréquemment contre eux. Les Espagnols reçurent à rançon François de Montmorency avec un petit nombre de gentilshommes. La ville fut pillée, livrée aux flammes et bientôt après entièrement démolie; les états de Flandre votèrent un subside pour sa démolition[802].

Au moment où se rallumaient les fureurs de la guerre, Jules III, qui déjà l’année précedente avait fait des tentatives dans le but de réconcilier l’empereur et le roi de France, leur envoya des légats chargés de leur représenter le besoin que les peuples de la chrétienté avaient de la paix, et de leur offrir sa médiation, s’ils voulaient y entendre : il avait choisi, pour aller vers Henri II, le cardinal de Saint-Georges, Jérôme de Capiteferreo, et Hieronymo Dandino, cardinal d’Imola, pour négocier avec Charles-Quint. Dandino arriva à Bruxelles le 15 mai. L’empereur avait été souffrant pendant tout l’hiver; il l’était encore et ne recevait personne : la reine Marie elle-même et ses principaux ministres avaient beaucoup de peine à le voir à d’assez longs intervalles[803]; ce fut seulement le 9 juin qu’il put donner audience au légat. Dandino le trouva dans une petite chambre, assis sur une chaise très-basse, les jambes supportées par un tabouret de la même hauteur à peu près que la chaise[804]. Invité à s’asseoir auprès de lui, il lui exposa l’objet de sa mission. Il savait, par des lettres du cardinal de saint-Georges, les dispositions de Henri II ainsi que du connétable de Montmorency; il en donna connaissance à l’empereur. La cour de France assurait qu’elle était animée des intentions les plus pacifiques; mais elle ne se montrait prête à restituer aucune des places qu’elle avait conquises depuis le commencement de la guerre, à moins qu’il ne fut fait droit à ses anciennes prétentions sur le duché de Milan, le royaume de Naples, la suzeraineté de la Flandre et de l’Artois; elle entendait aussi rester en possession de Metz et de Toul[805]. Charles répondit au légat, en rendant grâces au souverain pontife de la sollicitude qu’il témoignait pour le bien de la chrétienté, qu’il se voyait manifestement que le roi Henri suivait les vestiges de son père, puisqu’il voulait remettre en question des choses depuis longtemps décidées par des traités solennels; que ce roi avait usé à son égard des procédés les plus indignes, soulevant ses sujets et envahissant ses pays patrimoniaux; qu’il n’avait eu aucun scrupule d’appeler les Turcs et de s’allier avec eux, quoiqu’il fît profession d’être chrétien et se fît appeler roi très-chrétien[806]; qu’il n’y avait pas d’accommodement avec lui sur lequel on pût se fier; que par conséquent il aimait mieux continuer la guerre, car il ne perdait rien en la continuant, et s’il venait à perdre, il le supporterait avec plus de patience qu’en se voyant assassiné au moment où il devait le moins s’y attendre[807]. Il permit toutefois que le légat communiquât plus particulièrement avec l’évêque d’Arras de ce que le cardinal de Saint-Georges lui avait écrit. Le reste de l’entrevue, se passa en compliments. Le cardinal d’Imola, on se le rappelle, avait été envoyé à Charles-Quint en 1551; dans la dépêche où il rend compte au pape de l’audience qui vient de lui être accordée, il dit qu’il a trouvé peu de différence entre l’état actuel de l’empereur et celui où il le laissa à Augsbourg; que, s’il y en a une, elle est plutôt à son avantage; qu’à la vérité une certaine pâleur est empreinte sur ses traits, mais qu’il y a longtemps déjà qu’on la remarque; que, du reste, il écoute et il parle avec autant d’attention et de gravité qu’il l’a jamais fait[808]. Et il ajoute dans un billet en chiffres joint à sa dépêche : « Selon mon jugement, ceux qui comptent sur la mort prochaine dé l’empereur s’abusent, à moins que Dieu n’en ait autrement disposé, et que Sa Majesté, par des excès de bouche auxquels on dit qu’elle s’abandonne souvent, et par l’usage d’aliments malsains, ne donne lieu elle-même à quelque accident soudain[809]. »

Le 10 juin le légat conféra avec l’évêque d’Arras sur les propositions envoyées par le cardinal de Saint-Georges. Granvelle lui dit, après les avoir examinées, qu’il les regardait comme inadmissibles; que si une paix honorable et sûre se pouvait faire, l’empereur y donnerait les mains avec empressement, mais que, plutôt que de consentir à quelque chose qui fût indigne de lui, Sa Sainteté et tout le monde devaient être certains qu’il mangerait de la terre et vendrait tout ce qu’il possédait; que, si ses sujets pâtissaient, il pâtirait avec eux, et qu’ils se consoleraient en se convainquant que la faute ne lui en pouvait être imputée[810]. Le lendemain Charles assembla son conseil[811]; à la suite d’une mûre délibération, il fut résolu de s’en tenir à ce que l’empereur avait dit de sa bouche au légat[812].

Il était évident que des négociations ultérieures n’aboutiraient à rien, ni l’un ni l’autre des deux monarques rivaux n’étant disposé à faire des concessions, et chacun d’eux comptant sur le succès de ses armes pour dicter la loi à son adversaire. Cependant Jules III, de l’avis du sacré collége, voulut que les cardinaux de Saint-Georges et d’Imola continuassent leurs démarches en faveur de la paix; il les engagea même à se porter, précédés de leur croix, au milieu des armées belligérantes, afin de les séparer : invitation qui fit beaucoup rire Charles-Quint, lorsqu’on l’en instruisit[813]. Mais, ayant enfin reconnu que les choses n’étaient pas mûres pour le rétablissement de la concorde qui était l’objet de ses vœux, le pape rappela ses légats[814].

Après la conquête de Thérouaune, l’armée impériale avait marché à Hesdin. Charles-Quint venait de mettre à sa tête (22 juin 1553) le prince de Piémont, Emmanuel-Philibert, voulant, par le choix d’un chef de si haute naissance, faire cesser la rivalité de ses généraux, qui plus d’une fois avait été préjudiciable à son service. Emmanuel-Philibert ne comptait que vingt-cinq ans; mais déjà, dans la guerre contre les protestants d’Allemagne, il avait montré une bravoure et des talents militaires qui lui avaient gagné la confiance du soldat, et depuis toutes ses actions avaient confirmé la bonne opinion qu’il avait fait concevoir de lui. Hesdin fut promptement investi; la garnison, dès les premiers jours, se retira dans le château, dont les impériaux commencèrent immédiatement le siége. Le 18 juillet Robert de La Marck, duc de Bouillon, à qui la défense de la place avait été confiée, battit la chamade. Les termes de la capitulation venaient d’être arrêtés lorsqu’une explosion terrible, produite par un accident, coûta la vie à un certain nombre de Français et d’Impériaux. Ceux-ci, croyant à une violation de l’armistice, mirent le feu aux mines qu’ils avaient préparées et qui renversèrent une partie du château; alors ils y pénétrèrent, mettant à mort la plupart de ses défenseurs. En vain La Marck invoqua la capitulation; il fut fait prisonnier avec une foule d’autres gentilshommes. Horace Farnèse et beaucoup de Français de marque furent tués. Hesdin eut le sort de Thérouanne; on le rasa[815]. Les nouveaux succès des armes impériales causèrent dans tous les Pays-Bas une vive satisfaction : aussi Charles-Quint ayant, le 7 et le 13 août, appelé à Bruxelles des députés des états des provinces, pour leur demander les moyens d’entretenir ses troupes pendant le reste de l’année[816], cette demande fut-elle accordée par eux avec empressement.

L’attention de Charles en ce temps-là se partageait entre les opérations de son armée en France et les événements dont l’Allemagne et l’Angleterre étaient le théâtre. Albert de Brandebourg, après son retour dans la Germanie, se prévalant de la confirmation donnée par l’empereur aux traités qu’il avait conclus avec les évêques de Wurzbourg et de Bamberg, avait réclamé l’exécution de ces traités; les évêques avaient pris leur recours à la chambre impériale; celle-ci avait requis les princes leurs voisins de les secourir. Des conférences auxquelles, par ordre de l’empereur, assistèrent les ducs de Bavière, de Wurtemberg et de Clèves, se tinrent à Heidelberg, pour tâcher de concilier les parties; elles n’eurent pas de résultat : les évêques offraient d’assez grosses sommes, mais Albert exigeait la pleine et entière exécution des traités. La chambre impériale, par un nouveau décret, ordonna à l’électeur de Mayence, à l’électeur palatin, au duc Maurice, au grand maître de l’ordre Teutonique, au duc de Wurtemberg, au landgrave de Hesse, au duc Jean-Frédéric de Saxe, de protéger les évêques contre les entreprises du marquis de Brandebourg. Albert n’en envahit pas moins les deux évêchés et le territoire de la ville de Nuremberg, sur lesquels il porta le fer et le feu; il s’empara de Bamberg, déclara la guerre à la noblesse de Franconie, prit Schweinfurt, ville impériale, et plusieurs autres places. De nouvelles conférences s’ouvrirent à Francfort, à l’intervention des électeurs palatins et de Mayence, des envoyés des ducs de Bavière et de Wurtemberg et de trois ambassadeurs impériaux; elles furent infructueuses comme les précédentes. Albert, après avoir levé de fortes contributions sur les places qu’il avait conquises, passa en Saxe, d’où il alla se jeter sur les terres du duc Henri de Brunswick[817]. L’opinion commune dans la Germanie était que l’empereur favorisait sous main les entreprises d’Albert, pour affaiblir l’Allemagne et l’obliger à se jeter dans ses bras[818]; on était persuadé qu’autrement il aurait déclaré ennemi public et mis au ban de l’Empire le margrave de Brandebourg. Cette opinion était injuste, Charles-Quint, ayant à soutenir seul le poids de la guerre avec la France, ne voulait pas augmenter le nombre de ses ennemis : il se rappelait comme il avait été abandonné par tous les États de la Germanie l’année précédente; il pouvait appréhender que, s’il mettait le marquis Albert au ban impérial, on ne lui en laissât à lui seul l’exécution : mais ce qui l’avait arrêté surtout, c’était la crainte qu’Albert, se voyant menacé par lui, ne s’alliât de nouveau avec le duc Maurice et qu’ils ne vinssent ensemble assaillir les Pays-Bas; il avait des avis certains que l’électeur de Saxe avait renoué ses liaisons avec le roi de France[819]. Cependant le duc Henri de Brunswick s’était uni, contre le marquis Albert, avec le duc Maurice, les évêques de Bamberg et de Wurzbourg, et le roi des Romains était entré dans cette confédération. Maurice, fait généralissime de la ligue, marcha contre Albert. Les deux armées, qui étaient fortes chacune de vingt-quatre mille hommes environ, se rencontrèrent à Sieverhausen, dans le duché de Lunebourg, à huit lieues de Gottingue. Le 9 juillet la bataille s’engagea entre elles avec le plus grand acharnement. Albert fut mis en déroute; son camp, son bagage, son artillerie, tombèrent au pouvoir du vainqueur avec un grand nombre de drapeaux et d’étendards. Mais Maurice paya cher cette victoire; blessé mortellement pendant l’action, il expira deux jours après[820]. À cette nouvelle, le duc Jean-Frédéric, feignant d’ignorer que l’investiture de 1548 comprît le duc Auguste, frère de l’électeur défunt, envoya à Bruxelles son second fils, le prince Jean-Guillaume, pour supplier l’empereur de le réintégrer dans l’électorat de Saxe. Charles accueillit le jeune prince avec distinction : mais il lui fit voir qu’il n’y avait pas à revenir sur ce qui avait été décidé[821]; et ce fut aussi la réponse de Granvelle au cardinal d’Imola, lorsque ce prélat lui exprima le désir du pape que l’électorat de Saxe fût donné à quelqu’un qui pût être approuvé de Dieu et du saint-siége, et qu’il ne fût pas rendu à Jean-Frédéric, lequel était un hérésiarque notoire, impénitent et incorrigible[822].

En Angleterre Édouard VI était mort le 6 juillet, à l’âge de seize ans, à la suite d’une longue maladie. Par les intrigues de John Dudley, duc de Northumberland, il avait institué son héritière, au préjudice de Marie et d’Élisabeth, ses sœurs, Jane Gray, fille aînée de Henri Gray, duc de Suffolk, et de Françoise Brandon, et épouse de Guildford Dudley, deuxième fils de John. Jane fut proclamée reine le 10 juillet; mais son règne n’eut pas une longue durée. Le 19 les partisans de Marie s’emparèrent du pouvoir et firent publier, au milieu des acclamations du peuple, qu’elle était la seule et la légitime reine. Elle fit son entrée dans Londres le 31 juillet. Ces nouvelles, qui réalisaient tous les vœux de Charles-Quint, lui causèrent la satisfaction la plus vive[823]. Quelques jours avant la mort d’Édouard VI, il avait envoyé en Angleterre une ambassade extraordinaire, composée de Jean de Montmorency, seigneur de Courrières, de Jacques de Marnix, seigneur de Toulouse, et de Simon Renard, son ancien ambassadeur en France, sous prétexte de visiter le monarque souffrant, mais en réalité pour se tenir au courant des actes du conseil, étudier les ressources des différents partis, faire des amis à la princesse sa cousine, et, autant que le permettrait la prudence, concourir à son avènement au trône[824]. Il donna l’ordre à ses ambassadeurs de présenter ses félicitations à la reine, de l’assurer de ses sentiments d’amitié sincère, de lui promettre un concours empressé en tout ce qui concernerait le bien de son royaume. En même temps il leur recommanda de l’engager à être, sur toutes choses, bonne Anglaise, à ne pas trop se presser de changer ce qui existait, mais à s’accommoder aux décisions du parlement, sans toutefois rien faire, de sa personne, qui fût contre sa conscience et sa religion. Il les chargea enfin de lui dire que, ayant besoin d’être soutenue et protégée, il était très-requis qu’elle se mariât bientôt « avec qui il lui semblerait être plus convenable[825]. » Dans une autre dépêche il leur prescrivit d’exhorter la reine à se contenter de châtier les plus coupables parmi ceux qui s'étaient montrés ses ennemis, et à user de clémence envers fous les autres; à modérer les désirs de vengeance que pourraient avoir quelques-uns de ses partisans; à convoquer le parlement, pour faire connaître qu’elle entendait suivre les vestiges de ses prédécesseurs; à consulter, avant de prendre aucune mesure pour le rétablissement de la religion catholique, ceux de ses ministres qui étaient le mieux au fait de l’état et condition du royaume et de ce que les conjonctures pouvaient permettre[826]. C’était là certainement des conseils pleins de sagesse et de prudence. Charles méditait dès lors de faire épouser la reine par son fils; le trône d’Angleterre aurait compensé pour le prince la succession à l’Empire, à laquelle il ne fallait plus songer[827]. Mais depuis assez longtemps déjà des négociations de mariage se poursuivaient entre Philippe et l’infante de Portugal, fille de la reine Éléonore; n’étaient-elles pas trop avancées pour qu’il fût possible de les rompre? Charles en ce moment l’ignorait; il ne savait pas d’ailleurs ce que son fil penserait d’une alliance avec une femme de trente-huit ans, lui qui n’en comptait que vingt-sep[828]. Il écrivit à Philippe le 30 juillet, afin qu’il s’expliquât sur l’un et sur l’autre point[829].

Dans les derniers jours du mois d’août Henri II prit le commandement de son armée, que le connétable de Montmorency avait rassemblée à Corbie; le 1er septembre il la mit en mouvement. Charles-Quint quitta Bruxelles le 2, pour se rapprocher de la sienne[830] : sa santé s’était raffermie pendant l’été; il put faire à cheval le trajet de Bruxelles à Mons[831]. La reine Marie l’accompagnait. Les Français voulurent d’abord assiéger Bapaume; mais bientôt ils renoncèrent à ce dessein, et, après avoir dévasté et brûlé tout le pays à l’environ, ils se portèrent sur Cambrai. Le 8 septembre le connétable investit la ville, qui avait répondu par un refus à la sommation de lui ouvrir ses portes. Trois jours de suite l’armée royale se déploya devant les remparts; il y eut entre elle et la garnison, que commandait le seigneur de Bugnicourt, de chaudes escarmouches; elles ne furent pas à l’avantage des Français. Henri II, voyant que la place était bien défendue, marcha à Cateau-Cambrésis. Emmanuel-Philibert, à la suite de la prise de Hesdin et d’un engagement à Talmas avec le connétable, était venu camper sur la rive droite de l’Escaut, au dessus de Neufville; l’armée française, le 15, s’avança jusqu’à deux lieues de la position qu’il occupait. À cette nouvelle, Charles-Quint, qui était resté à Mons, partit au milieu de la nuit « pour se trouver à la mêlée et conduire ses gens, comme expert en telle besogne[832]; » il n’alla pas toutefois plus loin que Valenciennes, ayant appris là que les Français s’étaient retirés le 16, à la suite d’escarmouches où ils avaient essuyé d’assez grandes pertes. Les jours suivants Henri II ramena son armée vers Guise et Saint-Quentin, et peu après il licencia une partie des régiments dont elle était composée. Charles-Quint retourna à Bruxelles le 23 septembre avec la reine sa sœur. La campagne aux Pays-Bas était finie. L’issue en était honorable pour les armes de l’empereur dont elle avait relevé la réputation. En Italie la guerre s’était continuée sans résultat important pour l’un ni pour l’autre des deux adversaires.

L’alliance de son fils avec la reine d’Angleterre allait être, pendant quelque temps, le principal objet des préoccupations de Charles-Quint. Le prince avait répondu à sa lettre du 30 juillet de manière à lui donner toute satisfaction : son mariage en Portugal n’était point conclu, et il avait sur l’heure suspendu les négociations entamées à Lisbonne; il était prêt à s’unir à la reine Marie, si telle était la volonté de son père[833]. Charles résolut d’agir sans tarder pour préparer le succès du plan qu’il avait conçu : il avait une entière confiance dans la dextérité de Simon Renard; ce fut lui qu’il choisit pour être l’instrument de ses desseins; il rappela Montmorency et Marnix, ainsi que le conseiller Scheyfve, qui depuis plusieurs années était son ambassadeur résident à la cour d’Angleterre. Marie avait hautement manifesté sa répugnance à épouser Édouard de Courtenay, le seul personnage du royaume qui pût prétendre à sa main; Renard fut chargé de lui proposer le prince d’Espagne. Il eut avec la reine plusieurs entrevues secrètes[834]. Marie, tout en se montrant flattée du parti qui lui était offert, ne se prononça pas d’abord : des renseignements peu favorables lui avaient été donnés sur les mœurs et la conduite privée de Philippe, et elle s’en effrayait surtout en considérant la disproportion d’âge qu’il y avait entre elle et lui[835]; elle craignait aussi que son conseil et que la nation ne vissent pas de bon œil son mariage avec un prince qui, devant régner sur d’autres États, ne les voudrait apparemment pas abandonner pour venir demeurer en Angleterre; qui peut-être essayerait d’introduire des étrangers dans le gouvernement du royaume. L’ambassadeur impérial s’appliqua à lever ses scrupules et à résoudre ses objections : il attribua aux ennemis du prince Philippe les propos qu’on tenait sur son compte; il se porta garant de sa vertu, de sa prudence, de sa modestie[836]; il dit que le royaume ne pourrait que se féliciter d’une alliance qui ajouterait a sa grandeur, à sa prospérité, à sa sécurité; il assura la reine que, si le prince devenait son mari, il n’aurait rien de plus cher que de demeurer avec elle, et que cela lui serait facile, vu la proximité des États sur lesquels il serait appelé à régner; il ajouta que la nation n’avait point à craindre que des étrangers fussent entremis dans le gouvernement ni pourvus des charges, offices et bénéfices du royaume; que des stipulations seraient insérées au traité de mariage qui lui donneraient toutes garanties à cet égard[837]. Le 21 octobre, à sa troisième entrevue avec l’envoyé de l’empereur, Marie était encore hésitante[838]. Six jours après, ayant reçu Renard en audience et pris lecture de lettres par lesquelles l’empereur l’engageait à se marier, sans y faire mention de son fils ni d’aucun autre[839], elle lui dit qu’elle avait pleuré plus de deux heures et prié Dieu qu’il la voulût inspirer dans la résolution qu’elle avait à prendre : elle ne lui déclara pas encore positivement qu’elle acceptait le prince d’Espagne pour son époux, mais elle ne l’en laissa guère douter[840]. Enfin, le 29 octobre au soir[841], elle le fit venir dans sa chambre; elle y était seule avec mistress Clarence, l’une de ses dames, et le saint-sacrement s’y trouvait exposé. Après quelques mots adressés à l’ambassadeur, elle se mit à genoux et récita l’oraison Veni Creator Spiritus. S’étant relevée, elle dit à Renard que, puisque l’empereur l’avait choisi pour traiter cette affaire avec elle, elle le choisissait pour son premier père confesseur et l’empereur pour le second; qu’ayant pesé toutes choses; se confiant en ce qu’il lui avait assuré des qualités et conditions du prince d’Espagne; persuadée que l’empereur l’aurait toujours en bonne recommandation et souvenance; que dans le traité à conclure il s’accommoderait à ce que le bien public du royaume exigerait; qu’il lui demeurerait bon père, comme il l’avait été jusque-là; enfin se sentant conseillée de Dieu, qui avait déjà fait tant de miracles pour elle, elle s’engageait, devant le saint-sacrement, à prendre le prince pour mari; qu’elle l’aimerait parfaitement et ne lui donnerait aucune occasion d’être jaloux; que jamais elle ne changerait; que, les deux jours précédents, elle avait feint d’être malade, mais que sa maladie n’avait été autre que la grande anxiété d’esprit où elle était, ayant à se résoudre sur une affaire d’une telle importance[842].

Un profond secret fut gardé sur cette entrevue comme sur celles qui l’avaient précédée. Le 8 novembre, Marie, à la sollicitation de Renard et suivant ce qui avait été convenu entre eux, lui donna audience en présence de son conseil. L’ambassadeur exprima le désir d’avoir la réponse de la reine sur la communication qu’il lui avait faite de la part de l’empereur. Après avoir échangé quelques paroles avec ses ministres, Marie répondit que, quoique son affection fût contraire au lien du mariage, elle la surmonterait pour le bien du royaume. Alors Renard lui proposa le prince d’Espagne, en annonçant que, si elle l’agréait, une ambassade composée de personnages d’autorité viendrait renouveler la proposition avec la solennité requise. La reine[843] sortit, emmenant les membres de son conseil, afin de prendre leur avis. A sa rentrée elle dit à l’ambassadeur qu’elle recevrait volontiers l’ambassade qu’il lui annonçait[844].

Charles-Quint, en poursuivant avec ardeur l’alliance de son fils et de la reine d’Angleterre, n’était pas mû uniquement par la passion d’agrandir sa maison; il avait encore en vue un autre objet qui toujours avait occupé une place principale dans les combinaisons de sa politique : il voulait pourvoir à la sûreté future des Pays-Bas, que les agressions de la France avaient si souvent mis en péril, et ce but il espérait l’atteindre si le traité qui lierait l’héritier de ses couronnes et la reine Marie stipulait que les Pays-Bas seraient réunis à l’Angleterre sous le sceptre des princes à naître de leur mariage. Le 25 novembre il assembla à Bruxelles les seigneurs principaux de ces provinces avec le conseil d’État, et leur fit part de ses projets; il désirait, leur dit-il, avant de consommer une affaire aussi importante, connaître leur opinion[845]. L’assemblée ne pouvait qu’applaudir à des vues qui tendaient à l’avantage incontestable du pays. Charles désigna le comte d’Egmont, le comte Charles de Lalaing, gouverneur, capitaine général et grand bailli de Hainaut, le seigneur de Courrières et le conseiller Philippe Nigri, chancelier de la Toison d’or, pour aller faire la demande solennelle de la main de la reine et signer, en son nom, le contrat de mariage. Ces ambassadeurs arrivèrent à Londres le 2 janvier 1554; la reine leur donna audience dès le lendemain. Après qu’ils lui eurent présente leurs lettres de créance et qu’ils se furent acquittés du message dont ils étaient chargés, elle les renvoya à son conseil, disant « que ce n’était l’affaire d’une femme de traiter de son mariage ni d’en parler. » Les jours suivants furent employés par le comte d’Egmont et ses collègues à discuter, avec les ministres, les articles du traité de mariage, qui avaient été rédigés à Bruxelles; ils ne donnèrent lieu, de la part des conseillers de la reine, qu’à de légères observations auxquelles les ambassadeurs firent droit. Le traité fut signé et scellé le 12 janvier[846]; il portait en substance que Philippe et Marie prendraient réciproquement les titres et le protocole de leurs États respectifs; que le prince aiderait la reine à gouverner son royaume, en se conformant aux lois, priviléges et coutumes; que Marie se réservait la pleine et libre disposition des bénéfices, charges, emplois, lesquels ne pourraient être conférés qu’à des nationaux; qu’elle disposerait de même des terres et revenus de la couronne; que Philippe lui constituerait un douaire de soixante mille livres; que les enfants issus de leur mariage hériteraient des biens maternels ainsi que des Pays-Bas et du comté de Bourgogne, et, le cas advenant que don Carlos, fils de Philippe, mourût sans descendance, des royaumes d’Espagne, des Deux-Siciles et du duché de Milan. Par un acte particulier, Philippe s’engageait à maintenir et à défendre les libertés de la nation anglaise; à exclure tous les étrangers des charges de sa cour; à renoncer à toute prétention sur le trône d’Angleterre, s’il survivait à sa femme; à ne point emmener la reine hors du royaume sans qu’elle l’eût préalablement demandé, ni aucun de leurs enfants sans que le parlement y eût consenti; à ne prendre, pour son propre service, ni les vaisseaux du royaume, ni les munitions, ni les joyaux appartenants à la couronne; enfin à conserver la bonne intelligence qui régnait entre l’Angleterre et la France[847].

Pour l’entier accomplissement de leur mission, les ambassadeurs avaient besoin de la ratification de l’empereur, des pouvoirs du prince à l’effet de ratifier aussi le traité en son nom et de contracter le mariage par paroles de présent, de la dispense qui avait été demandée au pape. Ces pièces venaient de leur être envoyées de Bruxelles, lorsque Thomas Wyat, qui, de concert avec le duc de Suffolck, avait levé l’étendard de l’insurrection contre la reine[848], s’étant approché de Londres, ils jugèrent prudent, le 1er février, de retourner aux Pays-Bas[849]. L’insurrection vaincue, Charles-Quint renvoya en Angleterre le comte d’Egmont, porteur de tous les actes nécessaires pour terminer la négociation du mariage. D’Egmont les présenta à la reine dans des audiences qu’elle lui accorda le 3 et le 4 mars; le 6, en une chambre du palais où était le saint-sacrement, et en présence des ministres, les ratifications du traité furent échangées; Marie et d’Egmont jurèrent respectivement de l’observer; puis l’évêque de Winchester procéda à la cérémonie des épousailles : en ce moment, Marie se mit à genoux et prit Dieu à témoin que, si elle avait consenti à ce marier, ce n’était ni par affection charnelle, ni par cupidité, ni pour d’autre respect que l’honneur, bien et profit du royaume. Le 9 mars d’Egmont, qui devait porter les ratifications au prince Philippe, en Espagne, et l’instruire de ce qui s’était passé, quitta Londres pour aller s’embarquer à Plimouth[850].

A la nouvelle de l’avènement au trône d’Angleterre de la fille de Henri VIII et de Catherine d’Aragon, Jules III avait versé des larmes de joie; il avait, sans différer, nommé son légat vers la reine le cardinal Pole, qui se trouvait au monastère de Sainte-Marie de Maguzzano; il avait annoncé cette légation, non-seulement à la reine, mais encore au roi de France et à l’empereur, en priant ces deux monarques de prêter leur appui au cardinal. Pole partit de Maguzzano le 5 septembre. Le 1er octobre il arriva à Trente. Le 20 il était à Dillingen, d’où, deux jours après, il se mit en route pour Spire. Charles-Quint, en apprenant la mission dont Pole était chargé, n’en avait pas été satisfait : il craignait qu’en Angleterre le cardinal ne traversât le mariage du prince son fils; il appréhendait aussi que son zèle pour le rétablissement de la religion catholique ne l’entraînât dans des démarches inconsidérées et qui causeraient des embarras à la reine[851]. Il lui fit d’abord écrire par Granvelle, afin de le persuader de différer son voyage; il lui envoya ensuite don Juan Hurtado de Mendoza; dans le même temps il s’adressa au pape, à qui il remontra l’inopportunité de la commission donnée au cardinal. Mendoza rencontra Pole, le 24 octobre, à quelque distance de Spire; il l’exhorta, il le pria instamment de ne pas aller plus loin, mais d’attendre, là où il était, de nouvelles instructions du souverain pontife. Pole répondit à l’envoyé impérial que cela lui était difficile, ayant reçu de Rome l’ordre de hâter son arrivée aux Pays-Bas. Mendoza ne lui laissa pas ignorer que, s’il poursuivait sa route, il lui faudrait s’arrêter à Liége jusqu’à ce que l’empereur l’autorisât à venir le trouver. Le cardinal alors jugea à propos de retourner à Dillingen, où le cardinal del Monte, secrétaire d’État de Jules III, ne tarda pas à lui faire savoir que l’intérêt de l’Église conseillait de se conformer aux désirs de l’empereur. Ce fut seulement le 22 décembre, quand le mariage de son fils avec la reine d’Angleterre n’était plus douteux, que Charles-Quint invita le légat à se rendre à Bruxelles[852].

Pole arriva dans cette capitale le 25 janvier. La goutte avait beaucoup tourmenté Charles-Quint depuis le commencement de l’hiver; cinq semaines durant il avait été obligé de garder le lit, sans pouvoir s’occuper des affaires publiques; ceux qu’il’entouraient avaient même conçu des craintes pour sa vie : mais en ce moment sa santé était assez bonne; il donna audience au cardinal le 2 février. Pole n’avait pas seulement été revêtu par le pape du caractère de son légat auprès de la reine d’Angleterre, mais Jules III lui avait encore donné la mission de reprendre, avec l’empereur et le roi de France, les négociations pour la paix dans lesquelles les cardinaux d’Imola et de Saint-Georges avaient échoué. Ce sujet fut l’un de ceux dont il entretint l’empereur. Charles lui dit qu’il était prêt à faire la paix à des conditions qui la rendissent ferme et stable, et que, si l’on pouvait s’en promettre le repos de la chrétienté, il montrerait qu’il avait, plus à cœur le bien public que les injures qui lui avaient été faites. Pole l’engagea à mettre en avant des moyens d’accord : il répondit que c’était à l’agresseur à les proposer, en restituant ce dont il s’était emparé contre toute justice. Le légat conféra plusieurs fois sur le même sujet avec l’évêque d’Arras; il visita la reine de Hongrie, pour laquelle il était porteur d’un bref du pape, et lui exprima la confiance, où était le souverain pontife, qu’elle favoriserait l’œuvre de la paix, dont les peuples des Pays-Bas éprouvaient particulièrement le besoin; il eut, le 19 février, une seconde audience de l’empereur. Ni de ce monarque, ni de son premier ministre, ni de la reine gouvernante, il ne put rien obtenir de plus que ce qui lui avait été déclaré précédemment[853]. Alors il se décida à partir pour la France, où Henri II le reçut avec de grands honneurs : mais ce roi ne se montra pas plus enclin que l’empereur à rabattre quoi que ce fût de ses prétentions. C’était au sort des armes que l’un et l’autre ils entendaient remettre la décision de leurs querelles.

Le 1er mars 1554 Charles-Quint assembla les états généraux en son palais; il entra dans la galerie où ils étaient réunis, s’appuyant sur un bâton; la reine douairière de Hongrie prit place à son côté[854]. La proposition fut lue par le président du conseil d’État, Jean de Saint-Mauris. L’empereur remerciait d’abord les représentants de ses provinces des Pays-Bas du « bon devoir et singulière affection » qu’ils avaient toujours montré en ce qui concernait la conservation et le bien de leur patrie, et particulièrement de la grande volonté et promptitude avec laquelle, depuis leur dernière assemblée, ils avaient fourni les sommes qui leur avaient été demandées. Il leur rappelait ensuite que, dans la campagne précédente, malgré son indisposition, il avait voulu se trouver en personne à son armée, pour s’employer, comme bon prince, à leur défense, leur faisant remarquer que le résultat avait répondu à ses efforts, puisqu’il avait obligé les Français de se retirer avec dommage et honte. Il leur signalait les pratiques auxquelles s’était livré le roi de France, quand l’hiver était venu interrompre les hostilités, afin de semer des troubles dans la Germanie, en Italie et surtout en Angleterre, où il s’était uni aux conspirateurs dansle but de détrôner la reine. Il leur annonçait qu’informé des préparatifs que ce roifaisait pour assaillir de nouveau les Pays-Bas, non-seulement par terre, mais encore par mer, il avait déjà donné l’ordre que des navires de guerre fussent promptement équipés; que, de l’avis des gouverneurs des provinces ainsi que des principaux seigneurs, et eu égard aux grandes charges que les peuples avaient eu à supporter, il avait résolu de ne pas accroître le nombre des gens de pied et de cheval qui avaient été entretenus pendant l’hiver, jusqu’à ce qu’on connùt mieux les desseins des ennemis; que toutefois des mesures seraient prises pour que, au moment où l’on en aurait besoin, de nouvelles troupes fussent prêtes à entrer en campagne. Il ajoutait que la reine régente communiquerait aux états l’emploi détaillé qui avait été fait des deux aides de l’année précédente; qu’ils verraient par-là que, sans un notable subside, il lui serait impossible de garantir la sûreté du pays. Il terminait en exprimant l’espoir que, cette fois encore, ils donneraient des preuves de leur patriotisme[855]. La lecture de la proposition étant achevée, Charles-Quint prit la parole : « Messieurs des états, dit-il, le seigneur de Saint-Mauris vous a fait entendre la cause de votre convocation en ce lieu. Quant au reste, vous vous trouverez vers la reine, et elle vous dira choses de ma part, à laquelle je vous prie ajouter foi et créance comme à ma propre personne. Avisez de faire tous offices de bons et loyaux sujets, et à mon endroit ne fauldrai de vous être bon prince. » Le greffier des états de Brabant, au nom de l’assemblée, remercia l’empereur de la faveur et assistance qu’il avait faite à ses Pays-Bas, de l’incomparable affection qu’il leur avait toujours portée, du bien qu’il leur avait procuré en conquérant et en faisant démolir les forteresses de Thérouanne et de Hesdin, qui leur causaient tant d’oppressions et de dommages[856]. Les jours suivants, la reine Marie réunit les députations des différents corps d’états, chacune en particulier. Le président de Saint-Mauris leur exposa, en son nom, que, quoique l’empereur eût pourvu, aux dépens de ses autres pays, à la solde des Espagnols ainsi qu’à celle des Allemands étant en garnison à Trêves, les aides accordées par les états laisseraient un déficit pour l’année courante, indépendamment de celui des années antérieures; que l’impôt sur les vins, qu’ils avaient voté pour quatre ans expirés le 31 décembre 1553, n’avait pas répondu aux prévisions, n’ayant rapporté en tout que cent cinquante mille florins, somme bien inférieure à ce qu’avait coûté l’entretien de la flotte en vue duquel il avait été établi : il conclut en demandant la prolongation de la levée de cet impôt pendant un nouveau terme de quatre années, avec un subside qui s’élevait, pour la totalité des provinces contribuantes, à deux millions de florins[857]. Le droit d’entrée sur les vins ne donna lieu à aucune difficulté; mais il en fut autrement du subside. Les Pays-Bas avaient beaucoup souffert de la guerre; le commerce et l’industrie languissaient; les peuples étaient surchargés d’impôts; dans plusieurs provinces le tiers-état ne s’entendit, qu’après de longues discussions, avec le clergé et la noblesse, sur les voies et moyens par lesquels ils se procureraient leur contingent dans le subside demandé. Il en résulta que les sommes consenties par les états restèrent de beaucoup au-dessous des deux millions sur lesquels l’empereur avait compté, et qu’il s’écoula un assez long temps avant qu’il pût en disposer.

Henri II avait un grand avantage sur Charles-Quint : il ne lui fallait pas, pour combler le vide de son trésor, assembler les représentants de la nation et obtenir leur consentement : les mesures fiscales que cet objet rendait nécessaires, il les prenait de sa seule autorité; tout au plus, à l’égard de celles qui avaient un caractère trop exorbitant, convoquait-il un certain nombre de notables dont le vote lui était acquis d’avance. C’est ainsi qu’en 1553 il avait promulgué un édit interdisant aux notaires de passer des contrats de prêts entre particuliers, avant que ceux qui auraient de l’argent à placer lui eussent prêté à lui-même jusqu’à concurrence de quatre cent quatre-vingt-dix mille livres de rente[858]; que, par un autre édit, il avait déclaré rachetables au denier vingt toutes les rentes foncières et tous les droits seigneuriaux constitués sur les maisons, jardins, marais, en se mettant au lieu et place des propriétaires, auxquels il servirait les intérêts du capital[859] ; qu’un troisième édit frappait d’un emprunt forcé de trois cent mille livres tournois les bonnes villes du royaume[860]. Il se créa d’autres ressources, en 1554, par l’augmentation illimitée du nombre des offices de judicature, d’administration, de finances, qu’il mit tous également à l’enchère[861]. Ces mesures et d’autres que nous passons sous silence firent entrer de grosses sommes dans ses coffres ; aussi fut-il en état de rassembler des forces imposantes pour la campagne qui allait s’ouvrir.

Charles-Quint, en ce temps, ne s’occupait plus guère des affaires publiques ; il s’en reposait sur la reine Marie, sur l’évêque d’Arras, sur Louis de Flandre, seigneur de Praet. La reine, en 1551, pour arrondir les dépendances du palais, avait fait l’acquisition, à l’extrémité du Parc, vers la rue de Louvain, d’une maison appartenant à Philibert de Mastaing, seigneur de Sassegnies, et qui consistait dans un corps de logis ayant un seul étage, auquel on arrivait par un escalier de dix ou douze marches[862]. Cette modeste habitation, que le cardinal d’Imola comparait à la cellule d’un chartreux[863], plut à l’empereur ; dans l’été de 1553 il alla s’y établir jusqu’à son départ pour l’armée[864]. Il y retourna au printemps de l’année suivante. Là il n’était entouré que de ses serviteurs les plus intimes ; il ne recevait personne ; tous les jours, lorsque le temps n’y mettait pas obstacle, il se promenait à cheval dans le Parc ; ce genre de vie exerçait une influence salutaire sur sa santé. Il s’était pris d’une sorte de passion pour les horloges et pour l’astronomie ; dans sa petite maison il s’y abandonnait sans réserve. Entre les horloges qu’il possédait, il y en avait une où étaient représentés les corps célestes avec tous leurs mouvements : son passe-temps habituel était de considérer ceux-ci[865].

Cependant les Français, qui, dès le mois d’avril, avaient commencé les hostilités sur les frontières de l’Artois, de la Flandre et du Luxembourg, mirent sur pied, au mois de juin, trois armées dont le rassemblement se fit près de Crécy en Laonnais : l’une, et la principale, était sous les ordres du connétable, ayant pour lieutenants le maréchal de Saint-André et le duc de Vendôme ; la deuxième était commandée par le prince de la Roche-sur-Yon ; la troisième avait pour chef le duc de Nevers. On était persuadé, à Bruxelles, que le but des ennemis était de s’emparer d’une partie de l’Artois et du Hainaut ; on craignait aussi pour Cambrai ; le gouvernement s’attacha à munir les places menacées, à en renforcer les garnisons, et, dans les premiers jours de juin, l’empereur résolut de concentrer autour de Cambrai les troupes qu’en ce moment il avait à sa disposition[866]. Il en nomma général le duc de Savoie, en lui donnant pour conseillers Antonio Doria et Gio. Battista Castaldo ; il fit chef de la cavalerie D. Luis d’Avila y Zúñiga, l’auteur des Commentaires de la guerre contre les protestants d’Allemagne, et plaça à la tête des arquebusiers à cheval D. Fernande de Lannoy[867]. Emmanuel-Philibert partit pour Cambrai dans la nuit du 18 au 19 juin[868] ; la reine Marie, afin de le seconder et de prendre les mesures qu’exigeraient les circonstances, alla le 24 s’établir à Mons[869]. Bientôt on reconnut qu’on s’était trompé sur les plans des Français, En effet, tandis que le prince de la Roche-sur-Yon entrait dans l’Artois, le duc de Nevers se dirigea vers les Ardennes, pour menacer à la fois le pays de Liége et la ville de Luxembourg, et le connétable se porta sur Marienbourg, qu’il investit le 23 juin. Cette place était considerée en quelque sorte comme inexpugnable; elle était bien pourvue d’artillerie, de munitions et de vivres; mais, comme on ne s’attendait pas à une attaque de ce côté-là, on n’y avait mis, pour garnison, que cinq à six cents hommes; lorsqu’on y voulut faire entrer du secours, on en fut empêché par les Français, qui occupaient tous les passages[870]. Le 26 les assiégeants, ayant ouvert le feu de leurs batteries, sommèrent la place : le commandant, Philibert de Martigny, se rendit au camp du connétable, et convint avec lui qu’il lui ouvrirait les portes de la forteresse, à condition que la garnison eût les vies et les bagues sauves[871]. La cour de France célébra ce premier succès par de grandes fêtes. Le 30 juin Henri II arriva à Marienbourg. Le 3 juillet l’armée royale se remit en marche dans la direction de la Meuse, afin d’opérer sa jonction avec le duc de Nevers, qu’elle trouva établi à Givet. Les deux armées réunies étaient fortes de plus de quarante mille hommes, infanterie et cavalerie; elles avaient une artillerie nombreuse. Elles séjournèrent à Givet jusqu’au 7[872].

La nouvelle de la reddition de Marienbourg produisit à Bruxelles une vive émotion[873]; les ennemis étant maîtres de la campagne, on pouvait craindre qu’ils ne se portassent jusqu’au cœur du Brabant : il n’y avait plus de position fortifiée qui y fit obstacle. Dans le public on se plaignait hautement de la négligence de l’empereur, qui, ne pouvant ignorer les armements des Français, ne s’était pas mis en mesure d’y résister[874]. Il est certain que les apparences étaient contre Charles-Quint; mais il faut tenir compte, pour être juste, des embarras où il se trouvait; il manquait d’argent jusqu’au point qu’il avait tardé de quinze jours le rassemblement de son armée afin d’en économiser la solde pendant ce temps-là[875]. Il avait espéré que son fils, qui devait lui en apporter et lui amener aussi un corps de troupes espagnoles, arriverait en Angleterre aussitôt après les ratifications de son mariage avec la reine, et Philippe, ayant mis une extrême lenteur dans ses préparatifs de voyage, était encore en ce moment dans la Péninsule[876]. La perte de Marienbourg exigeait cependant que des dispositions promptes et énergiques fussent prises. La reine Marie revint en hâte à Bruxelles; le duc de Savoie y fut appelé avec Doria, Castaldo et d’autres chefs de l’armée; un grand conseil de guerre fut réuni le 3 juillet. Les troupes impériales qui pouvaient tenir la campagne n’excédaient pas une quinzaine de mille hommes d’infanterie et quatre à cinq mille chevaux; les généraux furent d’avis de leur faire prendre position en avant de Bruxelles, pour couvrir cette capitale[877]. Charles-Quint ne partagea pas leur opinion; jugeant, d’après les derniers mouvements des Français, que leur dessein était d’occuper le pays de Liége, d’où ils auraient entravé le passage des gens de guerre qu’il attendait d’Allemagne et mis à contribution la partie la plus fertile du Brabant, il résolut d’aller camper près de Namur, de façon à leur couper le chemin de la Meuse[878]. L’ordre fut immédiatement donné aux troupes qui étaient dans le Hainaut et le Cambrésis de prendre cette direction; des dépêches pressantes furent envoyées aux colonels des régiments levés dans la Germanie, afin qu’ils accélérassent leur marche; la reine régente commanda aux villes de Brabant, à celle de Malines, aux châtellenies des pays de Waes, d’Alost, de Ternonde, d’enrôler tous les hommes de leur juridiction respective en état de porter les armes et de choisir, dans le nombre, ceux qui seraient le plus aptes à la guerre, pour en former des compagnies lesquelles iraient grossir le camp de l’empereur; elle prescrivit aux gouverneurs des provinces méridionales de faire sommer les nobles qui n’étaient pas déjà au service ou ne remplissaient point des charges publiques, de se monter et s’armer pour recevoir la même destination[879]. Charles-Quint quitta Bruxelles le 7 juillet; il était en litière découverte; la reine Marie à cheval avec une multitude de grands personnages lui faisait escorte. Le peuple se porta en foule sur son passage et témoigna, par ses acclamations, le contentement qu’il avait de la détermination de son souverain. Charles dit, à son départ, que, si les Français étaient disposés à combattre, il voulait une fois pour toutes finir la guerre[880]. Il arriva à Namur le 8; le jour suivant il alla visiter le château[881].

On se ferait difficilement une idée aujourd’hui de la licence qui régnait à cette époque parmi les gens de guerre, parmi les Espagnols surtout, de leurs insolences, des brigandages auxquels ils se livraient envers les malheureux habitants des campagnes[882]. Les officiers de justice du plat pays, impuissants à empêcher ces violences, abandonnaient leur poste et voulaient même se démettre de leurs fonctions[883]. Dans ces circonstances le prévôt général de l’hôtel, Thierri Herlaer, ayant pris un certain nombre de soldats qui pillaient un village, en fit pendre sept, entre lesquels il y avait cinq Espagnols[884]; les autres, renvoyés par lui libres au camp, ne manquèrent pas de raconter à leurs camarades ce qui venait de se passer. Aussitôt tous les Espagnols se mutinèrent, prétendant qu’il leur avait été fait tort, demandant justice et disant qu’ils voulaient aller la réclamer de l’empereur. Ni leurs capitaines, ni le général du camp, ni les seigneurs de leur nation qui s’y trouvaient, ne purent leur faire entendre raison, et ils prirent en désordre le chemin de Namur. C’était le 10 juillet. Averti à temps, Charles-Quint monta à cheval et se dirigea vers eux. Les ayant rencontrés comme ils étaient déjà dans la ville, il leur ordonna de s’arrêter, écouta avec bienveillance leurs plaintes, leur promit justice; puis il leur fit reprendre le chemin du camp. A une certaine distance hors de Namur, il leur fit faire halte et leur adressa les paroles suivantes : « Soldats, accourir ainsi tumultueusement vers moi, n’est pas chose convenable, car par-là vous déshonorez vous, vos capitaines, toute votre nation, et ma réputation en reçoit des atteintes. Il me déplaît qu’il vous ait été fait tort : mais, chaque fois que quelque chose de semblable vous arrivera, faites-le moi dire par votre colonel ou vos capitaines; jamais je ne manquerai de vous faire rendre justice, et je serai toujours votre bon empereur et votre bon roi. Je donnerai des ordres pour que des informations soient prises sur ce qui est arrivé, et ceux qui ont commis un abus de pouvoir seront punis[885]. » À cette allocution les mutins répondirent par le cri de Vive notre bon roi![886]. Charles voyait avec douleur les désordres que commettaient ses soldats; mais, dans la situation où il se trouvait, en face d’un ennemi redoutable, il se croyait obligé d’user de ménagements envers eux[887] : il chargea la reine Marie de faire appréhender le prévôt Herlaer et informer sur les exécutions auxquelles il avait présidé[888].

Le lendemain du jour où le camp impérial avait été mis en émoi par l’insubordination des Espagnols, il s’éleva à Anvers une sédition qui dura quarante-huit heures et ne cessa qu’après que le magistrat eut cédé aux exigences du peuple. Des causes toutes locales donnèrent occasion à cette émeute : l’impopularité de plusieurs des membres du magistrat; des mesures fiscales dont la conséquence avait été l’élévation du prix de la bière; le bruit répandu qu’on voulait faire payer par la ville la solde des compagnies de milice levées pour le service de l’empereur[889]. Elle eut pour principe des propos inconsidérés tenus par le serviteur d’un des bourgmestres; parlant à des hommes de la milice qui se trouvait réunie sur le Marché pour être passée en revue, ce valet s’était avise de leur dire : « Vous, vous irez à la guerre, et les Espagnols viendront garder Anvers, et ils coucheront avec vos femmes[890].

De Givet les Français, divisant leur armée en deux corps, s’étaient portés sur Bouvigne et sur Dinant, Bouvigne fut enlevée d’assaut, pillée, brûlée, et ses habitants furent pour la plupart mis à mort. La ville et le château de Dinant capitulèrent après quelques jours de siége. La position prise par l’armée impériale était venue déranger les combinaisons de Henri II; il n’osait plus s’avancer dans le pays de Liége : le 19 juillet, ayant renvoyé en Erance la plus grande partie de son artillerie et de son bagage, et commandé à tous ses gens de faire provision de vivres pour huit jours, il prit le chemin d’Onoz, qui n’est qu’à trois lieues de Namur, faisant semer le bruit qu’il allait attaquer le camp de l’empereur[891]. Mais c’était pour cacher son véritable dessein : car, le jour suivant, il tourna vers le Hainaut et coucha à Gosselies, tandis qu’il envoyait un corps de cavalerie avec quelques gens de pied et deux pièces d’artillerie légère sommer Nivelles. Le 21 au matin cette troupe se présenta devant la ville, dont elle commença par brûler les faubourgs. Trois sommations furent faites au magistrat : les deux premières par le connétable, la troisième par le comte de Roghendorff. La ville avait pour toute garnison cinquante piétons bas-allemands; mais les bourgeois se montrèrent décidés à se défendre. Voyant cette résolution, apprenant que des troupes avaient été détachées du camp de l’empereur et qu’il en arrivait aussi du Hainaut pour marcher contre eux, les Français, à deux heures de l’après-midi, renoncèrent à leur entreprise et allèrent rejoindre le gros de leur armée[892]. Cette pointe des ennemis sur Nivelles avait causé dans Bruxelles une alarme qui s’accrut quand on en vit partir les femmes de plusieurs des secrétaires de l’empereur. Le 20 juillet les membres du gouvernement avec l’ambassadeur de Florence se rendirent chez le nonce, pour délibérer sur le point de savoir s’ils ne se transporteraient pas à Anvers. L’arrivée de la reine Marie, accourue en toute diligence de Mons, où elle était retournée le 15, calma les inquiétudes du public et des ambassadeurs[893].

De Gosselies Henri II se dirigea vers Binche et Marimont, brûlant, détruisant tous les châteaux, les bourgs, les villages qui se trouvaient sur sa route; envoyant à droite et à gauche des coureurs commettre les mêmes dévastations. Binche n’était guère fortifiée, et la garnison ne consistait que dans deux compagnies de gens de pied; aussi fit-elle peu de résistance. Le roi la livra au pillage et à l’incendie avec le magnifique palais que la reine Marie y avait fait édifier, et dans lequel elle avait rassemblé les plus rares monuments des arts. Le château de Marimont, les merveilleux jardins qui l’entouraient, les fontaines et les statues dont ils étaient décorés, eurent le même sort. On rapporte qu’Henri II avec ses mignons entra dans le parc l’épée à la main, disant : « Or sus, mes chevaliers, donnons dedans, » et qu’il s’amusa à leur montrer comment ils devaient accomplir l’acte de destruction qu’il avait résolu[894]. Il se vengeait ainsi de la ruine de son château de Folembray en Picardie, auquel les impériaux avaient mis le feu, ou plutôt des obstacles que la vigilance, l’énergie, le courage de la reine Marie avaient toujours apportés à l’exécution de ses desseins contre les Pays-Bas : mais, l’histoire ne dira-t-elle pas, avec Granvelle, « que ce qu’il avait voulu faire pour prétendre en prendre vengeance, était chose si basse qu’elle ne devait tomber au cœur de personne portant titre de roi[895]? » Nous lisons, dans les dépêches du nonce accrédité à la cour de Bruxelles, que la reine, en apprenant ce qui était arrive à Marimont et à Binche, entra en une grande colère[896] : les lettres qu’elle écrivit à l’évêque d’Arras témoignent, au contraire, d’une admirable constance et d’une indifférence stoïque pour les pertes qu’elle venait de subir[897].

Charles-Quint, quoique les renforts qui lui étaient parvenus n’égalassent pas à beaucoup près ses forces à celles du roi[898], avait résolu de lever son camp et de suivre les ennemis, pour profiter des occasions qu’ils lui offriraient de les combattre avec avantage, et leur faire payer les exactions et les pillages auxquels ils s’étaient livrés envers ses sujets[899]. Au moment d’exécuter cette entreprise, il signa des patentes par lesquelles il faisait donation à son fils de tous ses États et seigneuries, pour qu’il les gouvernât et les tînt, à compter du jour dont elles portaient la date, comme chose à lui appartenance[900]. Il avait, six semaines auparavant, à Bruxelles, dicté un testament par lequel il annulait et révoquait tous ses testaments antérieurs[901]. Le 21 juillet il coucha à Onnay et le lendemain à Gosselies. Sa santé était en ce moment assez bonne, et c’était à cheval qu’il marchait à la tête de ses troupes[902]. Il reçut, en chemin, la nouvelle du débarquement du prince d’Espagne à Southampton, et des dispositions qui se faisaient pour l’accomplissement de son mariage avec la reine d’Angleterre. Voulant que son fils ne fût point inférieur en dignité à la femme dont il allait recevoir la main, il avait pris la détermination de lui céder le royaume de Naples : les lettres contenant cette cession furent présentées au prince, en l’église de Winchester, au moment où le mariage allait se célébrer[903], par le conseiller d’État Figueroa, l’un des principaux ministres de l’empereur pour les affaires d’Espagne[904]. Le 24 juillet Charles campa à Bavay. Les Français étaient en pleine retraite. Le 25 l’empereur envoya sa cavalerie contre leur arrière-garde qu’elle rencontra à une lieue et demie plus loin que le Quesnoy; mais celle-ci fit une telle diligence qu’il fut impossible aux impériaux de l’atteindre; ils durent se contenter de donner sur le bagage, dont plus de cinq cents chariots furent pris et saccagés par eux et par les paysans[905]. Charles-Quint continuait de suivre les ennemis : il coucha au Quesnoy le 27 juillet, à Haspre le 28, à Douchy le 29, aux environs de Bouchain le 1er août. Il avait invité la reine Marie à se transporter à Valenciennes; il lui donna rendez-vous, le 2 août, à Bouchain, afin de conférer avec elle sur les affaires publiques[906].

La reine retourna à Bruxelles quelques jours après. L’empereur avait fait convoquer les états des Pays-Bas dans cette capitale pour le 1er août; la reine réunit separément, en sa présence, les différentes députations, les 10, 11 et 12. Le président de Saint-Mauris, portant la parole en son nom, remercia les états de ce qu’ils avaient bien voulu attendre jusque-là les communications que le gouvernement avait à leur faire. Il dit que l’empereur eût vivement désiré s’entretenir lui-même avec eux, mais que la situation des affaires ne lui avait pas permis de s’absenter de son armée, et que les faire venir jusqu’aux frontières, ç’aurait été leur causer une incommodité trop grande. Entrant en matière, l’orateur parla des intelligences que le roi de France avait nouées avec le marquis Albert de Brandebourg, pour faire attaquer les Pays-Bas du côté de la Frise et de la Gueldre : projet que l’empereur avait heureusement déjoué, car s’il eût été suivi d’exécution, le pays aurait couru des dangers éminents. Il expliqua le retard qu’avait éprouvé le rassemblement de l’armée par cette raison, qu’on avait voulu éviter, autant que possible, de se mettre en trop de frais, vu la difficulté qu’il y avait à se procurer de l’argent, difficulté à laquelle n’avait pas peu contribué le délai que prirent plusieurs provinces pour consentir l’aide demandée au mois de mars et pour fournir ensuite la somme qu’elles avaient consentie. Il rappela que l’empereur, en apprenant la perte de Marienbourg, n’avait point hésité, nonobstant « son ancien âge et indisposition, » et quoique les gens de guerre de cheval et de pied qu’il avait fait lever en Allemagne ne fussent pas arrivés encore, à aller se mettre à la tête de ses troupes. Il fit remarquer que, depuis que l’empereur avait pris la détermination de suivre les Français, le roi ne s’était arrêté nulle part, ni n’avait tourné visage, ni fait la moindre démonstration de vouloir combattre, et qu’il s’était contenté de répandre la dévastation et l’incendie partout où il avait pu. Arrivant enfin à l’objet de la convocation des états, l’orateur exposa qu’outre ce qui était payé au moyen de l’argent d’Espagne, la dépense de la guerre s’élevait à prés de cinq cent mille florins par mois; que, du 1er janvier au 1er août, elle avait excédé deux millions quatre cent mille florins, tandis que la dernière aide n’avait produit que treize à quatorze cent mille florins. Il conclut en déclarant, de la part de l’empereur, que, sans l’assistance des États, il serait impossible de pourvoir plus longtemps à l’entretien de l’armée. Sa Majesté Impériale, dit-il, les requérait donc de vouloir « s’évertuer encore » et accorder la même somme qu’ils avaient accordée respectivement sur la proposition à eux faite au mois de mars[907]. Cette demande ne rencontra pas d’opposition : les nécessités publiques étaient trop manifestes pour que les représentants de la nation se refusassent à ce qui était réclamé de leur patriotisme.

Henri II, se flattant de terminer la campagne comme il l’avait commencée, résolut de mettre le siége devant Renty, petite ville du comté d’Artois, dont le voisinage était souvent incommode aux habitants du Boulonnais : dans la matinée du 9 août, le duc de Vendôme, à la tête d’une forte division, en fit l’investissement, et le même jour le connétable vint la reconnaître. Le roi arriva le lendemain. La place n’était pas tenable; il avait même été décidé de la démolir : mais elle avait un gouverneur, Jacques de Bryas, déterminé à se défendre jusqu’à la dernière extrémité, et il répondit à la sommation du connétable par une vigoureuse sortie dans laquelle il tua beaucoup de monde aux assiégeants[908]. Bryas savait d’ailleurs que l’armée impériale s’approchait pour le secourir. En effet Charles-Quint, suivant toujours les Français en queue, s’était, de Bouchain, dirigé vers l’Artois; il avait logé près de Thérouanne le 10 et à Marcq le 11 : le 12 il parut et prit position à la vue du camp français. Il venait de recevoir de bonnes nouvelles d’Italie : le 2 août le marquis de Marignan, qui commandait ses troupes dans l’État de Sienne, avait, à Lucignano, fait essuyer une déroute complète aux troupes de France ayant à leur tête le maréchal Strozzy[909]. Charles assit son camp entre Faulquembergue et un lieu appelé les Plaines de Marcq. Dans la nuit du 12 au 13 il tenta de donner une camisade aux ennemis, mais cette entreprise échoua[910]. Les Français étaient protégés, à la gauche du camp impérial, par un bois qui s’étendait sur le revers d’une colline descendant en pente douce vers Renty, et par une vallée, large d’un quart de lieue, profonde et marécageuse[911]; ils avaient dans le bois un nombre considérable d’arquebusiers. L’empereur, le 13 au matin, les ayant fait reconnaître, ordonna qu’on conduisit au haut de la vallée, lequel était à front de son camp, treize ou quatorze pièces de grosse artillerie, soutenues par dix enseignes d’Allemands, pour canonner le bois, tandis que douze cents arquebusiers espagnols, wallons, hauts et bas-allemands, avec quelques piques, cinquante chevau-légers et autant de noirs harnas, y pénétreraient, tâchant d’en chasser les Français et de s’y loger. La chose fut si bien exécutée qu’en moins d’une heure les impériaux demeurèrent maîtres du bois, après avoir fait subir à l’ennemi une perte de plus de sept cents hommes. Le but de l’empereur était atteint; tout ce qu’il voulait c’était d’occuper cette position, pour y établir son camp et contraindre le roi à venir l’y chercher à son désavantage ou à se retirer devant lui[912]. Malheureusement le fruit de ce succès fut perdu par l’imprudence de ceux à qui en revenait l’honneur. Les troupes qui s’étaient emparées du bois avaient été renforcées, à leur demande, de quelques enseignes de piétons et de deux cents noirs harnas sous la charge du comte de Schwarzbourg; elles se crurent assez fortes pour aller délier les Français jusque dans leurs retranchements; elles furent battues et regagnèrent en désordre le camp impérial. Les Français, profitant de leur avantage, renouvelèrent leurs attaques contre Renty, d’où, à la suite de leur défaite de la matinée, ils avaient commencé de retirer leur artillerie; on crut même qu’ils allaient venir livrer bataille à l’empereur[913]. Mais tout se borna, de leur part, à des bravades et au déploiement de plusieurs escadrons de cavalerie près du bois qu’ils avaient repris[914]. Le 14 à minuit ils décampèrent. Une brume épaisse fut cause qu’à l’armée impériale on eut connaissance de leur mouvement de retraite seulement entre neuf et dix heures du matin. Charles-Quint se mit aussitôt à leur poursuite avec toute sa cavalerie et quelque nombre de gens de pied; mais ils avaient trop d’avance, et, après avoir fait deux lieues, il revint à son camp. « Je rends grâces à Dieu » — écrivit Charles à la reine sa sœur — « qu’ils s’en vont enfin avec honte et perte, quoi qu’ils sussent dire, et que j’ai achevé mon emprise de secourir Renty et déchassé les ennemis, pour la seconde fois cet été, hors de mes pays[915]. »

Les Français s’étaient retirés vers Montreuil et il y avait peu d’apparence qu’ils songeassent à un nouveau mouvement offensif contre Renty, Le roi avait laissé son armée et pris le chemin de Compiègne. Charles, pendant qu’il était près de Bouchain, avait eu un accès de goutte[916]; il craignait qu’elle ne le reprît[917] : il résolut, le 17 août, d’aller s’établir à Saint-Omer, prêt à retourner à son camp s’il survenait quelque chose qui y rendit sa présence nécessaire. Il manda à la reine Marie de venir le trouver en cette ville. Le 28 il se rendit avec elle à Béthune; après y avoir séjourné jusqu’au 14 septembre, ils partirent ensemble pour Arras. Là se vérifièrent les appréhensions de Charles-Quint; la goutte l’attaqua à l’épaule et à la main avec assez de violence[918]; il put toutefois se remettre en route dans les premiers jours d’octobre, pour retourner à Bruxelles. Il y arriva le 9 en compagnie de la reine, et alla descendre à sa petite maison du Parc[919]. Il était alors tout à fait rétabli. Le 11 il donna audience au cardinal Pole, qui, depuis son retour de France, au mois d’avril, vivait retiré à l’abbaye de Dilighem, ayant en vain sollicité, à plusieurs reprises, par l’intermédiaire de l’évêque d’Arras, la permission d’aller remplir en Angleterre la mission qu’il tenait du pape. Le nonce du saint-siége, l’archevêque de Conza, et Granvelle étaient présents à cette audience. Dans son discours Pole insista sur l’aide que le souverain pontife se promettait de l’empereur pour lever les obstacles que le rétablissement de la religion catholique pourrait rencontrer en Angleterre. Charles répondit au légat que personne n’avait plus à cœur que lui de voir l’Angleterre rendre obéissance au siége apostolique, car il savait que sans cela ce royaume serait en état de damnation[920]; qu’il y avait travaillé déjà et y travaillait encore; qu’il y était excité à la fois par son devoir et par l’amour qu’il portait aux Anglais, mais que ce fruit désiré il fallait le cueillir quand il serait mûr, sans attendre qu’il fût gâté[921]; que jusqu’à ce moment le roi et la reine ne le considéraient pas comme parvenu à maturité, à cause de l’opposition qui se rencontrait chez les possesseurs des biens ecclésiastiques vendus; que c’était là, à ses yeux, le principal obstacle, d’après l’expérience qu’il avait eue en Allemagne, car, quant à la doctrine, les détenteurs de ces biens s’en souciaient fort peu; qu’il fallait donc négocier prudemment avec les intéressés, et de façon à leur faire le moins de concessions possible, sans les réduire au désespoir. Pole s’était plaint de n’avoir pu encore, comme l’avaient fait les autres ambassadeurs, se présenter au roi et à la reine d’Angleterre : Charles lui dit qu’il avait écrit à Londres, pour être mieux informé de l’état des choses; qu’il attendait sous peu une réponse, et qu’alors il se déterminerait sur ce qui faisait l’objet des désirs du légat[922]. Plus d’un mois s’écoula encore avant qu’à la cour d’Angleterre tous les arrangements relatifs à la venue de l’envoyé du saint-siége eussent été réglés : ce fut seulement le 14 novembre que Pole quitta Bruxelles pour aller s’embarquer à Calais. En le congédiant avec les seigneurs anglais qui étaient venus le chercher par ordre du roi Philippe et de la reine Marie, l’empereur adressa à ceux-ci une exhortation en faveur de l’unité de l’Église : il le fit en des termes tels, au rapport de l’archevêque de Conza, qu’un prédicateur consommé n’aurait pas parlé avec plus d’éloquence[923].

Le duc de Savoie, qui avait pris le commandement de l’armée impériale quand Charles-Quint s’en était séparé, était entré sur le territoire français. S’avançant du côté de Montreuil d’abord, et plus tard jusqu’auprès d’Amiens, il brûla tout le plat pays qui se trouvait sur son passage, depuis la mer jusqu’à Ancre, en représaille des dévastations commises par les troupes de Henri II dans les Pays-Bas, L’érection d’un fort qui servît en même temps à défendre le bailliage de Hesdin, le comté de Saint-Pol et les frontières de l’Artois, avait été jugée nécessaire dans les conseils de l’empereur; l’emplacement choisi pour le construire fut le confluent du Blangis et de la Canche, assez près du lieu où la ville de Hesdin avait existé. Le duc de Savoie en fit commencer les travaux le 8 septembre; ils furent poussés avec tant d’activité que, dès le commencement de novembre, le nouveau fort était en état de défense[924]; Hesdinfert fut le nom qu’on lui donna, par adjonction à celui de la ville qu’il remplaçait de la devise de la maison de Savoie[925]. Emmanuel-Philibert, après avoir renforcé les garnisons des places frontières, licencia le reste de l’armée; il revint à Bruxelles le 29 novembre.

Par le traité de Passau Charles-Quint s’était engagé à assembler la diète de l’Empire dans les six mois : il la convoqua, pour le 15 août 1553, à Ulm d’abord, puis à Augsbourg[926]. Cette convocation, prorogée une première fois au 1er octobre et une deuxième fois au dimanche après Quasimodo de l’année suivante, resta sans effet, à cause des troubles dont la Germanie était le théâtre, de la répugnance qu’éprouvaient plusieurs des princes allemands à comparaître à une assemblée où ils se figuraient que l’affaire de la succession à la dignité impériale pour le prince d’Espagne serait remise sur le tapis, enfin des raisons majeures qui ne permettaient pas au roi des Romains de s’éloigner des pays soumis à son sceptre[927]. Charles, convaincu que, sans une réunion des états de l’Empire, la tranquillité ne pourrait se rétablir en Allemagne, écrivit, en des termes pressants, à son frère, le 10 juin 1554, pour le déterminer à se rendre, aussitôt que possible, à Augsbourg, et à solliciter les princes de la Germanie, comme il le faisait lui-même, de s’y trouver en personne. Jusque-là il avait donné à entendre à Ferdinand que, si sa santé le lui permettait, il irait lui-même présider à la diète[928]; cette fois son langage fut, tout différent : il déclara formellement à son frère qu’il ne voulait pas y assister[929], et il lui en découvrit le motif : « Pour vous dire la cause sincèrement et comme il convient entre frères, et vous priant non la vouloir imaginer autre, — ainsi s’exprima-t-il — c’est seulement pour le respect du point de la religion, auquel j’ai les scrupules que je vous ai si particulièrement et pleinement déclarés de bouche, et même à notre dernière entrevue à Villach, ne faisant doute que, de votre part, comme si bon et chrétien prince que vous êtes, vous regarderez de non y consentir chose qui puisse grever votre conscience, ou être cause de plus grand discord en la religion, ou que le remède d’icelle, que devons espérer de la grâce et miséricorde de Dieu, s’éloigne davantage. » Il donna à Ferdinand tout pouvoir de décider, avec la participation des états, les affaires qui se proposeraient à la diète; il instruisit de cette délégation les princes de la Germanie, qui purent s’assurer par-là qu’il ne serait plus question de faire passer la couronne impériale sur la tête du prince Philippe[930]; en même temps, il prescrivit l’exécution du ban que la chambre impériale de Spire avait, l’hiver précédent, décerné contre le marquis Albert de Brandebourg[931]. Ferdinand, empêché par les affaires de ses royaumes, arriva à Augsbourg seulement à la fin de décembre : aucun des princes de l’Empire n’y était encore, et il fut contraint de remettre au mois de février de l’année suivante la proposition qu’il avait à faire à la diète. Le règlement de la question religieuse en était le point principal; il donna lieu à de longs débats, où Ferdinand eut la plus grande peine à concilier les prétentions contraires des protestants et des catholiques[932]. Enfin l’on tomba d’accord sur une paix de religion en vertu de laquelle les sujets de l’Empire de la confession d’Augsbourg devaient dorénavant jouir d’une pleine et entière liberté de conscience et demeurer en possession des biens dont ils s’étaient emparés, et les sujets catholiques conserver également leur religion, leurs cérémonies, leurs usages et leurs biens. Le recez qui contenait ces dispositions fut publié le 25 septembre 1555[933].

Charles-Quint avait vu tous ses efforts impuissants contre le luthéranisme en Allemagne; il n’en mit que plus d’ardeur à le proscrire dans ses États des Pays-Bas. Il recommanda aux gouverneurs de ces provinces de faire exécuter rigoureusement ses édits contre les hérétiques; il leur ordonna de ne commettre ni n’admettre aux offices d’administration ou de judicature que des personnes non suspectes d’erreur ou d’hérésie quelconque, ayant toujours eu réputation d’être bons chrétiens et catholiques; de veiller à ce que tous les magistrats et officiers de leur ressort remplissent leur devoir relativement à l’exécution des édits; d’admonester et, au besoin, de signaler au gouvernement ceux qui y apporteraient de la négligence[934]. Il chargea les évêques de se faire informer, par les archidiacres, les doyens ruraux et les curés, des habitants de leurs paroisses qui étaient suspects d’hérésie, ou n’allaient pas à la messe, au sermon et à confesse, ou qui avaient ou étaient suspectés d’avoir des livres défendus, et de donner leurs noms aux inquisiteurs[935]. Il promulgua deux nouvelles ordonnances concernant l’exercice de l’inquisition. Par l’une il confirmait les dispositions de l’édit du dernier février 1546 et statuait, de plus, que les conseils de justice et les officiers royaux, municipaux et autres ne permettraient aux hérétiques, détenus dans leurs prisons à la poursuite des inquisiteurs, de parler ou communiquer avec qui que ce fût sans l’autorisation de ces derniers; que les mêmes conseils et officiers auraient à déférer à la réquisition des inquisiteurs lorsque ceux-ci réclameraient leur présence pour le prononcé des jugements rendus par eux, ou les inviteraient à faire annoter et inventorier les biens des personnes, infectées ou suspectes d’hérésie, qui se seraient absentées par crainte de la justice; enfin qu’ils veilleraient à ce que les biens meubles ou immeubles des individus incarcérés ou en état de prévention pour le fait d’hérésie ne fussent pas transportés ou vendus à d’autres[936]. La seconde ordonnance enjoignait à tous huissiers et sergents d’armes de mettre à exécution les citations, ajournements, intimations, actes et mandements, quels qu’ils fussent, émanés des inquisiteurs ou de leurs subdélégués[937]. Un historien donne une longue liste de malheureux qui, à cette époque, furent condamnés à d’affreux supplices comme anabaptistes ou luthériens[938] : ces horreurs font frémir; elles ne peuvent s’expliquer que par la barbarie des mœurs du temps. En France les exécutions de calvinistes n’étaient ni moins nombreuses ni moins cruelles[939]. Pendant l’hiver de 1554 à 1555 Charles-Quint souffrit beaucoup de la goutte; il n’en fut delivré qu’au commencement du mois de mars[940]. Il avait fait appeler à Bruxelles des députés de toutes les provinces des Pavs-Bys qui contribuaient dans les aides[941] : il ne put les recevoir, et ce fut la reine douairière de Hongrie qui, le 5 et le 6 mars, réunit successivement, en sa présence, les différentes députations. La proposition de l’empereur fut lue par le conseiller Philibert de Bruxelles; elle tendait à ce que les états, pour les dépenses de la guerre, lui accordassent un subside égal à celui qui leur avait été demandé au mois d’août précédent; de plus, elle réclamait d’eux la continuation, pour un nouveau terme de six ans, d’une aide qu’ils avaient votée en 1549 et qui était spécialement destinée à l’entretien des compagnies d’ordonnances, ainsi que des garnisons et des fortifications des places frontières. L’empereur convenait que les états lui avaient fourni de grosses sommes, et il les en remerciait affectueusement; mais ils savaient aussi à quoi elles avaient été employées et ce qu’il avait mis de son côté, par la déclaration particulière qui leur, en avait été faite : « Vous pouvez être assurés et vous confier de Sa Majesté, » leur disait l’orateur « qu’elle fera tout ce qui lui est possible pour excuser de vous charger, et que, si elle trouvait autre moyen, quel qu’il fût, pour pouvoir éviter de vous importuner en vous demandant si souvent aides, elle s’en déporterait très-volontiers, et qu’elle n’y vient sinon forcée pour votre propre nécessité[942]. » Les états accordèrent, après des délibérations plus ou moins longues, les deux demandes faites à leurs députés.

Le 23 de ce même mois de mars mourut le pape Jules III. Il fut regretté de Charles-Quint, qui avait eu à se louer de lui plus que de ses deux prédécesseurs, Clément VII et Paul III. Le sacré collége, le 9 avril, élut à sa place, d’une voix unanime, Marcel Cervino, cardinal de Sainte-Croix. L’Église et la chrétienté se promettaient beaucoup des vertus et du caractère du nouveau pontife; malheureusement une apoplexie l’emporta vingt et un jours après son élection. Le conclave, s’étant assemblé de nouveau, lui donna pour successeur, le 23 mai, Giovanni Pietro Caraffa, noble napolitain, cardinal évêque de Chieti, qui prit le nom de Paul IV. Il n’aurait pu faire choix de personne qui fût autant contraire à Charles-Quint et à l’Espagne : Caraffa était animé d’une vieille haine contre l’empereur, qu’il accusait d’avoir été cause de la propagation des doctrines de Luther par son désir d’abaisser l’autorité pontificale, et dont il avait eu à se plaindre personnellement, ce monarque, lorsqu’il fut élevé au siége archiépiscopal de Naples, l’ayant fait attendre pendant longtemps avant de lui en laisser prendre possession; il lui en voulait aussi pour avoir recommandé à tous les cardinaux qui étaient sous sa dépendance de ne pas lui donner leur voix; il détestait les Espagnols, qu’il traitait d’héritiques, de schismatiques, de maudits de Dieu[943]. Comme il n’avait pas été élu sans contradiction, que le collége des cardinaux lui était même généralement défavorable[944], les partisans de l’empereur à Rome lui proposèrent de déférer son élection au concile comme entachée d’illégalité. Charles-Quint non-seulement s’y refusa, mais encore il ordonna à son ambassadeur, D. Juan Manrique, de féliciter le pape, en son nom et en celui de son fils, sur la suprême dignité à laquelle il venait d’être appelé, en l’assurant qu’il verrait avec plaisir l’elévation des membres de sa famille[945]. Cette condescendance n’eut pas d’effet sur le vindicatif et irrascible pontife : quelques mois s’étaient écoulés à peine qu’il se liguait avec Henri II contre l’empereur.

Si les États de Charles-Quint, et particulièrement les Pays-Bas et l’Italie, étaient désolés par la guerre que, depuis plus de trois ans, ils soutenaient contre la France, la détresse de ce dernier pays n’était pas moins grande; le besoin d’un arrangement qui mît un terme à tant de misères se faisait sentir à toutes les classes de la nation : Henri II et ses ministres ne l’ignoraient pas. Dès que l’hiver était venu suspendre les hostilités, le connétable de Montmorency avait eu recours au grand chancelier d’Angleterre, afin qu’il persuadât la reine de se porter médiatrice entre son maître et l’empereur; dans le même temps, le comte de Vaudemont avait fait des ouvertures de paix à Bruxelles de la part du cardinal de Lorraine[946]. La reine d’Angleterre, avant de se décider, voulut connaître les dispositions où était l’empereur. Charles n’avait cessé de désirer la paix; mais le caractère des Français lui inspirait une défiance extrême : « Je crois — disait-il à l’archevêque de Conza, nonce à sa cour — je crois que, quand même je leur donnerais le tiers de ce que je possède, ils n’en continueraient pas moins de m’inquiéter et de me causer des ennuis[947]; » il se déclara prêt toutefois à négocier et à envoyer des ambassadeurs en tel lieu neutre que la reine désignerait, quand le roi de France l’aurait fait de son côté[948]. Marie choisit, pour lieu des conférences, la bourgade de Marcq, dans la terre d’Oye, à une distance presque égale de Gravelines, d’Ardres et de Calais : Henri II s’y fit représenter par le connétable, le cardinal de Lorraine, Charles Marillac, évêque de Vannes, Jean de Morvillier, évêque d’Orléans, et le secrétaire d’État de l’Aubespine; Charles-Quint y députa le duc de Medinaceli, le comte de Lalaing, le seigneur de Bugnicourt, l’évêque d’Arras, le président Viglius, Lambert de Bryarde, président du grand conseil de Malines, et le secrétaire d’État Bave; le cardinal Pole, le chancelier Gardiner, le comte d’Arundel, le lord Paget y intervinrent comme médiateurs. Les conférences s’ouvrirent le 23 mai; il y en eut sept; la dernière se tint le 8 juin; les négociateurs se séparèrent sans avoir pu rien conclure.

Quelques semaines auparavant[949], Charles-Quint avait reçu la nouvelle de la mort de la reine Jeanne, sa mère. Il y avait près de cinquante ans que cette princesse infortunée avait perdu son époux et que sa raison s’était obscurcie : pour qu’elle atteignît un âge aussi avancé, il avait fallu toute la force de sa constitution, car sa manière de vivre était des plus étranges, et elle ne prenait nul soin de sa santé. Dans les derniers temps de son existence, elle se figurait que ses femmes lui faisaient toutes sortes d’avanies; elle avait un grand effroi d’un chat d’Afrique que son imagination lui représentait comme ayant été apporté par celles-ci dans son palais; elle racontait que cet animal avait mangé la reine Isabelle et mordu le roi Ferdinand. Elle succomba, le 12 avril 1555, à une maladie dont fut cause la corruption des humeurs engendrée chez elle par la manière dont elle vivait; tout son corps était couvert d’ulcères. Au moment suprême elle fut assistée du P. Francisco de Borja, qui, étant marquis de Lombay, avait conduit à la chapelle royale de Grenade les restes de l’impératrice Isabelle, sa belle-fille. Depuis le dérangement de sa raison, elle avait, en mainte circonstance, montré de l’éloignement pour les pratiques religieuses; les exhortations de Borja produisirent sur elle cét effet, qu’elle dit avec lui le Symbole des apôtres, se confessa, reçut l’extrême-onction avec de grandes marques de piété, demanda pardon à Dieu de ses fautes, repétant les termes du Credo à mesure que Borja les articulait, et rendit le dernier soupir en proférant ces paroles : Jésus-Christ crucifié, soyez-moi en aide. Charles-Quint ressentit une vive douleur de la mort de sa mère; il avait toujours eu pour elle beaucoup d’affection et de respect. Il fit prendre le deuil à sa maison ainsi qi’à ses ministres et à ses ambassadeurs; il interdit, pendant plusieurs mois, dans les villes des Pays-Bas, les fêtes et les divertissements publics : il aurait voulu que la célébration des obsèques de la reine dans la capitale et dans les provinces suivît de près la nouvelle, qui s’y était répandue; de son décès : pour des raisons particulières que nous avons exposées ailleurs, elles eurent lieu à Bruxelles seulement le 15 et le 16 septembre. L’empereur n’y assista point; la faiblesse physique à laquelle il était réduit ne lui aurait pas permis d’en supporter les fatigues; il y fut représenté par le roi d’Angleterre, son fils[950].

Les pourparlers de paix n’avaient pas empêché que Charles-Quint et Henri II ne se préparassent à une nouvelle campagne. Celle-ci s’ouvrit dans les Pays-Bas au mois de mars : elle ne fut marquée par aucun événement d’une importance capitale; l’état d’épuisement où étaient les parties belligérantes ne leur permettai pas de mettre sur pied des armées capables d’exécuter de grandes choses. Charles-Quint, persuadé que le roi chercherait, comme l’année précédente, à se rendre maître du cours de la Meuse, résolut de bonne heure d’y mettre obstacle en faisant construire un fort sur cette rivière; une montagne, dans la terre d’Agimont, qui dominait la rive gauche de la Meuse, lui parut le lieu le plus convenable au but qu’il voulait atteindre. La nouvelle forteresse fut appelée Charlemont, du nom de l’empereur. De leur côté, les Français s’attachèrent à ravitailler Marienbourg, et ils y réussirent; mais, le 15 juillet à Gimnée, et le 16 à Givet, le duc de Nevers et le maréchal de Saint-André furent battus par le prince d’Orange, Guillaume de Nassau, qui commandait les troupes impériales, et dans l’Artois, un corps d’infanterie et de cavalerie française, détaché pour piller les environs de Lillers et le bourg de Saint-Venant, fut mis en une déroute complète par le gouverneur de Bapaume, qui en fit prisonnier le chef avec plus de cinq cents nobles de l’arrière-ban[951].Sur mer, le 15 août, il y eut un combat qui honora la marine belge. Vingt-deux hourques flamandes venaient d’Espagne avec de riches cargaisons; elles furent attaquées près de Douvres par dix-neuf vaisseaux de guerre et six brigantins sortis de Dieppe. Les Flamands étaient de beaucoup inférieurs aux Français en équipages et en artillerie, et ceux-ci avaient un autre avantage : les hourques ne pouvaient lutter de vitesse avec leurs navires; aussi n’eurent-ils pas de peine à les investir et à les accrocher. Après une énergique défense, voyant qu’il leur était impossible de résister davantage, les Flamands mirent le feu à leurs poudres, pour se faire sauter avec leurs ennemis. L’incendie fut effroyable. Dans la confusion qui en résulta, cinq des vingt-deux hourques parvinrent à s’échapper et à gagner le port de Douvres. Cinq autres furent conduites à Dieppe; le reste avait péri. Dans cette affaire les Français eurent six de leurs vaisseaux brûlés et un septième coulé bas; ils perdirent leur amiral et plusieurs de leurs capitaines, avec un nombre considérable de matelots et de soldats[952]. En Italie, Brissac, qui commandait en Piémont pour le roi, s’empara de Casal de Montferrat. Le duc d’Albe, nommé vice-roi de Naples et de Milan, arriva dans cette dernière ville le 13 juin; il avait les pouvoirs les plus étendus; une somme de six cents mille ducats avait été mise à sa disposition; l’empereur et le roi Philippe se promettaient de lui des merveilles. Il fut loin de répondre à leur attente. Tout l’avantage de la campagne fut pour les Français, qui le contraignirent de lever le siége de Santia, réduisirent à capituler Vulpiano, et ajoutèrent encore Montecalvo à leurs conquêtes[953]. Les subsides que les états des Pays-Bas avaient en dernier lieu accordés à l’empereur étaient épuisés; il était dû beaucoup d’argent aux troupes, qu’on ne pouvait, faute de payement, ni licencier ni employer contre l’ennemi selon que les circonstances l’auraient exigé; déjà des mutineries avaient éclaté dans l’armee, et il était à craindre qu’il n’y en eût de nouvelles. Les gouverneurs des provinces, mandés à Bruxelles, ne trouvèrent d’autre remède nux embarras dans lesquels se voyait le gouvernement impérial, qu’un nouvel appel au patriotisme de la nation[954]. Chacun des pays contribuant aux aides et subsides reçut l’ordre d’envoyer des députés dans la capitale : la reine régente, le 11 et le 13 septembre, réunit séparément, ainsi qu’elle le faisait depuis plusieurs années, les différentes députations; le conseiller Bruxelles leur adressa la parole au nom de l’empereur[955]. Charles-Quint ne parut point à ces réunions. Son règne était à la veille de finir.

Dans le cours de sa vie si agitée, Charles avait plus d’une fois ressenti la satiété du pouvoir suprême et le désir de s’affranchir des sollicitudes, des peines, des ennuis qui en sont inséparables[956]. La détermination de descendre du trône était arrêtée dans son esprit lorsque, au mois de juin 1550, il alla tenir la seconde diète d’Augsbourg. Plusieurs raisons y avaient vraisemblablement concouru. Sa santé, depuis longtemps déjà affaiblie, avait, les deux hivers précédents, reçu de graves atteintes; le prince son fils était parveni à l’âge de vingt-trois ans : reconnu pour le futur héritier de la monarchie espagnole par les cortès de Castille dès 1528, par les cortès d’Aragon, de Valence et de Catalogne en 1542, il venait de l’être par les états des Pays-Bas; nulle difficulté n’était donc à prévoir le jour où il plairait à l’empereur de lui transmettre l’autorité souveraine. Les événements qui suivirent son retour en Allemagne ne permirent point à Charles de donner exécution au dessein qu’il avait conçu. Cependant, d’année en année, ses indispositions s’aggravaient et le poids des affaires publiques lui devenait plus pénible.

La conclusion du mariage du prince Philippe avec la reine d’Angleterre lui fournit enfin l’occasion, tant désirée par lui, de réaliser le projet qui le préoccupait depuis plusieurs années. C’était en Espagne, et dans un monastère de l’ordre de Saint-Jérôme, situé au milieu de l’Estrémadure, qu’il avait résolu de se retirer. Il ne pouvait rester dans les Pays-Bas; ses infirmités exigeaient un climat plus doux; dans ces provinces d’ailleurs incessamment exposées aux insultes des Français, il n’aurait pas joui de la tranquillité dont il avait besoin. Au commencement de 1554, il adressa au père Juan de Ortega, général des hiéronymites, une lettre où il lui marquait que son intention était de passer le reste de ses jours au monastère de Yuste, et le chargeait d’y faire construire pour lui une habitation dont il envoyait le plan. Dans le même temps il écrivit à son fils que cette habitation devait être celle d’un simple particulier qui y vivrait avec les serviteurs les plus indispensables[957].

Il comptait passer en Espagne dans l’automne de la même année[958]. Il espérait que son fils, après la célébration de son mariage avec la reine Marie Tudor, ne tarderait pas à venir le joindre. Mais Philippe, retenu en Angleterre par des affaires majeures d’abord, ensuite par les pressantes instances de son épouse, qui se croyait enceinte, n’arriva à Bruxelles que le 8 septembre de l’année suivante[959]. Dans les délibérations qui suivirent son arrivée, et auxquelles prirent part l’empereur, le roi, la reine douairière de Hongrie et leurs principaux ministres, il fut arrêté que l’empereur abdiquerait en premier lieu la souveraineté des Pays-Bas, et ferait recevoir son fils comme son successeur dans une assemblée solennelle des états généraux de ces provinces. Tous les états furent convoqués afin d’envoyer des députés à Bruxelles, munis des pouvoirs nécessaires. La cérémonie de l’abdication, indiquée au 14 octobre, fut successivement reculée jusqu’au 25. Le 20 Charles manda les chevaliers de la Toison d’or qui se trouvaient dans la capitale, et leur annonça l’intention qu’il avait de se démettre de la souveraineté de l’ordre en faveur de son fils. Le lendemain il les réunit en un conseil qu’il présida; Philippe était à son côté : leur ayant rappelé sa communication de la veille, il les invita à reconnaître le roi pour chef de l’ordre après qu’il aurait été investi de la souveraineté des Pays-Bas. Philippe se retira alors, et la proposition de l’empereur fut mise aux voix. Les chevaliers présents étaient le duc de Savoie, les comtes de Boussu, de Lalaing, d’Egmont, d’Arenberg, le marquis de la Vère, les seigneurs de Brederode, de Bugnicourt, de Molembais et de Werchin; tous votèrent pour l’affirmative. Philippe étant rentré, les chevaliers ses confrères lui adressèrent leurs félicitations. L’empereur entretint après cela le conseil du dessein qu’il avait de renvoyer le collier de l’ordre de Saint-Michel dont le roi François Ier l’avait décore en 1516 : les motifs qu’il en donna furent l’inimitié que ce roi lui avait montrée jusqu’à sa mort et que le roi régnant lui continuait, l’admission dans l’ordre d’hérétiques, de traitres et d’autres personnes infâmes, sa résolution bien ferme de ne le porter ni d’en observer les statuts en Espagne. Les chevaliers, à l’unanimité, approuvèrent son propos[960]. Le même jour Charles-Quint pourvut à un nombre considérable de dignités ecclésiastiques et de charges civiles et militaires qui étaient vacantes; ce fut comme son testament administratif. La faveur n’eut point de part à ces nominations; le mérite, les services rendus à l’État furent les seuls titres auxquels l’empereur eut égard[961].

Au moment où Charles allait achever son rôle politique, il aurait souhaité avoir une entrevue avec le roi des Romains, son frère. Les rapports entre les deux chefs de la maison d’Autriche, autrefois si affectueux, si intimes, s’étaient refroidis depuis que Charles avait eu la malencontreuse idée de faire passer la couronne impériale sur la tête de son fils. Les archiducs n’éprouvaient que de l’antipathie pour le prince d’Espagne, qui ne les aimait pas davantage. Le mariage de Philippe avec la reine d’Angleterre venait de donner au roi des Romains et à ses enfants un nouveau sujet de déplaisir : Ferdinand avait aspiré à la main de la reine pour le second de ses fils, celui qui portait son nom. Enfin il n’avait pas lieu d’être content des réponses faites, sur des points d’une grande importance pour l’archiduc Maximilien, à don Pedro Lasso, envoyé par lui à Bruxelles et à Londres, à l’occasion de ce mariage. Charles-Quint aurait été heureux de voir, avant de s’ensevelir dans la retraite, la concorde rétablie entre tous les membres de la famille impériale, et la venue de son frère lui semblait propre à y contribuer; il aurait voulu aussi entretenir le roi des Romains de la situation de l’Allemagne. Le roi ne se rendit pas à son désir; il allégua les affaires de l’Empire et de ses propres États, qui lui imposaient le devoir de ne pas les quitter, et se contenta — encore ne le fit-il qu’au dernier moment — de faire partir pour les Pays-Bas son second fils. L’archiduc Ferdinand arriva à Bruxelles le lendemain de l’abdication[962]; il n’y séjourna que huit jours. Le vendredi 25 octobre, un peu avant trois heures, Charles sortit de sa petite maison, accompagné du roi Philippe, du duc de Savoie, du comte de Boussu, son grand écuyer, de Jean de Poupet, seigneur de la Chaulx, son sommelier de corps, et de plusieurs autres personnages; portant le deuil de la reine sa mère, il était vêtu de drap noir très-simple; un bonnet lui servait de coiffure; il avait au cou le grand collier de la Toison d’or[963]. Ses infirmités ne lui permettaient plus l’usage du cheval; il monta une petite mule. Il se dirigea vers le palais[964], en longeant le Parc dans toute son étendue. C’était la grande salle de cette ancienne demeure des ducs de Brabant qui avait été choisie pour l’imposante cérémonie dont le bruit allait bientôt retentir dans l’Europe entière; elle avait été décorée avec magnificence; une estrade en occupait le fond du côté de l’occident; on y avait placé le dais aux armes de Bourgogne avec trois fauteuils; à droite et à gauche du dais des bancs étaient disposés pour les chevaliers de la Toison d’or, les seigneurs principaux du pays et les ministres qui composaient les trois conseils collatéraux. En bas, et vis-à-vis de l’estrade, devaient s’asseoir les membres des états. Un espace, séparé de cette partie de la salle par une barrière, avait été réservé pour le public[965].

Jamais il n’y avait eu et jamais depuis l’on ne vit aux Pays-Bas d’assemblée nationale aussi nombreuse, aussi brillante que celle qui allait recevoir les adieux de Charles-Quint. La Flandre seule y comptait près de cent mandataires; des dix-sept provinces des Pays-Bas il n’y avait que le petit pays d’Overyssel, de Drenthe et de Lingen qui n’y fût pas représenté[966]. L’espace réservé au public s’était trouvé de bonne heure envahi par la foule. Lorsque tous les députés eurent pris les places qui leur étaient destinées, l’empereur entra dans la salle, tenant de la main gauche un bâton qui lui servait de soutien, et ayant la main droite appuyée sur l’épaule du prince d’Orange. Derrière lui marchaient le roi Philippe, la reine douairière de Hongrie, le duc de Savoie, les chevaliers de la Toison d’or, les membres des conseils collatéraux et les officiers des trois maisons royales. A l’aspect de leur souverain, les états se levèrent et s’inclinèrent. Charles s’assit sous le dais dans le fauteuil du milieu, faisant asseoir à sa droite le roi Philippe et à sa gauche la reine Marie; le duc de Savoie occupa un siége particulier auprès de la reine; les chevaliers de l’ordre, les membres du conseil se placèrent sur les bancs qu’on avait préparés pour eux; les seigneurs et les gentilshommes qui ne remplissaient que des charges de cour restèrent debout au pied de l’estrade. Charles commanda aux états de s’asseoir. Un silence profond s’établit en ce moment. Sur un signe de l’empereur, le conseiller Bruxelles s’approcha et donna lecture à l’assemblée d’un discours où étaient déduites d’abord les raisons qui contraignaient ce monarque d’abdiquer la souveraineté des Pays-Bas. Il y était dit ensuite que l’empereur déliait les états de leur serment; qu’il les priait de prendre de bonne part ce qu’il avait fait pour leur bien; qu’il regrettait de n’avoir pu faire davantage, car « tout se devait à de si bons et de si loyaux sujets »; qu’il les remerciait du concours qu’il avait toujours trouvé en eux tous, des bons avis qu’ils lui avaient donnés, des grandes et notables aides qu’ils lui avaient fournies. Voulant, à l’heure où il prenait congé d’eux, leur prouver encore sa sollicitude, il leur recommandait le service de Dieu, le maintien de la religion, l’obéissance due à l’Église, l’observation inviolable des édits qu’il avait promulgués afin de préserver les Pays-Bas de la contagion des doctrines hérétiques : il attachait à cet objet une importance capitale. Il les exhortait enfin à révérer la justice, à vivre en bonne union, et à se montrer envers le roi son fils aussi loyaux et affectionnés sujets qu’ils n’avaient cessé de l’être envers lui. La harangue du conseiller Bruxelles avait été écoutée avec faveur. L’attention de l’assemblée redoubla lorsqu’elle vit l’empereur se disposer à parler lui-même. Charles-Quint mit ses lunettes, et jetant les yeux, pour aider sa mémoire, sur des notes contenues en un petit papier qu’il tenait à la main, il commença par rappeler aux états qu’il y avait eu quarante ans, la veille des Rois, dans le même lieu et presque à la même heure, que l’empereur Maximilien, son aïeul, l’avait émancipé. Il parla de la mort du roi catholique qui l’avait obligé de passer en Espagne, de celle de l’empereur, de la dignité impériale qi’il avait sollicitée, « non pour ambition d’avoir plus de seigneuries », mais pour le bien de ses propres États. Il dit que, depuis, il avait fait neuf voyages en Allemagne, six en Espagne, sept en Italie, dix aux Pays-Bas, quatre en France, deux en Angleterre, deux en Afrique, sans compter ses visites à ses royaumes, pays et îles, et son passage par la France, en 1539, « qui n’avait pas été la moindre de ses entreprises »; qu’il avait, dans ces divers voyages, traversé huit fois la Méditerranée et trois fois l’Océan. Il donna de grands élogesà la reine Marie pour la sagesse et l’habileté avec lesquelles elle avait gouverné les Pays-Bas pendant ses absences de ces provinces. Il exprima ses regrets de n’avoir pu, avant son départ, les faire jouir des bienfaits de la paix, assurant les états que si, sous son règne, ils avaient été fréquemment exposés aux maux que la guerre entraîne à sa suite, cela avait été bien contre sa volonté; que chaque fois il s’était vu forcé par ses ennemis de prendre les armes pour sa défense. Tant de choses qu’il avait accomplies n’avaient pu l’être — poursuivit-il — sans de grandes fatigues, comme il était aisé de le voir par l’état où il se trouvait; aussi y avait-il longtemps qu’il sentait son insuffisance, et à son dernier départ pour l’Allemagne, il était décidé à se décharger d’un fardeau qu’il n’était plus capable de porter : mais les affaires étant tombées en une extrême confusion, il ne voulut point abandonner à un autre la peine de les rétablir. Il raconta, après cela, en quelques mots, son entreprise contre Metz et ses deux expéditions de 1553 et 1554 contre le roi de France, disant, à propos de la dernière, qu’il avait fait ce qu’il avait pu, et qu’il lui déplaisait de n’avoir pu mieux faire. Il ajouta que, se voyant tout à fait inutile, Dieu ayant retiré de ce monde la reine sa mère, et son fils pouvant mieux que lui remplir envers ses peuples les obligations attachées à la couronne, il n’avait plus voulu différer la renonciation pour laquelle les états étaient réunis. Il leur recommanda son fils, et revenant sur ce que le conseiller Bruxelles leur avait déclaré de sa part, il les convia à demeurer unis, à soutenir la justice, surtout à ne pas permettre que l’hérésie se glissât dans le pays. Sa péroraison fut des plus touchantes : « Je sais bien, messieurs, dit-il, qu’en tout mon temps j’ai fait de grandes fautes, tant par mon jeune âge, par ignorance et par négligence qu’autrement; mais bien vous puis-je certifier que jamais je n’ai fait force ni violence, à mon escient, à aucun de mes sujets. Si j’en ai fait quelqu’une, ce n’a été à mon escient, mais par ignorance; je le regrette et j’en demande pardon. » En prononçant ces dernières paroles, il s’attendrit et des pleurs s’échappèrent de ses yeux. Il reprit aussitôt, disant : « Si je pleure, messieurs, ne croyez pas que ce soit pour la souveraineté dont je me dépouille en cet instant : c’est pour l’obligation où je suis de m’éloigner du pays de ma naissance et de me séparer de vassaux tels que ceux que j’y avais. » L’émotion de l’assemblée était à son comble : parmi les personnes présentes, il y en avait peu dont les larmes ne répondissent à celles du prince qui montrait tant de modestie, tant de simplicité, unie à tant de grandeur[967]. Me Jacques Maes, premier conseiller pensionnaire de la ville d’Anvers et l’un des députés du Brabant, se leva. S’adressant à l’empereur au nom des états généraux, il dit qu’ils avaient appris avec un inexprimable regret sa détermination, car il n’y avait rien qu’ils auraient désiré plus que de continuer à vivre sous son juste, bénin et modéré gouvernement, et ni la difficulté des circonstances, ni les calamités de la guerre actuelle, ni d’autres adversités quelconques, n’étaient capables d’altérer leur amour et leur dévouement pour lui; qu’ils lui auraient donc fait d’instantes et d’humbles prières afin qu’il revînt sur cette détermination, s’ils n’avaient su qu’elle était irrévocable et fondée sur des motifs impérieux. Il ajouta que les états généraux, se soumettant à sa volonté, étaient prêts, en vertu des pouvoirs qu’ils tenaient de leurs commettants, à accepter la cession qu’il faisait des Pays-Bas, à recevoir le prince son fils, à le servir avec autant de zèle et d’affection qu’ils en avaient montré à lui-même. Il demanda ensuite à l’empereur la continuation de sa bienveillance pour le pays, lui offrit cent mille bons souhaits pour l’heureux succès de son voyage en Espagne, et conclut en promettant que les états auraient égard à ses sages avertissements en ce qui concernait le maintien de la justice, l’union, des provinces entre elles et l’observation de la foi catholique. Après ce que venait de déclarer l’organe de l’assemblée nationale, il ne restait à Charles-Quint qu’à investir son successeur de la souveraineté qui lui était déférée. Philippe se jeta aux genoux de son père et voulut lui baiser la main. L’empereur le fit relever, le serra tendrement dans ses bras, et lui dit en espagnol : « Mon cher fils, je vous donne, cède et transporte tous mes pays de par deçà, comme je les possède, avec tous les avantages, profits et émoluments qui en dépendent. Je vous recommande la religion catholique et la justice. » Philippe répondit à son père, dans la même langue, qu’il se soumettait à sa volonté, quoique ce fût une très-grande charge qu’il lui imposait. Cette scène attendrit encore l’empereur, qui, se tournant vers les états, leur dit : « Messieurs, vous ne devez être émerveillés, si, vieux et débile de tous mes membres tel que je suis, et aussi pour l’amitié, je verse quelques larmes. » Alors un secrétaire lut les lettres patentes de la cession. Cette lecture achevée, Philippe, après s’être excusé de ce qu’il ne possédait pas assez le français pour parler aux états en cette langue, chargea l’évêque d’Arras d’exprimer ce qu’il avait à leur dire. Quand Granvelle eut fini de parler, la reine Marie demanda à l’empereur la permission de s’adresser à son tour à l’assemblée. Cette princesse, depuis bien des années, faisait des instances à son frère afin qu’il la déchargeât du gouvernement des Pays-Bas; toujours Charles-Quint avait éludé sa demande; quelques semaines avant son abdication, il l’avait encore sollicitée de conserver la régence sous le roi son fils : mais cette fois elle avait été inébranlable. C’était sa retraite que la reine voulait elle-même annoncer aux états. Elle le fit en des termes pleins de réserve et de convenance. Charles-Quint remercia sa sœur avec effusion des longs et fidèles services qu’elle lui avait rendus. Me Jacques Maes, interprète une seconde fois des sentiments des états généraux, assura la reine de la reconnaissance que le pays conserverait de son administration. Quelques mots de l’évêque d’Arras pour annoncer à l’assemblée, de la part du roi, que la prestation réciproque des serments aurait lieu le jour suivant, terminèrent cette mémorable cérémonie, qui resta sans imitation dans l’avenir comme elle était sans exemple dans le passé. Lorsque les états et le peuple eurent quitté le palais, Charles reprit le chemin de sa petite maison[968].

Il s’était flatté de partir pour la Castille aussitôt après son abdication[969]; le retard que subit l’arrivée de l’argent qu’il avait demandé à la princesse doña Juana, sa fille, gouvernante des royaumes d’Espagne, pour payer sa maison à laquelle il ne devait pas moins de deux cent mille écus, vint renverser ses espérances, et il lui fallut se résigner à passer encore un hiver à Bruxelles. Cette prolongation forcée de son séjour dans les Pays-Bas fut mise à profit par le roi Philippe. Aucune des provinces n’avait voté les subsides qui leur avaient été demandés au mois de septembre et l’on s’attendait à de grandes difficultés de leur part, car le pays était surchargé d’impôts. Charles-Quint, à la prière de son fils, consentit à intervenir personnellement auprès des quatre membres de Flandre, dont le contingent était le plus considérable de tous : il leur écrivit, les « requérant très-affectueusement de se vouloir esvertuer pour accorder pleinement et promptement la demande qu’il leur avait faite, pour être icelle la dernière. » Cet appel de l’empereur à l’affection et au zèle des Flamands, ses compatriotes, produisit son effet : les quatre membres accordèrent la somme totale (quatre cent quatre-vingt mille florins) réclamée d’eux. Leur exemple fut suivi par tous les autres états[970].

Charles avait abdiqué la souveraineté des Pays-Bas, mais il demeurait souverain des royaumes d’Espagne. Devons-nous croire ce que rapportent certaines dépêches diplomatiques, que Philippe aurait hautement témoigné son impatience du délai que mettait l’empereur à lui transporter ces royaumes, et qu’il y aurait même eu à ce sujet entre le père et le fils des scènes assez vives, Philippe allant jusqu’à dire à son père que, s’il ne lui cédait pas l’Espagne, il aimait mieux qu’il reprît tout ce qu’il lui avait donné[971]? Le caractère connu des deux princes ne rend pas le fait invraisemblable. Il est possible d’ailleurs — aucun des documents qui ont été publiés ne permet d’affirmation à cet égard — que Charles eût eu l’intention d’attendre, pour transmettre à son fils les couronnes de Castille, d’Aragon et de Sicile, qu’il fût arrivé dans la Péninsule. Quoiqu’il en soit, cette transmission fut de sa part l’objet de trois renonciations successives qui s’accomplirent le 16 janvier 1556, en sa petite maison du Parc. La première comprenait les royaumes de Castille, de Léon, de Grenade, de Navarre, des Indes, îles et terre ferme de la mer Océane découvertes et à découvrir, les grandes maîtrises des ordres de Saint-Jacques, d’Alcantara et de Calatrava. La deuxième s’appliquait aux royaumes d’Aragon, de Valence, de Sardaigne, de Maillorque, à la principauté de Catalogne, au comté de Barcelone, de Roussillon, de Cerdagne et aux îles adjacentes. La troisième était relative au royaume de Sicile. Dans aucun de ces actes, pas plus que dans les lettres du 25 octobre 1555, il n’est question d’une rente, que Charles-Quint se serait réservée, de cent mille écus selon plusieurs historiens, de deux cent mille ducats selon d’autres[972]. De toutes ses couronnes héréditaires Charles ne possédait plus que celle du comté de Bourgogne; des raisons particulières, puisées dans l’intérêt de ce petit pays, l’avaient engagé à en différer la cession à son fils : il la fit par des commissaires, le 10 juin 1556, dans une assemblée des états du comté tenue à Dôle[973].

Cependant, à l’occasion d’un échange des prisonniers faits de part et d’autre, des négociations s’étaient renouées, pendant l’hiver, entre l’Espagne et la France, en vue de la paix. Elles ne furent pas tout à fait sans résultat : le 5 février 1556 les négociateurs signèrent, en l’abbaye de Vaucelles, près de Cambrai, une trève de cinq ans, qui maintenait le statu quo. Charles-Quint intervint au traité comme chef de l’Empire. Une ambassade solennelle, à la tête de laquelle était Gaspard de Coligny, amiral de France, fut envoyée par Henri II à Bruxelles, pour recevoir les serments de l’empereur et du roi Philippe. Coligny arriva dans cette capitale le 25 mars ; le 29 il eut audience de l’empereur, qu’il trouva assis à cause de sa goutte, et ayant devant lui une table couverte d’un tapis noir. Après des félicitations sur la conclusion de la trêve, auxquelles Charles-Quint répondit gracieusement, l’amiral lui remit une lettre du roi son maître. Charles, dont les mains étaient à moitié paralysées, ne parvenant pas à l’ouvrir, l’évêque d’Arras, placé derrière son siége, s’avança pour lui venir en aide ; mais il n’y consentit point : « Comment, monsieur d’Arras, lui dit-il, vous voulez me ravir le devoir auquel je suis tenu envers le roi mon bon frère ! S’il plaît à Dieu, un autre que moi ne le fera pas. » Et par un plus grand effort, il brisa le fil qui tenait la lettre fermée. Se tournant alors vers Coligny, « Que penserez vous de moi, monsieur l’amiral, lui dit-il ? Ne suis-je pas un brave cavalier pour courir et rompre une lance, moi qui ne puis qu’à bien grand’ peine ouvrir une lettre ? » Il s’enquit ensuite de la santé du roi et se glorifia de descendre, par Marie de Bourgogne, de la maison de France. Apprenant qu’Henri II avait déjà des cheveux blancs, bien qu’encore jeune, il dit à Coligny : « J’étais quasi du même âge que le roi votre maître lorsque je revins de mon voyage de la Goulette à Naples. Vous connaissez la beauté de cette ville et la bonne grâce des dames qui y sont : je voulus leur plaire comme les autres et mériter leur faveur. Le lendemain de mon arrivée, je fis appeler mon barbier de grand matin, pour m’arranger la tête, me friser et me parfumer. En me regardant au miroir, j’aperçus quelques cheveux blancs comme en a aujourd’hui le roi mon bon frère. Otez-moi ces poils-là, dis-je au barbier, et n’en laissez aucun : ce qu’il fit. Mais savez-vous ce qu’il m’advint ? Quelque temps après, me regardant encore au miroir, je trouvai que, pour un poil blanc que j’avais fait oter, il m’en était revenu trois. Si j’avais voulu faire ôter ces derniers, je serais devenu en moins de rien blanc comme un cygne. » Cette anecdote fit beaucoup rire Coligny et les personnages qui l’accompagnaient. L’empereur voulut voir le fameux bouffon Brusquiet, qui avait suivi l’ambassade française à Bruxelles ; il échangea avec lui quelques plaisanteries[974].

L’argent attendu d’Espagne étant enfin arrivé, Charles-Quint fixa son départ à la fin du mois de juin. Dans le courant de ce mois il licencia sa maison, qui comprenait encore plus de quatre cent cinquante personnes, sans compter les compagnies d’archers et de hallebardiers qui formaient sa garde wallonne, allemande et espagnole. Il voulut seulement être accompagné jusqu’en Espagne de Jean de Croy, comte du Rœulx, de Jean de Poupet, seigneur de la Chaulx, de Floris de Montmorency, seigneur d’Hubermont, de Philippe de Recourt, seigneur de Lieques, et d’un certain nombre de ses ayúdas de cámara, de ses barbiers et d’autres officiers subalternes attachés au service de la chambre, de la cuisine, de la cave, de la table et de l’écurie. Une compagnie de hallebardiers devait lui servir d’escorte jusqu’à son entrée au monastère de Yuste. Quoiqu’il fût habitué depuis longtemps aux soins du docteur Corneille de Baersdorp, qui avait sa confiance, il le céda aux reines ses sœurs et se contenta, pour son service propre, d’un médecin plus jeune, Henri Mathys, brugeois comme Baersdorp[975].

Sur ces entrefaites, le roi Ferdinand lui fit exprimer le désir de son fils Maximilien de venir le voir avant qu’il passât en Espagne. Charles lui répondit qu’il serait charmé de cette visite, surtout si le roi de Bohême était accompagné de sa femme, mais à la condition que Maximilien fût à Bruxelles avant la fin de juin, ne voulant pas remettre son départ, quelque chose qu’il pût survenir. Il le remit cependant, d’une quinzaine de jours sur les instances de Ferdinand et de Maximilien, et l’assurance que le roi de Bohême arriverait avec la reine Marie vers le 12 juillet[976]. Dans l’intervalle une maladie contagieuse s’étant déclarée à Bruxelles, Charles alla s’établir au château de Sterrebeke[977], appartenant à Antoine le Sauvage, dont le père avait été son grand chancelier. Il revint, le 15 juillet, à Bruxelles, où, le surlendemain, le roi et la reine de Bohême firent leur entrée en compagnie de Philippe II, qui était allé à leur rencontre jusqu’à Louvain. Maximilien passa trois semaines dans la capitale des Pays-Bas. Il réussit à faire revenir l’empereur sur ses déterminations touchant un point qui tenait extrêmement à cœur au roi des Romains. Charles-Quint, dès le mois de septembre précédent, avait annoncé à son frère l’intention d’abdiquer la dignité impériale aussi bien que toutes ses couronnes héréditaires. Cette communication avait inquiété Ferdinand, qui n’était pas assuré des sentiment des électeurs à son égard : il s’était empressé d’écrire à l’empereur afin de le détourner d’un dessein dont les conséquences pouvaient, selon lui, être des plus fâcheuses pour leur maison : depuis il lui avait fait faire des représentations pressantes, sur le même sujet, par D. Martin de Guzman, son ambassadeur, et par l’archiduc Ferdinand. Tout cela n’avait point ébranlé Charles-Quint, et il était bien décidé à signifier sa renonciation à la diète qui devait s’assembler à Ratisbonne. Le 24 mai 1556 Ferdinand renouvela ses observations à son frère, et, comme, en ce moment, Maximilien se disposait à se mettre en route pour les Pays-Bas, il lui recommanda de les appuyer de toute son influence personnelle. Le roi de Bohême fut puissamment secondé, dans ses instances auprès de l’empereur, par sa femme, par la reine douairière de Hongrie, par Philippe II lui-même, qui était intéressé à ce que son père conservât le plus longtemps possible l’autorité suprême dans l’Empire. Charles consentit enfin à une sorte de transaction qui conciliait dans une certaine mesure son desir de se dépouiller de toute espèce de pouvoir avec les vœux que lui exprimaient si fortement les membres de sa famille. Il autorisa son frère à convoquer les électeurs, soit en diète ou autrement, au lieu et au temps qu’il jugerait le plus à propos, et lui transmit à cet effet des lettres de créance pour eux. Afin que cette assemblée eût un résultat conforme aux vœux de Ferdinand, il s’engagea à faire proposer aux électeurs, par les ambassadeurs qui y assisteraient en son nom, qu’il lui fut, loisible de remettre au roi des Romains le titre d’empereur et l’administration de l’Empire, librement et purement, sans en rien retenir. Si les électeurs y consentaient, ses ambassadeurs, en vertu de leur pouvoir, feraient la renonciation entre leurs mains; dans le cas contraire, ils auraient mission de négocier afin que, tout en retenant le nom et le titre, il pût transférer le gouvernement absolu de l’Empire à son frère, ou en charger, durant son absence, qui il lui plairait. Lorsqu’il fit part de cette résolution au roi Ferdinand, Charles ne lui laissa pas ignorer que son plus grand désir en ce monde était « de se desnuer de tout » et qu’il espérait, par conséquent, que rien ne serait négligé de sa part pour que les électeurs acceptassent la première des trois propositions que les ambassadeurs impériaux auraient mission de leur soumettre[978].

Le 8 août le roi et la reine de Bohême reprirent le chemin de l’Allemagne. Le même jour Charles-Quint se mit en route pour Gand, où il fut suivi, bientôt après, des reines douairières de France et de Hongrie, qui avaient, comme lui, pris la résolution d’aller finir leur existence en Espagne, du roi Philippe, du duc de Savoie, des ambassadeurs et de toute la cour[979]. Le 23 l’amiral Coligny prit congé de l’empereur. Le 26 Charles fit dire à tous les autres ambassadeurs qu’il les recevrait successivement ce jour-là. Le premier auquel il donna audience fut l’envoyé de Florence, Gio-Battista Ricasoli, évêque de Cortona. Ce diplomate lui ayant exprimé la crainte que les affaires de l’Europe ne souffrissent de son départ, il lui répondit : « Ambassadeur, mon départ est indispensable. Soyez certain d’ailleurs que ce que le roi mon fils ne fera pas pour remédier aux désordres du monde, je ne saurais le faire en restant ici. Le pape, qui est cause de ces désordres, est vieux; il ne vivra pas longtemps. » Et il s’étendit sur l’hypocrisie et la mauvaise nature du souverain pontife en des termes qui émerveillèrent l’envoyé de Côme de Médicis[980]. Il parlait avec beaucoup de peine[981]. Après Ricasoli, ce fut le nonce qu’il reçut; l’ambassadeur de Paul IV n’eut pas à se louer de l’accueil qu’il lui fit[982].

Charles-Quint quitta Gand le 28 août, se dirigeant vers la Zélande; il était accompagné du roi son fils, du duc de Savoie, des principaux personnages des Pays-Bas et des seigneurs espagnols de la suite du roi. Le 30, ayant fait ses adieux à son fils, il s’embarqua au Nieuwaert avec les reines ses sœurs, pour passer en l’île de Walcheren. Trois heures après il descendait à Flessingue, où on lui fit une réception solennelle. Là il trouva un petit mulet sur lequel il monta pour se rendre à Souburg, village situé à trois kilomètres de Flessingue et à quatre de Middelbourg, où il se proposait d’attendre que le vent devînt propice : il y avait dans ce village un assez beau château, appartenant au seigneur de Glajon, Philippe de Stavele, qui avait été mis à sa disposition. Les deux reines demeurèrent à Flessingue[983].

Ce fut à Souburg que Charles signa les dépêches touchant sa renonciation à l’empire. Il nomma ses ambassadeurs auprès des électeurs et de la diète le prince d’Orange, le vice-chancelier Seldt, le secrétaire Wolfgang Haller, et dicta pour eux des instructions conçues dans le sens de ce qu’il avait déclaré, à Bruxelles, au roi de Bohême. En attendant que ces ambassadeurs eussent accompli leur mission, l’Allemagne ne pouvait rester sans chef : il écrivit aux princes et aux états de la Germanie qu’il avait investi son frère, comme son futur successeur, en sa qualité de roi légitimement élu des Romains, du pouvoir absolu et irrévocable de traiter, négocier et commander en toutes choses qu’il trouverait être requises et nécessaires à la grandeur, prospérité et augmentation de l’Empire, leur ordonnant, en vertu de son autorité impériale et sous peine d’encourir son indignation, de révérer, respecter et honorer ledit roi des Romains ainsi qu’ils feraient sa propre personne. Il avait, quelques jours auparavant, transmis une injonction semblable à la chambre impériale de Spire. Il donna avis de toutes ces dispositions à son frère, et lui envoya copie des instructions qu’il laissait à ses ambassadeurs. À cette occasion, il crut devoir lui manifester encore ses sentiments : « Je me suis très-volontiers — lui écrivit-il — condescendu à votre désir, sous l’espoir et confiance que, nonobstant les mandements et lettres adressés aux princes de l’Empire, vous regarderez de décharger ma conscience de tous scrupules, puisque, par le discours de la négociation passée jusques à ores, vous avez pu connaître quels ils sont, et que, pour m’en mettre hors, vous userez de toute diligence requise pour accorder avec les électeurs du lieu et du temps auquel ils se devront trouver personnellement avec vous... » Il fit délivrer à Philippe II les insignes impériaux dont un de ses officiers avait eu jusqu’alors la garde, afin que les ambassadeurs qui assisteraient à la prochaine diète pussent les remettre entre les mains de son successeur. Par un dernier acte, dont il se garda bien de donner connaissance à Ferdinand, il créa son fils, ainsi que ceux qui après lui occuperaient le trône d’Espagne, vicaires perpétuels de l’Empire en Italie. Cet acte était si exorbitant qu’il encourut le blâme de Granvelle lui-même[984].

Deux flottes étaient réunies dans la rade de Flessingue pour transporter en Espagne Charles-Quint et les reines ses sœurs : l’une se composait de navires biscayens, asturiens et castillans; elle était commandée par D. Luis de Carvajal, capitaine général de l’armada de Guipuzcoa; l’autre était formée de navires flamands et zélandais; elle avait pour amiral Adolphe de Bourgogne, seigneur de Wacken. Le vent que les pilotes désiraient pour mettre à la voile s’étant fait sentir, l’empereur et les reines s’embarquèrent le 14 septembre dans l’après midi[985] : l’empereur sur un navire biscayen, El Espiritú Santo, du port de 565 tonneaux, que commandait Antonio de Bertendona[986]; les reines sur Le Faucon, navire belge portant le pavillon de l’amiral de Wacken. Le 15, de grand matin, les flottes se mirent en mouvement; mais elles avaient à peine appareillé que le calme d’abord et ensuite les vents de sud-ouest les retinrent à la pointe de Ramekens. Philippe II y vint, le 16, visiter son père. Le même jour, le vent fraîchit et prit une direction favorable; les flottes purent ainsi, le 17, poursuivre leur route. Le 28 elles mouillèrent dans le port de Laredo en Castille. Charles-Quint descendit à terre dans l’après-midi.

Philippe II avait expressément recommandé à sa sœur, la princesse doña Juana, de prendre les mesures nécessaires pour que l’empereur, en descendant à terre, trouvât, avec un alcade de cour chargé de pourvoir à la subsistance de sa maison et de lui procurer les moyens de transport dont il aurait besoin, six des prêtres attachés à la chapelle royale et une somme de trois mille ducats; il avait ajouté que, quoique l’empereur ne voulût entendre parler d’aucune cérémonie, il convenait que quelques-uns des grands, accompagnes d’un prélat, l’allassent recevoir au port où il débarquerait[987]. Doña Juana avait donné des ordres et écrit des lettres en conséquence. Néanmoins à Laredo Charles-Quint ne trouva personne[988]. L’alcade Durango n’y arriva qu’après lui ainsi que don Juan Manrique, évêque de Salamanque. Le 5 octobre y vint, à sa grande satisfaction, le colonel don Luis Mendez Quijada, qui, lorsqu’il avait licencié sa cour à Bruxelles, faisait partie de ses majordomes. Il y avait trente-quatre ans que Quijada était attaché à sa personne; il avait pu apprécier sa fidélité et son dévouement : aussi était ce sur lui qu’il avait jeté les yeux pour la direction de sa maison en Espagne. Dans cette vue il l’avait autorisé à aller passer quelque temps avec sa femme en son domaine de Villagarcia, situé non loin de Valladolid[989].

Charles quitta Laredo le 6. Il s’arrêta le premier jour à Ampuero, le deuxième à la Nestosa, le troisième à Agüéra, où il donna audience à D. Enrique Enriquez de Guzman ainsi qu’à D. Pedro Pimentel, envoyés pour le complimenter par la princesse doña Juana et le prince D. Carlos. Il voyageait en litière; les hallebardiers qu’il avait amenés des Pays-Bas formaient son escorte; l’alcade Durango marchait en tête du cortége avec cinq alguazils armés de leurs bâtons de justice. Les deux reines suivaient à un jour de distance ; l’évêque de Salamanque allait en leur compagnie. Le 9 Charles atteignit Medina de Pomar ; il y séjourna jusqu’au 11. Le 12, à Pesadas, il eut la visite du connétable de Navarre. Le jour suivant il entra à Burgos. Le connétable de Castille et de Léon, D. Pedro Fernandez de Velasco, duc de Frias, qui tenait sa résidence dans cette ville, voulait, lui faire une réception solennelle ; il s’y refusa. Il donna audience, à Burgos, à D. Beltran de la Cueva, duc d’Albuquerque, vice-roi et capitaine général de Navarre, qui lui rendit compte d’une négociation secrète dont il l’avait chargé avant son abdication : l’objet de cette négociation était de détacher Antoine de Bourbon, duc de Vendôme, du parti de la France, et de l’engager à joindre ses troupes à celles de l’Espagne. Le 16 octobre il se remit en route, accompagné du connétable de Castille et de D. Francés de Beamonde, venu à sa rencontre avec la garde royale à cheval qu’il commandait. Il coucha successivement à Celada, à Palenzuela, à Torquemada, à Duenas, à Cabezón, où il avait invité à se rendre le prince D. Carlos, qu’il était très-désireux de voir, car il ne le connaissait pas encore. Le 21, dans l’après-midi, il arriva à Valladolid : D. Carlos, avec l’amirante de Castille, le comte de Benavente, le marquis d’Astorga, les ducs de Nájera et de Sesa, les prélats qui se trouvaient à la cour, le corrégidor et tout l’ayuntamiento, vint au-devant de lui jusqu’à une certaine distance de la ville. Il logea en la maison de Ruy Gomez de Silva, le palais, suivant ses intentions, ayant été réservé pour les reines douairières de France et de Hongrie. Il passa deux semaines à Valladolid. Pendant ce temps il put juger du caractère et des inclinations du jeune prince qui était destiné à continuer sa dynastie ; l’impression qu’il en reçut fut loin de le satisfaire. Il avait apporté des Pays-Bas un poële pour échauffer sa chambre. Ce meuble n’était pas connu en Castiile ; D. Carlos lui témoigna le désir de l’avoir, et il y mit une telle insistance que son grand-père fut obligé de lui répondre : « Tu l’auras quand je serai mort. » Charles-Quint conféra, à Valladolid, avec fray Juan de Ortega, avec fray Francisco de Tofiño, qui avait remplacé celui-ci dans le généralat des hiéronymites, et avec le prieur de Yuste, sur l’organisation de son service religieux dans le monastère. Il désigna, pour être son confesseur, fray Juan Regla, du couvent de Santa Engracia de Saragosse, qu’il avait envoyé au concile de Trente au nom du royaume d’Aragon ; pour prédicateurs il choisit fray Francisco de Villalva, du couvent de Zámora, qui avait aussi assisté au concile ; fray Juan de Açaloras, profès de Notre-Dame de Prado, près de Valladolid, et fray Juan de Sant Andrés, du monastère de Santa Catalina à Talavera : le premier était renommé par son savoir et sa doctrine, les trois autres par leur éloquence. Le général lui promit de faire venir de diverses maisons de l’ordre les religieux qui étaient doués de la plus belle voix pour servir de chantres en l’église du monastère[990].

Le 4 novembre, ayant fait ses adieux aux reines ses sœurs, à la princesse doña Juana et au prince son petit-fils, Charles prit le chemin de l’Estrémadure. Il ne souffrit qu’aucun des grands ni des personnages de la cour, ni les cavaliers de D. Francés de Beamonde, l’accompagnassent dans cette seconde partie de son voyage ; il ne voulut d’autre escorte que celle des hallebardiers venus à sa suite des Pays-Bas[991]. Le 5 il s’arrêta Medina del Campo, dont il ne put empêcher l’ayuntamiento de se porter à sa rencontre ; mais il manifesta sa joie de ce que dorénavant il ne serait plus importuné de pareilles réceptions[992]. Il coucha le 7 à Peñaranda de Bracamonte, le 8 à Alaráz, le 9 à Gallejos de Solmiron, le 10 à Barco de Avila, le 11 à Tornavácas. Deux chemins conduisaient de Tornavácas au village de Jarandilla, dans la Vera de Plasencia, au sommet de laquelle s’élevait le monastère de Yuste : l’un facile, mais qui exigeait cinq journées de marche; l’autre de cinq lieues seulement, mais montueux, plein d’aspérités, bordé de crevasses et de précipices; Charles-Quint choisit le dernier. Dans le trajet qu’il eut à faire, sa litière ne lui fut presque d’aucun secours; il lui fallut être porté par les paysans que Quijada avait mis en réquisition à Tornavácas, tantôt en une chaise, tantôt sur leurs épaules. Parti le 12 à midi, il arriva à sept heures seulement à Jarandilla : il était extrêmement fatigué; mais il ne s’en plaignait pas; il s’était par cette fatigue épargné quatre jours de voyage. L’habitation qu’il avait fait construire à Yuste ne se trouvait pas prête encore à le recevoir; en attendant qu’elle le fût, il s’établit dans le château de don Fernando Alvarez de Tolède, comte d’Oropesa, l’un des plus grands et des plus somptueux de la contrée. Ce seigneur l’avait mis avec empressement à sa disposition et il lui en fit les honneurs[993].

Charles-Quint séjourna près de trois mois au château de Jarandilla, où il ne pensait pas demeurer même trois semaines : il y reçut la visite du P. Francisco de Borja, avec lequel il eut deux longs entretiens, du duc d’Escalona, du comte d’Olivares, du grand commandeur d’Alcantara, D. Luis d’Avila y Zúñiga, son ancien compagnon d’armes, de D. Fadrique de Zúñiga, beau-père du commandeur, de D. Duarte de Almeida et Lourenço Pirès de Tavora, ambassadeurs de Jean III, roi de Portugal, et de plusieurs autres personnes[994].A son arrivée en Espagne, il semblait bien décidé à ne plus se mêler des affaires publiques; il en était même si dégoûté, selon le témoignage de Quijada et du secrétaire Gaztelú, qu’il n’abhorrait rien plus au monde que d’en entendre seulement pro-

noncer le nom[995]. Cette horreur ne dura pas longtemps en lui; peu à peu il reprit goût aux émotions de la politique. Il était à peine installé dans la demeure du comte d’Oropesa, Gaztelú, qui venait de lui communiquer des choses que lui avait apprises Juan Vazquez, secrétaire de la princesse doña Juana, écrivit à ce dernier : « S. M. aime encore à être instruite de ces choses-là, et même d’autres de cette nature[996]. » Trois jours après, à propos d’une communication semblable, Gaztelú disait à Vazquez : « S. M. demande s’il n’y a rien de plus : d’où j’infère qu’elle ne serait pas fâchée qu’il y eût davantage[997]. » Vazquez avait fait parvenir à Jarandilla des nouvelles des Pays-Bs ; Gaztelú lui mande le 16 janvier : « Vraiment je m’aperçois non-seulement que ces sortes de nouvelles plaisent à S. M., mais encore qu’elle interroge les uns et les autres, quand il arrive un courrier, afin d’en savoir, par toutes les voies, le plus possible[998]. » Le 1er février il lui écrit encore : « J’ai fait part à S. M. de ce qu’il m’a semblé convenable de lui lire de vos lettres. Loin de se fâcher de pareilles informations, S. M. en est charmée, et elle le serait davantage, s’il y avait d’autres particularités à lui apprendre[999]. » Charles-Quint, sur les instances des reines douairières de France et de Hongrie, consentit à intervenir dans les négociations entamées à Lisbonne par Éléonore afin que l’infante doña Maria, sa fille, résidât avec elle en Castille : ce fut à ce sujet que les ambassadeurs de Jean III vinrent l’entretenir à Jarandilla, et lui-même il envoya à Lisbonne, pour insister, en son nom, sur la demande que formait la reine, un ambassadeur spécial, don Sancho de Cordova, dont il dicta et signa les instructions[1000]. Lorsqu’il apprit la rupture de la trève par les Français, il indiqua à la princesse doña Juana différentes mesures qu’il lui paraissait opportun de prendre pour la mise en état de défense des frontières et des côtes de l’Espagne, ainsi que pour l’envoi de secours aux Pays-Bas, mais ce fut en évitant avec soin de donner à ses conseils la forme de commandements : il s’en remettait, au contraire, à ce que décideraient les ministres de la princesse et aux ordres que donnerait le roi[1001],

Depuis son débarquement à Laredo, la santé de Charles-Quint avait été excellente; ceux qui l’entouraient ne se rappelaient pas, en interrogeant, leurs souvenirs des cinq ou six dernières années, qu’il se fût porté aussi bien[1002]. Le 27 décembre il eut une attaque de goutte au poignet droit, laquelle, les jours suivants, s’étendit aux bras, aux épaules, aux genoux, et fut accompagnée de plusieurs accès de fièvre. Le mal, très-violent tout d’abord, n’eut pas une longue durée; dix jours après l’assaut qu’il venait d’éprouver, Charles se trouvait rétabli : toutefois il lui restait une démangeaison aux jambes dont il souffrait depuis longtemps déjà et qui, se faisant surtout sentir la nuit, l’incommodait beaucoup; afin de se soulager, il lavait ses jambes avec du vinaigre et dé l’eau de rose; il mettait des bas de fil de fin trempés dans cette eau. Pour quelqu’un sujet à la goutte, ce n’était pas là des remèdes que la prudence conseillât : mais Charles disait qu’il ne pouvait faire autrement que d’en user[1003]. Le 24 novembre il était allé visiter le monastère de Yuste; il avait été très-satisfait de l’habitation qu’on y avait construite pour lui[1004]. Cette satisfaction, les personnes de sa suite étaient loin de la partager. La température du pays était froide et humide; les brouillards étaient fréquents; il pleuvait presque continuellement, et, selon l’expression de Quijada, il tombait plus d’eau en une heure qu’en un jour à Valladolid : aussi, parmi les serviteurs de l’empereur, n’en était-il aucun qui ne fût persuadé qu’un tel climat lui serait contraire. Interprète des sentiments de tous, Quijada lui fit des représentations pour l’engager à se choisir une autre résidence; la reine Marie elle-même lui écrivit afin de le détourner d’entrer à Yuste : il dit à Quijada que dans toutes les parties de l’Espagne il avait vu pleuvoir et faire froid l’hiver; à sa sœur il répondit, en empruntant un proverbe espagnol, que le lion n’était pas, aussi terrible qu’on le représentait. Sa résolution était inébranlable : il n’aurait pas abandonné le dessein qu’il avait conçu, « quand même le ciel se serait joint avec la terre »[1005].

Si Charles-Quint différa pendant trois mois d’entrer au monastère de Yuste, cene fut donc pas qu’il eût hésite an instant : mais il désirait d’abord que le roi son fils eût assuré le sort de ceux de ses serviteurs qui s’y enfermeraient avec lui; ensuite il eut à payer les personnes attachées à sa maison, et on lui fit attendre jusqu’au 11 janvier une somme de vingt-six mille ducats qu’il avait demandée pour cet objet; lorsqu’il l’eut reçue, il calcula qu’il lui resterait à peine cinq cents ducats; il jugea qu’il ne pouvait convenablement s’établir au monastère avec si peu d’argent : il pria donc la princesse doña Juana de lui envoyer quatre mille ducats encore[1006]. Cette nouvelle somme lui étant parvenue le 25 janvier, il se disposa à quitter Jarandilla. Il avait réglé avec Quijada la composition future de sa maison : dans le principe il entendait retenir un nombre de serviteurs si restreint qu’ils n’auraient évidemment pas suffi aux exigences de son service : sur les instances réitérées de Quijada, il se décida, quoique avec peine, à en garder quelques-uns de plus[1007]. Le secrétaire Gaztelú, le docteur Mathys, un chapelain, un confesseur, un maître de la garde-robe, quatre aides de chambre (ayúdas de cámara), un garde-joyaux, quatre barbiers, deux pharmaciens, deux fourriers, deux horlogers, dont l’un était le savant Giovanni Torriano, un chef et un contrôleur du garde-manger, deux panetiers, deux caviers, deux sauciers, deux cuisiniers et deux garçons de cuisine, un pâtissier, deux boulangers, un brasseur, un tonnelier, un jardinier, un chasseur, un portier, trois laquais, deux lingères, la plupart belges ou bourguignons, tel fut le personnel dont se composa la maison impériale, sous la direction du majordome Quijada. Tout ce monde n’aurait pu être logé dans l’habitation construite pour l’empereur à Yuste, le secrétaire, le garde-joyaux, les horlogers et quelques autres fixèrent leur demeure à Cuacos, village situé à une demi-lieue du couvent, où Quijada s’établit aussi[1008]. Charles-Quint écrivit à la princesse doña Juana afin qu’elle fît affréter deux navires pour transporter aux Pays-Bas les gens qui l’avaient suivi et qu’il venait de licencier : le comte du Rœulx et le seigneur de Licques étaient du nombre; le seigneur d’Hubermont avait pris les devants depuis quelques jours. Le seigneur de la Chaulx ne partit pas avec ses compatriotes : il avait en Castille une commanderie qu’il voulut visiter. Il ne retourna aux Pays-Bas que quelques mois après[1009].

Le 3 février 1557 fut, après plusieurs remises, le jour définitivement fixé pour l’entrée de Charles-Quint au monastère. Ce jour-là il donna audience à ceux de ses anciens serviteurs qui allaient reprendre le chemin de leur pays; il reçut avec bonté et sensibilité leurs adieux; beaucoup d’entre eux fondaient en larmes. A trois heures il monta en litière et se dirigea vers le couvent, suivi de toutes les personnes qui se trouvaient au château de Jarandilla. Il était cinq heures quand il arriva à la porte de l’église[1010]. Les religieux l’y attendaient; à son entrée, ils entonnèrent le Te Deum, tandis qu’on le portait sur une chaise, ayant à ses côtés le comte d’Oropesa et Quijada, jusqu’au pied du maître-autel. Les cloches sonnaient à toute volée; l’église avait été ornée avec autant de magnificence que le permettaient les ressources de la maison; elle était entièrement illuminée : rien n’avait été épargné par les moines pour témoigner leur joie de voir — ainsi que Gaztelú l’écrivait — « ce à quoi ils n’avaient jamais cru. » Les prières d’usage en pareille circonstance ayant été dites, le prieur et tous les religieux, chacun selon son rang, vinrent baiser la main de l’empereur. Charles après cela sortit de l’église, et prit possession de la demeure où désormais il devait vivre et mourir[1011].

On a cru longtemps, sur la foi des historiens de l’ordre de Saint-Jérôme, que Charles-Quint, au monastère de Yuste, vécut en cénobite, exclusivement occupé de pratiques religieuses. Les documents exhumés, de nos jours, des archives de Simancas ont fait voir combien cette opinion était erronée. Il est très-vrai que, pendant le temps qu’il passa au monastère, Charles édifia, par sa piété, par l’ardeur de sa foi, tous ceux qui en furent les témoins. Chaque jour il entendait la messe et les vêpres, soit dans une petite tribune qu’on avait construite pour lui à l’un des côtés du chœur, soit d’une des fenêtres de sa chambre qui donnait sur le maître-autel. Les dimanches, les mercredis, les vendredis, il allait à l’église écouter un sermon prononcé par l’un de ses trois prédicateurs, et, les autres jours de la semaine, une lecture sur l’Écriture sainte faite par fray Bernardino de Salinas, profès de San Bartolomé et docteur de l’université de Paris; lorsqu’il arrivait qu’il en fût empêché, il chargeait son confesseur de lui rendre compte de ce qui avait été prêché ou lu. Il manquait rarement d’être présent au chœur les jours où les religieux se donnaient la discipline. Aux fêtes principales consacrées à Dieu, à la Vierge, aux apôtres, et en d’autres occasions encore, il se confessait et communiait. Il avait ordonné que tous les jours il fût dit quatre messes, deux pour son père et pour sa mère, la troisième pour l’impératrice, la quatrième pour lui; c’était à celle-ci qu’il assistait; le jeudi, en outre, aussi par son ordre, une messe du saint sacrement était célébrée en musique avec solennité. Indépendamment de ces cinq messes, il en faisait dire beaucoup d’autres, les unes pour que Dieu donnât au roi son fils la santé et la victoire sur ses ennemis, les autres pour remercier Dieu de les lui avoir données, d’autres encore pour des rois, des papes, des chevaliers de la Toison d’or décédés : aussi, quoique les moines du couvent fussent au nombre de près de quarante, suffisaient-ils à peine à cette tâche[1012].

Mais ces exercices religieux, ces actes de piété, étaient loin d’absorber l’esprit et les pensées de Charles-Quint. Deux mois ne s’étaient pas écoulés encore depuis son installation à Yuste, lorsque le comte de Melito, Ruy Gomez de Silva, s’y présent de la part du roi son fils. Ce ministre favori de Philippe II venait le supplier de différer sa renonciation à l’Empire, de sortir du cloître, de s’établir dans le lieu qui conviendrait le mieux et à sa santé et à la direction des affaires publiques, de veiller à ce que les provisions d’argent nécessaires fussent envoyées tant en Italie qu’aux Pays-Bas, enfin, au cas que la négociation qui avait été reprise avec le duc de Vendôme fût couronnée de succès, de se mettre à la tête de l’armée qui entrerait en France[1013]. C’était demander beaucoup, c’était demander trop à celui qui s’était retiré en Espagne pour y trouver le repos. Charles, néanmoins, se montre prêt à faire tout ce que les intérêts de son fils pourront réclamer de lui et que ses forces lui permettront d’accomplir[1014]. Il provoque des poursuites à outrance contre les officiers de la casa de contractation de Séville coupables d’avoir délivré à des particuliers de l’argent sur lequel le roi comptait. Il écrit, en termes menaçants, à l’archevêque de Séville et grand inquisiteur Fernando de Valdes, qui se refusait à avancer cent cinquante mille ducats pour les nécessités publiques. Il prescrit que l’or attendu d’Amérique soit exclusivement appliqué aux besoins du trésor. Il intervient incessamment auprès de la princesse doña Juana et des ministres afin qu’ils accélèrent les envois d’hommes et d’argent aux Pays-Bas et en Italie. Il dirige la négociation pendante avec le duc de Vendôme, sans négliger celle qu’il avait entamée avec la cour de Portugal et qui aboutit, après bien des difficultés, à une entrevue entre la reine Éléonore et sa fille à Badajoz. Il retient à Yuste l’ambassadeur qui allait à Lisbonne de la part du roi, et lui donne de nouvelles instructions. Il agit de même à l’égard d’un autre ambassadeur que doña Juana y envoyait. Il charge le P. Francisco de Borja d’une négociation confidentielle relativement à la succession éventuelle de Portugal et au mariage du jeune roi don Sébastien. Il se fait rendre compte des dispositions qui ont été prises pour la garde des côtes d’Espagne et des îles à l’approche de la flotte turque. Au printemps de 1558, il apprend qu’un foyer d’hérésie a été découvert en Castille; dès ce moment, il n’épargne aucune démarche afin que les coupables soient arrêtés, jugés et châtiés avec la dernière rigueur : l’aversion qu’il avait eue, en tous les temps, pour le luthéranisme s’était augmentée encore dans le dernier période de sa vie. Il envoie Quijada à la princesse gouvernante, au conseil de l’inquisition, au conseil d’État, pour stimuler leur zèle. Il écrit lettre sur lettre à sa fille et au secrétaire Vazquez, de crainte que cet objet ne soit un instant perdu de vue. Il veut que la princesse charge très-étroitement, de sa part, le grand inquisiteur et les ministres qui lui sont adjoints de procéder à la punition des hérétiques sans ménagement et sans exception de personne. « Si je n’avais pas la certitude — lui écrit-il — que vous et vos conseillers vous couperez le mal dans sa racine, je ne sais si je ne sortirais pas du monastère pour y remédier moi-même[1015]. » Il y eut des affaires dont Charles-Quint ne voulut pas se mêler à Yuste, et ce furent celles qui touchaient l’administration intérieure des royaumes d’Espagne. Ainsi tous les solliciteurs qui se présentèrent au monastère furent éconduits et renvoyés à la princesse gouvernante, quoiqu’il s’en trouvât, dans le nombre, qui avaient des titres particuliers à la bienveillance de l’empereur[1016]. Le duc de l’Infantado, l’amirante d’Aragon, l’ayuntamiento d’Arévalo ne furent point exceptés de la règle qu’il s’était prescrite[1017]. Le grand commandeur d’Avila lui-même tenta en vain de le faire agir en sa faveur dans une affaire où il avait un intérêt personnel[1018]. Le comte d’Alcaudete; qui avait défendu Oran avec gloire contre les Mores, lui exprima le désir de venir lui rendre compte de certaines choses dont il avait été chargé; il lui répondit : « Lorsque nous fîmes la renonciation de nos royaumes, nous renonçâmes également à ces choses-là : puisque vous en avez fait rapport au roi et à la princesse, vous recevrez d’eux des ordres sur la conduite que vous avez à tenir[1019]. » Au mois de mai 1558 mourut le prieur de Yuste : le vicaire le supplia d’écrire au général afin que les religieux pussent élire un nouveau prieur : il s’y refusa formellement, disant qu’il ne voulait intervenir en rien de ce qui concernait l’ordre[1020]. Il apporta la même réserve, les mêmes scrupules dans les recommandations qu’on lui demanda auprès du roi son fils. On ne saurait s’imaginer les égards, la déférence qu’il montrait à ce fils qui lui devait tant. Il avait appris avec douleur — le fait est attesté par Quijada — que Philippe n’avait pas été présent à la bataille de Saint-Quentin : au lieu de lui en faire un reproche, il s’ingénia à l’en excuser; il alla même jusqu’à lui en faire un mérite[1021].

Le jour de son entrée au monastère, Charles-Quint fit répondre au duc de Maqueda, qui sollicitait la grâce d’être admis à lui baiser la main, qu’il aurait été charmé de le voir, s’il s’était présenté au château de Jarondilla, mais que dorénavant il ne voulait plus de visite de personne[1022]. Il se départit cependant de cette résolution. Sans compter le grand commandeur d’Alcantara et D. Hernando de la Cerda, qui venaient assez fréquemment à Yuste et qui, en leur qualité d’anciens et dévoués serviteurs, y étaient toujours bien accueillis, il reçut, dans sa retraite, le duc d’Arcos, les comtes d’Oropesa et d’Urueña; l’évêque de Cordoue, Léopold d’Autriche, fils naturel de l’empereur Maximilien; l’évêque d’Avila; D. Sanchez de Çardona, amiral de Valence; Juan de Vega, président du conseil de Castille[1023]. Il accorda la même faveur à D. Martin de Avendaño, qui avait commandé la flotte du Pérou arrivée en Espagne en 1557; à D. Luis de Castelvi qui, venant d’Italie, avait à lui faire des communications importantes; à D. Pedro Manrique, que les cortès de Castille, assemblées à Valadolid dans l’été de 1558, après avoir voté le service ordinaire et extraordinaire, avaient résolu de députer au roi[1024]. Les rapports diplomatiques entre l’Espagne et le Portugal, les négociations suivies entre les deux cours, amenèrent à Yuste de nombreux agents de l’une et de l’autre. Charles-Quint donna audience à tous ces personnages, et avec quelques-uns d’entre eux il discuta des questions importantes[1025]. Il conféra à plusieurs reprises avec le sieur d’Ezcurra et Gabriel de la Cueva, fils du duc d’Albuquerque, au sujet de l’affaire grave et délicate qui se négociait avec le duc de Vendôme[1026]. Au mois de septembre 1557 il eut la visite des reines douairières de France et de Hongrie; elle lui causa une joie infinie : il ne trouva pas bon pourtant que les reines logeassent au monastère, et il leur fallut s’établir au château de Jarandilla. Elles passèrent là dix semaines, du 28 septembre au 15 décembre, pendant lesquelles elles vinrent différentes fois à Yuste ; elles en partirent pour aller attendre à Badajoz l’infante doña Maria[1027]. La reine douairière de Hongrie revint seule au monastère le 3 mars ; elle était accablée de douleur. À la suite de l’entrevue de Badajoz, la reine de France, déjà souffrante lorsqu’elle s’y rendait, avait vu son mal empirer ; elle avait eu beaucoup de peine à atteindre Talaveruela, où, le 18 février, la mort l’avait enlevée. Charles-Quint mêla ses larmes à celles de sa sœur ; il avait une grande tendresse pour Éléonore, qui toujours s’était montrée soumise à ses volontés et dont le caractère était aussi bon que facile[1028].

Pour complaire au roi, Charles avait consenti à garder quelque temps encore la dignité impériale ; mais il n’en appelait pas moins de tous ses vœux le moment où il serait déchargé de la couronne des Césars, comme de celles qu’il avait déposées déjà. Le jour où il apprit que sa renonciation à l’empire avait été notifiée aux électeurs et qu’ils l’avaient acceptée, fut pour lui un jour de fête. Il réunit les gens de sa maison, leur fit donner lecture de la lettre où l’on le lui annonçait, et leur dit avec l’accent de la joie : « Maintenant je ne suis plus rien. » Il ordonna que son nom fût remplacé par celui de Ferdinand dans les prières qui se disaient à la messe pour l’empereur. Il chargea le secrétaire Vazquez de lui faire faire de nouveaux sceaux où il n’y eût ni couronne, ni aigle, ni toison, ni autre ornement. Il voulut même que, dans les lettres qu’il écrivait et dans celles qui lui seraient adressées, on ne le traitât plus d’empereur ni de majesté : mais sur ce dernier point il se rendit aux représentations de Gaztelú, et rien ne fut changé au formulaire de sa correspondance[1029].

Dans les premiers temps qui suivirent son entrée au monastère, Charles-Quint n’eut que des motifs de s’applaudir du séjour qu’il avait choisi. Il ne se ressentait presque plus de ses anciennes maladies ; son appétit, son sommeil ne laissaient rien à désirer ; il prenait de l’embonpoint ; sa couleur était excellente ; ses forces renaissaient : aussi était-il l’homme le plus content du monde[1030]. Le 24 février 1557, sans être soutenu pour ainsi dire, il alla au maître-autel offrir un nombre d’écus égal à celui des années qu’il venait d’accomplir et un écu de plus : c’était sa coutume le jour anniversaire de sa naissance. L’hiéronymite auquel on doit une relation si intéressante de la retraite de Charles-Quint nous explique pourquoi l’empereur ajoutait un écu à ceux qui correspondaient au chiffre de ses années : il voulait par-là, dit-il, remercier Dieu de lui avoir conservé l’existence et le supplier de la lui conserver encore en y joignant la santé, afin qu’il fût mieux en état de le servir. Le 27 mai il alla communier à l’ermitage de Belen, situé à un trait d’arquebuse du couvent. Au mois de juin il se sentit assez fort pour dîner au réfectoire avec les moines ; deux jours auparavant il avait pu faire usage de son arbalète et tirer des pigeons[1031]. Jusqu’à l’entrée de l’hiver il se maintint dans cet état. Sur la fin de novembre, la goutte le réprit ; elle lui attaqua les bras, les genoux, le côté droit. Cette première attaque se renouvela deux fois à quelques jours d’intervalle : Charles fut empêché d’entendre le sermon pendant tout le carême. Le retour de la bonne saison lui rendit la santé[1032]. Du mois de mars au mois d’août il n’eut à se plaindre que de l’irritation aux jambes[1033]. C’était toujours par des bains mélangés de verjus ou de vinaigre et d’eau de rose qu’il la combattait. Le docteur Mathys n’approuvait pas l’emploi de ce remède ; il le jugeait même très-dangereux[1034] : mais son autorité sur son malade n’était pas assez grande pour qu’il s’en fît écouter. Vainement aussi lui adressait-il des représentations sur l’usage immodéré qu’il faisait des fruits, qui souvent l’incommodaient, et sur les aliments malsains dont était formé habituellement le menu de ses repas, tels que des viandes indigestes, des harengs secs, des poissons salés, de l’ail[1035].

L’été de 1558 fut excessivement chaud dans l’Estrémadure; les villages situés autour du monastère de Yuste étaient remplis de malades, et le nombre de ceux qui succombaient était grand. Charles-Quint ne se contentait pas de dormir les jambes découvertes, à cause de la démangeaison qu’il y éprouvait et que la chaleur lui rendait insupportable, mais il voulait encore qu’on laissât ouvertes la nuit les portes et les fenêtres de sa chambre[1036]. Le 9 août il se sentit le cou embarrassé; la douleur augmenta les jours suivants et fut accompagnée de mal de tête. La goutte ne tarda pas à se déclarer; du cou elle descendit à l’épaule, au coude, au poignet; elle attaqua aussi le genou : le jour de l’Assomption, Charles fut obligé de se faire porter à l’église pour entendre la messe et communier. Des pilules que son médecin lui administra le débarrassèrent, et les forces lui revinrent avec l’appétit et le sommeil[1037]. Ce fut à ce moment qu’il eut l’étrange idée de faire faire ses obsèques et d’y assister en propre personne. Il avait l’habitude de deviser familièrement avec les gens de son service intime. Il dit à Nicolas Benigne, l’un de ses barbiers, pendant que celui-ci le rasait : « Sais-tu à quoi je pense, Nicolas? — A quoi, Sire? — Je pense que j’ai deux mille écus en réserve, et je calcule comment avec cette somme je ferai faire mes obsèques. » — Le barbier repartit : « Que V. M. ne prenne pas ce souci. Si elle meurt et que nous lui survivions, nous ferons nous-mêmes ici ses funérailles. » — « Tu l’entends mal, répliqua l’empereur. Il y a une grande différence, pour cheminer, entre avoir la lumière derrière soi, et l’avoir devant. » Il voulut connaître l’opinion de son confesseur sur le dessein qu’il avait conçu, mais il ne le lui découvri pas d’abord tout entier : « Fray Juan, lui dit-il, il me paraîtrait à propos de faire faire les obsèques de mes parents ainsi que de l’impératrice, puisque maintenant je me porte bien; que vous en semble? » Le confesseur lui répondit : « Sire, c’est un dessein digne de Votre Majesté et une résolution pieuse et sainte : que Votre Majesté l’ordonne et les obsèques se feront. » L’empereur reprit : « Alors je serai charmé qu’elles se fassent dès demain; on dira les vigiles pour mon père, et le jour suivant la messe; après, et successivement, on procédera de même pour ma mère et pour l’impératrice. Je désire que l’office soit célébré avec solennité et lentement; je veux aussi qu’il soit dit des messes basses pour mes parents et pour l’impératrice, outre celles qui se disent déjà. » Tout cela fut exécuté. Chaque jour Charles-Quint sortit de son appartement précédé d’un de ses officiers portant un cierge allumé, et se rendit à l’église, où, placé au pied de l’autel, il pria avec ferveur pour les illustres morts dont la mémoire lui était chère. Ces cérémonies achevées, il fit appeler de nouveau son confesseur : « Ne trouveriez-vous pas à propos, fray Juan, lui dit-il, que je fisse faire mes propres obsèques, et que je fusse témoin de ce qui bientôt doit avoir lieu pour moi? » À ces paroles, fray Juan s’attendrit, et ce fut d’une voix entrecoupée par ses larmes qu’il répondit : « Que Votre Majesté vive de longues années, au plaisir de Dieu, comme nous le souhaitons, et qu’elle veuille ne pas nous annoncer sa mort avant le temps. Lorsqu’il plaira au Seigneur de l’appeler à lui, ceux de nous qui resteront ici rempliront le devoir auquel ils sont tenus. » L’empereur insista, lui disant « Ne croyez-vous pas que les obsèques me seraient profitables? — Elles vous profiteraient sans doute. Sire, et beaucoup : car les œuvres pieuses que fait quelqu’un pendant sa vie ont plus de mérite et d’efficacité que celles qui ont lieu pour lui après sa mort. » — « Donnez donc des ordres pour que mes obsèques commencent cette après midi. » Ainsi fut-il fait, et Charles-Quint avec les gens de sa maison, tous vêtus de deuil, prit part aux vigiles et le lendemain à la messe dites pour lui; à la messe il alla offrir son cierge entre les mains de l’officiant[1038].

C’était le 30 août 1558. Ce jour-là Charles-Quint dîna sur la terrasse de son habitation; il avait peu d’appétit; pendant le repas il eut mal à la tête. Les cérémonies religieuses qui venaient de s’accomplir occupaient fortement ses pensées : il se fit apporter le portrait de l’impératrice; après l’avoir contemplé quelques instants, il demanda le tableau de la Prière dans le jardin des Oliviers, qu’il considéra avec beaucoup d’attention; il voulut enfin qu’on lui donnât le Jugement dernier du Titien, où le peintre, avec la vigueur qui caractérise son pinceau, a rendu tous les effets de la crainte et de l’espérance; il en fut vivement impressionné[1039]. A quatre heures il rentra dans son appartement. La nuit fut mauvaise. Le 31, dans l’après midi, le frisson le saisit et il eut une fièvre si violente qu’il délira pendant plusieurs heures. Cet événement causa de grandes inquiétudes à son médecin, à son majordome, à tous ceux qui l’entouraient; il y avait plus de trente ans qu’il n’avait eu de fièvre, sans qu’elle fût occasionnée par la goutte. Lui-même il en comprit tout d’abord la gravité : le 3 septembre il se confessa et communia. Il avait une copie du testament qu’il avait fait à Bruxelles en 1554; il s’en fit donner lecture, afin de voir ce qu’il aurait à y ajouter; il consigna ses dispositions de dernière volonté dans un codicille que reçut, le 9, le secrétaire Gaztelú, revêtu, à cet effet, du caractère de notaire public. Il y priait instamment le roi son fils, et il lui ordonnait même comme père, de veiller avec le plus grand soin à ce que les luthériens découverts en Castille fussent punis ainsi que le méritait l’énormité de leur délit. Il y exprimait ses intentions relativement à sa sépulture. Il y déterminait les pensions et les gratifications dont jouiraient, après son décès, tous ceux de ses serviteurs qui s’étaient enfermés avec lui au monastère. Il adjoignait à ses exécuteurs testamentaires précédemment nommés Quijada, Regla et Gaztelú. Il chargeait ceux-ci de donner, par voie d’aumône, aux religieux de Yuste et d’autres couvents de l’ordre de Saint-Jérôme dont le ministère, comme prédicateurs ou comme chantres, lui avait été utile, les sommes qu’ils jugeraient convenables. Il recommandait tout particulièrement à son fils de favoriser et d’honorer Quijada, qui l’avait servi si longtemps et avec tant de dévouement et de zèle; qui, à sa demande, avait amené à Cuacos sa femme et sa maison, sans égard aux incommodités de ce séjour, et qu’il avait peu récompensé de tout cela[1040].

Le docteur Corneille de Baersdorp avait été appelé de Cigales, où il était auprès de la reine douairière de Hongrie, pour prêter son concours à son confrère Mathys; il arriva le 8 septembre à Yuste. Toute la science des deux médecins fut impuissante à conjurer les progrès de la maladie. La fièvre ne déclina, à de rares intervalles, que pour reprendre avec plus de violence; elle fut accompagnée d’évacuations bilieuses, de vomissements de matières putrides, qui affaiblirent considérablement le malade. Le 19 un paroxysme, qui était le onzième, fit concevoir aux médecins les appréhensions les plus sérieuses; ils demandèrent que l’extrême-onction fût administrée à l’empereur. Fray Juan Regla l’apporta; Charles la reçut sans le moindre trouble, dans une entière connaissance et avec une dévotion singulière. A partir de ce moment, son confesseur et fray Francisco de Villalba ne le quittèrent plus. Ils lui adressaient des exhortations pieuses, ils lui récitaient des litanies et des psaumes; il écoutait attentivement les uns et les autres; lui-même il indiquait aux deux religieux ceux qu’il désirait entendre de préférence. Pendant ces discours et ces lectures, il avait les mains jointes; ses yeux étaient fixés, tantôt sur le ciel, tantôt sur un crucifix et une image de la Vierge que l’impératrice avait eue à son lit de mort. Le 20 au matin, il fit un instant sortir de sa chambre toutes les personnes qui s’y trouvaient, l’exception de Quijada, qu’il entretint en confidence de choses dont il voulait que le roi son fils fût informé par lui[1041]. Dans la même matinée se présenta à l’habitation impériale l’archevêque de Tolède, fray Bartholomé de Carranza. Ce prélat avait été chargé par le roi Philippe d’une mission auprès de son père; il était arrivé des Pays-Bas à Valladolid le 13 août; différentes affaires l’y avaient retenu. Introduit dans la chambre de l’empereur, il se mit à genoux devant son lit, et lui baisa la main; puis il lui adressa quelques paroles de consolation. Charles désirait que le sacrement de l’eucharistie lui fût administré une seconde fois. Le confesseur objectait que ce serait contre la règle, après que l’empereur avait eu l’extrême-onction; l’archevêque leva ses scrupules. Fray Juan Regla alla chercher le saint sacrement au grand autel de l’église; Charles-Quint le reçut avec un redoublement de ferveur, disant : « Seigneur, Dieu de vérité, qui nous avez rachetés, je remets mon esprit entre vos mains. » Il entendit ensuite la messe. Lorsque le prêtre prononça ces mots : « Agneau de Dieu, qui effacez les péchés du monde, » il se frappa la poitrine avec humilité. Dans l’après midi sa situation empira au point de faire craindre qu’il n’eût plus que quelques minutes à vivre : averti par Quijada, l’archevêque, qui était sorti, s’empressa de revenir; il entretint l’empereur de la mort en des termes propres à l’y préparer; il lut, sur sa demande, le De Profundis, dont il commenta les versets; il lui dit, pour tranquilliser son âme, en lui présentant le crucifix : « Voilà celui qui répond pour tous; il n’y a plus de péché; tout est pardonné. » Outre Quijada, l’archevêque et les deux religieux que nous avons nommés, il y avait en ce moment, dans la chambre de l’auguste moribond, ses deux autres prédicateurs, fray Francisco de Angulo et fray Luis de San Gregorio[1042]; un dominicain, fray Pedro de Sotomayor, qui avait accompagné l’archevêque; le secrétaire Gaztelú; don Luis d’Avila, qui était accouru à la première nouvelle du danger que courait la vie de son ancien maître; le comte d’Oropesa, don Francisco de Tolède, son frère, et don Diego de Tolède, son oncle. La reine Marie et la princesse doña Juana avaient fait exprimer à l’empereur le désir de le voir; ce désir il ne l’avait pas accueilli. Le soir Charles-Quint demanda à Quijada s’il avait des chandelles bénites; sur sa réponse affirmative, il les fit allumer; en même temps il pria les religieux de lui lire les litanies et les prières pour les agonisants. A deux heures du matin, le 21 septembre, il sentit que l’instant suprême était venu : il prit une chandelle bénite de la main droite; de la gauche il saisit le crucifix que l’archevêque lui présentait, le porta à sa bouche, le serra deux fois sur sa poitrine, ne cessant de le regarder quand il n’eut plus la force de le tenir et que l’archevêque l’eut repris. A deux heures et demie il expira en disant : « Il est temps (Ya es tiempo) et prononçant le nom de Jésus[1043]. Il était âgé de cinquante-huit ans six mois et vingt-cinq jours.

Aussitôt qu’il eut fermé les yeux, toutes les personnes qui étaient dans sa chambre la quittèrent, à l’exception du grand commandeur d’Avila, de Quijada et de Gaztelú : ceux-ci y restèrent jusqu’à l’arrivée de quatre religieux du couvent qu’on avait appelés pour veiller autour du corps. D’Avila était inconsolable; la douleur de Quijada et de Gaztelú n’était pas moins grande. Aucun moment ne fut perdu pour préparer les funérailles de l’illustre mort : dès le matin, la grande chapelle fut tendue de noir, et l’on y éleva un catafalque où, l’apres-midi, fut placée la dépouille mortelle de l’empereur, que ses barbiers avaient ensevelie et mise en un double cercueil, l’un de plomb, l’autre de bois de chataignier. Les vêpres et les complies ayant été dites à l’accoutumée, les obsèques commencèrent; elles durèrent trois jours et se firent — ainsi l’assure du moins l’hiéronymite, auteur de la relation que nous avons déjà citée avec autant de majesté et d’autorité qu’elles auraient pu être faites dans la cathédrale de Tolède[1044]. L’archevêque officia, assisté du père prieur, fray Martin de Angulo, et de fray Juan Regla; les moines de deux couvents qu’il y avait à Jarandilla, ainsi que les prêtres de Cuacos, vinrent se joindre aux religieux du monastère; les trois prédicateurs de l’empereur firent alternativement des sermons appropriés à la circonstance. Lorsque ces solennités eurent été accomplies, que l’archevêque fut parti, les moines des couvents voisins et les prêtres de Cuacos retournés chez eux, les religieux de Yuste continuèrent encore pendant six jours les chants et les oraisons funèbres[1045]. Charles-Quint avait ordonné, dans son codicille, que son corps fût déposé en l’église de Yuste, en laissant au roi son fils à décider si, comme il en avait le désir, on l’enterrerait là. Le 23 septembre, quoique les obsèques ne dussent se terminer que le lendemain matin, les exécuteurs testamentaires, d’accord avec l’archevêque, jugèrent convenable de faire transporter le cercueil où étaient renfermés les restes de l’empereur, dans la cavité du maître-autel qui avait été appropriée à cette destination. Le prieur et deux religieux députés par le couvent le reçurent en dépôt. Un acte public fut dressé de ce dépôt en présence et à l’intervention de Pedro Zapata Osorio, corregidor de la ville et du territoire de Plasencia. Suivant l’usage, le cercueil avait été préalablement ouvert et les traits de l’empereur avaient été reconnus par tous les assistants. Le corps de Charles-Quint demeura en l’église du monastère de Yuste jusqu’au mois de janvier 1574, où, par ordre de Philippe II, l’évêque de Jaen et le duc d’Alcalá vinrent l’en retirer, pour le conduire au Panthéon de l’Escurial[1046].

De son mariage avec la princesse Isabelle de Portugal Charles-Quint eut trois fils et deux filles. Les fils furent : 1° Philippe, né à Valladolid le 21 mai 1527 et qui lui succéda de son vivant, ainsi qu’on l’a vu; 2° Ferdinand, né en 1530, mort l’année suivante; 3° Jean, né en 1537, mort aussi en bas âge. L’impératrice, en 1534, était accouchée, avant terme, d’un fils qui ne vécut pas. Nous avons rapporté comment, le 21 avril 1539, à Tolède, elle donna le jour à un autre fils, mort en naissant, et qui coûta la vie à sa mère. Les filles de Charles-Quint furent : 1° Marie, née à Madrid le 21 juin 1528. Elle épousa, à Valladolid, le 18 septembre 1548, son cousin l’archiduc Maximilien, depuis roi de Bohême et empereur. Ayant perdu son époux en 1576, elle revint en Espagne cinq ans après. Elle mourut à Madrid le 26 février 1603. 2° Jeanne, née à Madrid le 23 juin 1535, morte à l’Escurial le 7 septembre 1573. Elle avait épousé, en 1553, l’infant don Juan, héritier de la couronne de Portugal; ce prince la laissa veuve le 2 janvier de l’année suivante : dix-huit jours après, elle mit au monde un fils, qui fut le roi don Sébastien. La même année elle retourna en Espagne, dont l’empereur lui confia le gouvernement; elle l’exerça jusqu’en 1559.

Charles-Quint laissa deux enfants naturels : 1° Marguerite, qu’il eut en 1522 de Jeanne Vander Gheynst, fille d’un ouvrier en tapisserie des environs d’Audenaerde. Il la fit élever à la cour de l’archiduchesse Marguerite, sa tante, et la maria, comme nous l’avons dit, d’abord avec Alexandre de Médicis, ensuite avec Octave Farnèse. Elle fut deux fois, sous le règne de Philippe II, gouvernante des Pays-Bas. Elle mourut le 18 janvier 1586 à Ortona, ville de l’Abruzze citérieure, au bord du golfe de Venise, 2° Don Juan d’Autriche, né en 1547 de Barbara Blombergh, appartenance à la petite bourgeoisie de Ratisbonne. Il porta le nom vulgaire de Gerónimo ou Jérôme jusqu’à ce que, au mois d’octobre 1559, Philippe II le reconnut pour son frère. La victoire de Lépante a immortalisé le nom de don Juan d’Autriche. Il mourut, le 1er octobre 1578, au camp de Bouges, près de Namur, où il commandait l’armée espagnole. Philippe II l’avait nommé gouverneur des Pays-Bas en 1576.

Charles-Quint était de stature moyenne et bien proportionné de corps; il avait les cheveux châtains, le teint blanc, le front large, les yeux bleus, le nez aquilin, la bouche grande, la mâchoire inférieure longue et large, ce qui faisait qu’il ne pouvait joindre les dents d’en haut avec celles d’en bas et qu’on entendait difficilement la fin de ses paroles. Son aspect était grave, sans avoir rien de rude ni de sévère. Avant que la goutte eût ruiné sa constitution, il excellait dans tous les exercices du corps; il montait supérieurement à cheval; il ne le cédait en adresse à aucun des seigneurs de sa cour dans les carrousels, les joutes et les tournois. Bien différent en cela de François Ier, jamais les plaisirs ne lui faisaient négliger les affaires; on peut même dire que celles-ci l’absorbaient tout entier : le seul passe-temps qu’il se donnât était celui de la chasse. S’il est vrai, comme l’assure un ambassadeur vénitien, qu’il fût d’une nature timide, au point que la vue d’une souris ou d’une araignée lui causait une sensation de frayeur, et s’il faut ajouter foi à ce que rapporte le même ambassadeur que, le jour de la bataille d’Ingolstadt, il eut peur au moment où on lui annonça l’approche inopinée des protestants[1047], on doit reconnaître que sa force d’âme lui faisait bientôt surmonter cette timidité naturelle : car dans l’expédition de Tunis, dans celle d’Alger, lors de cette même affaire d’Ingolstadt, à Mühlberg et dans les campagnes de France, il fit preuve d’une intrépidité héroïque. Il était très-chatouilleux sur le point d’honneur, ainsi qu’il le montra dans ses démêlés avec François Ier. La constance, l’énergie, formait le fond de son caractère; jamais il n’aurait rien fait à quoi il y eût apparence qu’il fût forcé; il aurait plutôt laissé bouleverser le monde que d’agir par contrainte. La prospérité ne le rendait pas plus superbe que l’adversité ne l’abattait. On lui a reproché d’être lent dans ses résolutions : cette lenteur tenait à ce qu’il voulait considérer minutieusement les affaires sous leurs diverses faces. Charles parlait le français, l’espagnol et l’italien. Il s’entendait, autant qu’aucun de ses généraux, à toutes les choses concernant la guerre. Il aimait les arts et les lettres et faisait un grand cas des hommes qui s’y distinguaient. On sait en quelle estime il tenait le Titien. La musique le charmait autant que la peinture, et sa chapelle était réputée la première de toute la chrétienté. Dans les dernières années de sa vie, l’astronomie et la mécanique faisaient particulièrement ses délices.

Plusieurs circonstances connues témoignent du prix que Charles-Quint attachait à ce que les événements de son règne fussent transmis fidèlement à la postérité. Nous rappellerons que, au monastère de Yuste, peu de semaines avant la maladie qui le conduisit au tombeau, il se préoccupait des chroniques qu’avaient entre-pris d’écrire Florian d’Ocampo et Juan Ginès de Sepulveva, ses historiographes; il recommandait à la princesse doña Juana de prendre des mesures afin que, si leurs auteurs, qui étaient avancés en âge, venaient à mourir avant qu’elles eussent vu le jour, elles fussent recueillies avec soin et livrées à l’impression[1048]. C’était sous son inspiration, il n’est guère permis d’en douter, que don Luis d’Avila avait retracé l’histoire de la guerre d’Allemagne de 1546 et 1547. Lui-même, à l’exemple de César, dont l’admirable livre faisait sa lecture favorite, il voulut écrire ses Commentaires. Il commença de donner exécution à ce dessein dans les longues journées pendant lesquelles il remonta le Rhin, de Cologne à Mayence, au mois de juin 1550. Il était alors au faîte de la gloire et de la prospérité. Il allait tenir la seconde diète d’Augsbourg, où il se flattait de voir consolider sa puissance en Allemagne, et sa maison s’agrandir encore par la succession de son fils à l’empire. Guillaume van Male, de Bruges, l’un de ses aides de chambre (ayúdas de cámara), lui servait de secrétaire. A Augsbourg il contribua cet ouvrage et le conduisit jusque vers la fin de la diète de 1548. Lorsque, à Innspruck, il se trouva dans la situation critique que nous avons fait connaître, il craignit que ses Commentaires, avec sa propre personne, ne tombassent au pouvoir de ses ennemis; il les envoya, par un serviteur fidèle, au prince son fils, en Espagne. Il en avait vraisemblablement gardé copie, et l’on est fondé à croire, d’après les documents qui ont été publiés il y a une vingtaine d’années, que, durant les loisirs de son séjour au château de Jarandilla et au couvent de Yuste, il s’occupa de les revoir, d’y donner les développements nécessaires, de les compléter[1049], toujours avec l’aide de Guillaume van Male; un fait consigné dans une lettre du seigneur de la Chaulx sert à corroborer cette opinion : « L’empereur, écrit-il, avait congédié van Maie pour certaines choses dont il était mécontent, mais il lui a pardonné bientôt après et rendu toute sa faveur[1050]. » Il est connu qu’à la mort de Charles-Quint ses papiers furent cachetés par Quijada, pour être remis au roi Philippe, et que la même destination fut donnée a ceux qui étaient en la possession de van Male; mais on ne sait pas encore aujourd’hui ce que les uns et les autres sont devenus. Nous avons ailleurs énoncé cette conjecture, que Philippe II les fit brûler[1051]. Nous le pensons toujours.. Si ce monarque les avait conservés, comment ne les aurait-on trouvés, en Espagne, ni dans les archives, ni dans les bibliothèques, où ils ont été l’objet de tant d’investigations?

Jusque dans ces derniers temps on avait ignoré l’envoi fait par Charles-Quint à son fils, en 1552, de la première rédaction de ses Commentaires, de même qu’on ignorait le contenu de ceux-ci; cette double découverte est due à M. le baron Kervyn de Lettenhove, à qui l’histoire de Belgique a de si nombreuses obligations. Occupé, il y a une dizaine d’années, à la Bibliothèque nationale, à Paris, de recherches concernant les anciens auteurs belges, M, Kervyn compulsait le grand catalogue du fond français. Il ne fut pas peu surpris d’y voir figurer une Historia del invictissimo emperador Carlos Quinto, composta por Sua Majestade Cesarea; il se fit produire le volume : ce n’était rien moins qu’une traduction portugaise, faite à Madrid, en 1620, du propre manuscrit envoyé d’Innspruck, avec la lettre d’accompagnement de l’empereur en espagnol, langue dont il avait l’habitude de se servir lorsqu’il écrivait à son fils. On possédait donc enfin l’ouvrage dont l’existence avait été signalée, il y a trois siècles, en Espagne par Ambrosio de Morales, en Italie par Luigi Dolce et Girolamo Ruscelli, en France par Brantôme, et confirmée de nos jours en Belgique par la mise en lumière des lettres de Guillaume van Male à Louis de Flandre, seigneur de Praet. Comprenant le devoir que dans cette circonstance il avait à remplir envers les lettres, M. Kervyn s’empressa de donner au public une version française du manuscrit qu’il avait eu la bonne fortune de découvrir.

M. Jules van Praet a fait remarquer que les Commentaires de Charles-Quint « n’ont pas une haute importance historique et ne répondent pas à ce qu’on attendait du titre et de l’auteur, ni à ce que la tradition promettait à leur sujet ; qu’ils ne contiennent, sur les premiers temps et même sur la majeure partie du règne, que des espèces d’éphémérides ; qu’ils ne deviennent circonstanciés que lorsqu’ils racontent les campagnes d’Allemagne, celles que Charles-Quint a faites en personne, et qu’ils sont pour toute cette époque presque exclusivement militaires[1052]. » Ces remarques sont parfaitement justes. Grand a été le désappointement de ceux qui se flattaient de trouver, dans les Commentaires, ou la révélation des secrets de la politique impériale, ou les appréciations de l’auteur sur les princes de son temps, ou des particularités sur les rapports qu’il eut avec eux. Guillaume van Male se montre d’ailleurs trop courtisan lorsque, entretenant le seigneur de Praet des pages qu’il venait d’écrire sous la dictée de l’empereur, il lui dit : « L’ouvrage est admirablement poli et élégant, et le style atteste une grande force d’esprit et d’éloquence[1053]. » Ce qu’on peut louer dans les Commentaires, c’est l’accent de vérité et la simplicité avec lesquels ils sont écrits ; c’est que l’empereur s’y montre toujours plein de discrétion et de modestie lorsqu’il a à parler de lui.

Dans sa relation au sénat de Venise, Niccoló Tiepolo, qui, en qualité d’ambassadeur de la république, avait résidé vingt-huit mois à la cour de Charles-Quint, le proclamait « le plus grand empereur que la chrétienté eût eu depuis Charlemagne[1054]. » Ce jugement d’un diplomate réputé l’un des premiers hommes d’État de son temps a été ratifié par l’histoire. Il résume, en deux mots, tout ce queno.s saurions dire, pour conclure, du fils de Philippe le Beau et de Jeanne d’Aragon.

Gachard.

Archives du royaume de Belgique. — Archives impériales à Vienne. — Archives du Vatican. — Archives royales de Florence. — Lanz, Correspondenz des Kaizers Karl. — Papiers d’État du cardinal de Granvelle, t. I-IV. — Le Glay, Correspondance de Maximilien Ier et de Marguerite d’Autriche, 1507-1509. — Gachard, Retraite et mort de Charles-Quint au monastère de Yuste. — Coleccion de documentos inéditos para la historia de España. — Döllinger, Dokumente zur Geschichte Karl’s V, Philipp’s II und ihrer Zeit, aus spanischen Archiven. — Maurenbrecher, Karl V und die deutschen Protestanten, 1545-1555. — Herbais, Description des voyages, faicts et victoires de Charles-Quint (Ms. de la Bibliothèque nalionale, à Madrid). — Vandenesse, Journal des voyages de Charles-Quint (Ms. de la Bibliothèque royale de Bruxelles). — Kervyn de Lettenhove, Commentaires de Charles-Quint. — Sandoval, Historia de la vida y hechos del emperador Carlos V. — Robertson, Histoire de Charles-Quint (traduct. de Suard). — Alexandre Henne, Histoire du règne de Charles-Quint en Belgique. — Leva, Storia documentata di Carlo V in correlazione all’ Italia. — Lafuente, Historia general de España, t. XI et XII. — De Thou, Histoire universelle, t. I et II. — De Reiffenberg, Histoire de l’ordre de la Toison d’or. — Sismondi, Histoire des Français, t. XI et XII. — Bucholtz, Geschichte des Regierung Ferdinand des Ersten. — Hess, Histoire de l’Empire, t. I et VII. — Théod. Juste, Charles-Quint et Marguerite d’Autriche. — Le même, Les Pays-Bas sous Charles-Quint. Vie de Marie de Hongrie. — Steur, Insurrection des Gantois sous Charles-Quint. — Gachard, Relation des troubles de Gand sous Charles-Quint, etc. — Mignet, Charles-Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste. — Amédée Pichot, Charles-Quint. Chronique de sa vie intérieure et de sa vie politique, de son abdication et de sa retraite au cloître de Yuste. — Jules van Praet, Essais sur l’histoire politique des derniers siècles. — Albèri, Relazioni degli Ambasciatori Veneti al senato del secolo xvi°. — Jos. Fiedler, Relationen venetianischer Botschafter über Deutschland und Osterreich im xvien Jahrhundert. — Dumont, Corps diplomatique.




  1. Colecc. de documentos inéditos para la historia de Espana, t. VIII, p. 297,
  2. Cienfuegos, La heroyca vida, virtudes y milagros del grande S. Franciso de Borja, p. 58.
  3. Le 6 juin.
  4. Le 12 janvier à Wels, dans la haute Autriche.
  5. Service était le mot usité en Castille, comme aide et subside aux Pays-Bas.
  6. C’était ainsi que les chefs du mouvement appelaient la confédération des villes : d’où le nom de comuneros donné à ceux qui suivirent leur parti.
  7. Martin du Bellay rapporte que, les Français ayant passé l’Escaut, le 23 octobre, près de Bouchain, l’empereur, qui était à Valenciennes, en eut un tel désespoir que la nuit il se retira en Flandre. Rien de plus inexact. Charles-Quint avait quitté Valenciennes dès le 20 octobre, pour venir à Audenarde, où il arriva le 22 : la veille il coucha à Ath. C’est ce qu’attestent les comptes du receveur de sa chambre, conservés aux archives de Lille.
  8. Lettre de Charles-Quint au seigneur de la Chaulx, du 9 juin 1522. (Analectes Historiques, t. II, p. 25.)
  9. Historia general de España, t. XI, pp. 248 et suivantes.
         M. Lafuente avance qu’il y eut près de trois cents personnes exceptées, et, dans la liste qu’il en donne, on en compte seulement cent vingt-cinq. Il ne s’explique pas sur la différence qu’il y a entre ces deux chiffres.
        Sandoval manque de précision sur ce point. Dans le § XXXI, liv. IX, il parle de soixante ou quatre-vingts exceptions, et il dit dans le § XXXV : « Il y eut environ deux cents personnes exceptées du pardon général. »
        Il est à remarquer que les exceptions comprenaient ceux qui avaient péri ou qui avaient été exécutés.
  10. « Mejor uviérades hecho en avisar à Hernando de Avalos que se fuese, que no à mi que lo mandasse prender. » (Sandoval, liv. IX, § XXXV.)
  11. Association, confrérie, du mot limousin germá.
  12. « .....Questo si può dire, che il presente imperator Carlo V abbia maggiore autorità che re qual mai fosse in Castiglia..... » (Relazioni degli ambasciatori Veneti al Senato, sér. I, vol. II, p. 47.)
  13. Charles de Lannoy, don Ugo de Moncada et le secrétaire d’État Jean Lallemand ; ceux de François Ier étaient François de Tournon, archevêque d’Embrun. Jean de Selve, premier président du parlement de Paris, et Philippe Chabot, baron de Brion.
  14. Il était second président du parlement de Bordeaux.
  15. «..... Che se fosse costretto per forza abbandonar tutti i regui e ritirarsi in Granata, finchè vedesse pietra sopra pietra, non sarebbe per restituirli..... »
  16. Dépêche de l’ambassadeur Andrea Navagero au sénat de Venise, du 6 septembre 1526, citée par Cicogna, Delle Inscrizioni Veneziane, vol. VI, p. 192.)
  17. Lettres du 12 mai 1527.
  18. Né à Valladolid le 21 mai et baptisé le 5 juin.
  19. Cependant, d’après le témoignage de l’ambassadeur vénitien Andrea Navagero, le jour où l’empereur reçut les nouvelles de Rome, il n’en fit pas semblant, parce que ce jour-là devait avoir lieu un jeu de cannes pour lequel les seigneurs de la cour avaient fait des dépenses considérables, et qu’il était trop tard pour le contremander. (Cicogna, Delle Inscrizioni Veneziane, vol. VI, p. 197)
        Le jeu de cannes dont parle Navagero eut lieu le 6 juin; Sandoval (lib. XVI, § XIV) en donne une relation détaillée. L’empereur prit lui-même part à la fête.
  20. Lettre du 9 octobre 1528. (Bullet. de la Comm. roy. d’histoire, 3e série, t. XI, p. 300.)
  21. L’ambassadeurr du duc de Milan ne se réunit pas à eux, et ce fut, d’après une résolution prise en commun, pour ne pas indigner l’empereur : « per non sdegnar Cesare ». (Cicogna, vol. VI, p. 202. )
  22. Ces réponses furent lues et délivrées aux deux rois d’armes, le 27 janvier, par le secrétaire d’État Jean Lallemand.
  23. On lit, à la vérité, dans une lettre que le président Calvymont écrivit, le 18 février 1528 de Poza, où il était détenu, au chancelier Duprat, qu’à la suite de la scène de Grenade, il s’était borné à lui faire connaître une partie des paroles rigoureuses dites par l’empereur, et cela afin de ne pas fermer toute voie à l’établissement de la concorde entre les deux souverains. Mais une circonstance affaiblit beaucoup l’argument qu’on peut tirer de cette lettre : c’est qu’elle devait passer sous les yeux de l’empereur
  24. Dans la Coleccion de documentos inéditos para la historia de España, t. I. pp 47-95, et dans les Papiers d’État du cardinal de Granvelle, t. I, p. 384.
  25. Lettre du 20 juin 1528. (Documentos inéditos, p. 55.)
  26. « Notorio es que V. M. ha cumplido lo que un principe de toda excelencia era obligado, y asi lo es de no haverlo fecho el rey de Francia... » (Coleccion de documentos inéditos, etc, t, I, p. 67.)
  27. C’était — disait-il dans une instruction du 31 juillet 1527 donnée au baron de Veyre qu’il envoyait à Charles de Lannoy — « non pas pour s’y faire couronner, ce qu’il considérait comme peu de chose et commee de la vanité mondaine et qui ne lui donnerait pas plus d’autorité dans l’Empire qu’il n’en avait, mais uniquement pour parvenir à une paix universelle, procurer la réformation de l’Église, avec l’extirpation de la serte de Luther, et ensuite faire la guerre aux infidéles. »
  28. Instruction du 9 octobre 1528 pour François de Rupt, seigneur de Waury, envoyé au prince d’Orange, à Antonio de Leyva et à Andrea Doria.
  29. Lettre du 20 janvier 1529, dans Sandoval, liv. XXVII, § XXII.
  30. Il était un des conseillers régents au conseil d’Aragon.
  31. Il avait fait dire à l’empereur, en lui envoyant l’acte du 21 juin 1528, « qu’il ne désirait pas que l’aigle volât en Italie, ni que le coq y chantât. »
  32. Lettre du sieur de Waury à l’empereur écrite de Naples, le 16 mars 1529.
  33. Plutôt par crainte que de bonne volonté, mandait le prince d’Orange à l’empereur le 26 avril.
        Lorsqu’on apprit, à la cour de France, la négotiation de Barcelone, la mère de François Ier, Louise d Angoulême, dit au secretaire de le Sauch, envoyé de l’archiduchesse Marguerite : « Vous euydez que le pape soit vostre : mais non est, et ne tasche synon d’empescher l’allée de l’empereur en Italie, et tenir ces princes en débat; et ne vault riens pour vous ny pour nous ny pour l’Église... » (Lettre de Marguerite à Charles-Quint du 30 juin 1529.)
  34. Il écrivait à archiduchesse Marguerite le 15 octobre 1528 :
        « Je suis bien enclin à la paix universelle : aussi suis-je à la particulière quant au roy d’Angleterre…. Et quant au roy de France, pour la faire particulière avec luy seulement, c’est aultre matière : car il scèt bien ce qu’il a à faire pour l’avoir, satisfaisant à mon honneur comme il doibt. »
  35. Lettre du 16 mars 1529 au sieur de Montfort, envoyé à l’archiduchesse Marguerite et au roi Ferdinand.
  36. Ibid.
  37. Du 11 juin 1529.
  38. Il avait fait faire des démarches à Paris par le duc de Suffolk et le grand trésorier d’Angleterre; afin que madame d’Angoulême ne se rendit pas à Cambrai. (Lettre de Marguerite à Charles-Quint du 30 juin 1529.)
  39. Sismondi, Histoire des Français, part. VII, chap. V.
  40. Lettre du 23 septembre 1529. Marguerite, ayant reçu le testament, lui avait écrit, le 2 septembre : « J’espère que Dieu vous donnera si longue vie que en ferés encoires une douzaine d’autres, et, quand le cas adviendra, seray desjà bien pourrie en terre, et aurés fait accomplir et exécuter le mien. »
  41. Sandoval, lib. XVIII, § I.
  42. Traduction de Suard.
  43. Lettre de Charles-Quint au prince d’Orange, du 31 août 1529.
  44. « … En somme, ma bonne tante,… suis entièrement délibéré et déterminé… d’aller en personne, le plus tost que faire se pourra, au secours du roy mon frère : car sa nécessité est si grande et le péril si extrême que ne touche seulement à luy, mais à l’hasard de toute la chrestienneté, et ne le puis ny dois délaisser, pour le lieu que je tiens et le devoir de fraternelle amitié, et encoires pour m’estre si bon frère qu’il est… » (Lettre de Charles-Quint à l’archiduchesse Marguerite, du 23 septembre 1529).
  45. Lettre de Charles-Quint à Ferdinand, de la même date.
  46. Lettre du 23 septembre à Marguerite déjà citée.
  47. Sismondi (part. VII, chap. V) rapporte que « François Ier protesta à Paris, le 29 novembre 1529, contre le traité de Cambrai, comme lui ayant extorqué, contre les lois et usances de la guerre, en sus d’une rançon en argent, la cession du duché de Milan, comté d’Asti, seigneurie de Gênes. » M. de Leva (Storia documentata di Carlo V, t. II, p 561) parle de la même protestation, en lui assignant la date du 29 octobre. Tous deux se fondent sur une pièce donnée par Isambert, Anciennes lois françaises, t. XII, p. 337, d’après le Recueil de traités de Léonard, t. II, p. 367, auquel Dumont, Corps diplomatique, t. IV, part, II, p. 52, l’avait empruntée avant Isambert.

    La pièce citée ne porte ni date ni signature ; elle ne paraît être qu’un brouillon, et en la lisant avec un peu d’attention, on remarque qu’elle fut écrite bien après les mois d’octobre et de novembre 1529, puisqu’il y est question des deux millions d’écus à payer pour la rançon des princes français, comme ayant été reçus par l’empereur : or, ce payement se fit en même temps que la restitutionn des princes, le 1er juillet 1530. Au moment où les historiens que nous avons cités prétendent que François Ier protestait contre le traité de Cambrai, il faisait à l’archiduchesse Marguerite des propositions pour des alliances matrimoniales entre les maisons de Valois et d’Autriche, et son ambassadeur, le seigneur de Brion, tenait à l’empereur le language que nous rapportons dans la suite de cette notice.

    La vérité est qu’en requérant du parlement de Paris, le 16 novembre, suivant les ordres du roi, l’enterinement de ses lettres de ratification des traités de Cambrai et de Madrid le procureur général, Me François Rogier, protesta que cet entérinement ne pourrait nuire ni préjudicier au roi ni au royaume, et qu’il entendait, « ci-après et en temps oppurtun, débattre iceux traités d’invalidité et nullité, si métier était, et iceux faire casser et annuller comme nuls, frauduleux, faits sans cause, par force, violence et contrainte faites par le vassal contre son souverain seigneur, et comme dérogeant entièrement à la loi salique et autres constitutions et droits de la couronne de France, et contenant plusieurs obligations, renonciations, promesses et autres faits et articles que ledit seigneur n’eût jamais faits, passés, ni accordés, n’eût été lesdites force, violence et contrainte et pour parvenir nu recouvrement et délivrance de messeigneurs ses enfants. » (Dumont, t. IV, p. II, page 52.)

  48. Charles-Quint écrivait à l’archiduchesse Marguerite le 16 novembre : « Je suis icy avec le pape, et trouve S. S. fort inclinée et affectionnée à toutes choses concernant la paix et repos de la chrestienté, répulsion du Turcq et extinction des hérésies régnantes; et ay espoir d’y prendre quelque bon expédient et à la pacification de ceste Italie, et y entends d’instant à autre. »
  49. Charles écrivait à la même, le 22 janvier 1530 : « Les Vénitiens estoient absolument arrestez de non traicter sans que le duc Francisco fût remis à l’Estat de Milan. »
  50. Crémone, Lodi et Alexandrie.
  51. Lettre écrite de Rome, le 28 juillet 1530, à Charles-Quint, par Louis de Flandre, seigneur de Praet, ambassadeur extraordinaire de ce monarque.
  52. Lettre de Charles à l’archiduchesse Marguerite, du 22 janvier 1530.
  53. Lettres de Charles à Marguerite, des 8 et 13 février 1530.
  54. Lorsqu’il tenait la diète de l’Empire à Augsbourg en 1548, il le manda en cette ville, pour faire son portrait et ceux de plusieurs membres de sa famille.
  55. Lettre de Charles à l’archiduchesse Marguerite, du 23 mars.
  56. C’est à tort que, dans la notice préliminaire aux Papiers d’État du cardinal de Granvelle, on lui donne le titre de chancelier qu’il n’eut jamais.
  57. Elle était décédée à Malines dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre.
  58. Analectes belgiques, p. 381.
  59. Elle écrivait, le 19 avril 1531, au roi Ferdinand, que l’Empereur lui avait mis la corde au col.
  60. Ces édits, datés du 7 octobre, étaient au nombre de trois : l’un embrassait toutes les matières sur lesquelles les états avaient donné leur avis; le deuxième contenait des dispositions spéciales contre le luthéranisme; le troisième renfermait aussi des dispositions spéciales relatives aux monnaies.
  61. Il était aussi archevêque de Bari, et Charles-Quint le fit nommer cardinal en 1533.
  62. Le 21 décembre 1530, à Cologne. Cette sentence adjugeait au duc Modène et Reggio.
  63. Après la retraite de Soliman, les Italiens, au lieu de poursuivre les Ottomans, comme on le leur avait ordonné, se mutinèrent et reprirent le chemin de l’Italie, brûlant plusieurs villes et villages autrichiens qui se trouvaient sur leur passage. Sur le bruit qui courut qu’ils y avaient été incités par le cardinal de Médicis, les chefs de l’armée impériale firent arrêter celui-ci; mais on le mit en liberté bientôt après, et Charles-Quint s’excusa de cet affront fait au légat, en disant qu’il avait été fait contre sa volonté et par suite d’une erreur.
  64. « Le pape redoutait le concile plus encore que le schisme ou l’hérésie; les trois conciles du siècle précédent n’avaient paru occupés qu’à limiter l’autorité pontificale. Il craignait davantage encore l’esprit de réforme qui pouvait se manifester dans le concile qu’on demandait. Il craignait de plus sa propre déposition, car les canons de l’Église excluent les bâtards de la chaire de Saint-Pierre. » (Sismondi, Histoire des Français.)
  65. Antonio Soriano, Relazione di Roma, 1535. (Relazioni degli ambasciatori veneti, sér. II, t. III, p. 300.)
  66. Voy. Lafuente, t. IX, p. 526 et suiv.
  67. A Madrid, le dernier de février 1535.
  68. Lettre de l’empereur à l’impératrice du 12 juin. (Col. de documentos inéditos, etc., t. III, p. 544.)
  69. Journal ms. du sieur de Herbaix. D’après lui, l’empereur amenait 12,000 hommes de Barcelone, et il en trouva 22,000 en rade de Cagliari.
  70. Sandoval, liv. XXII, § VIII. — Lafuente, t. XII, p. 68.
  71. Lafuente, t. XII. p. 72.
  72. Lafuente, l. c., p. 74.
  73. Sandoval, liv. XXII, § XLIV.
  74. Lettre de Charles à son ambassadeur Hannart, du 16 août 1535. (Lanz, II, 200.)
  75. Il le convoqua par une bulle du 2 juin 1536, en indiquant le 23 mai de l’année suivante et la ville de Mantoue pour le jour et le lieu de sa réunion.
  76. Lettre de Charles-Quint a son ambassadeur en France, de la fin de novembre 1531. (Papiers d’Etat de Granvelle, t. I, p. 595.)
  77. Ces propres paroles de l’empereur sont consignées dans une lettre qu’il écrivit, les 17 et 18 avril, au vicomte de Lombeck, son ambassadeur en France (Lanz, t. II, p. 223.)
  78. Sandoval, liv. XXIII, § V.
  79. Lettre des 17 et 18 avril ci-dessus citée.
  80. Lettre de François au pape, écrite du prieuré de Pommiers en Forez, le 11 mai 1536. (Recueil d’aucunes lectres et escriptures par lesquelles se comprend la vérité des choses passées entre la majesté de l’empereur Charles cinquiesme et François, roy de France, premier de ce nom, etc., livret de 71 ff. non chiffrés, imprimé à Anvers, le 28 juin 1536, par la veuve de Martin Lempereur.)
  81. « Et de dire que nos épées sont trop courtes pour frapper de sy loing, il est vray : et ne sçay sy ce a esté la cause pour laquelle cy-devant il me offrit, dois Paris, lorsque j’estoye en Espaigne, le combat de sa personne à la myenne, avec parolles fort insolentes, et m’en remects à ce que s’en est ensuy. Mais, s’il veult prendre regard pour quoy je luy avoye offert ledict combat, il peult bien entendre que, oultre le point d’honneur, il y alloit dadvantaige d’éviter les inconvéniens, maulx et ruynes qui succèdent de guerre; et en regardant bien aux moyens que joinctement je mis en avant, la chose estoit assez aysée d’approcher nosdicts espées et ledict combat bien faisable...... » (Lettre de Charles-Quint à Paul III, écrite du bourg de Saint-Denis près de Plaisance, le 19 mai 1536, dans le Recueil d’aucunes lectres, etc.)
  82. M. Lafuente, t. XII, p. 100, en donne le détail d’après un document officiel.
  83. Journal ms. du Sr de Herbais.
  84. Lettre de l’Empereur au comte Henri de Nassau du 4 septembre 1536 (Lanz, t. II, p. 248.)
  85. Lafuente, t. XII, p. 125.
  86. Ces dates ne sont pas celles que donne Sismondi; mais nous les empruntons à deux documents authentiques : la Relazione de Tiepolo et le Journal des voyages de Charles-Quint par le sieur de Herbais.
  87. Tiepolo, Relazione del convento di Nizza.
  88. Tiepolo, Relazione del convento di Nizza.
  89. En l’envoyant, le 20 juin, à la reine Marie, ChArles-Quint lui écrivit qu’il « ne l’estimait moins que la paix. » (Lanz, t. II. p. 683.) — Le pape en fut si satisfait qu’il dit à l’un des ambassadeurs vénitiens (Marcantonio Cornaro) qu’il n’avait pas ressenti plus de joie lors de son élévation au pontificat. (Tiepolo, Relazione del convento di Nizza)
  90. C’est ce que rapportent Sandoval, liv. XXIV, § 1er, et Tiepolo, Relazione del convento di Nizza, p. 95, et qui est confirmé par la lettre de Charles-Quint du 18 juillet, adressée à la reine Marie; (Lanz, t. II, p. 284. Martin du Bellay s’est donc trompé en assurant que ce fut l’empereur qui invita le roi à ce rendez-vous.
  91. Sismondi, part. VII, ch. VIII.
  92. Lettre de Charles-Quint à la reine Marie, écrite d’Aigues-Mortes, le 18 juillet 1538 (Lanz, t. II, 9. 284.) — Lettre de Charles à son ambassadeur à Rome, le marquis d’Aguilar, citée par M. Lafuente, t. XII, p. 117. — Journal ms. des voyages de Charles-Quint, par le Sr de Herbais.
  93. Historia de Carlos Quinto, liv. XXIV, § X.
  94. « Madame ma bonne seur, ceste sera pour vous advertir comme, aujourduy environ le midi, l’impératrice s’est accouchée d’ung filz, lequel est trespassé..... » (Lettre de Charles-Quint à la reine Marie, du 21 avril 1539, dans les Analectes historiques, t. IV, p. 429.)
        C’est donc à tort que Sandoval e, d’après lui, M. Lafuente, font naître cet enfant le jour de la mort de l’impératrice.
  95. « Madame ma bonne seur, ceste sera pour vous advertir du trespas de l’impératrice, laquelle, lorsque je la pensoye, avec l’advis des médecins, estre hors de dangier, comme vous escripviz dois son accouchement, tumba, le tier jour d’icelluy, en fievre, qui l’a tellement travaillée, avec un caterre tumbant sur sa poitrine, que hier, xie jour de sondict accouchement, elle a rendu l’esperit... » (Lettre de Charles à la reine Marie, du 2 mai, dans les Analectes historiques, t. IV, p. 430.)
  96. « Sa Majesté Impériale le sent incrédiblement, » écrivait Granvelle à la reine Marie le 3 mai.
  97. Lettres de Granvelle à la reine Marie, des 4 et 27 juin. (Archives impériales à Vienne.)
        Lorsque Charles-Quint traversa la France, de nouvelles tentatives furent faites auprès de lui, pour l’engager ùà épouser la fille du roi : elles n’eurent pas plus de succès que les précédentes (Papiers d’Etat de Granvelle, t. II, p. 569.)
  98. Le quartier de Gand était le plus considérable des quatre quartiers de la Flandre; il comprenait les châtellenies du Vieux-Bourg, d’Audenarde, de Termonde, d’Alost, de Courtrai, du pays de Waes et les Quatre-Métiers, c’est-à-dire beaucoup plus que ne contient aujourd’hui la province de la Flandre orientale.
  99. Lettre de la reine à l’empereur du 9 juin 1538. (Archives du royaume.)
  100. La collace était, à Gand, la représentation de la commune, comme le conseil large à Anvers et à Malines; elle se composait de trois membres : la bourgeoisie, les cinquante-trois métiers, et le métier des tisserands auquel cinq autres étaient unis.
  101. Lettre de la reine à l’empereur du.. juillet (Archives du royaume.)
  102. On appelait ainsi, à Gand, la trésorerie des chartes.
  103. C’était le contingent de la Flandre dans les douze cent mille florins demandés à toutes les provinces.
  104. Cette pais avait été conclue, le 29 juillet 1492, devant l’Écluse, entre le duc Albert de Saxe, lieutenant général du roi des Romains et de l’archiduc Philippe, et les Gantois ; Maximilien l’avait ratifiée au mois d’août suivant. Elle apportait des restrictions notables aux priviléges dont les Gantois avaient joui jusqu’alors.
  105. Ce fait est rapporté de différentes manières dans les relations du temps. D’après un écrit (inédit) envoyé par la reine Marie à l’empereur le 10 septembre, ni le grand bailli ni aucun des échevins ne voulurent lacérer le calfvel, et ce fut le doyen des tisserands qui le coupa en trois morceaux. Suivant le Discours des troubles, que rédigea le conseiller Schore et que Hoynck van Papendrecht a publié, la lacératioin en trois morceaux fut le fait des pensionnaires des trois membres de la ville. L’auteur de la Relation des troubles, que nous avons nous-même mise en lumière, raconte que le grand doyen fut le premier qui cassa l’acte « d’un cop de couteau au travers, » et qu’ensuite le semblable fut fait par le doyen des tisserands, le premier échevin de la keure et le premier échevin des parchons.
  106. Lettre de la reine à l’empereur du 25 septembre 1539. (Archives du royaume.)
  107. De plus, en faisant sceller les lettres patentes des commissaires chargés de nommer de nouveaux échevins, elle écrivit de sa main sous la cire : Par force et pour éviter plus grand mal, ay consenty cette commission. Marie.
  108. Du Bellay et Paradin rapportent que les Gantois envoyèrent des députés à François Ier, pour lui offrir de mettre leur ville et toute la Flandre en son obéissance. Sandoval confirme le fait, et il ajoute que le roi transmit à l’empereur les lettres originales qui contenaient cette offre. Hâtons-nous de e dire : ce fait, qui aurait constitué une trahison envers la patrie, n’a pas été prouvé jusqu’ici, et quelque autorité qui s’attache aux récits des trois historiens cités, il est encore permis de le révoquer en doute. Que, dans l’été de 1539, les Gantois aient député des personnes à Paris, cela est certain; mais on ne sait rien de positif sur la mission de ces députes. Si nos archives renfermaient, comme avant 1794, toute la correspondance de Charles-Quint avec la reine Marie, et celle que l’un et l’autre entretenaient avec l’ambassadeur impérial en France, l’abbé de Saint-Vincent, nous y trouverions, selon toute probabilité, des renseignements complets à cet égard; mais, par malheur, nous n’en avons plus que des fragments. Dans une lettre du 23 septembre (inéd.) la reine dit à l’ambassadeur : « Pour ce que aucuns députez et solliciteurs des Gantoys se sont puis naguères trouvez à Paris, combien que l’ambassadeur du roy très-chrestien estant icy m’a diet ipie ce fust pour recouvrer aulcunes copies auctenticques, mesmes de la paix de l’an IIIIxx et deux, je vous prie avoir l’œil au guect, empescher leurs entreprinses et m’advertir de ce que en trouverez à toute la meilleure diligence que faire pourrez, ensemble des noms et surnoms desdicts députez et solliciteurs ou que par cy-après y pourront arriver, et s’ils ont obtenu lesdictes copies. » Et l’abbé de Saint-Vincent lui répond, le 1er octobre, de Compiègne, où était la cour de France : « J’ai envoyé à Paris pour sçavoir ce que les commissaires gantois dont vos lettres font mention auront pourchassé, et quels instrumens et lettrages ils pourront avoir recouverts, et aussi pour sçavoir, s il est possible, leurs noms; et de ce que j’en entendray ne fauldray advertir incontinent V. M... » Les pièces que nous possédons ne nous en apprennent, pas davantage.
        Les Gantois ne pouvaient guère ignorer les dispositions de François Ier, qui étaient loin de leur être favorables : non-seulement ce monarque disait à l’ambassadeur de l’empereur qu’ils méritaient d’être bien vivement châtiés (Lettre (ined.) de l’abbé de Saint Vincent du 28 septembre 1539), mais encore il offrait à la reine Marie, pour l’aider à dompter leur rébellion, des troupes qu’il avait sur la frontière.
        Quand Charles-Quint traversa la France, le roi et le connétable lui donnèrent le conseil de traiter Gand avec rigueur. (Ribier, t. I, p. 501.)
  109. Relation des troubles, pp. 26 et 28.
  110. Elle lui écrivait, entre autres, le 9 juin 1538 : « Il gist icy que V. M. soit mestre ou varlet... » Et le 27 septembre 1539 : « Il est nécessaire que V. M. se résoulde de laisser venir ses pays en gouvernement et régime de la commune et régner iceulx, ou que V. M. en demeure le prince... » (Archives du royaume.)
  111. Le 7 août 1539.
  112. Lettre de l’empereur à la reine du 15 septembre 1539. (Archives du royaume.)
  113. Le principal de ces ministres, le grand commandeur Francisco de los Covos, d’accord avec Granvelle, contribua beaucoup au parti que prit Charles-Quint.
        Du reste, aux Pays-Bas mêmes, où la venue de l’empereur était tant désirée, sa détermination de traverser la France excita des inquiétudes. La reine lui écrivait, le 15 octobre, qu’elle ne la trouvait « estre sans grant hasard. » Le 21 du même mois elle lui mandait qu’elle en avait donné connaissance aux principaux seigneurs et bons personnages étant auprès de sa personne : « Tous, ajoutait-elle, ont esté resjovz et confortez de l’espoir que donnez de vostre briefve venue, mais non sans grande crainte du hasard de vostre passaige, lequel ilz pèsent fort. » (Archives du royaume.)
  114. Lettre de Covos ee de Gianvelle à l’abbé de Saint-Vincent, ambassadeur en France, du 27 septembre 1539. (Relation des troubles, p. 249.)
  115. « Ceulx de Gand font plus de doulx à ceste heure, pensant par ce bout l’eschapper », écrivait la reine Marie à l’empereur le 16 novembre.(Archives du royaume.)
  116. Lettre du 7 octobre. 1539. (Relation des troubles, p. 258.)
  117. Lettre de la même date. (Ibid., pp 260 et 261.)
  118. Lettre du 17 octobre. (Ibid., p. 273.)
  119. L’un et l’autre en date du 5 novembre 1539. (Papiers d’Etat de Granvelle, t. II, pp. 542 et 549.)
  120. Elle se composait du duc d’Albe, du Sr de Boussu, grand écuyer, de D. Pedro de la Cueva, maître d’hôtel, du seigneur de Rye, sommelier de corps, du comte d’Egmont, gentilhomme de la chambre, de D. Luis d’Avila, des Srs de la Chaulx, de Peloux, d’Herbais, des secrétaires Bave et Idiaquez, d’un médecin, d’un barbier, etc.
  121. Les historiens français rapportent, entre autres anecdotes sur le séjour de Charles-Quint à Paris, les deux suivantes. François, en présentant à l’empereur la duchesse d’Etampes, lui aurait dit : « Voyez-vous cette belle dame? Elle me conseille de ne point vous laisser partir d’ici que vous n’ayez revoqué le traité de Madrid; » et l’empereur lui aurait répondu : « Et bien! si l’avis est bon, il faut le suivre. » Un jour le duc d’Orléans, sautant sur la croupe du cheval de l’empereur et le tenant embrassé, se serait écrié : « Votre. Majesté Impériale est à présent mon prisonnier; » ce mot aurait fait tressaillir l’empereur. A quoi l’on ajoute que le dauphin, le roi de Navarre et le duc de Vendôme voulaient en effet arrêter Charles-Quint à Chantilly, dans une visitefaite à ce château du connétable.
        Ce sont là (pour nous servir d’une expression fort en vogue aujourd’hui) des racontars qui ne méritent pas de figurer dans des histoires sérieuses.
  122. Lettre de Charles au cardinal archevêque de Tolède du 6 janvier 1540. (Relation des troubles, p. 653.)
  123. Les récits varient sur le langage que Charles-Quint tint aux députés. Tandis que ce langage aurait été sévère et menaçant selon la Relation des troubles, il aurait, au contraire, d’après le Cort verhael, dont nous avons fait précéder cette Relation, été très-amical
  124. Ce corps avait un effectif de trois mille cent et Quatre-vingt dix hommes. (Lettre de Charles-Quint au cardinal de Tolède du 14 février, dans la Relation des troubles, p. 668.)
  125. Relation des troubles, p. 88.
  126. Relation des troubles, p. 110.
  127. C’est la date qu’assignent à la prononciaition de la sentence la Relation des troubles et la lettre à l’archevêque de Séville que nous avons donnée, p. 681, à la suite de cette Relation. Les lettres mêmes de la sentence sont datées du 30.
  128. Nos historiens ne sont pas d’accord sur la signification à attribuer à ce mot. M. Steur fait dériver creesers de creysschen, pleurer, crier, agiter, troubler. M. Alex. Henne le traduit par braillards. M. Kervyn de Lettenhove pense que les creesers n’étaient autres que des adhérents à la secte luthérienne. Il n’est pas douteux, en tout cas, qu’ils n’appartinssent à la fraction du peuple qui s’était montrée la plus violente.
  129. Sur ces deux sommes, qui ensemble s’élevaient à 206,000 carolus, l’empereur, le l8 juin, fit remise à la ville de 78,000 carolus.
  130. Sur ces deux fêtes la Relation des troubles, pp. 83 et 103, donne de curieux détails
  131. Relation des troubles, p. 156. L’auteur ajoute : « Il y avait une fort grant presse, tant estoit le tout plain, bas et hault, ès fenestres et galleries de la cour ; et rampoit le peuple partout sur les murs et thoits des maisons de ladicte court où ils povoient avoir lieu et plâche, tant avoir chacun grant désir de venir lesdis de Gand faire ladicte réparation hounourable. Mais le moindre nombre de tous ceulx quy y viendrent pour le veoir estoit de la ville, pour ce que c’estoit bien à leur grant déshonneur et regret. »
  132. Cinq exécutions eurent lieu à Gand, et deux à Audenarde. Il y avait eu ainsi seize exécutions capitales, comme le porte la lettre à l’archevêque de Séville que nous avons publiée. (Relation des troubles, p. 683.)

    D’après M. Alex. Henne (Histoire du règne de Charles-Quint en Belgique), on en compterait vingt-deux, savoir : neuf du 17 mars, six du 19, sept du 4 mai, et il se fonde, pour celles du 19 mars, sur un passage du Cort verhael. Mais il est à observer : 1o qu’on ne cite pas de sentence de cette date ; 2o que l’empereur, écrivant le 10 avril au cardinal de Tolède, dit expressément que jusqu’alors il s’est fait justice de neuf des plus coupables. (Relation des troubles', p. 678.)

  133. Le 14 avril 1540 ; (Alex. Henne, Histoire du règne de Charles-Quint en Belgique, t. VII, p. 228.)
  134. Relation des troubles de Gand, pp. 68-71. — Journal manuscrit du sieur de Herbais.
  135. En février, mars et avril 1539.
  136. Le 19 avril.
  137. Ribier, t. I, p. 507.
  138. Ribier, t. I, p. 506.
  139. L’Empereur ratifia cet écrit par un acte en date du 1er fév. 1539 qui est dans Ribier, t. I, p.365.
  140. Ribier, t. I, p. 469.
  141. Instruction au prince Philippe, du 5 novembre 1539. (Papiers d’État de Granvelle, t. II, p. 553.) — Instruction à l’abbé de Saint-Vincent, du 14 mars 1540. (Ibid., p. 563.)
  142. L’évêque de Tarbes était mort en Espagne.
  143. Le sieur de Hellin, résident du roi près la reine Marie, lui fut adjoint
  144. Du Bellay, Gaillard et d’autres historiens français, que copient la plupart des historiens étrangers, Robertson nommément, accusent Charles-Quint de mauvaise foi, de duplicité, en ce qu’il aurait formellement promis à François Ier, à son passage, par la France, de lui donner l’investiture du duché de Milan dès qu’il sérait arrivé aux Pays-Bas, et n’aurait pas tenu cette promesse. C’est encore là un exemple de la facilité avec laquelle les erreurs historiques se répandent et se perpétuent. Il nous suffira pour disculper Charles-Quint, de rétablir les faits.
        Lorsque l’empereur fut décidé à traverser la France, la première chose qu’il fit fut de donner à entendre au roi et à ses ministres qu’il ne pourrait être question, dans ce voyage, de négociations quelconques; c’est ce dont il informa la reine Marie, sa sœur, le 30 septembre 1539, en ce termes : « Puisque l’on est venu à tant, fault démonstrer entière confidence du roy et des siens et passer le plus légièrement et diligemment que fère se pourra, excusant de riens traicter là, comme à la vérité ne conviendroit... » (Archives du royaume.)
        La cour de France accepta sans difficulté et elle observa cette condition. Granvelle, que l’empereur avait envoyé en avant, lui écrivait de Langon, le 26 novembre : « Le connestable m’a dit de soy-mesmes et certiffié plusieurs fois que l’on ne parleroit à Vostre Majesté d’affaires quelconques, et se remectroient à quant et comme Vostre Majesté vouldroit... » (Relation des troubles de Gand, p 296.)
        Charles-Quint, écrivant lui-même, d’Orléans, le 21 décembre, au cardinal de Tolède, lui disait : « On ne nous a point parle d’affaires, et nous tenons pour certain qu’on ne nous en parlera pas durant ce voyage, comme ils l’ont promis et comme ils viennent de le répélter. » (Ibid., p. 643.)
        Et il lui mandait, le 21 janier 1540, de Valenciennes : « En prenant congé du roi trés-chrétien, nous l’avons entretenu de ce qui touche le Turc, et la foi, et d’aunes affaires publiques générales... En ce qui concerne les affaires particulières de nous et de lui, nous lui avons dit que, dès que le sérénissime roi, notre frère, sera arrivé à Bruxelles et que nous aurons communiqué avec lui, on pourra entendre à ce qu’il y a à faire. Et ainsi nous nous sommes séparés en frande amitié. » (Ibid., p. 662.)
        On s’étonne que M. Lafuente, qui a été à même de puiser dans les sources, ait adopté sans examen et reproduit les assertions de du Bellay, (Historià general de España, t XII, p. 147 et suiv.)
  145. Instruction au prince Philippe, ci-dessus citée.
  146. Instruction à l’abbé de Saint-Vincent ci-dessus citée.
  147. Instruction à l’abbé de Saint-Vincent, ci-dessus citée.
  148. Instruction du 24 avril 1540 pour MM de Lavaur et Hellin, dans Ribier, t. I, p. 509.
  149. Ribier, t. I, pp. 500, 514, 520.
  150. S’il n’y avait là-dessus que les déclarations officielles se Charles-Quint, on pourrait ne pas y croire ; mais le doute n’est pas permis en présence des recommendations faites au prince son fils dans l’instruction du 5 novembre 1539.>.
  151. Ribier, t. I, p. 514.
  152. Les documents que contiennent, sur cette importante négotiation, les Lettres et Mémoires de Ribier et les Papiers d’Etat de Granvelle, — les seuls qu’on possède jusqu’ici — sont fort incomplets. Ainsi l’on ne connait la déclaration de Charles-Quint que par ce qui en est dit dans une lettre (sans date) du conuétable aux Srs de Lavaur et de Hellin (Ribier, t. I, p. 522), et la lettre de Charles à son ambassadeur en France, du 9 juin 1540 (Papiers d’Etat de Granvelle, t. II, p. 597) mentionne une instruction du roi aux mêmes Srs de Lavaur et de Hellin qui devait renfermer sa résolution finale et qui manque également. De plus, les dates de quelques-unes des dépêches données par Ribier sont douteuses : ce qui jette de la confusion dans les faits.
            C’est vainement que nous avons fait des recherches aux Archives du royaume, dans l’espoir de combler les lacunes que présente cette série de documents. Nous nous sommes adressé aux Archives de cour et d’Etat, à Vienne. M. l’archiviste impérial Paul Wocher, avec une complaisance dont nous nous faisons un devoir de lui exprimer ici notre gratitude, s’est empressé de compulser les volumineuses correspondances de Charles-Quint qui sont conservées dans ce dépôt ; il a constaté que les depêches de 1537, 1538, 1539 et 1540 manquent à la correspondance diplomatique de France.
  153. Il y a, aux Archives du royaume, deux minutes du discours du conseiller Schore, toutes deux de sa main. Dans la première, le passage que nous donnons en italique était ainsi conçu ; « non pour assujétir ou asservir ses sujets plus qu’ils n’ont esté du passé, ce que S. M. ne pensit oncques ne voudroit pour rien faire. » Ce passage avait été reproduit dans la seconde minute; mais Schore le traça, pour y substituer celui dont il fut donné lecture aux états. Il est à croire que l’empereur lui-même ne fut pas étranger à ce changement.
  154. L’ordonnance contre les hérésies était datée du 27 septembre 1540; celle qui concernait les banqueroutes, les monopoles, etc., portait la date du 4 octobre. La première était principalement dirigée contre la publication et la vente de livres hérétiques; des peines terribles étaient établies contre les contrevenants : les hommes étaient exécutés par l’épée, les femmes par la fosse, et les uns et les autres par le feu, s’ils ne rétractaient pas leurs erreurs.
  155. Registre aux mémoires de la ville de Béthune de 1538 à 1542, fol. 30.
  156. Papiers d’Etat de Granvelle, t. II. p. 598.
  157. Par un diplôme daté du 5 avril 1505, à Haguenau.
  158. Ribier, t. I, p. 522.
  159. Diplôme du 11 octobre 1540. Dans son codicille du 28 octobre suivant, Charles justifiait cette détermination par le motif que, si le duché de Milan, qu’il n’était parvenu à remplacer sous l’autorité de l’Empire qu’au prix des plus grands sacrifices, tombait en main suspecte ou de personne qui n’eût les moyens de le garder et défendre, il en pourrait résulter un inconvénient irremédiable à la chrétienté en général, et en particulier au prince son fils, à ses royaumes, pays et sujets, ainsi qu’au roi son frère et aux siens; il prenait Dieu à témoin « que nulle convoitise ni ambition d’agrandir son fils ni sa maison au préjudice d’autrui ne lui avait fait faire ladite investiture, ains seulement le seul respect d’obvier à l’inconvénient qui autrement en pourroit advenir. »
  160. Papiers d’Etat de Granvelle, t. II, p. 599.
  161. Selon le P. Barre; le 14 suivant Schmidt.
  162. Et non le 8, comme le dit Schmidt. Le père Barre est d’accord, sur ce point, avec le Journal du sieur de Herbais.
  163. Il était alors conseiller au conseil de Luxembourg. L’empereur le fit peu de temps après, vice-chancelier de l’Empire et conseiller au conseil privé des Pays-Bas.
  164. Les articles sur lesquels ils n’avaient pu s’accorder étaient ceux de la puissance de l’Église, du sacrement de pénitence, de l’eucharistie, de l’invocation ses saints, de la messe, de l’usage du calice, de la hiérarchie et du célibat des prêtres. (Le P. Barre.)
  165. Journal manuscrit du sieur de Herbais.
  166. Hess, Histoire de l’Empire, t. II, p. 491. — Schmidt, Histoire des Allemands, t. VII, p. 100
  167. Journal du sieur de Herbais. — C’est à tort que Sandoval (liv. XXV, § V) dit que l’ambassadeur de François Ier était présent à toutes ces conférences.
  168. On trouve des détails précis sur ce fait dans une lettre écrite, le 12 août 1541, à la reine Marie de Hongrie par le conseiller belge Boisot, que l’empereur avait envoyé à Milan, pour s’informer de ce qui était arrivé. Il en résulte que les meurtriers de Rincon et Fregoso étaient espagnols
  169. Dans la lettre que nous venons de citer, Boisot disculpe le marquis.
  170. C’est ce que Charles écrit à la reine Marie dans une lettre du 26 septembre 1541 (Lanz, t. II, p. 326). A moins qu’on ne prétende qu’il ait voulu tromper sa propre sœur, on doit conclure des termes de sa lettre qu’il ignorait véritablement ce qu’étaient devenus Fregoso et Rincon.
  171. Ces négociations étaient restées ignorées jusque dans ces derniers temps; c’est M. Lafuente qui les a révélées d’après des documents recueillis par lui aux archives de Simancas. (Voir le tome XI, publié en 1853, de la Historia general de España, p. 180 et suiv.)
  172. Metafus ou Temendfust, petite ville avec un bon port, à une quinzaine de milles d’Alger.
  173. Sandoval, liv. XXV, § V.
  174. Sandoval et, d’après lui, Robertson, M. Lafuente et presque tous les historiens portent à quatorze ou quinze galères et à cent cinquante navires, grands et petits, le chiffre des pertes de la flotte. Dans sa lettre du 3 novembre au cardinal Tavera (Documentos inéditos, t. I, p. 434.), l’empereur fixe positivement à quatorze le nombre des galères, mais il ne fait pas connaitre celui des navires de transport qui ont péri, se bornant à dire que tous les petits bâtiments et quelques-uns des grands ont échoué sur la côte. Herbais, copié par Vandenesse, ne parle que de cent vaisseaux perdus (Papiers d’Etat de Granvelle, t. II, p 614). Dans une relation inédite de l’expédition d’Alger qui est conservée à la Bibliothèque de Tournai, et dont l’auteur faisait partie de la suite de Charles-Quint, on lit que cent et trente vaisseaux périrent, y compris quatorze galères.
  175. Herbais et Vandenesse parlent de douze cents chrétiens noyés ou tués. Sandoval ni M. Lafuente n’en donnent le chiffre. Robertson réduit celui-ci à huit cents. Charles-Quint, dans sa lettre au cardinal Tavera, s’applique à atténuer cette perte : « Les gens qui étaient sur les galères el les navires, dit-il, ont été sauvés pour la plus grande partie; parmi ceux qui ont péri, il n’y avait aucune personne de marque. »
  176. Robertson, liv. VI.
  177. Lettre de Charles au cardinal Tavera du 3 novembre. (Documentos ineditos, t. I, p. 234.)
  178. Il y arriva le 23 janvier 1542, et en partit le 26. (Journal de Vandenesse.)
  179. Journal de Vandenesse.
  180. Journal de Vandenesse.
  181. Au commencement de 1541.
  182. La déclaration de guerre fut publiée en France seulement le 12 juillet; François en donnait pour motif l’assassinat de ses ambassadeurs Rincon et Fregoso (Papiers d’Etat de Granvelle, t. II, p. 628.)
        Elle ne fut pas notifiée à l’empereur, et il n’en eut connaissance que le 21 août. (Journal de Vandenesse.)
  183. C’est ce qu’il écrivit au roi son frère le 9 octobre 1542.
  184. Liv. XXV, § XIX.
  185. Charles en convient dans sa lettre du 9 octobre à son frère : « Le roy de France, lui dit-il, n’avoit pensé faillir de me surprendre, faisant son compte que tout seroit le sien sans y pouvoir résister, et mesmes qu’il prendroit Perpignan d’arrache-pied, et passeroit outre jusqu’à Valladolid. Et à la verité, si son armée eût marché au temps qu’il avoit délibéré, il m’eût mis en grand désaroy, pour non pouvoir penser estre ceste emprinse vraisemblable. »
  186. Sismondi, t. XII, p. 14.
  187. Le subside qu’ils votèrent fut de cinq cent mille durats. (Vandenesse.)
  188. Journal de Vandenesse.
  189. Journal de Vandenesse.
  190. Elle était datée du 11 des calendes de juin 1542.
  191. Lettre de Charles à Paul III, du 28 août 1542. (Papiers d’Etat de Granvelle, t. II, p. 633)
  192. Lettre de Charles au roi Ferdinand, du 9 Octobre 1542. — Journal de Vandenesse.
  193. Lettre du 29 septembre 1542. (Papiers d’Etat de Granvelle, t. II, p. 645.)
  194. Sandoval, liv. XXV. § XXVI.
  195. Sandoval, liv. XXV. § XXVI.
  196. Lettre de Charles-Quint à Eustache Chapuys, son ambassadeur en Angleterre, du 3 mai 1542.
  197. Lettre de Charles à Chapuys, du 5 avril 1542. — Journal de Vandenesse.
  198. Lettre du 5 avril déjà citée
  199. Lettre de Charles à Chapuys du 12 août. — Journal de Vandenesse.
  200. Lettre de Charles à Chapuys du 12 avril 1543.
  201. Il faut lire ce qu’il dit à ce sujet au prince Philippe dans l’instruction secrète du 6 mai dont nous parlons plus loin, et notamment ce passage : « Hago este viaje, el qual es mas peligroso para mi hourra y reputacion, para mi vida y hacienda. que puede ser..... para probar los medios que pudiere para rremediar lo que [Dios] me tiene dado, y no dexaros pobre y desautoriçado, por donde despues tendriades gran raçon de quexaros de mi..... (Je fais ce voyage, lequel est le plus périlleux possible pour mon honneur et ma réputation. pour ma vie et mes biens..... afin de conserver, par tous les moyens qui seront en mon pouvoir, ce que Dieu m’a donné, et de ne pas vous laisser pauvre et sans autorité dans le monde : ce qui vous donnerait plus tard un juste motif de vous plaindre de moi).
  202. Journal de Vandenesse.
  203. Journal de Vandenesse.
  204. Lettre de Charles au roi Ferdinand, du 23 janvier 1543.
  205. Sandoval et, d’après lui, M. Lafuente rapportent que les cortès de Castille lui accordèrent quatre cent mille ducats à titre de service ordinaire et extraordinaire : mais ils n’indiquent ni où ni quand ces prétendues cortès se réunirent. Vandenesse, qui dans son Journal consigne avec soin tous les faits de ce genre, ne dit pas un mot d’une telle assemblée.
  206. Nous donnons des dates précises d’après le Journal de Vandenesse. Les historiens espagnols sont sur ce point assez peu exacts.
  207. Ces instructions ont été publiées, une première fois, dans El Semanario erudito, collection de documents, en trente et quelques volumes, qui parut à Madrid vers la fin du siècle dernier. Elles l’ont été, une seconde fois, d’une façon malheureusement peu correcte, par le docteur Lanz, d’après un manuscrit de la Bibliothèque royale de Bruxelles, dans le volume intitulé Staatspapiere zur Geschichte des Kaisers Karl V, Stuttgart, 1845, in 8°, pp. 359-379.
        Elles sont au nombre de deux, l’une et l’autre en espagnol : la première, ostensible, est datée du 4 mai ; la seconde, secrète, est datée du 6. Charles-Quint recommandait à son fils de ne laisser voir celle-ci à personne, pas même à sa femme.
        Une recommandation particulière était contenue dans l’instruction du 4 mai : c’était celle d’avoir grand soin du service et du bon traitement de la reine doña Juana : « Que tengays cuydado del servicio y buen tratamiento de la reyna mi señora… » Si nous en faisons la remarque, c’est que, dans ces derniers temps, on a essayé de faire croire que Charles n’avait ni respect ni attentions pour sa mère.
  208. Journal de Vandenesse. — Sandoval, liv. XXV, § XXVI. — Lafuente, t, XII, p. 213.
  209. Les historiens espagnols, Sandoval, Ferreras, M. Lafuente, etc., prétendent que Charles, mécontent du pape, se refusa d’abord catégoriquement à une entrevue avec lui, et qu’il ne finit par y consentir que sur les instances réitérées du cardinal Farnèse. C’est une erreur : dès le mois de janvier, Charles avait écrit à son ambassadeur à Rome, le marquis d’Aguilar, qu’il était très-content de voir le pape, si S. S. en témoignait le désir pourvu que ce fût à Gènes ou à Mantoue, de façon que leur entrevue ne l’obligeât pas à s’écarter de son chemin et ne lui fit point perdre de temps.(Lettre de Charles au roi Ferdinand, du 23 janvier 1543.)
  210. Le pape avait laissé à Parme les autres cardinaux, au nombre de dix-neuf, comme étant affectionnés aux Français.
  211. Journal de Vandenesse.
  212. Sandoval (liv. XXV, §§ XXIX et XXX), rapporte que la cession du duché de Milan était presque conclue lorsque D. Diego de Mendoza, gouverneur de Sienne, présenta à l’empereur un long écrit, dont cet historien donne le texte, sur les conséquences désastreuses qu’elle aurait pour la monarchie.
        La vérité est (nous en avons la preuve dans une lettre que Charles-Quint écrit à la reine Marie le 13 juin) que ce monarque ne voulut pas se décider sans avoir pris l’avis de son fils, et il ne pouvait agir autrement, puisque le duché de Milan appartenait au prince Philippe.
  213. Les détails (inédits) que nous donnons sur l’entrevue de Busseto sont empruntés à des notes historiques du comte de Wynants, directeur général des archives des Pays-Bas sous Marie-Thérèse, Joseph II, Léopold II et François II. Les correspondances de Charles-Quint avec le roi Ferdinand et la reine Marie, qui existent aujourd’hui aux Archives impériales, à Vienne, étaient conservées alors dans les Archives de Bruxelles; M. de Wynants en avait fait l’objet spécial de ses études, et il en avait tiré de nombreux extraits qui nous ont été du plus grand secours pour la rédaction de cette biographie.
  214. Sandoval, liv. XXVI, § 31.
        Ce que rapporte ici Sandoval est confirmé par l’auteur anonyme de la Relation des voyages de Charles-Quint de 1540 à 1544 que nous avons citée plus haut : « Sa Majesté poursuivant son chemyn, — dit-il après avoir raconté la prise de Duren — nous campasmes lez la ville de Remunde (Ruremonde), laquelle Sa Majesté alloit recevoir. Et délivez sçavoir que, nonobstant la snsdicte prinse de Duren, sy eult-il aulcuns maryniers dudict pays qui ne pensoient ladicte Majesté estre vif, à cause que de longtemps on leur avoit fait acroire qu’il estoit mort..... »
  215. Schmidt, t. VII, p. 148. — Le P. Barre, t, VIII, 2e partie, p. 568. — Lanz, Staatspapiere, p. 383.
  216. Le 24 mars 1543.
  217. D’après le Journal de Vandenesse, ce sérait le chancelier de Gueldre qui aurait parlé : mais la lettre de Charles-Quint au prince Philippe, du 25 septembre 1543 (Analectes historiques, t. I, p. 246), est précise sur ce point. Sandoval désigne aussi le duc de Brunswick.
  218. Sandoval, liv. XXV, § XL.
  219. Journal de Vandenesse. — Sandoval, liv. XXV, § XL.
  220. Il porte la date du 7 septembre (Papiers d’Etat de Granvelle, t. II, p. 666); mais, d’après le Journal de Vandenesse, il ne fut conclu que le lendemain.
  221. Vandenesse indique cette entrée au lundi dix septembre. Le 10 était en effet un lundi. Mais nous suivons la lettre déjà citée de Charles-Quint à son fils, lettre où il précise les dates.
  222. Journal de Vandenesse. — Sandoval, liv. XXV, § XLII.
        Charles ne tarda pas à admettre à son service Martin van Rossem, et dans la suite de son règne il l’appela à remplir des charges importantes. Van Rossem justifia toujours la confiance que l’empereur avait placée en lui.
  223. Par ces lettres, en date du 12 septembre, et auxquelles on donna le nom de traité de Venlo, l’empereur s’obligeait à maintenir les priviléges et coutumes du pays, à y instituer pour stadhouder quelqu’un qui en connût la langue, à y ériger une chancellerie et conseil où seraient traitées toutes les causes des habitants, à ne laisser évoquer aucun procès à la chambre impériale, à ne nommer aux fonctions publiques que des naturels du pays capables de les exercer par eux-mêmes, à n’établir ni laisser établir aucune imposition que les barons, chevaliers et villes n’auraient pas consentie, etc. (Dumont, Corps diplomatique, t. IV, 2e partie, p. 266.) Ces lettres formaient la charte des libertés de la Gueldre.
  224. Journal de Vandenesse.
  225. Lettre de Charles-Quint du 25 septembre.
  226. Journal de Vandenesse.
  227. « Sans aucun doute » — écrit Sandoval, liv. XXV. § XLIII — « Charles put dire comme César : Veni, vidi, vici. »
  228. Recueil manuscrit des propositions faites aux états généraux. — Journal de Vandenesse.
  229. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, pp. 21-22.
  230. Journal de Vandenesse.
  231. Et non dans la nuit du 2, comme le dit Sismondi. — La reine Marie écrivit, à cette occasion, à son frère : « J’ay entendu le peu de vouloir que les ennemis ont eu de satisfaire à leurs bonnes paroles. Votre Majesté a acquis l’honneur qu’elle mérite, et eux la honte. »
  232. Granvelle écrivait, de Cambrai, le 12 novembre, à la reine Marie, que le duc, arrivé depuis quelques jours à Chimay, venait « à la grande instance des Français, et qu’il se conduisait pour plus français que chrétien. »
  233. Recueil manuscrit des propositions faites aux états généraux.
  234. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, p. 27.
  235. Lettre de Granvelle à la reine Marie du 9 janvier 1544.
  236. Lettre du même à la même du 27 janvier.
  237. Traduction de la lettre de l’empereur à son ambassadeur à Rome, don Juan de Vega, du 25 janvier 1544, dans Lanz, Staatspapiere zur Geschichte des Kaisers Karl V, p. 346. Lanz a placé, par erreur, cette lettre à l’année 1543.
  238. Correspondance de la reine Marie avec Charles-Quint.
  239. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, pp. 30 et 31.
  240. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, p. 33.
  241. Il avait succédé à son frère, Louis le Pacifique, mort le 26 mars précédent.
  242. Le 14 avril.
  243. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, p. 36.
  244. Les 8, 9, 10 et 11 mai.
  245. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, pp. 35, 36.
  246. Dumont, Corps diplomatique, t. IV, part. II, p. 274.
  247. Trois années de l’histoire de Charles-Quint,p. 32.
  248. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, pp. 37-41.
  249. Sleidan, t. II, p. 228. — Schmidt, t. VII, p. 168.
  250. Lettre de Granvelle à la reine Marie du 18 juin.
  251. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, p. 46.
  252. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, p. 47.
  253. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, pp. 54-55.
       D’après Sismondi, t. XII, p. 60, ce serait Charles-Quint qui aurait « fait des ouvertures de paix à des officiers français qu’il retenait prisonniers. » Cette assertion est erronée de tout point.
  254. Il s’était trouvé dans une situation assez difficile, quinze jours avant la capitulation de Saint-Dizier, pour désirer qu’une trève fût conclue entre lui et les Français par l’entremise du roi d’Angleterre. Il y a, à ce sujet, une lettre très-curieuse qu’il écrivit à la reine Marie; elle porte la date du 20 juillet.
  255. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, pp 55-59.
  256. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, pp. 63-64.
  257. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, p. 61.
  258. Recueil manuscrit des propositions faites aux états généraux.
  259. Il était de 240,000 florins : celui du Brabant de 200,000, de la Hollande de 100,000, du Hainaut de 40,000, etc.
  260. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, pp. 71-78.
  261. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, p. 69.
  262. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, pp. 70-71.
  263. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, pp. 82-83.
  264. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, pp. 83-85.
  265. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, pp. 81, 87, 88, 90.
  266. Instruction de Charles à d’Andelot du 5 juillet 1545, dans Sandoval, liv. XXVII, § II.
  267. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, pp. 93-95. — Schmidt, t. VII, p. 201.
  268. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, p. 98.
  269. Recueil manuscrit des propositions faites aux états généraux.
  270. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, pp. 100-102.
  271. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, pp. 111, 112, 114.
  272. De Reiffenberg, Histoire de la Toison d’or, pp. 406-423.
  273. Correspondance de Philippe II sur les affaires des Pays-Bas, t. 1, pp. cxv-cxix.
  274. Kolrausch, Histoire d’Allemagne, p. 255.
  275. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, pp. 107, 121.
  276. Cette lettre, datée du 16 février 1546, à Venlo, est dans les Documente zur Geschichte Karl’s, Philipp’s II, und ihrer Zeit, publiés par M. de Döllinger, p. 40.
  277. « .....Si crano fatti grandi et di molta reputatione nella Germania il lanthgravio d’Hassia, il duca di Wirtimberg et quello di Sassonia tanto che questi tali, come eran chiamati da Cesare alle diete, ó non si dignavano venirvi, ó, se venivano, erano più respettati et honorati che l’imperatore et re di Romani, delli quali loro mostravano auco non tener molto conto; contradicevano elli audacemente alli proposti di Sua Maestà : onde lei, che vedeva non poter ottener cosa alcuna senza il favor loro, contra sua voglia, era costretta di accarezzarli, honorarli et molte volte pregarli per haver dalle diete quanto desiderava. » (Relation inédite de Mocenigo sur Charles-Quint.)
  278. Et non à Utrecht, comme le dit Sleidan.
  279. Maurenbrecher, Karl V tund die deutschen Protestanten, 1545-1555, Anhang, pp. 42*, 44*. — Sleidan, t. II, p. 282.
  280. Les théologiens catholiques étaient Pedro Malvenda, espagnol, docteur de Paris; Everard Billick, carme; Jean Hoffmeisters, augustin, et Jean Cochlée. Les protestants étaient Bucer, Brentius, Georges Major et Erard Schnepff. Chacun d’eux était accompagné d’un auditeur.
  281. Sleidan, t. II, p. 278. — Le P. Barre, t. VIII, p. 631.
  282. Lettre de Charles à la reine Marie du 9 juin 1546, dans Lanz, t. II, p. 486. — Trois années de l’histoire de Charles-Quint, p 130.
  283. Trois années de l’histoire de Charles-Quint, page 132.
  284. Sleidan, t. II, p. 312. — Schmidt, t. VII, p. 229. — Le P. Barre, t. VIII, p. 646.
  285. Schmidt, tome VII, page 231 et suiv. — Sleidan, t. II, p. 313. — Le P. Barre, t. VIII, p. 646.
  286. Le traité fut signé à Rome le 26 juin.
  287. Lettre de Charles à la reine Marie du 9 juin 1546, dans Lanz, t. II, p. 486.
  288. D. Luis d’Avila, Comentario de la guerra de Alemaña, fol. 5 .
  289. Dans sa relation sur Charles-Quint (que j’ai déjà citée), Alvise Mocenigo rapporte que Charles ne voulut pas d’abord entendre parler de cet accord avec Maurice, par la raison que celui-ci était on luthérien enragé (lutheranissimo), et qu’il avai’ pour femme une fille du landgrave, lequel il honorait et respectait comme un père. Mocenigo ajoute : « Cette résolution (de traiter avec Maurice) fut véritablement la plus prudente et la plus avantageuse que l’empereur eût pu prendre : car on peut dire que la victoire obtenue par S. M. en fut en grande partie le résultat (Questa in vero fù la più utile et la più prudente deliberatione che facesse Cesare, perché da essa pà si pó dire che in gran parte habbi dependuto la vittoria di S. M.). »
  290. Lettre de Charles à la reine Marie du 9 juin 1546.
  291. Sleidan, t. II, p. 314. — Schmidt, t. VII, p. 242.
  292. Sleidan, t. II, p. 316.
  293. Le 4 juillet.
  294. Sleidan, t. II, p. 332.
  295. Le 15 juillet.
  296. Sleidan, t. II, p. 333.
  297. Sleidan, t. II. p. 341. — Schmidt, t. VII, p. 248. — Le P. Barre, t. VIII, p. 665.
  298. Journal de Vandenesse.
  299. Le récit que nous donnons de la guerre d’Allemagne est emprunté principalement au Comentario de D. Luis de Avila y Çùniga, imprimé à Anvers en 1549 (83 ff. pet. in-8o); à la Relation d’Alvise Mocenigo, déjà citée : Mocenigo la raconte jour par jour; il était à la suite de l’empereur; enfin aux Commentaires de Charles-Quint.
  300. Mocenigo. — Selon d’Avila, les protestants avaient 14,000 piétons et 1,000 chevaux avec 28 pièces d’artillerie.
  301. Ce sont les chiffres que donne Mocenigo. — Selon d’Avila, les protestants avaient soixante-dix à quatre-vingt mille piétons, neuf à dix mille chevaux et cent trente pièces d’artillerie. — Mocenigo fait cette observation que, pendant la guerre, on disait l’armée de la ligue plus forte qu’elle ne l’était réellement.
  302. Sleidan, t. III, p. 353.
  303. François Ier, en apprenant que le roi de Danemark n’avait pas voulu rejoindre aux confédérés de Smalkalde, en avait conçu un tel dépit qu’il avait été plusieurs jours sans vouloir voir personne, madame d’Étampes exceptée. Lorsqu’il sut que les protestants avaient laissé échapper l’occasion de surprendre l’empereur à Ratisbonne, il en fut plus fâché encore. (Lettre de l’ambassadeur Saint-Mauris à la reine Marie, du 26 septembre 1546.)
  304. Mocenigo.
  305. Commentaires, etc., p. 129 - « Je l’entendis souvent dire, — rapporte d’Avila — en parlant de cette terrible guerre, que mort ou vif il demeurerait en Allemagne. » (Comentario, fol. 10.)
  306. SIeidan, t. II, pp. 349-352.
  307. D’Avila.
  308. Lettre adressée au duc de Savoie Charles III, le 16 août 1546, par le comte de Stropiana, son ambassadeur auprès de l’empereur.
       J’aurai l’occasion, plus d’une fois encore, de citer la correspondance de Stropiana, que M. le comte Giuseppe Greppi, ministre d’Italie à la cour de Munich, a fait connaître par d’intéressants extraits insérés au tome XII, 2e série, des Bulletins de la Commission royale d’histoire de Belgique.
  309. « Quanto disordine che quella notte fusse nell’ esercito di Cesare, so che io particolarmente scrissi all’ hora a Vostra Serenità : ma non voglio restar di replicare che, per opinion di tutti, se nemici, quella sera ó la mattina adietro, venivano ad assaltarne, senza dubbio cravano tutti perduti, che non vi era rimedio alenno, perochè per tutta quella notte vi fù tanta confusione che non credo maggiore in uno esercito si potesse vedere... »
       Dans ses Commentaires, Charles-Quint cherche à pallier ce désordre : « Pendant toute cette nuit (qui ne se passa pas sans quelque bruit, parce que la multitude qui suivait pouvait difficilement pendant la nuit reconnaître ses quartiers), l’empereur fit creuser des tranchées autant que le temps le permit, etc. » (Page 136.)
       D’Avila (fol. 13) se borne à dire : « Il me parait, sauf meilleur jugement, que si les ennemis eussent marché ce jour-là et nous eussent attaqués en chemin, ils auraient pu nous mettre en grand hasard (Parésceme à mi, debaxo de mejor jugzio, que si ellos caminavan aquel dia y viniesen à combatirnos en el camino, que pudieran poner la cosa en gran ventura).
  310. C’est la distance donnée par Mocenigo : un miglio et mezzo italiano. D’après Stroppiana, dans sa lettre du 6 septembre, elle aurait été d’un demi-mille seulement : un mezzo miglio. Dans ses Commentaires, Charles-Quint dit que les ennemis s’avancèrent jusqu’à une portée de canon.
  311. Mocenifo.
  312. Quarante-neuf d’après Stroppiana; selon Mocenigo, trente-deux seulement et dont huit crevèrent pendant l’action.
  313. Stroppiana. — D’Avila dit la même chose en d’autres termes : « L’artillerie des protestants tirait avec tant de furie qu’il semblait véritablement qu’il plût des boulets » (que verdaderamente parescia que llovia pelotas).
  314. Page 137.
  315. ..... Per dir’ il vero, non vi é huomo che si habbi ritrovato in detto esercito, che non confessi haver havuto in quello giorno la maggior paura che in alcun altro tempo di vita sua..... »
  316. « .....In questo giocho tremava il cuore a più di tre... »
  317. Stroppiana. — Mocenigo rend le même hommage à la bravoure de l’empereur : « Césare — dit-il — quasi sempre stava al discoperto in ghetto di artegliaria, mostrando di non stimarla punto. »
  318. Stroppiana.
  319. Stroppiana ne parle que de vingt à vingt-cinq morts et autant de blessés; mais ces chiffres sont certainement inexacts. D’après Mocenigo, les pertes s’élevèrent, en tués et en blessés, à trois cents hommes environ.
  320. « ..... Con esta confiança lantgrave avia prometido à toda la liga que dentro de tres meses el echaria à Su Magestad de Alemaña ó le prenderia..... » (D’Avila, fol. 13 v°.)
  321. Dans le conseil de la ligne, le landgrave avait proposé d’attaquer le camp de l’empereur; mais son avis ne fut pas adopté. (Sleidan, t. II, p. 357.)
  322. François Ier avait espéré que les protestants battraient le comte de Buren. Quand on reçut à Moulins, où était la cour de France, la nouvelle de la jonction de ce seigneur avec l’armée impériale, le roi el ceux qui l’entouraient s’en montrèrent « fort fâchés et troublés. » (Lettres de l’ambassadeur Saint-Mauris, du 26 septembre, à l’empereur et à la reine Marie.)
  323. Alex. Henne, t. VIII, p. 291. — Mocenigo dit aussi que le corps du comte de Buren était tutta bella gente.
  324. Ce sont les chiffres que donne Mocenigo. D’après d’Avila, l’empereur n’aurait eu que vingt-huit à vingt-neuf mille piétons et huit à neuf mille chevaux.
  325. « ..... Questo successo diede molta reputatione alle cose di Cesare, et ne levó assai a quelle di protestanti..... »
  326. D’Avila, fol. 22 v°.
  327. Mocenigo.
  328. D’Avila, fol. 28 v°.
  329. Sa jambe était soutenue d’un linge, au lieu d’étriers. (D’Avila, fol. 28 v°.)
  330. D’Avila (fol. 34 v°.) donne quatre-vingt-dix mille hommes aux confédérés; mais il parait y avoir de l’exagération dans ce chiffre.
  331. Mocenigo.
  332. Mocenigo. — D’Avila, fol. 63.
  333. Dans sa lettre du 6 septembre, le comte de Stroppiana dit que leur solde ne suffisait pas pour le vin qu’ils buvaient.
  334. Commentaires de Charles-Quint, p. 161.
  335. « ..... Cesare cra consegliato da tutti li sui capitani di guerra ad invernare hormai tutto l’esercito, dividendo in più lochi le genti sue : ma Sua Maestà, seben vedea quanto si pativa, non volse mai assentire di farlo, ansi commandò che di questo più alcuno non li parlasse..... » (Mocenigo.)
  336. Page 163.
  337. Mocenigo.
  338. Mocenigo. — D’Avila.
  339. L’ambassadeur Mocenigo trace le plus triste tableau de l’armée de Charles-Quint en ce temps-là : « J’ai vu — dit-il — en divers endroits des soldats rester par les chemins et dans la boue, les uns pur maladie, d’autres par faiblesse, car ils n’avaient pas de pain à manger, et plusieurs ressemblaient plutôt à des momies qu’à des corps vivants, tant ils étaient desséchés et noirs du froid..... Je me rappelle encore avoir vu, dans des bois trois, quatre et cinq soldats moris sur place autour d’un feu éteint : ce qui certainement était un affreux spectacle » (Ho veduto io in diversi lochi restar per le strade, et dico molti nelli fanghi, chi per mulatie, chi per debolezza, non havendo pan da mangiare, et molti si vedeano di questi che piutosto pareano mummie che corpi vivi, tanto erano secchi et negri dal freddo..... Mi ricordo anchora haver veduto in alcuni boschi tre, quatro et cinque soldati per loco morli intorno alcuni fochi già spenti : che certo era un spaventoso spettaculo).
  340. Commentaires de Charles-Quint, pp. 171-172. « L’empereur — dit Mocenigo — voulait poursuivre la victoire sans attendre le printemps, où il voyait très-bien qu’il pourrait être empêché par plusieurs et que les ennemis se pourraient remettre ensemble » (Cesare non restava per ció di far marchiare l’esercito, volendo egli proseguir la vittoria et non aspettare il tempo novo, nel quale vedea molto bene che da molti poteva esser disturbato et che inimici si haveriano potutto rimetter insieme).
       François Ier, en apprenant les succès de l’empereur, en avait été irrité au point qu’il avait défendu qu’on lui en parlât et qu’il était resté trois jours dans sa chambre, sans dîner en pnhiic. Lorsqu’il sut que la rigueur de la saison n’empêchait pas l’empereur de poursuivre les opérations militaires, il en témoigna sa surprise, disant que c’était agir contre les lois de la guerre. (Lettres de l’ambassadeur Saint-Mauris à Charles-Quint des 1er et 14 janvier 1547.)
  341. Journal de Vandenesse.
  342. Mocenigo.
  343. « ….. Si crede che se per il passato non havesse fatto lungo servitio a Sua Maestà, et che da lei Sua Signoria non fusse sta tanto amata come la era, et che non havesse havuto per moglie una nipote di Cesare, difficilmente li saria sta perdonato….. » (Mocenigo.)
  344. D’Avila, Comentario, fol. 47.
  345. D’Avila. — Mocenigo. — Journal de Vandenesse.
  346. « ….. J’ay, avant que d’y condescendre, pensé et repensé là-dessus et le pesé beaucoup » écrivit Charles au roi son frère le 9 janvier 1547. (Lanz, t. II, p. 524.)
  347. Celle du 9 janvier citée à la note précédente.
  348. Sleidan, t. II, p. 394.
  349. Journal de Vandenesse. — Sleidan, t. II, p. 394.
  350. Journal De Vandenesse. — D’Avila.
  351. Sleidan, l. c. — D’Avila, fol. 51.
  352. D’Avila, fol. 49.
  353. Sleidan, t. II, p. 399. — Suivant Mocenigo, Augsbourg aurait payé 300,000 florins.
  354. Lettre de Charles à Ferdinand du 19 février 1547, dans Lanz, t. II. p. 539.
  355. Lettre de l’évêque d’Arras à M. de Granvelle du 12 février 1547, dans les Papiers d’État de Granvelle, t. III, p. 240.
  356. D’Avila. — Lettre de Charles à Ferdinand du 2 février 1547, dans Lanz, t. III, p 529.
  357. Commentaires de Charles-Quint, p. 178. — D’Avila.
  358. Journal de Vandenesse. — D’Avila, fol. 53 et 54
  359. Le marquis occupait, avec dix-huit cents chevaux etdix enseignes d’infanterie, Rochlitz, sur la frontière de Saxe, appartenant à une sœur du landgrave de Hesse. Cette dame lui témoignait beaucoup d’amitié, lui offrait des banquets et des bals; en même temps elle donnait avis de tous ses mouvements, du nombre et de la qualité de ses gens, au duc de Saxe, qui était à trois lieues de là avec des forces supérieures. L’un des premiers jours du mois de mars, elle pria le marquis et ses principaux officiers à un festin, où elle fit si bien qu’ils s’enivrèrent. Les Saxons, avertis, se mirent en marche avant le jour et arrivèrent à Rochlitz lorsqu’Albert était encore au lit. Il se leva précipitamment et combattit avec courage à la tête de ses troupes; mais il ne put tenir contre les assaillants. Il perdit dans cette affaire quatre à cinq cents hommes, morts ou pris; lui-même il fut fait prisonnier. Le duc Jean-Frédéric l’envoya à Gotha.
  360. Lettre de Baersdorp à la reine Marie, du 25 juillet 1547, aux archives impériales, à Vienne. — Lettre de Charles à la reine, du 20 mars, dans Lanz, t II, p. 552.
  361. Journal de Vandenesse. — Mocenigo.
  362. Journal de Vandenesse.
  363. Sleidan, t. II, p. 406.
  364. D’Avila, Comentario, fol. 55 v°.
  365. Journal de Vandenesse. — Commentaires de Charles-Quint, p. 180.
  366. Mocenigo. — D’Avila, fol. 56.
  367. Les meilleurs chevau légers du monde, selon mon jugement, dit D’Avila.
  368. D’Avila, fol. 58.
  369. François Ier était décédé à Rambouillet le 31 mars.
  370. C’est ce qui ressort des dépêches du Sr de Saint-Mauris, ambassadeur de Charles-Quint en France.
  371. Lettres de Saint-Mauris à l’empereur des 5 et 22 juillet 1546.
  372. Nous en avons cité des exemples dans plusieurs notes.
  373. Lettres de Saint-Mauris des 19 août, 25 novembre 1546 et 1er janvier 1547.
       V. aussi, dans Ribier, t. 1er, p. 627, la lettre de François Ier au Sr de Saintail, son ambassadeur en Allemagne, du 17 mars 1547, où il dit que le duc de Saxe et le laudgrave « le trouveront leur bon, certain et entier amy à leur besoin. »
  374. Papiers d’État de Granvelle, t. III, p. 257.
  375. Commentaires de Charles-Quint, p. 182.
  376. Mocenigo.
  377. D’Avila, fol. 60 v°. — Mocenigo ne donne à l’électeur que deux mille cinq cents hommes d’infanterie et autant de cavalerie; mais il est évident qu’il se trompe.
  378. Ce fut à cinq heures du soir que Charles reçut cet avis, « et Dieu sait (dit-il dans ses Commentaires, p. 183) combien il se repentit de s’être arrêté ce jour-là, parce qu’il lui senblait que le lendemain il serait trop tard pour atteindre les ennemis. Mais Dieu y pourvut par sa bonté. »
       Plus loin (p. 184), il dit encore : « Afin de balancer et de réparer la raiite qu’il croyait avoir commise en ne se mettant pas en route ce jour-là, il voulait partir, sans hésiter, à l’heure même avec toute son armée, laissant en arrière les hommes inutiles et les bagages ; mais en cela il trouva des contradicteurs, et voyant que leur opinion était raisonnable, il résolut de remettre le départ au matin. »
  379. Commentaires, p. 185.
  380. Lettre de Charles à la reine Marie, du 25 avril. D’après la relation insérée dans les Papiers d’Etat de Granvelle, les enseignes saxonnes n’étaient qu’au nombre de sept.
  381. Ils étaient dix, suivant D’Avila, six d’après la lettre de Charles à Marie du 25 avril, et trois seulement d’après la relation insérée aux Papiers d’Etat de Granvelle. Dans ses Commentaires, Charles dit : quelques arquebusiers espagnols.
  382. Suivant D’Avila, cet homme s’offrit à guider les impériaux, pour se venger des gens de guerre du duc, son souverain, qui la veille lui avaient pris deux chevaux.
  383. Cette action de l’empereur, dit Mocenigo, fut réputée de tout le monde un acte de grand courage (fù riputato da tutti gran coraggio quello di Cesare); plusieurs de ses gentilshommes avouaient qu’ils avaient eu une très-grande peur dans le passage de l’Elbe, et que, si l’empereur ne leur avait donné l’exemple, jamais ils n’auraient osé s’exposer à tant de péril (Ho parlato io con alcuni cavalieri di Cesare, li quali largamente confessavano haver havuto in quel passare grandissima paura, et che se la Maestà Sua non si havesse li propria posto a sguazzare, loro mai non havriano havuto ardimento di commettérsi a tanto pericolo).
       D’après D’Avila, dans l’endroit ou passa la cavalerie impériale, la rivière avait trois cents pas de largeur ; le fond était bon, mais la profondeur était telle que les cavaliers avaient de l’eau jusqu’au-dessus des genoux; il y avait même des endroits où les chevaux durent nager. Ces dernières circonstances sont rapportées aussi par Mocenigo.
  384. Dans la relation insérée aux Papiers d’Etat de Granvelle, il est dit que « deux mille arquebusiers » passèrent en croupe. Mais Charles-Quint, dans sa lettre du 25 avril à la reine Marie, ne parle que de « cinq cents. »
  385. Ce fut, d’après Mocenigo, Hippolito da Porto, vicentin, capitaine de cinquante chevau-légers, qui prit l’électeur et le conduisit au duc d’Albe. L’empereur, en récompense de cet exploit, le fit chevalier et lui donna 200 écus de pension sur l’État de Milan.
  386. C’est ce que rapporte. Mocenigo. D’Avila s’exprime ainsi : « On dit que, quand l’empereur arriva au gué, le duc entendait le sermon selon la coutume des luthériens ; mais je pense qu’après avoir su notre venue, le temps qu’il consuma à écouter encore son prêcheur ne dut pas être long. » (Comentario, fol. 63.)
  387. Relation de la bataille de Mühlberg, dans les Papiers d’État de Granvelle, t. III, p. 262. — Lettre de Charles-Quint à la reine Marie, du 25 avril 1547, dans Lanz, t. II, p. 561. — Commentaires de Charles-Quint, pp. 183-195. — D’Avila, fol. 60-67. — Mocenigo.
  388. Charles, attribuant à Dieu sa victoire, répéta les trois paroles de César, en changeant la dernière : Vine y ví y Dios venció : « Je suis venu, j’ai vu, Dieu a vaincu. » (D’Avila, fol. 69.)
       Ce que rapporte D’Avila est confirmé par l’ambassadeur Mocenigo.
  389. « La quale vittoria vogliono molti che sia stata maggiore et più importante assai che quella quando Cesare hebbe priggione Francesco re di Franza….. » (Mocenigo)
  390. C’est ce qui fait dire au secrétaire Bave, écrivant à la reine Marie le 23 avril : « Lorsqu’il fut mené à Sa Majesté, parla d’une aussi grande arrogance qu’il feit oncques….. » (Alex. Henne, t. VIII, p. 307)
       D’Avila rend hommage à la constance que Jean-Frédéric montra dans son malheur. (Comentario, fol. 71.)
  391. D’Avila, fol. 69 v°.
  392. Voy. la lettre de Bave ci-desus citée. — L’évêque d’Arras, écrivant le même jour à la reine Marie, lui disait aussi : « A ce que je puis appercevoir, S..M. à voulonté de tost faire trancher la teste à Jehan-Frédéric de Saxe. » (Arch. imper. à Vienne.)
  393. Ces considérations sont déduites dans une lettre de l’évêque d’Arras à la reine Marie, du 20 mai, qui est en original aux Archives impériales, à Vienne.
  394. Le secrétaire Bave écrivait à la reine Marie le 21 mai : « Il y a eu de la payne beaucoup avant que venir en ces termes : car le personnage qui n’est amy des Mendis (le confesseur) a fait tout ce qu’en luy a esté pour l’empescher et faire mourir le prisonnier, et en avoit gagné deux à sa part : mais messieurs le duc d’Albe et d’Arras y sont esté contraires, y ayant fait très-bon office. » (Arch. impér. À Vienne.)
       Sleidan, de Thou, Robertson, Sismondi et d’autreshistoriens parlent d’une sentence de mort qui aurait été rendue contre l’électeur de Saxe; Robertson et Sismondi font rendre cette sentence par une cour martiale ou un conseil de guerre composé d’officiers espagnols et italiens « et que présidait l’impitoyable duc d’Albe, instrument toujours prêt à servir pour un acte de violence. » Nous ne savons pas sur quel témoignage ces historiens se sont fondés pour avancer ce fait. On vient de voir que l’impitoyable duc d’Albe contribua, au contraire, à ce que la vie fût conservée à Jean-Frédéric, et dans les correspondances des ministres de Charles-Quint avec la reine Marie qui sont aux archives de Vienne, il n’y a pas un mot qui se rapporte, soit à une sentence qui aurait été rendue contre ce prince, soit à un tribunal qui aurait été réuni pour le juger.
  395. Journal de Vandenesse.
  396. Journal de Vandenesse.
  397. Le duc de Clèves était venu trouver Charles-Quint à Egra, le 6 avril. Les ambassadeurs de Danemark l’avaient précédé à la cour impériale. (Journal de Vandenesse.)
  398. Dans sa lettre du 20 mai citée plus haut, l’évêque d’Arras disait à la reine : « Pour estre la tractation telle que V. M. verra et touchant à tant de gens, elle peut croire que je n’en ay eu peu de payne; et enfin le prisonnier (Jean-Frédéric), homme autant cault que je n’ay guères veu, assisté il’un sien chancellier, aussi prisonnier, est condescendu aux articles qui vont avec cestes..... »
  399. Archives impériales, à Vienne.
  400. Le fils aîné de l’électeur, qui avait été blessé à la bataille de Mühlberg, s’était sauvé à Gotha.
  401. Journal de Vandenesse.
  402. Journal de Vandenesse. — D’Avila, fol. 72 v°. — Sleidan, t. II. p. 418.
  403. Journal de Vaudenesse.
  404. Lettre de Charles à Ferdinand du 1er juin 1547, dans Lanz, t. II, p. 572. — Relation de ce qui s’est passé au sujet de la prinse du landgrave de Hesse, Lanz, t. II, p. 589.
       L’évêque d’Arras écrivait à la reine Marie, le 20 mai, du camp devant Wittenherg : « S M. est délibérée..... passer outre contre le landgrave, en cas qu’il ce viengne en appointement, comme il se démonstre fort désirer et en fait grande instance le duc Mauris..... » (Arch. impér. à Vienne.)
  405. Journal de Vandenesse.
  406. Journal de Vandenesse.
  407. SIeidan, t. II. p. 420.
  408. Dans la Relation de ce qui s’est passé, etc., (p. 592), on lit que les deux électeurs eux-mêmes « firent dresser » cet écrit, et qu’il fut « accepté par l’empereur, sans y adjouter ny diminuer une syllabe. »
       Si cela est vrai, comme il y a lieu de le croire, — surtout en présence des pièces que donne Bucholtz (Geschichte der Regierung Ferdinand des Ersten, t. IX, pp. 423 et 426), c’est-à-dire des articles d’accommodement que Maurice et Joachim proposèrent à l’empereur le 2 juin, et de la lettre écrite par Charles au roi Ferdinand le 12 — la conduite de ces princes parait encore plus inexplicable.
       On a accusé le cardinal de Granvelle, sans que jamais on en ait administré la preuve, d’avoir, dans l’écrit que signa l’empereur, substitué au mot einige (aucune) celui de ewige (perpétuelle). Mais comment une aussi audacieuse et aussi indigne supercherie aurait-elle échappé aux deux princes, lorsque cet écrit leur fut délivré?
  409. Sleidan. t. II, p. 420.
  410. Dumont, Corps diplomatique, t. IV, part. II, p. 336.
       Ces actes sont datés du 4 juin.
  411. Lettre écrite à Còme de Médicis, le 20 juin 1547, par Bartolomeo Concino, son chargé d’affaires à la cour impériale. (Arch. de Florence.) — Sleidan, t. II, p. 424 — Robertson, t. II, p. 266.
  412. « .... Avia muchos señores alemanes y cavalleros que venian à ver lo que ellos nunca creyeron..... » (D’Avila, fol. 76)
  413. Lettre de l’évêque d’Arras à la reine Marie, du 20 juin 1547, dans Lanz, t. II, p. 585.
  414. Le vice-chancelier de Naves était mort au mois de février précédent. L’empereur l’avait remplacé par Georges-Sigismond Seldt.
  415. Archives impériales à Vienne.
  416. L’envoyé de Côme de Médicis rapporte en quelques mots l’allocution du vice-chancelier de l’empire, et il ajoute : Alle quali parole havendo reso lantgravio quelle gratie che si convenivano, etc.
  417. Lettre de l’evêque d’Arras du 20 juin et Relation de ce qui s’est passé, etc., déjà citées. — Lettre de Charles à Ferdinand du 23 juin, dans Bucholz, t. IX, p. 429.
  418. Il déclara, à cette occasion, que plutôt que de faillir à sa parole, il était prêt à rompre le traité fait avec le landgrave, à le mettre en liberté et à reprendre les opérations militaires contre lui, « nonobstant le temps et l’occasion perdue, encoires qu’il luy deust couster ung royaulme. » (Relation de ce qui s’est passé, etc., p. 594.)
  419. L’envoyé de Côme de Médicis à la cour impériale lui écrivait le 22 juin 1547 : « Les électeurs de Brandebourg et de Saxe, ayant reconnu que la faute en est à eux, pour n’avoir pas bien interprêté la concession de la grâce que l’empereur leur fait en dispensant le landgrave d’un emprisonnement perpétuel seulement, se sont apaisés, et, convaincus de leur erreur, ils ont maintenant recours aux prières » (Mauritio et l’elettore Brandeburgh….. fatti chiari che ’l defetto è d’ambi duvi, per non havere interpretato bene la concessione della gratia che Cesare gli fa della perpetua carcere solamente, si sono acquietati….. et conosciuto el loro errore, si son voltati alle preghiere).
  420. Lanz, t. II. pp.586-588, 583-594. — Journal de Vandenesse.
       Les pièces publiées par Bucholtz et par Lanz réduisent à neant le reproche que Robertson fait à Charles-Quint d’avoir trompé les électeurs de Brandebourg et de Saxe sur ses intentions à l’egard du landgrave, et les réflexions de l’historien anglais à propos de cette honteuse perfidie.
       Dans sa relation au sénat de Venise, Mocenigo se fait l’écho du bruit qui était alors très-répandu en Allemagne, et d’après lequel Charles ou ses ministres auraient promis aux deux electeurs qu’il ne retiendrait pas prisonnier le landgrave : « L’empereur, il est vrai, dit-il, affirme que jamais il ne fit telle promesse, mais seulement celle de ne pas réduire le landgrave à une prison perpétuelle; d’où l’on infère que quelques paroles allemandes à double sens, dites dans les pourparlers qui eurent lieu, peuvent avoir prêté à une équivoque. » Mocenigo ajoute : « Ce qui est certain, c’est que jamais l’empereur n’avait voulu auparavant consentir à traiter avec le landgrave, à moins que la personne de ce prince ne fût remise a la discrétion de Sa Majesté. » (È vero che Cesare affirma non haver mai promesso di non retenerio, ma ben di non darli priggion perpetua : onde si pensa che sopra alcune parole tedesche che, dette in questo proposito si potevano interpretare in dui modi, possi in tal cosa esser stato preso equivoco. Questo è vero, che Cesare mai per inanzi volse assentire di far accordo con lui, se non si remetteva la persona sua alla discretione di Sua Maestà).
  421. Voir sa lettre du 14 janvier 1547 à Juan de Figueroa, son ambassadeur à Gênes, dans Karl V de M. Maurenbrecher, p. 83.
  422. Dépêche de l’évêque de Forli à Côme de Médicis du 28 juin 1547.
  423. Relation de Mocenigo. — Sandoval (livre XXIX § XXXV) parle de seize cent mille florins; mais il comprend dans ce chiffre le subside que la diète d’Augsbourg accorda à l’empereur.
  424. Sandoval, liv. XXIX, § XXXI.
  425. Journal de Vandenesse. — Lettre écrite à Côme de Médicis, le 28 juin, par son envoyé à la cour impériale. (Arch. de Florence.)
  426. Lettre de l’évêque d’Arras à la reine Marie du 11 juillet 1547, dans Lanz, t. II, p. 599.
       D’après une dépêche en date du 28 juin de l’évêque de Forli, Bernardo de’ Medici, ambassadeur de Côme de Médicis à la cour impériale, Charles, en congédiant les deux électeurs, se serait du bruit qu’ils avaient fait à propos de la détention du landgrave, disant que cela avait porte atteinte à sa dignité et n’avait pas été à leur honneur, car ils étaient bien assurés qu’il n’avait en rien manqué à sa parole. Maurice et Joachim auraient protesté alors que jamais la pensée ne leur était venue de mettre en doute sa fidélité à remplir ses promesses, et reconnu que tout ce qu’il avait promis au landgrave et à eux il l’avait observé. L’évêque ajoute : « D’après ce qu’on a pu remarquer, ils sont partis satisfaits et contents. » (E per quanto s’é visto, sono partiti satisfati et contenti.) Cette appréciation ne semble guère d’accord avec la conduite ultérieure des deux princes.
  427. Lettre de l’évêque d’Arras du 11 juillet.
  428. L’évêque d’Arras écrivait à la reine Marie le 3 août: « Le landgrave est tant importun touchant sa délivrance que l’on le laisse sans practiquer avec luy; et desjà le roy escript en sa recommandation. Mais, sur ce que dextrement l’on luy a fait remonstrer combien il importe, vovre à Sa Majesté mesme plus que à nul autre, d’être assuré de la personne dudict landgrave, il s’est excusé de l’avoir fait par importunité des électeurs de Brandebourg et duc Mauris, se remettant au bon plaisir de Sa Majesté. » (Arch. impér. à Vienne)
       La lettre du roi Ferdinand dont parle l’évêque d’Arras est dans Bucholtz, t. IX, p. 433.
  429. Lettre de l’évêque de Forli à Côme de Médicis ci-dessus citée.
  430. Monsignor Gerone Bertano.
  431. Lettre de Charles à D. Diego Hurtado de Mendoza du 11 février 1547, dans M. Maurenbrecher, p. 86.
  432. Édouard VI. Henri VIII était mort dans la nuit du 28 au 29 janvier 1547.
  433. Il avait dit, quelque temps auparavant, au nonce résidant à sa cour que non-seulement il ne prendrait par les armes pour le pape contre le roi d’Angleterre, mais qu’il ne les prendrait pas en sa faveur contre le plus méchant homme du monde (que en tomar los armas no solo no las tomariamos para contra este rey por Su Santitad, pero ni contra el mas mal hombre que oy vive). Voir sa lettre du 17 mars 1547 à D. Diego Hurtado de Mendoza, dans Maurenbrecher, p. 99.
  434. Tous ces détails de la conversation de Charles-Quint avec le cardinal Sfondrato nous sont fournis par le comte de Stroppiana, dans une lettre du 5 juillet 1547 au duc de Savoie Charles III. Stroppiana les tenait du prince de Piémont, Emmanuel-Philibert, qui était présent à l’audience que l’empereur donna au légat.
  435. Voir, dans Döllinger, Dokumente zur Geschichte Karl’s V, etc., les lettres de D. Diego Hurtado de Mendoza à l’empereur, des mois de mai et juin 1547.
  436. Sandoval, liv. XXIX, § XXXII. — Le P. Barre, t. VIII, p. 760.
  437. Lettres de Charles à le reine Marie, des 11 et 20 mars 1547. (Arch. impér. à Vienne.)
  438. Lettre de M. de Granvelle à la reine Marie, du 4 août 1547. (Arch. impér. à Vienne.)
  439. Charles n’était pas un malade aisé à guérir. « Toute ma difficulté » — écrivait son médecin, le docteur Baersdorp — « est sa subjection de ses voluntez. Je ne luy puis donner ce que convient sans en user grande industrie, jusques à le mettre qu’il le demande mesmes, et que je face semblant à priser son intention, en moy y accordant. » (Lettre du 14 août 1547 à la reine Marie, aux Archives impériales, à Vienne.)
  440. L’électeur le 18 octobre et le roi le 21. (Journal de Vandenesse.)
  441. Journal de Vandenesse. — « Sommaire de la proposition faite par l’empereur aux estatz de l’Empire assemblez en la cité d’Augspurch, le premier de septembre 1547. » (Archives impériales, à Vienne.)
       Cette proposition était l’ouvrage de Granvelle et de l’évêque d’Arras, son fils. Granvelle écrivait, le 1er septembre, à la reine Marie, « qu’il avait été assez empesché pour la dresser, et tant plus (disait-il) pour les divers advis que l’on a baillé, pour l’importance de l’affaire. Et y en y avoit qui vouloient obliger l’empereur à faire célébrer le concile à Trente et que l’on proposast précisément que tout le différend de la religion y fût remis, avec submission de tous les estatz, et que cependant l’ancienne religion se observast d’oires en avant par toute ceste Germanie. Mais S. M. l’a mieulx entendu, et je suppose que ceulx qui se veuillent démonstrer par parolles et, par adventure, par faulte de bon jugement et expérience, meilleurs catholiques que les aultres, ne publieront aultre fois pour luthérien et mon filz aussi. Toutesfois, ny pour cela délaisseray-je de dire tousjours plainement ce qu’il me semble pour le service de Sa Majesté, que je tiens estre celuy de Dieu..... » (Arch. impér. à Vienne.)
  442. Le 8, suivant Vandenesse.
  443. Lettre de M. de Granvelle à la reine Marie du 17 octobre 1547. (Arch. impér. à Vienne.)
  444. Lettre de Charles à la reine Marie, du 26 octobre; lettre de G. Veltwyck au président Schore du 1er novembre. (Arch. impér. à Vienne.)
  445. Expressions de M. de Granvelle dans une lettre du 4 novembre à la reine Marie.
  446. Elle en repartit pour les Pays-Bas le 13 mars 1548.
  447. Le landgrave Philippe, après avoir répudié Christine, fille de Georges le Barbu, duc de Saxe, avait épousé, en 1540, Marguerite de Saal, fille d’un pauvre gentilhomme, qu’il entretenait depuis longtemps à titre de concubine. (L’art de vérifier les dates.)
  448. C’est ce que rapporte l’évêque de Forli dans des dépêches adressées à Côme de Médicis le 26 novembre et le 24 décembre 1547.
  449. Le 10 janvier 1547.
  450. Journal de Vandenesse.
  451. Journal de Vandenesse.
  452. Commentaires, etc., p. 203.
  453. Elles ont été données par Sandoval, liv. XXX, § V, et reproduites, avec une traduction française, dans les Papiers d’Etat de Granvelle, t. III, pp. 267-318. Elles sont datées du 18 janvier 1548.
  454. Sandoval, liv. XXIX, § XXXVIII.
  455. Journal de Vandenesse.
  456. Voir les lettres de Charles-Quint à son ambassadeur à Rome, D. Diego Hurtado de Mendoza, des 7 octobre et 10 novembre 1547, dans Maurenbrecher, pp. 121* et 125*.
  457. Journal de Vandenesse.
  458. Lettre du cardinal d’Imola mentionnée dans la note suivante.
  459. Ce fait était resté, croyons-nous, ignoré jusqu’ici; il est consigné dans une dépêche qu’adressa, de Bruxelles, le 15 août 1553, au pape Jules III, le cardinal d’Imola, son légat près Charles-Quint, dépéche que nous avons vue aux archives du Vatican. Voici à quelle occasion le cardinal le rapporte. A la mort de. Maurice, la cour de Rome aurait souhaité que l’empereur transférât l’électorat de Saxe à un prince catholique; le légat entretint de cet objet l’évêque d’Arras (depuis cardinal de Granvelle). Perrenot lui répondit qu’il était impossible de satisfaire au vœu du pape; pour l’en convaincre, il lui exposa ce qui s’élait passé lors de l’investiture de Maurice : Mauritio fece quell’ obligatione che più S. M. desiderava da lui, cioè d’accettave senz’ altra contradictione li decreti del concilio Tridentino; et di questo hanno una obligatione sua solennissima in sevitti et con giramento : per causa della quale obligatione S. M. fece l’instantia che fece del concilio Tridentino, sperandone frutto quando Mauritio havesse osservata la promessa, alla quale se poi contravenne cosi desvergognatamente, S. M. non ne puoté far altro.
  460. Sandoval, lib. XXX, § I. — Le P. Barre, t. VIII, p 791.
       Le bourreau, après l’exécution de Vogelsbergen, cria que la même punition atteindrait tous ceux qui iraient servir le roi de France. L’ambassadeur Marillac se plaignit vivement à l’empereur de ces paroles, et lui demanda de faire donner l’ordre au bourreau de les révoquer en public; Charles lui répondit que le bourreau n’avait pas été chargé ni autorisé de dire ce qu’il avait dit; que, par conséquent, il ne fallait y attacher aucune importance. Le roi de France et ses ministres furent très-irrités de l’exécution de Vogelsbergen (Correspondance de l’ambassadeur Saint-Mauris avec Charles-Quint, dans les manuscrits de Wynants.)
  461. Lettre écrite à Côme de Médicis, le 22 mars 1548, par l’évêque de Forli. (Arch. de Florence.)
  462. Sleidan, de Thou, Robertson et d’autres historiens prétendent que l’archevêque de Mayence répondit à l’empereur sans avoir consulté les états. Vandenesse dit positivement que les électeurs et les princes en communiquèrent au préalable.
  463. Lettre de l’évêque d’Arras à la reine Marie du 17 mai 1548. (Arch. impér. à Vienne.)
       Ferdinand écrivit aussi à la reine, le 20 mai, que l’intérim avait été sur le champ accepté par les états et les villes. (Ibid.)
  464. Il portait pour titre : Déclaration de Sa Majesté Impériale sur la manière dont on se doit conduire par rapport à la religion dans le Saint-Empire jusqu’à la décision du concile général.
  465. Le P. Barre, t. VIII, p. 784. — Schmidt, Histoire des Allemands, t. VII, p. 322.
  466. Robertson, traduction de Suard, t. II, p.282.
  467. De Thou, liv. V. — Le P. Barre, p. 785.
  468. Dépêche de ri : l’évêque de Forli à Côme de Médicis, du 4 juin 1547.
  469. Journal de Vandenesse.
  470. « ..... lo no potrei mai dire come è stala fervente la conversione di questi principi elettori patalino et Brandeburgh, i quali con tanta contritione et lacrime si sono confessati, comunicati publicamente con tutta la lor corte, et intervenuti alli offitii divini che ugniuno ne resta admirato... » (Dépêche de l’évêque de Forli à Côme de Médicis, du 4 avril 1348)
  471. Journal de Vandenesse.
  472. Dépêche de l’évêque de Forli à Côme de Médicis du 22 juin 1548.
  473. Le 8 mai 1548, selon le Journal de Vandenesse.
  474. Le P. Barre, t. VIII, p. 793. — Schmidt, t. VII , p. 326 et suiv. — Dumont, Corps diplomatique, t. IV, part. II, p. 339
  475. C’est ce qui faisait dire à Viglius, écrivant le 3 juillet à la reine Marie : « Certes Sa Majesté ne tint oncques diette pareille à ceste, où tant de choses sont esté videes avec réputation de Sa Majesté et costentement des estatz..... » (Arch. impér. à Vienne.)
  476. Il écrivait à la reine Marie le 12 juin 1548 : « Quant à la compréhention et contribution de mes Pays-Bas avec l’Empire, l’affaire a esté de grand travail et souvent est tombé en rompture et diverses difficultez..... Et n’y a eu affaire en la diète qui ayt baillé plus de peyne que cestuy. » (Arch. impér. à Vienne.)
  477. Lettre de Charles à Marguerite du 31 octobre 1522, citée par M. Henne, t. VIII, p. 320.
  478. Lettres du 28 mars et du 22 avril 1523, citées aussi, par M. Henne, l. c., pp 321 et 322.
  479. Lanz, Staatspapiere, p. 421.
  480. Instruction de Witthem et de Viglius, dans le registre États généraux, 1542-1563, fol. 23, aux Archives du royaume.
  481. Instruction du 21 octobre 1542, Staatspapiere, p. 316.
  482. Ibid.
  483. Staatspapiere, p. 422.
  484. Ibid.
  485. Instr. du 28 août 1547, Staatspapiere, p. 420.
  486. Dans sa lettre du 3 juillet à la reine Marie, citée plus haut, Viglius lui disait : « Nous espérons, Madame, que V. M. trouvera nostre besoignie bonne; et ne sera que bien que V. M. escripvasse à l’empereur quelque mot de contentement, et pareillement à Messieurs de Gravelle et d’Arras, leur merciant qu’ilz y ont tenuz la main, comme certes ilz ont faict le plus qu’il a esté possible.... »
  487. Journal de Vandenesse.
  488. Journal de Vandenesse. — Lettre de l’évêque de Forli à Côme de Médicis, du 4 août 1548.
  489. Journal de Vandenesse.
  490. Journal de Vandenesse.
  491. Lettre du comte de Stroppiana, écrite d’Ulm le 19 août 1548.
  492. Lettre écrite à Henri II, le 19 septembre, par Charles de Marillac, son ambassadeur auprès de l’empereur. (M. 8625 de la Bibliothèque nationale, à Paris, p. 5.)
  493. Lettre du comte de Stroppiana du 15 septembre. — Journal de Vandenesse.
  494. Histoire de Bruxelles, de MM. Henne et Wauters, t. Ier, p. 366.
  495. Lettre de Marillac à Henri II, du 28 septembre 1548. (Manuscrit cité, p. 12.)— « Advis de la court de l’empereur », joint à une lettre de Marillac au connélable du 3 février 1549. (Ibid., p. 144.)
       MM. Henne et Wauters (Histoire de Bruxelles, t. Ier, p. 367), rapportent que l’empereur « fit partir, le 20 septembre, le prince saxon pour Pamele ». Ce fait ne peut pas être exact, Marillac, dans sa lettre du 28 septembre, disant positivement que « le duc de Saxe est encore à Bruxelles ». On peut supposer même qu’il n’avait pas quitté cette capitale à la date du 3 février 1549, d’après la manière dont le même ambassadeur parle delui dans l’ « Advis de la court de l’empereur ».
  496. Manuscrit cité, p. 16.
  497. Lettre de Marillac au roi du 6 novembre (manuscrit cité, p 60). « Il a toujours gardé le lit avec une telle impatience — écrivait Marillac — pour le grant doleur qu’il en sentoit, qu’on ne l’avoit encores veu au passé si affligé et tourmenté. »
  498. Lettre de Marillac au roi du 25 novembre. (Manuscrit cité, p. 82.)
  499. Lettre de Marillac au roi du 6 décembre. (Manuscrit cité.)
  500. Charles-Quint, lorsqu’il écrivait à la reine Marie, l’appelait « Madame ma bonne sœur » ; il disait • Madame ma meilleure sœur » à Elèonore, qui était leur aînée à tous deux.
  501. Il y a, aux Archives impériales, à Vienne, une longue lettre d’Éléonore à la reine Marie sur les désagréments de sa position en France. Elle est datée du 9 mai 1548.
  502. Lettres de Charles à Marie des 12 juin et 13 août 1548. Il lui dit dans celle du 13 août : « Tout considéré, il me semble que, pour tous respects, il importe que nostre sœur se comporte le mieux qu’elle pourra jusques l’on voye quelle conclusion l’on pourra prendre en ses affaires. » (Arch. impér. à Vienne.)
       Marie lui avait écrit le 28 juillet : « Elle est en une si merveilleuse crainte que V. M. la veuille faire demeurer en France, qu’elle en prent un bien fort grant regret et tel quy lui fait bien souvent venir son mal ; et luy semble que sa longue demeure luy fera abrévier ses jours. » (Ibid.)
  503. Lettre de Charles à son ambassadeur, le Sr de Saint-Mauris, du 26 septembre 1548; lettre de Saint-Mauris à l’empereur du 13 octobre. (Manuscrits du comte de Wynants.)
       Saint-Mauris, avant de voir le roi, avait parlé au cardinal de Guise, qui avait trouvé quelque chose de suspect dans la demande de l’empereur.
  504. Lettre de Marie à Charles du 18 novembre. (Arch. impér. à Vienne.) — Éléonore quitta Paris le 16 novembre. Henri II était, le 10, venu de Poissy voir au Louvre la reine sa femme. (Lettres de l’ambassadeur Saint-Mauris des 15 et 16 novembre.)
  505. Instruction au seigneur de la Chaulx, du 24 novembre. (Arch. impér. à Vienne.)
  506. Journal de Vandenesse.
  507. Lettre de Marillac à Henri II du 28 décembre 1548. (Manuscrit cité, p. 112.)
  508. Lettre du même au même, du 9 janvier 1549. (Ibid., p. 115.)
  509. Ibid.
  510. Lettre de Marillac au roi, du 15 janvier 1549. (Manuscrit cité, p 121.)
  511. Lettre de Marillac au roi du 23 janvier 1549. (Manuscrit cité, p. 128.)
  512. Journal de Vandenesse.
  513. Lettre du 3 février 1549. (Manuscrit cité, p. 133.)
  514. Robertson, t. II, p. 285.
  515. Ranke, Histoire de la papauté, trad. de Haiber, t. Ier, p. 285.
  516. Lettres de D. Diego Hurtado de Mendoza à Charles-Quint des 30 mai et 14 juillet 1548, dans la Bibliothèque des princes Corsini, pp. 201 et 203.
  517. De Thou, liv. VI, en fait connaître la substance.
  518. Lettres de Mendoza à Charles-Quint, des 27 août et 7 septembre, dans Döllinger, tome Ier, pp. 155 et 159.
  519. Journal de Vandenesse.
  520. Papiers d’Etat de Granvelle, t. III, p. 383.
  521. Lettre de Marillac à Henri II, du 5 mars 1549. (Manuscrit cité, p. 169.) — Journal de Vandenesse.
  522. Lettres de Marillac au roi, des 21 et 30 mars 1549. (Manuscrit cité, pp. 183 et 188. — Journal de Vandenesse.)
  523. C’est ce qui résulte des détails donnés par les historiens de Bruxelles, MM. Henne et Wauters, t. Ier, p. 368. Tel n’était point le sentiment de L’ambassadeur Marillac : « Pour tout appareil, » — écrit-il le 4 avril au connétable de Montmorency — « il trouva, devant chascune maison des rues où il passa, une torche ardente fichée sur ung posteau, avec quelques ceintures et chappeaux de lierre et autre verdure qui s’entresuivoit de torche en torche. Davantage y avoit quatre ou cinq tabernacles aux lieux principaulx de la ville, faicts en forme d’arseaulx, sur lesquelz se véoyent quelques peintures et devises, comme d’ung aigle qui fouldroyoit le monde, d’une victoire qui tenoit une croix en une main et ung calice en l’aultre, en signification de ce qui a esté restitué en la religion, et quelques aultres semblables figures, sans qu’on y veist aultre tapisserie par les rues, ny à costé ny par-dessus. »(Manuscrit cité p. 202.)
  524. Journal de Vandenesse. — Histoire de Bruxelles. l. c.
  525. De la gravelle et d’une rétention d’urine. Le jour même de sa mort il avait diné en compagnie et fait bonne chère (Lettre de Marillac à Henri II, du 4 avril 1549, dans le manuscrit cité, p. 192.)
  526. Mort à Bruxelles le 24 décembre 1548, et non le 23 septembre, comme dit M. Henne, t. VIII, p. 357. Marillac, dans des dépêches du 28 décembre au roi et au connétable, donne d’intéressants détails sur ses derniers moments.
  527. Schore mourut aussi en décembre 1548.
  528. Le connétable écrivit à Marillac : « Le roy est bien aise de ce que l’on remplace l’ambassadeur qui estoit près de luy, car il ne parle jamais que de querelles particulières, et jamais encores ne l’ay oy dire chose qui servist ni approchast de vouloir maintenir ces princes en amitié. » (Manuscrit cité, p. 151.)
  529. Analectes historiques, t. Ier, p. 261. — Archives des états de Brabant, Rootboeck, fol. 171.
  530. Rootboeck, l.c.
  531. Analectes historiques, t. Ier, pp. 265 et 267.
  532. Journal de Vandenesse. — Alex. Henne, t. VIII, pp. 377-385.
       L’ambassadeur Marillac tenait à ce que sa cour eût une médiocre opinion de la manière dont le prince Philippe était reçu dans les Pays-Bas : il mande au connétable, de Bruges, le 25 juillet 1549 : « Je ne vous escriray rien par le menu de ce qui se fait en ces entrées du prince, d’autant qu’à la vérité il n’y a chose digne d’estre scène. Il n’est question que de torches qui sont fichées par les rues sur des poteaux, ainsi que fut fait à Bruxelles. A Gand il y eust davantage des jeunes filles, jusques à huit cent ou mille, qui tenoient lesdictes torches. En ceste sorte se font lesdictes entrées, sans autre triumphe ou cérémonie. »
       Il lui écrit d’Anvers le 16 septembre : « Le prince d’Espagne fit son entrée à Anvers mercredi, 11 septembre, où la grande pluie qu’il tomba troubla tout l’appareil que les nations et habitants de la ville avoient fait : de sorte qu’il n’y eut chose qui mérite d’être rapportée, si ce n’est les théâtres et arceaux que les nations avoient construits, qui estoient excellens et de grands frais. » (Manuscrit 8626 de la Bibliothèque nationale à Paris, pp. 100 et 145.)
  533. Journal de Vandenesse.
  534. Lettre de Marillac à Henri II, du 22 septembre 1549. (Manuscrit 8626, p. 148.)
  535. Lettres de Marillac au roi, des 29 septembre et 6 octobre (Manuscrit cité, pp. 151 et 158)
  536. Alex. Henne, t. VIII, p 385.
  537. Placards de Brabant, t. IV, p. 429. — Afin d’entourer cet important statut de plus de solennité encore, Charles en réclama la confirmation de son frère Ferdinand comme roi des Romains. Ferdinand la donna par des lettres datées du 14 décembre 1550, à Augsbourg, lesquelles sont insérées aussi aux Placards de Brabant, t. IV, p. 431.
  538. Archives du royaume : registre des propositions faites aux états généraux de 1535 à 1563, fol. 274.
  539. Paul III était mort le 10 novembre.
  540. Ses sentiments à cet égard sont exprimés dans une lettre qu’il écrivit à Simon Renard, son ambassadeur en France, le 15 février 1550. (Manuscrits de Wynants.)
  541. Correspondance de l’ambassadeur Renard avec l’empereur. (Ibid)
  542. Lettre de Simon Renard à l’empereur, du 21 février 1550. (Manuscrits de Wynants.)
  543. Lettre du même du 28 mars.
  544. Journal de Vandenesse.
  545. Lettre de Charles à Ferdinand, du 16 mars 1550, dans Lanz, t. III, p. 1.
  546. Journal de Vandenesse.
  547. Lettre citée du 16 mars.
  548. Ordonnance du 29 avril 1550. (Archives du royaume, reg. n° 57 de la chambre des comptes, fol. 55 v°.)
  549. Placards de Brabant, t. Ier, p. 41.
  550. Ordonnance du 22 mai 1550. (Archives du royaume, reg. Ordonnances et placards, 1545-1550, fol. 180.)
  551. Nous en avons un témoignage dans la relation faite au sénat de Venise, en 1557, par Frederico Badoero, qui avait résidé plusieurs années aux Pays-Bas comme ambassadeur de la république auprès de Charles Quint et de Philippe II : « Les Belges, dit ce diplomate, s’habillent beaucoup plus richement qu’aucun autre peuple de delà les monts : Vestono di gran lunga più riccamente di qualsivoglia popolo oltramontano. » (Relations des ambassadeurs vénitiens sur Charles-Quint et Philippe II, p. 81)
  552. Ordonnance du 30 mai 1550 (Reg. Ordonnances et placards, 1545-1550 fol. 174.) Les dispositions contenues dans cette ordonnance avaient fait déjà la matière d’un édit du 17 juillet 1549; mais celui-ci n’avait été publié qu’en Brabant, en Flandre et en Zélande : l’ordonnance de 1550 le fut dans toutes les autres provinces.
       Dès le 2 juin 1547, la reine Marie écrivait à l’empereur qu’il arrivait journellement à Anvers un grand nombre de nouveaux chrétiens, venant de Portugal, lesquels petit à petit se retiraient en divers quartiers.
       Elle lui mandait le 17 juillet suivant : « Quant aux nouveaulx crestiens qui viennent journellement de Portugal en Anvers, ilz passent continuellement dudict Anvers en France, el dèz là, comme l’on dit, vers Ferrare, sans que l’on sçait riens alléguer contre eulx, en tant qu’ilz se disent bons crestiens et sçaivent généralement respondre de la foy crestienne, combien que la présomption soit grande qu’ilz ne se retirent dudict Portugal en si grant nombre sans estre grandement suspectz..... Ceulx d’Anvers se sont doluz du grant nombre qui y arrive; et quant je leur ay demandé advis pour y pourveoir, ilz désiroient qu’on leur eust accordé certain lieu vague où ilz ont ragrandy la ville, pour illec édifier et pour y demeurer, en portant une marque, comme font les juifz en Allemagne : ce que je ne trouvay raisonnable, car, s’ilz sont juifz. Vostre Majesté ne les vouldroit tollérer en voz pays, mesmes les avoit fait retirer de Gheldres, et s’ilz estoient crestiens, on leur feroit tort faire porter marque, Monseigneur, il y a grande présomption contre ceulx qui sont vrais juifz, que petit à petit se retirent vers la Salonnicque, ores que on ne les sçait convaincre; et pour y parvenir, ne vois aultre remède que entièrement leur deffendre la hantise de voz pays. Mais, en ce faisant, est à craindre que la négociation de voz pays diminuera, en tant que aulcuns d’eux font grant train de marchandise. V. M. me pourra commander son bon plaisir..... » (Arch. impér, à Vienne.)
  553. Journal de Vandenesse.
  554. Lettre de l’évêque d’Arras à la reine Marie, du .. juillet 1550. (Arch. impér. à Vienne.)
  555. « ..... Si dimostrò si allegre nella faccia, che pareva venir più presto trionfante che priggione, el tanto più quanto che tutti i Tedeschi di questa città lo salutavano con riverentia... » (Lettre écrite, les 10 et 11 juillet 1550, au doge de Venise par les ambassadeurs Domenico Morosini et Frédérico Radoer : Biblioth. impér. à Vienne, manuscrit Brera, I, 132, fol. 6 v°.)
  556. Ibid.
  557. Voir la lettre de Charles au prince Philippe, du 8 juillet 1548, dans Maurenbrecher, p. 64*.
  558. Dans une dépêche du 27 juillet 1550, les ambassadeurs vénitiens Morosini et Badoer rapporttent que l’intérim n’est observé dans presque aucune des villes où les opinions des luthériens prévalent ; qu’à Augsbourg même, les jours de fête, on prêche selon les doctrines de Luther, et dans trois églises seulement à la catholique. (Registre cité, fol. 12 v°.)
       S’il en était ainsi à Augsbourg, où Charles-Quint se trouvait avec sa cour, que devait-il en être dans les autres villes ?
  559. Lettre du duc d’Albe à Granvelle, du.. avril 1548. (Arch. du royaume.)
  560. Lettre de Ferdinand à la reine Marie, du 15 juillet 1550, dans Bucholtz, Geschichte der Regierung Ferdinand des Ersten, t. IX, p. 731.
  561. « Le roy a très-bien prins la responce du prince, et volontairement. s’est accordé de différer la chose : dont l’empereur ha heu bien grant contentement. Et je tiens que ce soit le meilleur pour tous respectz.. (Lettre de Granvelle à la reine Marie du 7 mai 1548, aux Archives du royaume.)
  562. Ces propos se tenaient à la cour de France, ainsi que nous le voyons dans une lettre de l’ambassadeur Saint-Mauris à Charles-Quint du 29 juillet 1548. (Manuscrits de Wynants.)
  563. Lettre datée de Prague le 29 mars 1549 dans Bucholtz, t. IX, p. 726.
  564. Cette réponse est dans Bucholtz, p. 728. Sa date, qu’il ne donne pas, est du 18 avril 1549.
  565. Lettre écrite de Prague le 1er mai 1549. (Arch. imp. à Vienne)
  566. Lettre du 13 juillet 1549. (Arch. impér. à Vienne.)
  567. Lettre de Ferdinand à Marie du 27 août 1549 (Arch. impér. à Vienne.)
  568. Lettre du 29 mars 1550, dans Bucholtz, p. 730.
  569. Le 1er mai 1550.
  570. Bucholtz, t. IX, p. 495. »
  571. Lettre du 1er mai 1550, écrite de Vienne. (Arch. impér. à Vienne.)
  572. Granvelle écrivait, le 22 juillet, à la reine Marie : « Nos deux maistres, et le père et le filz, sont fort ardens en ceste négociation, et la mènent toutesfois doulcement pour ce commencement; mais Sa Majesté Impériale m’a dit que, si le roy n’y marche de bon pied pour seconder son désir, qu’il parlera à luy de sorte qu’il luy fera clèrement et naifvement entendre la faulte qu’il feroit en cecy.. » (Arch. imp. à Vienne.)
  573. Lettre de l’évêque d’Arras à la reine Marie, du 8 juillet 1550. (Arch. impér. à Vienne.)
  574. Lettre de l’évêque d’Arras à la reine Marie du 22 juillet 1550. (Arch. imp. à Vienne.)
       L’évêque disait à la reine que l’attitude du roi étonnait l’empereur; il ajoutait : « Et semble que ce soit un tout autre homme que du passé. »
  575. Autre lettre de l’évêque du 22 juillet. (Arch. impér à Vienne).
  576. Lettre citée à la note précédente.
  577. Lettres des 22, 28 juillet et 16 août 1550, aux Archives impériales, à Vienne.
  578. Il écrivait à la reine le 19 juillet : «Je espère que l’on passera sans tratier : que, à mon advis, seroit le milleur pour beaucoup de respeciz; et, entre les aultres, n’est le moindre, que tiens que sera impossible de obtenir; et à le proposer, pourroit, en beaucop de lieulx et de beaucop de sortes, engendrer aigreurs et deffidances, que de ma part ne vérois volontiers; et tiens que, sy l’on le propose, que troverés que vous ay escript vérité, et qu’il eust esté mieux que on ne le eust jamais proposé. »
       Dans une autre lettre, datée du 13 août, il lui répétait qu’il n’y avait apparence que le projet conçu à Bruxelles pût se réaliser : « Et en le praticant, — ajoutait-il — s’ensuiveroit la haine de nos personnes et maisons, et à la fin ne obtiendrions riens... » (Arch. impér. à Vienne.)
  579. Dépêche des ambassadeurs Morosini et Badoer du 8 juillet 1550. (Registre cité, fol. 4 v°.)
  580. Manuscrits de Wynants.
  581. Lettre de Marillac à Henri II du 29 juillet 1550. (Bibl. nat. à Paris, ms. Saint-Germain 89, fol. 21 v°.)
  582. Journal de Vandenesse.
  583. Le 1er août.
  584. Journal de Vandenesse.
  585. Elles sont dans les Papiers d’Etat de Granvelle, t. III, p. 423.
  586. Dépêche des ambassadeurs Morosini et Badoer, du 13 août 1550 (Registre cité, fol. 21.)
  587. Le P. Barre, t. VIII, p. 818.
  588. Dépêche des ambassadeurs Morosini et Badoer du 21 août 1550. (Reg. cité, fol. 23 v°.) — Journal de Vandenesse.
  589. « Ogn’ uno qui si meraviglia che l’elettor Mauritio habbi havuto animo di contravenir al desiderio di Sua Maestá Cesarea, mostrandosi molto inclinato a lei ; et discorrendosi sopra la causa, non si sa trovar altro, salvo che con questo mezzo s’habbi voluto acquistar li animi di populi lutherani, et massime di quelli di Sassonia suoi sudditi, chi non li sono troppo affitionati, anzi l’odiano… ». (Dépêche citée à la note précédente.)
  590. Il répondit au nonce Pighino, qui lui en parlait, que cela n’importait pas, et qu’il espérait que l’électeur reviendrait là-dessus. (Dépêche de Morosini et Badoer du 16 septembre, dans le registre cité, fol. 32 v°.)
  591. Papiers d’Etat de Granvelle, t. III, p. 576.
  592. Lettre de l’évêque d’Arras à la reine Marie, du 31 août. (Arch. du royaume.)
  593. L’ambassadeur Marillac écrivait au connétable de Montmorency, le 15 juillet, que M. de Granvelle était en termes d’aller bientôt voir ce que l’on faisait en l’autre monde : qu’il avait le visage fort amaigri, la parole affaiblie, l’haleine accourcie ; qu’il était devenu gros et enflé par le ventre et les jambes, etc. (Bibl. nat. à Paris, manuscrit cité, fol. 8.)
  594. Dans la Notice préliminaire des Papiers d’Etat de Granvelle (p. iv), la mort de Nicolas Perrenot est indiquée au 28 août. L’évêque d’Arras, son fils, dans la lettre du 31 à la reine Marie que nous citons plus haut, dit positivement qu’il est mort le 27, entre six et sept heures du soir. Les ambassadeurs vénitiens Morosini et Badoer, écrivant le même jour, 27, au doge, lui disent : Serivendo questo, hora monsignor illustrissimo di Granvella ha messo fine alli maneggi et negotii, havendo resa l’anima à Dio. (Reg. cité, fol. 26.)
       D’après l’auteur de la même Notice, Granvelle avait soixante-quatre ans, étant né en 1486. L’âge que nous lui assignons est celui que donnait à son père l’évêque d’Arras, parlant aux ambassadeurs Morosini et Badoer. Ces diplomates mandent au doge, le 7 juillet, que M. de Granvelle haveva due indispositioni, la prima naturate della vechiezza, rhe già era su li 66 anni, l’altra innaturate, ch' era uiia indispositione del fegato; et ces renseignements, ils les tenaient de l’évêque même. (Reg. cité, fol. 2)
       Marillac, dans sa lettre du 15 juillet au connétable, donnait à Granvelle soixante-huit ans.
       Citons encore, de la Notice préliminaire, pour en signaler l’invraisemblance, ces paroles que Charles-Quint aurait écrites au prince Philippe, à la nouvelle de la mort de son premier ministre : « Mon fils, nous avons perdu, vous et moi, un bon lit de repos. » Philippe étant dans ce moment-là auprès de l’empereur, il serait assez singulier, on en conviendra, que son père, pour lui exprimer ses sentiments, eût employé la voie épistolaire.
  595. «... Ha nome di intender meglio le cose di Stato che huouio che hoggidi viva... » (Relation d’Alvise Mocenigo.)
  596. «... Viene questo signore principalmente laudato perchè in ogni occasione sia richissimo di partiti, et che in qualcunque cosa difficile ne proponga sempre tre o quatro. » (Relation de Mocenigo.)
  597. Nous aimons à en citer ici un exemple. Il écrivait, d’Ulm, le 6 février 1547, à la reine Marie : « Les choses de ce coustel sont en assez bons termes à cause de l’accord de Wirtemberg et réduction de ces villes, pourveu qu’on les traite doucement : en quoy j’ai faict tout ce que j’ay peu et dit tout ce qu’il m’a semblé convenir, et mesmes que les fault attirer à l’amitié de Sa Majesté et qu’elles prègnent confidence d’elle avec crainte révérenciale, et non point contraincte, et signamment pour ce qui concerne l’affaire de la religion, etc. » (Arch. impér, à Vienne.)
  598. «... Questo signore è prudentissimo, destro, piacevole et affabile molto... » (Relation de Mocenigo.)
  599. «... Tra l’imperatore et il signor di Granvela è una conformità di procedere tanto grande che rare volte, anzi rarissime, sono discrepanti tra loro d’opinione e conclusioni... » (Relazione di Marino Cavalli, dans les Relazioni degli ambasciatori veneti, sér. I, t. II, p. 210.)
  600. C’est ce que rapporte Mocenigo. Cavalli, qui lui succéda comme ambassadeur de Venise à la cour impériale, dit la même chose : seulement, d’après lui, c’était dans la soirée que Granvelle envoyait le papier où était consigné son avis sur ce que l’empereur avait à faire le lendemain. (Relazione, p. 210.)
       On conserve, aux Archives du royaume, un certain nombre de ces papiers.
  601. È fama che in questi accordi di Germania habbi guadagnato un pozzo d’oro. (Relat. de Mocenigo.)
  602. Il laissa dix enfants vivants, et non onze comme on le dit dans la Notice préliminaire. (Lettre de l’évêque d’Arras à la reine Marie du 30 août, citée plus haut.)
  603. Papiers d’Etat de Granvelle, t. III, p. 448.
  604. Lettre de Marillac au connétable du 2 septembre, dans Ribier, t. II, p. 283. — Dépêche de Morosini et Badoir, du 5 septembre. (Reg. cité, fol. 27 v°.)
  605. « Il reverendissimo d’Aras è stato lungamente con Sua Maestà, la quale le disse molte parole afetuose, ... et disse che Sua Maestà haveva fatto più perdita di lui, perché essa haveva perso un amico tale che non ne troveria un altro, ma che se lui haveva perso il padre, che Sua Maestà li restava... » (Dépêche de Morosini et Badoer citée à la note précédente.)
  606. Lettre de la reine à l’empereur du 16 août 1550. (Arch. impér. à Vienne.)
  607. C’est ce qui résulte d’une lettre de l’évêque d’Arras à la reine Marie, en date du 9 decembre 1550, dont l’original est aux Archives du royaume.
  608. Les états de Bohème avaient accepté pour roi l’archiduc Maximilien au mois de février 1549.
  609. Dans cette ordonnance, le terme d’inquisiteurs était supprimé partout et remplacé par celui de juges ecclésiastiques; l’article qui défendait de loger ou recevoir en sa maison des personnes suspectes d’hérésie était maintenu, mais avec la restriction suivante : « sans toutefois par ce deffendre aux hostelliers ou aultres de logier ceulx qui viennent en nos pays d’embas pour négocier, marchander ou faire leurs besoingnes ou affaires, moyennant que tels estrangiers ne contreviennent à nostre présente ordonnance et se conduisent sans schandale; » à la disposition qui exigeait un certificat du curé il était ajouté : « quant aux marchans estrangiers et autres qui vouldroient venir en nosdits Pays-Bas, nous n’entendons les assubgectir d’apporter et exhiber ladicte certification, moyennant qu’ils y vivent selon nosdictes ordonnances et se conduisent sans schandale, comme dessus. » (Archives du royaume : Reg. aux ordonnances de 1545 à 1550, fol. 215.)
  610. Dépêche de Morosini et Badoer du 30 septembre. (Reg. cité, fol. 42.) — Journal de Vandenesse.
  611. Dépéche de Badoer et Morosini du 22 juiilet 1550. (Reg. cité, fol. 11.)
  612. Dépêche de Badoer et Morosini du 30 septembre. (Reg. cité, fol. 42.) — Lettre de Granvelle à la reine Marie du 13 octobre. (Arch. du royaume.) — Lettre de Marillac à Henri II du 21 octobre. (Ms. cité, fol. 117 v°.) — Dans sa lettre du 13 octobre, Granvelle écrit à la reine que, pour habituer le prince à parler le français, l’empereur, en sa présence, a ordonné aux Belges et aux Bourguignons attachés à la cour d’user toujours avec lui de cette langue.
  613. Lettre de Badoer et Morosini du 24 octobre. (Reg. cité, fol. 57) — Journal de Vandenesse.
  614. Réponse aux états du 12 novembre.
  615. Écrit de l’empereur du 2 septembre.
  616. Écrit des états du 17 octobre.
  617. Dépêches de Morosini et Badoer des 30 octobre et 11 novembre. (Reg. cité, fol. 58 et 62.)
  618. Le Journal de Vandenesse donne une traduction française des différents écrits de la diète et des réponses de l’empereur sur cette question.
  619. « ... Il quale ha corso la notte a lume di torze... » (Dépêche de Morosini et Badoer du 10 décembre 1550 : Reg. cité, fol. 80 v°.)
  620. Dans plusieurs de leurs dépêches, les ambassadeurs de Venise parlent de l’affection que portait à Maximilien la nation allemande. Ils écrivent le '22 décembre : « Non solamente ogni signor thedesco ha sentito piacer et contento che Sua Altezza sia arrivata, ma ciascun'altra persona et tutta questa natione mostra di haverle grande affettione, di modo che non trovano in S. A. ciasa che le dispoccia. » (Reg. cité, fol. 84 v°.)
       Marillac mandait à Henri II, le 16 septembre, que le roi de Bohême était aimé en Allemagne de tout le pays comme prince gentil et de grande expectation, tandis que le prince d’Espagne était haï de tout le monde et des siens mêmes, les Espagnols exceptés. (Ms. cité, fol. 86 v°.)
  621. « Ben potete rallegrarvi, che io ne sento piacere, e tutta la Germania, la qual mai tolerarà che l’Imperio sia in altro principe que di Germania; ne credo ch’I re Massimiliano nè il re assentisea ch’I principe di Spagna sia coadjutore del Imperio; et se il re de’ Romani in questo s’accordasse con Cesare, sarà pericolo che Sua Regia Maestà non perda la reputatione et benevolentia della natione thedesca, ne haverà piu aiuti da lei... : concludendo in fine que la Germania mai staria quieta sotto il governo del principe, ma sempre faria motti... » (Dépêche de Morosini et Badoer du 30 nov. 1550 : Reg. cité, fol. 75.)
  622. « ... Che al presente non haveano bisogno di coadjutore, perchè haveano et un Cesare et un re di Romani; et questo era nuova forma non usitata dapoi che l’elettione era nelli principi di Germania. » (épècêhe des mêmes du 11 nov. : Reg. cité, fol. 62.)
  623. L’évêque d’Arras lui-même en convient dans une lettre qu’il écrit à la reine Marie le 16 décembre : « Monseigneur nostre prince — lui mande-t-il faict ce qu’il peult pour s’accoincter fort familièrement du roy de Bohême, tant aux champs, à la chasse, que à la ville. Mais, soit oires qu’il se trouve court de propos, ou qu’il aye aultre respect, il le fuyt tout ce qu’il peut, et mon dict seigneur s’en est plaint, et le sent Sa Majesté, encore qu’elle ne le démonstre, estant très-bien advertye des diligences qu’en ce faict monseigneur nostre prince et de ce que ledict roy s’en dislongne. » (Arch. imp. à Vienne.)
  624. Lanz, t. III, p. 18 et 19.
  625. Lettre de l’évêque d’Arras à la reine Marie, du 28 nov. 1550. (Arch. du royaume.)
  626. Lettre de l’évêque d’Arras à la reine du 11 nov. (Arch. du royaume.)
  627. Lettres de l’évêque d’Arras des 11 et 28 novembre, ci-dessus citées. — Lettre de Ferdinand à Charles du 14 décembre, dans Lanz, t. III, p. 11. — Lettre de Charles à Marie du 16 décembre, ibid., p. 15.
  628. Lettre de Ferdinand du 14 décembre, ci-dessus citée.
  629. Lettre du 16 décembre, ci-dessus citée.
  630. Lettre du 16 décembre ci-dessus citée.
  631. «... Dopo l’ultime mie di xiii, si fù per rompere ogni pratica, havendo la regina preso licentia dal re de’Romani, con dirgli sopra mano che non voleva mai più travagliarsene, poichè, mal consigliato, prestava men fede a lei, che gli era sorella et mossa dallo stabilimento di casa loro, che alli suoi ministri ignoranti et interessati, i quali, per farlo, come egli sono, lutherano, non si curavano della rovina sua et di suoi regni... » (Lettre écrite à Côme de Médicis, le 19 janvier 1551, par l’évêque de Forli, aux Archives de Florence.)
  632. Lettre citée à la note précédente.
  633. Toutes ces raisons sont déduites dans une lettre de Ferdinand à Marie dont une copie existe aux Archives du royaume, Collect. de documents historiques, t. VIII, fol. 121.
  634. « Noi stiamo tutti intenti per veder di haver lume di questo maneggio; ma le cose passano tra le Loro Maestà sole, di modo che non vi è personnagio alcuno, in questa corte, che non confessa di non saperne nulla di questo negotio con fondemento. » (Reg. cité, fol. 95.)
  635. « Nel negotio de la coadjutoria ogni maneggio passa cosi secrettamente che non è persona che ne possi haver notitia di alcuna cosa, perché nelli ragionamenti non intraviene senon le Loro Maestà et la serenissima regina, le quali di questo si dice que non ragionano con alcuno, salvo che con monsignor reverendissimo d’Arras. Fin hora due volte queste tre Maestà sono state insieme loro sole più di quatro bore per volta. » (Ibid, fol. 163 v°.)
  636. Ms. cité, fol. 197.
  637. Le 16 décembre.
  638. Il l’avait faite dans les premiers jours de janvier.
  639. Dépêche de Morosini et Badoer du 8 janvier 1551. (Reg. cité, fol. 93)
  640. C’était celle du riche banquier Antoine Fugger.
  641. « Le recès est très-beau et honnorable pour S. M., » écrivit Granvelle, le 21 février, à l’ambassadeur impérial en France.(Papiers d’Etat de Granvelle, t. III, p. 486.)
  642. Dépêche de Morosini et Badoer du 15 février 1551. (Reg. cité, fol. 113 v°.) — Lettre de Marillac à Henri II du 17 février 1551. (Ms. cité, fol. 222 v°.) — Journal de Vandenesse.
  643. Lettres écrites, le 3 mars 1551, à Henri II et au connétable de Montmorency, par l’ambassadeur Marillac. (Manuscrit cité, fol. 242 et 245.)
  644. Lettre de Marillac à Henri II du 24 février 1551. (Manuscrit cité, fol. 224.) — Dépêches de Morosini et Badoer des 19 et 24 février. (Reg. cité, fol. 114 et 115 v°.) — Lettre de l’évêque de Forli à Côme de Médicis du 26 février. (Archives de Florence.)
  645. L’ambassadeur Marillac ne manque pas de se réjouir du desappointement de l’empereur : il écrit au connétable le 3 mars : « La moquerie fut grande d’avoir déjà préparé en public le lieu où se devoit faire l’investiture, pour estre contraint ensuite d’y renoncer. » (Manuscrit cité, fol. 245.)
  646. Les lettres d’investiture de l’empereur du 7 mars furent confirmées et approuvées, le 4 avril, par Ferdinand, tanquam Romanorum rex.
  647. « ... Vero è che l’illustrissimi elettori dicono apertamente, di modoch’ é venuto : all’ orecchie delle loro Maestà, che loro non hanno facultà né de eleggir coadjutore né altro re di Romani, perché la loro podestà é di eleggir l’imperator quando vacca l’imperio, overò in absentia del imperator, ove sia il bisogno, eleggir re di Romani : delli quali dui niuno horn ocorrendo, se si vorà fare coadjutore o novo re di Romani, dicono che è bisogno riddure tutti li principi et stati del Imperio, et da quelli sia deliberato quello ch’ è utile et benefitio della Germania. Et a questo modo par’ loro di potersi scaricare et liberare dalle dimande che li fosse per fare S. M. I., lequal’, quando questo negotio venisse a trattarsi con tutto l’Imperio, sono certi che non lo obteniria, perchè sono molti principi che, più tosto che eleggir il principe di Spagna, dicono che si accorderano con el Turco... » (Dépêche de Morosini et Badoer du 15 février 1551 : Reg cité, fol. 113 v°.)
  648. Dans une lettre qu’il écrivit à l’empereur le 17 août 1553, et que Lanz a donnée t. III, p. 580, il explique ainsi le refus qu’il fit d’abord de souscrire à ce que lui demandait son frère, et l’adhésion qu’il y donna ensuite; « Certes Dieu sçait, et V. M. peult estre mémorative, que je ne le feiz pour autre intencion synon, comme à ceste heure-là je le dis et donnay en partie par escrypt à V. M., que je véoye que les inconvéniens qui se sont ensuyviz s’ensuyvroient, comme V. M. l’a veu et apperceu. Mais à la fin, voyant vostre intencion et volenté, comme obéissant frère et serviteur, vous obéiz et le feiz comme astheure-là fut capitulé et juré... »
  649. Cette convention est en français dans Maurenbrecher, p. 136*, et en espagnol dans Döllinger, t. I, p. 169.
  650. En français dans Lanz, Staatspapiere, p. 483, et en espagnol dans Döllinger, p. 173.
  651. En français dans Maurenbrecher, p. 140*.
  652. En français dans Maurenbrecher, p. 142*, et en espagnol dans Döllinger, t. I, p. 175.
  653. Il est dans Lanz, Staatspapiere, p. 482.
  654. Une première rédaction de cet écrit, laquelle fut beaucoup modifiée, porte en tête : « Le sommaire de ce qu’il semble que le roy de Bohesme poroist dire et promestre à Sa Majesté et au prince, écrit, de la main de la royne d’Hongrie, à l’évesque d’Arras. » On lit en marge : N. B. Il fault que ledict roy de Bohesme réponde de cecy comme de son fond et selon ce le dresse. (Arch. du royaume : Collection de documents historiques, t. VIII, fol. 137.)
  655. Dépêche de Morosini et Badoer du 11 mars 1551 (Reg. cité, fol. 125.) — Journal de Vandenesse.
  656. Journal de Vandenesse.
  657. Lettres de Marillac à Henri II des 28 août, 30 septembre, 28 octobre, 4, 11 novembre 1550 et 27 janvier 1551. (Ms. cité, fol. 67 v°, 101, 120, 129, 132,208.)
    Dans un avis du 24 février 1551 (fol. 231), cet ambassadeur s’exprimait ainsi : « L’empereur, depuis le moys de juillet qu’il est arrivé en Auguste, a eu si peu de santé qu’il ne s’est guères monstré hors de son logis, et depuis la Toussaint n’a guères bougé de sa chambre, s’estant seulement laissé voir en une salle joignant à icelle les festes de Saint-André, de Noël et des Roys, et aussy quand il bailla le recez de la diette. »
  658. Lettre de Marillac du 11 novembre citée en la note précédente.
  659. « Ce grand homme, qui savait commander à ses passions, ne savait pas contenir ses appétits ; il était maître de son âme dans les diverses extrémités de la fortune, il ne l’était pas de son estomac à table. » (Charles-Quint, son abdication, etc., par M. Mignet, p. 54.)
  660. « …S..M. si ha messo in una regola di vita, la qual se osserverà si crede che si mantenerà sana.Fugge la diversità di cibi et vivande, et per quanto dicono quelli che la servono, non se li porta in tavola più di sei piatti, et si astiene di tutti quei cibi, si come di manzo et porco, che soleva mangiar molto volentieri… » (Dépêche de Morosini et Badoer du 30 décembre 1550 : Reg. cité, fol. 88 v°.)
  661. Dans une lettre du 17 novembre 1550, Granvelle, après avoir annoncé à la reine Marie qu’en ce moment-là l’empereur se portait très-bien, ajoutait : « Mais je suis en peine deveoir que souvent il excède, tenant moings de soing de la conservation de sa santé qu’il ne conviendroit. » (Arch. impér. à Vienne.)
  662. De Thou, liv. VIII.
  663. Lettre de Granvelle à la reine Marie du 21 avril 1551. (Arch. impér. à Vienne.) — Lettre du même à la même du 18 mai. (Arch. du royaume.)
  664. Lettre de Granvelle à.Simon Renard, ambassadeur en France, du 14 septembre 1551, dans les Papiers d’Etat de Granvelle, t. III, p. 452, où on lui donne, par erreur, la date de 1550.
  665. Sismondi, t. XII, pp. 193 et 197.
  666. Sismondi, t. XII, p. 197.
  667. Lettre de Granvelle à la reine Marie du 8 juillet 1551. (Archives du royaume.)
  668. Sismondi, t. XII, p. 199.
  669. Lettre de Granvelle du 8 juillet ci-dessus citée.
  670. Lettre de Granvelle à la reine Marie du 20 juin 1551. (Arch. impér. à Vienne.)
  671. Lettres de la reine Marie à Charles-Quint des 10 et 16 juillet, 21 et 27 août. (Arch. impér. à Vienne.)
       Elle disait dans sa Iettre du 10 juillet : « Il me semble que ce roy de France délaisse à suyvre son père au bien qu’il avoit, mais prend le chemin qu’il faisoit du mal qui estoit en luy, qui excédoit le bien. »
  672. Lettre de Granvelle à la reine Marie du 10 septembre 1551. (Archives du royaume.) — Sismondi, t. XII, p 199.
  673. Lettre de Marie à Charles, du 1er septembre 1551. (Arch. impér. à Vienne.)
  674. Lettre de Granvelle à Simon Renard, du 14 septembre 1551, déja citée.
  675. Papiers d’Etat de Granvelle, t. III, p. 588.
  676. Lettre du 24 septembre. (Arch. impér. à Vienne.)
  677. Lettre de Granvelle à la reine Marie du 4 septembre 1551. (Archives du royaume.)
       Dans une autre lettre à la reine, en date du 10, où il rappelle celle expulsion des prédicants, il dit : « Ce fut du consentement du magistrat, voyre et à la sollicitation des principaux d icelluy et avec leur assurance. Vray est qu’ilz ne veullent estre alléguez, et disoient que c’estoit le seul moyen pour gaigner du tout ceste ville à la dévotion de S. M. (Archives du royaume.)
  678. Lettre du 10 septembre mentionnée à la note précédente.
  679. Le duc Ulric, son père, était mort le 6 novembre 1550.
  680. On peut voir, dans Lanz, Staatspapiere, p. 477, l’instruction secrète pour le conseiller Geinger, qui devait aller vers les électeurs de Saxe et de Brandebourg, mais qui, étant tombé malade, fut remplacé par le comte de Schlick.
  681. Lettres de Granvelle à la reine Marie des 4 et 29 septembre 1551. (Archives du royaume.)
  682. Lettre de Veltwyck à l’empereur du .. juillet 1551. (Arch. impér. à Vienne.)
  683. Sébastien de Heusenstam.
  684. Adolphe de Schauenbourg.
  685. Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 25 août 1551. (Archives du royaume.)
  686. Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 29 septembre 1551. (Archives du royaume).
  687. Jean d’Isembourg.
  688. Lettre de Granvelle du 25 août, ci-dessus citée.
  689. Lettre de la reine Marie à l’empereur, du 10 décembre 1551. (Arch. impér. à Vienne.)
  690. Dans sa lettre du 10 décembre, la reine disait à l’empereur : « Il est assez à voir qu’ils se sont résoluz par ensemble à parler d’une bouche. » Déjà elle lui avait écrit, le 20 octobre, « qu’il pouvait être assuré qu’ils s’étaient avertis l’un l’autre de ce qui s’était passé. »
  691. Charles ne se le dissimulait pas. Comme le prince Philippe insistait pour que les négociations relatives à son élection à l’empire fussent continuées, il écrivit à la reine Marie le 22 février 1552 : « L’estat présent de la Germanie démonstre évidentement combien nous sommes loing d’y pouvoir pour le présent prétendre, voyre et me doubte que l’avoir mys en avant aura aydé les malveillans en la direction de leurs malheureuses practiques. »
       Dans une lettre du 6 mars, Granvelle est plus explicite encore : « Nous sommes — dit-il à la reine — bien loin de prétendre à l’élection, laquelle et ce qu’en dirent les gens de monseigneur nostre prince à Augsbourg, venant d’Espaigne, et depuis à la diette, et ce que l’on a voulu embracer en Italie, et autres choses touchées en l’instruction de monsieur de Rye, sont cause de tous ces troubles. » (Arch. imp. à Vienne.)
  692. C’est ce qui résulte de sa correspondance et de celle de Granvelle avec la reine Marie pendant les mois de mai, juin et juillet. Encore au mois d’août il était dans cette intention, comme le fait voir sa lettre au roi Ferdinand, du 15 de ce mois, publiée par Lanz, t. III, p. 68.
  693. Elles sont déduites au long dans une lettre écrite par lui à la reine Marie le 18 septembre 1551, (Archives du royaume.)
  694. Son avis, qui forme douze pages de son écriture, est aux Archives du royaume.
  695. Lettre du 24 septembre 1551. (Archives du royaume.)
  696. Il adressa, le 4 octobre, à la reine, pour justifier sa résolution, une lettre de seize pages, écrite de la main de Gravelle, laquelle il concluait ainsi :
       « J’auray à Inspruck les troys électeurs ecclésiastiques prochains, pour conférer avec eulx ce que sera de besoing, et ne suis si loing de ceulx de Saxe et Brandembourg qu’à Speir ; et si suis près du roy (des Romains) pour, s’il estoit besoing, faire quelque assemblée ; et passant par ledict Inspruck le roy de Bohême, mon filz, je le pourray veoir et de plus en plus procurer de Iny oster toute umbre et gaigner confidence, qu’importe ce que vous sçavez, et parler à ma fille plus franchement, pour en ce nous servir de son moyen, et luy faire plainement entendre combien il luy convient. Touchant le concile, je pourray là estre à ce respect plus à propos et pour l’entretenir ;… et y viendront plus voulentiers les protestants, qui s’assheurent plus de la sheurté que je leur ay donné que du concile mesme......... Dadvantaige, je seray aussi là en la Germanie et avec plus grande sheurté, sans frais, près des Suisses et Grisons, pour les tenir en soing ; et si donne faveur au restablissement de la religion du pays de Swabe, en laquelle on gagne tous les jours avec la chaleur de ma présence… »
       La reine lui avait représenté qu’Inspruck ne convenait pas à sa santé autant que Worms et Spire ; que les neiges y duraient tout l’été. A cela il répond :
       « Quant à ma santé, l’aer dudict Ispruch, comme vous sçavez, est de soy sain : vray est que le froyd et les bruymes me sont contraires pour ma poictrine. Mais, puisque nostre frère m’accorde tout le lougis, j’auray moyen de choisir le meilleur quartier ; et il y a tousjours bon moyen avec ce pour remédier contre la froydure, puisque aussi, en temps d’yver, j’ay peu de moyen de sortir, où que je soye. » (Archives du royaume.)
       Il avait dit à la reine dans sa lettre du 18 septembre : « Où que je soye, puisqu’il est apparent que mes indispositions ne me faudront, aultant me vault-il crier en ung lieu comme en ung aultre. »
  697. Au mois de mars 1551, il dit à Viglius, que l’empereur avait chargé de l’interroger sur ceux avec lesquels il avait comploté son évasion, que, se voyant menacé d’une prison perpétuelle, « le cœur lui avait fait si mal qu’il avait désiré d’être hors de ce monde et mettre la main à soi-même. » (Lanz, t. III, p. 65.)
  698. Alex. Henne, Histoire du règne de Charles-Quint en Belgique, t. IX, p. 127 et suiv.
  699. Les ambassadeurs du roi de Danemark, du duc de Wurtemberg et du marquis Jean de Brandebourg lui avaient, à part et en vertu d’ordres exprès de leurs maîtres, déclaré que ceux-ci faisaient cet office seulement pour satisfaire les deux électeurs de Saxe et de Brandebourg ainsi que les enfants du landgrave, mais non pour peser sur ses déterminations. (Lettre de Charles à la reine Marie du 18 novembre 1551, aux Archives du royaume.)
  700. De Thou, liv VIII. — Le P. Barre. t. VIII, p. 842.
       Ces deux historiens rapportent que, dans l’audience donnée par Charles aux ambassadeurs, on lut des lettres du roi des Romains et des ducs de Bavière et de Lunebourg en faveur du landgrave. Si ces princes écrivirent en effet à l’empereur, on peut bien affirmer qu’il ne fut pas fait publiquement lecture de leurs lettres.
  701. Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 29 septembre 1550. (Arch. impér. à Vienne.)
  702. « Continuellement il escript à S. M. fort courtoisement », mandait Granvelle à la reine Marie le 14 juin 1551. (Arch. impér. à Vienne.)
  703. Lettres de la reine Marie à Granvelle, des 15 mai et 4 juin 1551. (Ibid.)
  704. Lettre de Charles au roi Ferdinand du 21 juin 1551, dans Maurenbrecher, p. 147*.
  705. Lettre du 14 août. (Manuscrits de Wynants.)
  706. Lettres de Granvelle à la reine Marie, des 4, 10 et 11 septembre 1551. (Archives du royaume.)
  707. Robertson, t. II, p. 333. — Sismondi, t. XII, p. 206. — Kolrausch, Histoire d’Allemagne, p. 274.
  708. « Quant au duc Mauritz, ... pour dire la vérité, je ne m’assheure trop de sa voulenté... Ce qui me donne plus d’espoir qu’il n’osera mouvoir tant à la descouverte contre S. M., est que pour conduyte c’est fort peu de chose, et est crainctiff pour faire grande emprinse, ny est argenteux pour pourter grands fraiz, et est si mal voulsu en Saxe, et craindra que l’on ne délivre le duc Jo. Frédéric, lequel, tout destruict qu’il est, pourroit, avec son crédit en ce quartier-là, ayséement déchasser ledict duc... »(Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 14 juin 1551, aux Archives du royaume.)
       Le 9 décembre précédent, Granvelle écrivait à la reine : « La crainte qu’ils ont de la délivrance du duc de Saxe est incrédible. » (Ibid.)
  709. Dumont, Corps diplomatique, t. IV, part. III, p. 31.
  710. Lettre de Charles-Quint à la reine Marie du 18 novembre 1551. (Archives du royaume.)
  711. « Une chose ay-je senty, que Carlowitz, conseillier du duc Maurice, aye escript à l’évesque d’Arras qu’il seroit besoing envoyer à son maistre saulf-conduyt afin qu’il veuille venir. Sur quoy je fais pourveoir el répondre comm’il convient, ne sçachant qu’il aye contre moy commis chose pour quoy il ave besoing de saulf-conduyt.... » (Lettre de Charles du 18 novembre.)
       A considérer les actions de Charles-Quint à cette époque de sa vie, il semblerait que le déclin des forces physiques eût produit en lui l’affaiblissement des facultés morales. Non-seulement il se laissait abuser par Maurice de Saxe, mais encore lui, qui naguère était si actif, si résolu, qui s’occupait avec tant d’ardeur des affaires publiques, il hésitait lorsqu’il aurait fallu prendre un parti; il se montrait presque insouciant de ce qui aurait dû le plus exciter sa sollicitude. Nous avons là-dessus un témoignage décisif; Granvelle écrivait, le 17 novembre 1551, à la reine Marie, en lui demandant le secret : « Je treuve S. M. I. plus tardive qu’il ne conviendroit. El me semble que le fondement est de désespérer qu’il y aye moyen, quel quy soit, pour furnir aux fraiz; craincte, à ceste cause, de desréputation avec ce nouveau roy (Henri II); le resentement qu’il a du peu de discipline qu’il y a entre les gens de guerre, et que en tout il désespère de remyde, reboutant quant l’on luy mect en avant qu’il fault regarder comme l’on pourra remédier à tout au moings mal et pourveoir à ce que convient.... V. M. peult penser et assez entendre en quelle peine je m’en doibs trouver souvent : toutesfois faiz-je ce que je puis pour procurer partout remyde et correspondre où il convient et préadvertir des offices qui me semblent nécessaires; mais tout cela ne peult souffire, si le maistre même ne s’esvertue.. Quant l’on luy parle d’entretenir les Anglois, Véniciens, princes d’Allemagne et aultres et gaigner la voulenté des gens, il me semble qu’il en tient si peu de compte, tenant tous en si peu d’estime, que je ne m’ay peu tenir de luy dire il y a cinq jours, — à l’occasion de tant qui sollicitoient audience et que, estant, grâces à Dieu, bien disposé et allant à la chasse, il ne les vouloit ouyr, disant qu’il sçavoit ce qu’ilz vouloient dire et qu’ilz ne faisoient tous rien pour luy, — que je luy supplioye considérer que nous avions peu d’amys el beaucop de malveillans, et que nous debvrions procurer le contraire, et que telz donnoient peu d’ayde et prouffit que, s’ilz estoient désespérez, se joignants avec aultres qui sont ennemys, pourroient faire du mal assez, et que puisque l’on faisoit peu pour eulx, du moings convenoit-il les entretenir par bonnes paroles... » (Arch. impér. à Vienne.)
  712. Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 13 décembre 1551. (Archives du royaume.)
  713. Lettres de Marie à Granvelle des 10 et 23 décembre. (Arch. impér. à Vienne.)
  714. Lettre de Granvelle à la reine Marie du 30 décembre 1551. (Archives du royaume.)
  715. Lettre de Granvelle à la reine Marie du 10 janvier 1552. (Archives du royaume.) — Lettre du même à la même du 17 janvier. (Arch. impér. à Vienne.) — Lettre du seigneur de Glajon (Philippe de Stavele) à la reine, écrite d’Inspruck, le 31 janvier 1552 (Archives du royaume : Lettres des seigneurs, t. IX, fol. 178.)
       Granvelle disait dans sa lettre du 17 : « Vostre Majesté verra avec quelle soubmission le duc Mauritz escript à S. M. I. et l’assheurance qu’il donne qu’il soit délibéré venir ici et de séparer les gens de guerre.... »
  716. «... Ledict duc ne donnant cause pour laquelle nous nous puissions attacher ù luy ni aux gens de guerre, je ne voys à quoi S. M. I. se pourroit attacher à l’encontre de luy ni d’eulx. » (Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 22 janvier 1552, aux Arch. impér. à Vienne.)
  717. Il écrivait à la reine Marie le 28 janvier : « je me treuve de tous constelz en tel estat que si, par pure bélistrerie, les Allemans me voulissent assaillir, je ne sçauroye que faire, synon jecter le manche après la congnie... »(Archives du royaume.)
  718. « ..... Si bien les voulentez de ceulx qui vouldroient mouvoir sont mauvaises, ilz ont peu de moyen pour les exécuter et ne trouveront la suyte que cy-devant..... Le principal du tout est l’ambition et cerveaul irréquiet du duc Mauritz, voire et, si je l’osoye dire, folie, puisqu’il ne pense jusques au bout le danger auquel il se mectroit, et qu’il n’en pourroit resortir sinon avec confusion et son entière ruyne, et la nécessité du marquis Albert, qui se treuve endebté tant que par désespoir il ne serche sinon moyen de gaigner où que ce soit; et à tout ce que je puis entendre, ni l’ung ni l’aultre ont le cerveaul ni le crédit pour conduire ceste négociation..... » (Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 27 janvier 1552, aux Arch. impér. à Vienne.)
  719. Lettre de Granvelle à la reine Marie du 26 janvier 1552. (Ibid.)
  720. « .....Je ne puis délaisser de confesser que je n’ay grand espoir du fruyt que se debvroit actendre du bon espoir dudict concile, pour veoir clèrement que non-seullement les protestans,à leur accoustumé, serchent ce qu’ilz peullent de le traverser, mais que le pape ny ses ministres, ny les mesmes catholiques ecclésiastiques, doubtans la réformation, y démonstrent la voulenté telle qu’ilz debvroient, mais font plustost soubz main ce qu’ilz peullent au contraire. Si est-ce que, s’il pouvoit avoir son progrès, il seroit mieulx, et synon il est plus convenable, pour le service de Dieu et pour ma réputation, si la rompture ou dissolution d’iceluy entrevient, que ce soit plus par leur faulte que par la mienne, afin que, cy-après, quant le temps sera en meilleure disposition pour en pouvoir espérer ledici fruyt, j’en puisse poursuivre la continuation, et afin que l’on ne me puisse imputer, comme aulcuns ont voulsu faire, que je ne désire le bon effect dudict concile, et que la sollicitation que j’en faiz soit seullement pour apparence et pour tenir seullement respect à mes affaires particuliers, et me servir en ce du temps, et non avec considération du bien publicque..... » (Lettre de Charles à la reine Marie du 24 février 1552, aux Archives du royaume.)
  721. Lettre de Charles à la reine Marie du 26 février 1552. (Archives du royaume.)
  722. Lettres du 3 et du 7 février 1552. (Arch. imp. à Vienne.)
  723. Lettre de Marie à Granvelle du 10 décembre 1551. (Arch. impér. à Vienne.)
  724. Lettre du 26 février ci-dessus citée.
  725. Autre lettre de Charles à la reine Marie du 26 février. (Archives du royaume.)
  726. Lettre de Granvelle à la reine Marie du 6 février. (Arch. imp. à Vienne.)
  727. Du 26 février 1552.
  728. Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 6 mars 1552. (Archives du royaume)
  729. Instruction du seigneur de Rye du 3 mars 1552, dans Lanz, t. III. p. 98.
  730. Lettre de Granvelle du 6 mars ci-dessus citée.
  731. C’était à bon droit que la reine Marie lui avait écrit le 5 mars : « Il vous pourroit bien chier couster de n’avoir adjousté foy aux advertances..... »
  732. De Thou, liv. X. — Schmidt, tome VII, pp. 387 et suiv. — Robertson, t. II, pp. 334 et suiv.
  733. « ….. Je ne trouve point ung sou ny homme qui le me veult prester, ni un homme en Allemaigne qui monstre se déclarer pour moy… » (Lettre de Charles à la reine Marie du 21 mars, déjà citée.)
       Granvelle écrivait à la reine, le 1er avril, que l’empereur était désespéré, voyant qu’il ne pouvait se procurer de l’argent. (Arch. imper. à Vienne.)
  734. « ….. Vous m’avez escript qu’il ne falloit se perdre les bras croysés. Et combien que ay esté mieulx beaucoup de la goutte cest yver que les aultres, si les ay-je de sorte aue j’auroys plus de besoing de les porter en escharpe que de les croyser, et aussy les jambes telles que j’auroys plus mestier de potences pour aller loing que de me mectre en grans chemins » (Lettre de Charles à Marie du 21 mars.)
  735. « ….. Fault que je confesse à V. M. que jà souvent j’ai chanté à S. M. I. ceste chanson de lui dire qu’il n’est ici sheurement, … et combien qu’il emporteroit que, comme qu’il fût, il s’approcha des pays d’embas, tant pour sa sheurté que pour dois là enchemiser toutes choses, …. et que icy il est sans gens et sans argent et exposé au danger de facilement recevoir honte….. » (Lettre de Granvelle à la reine Marie du 26 février 1552, aux Archives du royaume.).
  736. Voir sa lettre du 4 avril 1552 au roi Ferdinand dans Bucholtz, t. IX, p. 547, et dans Lanz, t. III, p. 159.
  737. Lettre citée à la note précédente. Charles écrivait à la reine Marie le 15 avril : « Le roy, par réitérées lettres, répète encoires que nullement je ne voyse vers luy, car se seroit le ruiner et ses affaires, sans pouvoir dois là donner ressource aux miens. » (Archives du royaume.)
  738. Lettre du 4 avril, ci-dessus citée.
  739. Ibidem.
  740. Lettre du 4 avril, ci-dessus citée.
  741. La lettre au roi est celle du 4 avril citée ci-dessus. Celle de Charles à la reine n’a pas été publiée; elle est aux Archives du royaume.
  742. Elle est dans Bucholtz, t. IX, p. 544.
  743. Lettre écrite à Côme de Médicis, le 29 mars 1552, par Pier Filippo Pandolfini, son ambassadeur à la cour impériale. (Arch. de Florence.)
  744. Lettre de Charles à la reine Marie du 7 avril 1552. (Archives du royaume.)
  745. « L’havere mancato molte volte di tante promesse fa che non si gli crede a pieno », écrivait l’ambassadeur Pandolfini le 15 avril. (Arch. de Florence.)
  746. Lettre de Charles à la reine Marie du 15 avril 1552. (Archives du royaume.)
  747. Bucholtz, t. IX, p. 541.
  748. Ibid., p. 539.
  749. Lanz, t. III, p. 201. — Schmidt, t. VII, p. 393.
  750. Suivant Schmidt, t. VII, p. 394, Maurice « avait promis de bouche à Walter de Hirnheim, chargé de porter à l’empereur son consentenment à la trève, de ne point sortir de son camp jusqu’à ce temps. » Charles, dans sa lettre du 30 mai, donnée par Lanz, t. III, p. 201, ne parle pas de cette promesse.
  751. Lanz, t. III, p. 203.
  752. Chiusa en italien, l’Ecluse en français. Ce château a été rasé dans les guerres de la révolution française.
  753. De Thou, liv. X. — Robertson, t. II, p. 338.
  754. Lanz, t. III, p. 202.
  755. « ..... Questa mattina, monsigr d’Arras è stato in casa di Gian Federigo di Saxonia a negotiar seco per spatio di tre hore : visita mai piú falta da lui et tanto insolita che dà materia a ugniuno di pensare alla liberatione di costui. » (Lettre de l’ambassadeur Pandolfini du 13 mai 1552.)
  756. Les historiens rapportent que Charles était malade lors de son départ; Sismondi va même jusqu’à dire qu’il était au lit, souffrant cruellement de la goutte, et qu’on dut le transporter dans la litière destinée pour son voyage : la lettre du 30 mai, que nous citons plusieurs fois, fait voir que ce sont là des détails controuvés. Nous lisons iiussi, dans une dépêche que l’ambassadeur Pandolfini adressa de Villach à Côme de Médicis, qu’après s’être séparé de son frère, Charles continua son voyage à cheval (cavalcando).
  757. Lettre de Charles à la reine Marie du 30 mai déjà citée.
  758. De Thou, liv. X. — Robertson, t. II, p. 339. — Schmidt, t. VII, p. 394.
  759. Lettres de Ferdinand à Charles-Quint, des 30 mai et 4 juin, dans Lanz, t. III, pp. 209 et 237.
  760. D’après une dépêche de l’ambassadeur Pandolfini à Côme de Médicis, en date du 23 mai, Maurice aurait écrit au roi des Romains que ce qui était arrivé au château d’Ehrenberg devait être attribué aux troupes royales, lesquelles avaient provoqué les siennes (che quello ch’era seguito alla Chiusa procedeva tutto dalla provocatione ch’ havevano fatto i soldati regii che la guardavano alli suoi). On a de la peine à croire que cet ambassadeur ait été bien informé, car c’eût été, de la part de Maurice, le comble de l’impudence que de prétendre qu’il avait été provoqué. Dans sa lettre du 30 mai, Charles dit seulement que l’électeur, écrivant au roi, « prétendait avoir pu faire ce qu’il avait fait à l'Écluse, sans contrevenir aux trèves, attendu qu’elles commençaient seulement le 26. »
  761. Lettre de Charles à la reine Marie du 30 mai, déjà citée.
  762. Lettres de Ferdinand à Charles, des 30 mai et 1er juin, dans Lanz, t. III, pp. 209 et 217. — Préambule du traité de Passau.
  763. Lettre de Ferdinand à Charles du 3 juin : Lanz, t. III, p. 218.
  764. Lettre de Ferdinand à Charles du 22 juin, dans Lanz, t. III, p. 279.
  765. Ibidem.
  766. Lettres des 22 et 28 juin, dans Lanz, t. III, pp. 286 et 305.
  767. Voir leurs lettres des 15, 19 et 29 juin à l’empereur, dans Lanz, pp. 263, 277, 308.
  768. Lettre de Charles à Ferdinand, du 30 juin 1552, dans Lanz, t. III, p. 318.
       Cette lettre notable avait été dictée et revue par Charles lui-même, comme il le dit à son frère dans le post-scriptum, écrit de sa main.
  769. Lettre de Charles à la reine Marie du 16 juillet 1552. (Arch. du royaume.)
  770. Lettre de Charles à Marie du 16 juillet, déjà citée.
  771. Acte du 10 juillet 1552, dans Lanz, t. III, p. 358.
  772. Lettre de Granvelle au président Saint-Mauris, du 17 juillet. (Arch. impér. à Vienne.)
  773. Lettre du seigneur de Rye et de Seldt à l’empereur des 14 et 15 juillet; lettre de Ferdinand à Charles, du 15 juillet, dans Lanz, t. III, pp. 367 et 370.
  774. Lettre de Ferdinand à Charles, du 18 juillet, dans Lanz, t. III, p. 382.
  775. Dumont, Corps diplomatique, t. IV, part. III, p. 42. — Heiss, Histoire de l’Empire, t. VII, p. 85.
  776. Lettre de Viglius et de Gérard Veltwyck à la reine Marie écrite de Louvain, le 2 septembre. (Arch. du royaume, Lettres des seigneurs, t. VI, fol. 494)
       M. Alex. Henne (Histoire du règne de Charles-Quint en Belgique, t. IX, p. 291 et.suiv.) a raconté avec détail, et d’après les meilleures sources, les incidents qui précédèrent la mise en liberté du landgrave.
  777. Lettre de la reine à l’empereur, du 5 septembre 1552, dans Lanz, t. III, p. 485.
  778. Voir, dans Lanz. t. III, pp. 480 et 483, ses lettres à Ferdinand des 31 août et 1er septembre.
       Le cardinal de Granvelle, dans des lettres écrites, de Rome, à Philippe II le 3 novembre 1568 et, le 23 du même mois, au secrétaire d’Etat pour les affaires d’Allemagne à Madrid, de Pfintzing (Correspondance de Philippe II sur les affaires des Pays-Bas, t. I, p. cxc), assure même que depuis il révoqua sa ratification, mais sans rendre public l’acte qu’il fit expédier à cet effet, le roi Ferdinand lui ayant représenté que, s’il le publiait, ce serait sa ruine entière et celle de ses enfants.
       Il est à remarquer que la correspondance de Charles-Quint avec Ferdinand publiée par Lanz, t. III, ne dit mot de cette révocation, à moins que le passage suivant d’une lettre de Ferdinand du 29 décembre 1553 (p. 602) n’y ait quelque rapport : « Je ne puis celer à V. M. avoir entendu de plusieurs lieux que l’on parle ouvertement, en la cour de V. M., aussi s’en sont fait oyr publicquement aucuns ses ministres envoyez par la Germanie, que Vostredicte Majesté n’entendoit aucunement observer les capitulations de Passau par lesquelles j’aurois obligé V. M. à choses non tolérables, etc.... »
  779. Lettre de la reine Marie au seigneur de Boussu, du 19 août. (Arch. du royaume : Lettres des seigneurs, t. V, fol. 319.)
  780. Lettre de Charles à Ferdinand du 31 août, déjà citée.
  781. Ibidem.
  782. Instruction donnée par Ferdinand au docteur Zazius le 6 août, dans Lanz, t. III, p. 422. — Lettre de Ferdinand à Charles du 7 août, ibid., p. 430. — Lettres de Charles à Ferdinand des 31 août et 1er septembre déjà citées.)
  783. Lettre du 31 juillet, dans Lanz, t. III, p. 399.
  784. Lettre de Ferdinand du 5 août, dans Lanz, t. III, p. 413. — Lettre de l’ambassadeur Pandolfini à Côme de Médicis, du 5 septembre. (Arch. de Florence.)
  785. Rodemacheren le 27 mai, Damvillers le 11 juin., Ivoix le 23, Montmédy le 27.
  786. Dans sa correspondance avec Charles-Quint, Marie se plaint amèrement de la « lâcheté et méchanceté » de ceux à qui elle avait commis la garde de ces places (Lanz, III, 299). Elle ne peut comprendre surtout la reddition d’Ivoix : place si forte, si bien garnie de gens, de provisions et de munitions; où se trouvait en personne le comte de Mansfelt, gouverneur de la province; où il y avait, outre la garnison ordinaire, les bandes de chevaux de Mansfelt, de Berlaymont, de Bertranges, beaucoup de gentilshommes et de gens du pays de Luxembourg et cinq enseignes de piétons. (Lettre du 25 juin, aux Archives impériales à Vienne.)
       Suivant M. Alex. Henne, « l’incurie de l’administration et la pénurie du trésor contribuèrent pour beaucoup aux désastres que la reine rejeta exclusivement sur la lâcheté et la trahison. » (Histoire du règne de Charles-Quint en Belgique, t. IX, p. 219.)
  787. Al. Henne, loc. cit., p. 270.
  788. De Thou, liv. XI.
  789. Al. Henne, t. IX, p. 303.
  790. Al. Henne, t. IX, p. 311.
  791. Lanz, t. III, p. 493.
  792. Sismondi, t. XII, p. 234. — Alex. Henne, t. IX, p. 318
  793. Lettre du 23 octobre 1552. (Arch. du royaume : Lettres des seigneurs, t. VII, fol. 98.)
  794. Lettre du duc à Granvelle, du 15 octobre, dans Lanz, t. III, p. 499.
  795. Dumont, Corps diplomatique, t. IV, part. III, p. 51. — De Thou, liv XI.
       « Dieu sçayt ce que je sens me veoyr en termes de fayre ce que je fays avec le marquis : mais nécessité n’a point de loy... » (Lettre de Charles à la reine Marie du 13 novembre, dans Lanz, t. III, p. 513.)
       Dans les conférences qui se tinrent à Francfort au mois de juin de l’année suivante, Charles-Quint excusa la confirmation des traités d’Albert de Brandebourg avec les deux évêques, alors que, quelques semaines auparavant, il les avait cassés, en faisant dire, par ses ambassadeurs, qu’Albert en avait fait une condition sine qua non, et que si Dieu lui eut donné un plus heureux succès devant Metz, il aurait trouvé d’autres moyens de satisfaire ce prince.
  796. Al. Henne, t. IX, pp. 331-334.
  797. C’est ce que Granvelle lui-même nous apprend dans une lettre du 1er mai 1579 écrite à Alexandre Farnèse à propos du siége de Maestricht (Bulletins de la Commission royale d’histoire, 3e série, t. XI, p. 283.)
  798. Nous ne trouvons aucun document qui puisse nous fixer sur l’étendue des pertes faites par l’armée impériale devant Metz.
       Sandoval (liv. XXXI, § XXVIII) parle de quarante mille hommes morts de maladie : ce chiffre est exagéré à l’excès. Il n’y a guère moins d’exagération dans celui de cent mille hommes auquel cet historien fait monter l’effectif de l’armée avant ses désastres. M. Al. Henne, qui a raconté le siége de Metz avec de grands détails et d’après quantité de documents inédits (Histoire du règne de Charles-Quint en Belgique, t. IX, pp. 311-335 et 368-387) établit parfaitement qu’on n’y comptait pas plus de cinquante à soixante mille hommes, après la jonction des forces du marquis Albert de Brandebourg.
  799. Lettres du comte d’Egmont du 20 janvier, et du docteur Baersdorp, des 22, 23 et 30 janvier, à la reine Marie. (Arch. impér. à Vienne)
  800. Lettres du comte de Stroppiana au duc de Savoie, des 4 et 9 février 1553.
  801. Archives du royaume : reg. Propositions aux états généraux, 1535-1563, fol. 212.
  802. Sismondi, t. XII, p. 217. — Alex. Henne, t. X, pp. 22-46.
  803. « ..... S. M. stà tanta fiaccha che non le basta l’animo d’abbocarsi con persona, nè si contenta d’esser vista in quello stato : ..... che la regina medesina, sorella di S. M., e li suoi ministri tutti, havevano che far’ assai a poterle non solo dire una parole in una settimana, ma nè pure vederla..... » (Dépêche du cardinal d’Imola au pape du 28 mai 1553 : Arch. du Vatican, Nunziatura di Fiandra, vol. Ier, fol. 33.)
  804. « ..... Trovai S. M. in una cameretta....., et la trovai in una sedietta assai bassa con un scabeletto sotto i piedi poco manco alto della sedia ovè sedeva..... » (Dépêche du cardinal au pape, du 10 juin, ibid., fol. 57.)
  805. Dépêche du cardinal de Saint-Georges au cardinal del Monte, du 25 mai, ibid., fol. 242.
  806. « Ancora che facesse professione di christiano et si facesse chiamare christianissimo. » (Dépêche du 10 juin déjà citée.)
  807. « ..... Che stante questo credeva che le fusse meglio starse in guerra, perchè con quella non perdeva niente, et perdendo le haveva da rincrescere manco e portarlo con più patientia che non poteva fare vedendosi assessinato quanto manco lo doveva aspettare..... » (Ibid.)
  808. « ..... Per la memoria che io posso havere conservata del termine nel quale lasciai S. M., mò son dui anni, parmi che vi si possa fare poca differencia, et che se vi è vantaggio, è nello stato presente, nel quale si conosce solamente una certa pallidezza nel viso di S. M., ma però fatta come naturale da molti anni in qui : nel resto ascolta et parla cosi acuratamente et gravemente com’io l’habbia sentita mai..... »
  809. « ..... A mio giuditio s’inganna chi fa fondemente sulla sua morte ancor per un pezzo, se già Dio non havesse disposto altrimente, et Sua Maestà col disordine che dicono che fa spesse volte col troppo mangiare et cose triste, non si desse causa di qualche repentino accidente..... »
       Dans une dépêche du 12 juin le cardinal s’exprime d’une manière plus positive sur l’intempérance de Charles-Quint : « C’est une chose incroyable — dit-il — que les désordres de bouche de S. M., aussi bien par la qualité que par la quantité des mots dont elle use; et l’on ne peut douter que par-là non-seulement elle ne mette sa vie en danger, mais encore elle ne se rende incapable tant d’exécuter quelque entreprise que de la conseiller et de la diriger (Le cose triste que S. M. mangia cosi in qualità come in quantità, è cosa da non credere; et questo come è verissimo, non si ha da dubitare che sempre la terrà non solo in pericolo ma con perpetua inhabilità cosi circa l’opérare come circa il consigliare et commandare.....) »
  810. « ..... Che se pace honesta et stabile si poteva havere, l’imperatore l’accettarebbe, et volentieri; altrimente Vostra Santità et tutto il mondo fusse certo che, prima che far altro che potesse essere indigno, si metterebeno a mangiar terra et vendere quanto hanno, et che se li sudetti loro patiriano, S. M. patirebbe insième con essi, facendoli capacci che ’l diffetto non era suo nè si poteva far altro, et questa consolatione non gli mancarebbe..... (Dépêche du cardinal d’Imola au pape du 10 juin : reg. cité, fol. 63.)
  811. Selon le cardinal d’Imola, ce conseil se composait de la reine Marie, de M. de Praet et de M. d’Arras. (Dépêche du 12 juin : reg. cité, fol. 72.)
  812. Dépêche citée du 12 juin.
  813. Il fit dire au légat, par Granvelle, que c’était assez que ce langage eût été tenu à Rome en la chambre du consistoire : Et circa l’andar con le croci tra li esserciti, che bastava ce fusse stato dello a Roma, nella camera del concistoro. (Dépêche du cardinal d’Imola au pape du 29 août : reg. cité, fol. 198.)
  814. Nunziatura di Fiandra, vol. Ier, fol. 110, 114, 140, 151, 198, 328.
       Le cardinal d’Imola quitta Bruxelles le 8 octobre; le cardinal de Saint-Gcorges prit congé du roi de France, à Villers-Cotterets, le 10.
  815. Sismondi, t. XII, p. 249. — Al. Henne, t. X, pp. 48-53.
  816. Arch. du royaume : reg. Propositions aux états généraux, 1535-1563, fol. 180.
  817. De Thou, liv. XII. — Schmidt, t. VII, pp. 414-424.
  818. Nous en avons la preuve dans une dépêche qu’adressaient à l’empereur, de Zeitz, le 1er août 1553, Charles de Tisnacq et Lazarus de Swendy, auxquels il avait donné une mission en Allemagne : « Sire, » — lui écrivent ces envoyés — « il nous a semblé que ne pouvions et ne debvions omettre de donner advertissement à V. M., par cestes, de l’opinion que chacun a conceue d’icelle, en ce pays et toute Allemaingne, à l’endroit des emprinses du marquis Albert, prengnant un chascun le pied comme si le tout se faisoit de vostre consentement ou adveu, et ce pour ruyner l’Allemaingne et establir pour vous la monarchie........ Et quoy que ayons remonstré pour persuader ung chascun au contraire, soubstenir la vérité et élider (détruire) ladicte sinistre opinion, si trouvons ung chascun tellement embeu d’icelle et la chose tellement enrachinée que ne véons moyen de facilement l’abolir. Et ne leur peult sambler que V. M eust si longuement dissimulé au regard desdictes emprinses du marquis, si elle n’eust advoué ce qui s’est faict par luy....... » (Archives du royaume.)
  819. Voir, dans Lanz, t. III, p. 584, sa lettre du 26 août 1553 à Ferdinand.
  820. De Thou, liv. XII. — Robertson, t. II, p. 367.
  821. Lettre de Charies à Ferdinand du 26 août, déjà citée.
  822. Dépêche du cardinal d'Imola au pape du 15 août (Arch. du Vatican : Nunziatura di Fiandra, Vol. Ier fol. 140.)
  823. « Ce nous ont esté les meilleures nouvelles que eussions dû avoir de ce costel-là » écrivit-il, le 22 juillet, à ses ambassadeurs. (Papiers d'État de Granvelle, t. IV, p. 54.)
  824. Lingard, Histoire d’Angleterre, trad. de Roujoux. t. II, p. 371. — Papiers d'État de Granvelle, t. IV, p. 4.
  825. Dépêche du 22 juillet déjà citée.
  826. Dépêche du 29 juillet (Papiers d’État de Granvelle, t. IV, p. 59.)
  827. Voir Lanz, t. III, p. 599.
  828. Lettre de Granvelle à Simon Renard du 14 août 1553. (Papiers d’État de Granvelle, t. IV, p. 76.)
  829. Mignet, Charles-Quint : son abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste, 2e édit., p. 72.
  830. Lettre écrite de Bruxelles, le 2 septembre, par le secrétaire Bagio au secrétaire Caimani, à Rome. (Arch. du Vatican : Nunziatura di Fiandra, vol. Ier, fol. 210.)
  831. Dans sa lettre le secrétaire Bagio dit que l’Empereur a paru bien faible à ceux qui ne l’avaient pas vu auparavant, mais que sur ceux qui le voient souvent il n’a pas produit cet effet (A chi non l’ha visto prima par so molto fiacco, cosa che non pare a chi lo vede spesso).
  832. Relation officielle insérée dans les Papiers d’État de Granvelle, t. IV, p. 106.
  833. Lettre du 16 août, dans M. Mignet, Charles-Quint, etc., p. 73.
  834. Le 10, le 14 et le 21 octobre
  835. « ..... Elle respondit ..... que les conditions de Son Altèze luy estoient incongneues, et avoit entendu de plusieurs que Son Altèze n’estoit si saige que Vostre Majesté; qu’il estoit bien jeune et n’avoit que vingt-six ans; que s’il vouloit estre voluptueux, ce n’est ce qu’elle désire, pour estre de tel eaige que Vostre Majesté scèt, et qu’elle n’a jamais eu affection ou pensée d’amour (Lettre de Renard à l’empereur, du 12 octobre 1553, aux Archives du royaume.)
  836. « ..... Je dis à ladicte royne ..... que, quant aux conditions de Son Altèze, je ne doubtois qu’elle fût abreuvée de personnaiges trop suspectz et trop inclinez à mal parler et médire, qui par passion parloient plus que par vérité; que ses conditions estoient telles, si louables, si vertueuses, si prudentes et modestes, que c’estoit plustost chose admirable que humaine... » (Ibid.) Dans entrevoie que Renard eut avec la reine le 14, elle le conjura de lui dire, en lui prenant la main, « s’il estoit vrai que Son Altèze fût tel qu’il lui avoit dit dernièrement.» A quoi il réponque « si sa caution estoit suffisante, il l’obligeroit pour le tesmoingnage de ses qualitez, autant vertueuses que de prince qu’il soit en ce monde. » (Lettre de Renard du 15 octobre.)
  837. Lettre de Renard à l’empereur du 12 octobre, déjà citée
  838. « ..... Elle me dit qu’elle n’avoit affection à Cortenai et ne s’estoit résolue en l’ung ni en l’aultre ..... » (Lettre de Renard à l’empereur du 23 octobre, aux Archives du royaume.)
  839. Ces lettres, en date du 10 octobre, sont dans les Papiers d’État de Granvelle, t. IV, p. 125.
  840. Elle lui dit « qu’elle croyait qu’elle s’accorderait au mariage du prince. » Renard écrivit à l’empereur : « Par ce V. M. entendra comme le mariage est si avancé qu’il ne reste sinon l’advis des conseillers, puisque ladicte dame a n donné son mot; et jaçoit qu’elle l’nii limité par croire, si est-ce V. M. entend assez que veut dire cela ..... » (Lettre du 28 octobre, aux Archives du royaume.)
  841. Lingard, M. Mignet, M. Alex. Henne, etc., donnent à cet événement la date du 30 : ils se trompent. Dans sa lettre du 31 à Charles-Quint, Renard s’exprime ainsi : « Dimanche au soir ladicte dame me manda pour venir devers elle : ce que je fis. » Or, le dimanche était le 29, comme on peut s’en assurer en consultant L’Art de vérifier les dates.
  842. Lettre de Renard à l’empereur du 31 octobre 1553. (Archives du royaume.)
  843. « Desguisant le fait comme si jamais elle n’en eût ouy parler, » écrivit Renard à l’empereur.
  844. Lettre de Renard à l’empereur du 8 novembre 1553. (Archives du royaume.)
  845. Archives du royaume.
  846. Lettres écrites à l’empereur par ses ambassadeurs les 7 et 12 janvier 1554. (Archives du royaume.)
  847. Lingard, t. II, p. 390. — Alex. Henne, t. X, p. 74.
  848. Au plus fort de l’insurrection, Marie fit appeler l’ambassadeur Renard et lui dit « qu’elle se tenait pour femme du prince Philippe; que tant qu’elle vivrait, elle n’aurait point d’autre mari; que plutôt elle perdrait sa couronne, son État et sa vie. » (Lettre de Renard à l’empereur du 5 février 1554, aux Archives du royaume.)
  849. (3) Ils s’embarquèrent, avec leur suite, sur des bateaux zélandais et anversois qui étaient à l’ancre dans la Tamise, prêts à mettre à la voile. Le 3 février ils débarquèrent à Flessingue.
  850. Lettre du comte d’Egmont et de Simon Renard à l’empereur, du 8 mars. (Arch. du royaume.) Une lettre autographe de d’Egmont à l’empereur, datée de Falmouth le 6 avril, nous apprend que son voyage fut retardé de plusieurs semaines par les vents contraires. Deux fois il fit voile pour l’Espagne, et deux fois il fut obligé de revenir en Angleterre. (Archives du royaume.)
  851. Voy., dans les Papiers d’État de Granvelle, t. IV, p. 153, la lettre de l’empereur à Simon Renard, du 21 novembre 1553.
  852. La Bibliothèque des princes Corsini à Rome, Bruxelles, 1869, in-8o, pp. 10-22.
  853. Ibid., pp. 22-29.
  854. Bulletins de la Commission royale d’histoire, 2me série, t. V, p. 76.
  855. Arch. du royaume : reg. Propositions aux états généraux, 1535-1563, fol. 220.
  856. Bulletins de la Commission royale d’histoire, l. c.
  857. Reg. Propositions aux états généraux, 1535-1563, fol. 167.
  858. Edit du 19 janvier.(Isambert, Recueil général des lois françaises, t. XIII, p. 301.)
  859. Edit du mois de mai 1553. (Isambert, t. XIII, p. 323.)
  860. Edit du mois de juillet 1553. (Ibid., p. 335.)
  861. (3) Isambert, t. XIII, passim..
  862. Retraite et Mort de Charles-Quint, Introduction, p. 78.
  863. ….. Una casetta non più grande nè più commoda di quello che sia la stanza d’un fratre certosino…. (Dépêche du 24 juin 1553 au cardinal del Monte : Nunziatura di Fiandra, vol. Ier, fol. 96.)
  864. Dépêche citée à la note précédente.
  865. Dépêches de l’archevêque de Conza, Girolamo Muzzarelli, nonce à Bruxelles, au cardinal del Monte, des 5, 15, 19, 27 mai, 1er, 3 et 15 juin. (Arch. du Vatican, Nunziatura di Fiandra, vol. II, fol. 72, 81, 83, 90, 92, 94, 104.)
        L’archevêque écrit, dans celle du 15 mai : « S. M. stà sana et per anco al casino, passando parte del tempo intorno ad uno horologio il qual ha tutti i moti di pianete et quanto si può conoscere nell’ astrologia….. »
  866. Lettre de Charles-Quint au prince Philippe, du 28 juin 1554, dans Retraite et Mort, etc., Introduction, p. 165.
  867. Dépêche de l’archevêque de Conza au cardinal del Monte, du 10 juin. (Nunziatura di Fiandra, vol. II, fol. 101.)
  868. Dépêche du même du 18 juin. (R. cité, f. 109.)
  869. Dépêche du même du 24 juin. (R. cité, f. 111.)
  870. Lettre de Charles-Quint au prince Philippe du 28 juin, déjà citée.
  871. Le commandant de Marienbourg a été accusé par plusieurs historiens d’avoir vendu cette place aux Français. M. Henne, qui croit à la trahison de Philibert de Martigny, avec Pontus Heuterus, rappelle ce que dit celui-ci : « qu’il vit à Paris, en 1560, l’infâme Martigny traînant dans la misère et le mépris des honnêtes gens une honteuse existence, qu’abrégèrent les remords et la faim. »
        Il ne faut pas admettre à la légère les accusations de trahison auxquelles ne sont que trop souvent en butte ceux qui ne réussissent pas à la guerre. Dans la correspondance de ce temps de la reine Marie avec Charles-Quint et Granvelle, je n’ai rien vu d’où l’on puisse inférer que Martigny se serait laissé corrompre. L’archevêque de Conza, annonçant, le 27 juin, au cardinal del Monte la perte de Marienbourg, l’attribue à la làcheté des Wallons qui en formaient la garnison (la villà della guardia de Valloni che vi era, la qual, senza aspettar pur’ un’ arcobugiata, si arrese). Guiehardin, qui était contemporain des événements, s’exprime ainsi : « Marienbourg est... presque inexpugnable, si elle est bien gardée et fournie de ce qui est nécessaire, et pourveu qu’il n’advienne comme advint à ceux qui, l’an 1554, la perdirent ignominieusement par leur lascheté, quoiqu’il y en a qui blâment le gouverneur d’icelle de trahison..... » (Description des Pays-Bas, édit. de 1582, p. 437.)
        Il y a encore une observation qui se présente naturellement à l’esprit : si Martigny avait vendu Marienbourg aux Français, serait-il mort de faim à Paris, comme Pontus Heuterus le rapporte?
  872. Alex. Henne, t. X, p. 113.
  873. On lit, dans une lettre écrite, le 5 juillet, par l’archevêque de Conza au cardinal del Monte, que l’empereur, à cette nouvelle, fut sur le point de se retirer en Hollande, et que déjà des ordres étaient donnés afin qu’on tint prêts des chariots et des mulets pour le voyage (S. M., alla presa di Mariaburg, fù per uscir di qua et andarsi in Olandia, et già erano ordinati carri, muli et simili bagaglie). Ce prélat paraît s’être rendu ici l’écho de bruits mensongers : car l’empereur, en annonçant à son fils, le 28 juin (lettre plusieurs fois citée), la perle de Marienbourg, lui dit qu’il a résolu de faire marcher les troupes dont il peut disposer dans la direction des ennemis, et d’aller le mettre à leur tête.
  874. L’archevêque de Conza écrivait au cardinal del Monte, le 25 juin : « Si lamentano de la negligenza di Sua Maestà », et le 27 : « Tutti li imperiali dannano la negligenza di S. M., et li temeno di peggio se non si sveglia. Dicono che sapeva i preparamenti di Francia et nondimeno non ha fatto le provisioni necessarie. » (Nunziatura di Fiandra, vol. II, fol. 113 et 120.)
  875. L’ambassadeur de Florence à sa cour, Pier Filippo Pandolfini, écrivait à Côme de Médicis, le 4 juillet : « Trovasi l’imperadore in un besogno grande di danari, et la piazza d’Anversa va strettissima..... » (Arch. de Florence.)
        « L’escercito no è a ordine, perché S. M. ha voluto avanzar’ la paga di mezo il mese di maggio, come dicono nell’ antecamara sua.» (Dépêche de l’archevêque de Conza du 25 juin.)
  876. Dans sa dépêche du 4 juillet, Pandolfini, parlant de l’embarras où se trouvait l’empereur, s’exprime ainsi : « Tutti questi disordini sono in buona parte attribuiti alla tarda natura di S. M., ancorchè et ella et i consiglieri suoi ne diano la colpa alla troppa tardanza del principe di Spagna, con dire che havevano fondato ogni loro disegno et pensiero sopra le genti et danari che S. Alta conduce seco..... »
  877. Dépêches de l’archevêque de Conza des 5 et 6 juillet. (Vol. cité, fol. 125 et 129.)
  878. Relation officielle des mouvements de l’armée de l’empereur et de l’armée française, du 8 au 29 juillet. (Analectes historiques, t. III, p. 107.)
  879. Ces ordres donnés aux villes et aux gentilshommes eurent de médiocres résultats. Pour faire marcher à l’armée les milices communales, il aurait fallu les payer, et le trésor était vide; il n’y eut qu’une compagnie d’Anvers et une de Malînes qui prirent part aux opérations militaires. Quant aux gentilshommes, le nombre de ceux qui se présentèrent aux rendez-vous qui leur avaient été assignés fut peu considérable.
  880. « S. M. Cesa parti hieri alle due hore in lettica scoperta con gran sadisfattione di tutto il popolo, il qual era avidissimo di vederla. Seco cavalcò la serenissima regina d’Ongheria, il signor don Ferrando et molt’ altra nobilità. Nel partirsi ha detto che se Francesi l’aspettano al combattere, vuol finir una volta per sempre questa guerra (Dépêche de l’archevêque de Conza du 8 juillet 1554 : vol. cité, fol. 134.)
  881. Dépêche de l’archevêque de Conza du 14 juillet : vol. cité, fol. 136.
  882. Dons une lettre écrite de Jodoigne, le 12 juillet 1554, à l’empereur, la reine Marie en fait un tableau saisissant : « Si d’ung coustel — dit-elle — faict à peser le peu de satisfaction des gens de guerre, qui ne désirent estre chastiés de leurs oultraiges, d’aultre part est de grande importance de laisser les insolences si énormes impugnies, lesquelles sont exécrables et oncques par cy-devant veues en ce pays, quelques grosses armées que l’on y ait menées : de sorte qu’il n’est question de vivre et menger sur le bonhomme, ou de fouraiger le pays, mais de le saccaigner à cincq ou six lieues à la ronde autour de l’armée, sans y laisser ny meubles, ustensilz ny bestial, navrans et oultraigeans tant qu’ilz en treuvent. Et se saulve desjà tout ce qu’est à l’entour d’icy vers Louvain..... » (Arch. du royaume.)
        Le 30 juillet elle écrivait à Granvelle : « Les foules et pilleries que les gens de guerre de S. M. font aux pauvres gens augmentent de jour en jour, de sorte qu’il n’y a gentilshommes, cloistres ni paysans qui n’en souffrent; et devient la cryerie si grande et universelle que je ne sais comment l’on pourra remédier, et moins apaiser les bons subjectz, ayant furni libérallement les aydes et faict; au surplus tout bon debvoir » (Ibid.)
  883. « ..... Tous les officiers se sont eufuyz et, à ce que je voiz, prestz pour quicter le service », écrivait la reine Marie à l’empereur le 15 juillet. (Arch. du royaume.)
  884. Lettre de la reine à l’empereur du 17 juillet (Arch. du royaume.)
  885. « Soldati mici, il correre cosi tumultuosamente verso noi, non è cosa ben fatta, perchè a voi, a vostri capitani et alla nation vostra ne seguita dishonore et acquistate a noi poca riputatione. Mi dispiace che vi sia fatto torto : ma ogni volta che vi occorre qualche cosa, fatemelo dire per il vostro colonelle o capitani, che non vi mancarò mai di giustitia et sarò vostro buon imperatore et buon rè. Quanto al torto che dite esservi stato fatto, usarò diligenza perchè si conosca il caso, et non mancherà castigo a chi havrà errato.... » (Dépêche de l’archevêque de Conza du 15 juillet 1554 : vol. cité, fol. 138.)
  886. Dépêche de l’archevêque de Conza citée à la note précédente.
  887. Il écrivait à la reine le 14 juillet : « L’évesque d’Arras m’a faict lecture des lettres que vous luy avez escriptes de vostre main sur le désordre qui se faict journellement par les gens de nostre camp sur les subjectz, lesquels certes je sens plus que vous ne pouvés penser et austant que vous ny autre qui soit en ce monde. Mais je y vois peu de remide et mesmes tant que l’on sei’a près des ennemys ..... » (Arch. du roy.)
  888. La reine ordonna à Herlaer d’aller tenir prison au château de Rupelmonde : mais, comme elle était convaincue qu’il n’avait fait que son devoir, elle recommanda au châtelain d’avoir pour lui des égards particuliers. (Lettre du 19 juillet, aux Archives du royaume.)
  889. Alex. Henne, t. X, pp. 175-181.
  890. « ..... Voi ve n’andrette alla guerra, et li Spagnuoli verrano alla guardia d’Anversa, et goderranosi le vostre moglie ..... » (Dépêche de l’archevêque de Conza du 14 juillet 1554 : vol. cité, fol. 136.)
  891. Relation des mouvements, etc., p. 109.
  892. Lettre de la reine Marie à l’empereur du 21 juillet. (Arch. du royaume)
  893. Dépêche de l’archevêque de Conza du 22 juillet 1554. (Vol. cité, fol. 144.)
  894. Relation des mouvements, etc., p. 112. — Lettres de Granvelle à la reine Marie.
  895. Théod. Juste, Vie de Marie, reine de Hongrie, p. 112
  896. « ..... Essa serenissima regina ne tien gran colera, et massimamente del giardino, donde non hanno perdonato sin agli alberi donatili del re Francesco suo padre ..... (Dépêche de l’archevêque de Conza du 27 juillet : vol. cité, fol. 150)
  897. M. Théod. Juste, l. c., a publié une de ces lettres. Dans l’autre, qui est conservée en original aux Archives du royaume, Marie s’exprima ainsi : « Quant à ce que m’escripvez dudict Binches, je passe facillement le regret, estant cas de guerre, et vouldroye que je fusse seulle qui deust souffrir, et que tant de gentilshommes et aultres subgectz on fussent esté exemptz. »
  898. Dans une dépêche du 22 juillet, l’archevêque de Conza écrit que, d’après ce qu’on affirme, l’armée royale est forte de 35,000 hommes d’infanterie et de 6,000 à 9,000 chevaux, et que celle de l’empereur ne se compose que de 30,000 gens de pied et 7,000 chevaux. Mais ces indications ne sont rien moins que certaines
  899. Lettre de l’empereur à la reine Marie, du 21 juillet; instruction de l’empereur pour le seigneur de Sonastre, envoyé à la reine, 21 juillet (Archives du royaume). — Relation des mouvements, etc., p. 111.
  900. Instruction donnée par Charles-Quint, le 1er septembre 1554, à Francisco de Erasso. envoyé par lui au roi d’Angleterre, son fils. (Arch. de Simancas, Estado, leg. 7.)
  901. Sandoval, t. II, p. 639.
  902. « S. M. Cesa stà bene; dorme nel campo et cavalca seguitando con ogni diligenza quanto deve..... » (Dépêche de l’archevêque de Conza du 22 juillet : vol. cité; fol. 144.)
  903. Le 25 juillet.
  904. Analectes historiques, t. I, p. 21.
  905. Relation des mouvements, etc., p. 113.
  906. Correspondance de Charles-Quint avec la reine, aux Archives du royaume.
        Dans la lettre du 1er août où Charles invite la reine à se rendre à Bouchain le jour suivant, il lui dit qu’il s’y rendra de son côté « pour disner, à son heure ordinaire, de ce qu’il portera à son accoustumé, pour non se desreigler. »
  907. Archives du royaume : reg. Propositions aux états généraux, 1535-1563, fol. 143.
  908. Alex. Henne, t. X, p. 138
  909. Sismondi, t. XII. p. 267.
  910. Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 13 août.
  911. Alex. Henne, t. X, p. 140.
  912. Cette intention de Charles-Quint, qui ne peut être mise en doute, car elle est attestée par Granvelle écrivant à la reine Marie, répond au reproche, adressé par M. Henne à l’empereur (t. X, p. 142), d’avoir perdu l’occasion d'’une éclatante victoire, et à ce qu’il dit plus loin (p. 144), que « de douloureuses infirmités, de cruels chagrins avaient affaibli sans doute l’énergie du vainqueur de Mühlberg. ».
  913. Tous les détails que nous donnons sur l’affaire de Renty sont tirés d’une lettre que Granvelle écrivit à la reine Marie, le 13 août, et qui est conservée en original aux Archives impériales, à Vienne. Granvelle était présent à cette affaire.
  914. Deuxième lettre de Granvelle à la reine Marie datée du 13 août. Celle-ci est aux Archives du royaume.
  915. Lettre du 15 août. La minute est aux Archives du royaume.
  916. Lettre de la reine Marie à Granvelle, du 4 août. (Arch. du royaume.)
  917. Il écrivait à la reine Marie le 16 août : « Ma disposition est telle que je doibs craindre beaucoup de choses pour doubte que je ne soye rattainct, et pourtant me convient d’excuser d’estre en campagne tout ce que n’est de besoing. » (Archives de royaume.)
  918. Dépêche de l’archevêque de Conza du 30 septembre : vol. cité, fol. 269.
  919. Dépêche du même du 13 octobre : ibid, fol. 218.
  920. « .....Che sapeva senza quella quel regno essere in stato di damnatione..... (Ibid.)
  921. .....Che nel raccogliere questo desiderato fuitto, era necessario avertire di non pigliarlo immaturo ne anchora differirlo tanto che infracidasse.... » (Ibid.)
  922. Nous avons, sur l’audience donnée par l’empereur au légat et au nonce, une lettre de Pole au pape (La Bibliothèque des princes Corsini, pp. 139-143), et une dépêche de l’archevêque de Conza au cardinal del Monte (Nunziatura di Fiandra, vol. II, fol. 218), toutes deux datées du 13 octobre 1554. C’est à la seconde que nous avons emprunté la plupart des détails qu’on vient de lire.
  923. ..... S. M. Cesa fece una essortatione tale per l’unità della Chiesa al signor Pagetto et ad altri che qualsivoglia consumato et vero predicator... (Dépêche de l’archevêque de Conza du 15 novembre : vol. cité, fol. 53.)
  924. Al. Henne, t. X, pp. 154-157.
  925. Les historiens ne sont pas d’accord sur la signification des quatre lettres fert dont est formée cette devise.
  926. Lanz, t. III, p. 577.
  927. Ibid., pp. 588, 607, 631.
  928. Ibid., pp. 588, 607.
  929. Dans un rapport adressé au cardinal Caraffa par l’évêque Dolfino sur le traité de Passau, la diète d’Augsbourg de 1555 et celle de Ratisbonne de 1556, on lit : « Depuis la rébellion du duc Maurice de Saxe contre l’empereur Charles-Quint, Sa Majesté Impériale demeura si mal satisfaite des hommes, des façons d’agir et des trames de la Germanie, qu’elle ne pouvait plus voir d’Allemands ni entendre parler d’affaires de l’Empire » (Dopo la rebellione la qual fece il duca Mauritio, di casa Sassonia, alla Maestà dell’ imperatore Carlo Quinto, restà quella Maestà cosi mal sodisfalla de gl’ huomini, andamenti et trame della Germania, che non poteva più veder’ huomini tedeschi, ne odir negotio alcuno dell’ Imperio). Et Dolfino dit que cela lui fut assuré par le roi Philippe II lorsqu’il prit congé de ce monarque le 1er octobre 1556.
        Le rapport que nous citons est dans le manuscrit CCXXXII de la Bibliothèque Magliabecchiana, à Florence, fol. 316-329.
  930. Lanz, t. III, pp. 622-624.
  931. Lanz, t. III, pp. 622-624. — De Thou, liv. XII.
  932. Lanz. t. III, pp. 662, 668, 675, 678, 680, 683, 686.
  933. Heiss, Histoire de l’Empire, t. VII, p. 119.
  934. Circulaire du 27 janvier 1555. (Al. Henne, t. X. p. 226.)
  935. Circulaire de la même date. (Correspondance de Philippe II sur les affaires des Pays-Bas, t. Ier, p. CXXII.)
  936. Ordonnance du 31 janvier 1555. (Correspondance de Philippe II sur les affaires des Pays-Bas, t. Ier, p. CXXI.)
  937. Ordonnance du 1er février 1555. (Ibid., p. CXXII.)
  938. Al. Henne, t. X, pp. 220 et suiv.
  939. Sismondi, t. XII, pp. 148, 169, 213, 214, 254, 299, 300, 327.
  940. Dépêches de l’archevêque de Conza des 10 et 12 mars 1555. (Reg. cité, fol. 308 et 310.)
  941. C’était le Brabant, la Flandre, l’Artois, le Hainaut, la Hollande, la Zélande, le Namurois, la châtellenie de Lille. Douai et Orchies, Utrecht, Tournai, le Tournaisis et Malines.
  942. Arch. du royaume, reg. Propositions aux États généraux, 1535-1563, fol. 136.
  943. Relazione di Roma di Bernardo Navagero, 1558, dans les Relazioni degli Ambasciatori Veneti, série II, vol. III, p. 388.
  944. « ..... Fu crato pontefice contro al volere di tutli i cardinali che temevano della sua natura, ai quali non aveva voluto mai compiacere. » (Ibid., p. 378.)
  945. Sandoval, liv. XXXI, § II.
  946. Papiers d’Etat de Granvelle, tome IV, p. 343.
  947. « ..... Yo credo que quando bene yo loro donassi la terza parte di quanto tengo, essi però non finiriano d’inquietarmi et molestarmi sempre più..... » (Dépêche de l’archevêque de Conza du 18 novembre 1554 : reg. cité, fol. 263.)
  948. Dépêche de l’archevêque de Conza du 10 mars 1555 : reg. cité, fol. 308.
  949. (4) Le 9 mai.
  950. Jeanne la Folle et saint François de Borja : Les derniers moments de Jeanne la Folle, dans les Bulletins de l’Académie royale de Belgique, 2e série, t. XXIX, pp. 290 et 389.
  951. Al. Henne, t. X, p. 188-215.
  952. Sandoval, liv. XXXI. §. XXVIII. — Sismondi, t. XII, p. 281. — Al. Henne, t. X. pp. 213-215.
  953. Sandoval, liv. XXXI. — Sismondi, t. XII, pp. 275-277.
  954. Papiers d’État de Granvelle, t. IV, pp. 465, 466, 467
  955. Arch. du royaume : reg. Propositions aux états généraux, 1535-1565, fol. 132.
  956. Mignet, Charles-Quint, etc., pp. 6, 9. — Retraite et mort, etc. Introduct., p. 37.
  957. Retraite et mort, etc. Introduct., p. 38-44.
  958. Retraite et mort, etc. Introduct., p. 47. — Instruct. du secrétaire Erasso du 1er septembre 1554, déjà citée.
  959. Retraite et mort, etc., p. 65.
  960. Charles n’avait pas encore renvoyé l(I) Cliiiries n’avait fins encore renvoyé l’ordre de Saint-Michel, lorsqu’il s’embarqua pour l’Espagne, et, à cause des circonstances de la guerre, ce fut seulement le 14 juillet 1558, à Villers-Cotterets, qu’Antoine de Beaulaincourt, seigneur de Bellenville, premier roi d’armes, dit Toison d’or, remit le grand collier, le manteau et le livre de l’ordre entre les mains de Jean de Thier, seigneur de Beauregard et de Menars, commis par le roi de France pour les recevoir. (Retraite et mort, etc. Introduct., p. 75.)
  961. Retraite et mort, etc. Introduct., pp. 72-78.
  962. Retraite et mort, etc. Introduct., pp. 70-71. Nous avons supposé, dans cet ouvrage, que l’archiduc Ferdinand était arrivé à Bruxelles le 21 ou le 22 octobre; nous sommes en état aujourd’hui de préciser la date d’après une lettre qu’écrivit à Côme de Médicis, le 26 octobre 1555, l’évêque Tornabuoni, son ambassadeur à la cour impériale, et que nous avons vue aux Archives de Florence.
  963. ..... Una vestella di pano negro semplice, con una baretta alla civile et co’l Toson grande al collo .... (Lettre de l’évêque Tornabuoni du 20 octobre, déjà citée.)
  964. Ce palais fut réduit en cendres par un incendie qui éclata dans la nuit du 3 au 4 février 1731.
  965. Retraite et mort, etc. Introduct., pp. 80-81.
  966. Analectes Belgiques, p. 80.
  967. « Il ultimo, non potendo contener le lacrime, soggiunse che la cagion del suo pianto non era perchè si dolesse di spogliarsi di questi Stati, ma increscendole d’haver a lassare el paese natio et l’amorevolezza di tali suoi vassali..... con che mosse le lacrime a tutti circunstanti che l’udirono..... » (Dépêche de l’évêque Tornabuoni du 26 octobre, déjà citée.)
  968. Retraite et mort, etc., Introduct, pp. 82-104.
  969. Voir sa lettre du 11 octobre 1555 au secrétaire Vazquez, dans Retraite et mort, etc., t. II, p. 69.
  970. Retraite et mort, etc. Introduct., pp. 105-110.
  971. L’évêque Tornabuoni écrivait à Côme de Médicis, le 4 janvier 1556 : « Tra queste due Maestà par’a mo, per quanto mi vien accennato di buon luogo, sia non sol’ poca intelligentia ma rotura; et pur’ bieri se n’andò il re dal padre, supplicandolo a fargli la cessione della Spagna o a repligliarsi tutto quello che l’haveva dato, cosi qua come in Italia, per non si prometter di poter’ mantener’ ni questi ni cotesti Stati senza l’aiuto della corona di Spagna, essendo per le continue guerre tutti consumati : soggiuogendo che non voleva soffrire tanta vergogna di perdersi senza poter farci un’ minimo constrato. Di che par che l’imperatore s’atlerasse nell’animo..... » (Arch. de Florence.)
  972. Retraite et mort, etc. Introduct., pp. 110-115.
  973. Ibid., pp. 116-118.
  974. Voyage de monsieur l’Amiral vers l’Empereur et le roi Philippe, dans Ribier, t. II, p. 6. — Mignet, Charles-Quint, etc., pp. 115-120.
  975. Retraite et mort, etc. Introduct., pp. 125-127.
  976. Retraite et morte, etc. Introduct., pp. 120-122.
  977. Village à deux lieues de Bruxelles.
  978. Retraite et mort, etc. Introduct., pp. 128-135.
  979. Ibid., p. 135.
  980. « ..... Ambasciatore, la mia partita non si può scusare; et potete esser certo che quel che non farà el re, mio figliuolo par remediare alli disordini del mondo, non faró io, co’ l star di qua; et sendo el papa vecchio, che è causa di questi disordini, non può viver molto. » Et se distesse su la ipocrisia et mala natura di S. S. di più di quello che io potessi dire, lassandomi maravigliato che cosi largamente si lassasse intendere da me..... » (Dépêche de Ricasoli du 29 août 1556, aux Archives de Florence.)
  981. (2) « S. M. C. durava extrema fatica a parlare », écrit Ricasoli dans sa dépêche du 29 août.
  982. Le nonce — écrit encore Ricasoli — « stette un pochetto et usci tutto infocato; et andandosene insieme, lo trovai tutto alterato. »
  983. Discours de l’embarquement et départie de l’empereur Charles d’Austriche, etc., par Jean de la Roche, parisien. (Bibliothèque nationale à Paris, Ms. Harlay, 23819.)
  984. Retraite et mort, etc. Introduct., pp. 136-143.
  985. Discours de l’embarquement et départie de l’empereur Charles, etc.
        Avant de s’embarquer, Charles-Quint causa quelques in instants, sur la jetée, avec les reines ses sœurs et les embrassa. « Ceux qui estoient près — dit l’auteur du Discours — le voulurent contempler, pouvant bien dire que jamais ne fut vu prince plus blanc, de visage fort maigre et retiré, les mains toutes crochées, la parole si débille et cassée qu’il sembloit ne luy rester plus que l’esprit. »
  986. M. Mignet, Charles-Quint, etc., p. 137, donne des détails intéressants sur l’aménagement de ce navire
  987. Retraite et mort, etc. Introduct., pp. 120 et 136; t. II, p. 93.
  988. Il ne reçut les trois mille ducats qu’à Agüéra, le 8 octobre, et les six chapelains n’arrivèrent auprès de lui que le 10, à Medina de Pomar.
  989. Retraite et mort, etc., Introduct., p. 127; t. I, p. 29 et suiv.; t. II, p. 95.
  990. Retraite et mort, etc., t. I, pp. 1-31, 425 ; t. II, pp. 10, 17, 95-105. — Mignet, Charles-Quint, etc., pp. 134-158. — Don Carlos et Philippe II, t. I, pp. 19-23.
  991. De quatre-vingt-dix-neuf qu’ils étaient à leur départ des Pays-Bas, ces hallebardiers n’étaient plus que quatre-vingt-neuf : dix étaient morts en route.
  992. « ….. Va descansado de que desde alli adelante no tendre importunidad de recebimiento », écrivait Quijada, le 5 novembre, au secrétaire Vazquez. (Retraite el mort, etc., t. I, p. 33.)
  993. Retraite et mort, etc., t. I, pp. 32-42. — Mignet, Charles-Quint, etc., pp. 158-162.
  994. Retraite et mort, etc., t. I, pp. 50, 56, 68, 71, 72, 81, 91; t. II, pp. 120, 123, 145.
  995. Lettres à Vazquez des 6 et 11 octobre 1556. (Ibid., pp. 7 et l8.)
  996. Lettre du 15 novembre. (Ibid., t. I, p. 42.)
  997. Ibid., p. 45.
  998. Ibid., p. 90.
  999. Ibid., p. 115.
  1000. Ibid., t. II, pp. 115-119.
  1001. Lettres des 31 janvier et 2 février, dans Retraite et mort, etc., pp. 150 et 157.
  1002. Retraite et mort, etc., t. I, pp. 28, 55, 58, 68; t. II. pp. 120, 143.
  1003. Ibid., t. I, pp. 76, 77, 79, 81, 82, 86, 89, 93; t. II, p. 146.
  1004. Retraite et mort, etc., t. I. pp. 55, 58.
  1005. Ibid., t. I, pp. 44, 45, 49, 50, 51, 53, 64; t. II, p. 120.
  1006. Retraite et mort. etc., t. I, pp. 55, 58, 66, 71, 89, 94; t. II, pp 142, 143.
  1007. Ibid., t. I, p. 68; t. II, p. 144.
  1008. Retraite et mort, etc., t. I, pp. L et 111.
  1009. Ibid., t. I, pp. 100, 108; t. II, p. 108.
  1010. Il y avait une lieue de Jarandilla au monastère.
  1011. Retraite et mort, etc., t. I, pp. 117, 118; t. II, p. 15.
       M. Mignet, Charles-Quint, etc., pp. 202-224, donne la description des appartements de l’empereur, de son mobilier, de ses tableaux, de ses horloges et instruments de mathématiques, de sa bibliothèque, de son argenterie.
  1012. Retraite et mort, etc., t. II, pp. 21, 24-26, 33.
  1013. Ibid., t. I, pp. 134, 136, 151, 161; t. II, pp. 159, 170.
  1014. Retraite et mort, etc., t. II, p. 172.
  1015. Tous ces faits sont tirés des documents contenus dans Retraite et mort, etc., t. I et II.
  1016. Retraite et mort, etc., t. II, p. LXVI.
  1017. Ibid., t. I, pp. 175, 244; t. II, p. 483.
  1018. Ibid., t. II, p 459.
  1019. Ibid., t. II, pp. LXVI et LXVII.
  1020. Ibid., t. II. p. 415.
  1021. Ibid., t. I, p. 170; t. II, p. 243.
  1022. Retraite et mort, etc., t. I, p. 120.
  1023. Ibid., t. I, p. 164, 278, t. II. pp. 22, 223; 225, 238, 314, 385, 487.
  1024. Ibid., t. I, p. 184; t. II, pp. 388 et 485.
  1025. Retraite et mort, etc., passim.
  1026. Ibid., t. I, p. 161; t. II, pp. 175, 303.
  1027. Retraite et mort, etc., t. I, pp. 174, 182, 184, 186, 189, 193, 227, 232.
  1028. Ibid., t. I, pp. 266, 268, 271, 273, 275, 280.
  1029. Retraite et mort, etc., t. I, pp 292, 296 ; t. II, pp. XXIX, 39, 386, 411, 439.
  1030. « ..... Està el mas contento hombre del mundo, ....., y lo dice. » (Lettre de Quijada à Vazquez du 30 août 1557, dans Retraite et mort, etc., t. I. p. 167.)
  1031. Retraite et mort, etc., t. I, pp. 125, 127, 144, 152, 154, 156, 158, 159, 160, 189, 190, 212, 219 ; t. II pp. 27, 31, 163.
  1032. Lettre de Charles à Philippe II du 31 mars 1558, dans Retraite et mort, etc., t. II, p. 366.
  1033. Retraite et mort, etc., t. I, pp. 311, 312.
  1034. Retraite et mort, etc., t. I, p. 314.
  1035. Ibid., t. II, p. XXXVII.
  1036. Retraite et mort, etc., t. I. p. 317; t. II, p.470.
  1037. Ibid., t. I, pp. 315, 317, 321; t. II, p. 470.
  1038. Retraite et mort, etc., t. I, pp. LII-LXXIV; t. II, pp. CLIV-CLXVI.
  1039. Retraite et mort, etc., t. I. pp. LVII, 322.
  1040. Sandoval, t. II, p. 657.
  1041. Il s’agissait surtout des motifs de plainte que le roi de Bohème, Maximilien, donnait à sa femme, et du fils naturel de l’empereur, le jeune Géronimo, qui était à Cuacos en la maison de Quijada, ignorant, ainsi que tout le monde (Quijada excepté) le secret de sa naissance.
  1042. Ils avaient remplacé, depuis trois mois, fray Juan de Acaloras et fray Juan de Sant Andrés, nommés prieurs, le premier de Salamanque, le second de Santa Catalina à Talavera.
  1043. Retraite et mort, etc., t. I, pp. 322 et suiv. — Miguet, Charles-Quint, etc., pp. 419-445.
  1044. « .....Con tan grande magestad y autoridad como se pudieran hacer en la yglesia de Toledo..... »
  1045. Retraite et mort, etc., t. I, pp. 402, 412, 416; t. II, pp. 49-56, 502.
  1046. Sandoval, t. II, p. 638. — Retraite et mort, etc., t. I, p. 388; t. II, pp. 55, 57-65.
  1047. «... Cesare (il che parerà forse difficile a credere), como dicono tutti li sui famigliari, è di natura timido, et timido di sorte che ha molte volte paura grande fino quando si vede venir appresso un sorzo ó un ragno; et alcuna volta per qualche gran timore anco trema, como fece quel giorno quando l’esercito di protestanti si presentò al Englestat, che essendoli venuta tal nova, ritrovandosi nel letto, subito, per quanto ho inteso da un famigliar suo che si ritrovò presente, principiò a tremare... (Relatione d’Alvise Mocenigo, dans les Fontes rerum Austriacarum, t. XXX. p. 18.)
       J’ai fait beaucoup d’emprunts à la Relation de Mocenigo en racontant les événements de la guerre d’Allemagne; j’en avais une copie faite sur l’original aux Archives de Vienne; j’ignorais alors qu’elle venait d’être publiée par M. Fiedler.
  1048. Retraite et mort, etc., t. I, p. 310.
  1049. Dans sa lettre d’envoi an prince Philippe, Charles-Quint annonçait formellement l’intention de revoir et de compléter son travail.
  1050. Lettre du 28 novembre 1556 au secrétaire Vazquez, dans Retraite et mort, etc., t. I, p. 55.
  1051. Retraite et mort, etc., t. II, p. CLII.
  1052. Essais sur l’histoire politique des derniers siècles, t. I, p. 196.
  1053. Mignet, Charles-Quint, p. 220.
  1054. « … Un imperatore che da Carlo Magno in qua non ha la cristianità avuto, considerata bene ogni qualità sua, il maggiore… » (Relazioni degli Ambasciatori Veneti, sér. t. I, p. 54.)