Biographie universelle ancienne et moderne/2e éd., 1843/POUSSIN (Nicolas)

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Texte établi par Michaud, A. Thoisnier Desplaces (Tome 34p. 234-249).

POUSSIN (Nicolas) naquit aux Andelys le 15 juin 1594[1]. Il était originaire de Soissons et le fils de Jean Poussin, qui servit sous Charles IX, Henri III et Henri IV. Il montra de bonne heure un goût prononcé pour le dessin, et durant les leçons de latin qu’on lui avait d’abord fait donner il ne cessait de tracer des figures sur les marges de ses livres ou sur les murs de la classe. Quentin Varin, peintre de Beauvais, eut le mérite de reconnaître et de développer les dispositions du Poussin, en l’encourageant et lui donnant des soins. Le jeune élève apprit de lui, entre autres procédés, à peindre en détrempe avec d’autant plus de facilité, qu’une conception vive, jointe à un sentiment juste des rapports, le portait à exprimer rapidement et avec un certain goût ce qu’il voyait et imaginait. La sphère de ses idées s’étendant, une imitation mécanique et servile ne pouvait lui suffire : il se rendit à dix-huit ans dans la capitale, à l’insu de son père. Recommandé par son seul talent, il trouva dans un jeune gentilhomme de Poitiers un amateur de peinture, qui l’accueillit et lui procura les moyens de s’instruire. Mais, dans la disette des peintres d’histoire, l’art, qui avait été importé d’Italie, dégénérait presque en naissant. Ni Jean Cousin ni Freminet n’avaient formé d’écoles. De l’atelier de Ferdinand Elle, de Malines, peintre de portraits, Poussin eut bientôt passé dans celui de Lallemand, peintre lorrain. Il n’y resta pas longtemps. Il fit, par le gentilhomme poitevin, une connaissance très-utile, celle d’un mathématicien du roi aux galeries du Louvre, possesseur d’une belle collection de gravures d’après Raphaël et Jules Romain, et même de dessins originaux de ces deux maîtres. La pureté de correction du premier et la fierté de dessin du second devinrent l’objet des études du Pous-

sin : ce fut véritablement là sa première école, et la source où il puisa, suivant Bellori, le lait de la peinture et la vie de l’expression. Malheureusement, ayant cédé par reconnaissance aux promesses de son jeune protecteur, il l’accompagna dans le Poitou ; mais la mère du gentilhomme ne vit dans le peintre qu’un pur domestique, et, au lieu de travaux d’embellissement, le Poussin fut chargé par la dame des soins économiques du château. Dégoûté de cet emploi, il repartit en parcourant la province. Il peignit des paysages pour le château de Clisson, une Bacchanale pour le château du comte de Cheverny (1616-1620), et un St-François et un St-Charles Borromée pour les capucins de Blois. À son arrivée à Paris, une maladie de fatigue et d’épuisement l’ayant rappelé dans sa ville natale pour s’y rétablir, il ne reprit le chemin de la capitale qu’avec le projet d’aller à Rome se perfectionner. il tenta vainement deux fois ce voyage. La première fois, il parvint jusqu’à Florence ; mais c’était probablement avant les préparatifs ordonnés en 1620 par Côme II pour les fiançailles du jeune duc, époque à laquelle il eût pu être occupé à Florence avec Jacques Stella, qui n’y vint point antérieurement, comme le suppose Papillon de la Ferté. La deuxième fois, il ne dépassa pas Lyon, où, après avoir abandonné gaiement à la Fortune, comme il le disait, son dernier écu, il resta jusqu’à ce qu’il eût acquitté en tableaux une dette contractée avec un marchand. Ce fut à son retour de Florence que, logeant à Paris, au collége de Laon, il connut Philippe de Champaigne, qui vint y demeurer et qui profita de ses conseils après avoir quitté l’atelier de Lallemand. Ils furent employés ensemble sous un sieur Duchesne, autre artiste médiocre, chargé de diriger les travaux de peinture au Luxembourg. Mais la médiocrité jalouse ne les occupa guère l’un et l’autre, et surtout le premier, qu’à de petits ouvrages secondaires, ce qui laissait à peine percer le mérite du Poussin. Ce grand peintre était destiné à ne devoir son élévation qu’à lui-même. Après son voyage de Lyon, ayant concouru en 1623 pour une suite de tableaux commandés par le collége des jésuites à propos de la canonisation de leur fondateur, la grande habitude qu’il avait acquise dans la peinture en détrempe lui fit produire en moins d’une semaine six tableaux, qui, sans être terminés dans les détails, furent préférés pour la grandeur des conceptions et la vivacité des expressions à ceux de ses concurrents. Ces peintures, où déjà brillait le génie poétique, attirèrent les regards du cavalier Marini, qui lui offrit un logement et l’occupa aux dessins de sujets tirés de son poëme d’Adonis. Quel que fût le dessein du Poussin de suivre Marini, qui retournait à Rome et eût voulu l’emmener, il crut devoir terminer auparavant pour la corporation des orfévres un tableau de la Mort de la Vierge, destiné à l’église Notre-Dame de Paris. Enfin il entreprit pour la troisième fois le voyage de Rome, où il arriva au printemps de 1624. Poussin rejoignit à Rome Marini, mais ne put jouir longtemps du plaisir de visiter les monuments avec son ami. Le poëte en partant pour Naples, où il mourut, le recommanda, par l’entremise de Marcello Sacchetti, aux bonnes grâces du cardinal Barberini, neveu du pape Urbain VIII. Mais, par un nouveau contre-temps, le prompt départ du cardinal pour ses légations de France et d’Espagne, laissa le Poussin à lui-même, et la protection du légat lui valut seulement l’entrée du musée Barberin. Ainsi, l’homme de génie qui avait été présenté à la cour du prélat comme ayant una furia di diavolo fut contraint de donner deux tableaux de batailles pour quelques écus. La copie d’un Prophète, qu’il avait peint pour une très-modique somme, fut vendue par un artiste du pays à un prix double de l’original. Cependant, tandis que l’école du Guide, branche bâtarde de celle des Carrache, et qui ne s’est que trop longtemps propagée en Italie et en France, remplaçait l’école d’Annibal par de faux agréments ou une brillante facilité, et proscrivait son plus digne rejeton, Poussin, associé par l’infortune au sculpteur flamand François Duquesnoy, allait avec lui étudier les antiques et les modeler pour en enrichir ses tableaux : il se préparait à venger le Dominiquin. L’Algarde, ami du Flamand, devint probablement celui du peintre français, qui a pu mesurer avec cet ami la statue d’Antinoüs, suivant ce que rapporte Félibien d’après un mémoire de Jean Dughet, sans qu’il faille induire d’une erreur de Bellori à ce sujet que les dessins donnés par celui-ci des mesures de cette statue soient inexacts. Poussin dut étudier surtout les belles formes d’enfants avec Duquesnoy, qui a excellé à cet égard dans ses figures entières comme l’Algarde dans ses bas-reliefs. L’un et l’autre cherchaient le bon goût de l’antique, en y associant quelquefois ou y ramenant les formes de la nature et celles même de l’art, d’après les conseils du Poussin. C’est dans cette vue qu’il considérait avec eux à la villa Ludovisi les Jeux d’enfants au d’Amour du Titien, meilleur coloriste que dessinateur, sans les prendre servilement pour modèles. Il estimait beaucoup le faire de ce grand peintre, de même que sa manière de toucher le paysage, dont il a sans doute profité. Il craignait trop, disait-il, que le charme du coloris lui fît oublier ou négliger la pureté du dessin. Il s’attacha principalement aux beautés expressives, conçues comme l’objet particulier et général du dessin, et comme peignant par un trait vif et précis le langage de la pensée et du sentiment. De là cette disposition à rechercher dans l’antique ce beau idéal ou intellectuel et en même temps moral qui le portait à l’étude des sujets historiques les plus propres aux développements nobles et expressifs de la composition et du style. Quoique les figures antiques fussent regardées par lui comme la source des beautés où presque toutes celles de la nature avaient été fondues ou épuisées, elles n’offraient plus qu’un petit nombre d’attitudes et d’expressions déterminées. Il fallait les mettre en action, les diversifier, les disposer suivant les lieux, les temps, les mœurs, les usages, dans le vaste champ, soit profane, soit surtout sacré, que sa religiosité embrassait. Il dut suppléer à ce qui lui manquait pour compléter l’étude agrandie de l’art. Dans cette vue, il méditait partout et observait dans les villas, dans les places, dans les églises de Rome ; il notait sur ses tablettes toutes les actions qui l’intéressaient et le frappaient le plus. Il remarquait les effets de l’optique et des autres phénomènes dans la nature, comme ceux de l’art dans les monuments et dans les ouvrages des grands maîtres. Il s’instruisait des théories de la perspective dans Matteo Zoccolini, de l’architecture dans Vitruve et Palladio, de la peinture dans Alberti et Léonard de Vinci. Il étudiait l’anatomie, non plus seulement dans Vésale, mais dans les dissections de Nicolas Larche ; le modèle vivant dans l’atelier du Domíniquin, et, pour l’élégance des formes, dans celui d’André Sacchi ; enfin les plus beaux traits de poésie et d’histoire dans Homère et Plutarque, et surtout dans la Bible. Ses études spéciales en peinture avaient principalement pour objet le caractère moral, et les affections de l’âme les plus propres à l’exprimer et à le développer. Pendant que les jeunes peintres allaient en foule copier à St-Grégoire le Martyre de St-André du Guide, Poussin s’était attaché presque seul à celui du Dominiquin. Mais bientôt, ayant fait remarquer la force d’expression de ce tableau, il parvint à y ramener l’attention de la plupart des autres peintres. L’auteur, alors malade et qu’il ignorait vivre encore, l’apprenant, se fit transporter sur le lieu et embrassa comme ami celui qui rétablissait l’honneur de l’art en même temps que la mémoire de l’artiste méconnu. Un autre tableau, la Communion de St-Jérôme, fut, sinon présenté au Poussin comme de la vieille toile pour peindre dessus, du moins tiré par lui de l’espèce d’oubli où l’avait fait reléguer l’accusation de lagiat (voy. le Dominiquin). Son mérite original fut, selon Fuesli, le sujet d’une leçon publique du Poussin, qui, assimilant ce tableau, ainsi que la Descente de la croix de Daniel de Volterre, à la Transfiguration de Raphaël, le proclama, comme on sait, l’un des trois chefs-d’œuvre de la peinture. Tout en préférant ouvertement le Dominiquin au Guide, la prudence et la modération du Poussin l’empêchèrent de prendre aucune part aux querelles des deux artistes rivaux. Il louait dans les maîtres de chaque école ce qu’ils lui offraient d’estimable. Le Caravage était le seul qui lui parût dégrader la peinture par l’imitation alïectée d’une nature vulgaire et basse, moins excusable encore en Italie qu’en Flandre. Cependant vers l’époque du retour du cardinal légat, soit instigation de la part d’italiens jaloux, soit animadversion contre les Français, à cause du peu de succès de la légation, Poussin fut attaqué par des soldats près de Monte-Cavallo, en regagnant son logis. Il se para en vain de son portefeuille, et reçut un coup de sabre entre le premier et le deuxième doigt. Depuis cet événement, notre peintre prit et ne quitta plus le costume romain. Échappé à cet accident, occasionné par l’habit français, il ne put éviter l’atteinte d’une maladie grave, qui fut peut-être causée par cette suite d’études, de courses et de travaux pénibles, et qui lui attira des soins plus qu’hospitaliers, dont les motifs ne pouvaient être dus qu’à la considération et à l’estime. Il avait été recueilli dans sa maladie par l’honnête famille de Jacques Dughet, son compatriote, chez lequel il recouvra la santé. Poussin, par reconnaissance, épousa en 1629 une des filles de son hôte, Anna-Maria, qui l’avait soigné avec sa mère. Il n’en eut point d’enfants ; mais il adopta l’un des jeunes frères de sa femme, qui hérita de son nom comme de son talent pour le paysage (voy. Gaspar Dughet). La dot, employée à l’acquisition d’une petite maison sur le mont Pincío, d’où l’on jouissait des plus beaux aspects de Rome, et qui avait à côté la maison de Salvator Rosa et en face celle de Claude Lorrain, ne tourna que plus tard au profit du peintre et à l’avantage de l’art. Plusieurs tableaux historiques lui furent d’abord commandés à l’arrivée du cardinal Barberini. Selon Bellori et Félibien, le premier dont on le chargea fut la Mort de Germanicus. Ce tableau, par la sévérité de la composition, la profonde affliction d’Agrippine, couverte d’un voile, l’attitude des chefs debout, la lance à la main, attentifs aux derniers mots du héros, l’apparition aux regards du mourant d’une ombre sous la draperie, levant un glaive vengeur, et dépeignant par cette allégorie les sentiments que la peinture ne peut exprimer, annonçait le grand talent de l’auteur pour la composition expressive et dramatique. L’allégorie cessait ainsi d’être accessoire : par le caractère moral qu’il lui donnait, elle devait devenir essentiellement historique comme dans le Coriolan, où, en faisant apparaître le génie tutélaire de Rome avec la Fortune désolée et gisante derrière le groupe de la famille en pleurs, il découvre le noble motif qui désarme la vengeance du général romain. Le second sujet qu’il eut à traiter, et que Passeri dit être le premier, fut la Prise de Jérusalem, où le peintre se montrait déjà savant dans les usages et les costumes des anciens. Le cardinal ayant fait présent de ce tableau a l’ambassadeur impérial, le prince d’Echemberg, Poussin en composa un autre, qu’il enrichit de la pompe triomphale représentée dans les bas-reliefs de l’arc de Titus et qui fut aussi donné en présent. La protection du cardinal Barberini valut encore à l’artiste français, par la bienveillance du commandeur Cassiona del Poaso, d’être employé à peindre un grand tableau du Martyr de St-Erasme, pour être copié en mosaïque à la basilique de St-Pierre. Une telle faveur, accordée rarement aux étrangers, dut exciter la jalousie des nationaux, et ce tableau, qu’il exécuta dans la manière du Dominiquin, et qui eut pour pendant celui du Valentin, son ami et son compatriote, put lui attirer des ennemis ou des détracteurs. Passeri témoigne que le Poussin affirmait n’avoir reçu aucune récompense pour son tableau, soit par l’effet d’une disgrâce, soit par la malignité de l’intendant des travaux ; cependant, selon Torrigio, cité par Bonanni, le tableau lui aurait été payé cent écus romains. Quoi qu’il en soit, c’est là que paraît s’être borné le petit nombre d’ouvrages dont il fut chargé par le gouvernement pontifical et pour le légat ; mais ils lui valurent l’amitié particulière et constante du chevalier del Pozzo, de Turin, qui occupa ou recommanda son talent, et dont le cabinet lui fut ouvert pour ses études d’antiquités, ainsi que la bourse pour ses avances et ses besoins. Rarement peignit-il dans la suite des tableaux d’une grande dimension, si ce n’est pour quelques églises ou galeries étrangères. L’Idole de Dagon tombant devant l’arche, ou la Peste des Philistins, qu’il exécuta en 1630 pour le sculpteur Matteo, moyenant soixante ou peut-être même quarante écus, en fut acheté mille dans la suite par le duc de Richelieu ; il contenait une multitude de figures renfermées dans un espace d’une médiocre étendue, mais assez grand pour y développer les scènes de teneur et de pitié par les circonstances tirées non-seulement de l’action, mais du lieu de l’événement. L’auteur paraît y avoir eu en vue les anciens et Raphaël pour le style et l’expression. Mais il agrandit en maître sa composition, en subordonnant ses expressions à son sujet, en y rattachant les épisodes et les accessoires dont il le fortifie et l’enrichit, en coordonnant de plus, dans les fonds et les sites dont il l’accompagne, la perspective locale, la teinte des ciels, la couleur des fabriques à l’intérêt de la scène. Si ces édifices, dans la ville idolâtre d’Azoth, se ressentent de l’étude des fabriques de Rome profane, l’effet total n’en rend que plus frappante la chute de l’idole superbe devant l’arène sacrée, et si le peintre a su pousser l’horreur jusqu’à faire sentir le dégoût qui naît de l’infection, à l’exemple de Raphaël, c’est du moins un homme du peuple, qui se bouche d’une main les narines et indique par ce signe la partie menacée ; mais de l’autre main il écarte un enfant du sein empesté de la mère, action morale qui ennoblit son geste et qui ajoute à l’effet pathétique général. Nous nous sommes arrêté à quelques-uns de ces tableaux, qui, sans être encore les chefs-d’œuvre de leur auteur, manifestent le grand talent de réunion des qualités qui constituent le poëte moral et l’historien dramatique. La suite de la vie du Poussin, tout entier à son plan de travail, et pouvant changer de lieu et de sujet, mais jamais de vue ou d’objet, ne fit que les développer et les porter à un haut degré de perfection, ce qui nous dispense de nous étendre longuement sur le plus grand nombre de ses tableaux, répandus dans les cabinets et les musées ou décrits fréquemment dans les livres, et multipliés si diversement et tant de fois par les gravures. Les tableaux de chevalet surtout, tels que celui de la Peste des Philistins, offrant plus d’économie de temps et de moyens, et un champ plus convenable à la vivacité de conception et à la précision d’esprit de l’auteur, renfermaient aussi des poëmes entiers dans des cadres plus bomés, plus commodes à examiner, plus faciles à transporter et à reproduire : ils furent vivement goûtés et propagèrent rapidement la réputation du Poussin. Das découvertes d’antiquités, en enrichissant l’art, telles que celle de la Noce dite aldobrandine, dont il fit des copies, l’attachaient de plus en plus à l’étude de l’antique, et la mosaïque de Palestrine, représentant des scènes d’Afrique exécutées par des artistes grecs, lui servit pour les fabriques de plusieurs de ses compositions ; cela explique comment, pour contraster peut-être, il a introduit quelquefois dans l’Égypte ancienne des temples d’un goût grec, comme il a, par un motif analogue, employé des édifices du style romain dans des sites de la Grèce, ce qui semble moins disparate. Poussin, d’un caractère généreux et reconnaissant, dessina, conjointement avec Pietro Testa, pour le commandeur del Pozzo, dont le cabinet d’antiques et de médailles était à sa disposition, les vues principales des antiquités de Rome, faisant partie des nombreux volumes de cette collection. Il composa aussi pour lui, avec tout le soin préliminaire qu’il mettait à modeler, à grouper et à disposer ses figures, la première suite des Sept sacrements, conçus et traités avec toute la dignité, l’esprit et l’intérêt du sujet, quoique la proportion des figures soit inférieure à celle de trois palmes qu’offrait le précédent tableau. Cette composition vraiment religieuse, multipliée bientôt par le burin de Jean Dughet, son plus jeune beau-frère, et l’objet continuel des visites des voyageurs étrangers, acheva de porter au loin la réputation de son savant auteur. Il reçut des commandes pour Naples, pour l’Espagne, et fit pour le marquis Amédée del Pozzo, à Turin, le Passage de la mer Rouge et l’Adoration du veau d’or, dont un second tableau périt presque entièrement lors d’une révolution à Naples. Beaucoup de demandes lui furent faites pour la France : Major è longuinquo reverentia. Il travailla pour la duchesse d’Aiguillon et pour le maréchal de Créqul. Ce fut à Rome et non à Lyon que Jacques Stella, étant à la suite de cet ambassadeur, se lia d’amitié avec Poussin et s’attacha même à lui comme peintre au point que plusieurs de ses tableaux, entre autres ceux d’une suite de la Passion, ont été attribués au Poussin et rangés dans l’œuvre de ce maître au cabinet du Louvre. L’un et l’autre continuèrent à correspondre lorsque Stella, de retour à Paris, en 1637, fut logé au Louvre en qualité de peintre du roi, avec M. de Chanteloup, devenu maître d’hôtel de Sa Majesté, devenu aussi l’ami et même pour la vie le correspondant de notre artiste. Poussin fit un grand tableau pour la collection de M. de la Vrillière, secrétaire d’État, Camille renvoyant les enfants des Falisques, sujet qu’il traita aussi dans une moindre dimension. Un premier tableau du Frappement du rocher, dans cette dernière proportion, que l’on préférait, fut composé pour M. Gillier, attaché à M. de Créqui, non pour Stella, qui en fit seulement l’objet de ses observations, comme on le verra au sujet de la seconde composition. Celui de la Manne suivit et fut exécuté pour M. de Chanteloup. En y travaillant, l’auteur écrivait à Stella « qu’il avait trouvé une certaine distribution et certaines attitudes qui faisaient voir dans le peuple hébreu, en même temps que la misère, la douleur et la faim, la joie, l’admiration et la reconnaissance, toutes choses exprimées avec un mélange de femmes, d’enfants et d’hommes d’âge et de tempérament différents, » etc. En effet, les circonstances diverses que l’historien ne peut rendre que successivement et que le peintre a su exprimer simultanément sans rompre l’unité de lieu y concourent différemment au sujet, comme les mouvements divers à l’unité d’action. Si l’antique, dont l’auteur était plein, lui a fait élever son sujet jusqu’à l’idéal, et si l’on croit voir qu’il retrace dans ses figures et ses groupes la Niobé, l’Antinoüs, les Lutteurs, Laocoon, Sénèque, etc., on reconnaît aussi qu’il s’est approprié ses modèles en leur donnant la pose, l’expression et le mouvement convenables à l’action. Il a saisi l’esprit général plutôt que la lettre du texte. On découvre de plus dans ses figures non-seulement ce qu’elles font, mais ce qu’elles ressentent. Un homme grave et âgé, considérant l’action d’une femme qui prête son sein à sa mère en donnant seulement des larmes à son enfant, attire l’attention sur cet acte de piété extraordinaire. Ce trait parle ainsi à l’esprit et à l’âme ; il fait à la fois compâtir et penser. Tel est le caractère général qu’on retrouve surtout dans les compositions dramatiques du Poussin, qui se distinguent par ce concours d’action si vrai et si naturel, et cet accord si beau du sentiment et de la réflexion, qui attache et qu’on partage et admire en même temps. Ce furent moins toutefois peut-être ces sujets touchants, mais sévères, devenus plus tard l’objet de savants entretiens, que les scènes mythologiques, telles qu’Amide et Renaud, pour Jacques Stella, et plusieurs bacchanales, ainsi qu’un Triomphe de Neptune, pour le cardinal de Richelieu, exécutés dans un style plus conforme à la mollesse ou à la gaieté du sujet, qui accrurent le désir qu’avait témoigné le ministre au secrétaire d’État, M. des Noyers, d’engager Poussin a venir se fixer à Paris. L’artiste philosophe, moins ami des honneurs que de son repos, jouissant des douceurs d’une vie paisible, quoique laborieuse, au sein de sa famille et de ses amis de Rome, eût préféré suivre, disait-il, le Chi sta bene, non si muova, d’autant plus qu’il était sujet depuis quelques années à une incommodité de la vessie. Dans une réponse à M. de Chanteloup du 15 janvier 1639, il lui mandait qu’il avait été ébranlé par sa lettre jointe à celle de Lemaire[2], peintre du roi, dans la résolution de rester à Rome ; mais qu’il y servirait volontiers le roi aussi bien qu’à Paris en tout ce qui lui serait commandé. Ce ne fut qu’après avoir reçu l’invitation même de M. des Noyers, accompagnée d’une lettre du monarque, qu’il annonça ses dispositions pour son départ en automne. Cependant ses motifs de santé et peut-être aussi des pressentiments d’agitation et de trouble succédant à des jours sereins, tels qu’il nous en a dépeint dans ses tableaux, lui faisaient retarder son voyage ; il désirait même s’en dégager, quoique le roi, par sa lettre, en le choisissant pour son peintre ordinaire, l’eût assuré gracieusement « que ses services seraient aussi considérés en France que ses ouvrages et sa personne l’étaient à Rome ». L’année entière s’étant vainement écoulée, M. de Chanteloup hâta un voyage projeté en Italie et vint à Rome, d’où il emmena son ami en France avec Gaspar Dughet, vers la fin de 1640. Un carrosse du roi conduisit Poussin de Fontainebleau à Paris au logement qui lui était destiné dans le jardin même des Tuileries. L’illustre artiste fut présenté par M. des Noyers au cardinal, qui l’embrassa. Il fut de suite accueilli honorablement à St-Germain par le roi, qui, s’étant mêlé exprès dans la foule des courtisans, fut distingué sans peine par Poussin, s’entretint longtemps avec lui, et, dans sa satisfaction, dit en se tournant vers les courtisans : « Voilà Vouet bien attrapé. » Bellori, en faisant connaître la lettre même où Poussin mande ces détails au commandeur del Pozzo, rapporte aussi un brevet de Sa Majesté du 20 mars 1641, qui nomme ce savant artiste son premier peintre ordinaire, et lui donne la direction générale de tous les ouvrages de peinture et d’ornements de ses maisons royales. L’auteur de l’Éloge de Poussin, couronné à Rouen, n’a point connu ce brevet, lorsque, d’après la lettre du roi et le silence de Perrault, il a cru devoir accuser d’erreur Félibien et les autres historiens qui ont dit que Sa Majesté avait nommé Poussin son premier peintre ordinaire. Vouet ne laissait pas d’être le premier peintre titulaire du roi. Mais des marques si particulières d’estime et le mot échappé au monarque purent accroître la jalousie de cet artiste, sans doute déjà connue. Ce mot, non moins piquant qu’humiliant, aurait été d’un augure sinistre et cruel si Vouet fût mort la même année (en 1641), comme Félibien et presque tous les biographes qui l’ont suivi n’ont cessé de le répéter, tandis que, d’après les dates précises données par Bullard et Perrault, Vouet mourut seulement en 1648. Le sujet de la Cène pour l’église de St-Germain en Laye, l’un des grands tableaux ordonnés par Sa Majesté au Poussin et achevé en moins de trois mois, fut traité avec ce caractère religieux que demandait l’institution de l’eucharistie, où Jésus-Christ est debout, tenant une patère et bénissant le pain au milieu des apôtres à genoux ou dans l’attitude du respect et du recueillement ; il ne doit pas être confondu avec la Cène des Sept sacrements, où le Sauveur est assis à table avec ses disciples. Indépendamment d’un autre grand ouvrage projeté pour la chapelle de Fontainebleau, la suite des Travaux d’Hercule, peints en stuc, dont il fit les dessins pour la grande galerie du Louvre et dont on n’a peut-être que les esquisses gravées ; huit sujets tirés de l’Ancien Testament, et dont les cartons, exécutés pour tapisseries, ont été perdus ; d’autres sujets, encore demandés par le cardinal de Richelieu, furent en partie achevés dans la même année, et, quoique ces compositions fussent souvent interrompues (comme il le dit dans une lettre au chevalier del Pozzo du 4 avril 1642) par des frontispices de livres, par des décorations d’armories, par des dessus de cheminée, etc., tant le goût pour les nobles sujets, ajoute-t-il, est si peu constant qu’à peine commencés ou entrepris, ils sont aussitôt quittés ou négligés ; ces occupations ne l’empêchèrent pas de terminer un tableau de la plus grande dimension, ordonné par M. des Noyers pour le noviciat des jésuites, celui du Miracle de St-François Xavier. De tels travaux, qui auraient accablé un peintre moins courageux et moins occupé, ne laissaient pas de lui faire sentir le besoin d’être entouré des soins de sa famille et surtout de ceux de sa fidèle compagne, qui n’avait point quitté Rome et dont les consolations devenaient nécessaires à sa tranquillité. Outre le peu de repos et de liberté qui lui restait à Paris, les désagréments et les tracasseries que l’ignorance, l’envie et peut-être la cupidité lui suscitaient durent sans doute ajouter aux motifs qui déterminèrent sa résolution. La sublime Institution de la Cène avait pu imposer à l’envie timide ; mais le tableau si expressif du St-François Xavier choquait trop l’amour-propre jaloux. Le miracle du retour de la mort à la vie, dont le sujet semblait échapper à la peinture, s’y trouve exprimé moins encore par la gradation de mouvement de la jeune fille, soulevant un genou, ployant un bras et paraissant renaître, que par les vives impressions qu’on voit se produire sur le saint missionnaire, sur les assistants, sur la mère, sur les parents, et qui font partager les mêmes sentiments aux spectateurs. Cette composition attirait la foule et accusait en même temps la faiblesse d’expression d’un tableau de Vouet, placé à côté du premier, dans la même église, et qui était à peine regardé. Des partisans de Vouet, ne pouvant attaquer le sujet principal du tableau du Poussin, se rejetèrent sur les accessoires. Ils assimilèrent à un Jupiter tonnant le Christ qui apparaît dans la gloire et auquel le peintre, comme il le fait entendre dans sa noble défense, avait dû donner, non un air doucereux, mais un caractère de puissance conforme à son action. D’autres motifs de contrariété étaient relatifs aux travaux du Louvre. Le baron de Fouquière, ainsi qu’il le nomme dans une lettre à M. de Chanteloup, se plaignait de ce qu’on avait mis la main à l’œuvre sans le consulter, et prétendait que ses paysages, les vues des villes de France dont il était chargé devaient être l’ornement principal de la galerie. D’un autre côté, l’architecte du roi, le Mercier, avait employé tout l’appareil d’un luxe dispendieux pour charger d’ornements lourds et disproportionnés la voûte de cette galerie, et Poussin, en vertu de l’autorité qui lui était attribuée, les fit abattre pour disposer le tout dans des proportions plus conformes aux distances, à l’étendue, à l’ensemble, avec un goût plus noble dans la décoration et plus d’économie dans la dépense. Un tel changement, supporté difficilement par le Mercier, excita ses plaintes, auxquelles Poussin répondit dans une très-longue lettre à M. des Noyers, rapportée par Félibien. Après avoir opposé à la distribution mal entendue de l’architecte décorateur celle qui convenait à la grandeur, à la destination de la galerie, et dont la discussion équivaut à un véritable traité des proportions, il repousse comme une calomnie, ce qui lui tenait le plus à cœur, l’imputation d’avoir voulu compromettre l’honneur du roi par la parcimonie de ses plans. L’homme qui, en agissant franchement, se défendait de même n’avait sans doute besoin que d’exposer ses moyens et ses vues pour en faire reconnaître les motifs et pour confondre ses détracteurs : on a peine à croire que, n’ayant pas même terminé les dessins des Travaux d’Hercule à la galerie du Louvre, il ait imaginé pour dernier exploit du héros de se peindre terrassant la Sottise et l’Envie sous les traits de ses rivaux, et se couronnant lui-même, dans un tableau de la collection de Dufourny, attribué au Poussin et gravé dans son œuvre par Landon. La seule allégorie qu’un homme si élevé par son caractère au-dessus des clameurs des envieux se serait permise, c’est le beau tableau de la Vérité que le Temps enlève et soustrait aux atteintes de l’Envie et de la Díscorde ou de la Calomnie, et dont une composition en grand brille aujourd’hui au musée ; elle fut peinte, non pour le cabinet du cardinal de Richelieu, comme le porte la notice du musée, mals pour l’appartement du roi au Louvre, et elle a orné jusqu’en 1753 la salle des séances de l’académie royale de peinture. Malgré ces contrariétés particulières, qui ne portaient atteinte ni à son crédit ni à son caractère, il avait servi à Paris de ses bons offices les amis du chevalier del Pozzo, ainsi que le chevalier lui-même, et à Rome de sa recommandation les jeunes artistes ses compatriotes. Après avoir obtenu pour l’Histoire des médailles impériales romaines d’Angeloni (voy. ce nom) une dédicace au roi, il avait provoqué avec succès l’exécution du projet de François Ier de faire dessiner et modeler les plus beaux monuments de Rome, travail pour lequel il proposa Errard. Ce fut dans ces dispositions que Poussin, attendant tout de ses travaux et du temps, demanda un congé pour retourner mettre ordre a ses affaires et amener sa femme en France, et repartit après deux années pour Rome, avec Dughet et Lemaire, en septembre 1642. La mort du cardinal de Richelieu étant survenue au bout de quelques mois et celle de Louis XIII ayant suivi d’assez près, ainsi que la retraite de M. des Noyers, il regarda ses engagements comme rompus et ne songea plus qu’à se renfermer dans les travaux de son atelier. Cependant à la rentrée de M. des Noyers, s’il refusa de venir reprendre ses fonctions au Louvre, c’est qu’on lui proposait, dit-il, de finir seulement la grande galerie, ce qu’il pouvait faire en envoyant de Rome les modèles. On voit qu’à des conditions moins restreintes il fût revenu à Paris, où l’attachaient ses amis. Il ne cessa point de travailler pour la France, et l’on peut dire qu’il fut, par ce motif et par les conseils que Lesueur, Lebrun et Mignard reçurent de lui, le rénovateur principal de l’art sous Louis XIV ; il mérita ainsi de conserver tant qu’il vécut le titre et les honoraires de premier peintre du roi, qui lui furent assurés par ce monarque. Le jeune Lebrun avait été recommandé par M. Séguíer au Poussin, lorsque celui-ci retournait à Rome. Il le rejoignit à Lyon, l’accompagna, et jouit constamment de ses entretiens et de ses leçons. Il suivit même d’abord la manière du Poussin, au point qu’on tableau d’Hercule Coclès ayant été pris pour une composition de ce maître, auquel elle attira les félicitations des peintres romains, Poussin en fut surpris et flatté sans en être jaloux. Dans le même temps, il se plaisait à diriger de Rome, par des envois d’esquisses, les études de Lesueur, dont il avait développé le goût pour l’antique (voy. Lesueur). Il seconda aussi le zèle de M. de Chanteloup pour l’avancement de l’art en lui envoyant des copies de tableaux des grands maîtres, faites sous ses yeux par des artistes français, entre autres par Errard, Lemaire et Pierre Mignard, auquel il donnait la préférence pour la peinture des Vierges et le portrait. Indépendamment de ces expéditions, il faisait passer à son correspondant des bustes antiques, dont l’exportation était alors très-difficile. Il n’y avait rien qu’il ne fît pour servir ses amis. Il était économe de leur bourse dans ses acquisitions : il ne l’était pas moins pour les honoraires de ses propres ouvrages. Il prit seulement la moitié des cent écus donnés en payement d’un tableau du Ravissement de St-Paul, qui lui avait été demandé en 1643 par M. de Chanteloup, comme devant servir de pendant à la Vision d’Ézéchiel, par Raphaël. Une modestie égale à sa modération lui avait fait dire avant de l’entreprendre qu’il craignait que la main ne lui tremblât en travaillant à un tableau qui devait accompagner celui de Raphaël, et il suppliait, après l’avoir fini, que son cadre ne fût point placé en regard, mais qu’il servît seulement de couverture au premier. C’est néanmoins ce tableau qui, par l’expression céleste du regard de l’admiration, éclatant sur le front de l’Apôtre et n’ayant d’égal que l’air de béatitude de la Vierge dans son Assomption, a fait témoigner au chevalier del Pozzo et redire d’après lui que la France avait eu son Raphaël aussi bien que l’Italie. Le même sujet (voy. St-Paul), retracé par Poussin avec des accessoires qui annoncent un degré d’extase moins élevé, a consolé le musée de l’absence de cette première composition, dont la France s’honorait. Le génie fécond de l’artiste, comme on l’a observé, lui faisait plutôt créer de nouveau que répéter les compositions des sujets qui lui étaient redemandées. Ce fut en 1644 qu’il commença de travailler à la deuxième suite des Sept sacrements, qu’on a vue longtemps à Paris, au Palais-Royal, avec ce Ravissement de St-Paul, et qui de même que celui-cl et comme la première suite, dont M. de Chanteloup avait désiré des copies, a passé en Angleterre. Âgé alors de cinquante ans, Poussin, en ébauchant le nouveau tableau de l’Extrême-onction, dont il reste au musée une esquisse si expressive, écrivait à M. de Chanteloup qu’il se sentait en vieillissant plus animé que jamais du désir de régler ses pensées sur celles des anciens peintres grecs, et que cette scène devait être un sujet tel qu’en choisissait Apelles, qui aimait à retracer des personnes mourantes. On voit en effet combien la sensibilité du Poussin le portait à représenter ces sujets pathétiques par celui de la Mort de Germanícus, si bien pensé d’après Tacite, et par celui du Testament d’Eudamidas, peint d’une manière si touchante d’après Plutarque et Lucien, mais dont il n’existe peut-être que des gravures, si ce tableau a péri suivant une tradition ; car il ne saurait être suppléé par le tableau moderne qu’on voit au Luxembourg, où est dépeint, non Eudamidas mourant et léguant les seuls et les tendres objets qui lui restent à ses deux amis, mais Eudamidas mort et l’acceptation du legs. Quoique traités en différents temps et avec plus ou moins de simplicité ou d’étendue, ces sujets du Poussin retracent sinon la même vivacité du pinceau, du moins la même vigueur de l’âme, dont l’expression pénètre le spectateur d’un sentiment profond jusque dans des esquisses qui n’offrent aux yeux qu’un léger contour, un simple trait. Dans certaines pièces de cette collection, notamment dans le Baptême, où l’onction, non d’un vieillard mourant, mais de jeunes catéchumènes, forme un sujet bien opposé, quelques personnes, dit-il, avaient jugé trop douce sa manière, et peut-être étaient-ce celles-la mêmes qui avaient trouvé trop de fierté dans la figure du Christ dont on a parlé : il leur répond en écrivant à un ami « qu’il ne chante pas toujours sur le même ton et qu’il varie sa manière suivant les différents sujets ». Non-seulement il la variait en effet, ainsi que sa composition, mais il agrandissait et enrichissait l’une et l’autre : les deux tableaux cités de la deuxième suite en offrent un bel exemple. Le mot connu sur le tableau du Mariage, dont on a dit qu’il était difficile d’en faire un bon, même en peinture, ne convenait pas au sujet religieux du sacrement et encore moins à cette composition, où une solennité embellie par des accessoires gracieux consacre plus dévotieusement l’union virginale de Joseph et de Marie. En avançant dans sa carrière, Poussin, reporté en quelque sorte vers l’adolescence, mais avec des vues plus développées par l’observation, et qui lui faisaient varier et agrandir ses scènes, devenait moins exclusivement attaché à ce goût sévère puisé dans l’antique, mais allant quelquefois jusqu’à la dureté et à la sécheresse. On ne peut pas dire précisément qu’il changea sa manière, suivant l’expression de Reynolds, mais que, ses goûts étant moins austères, son exécution devint plus moelleuse, sa composition plus riche, et l’on y remarque, dit cet observateur philosophe, une plus grande harmonie entre les scènes et les sites, les figures et les fabriques, comme on le voit dans la collection des Sept sacrements, que le Poussin termina en 1648. Par cet heureux accord, il se préparait à étendre la sphère morale de l’histoire, en y rattachant, outre la poésie et l’allégorie, comme on l’a vu, les beautés physiques et locales de la nature et de l’art, non toutefois pour l’agrément seul et l’harmonie de la composition, mais afin de fortifier davantage et de mieux caractériser le sujet. Le Moïse sauvé des eaux, que Poussin répéta plusieurs fois, qu’il avait d’abord traité assez simplement en 1638, et qu’il orna ensuite de plus en plus par de nouvelles figures et de nouveaux accessoires, appartient à ce genre plus étendu, de même que le sujet si pittoresque du Jeune Pyrrhus sauvé. Le Moïse exposé sur les eaux, qui, relativement au paysage, offre des figures d’une petite proportion, se rapporte moins au même genre d’histoire qu’à la classe des paysages historiques dont nous parlerons. C’est à l’occasion d’un Moïse sauvé, envoyé à M. Pointel à Paris, et dans lequel M. de Chanteloup avait trouvé un charme supérieur à ceux de sa collection, que Poussin, en rendant raison à son ami de cette différence, lui parle des anciens modes des Grecs, soit graves et sérieux, soit véhéments et pathétiques, soit touchants et doux, soit gais et riants. Il tâche, dit-il, non-seulement d’exprimer, en changeant ainsi de modes, les différentes affections, suivant qu’elles conviennent à la situation des personnes, mais d’exciter ces divers sentiments dans l’âme des spectateurs, conformément à leurs dispositions. Pour mieux y parvenir, il fait plier à son sujet la nature elle-même, dans les circonstances où la vérité historique le cède à la vraisemblance des faits. C’est ainsi que, relativement à la belle composition du Frappement du rocher, envoyée à Jacques Stella (et plus riche d’invention avec un moindre nombre de figures que celle qui avait été peinte pour M. Gilliers dix ans auparavant), Poussin répond au reproche qu’on lui faisait d’avoir supposé un lit profond, creusé dans un désert sec et aride, en disant à Stella que ce phénomène est censé une suite du miracle qui a ouvert la terre en même temps que le rocher, afin qu’au lieu de se répandre çà et là l’eau pût être recueillie aisément pour le besoin de la multitude. On trouve dans cette composition, comme dans celle de la Manne, de ces actions liées par une suite de mouvements transmis d’un côté à l’autre du tableau, et formant une sorte de chaîne qui étend ou propage les effets, qui groupe, unit ou rapproche les parties les plus éloignées. Jusque dans les tableaux mêmes où le tumulte de l’action occasionne le plus le désordre des scènes, on remarque cette succession de mouvements qui, opposés ou différents, ne laissent pas de lier diversement les groupes et les figures, comme, entre autres, dans l’Enlèvement des Sabines, sujet répété deux fois, avec des circonstances de soldats armés ou non armés et des accessoires de mères ou d’enfants, dont un émule du Poussin, l’auteur du tableau des Sabines, paraît avoir profité. Mais Poussin, bien différent de son imitateur, a su peindre le nu sans l’étaler ; il a su donner la vie à ses figures, en les drapant noblement et avec décence, conformément à la condition, à l’âge et au sexe. Dans la Manne même, où il paraît retracer des statues grecques qui n’étaient pas drapées, il a suivi en les habillant les convenances sociales et historiques. Si dans quelques-uns de ses tableaux où il y a le plus de confusion et de mouvement, il a pu être blamé par Reynolds d’avoir trop divisé sa composition et dispersé sa lumière, ce qui nuit à l’effet total des lignes et à l’harmonie du clair-obscur, c’est du moins là peut-être un beau désordre ; mais c’est ce qui devient un défaut chez un imitateur dont les inventions manquent de mouvement. Le genre historique, agrandi par Poussin, lui en a fait mettre d’accord toutes les parties. Ses compositions, où les fabriques et les paysages tendent à l’effet général autant qu’à celui de la scène, présentent un grand exemple. Tels sont, entre autres, pour les sujets accompagnés de fabriques, le tableau de la Mort de Saphire et celui de la Femme adultère ; et, pour les sujets ornés de paysages, le tableau des Aveugles de Jericho et celui de ’'Rebecca. Ces divers ouvrages donnent, par l’opposition ou la gradation des expressions, un exemple plus ou moins simple des quatre modes que Poussin s’attachait à suivre. Le premier offre un sujet terrible de justice, tempéré par la pitié (voy. St-Pierre). Le second, qui contraste avec le précédent, montre un acte de bonté indulgente opposé à la malignité. Poussin, traitant avec leur caractère propre ces diverses scènes, suivant les localités et les mœurs, et se rapprochant davantage d’une nature moins circonscrite par les formes grecques de l’antique, ne méritait pas le reproche que lui fait Mengs de n’avoir pas mis dans la figure du Christ et celle des Juifs le grandiose que le sujet en lui-même ne comportait pas. Mengs, préoccupé du beau idéal, qu’il sépare trop du beau moral, a peu justement apprécié Poussin d’après ce tableau, où des tons de couleur devenus plus lourds ou plus ternes ont pu appesantir la forme ou altérer les traits de quelques figures. C’est dans le troisième tableau, exprimant par la guérison de deux aveugles un acte de puissance et de bienfaisance, que le peintre a su donner au Sauveur la dignité et la grandeur convenables, et c’est là aussi que, par des sites imposants et en rapport avec le sujet et les localités (que ce soit les environs de Jéricho ou ceux de Capharnaüm), l’idéal s’associe au vrai dans une juste mesure. L’hilarité que doit causer, à l’aspect des sites, la lumière du jour sur les aveugles est à son tour la cause du plaisir qu’éprouve le spectateur en voyant cette magnifique composition. Il appartenait à Sébastien Bourdon d’en développer les beautés naturelles, comme à Lebrun de décrire la composition de celui de la Manne. Enfin le quatrième tableau, sujet plein de grâce et de sentiment, achève de montrer que Poussin, quoiqu’il sentît ce qui lui manquait du côté de l’amabilité du pinceau et qu’il en fît l’aveu lors de l’envoi d’une grande figure de la Vierge à M. de Chanteloup, pouvait cependant déployer, dans une composition nombreuse de jeunes filles, les attitudes gracieuses, variées et naïves qu’il a développées avec tant d’expression et de vérité. Ce fut à l’occasion du tableau des Couseuses du Guide, envoyé par l’abbé Gavot au cardinal Mazarin, où la Vierge paraît assise au milieu d’un cercle de jeunes compagnes, que Pointel, charmé de ce tableau, en demanda un semblable de femmes au Poussin, qui choisit l’heureux sujet de Rebecca. L’agréable convenance des sites, des usages et des costumes, jointe aux beautés expressives qu’il a su créer sans s’asservir à l’antique, ajoutait à l’effet de ce tableau, qui, par son genre historique et le bel accessoire du paysage, dut plaire bien plus que la scène d’intérieur, simple et sans action, du Guide. Dans l’ordre de mérite comme dans l’ordre de temps, le tableau de la Femme adultère se rapporte à l’époque où le peintre pensait le plus profondément, quoique le judicieux auteur du Manuel du muséum français ait dit le contraire, car ce tableau est postérieur aux deux qui le suivent et que l’on a placés ensemble, comme les deux premiers, eu égard au caractère des sujets et à la liaison des faits. Le Poussin avait atteint l’époque où son génie, sans s’épuiser toutefois, était parvenu à sa maturité dans le genre historique proprement dit. Félibien, qui a pu alors bien mieux l’apprécier que de Piles, trop préoccupé du talent brillant de Rubens, avec lequel contraste tant le mérite sévère de notre peintre d’histoire, fit la connaissance du Poussin, non à Paris, où, bien jeune encore, il ne pouvait guère goûter les beautés réfléchies de l’art, mais à Rome, où son goût se développa dans les entretiens du Poussin ; il apprit de lui à connaître les beautés des grands maîtres qu’il voyait mises en œuvre et réunies avec des beautés nouvelles dans ses tableaux. On juge par la description étendue et sentie de celui de Rebecca, où il désigne jusqu’aux nuances des couleurs des vêtements, dont les teintes ont depuis perdu de leur vivacité, qu’il l’avait observé dans sa fraîcheur et sortant du pinceau de l’artiste. La grâce naturelle des jeunes filles, l’air de bonté et de pudeur de Rebecca firent demander des Madones au Poussin ; il a donné, en effet, à celles-ci des airs de tête analogues à ceux de ce tableau dans plusieurs de ses Ste-Famille. Ce n’est point, sans doute, la grâce vraiment vierge de Raphaël ; c’est plutôt la grâce maternelle se rapprochant de la nature dans les tableaux de ce temps et plus voisine de la sévérité antique dans les ouvrages antérieurs ; ses enfants, ses génies, sans avoir la beauté originale ou angélique de leur modèle, charment par leur tour spirituel et aimable. Mais les paysages et les sites de la Judée ou de la Syrie caractérisent ou enrichissent ces mêmes compositions. Le Repos de la Vierge en Égypte se distingue par la vue d’un temple du dieu Anubis et un cortége de prêtres portant le corps d’Osiris, tirés de la mosaïque de Palestrine ; de même qu’on remarque, dans l’un des deux paysages relatifs aux Obsèques et aux Cendres de Phocion, une procession lointaine de chevaliers, qui désigne l’époque de la mort du général athénien. Par ces tableaux, qui sont de véritables paysages, comme celui de Moise exposé sur les eaux, terminé plus tard, en 1654, et laissant douter si ce n’est pas un tableau d’histoire, on voit que le Poussin, en s’ouvrant une carrière qui est l’inverse de la première, agrandissait, élevait les scènes de la nature, comme il avait étendu, agrandi l’histoire, et devait parvenir au point où les deux genres se toucheraient et s’uniraient dans une parfaite harmonie. Sans avoir d’autres élèves que Gaspar et Jean Dughet, qui ne pouvaient guère qu’imiter ou graver ses compositions, toutes de génie, même dans l’exécution ; le Poussin, terminant tout lui-même, dut ménager l’emploi de son temps et le partager entre son travail et ses promenades, devenant pour lui de nouvelles études. Il n’admettait alors que peu d’amis dans son atelier. Félibien et le chartreux Bonaventure d’Argonne nous apprennent qu’ils étaient du petit nombre de ceux qui le voyaient peindre dans l’intervalle de ses courses. Le sujet de Polyphème appelant Galatée au son de sa flûte, dont on croit sentir le charme à la vue d’un paysage plein de fraîcheur et des faunes amoureux des nymphes qu’elle attire ; celui de Diogène, si riant et si varié, où les sites les plus naturels et les plus riches, sans art et sans apprèt, semblent justifier l’action du philosophe, qui a jeté sa tasse en voyant un jeune homme boire dans le creux de sa main ; d’autres tableaux non moins poétiques, où, rivalisant avec le Lorrain pour la couleur, le peintre put à son tour en être imíté dans l’embellissement des scènes, furent les premiers résultats de ses excursions pittoresques. « J’ai souvent admiré, dit Bonaventure d’Argonne, qui l’avait connu chez le commandeur del Pozzo, le soin qu’il prenait pour la perfection de son art. À l’âge où il était, je l’ai rencontré parmi les débris de l’ancienne Rome et quelquefois dans la campagne et sur les bords du Tibre, dessinant ce qu’il remarquait le plus à son goût. Je l’ai vu aussi qui ramassait des cailloux, de la mousse, des fleurs et d’autres objets semblables qu’il voulait peindre exactement d’après nature. Je lui demandai un jour par quelle voie il était arrivé à ce haut degré de vérité où il avait porté la peinture ; il me répondit modestement : « Je n’ai rien négligé. » Ce mot est la réfutation de ceux qui ont vu dans ses tableaux, avec Mengs, de pures esquisses, ou avec d’Argenville, des compositions plutôt idéales que prises dans l’observation de la nature. Les paysages dont nous venons de parler n’étaient pas encore les plus capitaux de ce genre, conçu, non simplement comme lié en particulier à la composition historique, mais comme moyen général d’expression, en mettant en jeu la nature entière par les phénomènes, les circonstances, les mouvements, les images, etc., pour exprimer un trait, un sujet moral ou allégorique, soit de l’histoire, soit de la fable. Mais déjà ils auraient plus que justifié ce qu’a dit Lanzi, qu’Annibal Carrache avait commencé et que le Poussin avait achevé de créer le genre du paysage, si l’on devait entendre par là que celui-ci n’eût fait que de beaux paysages historiés. Le Poussin est allé plus loin : il a composé de véritables paysages historiques. Si tous, à proprement dire, ne semblent pas l’être, il les a rendus tels par le trait poétique ou moral. Tels sont : l’Écho, ou les Effets de la frayeur, causée au loin, dans une campagne riante, par le cri d’un personnage fuyant à la vue d’un jeune homme mort, entortillé par un serpent ; — Pyrame et Thisbé, dont le sujet, que le peintre lui-même a décrit dans une lettre à Stella en 1651, est rendu si terrible par la circonstance d’un violent orage où la terre et le ciel conspirent à l’horreur de la scène ; — le sujet d’Orphée ou plutôt d’Eurydice (tableau du musée, non mentionné par Félibien ni par Bellori, mais appartenant au Poussin par le groupe principal et surtout par la composition), où l’on voit, au milieu du calme des zéphirs, au bord d’une onde paisible et parmi ses compagnes, attentives aux accents d’Orphée, Eurydice piquée par un serpent, le ciel se couvrant de nuages et la fumée des tours obscurcissant l’air ; — les Bergers de l’Arcadíe, sujet traité d’abord simplement, enrichi ensuite dans une nouvelle composition par un beau paysage dans lequel se trouve, près du fleuve Alphée, un tombeau où des jeunes gens s’arrêtent et lisent cette inscription : Et in Arcadia ego ; sujet célébré par Delille dans son quatrième chant des Jardins et l’objet d’un poëme dramatique anglais (voy. Keate). Le Poussin passait ainsi du grave au doux, de l’agréable au sévère, mêlant et faisant succéder les différents modes des anciens dans ces diverses scènes de la nature qu’il a tant multipliées, où il nous émeut, nous élève et sympathise avec nous par les impressions qu’il produit sur les sens et l’imagination. Quoique son génie, plus étendu, n’eût point perdu de sa force, et que sa santé, altérée par des travaux continuels, lui eût laissé assez de fermeté pour exécuter de grands ouvrages, il diminuait le nombre de ses excursions et se bornait souvent à des promenades sur le mont Pincio, où ses amis l’attendaient. Ses exercices étaient réglés, comme ses heures de travail, qu’il employait avec un courage toujours égal, quoique ses forces ne fussent plus les mêmes. Levé chaque jour de grand matin, il se promenait quelques heures où il jouissait, devant sa maison, de l’aspect de Rome et de ses collines ; ensuite il se mettait à peindre, sans interruption, jusqu’à midi ; après diner il travaillait encore une heure ou deux, et le soir il se rendait à ses promenades accoutumées où des artistes, des étrangers, des personnes de tout rang l’entendaient parler sur son art, sur la philosophie, sur l’histoire, avec un tel ordre, une telle raison, dit Bellori, l’un de ses auditeurs, qu’on eût cru ses discours préparés et médités. Ses entretiens étaient graves et spirituels avec les savants, nobles et pleins de franchise avec les grands, affables et ouverts avec ses amis. On y retrouvait ce sens droit, cet intérêt moral qui attache tant dans ses ouvrages ; enfin cette philosophie pratique qui lui faisait répondre à cette demande : Quel fruit le plus doux il avait recueilli de son expérience ? Celui de savoir vivre avec tout le monde. Il savait aussi s’attacher par choix et honorer le rang uni au mérite. Il avait appris en servant ceux dont il possédait l’amitié et l’estime se servir lui-même et ne point rougir de la pauvreté. On connaît sa réponse au cardinal Massimi, qui, après être resté avec lui fort avant dans la nuit, voyant l’artiste le reconduire la lampe à la main, le plaignait de n’avoir pas de laquais : « Et moi je vous plains, monseigneur, d’en avoir tant ». Mais on connaît moins l’application personnelle d’un mot ancien faite à un homme de qualité qui lui montrait un tableau de sa façon : « Qu’il ne manquait à l’auteur que d’être moins riche pour devenir un bon peintre. » Cette même philosophie, qui le rendait supérieur à la fortune, l’élevait aussi au-dessus des vanités de la science, tout en aimant les arts. Il visitait un jour des ruines avec un étranger curieux de posséder quelque rare antiquité. Le Poussin, se baissant, ramassa dans l’herbe un peu de terre et de chaux avec de petits morceaux de porphyre et de marbre, presque réduits en poussière, et en les lui donnant : « Emportez cela, seigneur, pour votre cabinet, et dites : « Voilà Rome ancienne. » Ces divers mots étaient bien de l’homme qui avait peint, dans le tableau de Phocion, une femme recueillant les cendres de ce grand capitaine ; ou dans celui de Diogène, l’action du philosophe, qui fait sentir que, là où la nature est tout, l’art devient superflu. Le Poussin était, dans ses entretiens et dans ses ouvrages, porté par le progrès de sa réflexion aux sujets graves et sérieux. Il ne laissait pas néanmoins de se conduire avec ses amis suivant leur caractère et de les traiter selon leur goût. Quoique occupé le plus souvent de paysages historiques, il revenait quelquefois au genre proprement dit de l’histoire. Il passait aussi des compositions de la Bible aux sujets mythologiques ou allégoriques. Après avoir fait pour Stella le paysage du Moïse exposé sur les eaux, dont on a parlé, il composa le Moïse enfant, foulant aux pieds la couronne de Pharaon, pour le cardinal Massiml, qui eut aussi de lui un Apollon et Daphné, resté imparfait. Le Poussin fit encore pour Stella une Naissance de Bacchus, et pour madame de Chanteloup une Fuite en Égypte, et ensuite une Samaritaine, qui fut son dernier tableau de figures dans le genre de l’histoire, comme il l’annonçait dans sa lettre d’envoi à M. de Chanteloup ; car les sujets des Quatre saisons, qui appartiennent au grand genre du paysage historique, commencés dès 1660, ne furent finis que postérieurement, en 1664. Dans l’intervalle, il paraît avoir aussi composé le tableau du Ballet de la vie humaine, tiré du Songe de Polyphile et figuré par le Plaisir et le Travail, la Richesse et la Pauvreté, dansant au son de la lyre du Temps ; sujet qui lui fut demandé par le prélat Jules Rospígliosi, depuis pape sous le nom de Clément IX. Ce fut pour le duc de Richelieu que le Poussin composa les tableaux des Saisons, qui peuvent donner principalement l’idée des quatre modes déjà retracés, le riant, le touchant, le grave et le terrible. Chacun de ces sujets fait d’une scène locale une grande conception poétique et historique. Le Printemps est figuré par Adam et Ève dans le paradis terrstre ; l’Été par l’épisode de Booz et Ruth ; l’Automne par la grappe de raisin rapportée de la terre promise ; l’Hiver, le chef d’œuvre du génie et, l’on ose dire, de la peinture, par le déluge. L’arche de Noé, portée sur les plus hautes eaux, sous la faible lueur de l’astre à demi effacé ; les eaux retombent en vagues ou prêtes à couvrir le sommet dont le serpent, emblème du mal, cherche à gagner la cime ; une faible barque entraînée par les flots où un homme, au haut de la proue, ne s’occupe pas, comme dans le Déluge du Carrache, à redresser la barque, mais, les mains levées, invoque le ciel, dont il voit la foudre sillonner l’atmosphère, action qui caractérise ce sujet religieux ; d’un autre côté la tendresse d’une mère, survivant à la catastrophe et lui faisant tendre à son mari son enfant qu’il ne peut atteindre ; enfin cette couleur sombre et uniforme qui enveloppe la scène et qui porte à l’âme une impression profonde de tristesse ; tout annonce, non simplement une scène du déluge ni une submersion commençante ou consommée, mais le déluge même s’opérant et produisant l’effet le plus grand et le plus terrible. Depuis quelques années la constitution du Poussin, quoique robuste, s’était affaiblie par le long travail qui, en exerçant chez lui la sensibilité et la réflexion, épuisait ses forces. Si la touche un peu molle qu’on a remarquée dans le Déluge, son dernier tableau, semble convenir a une nature noyée par les eaux, ce qui alors pourrait être une beauté serait partout ailleurs un défaut. Le tremblement de sa main se fait sentir dans les dessins de ce temps, dont le trait est mal assuré. Le chagrin que lui causa la mort de sa femme, qu’il perdit vers la fin de 1664, accrut son infirmité, et il marque, à ce sujet, à M. de Chanteloup, que, n’ayant plus qu’à se disposer au départ, il recommande aux bons soins de l’amitié ce qu’il laisse à ses parents d’Andely ; il ajoute que la main lui tremble tellement qu’il a peine à terminer une lettre en huit jours ; on voit que, malgré son agitation nerveuse, il était courageux et résígné. À cette époque où ses forces paralysées ne lui permettaient plus de sortir ni de peindre, il ne laissait pas d’occuper sa pensée et de méditer sur son art. Il écrivait en mars 1665 (sans doute par la main de Jean Dughet) au frère aîné de M. de Chanteloup (voy. Chambrai), qui lui avait envoyé son livre De la parfaite idée de la peinture, que cet ouvrage avait servi d’une « douce pâture à son âme affligée » ; en même temps il expose les idées que lui a fait naître la division des parties de cet art par Junius ; et il distingue neuf parties essentielles qu’il laisse à de bonnes et de savantes mains à développer, ne pouvant d’ailleurs y donner maintenant une forte attention sans se trouver mal. Le procédé d’un petit-neveu, qui vint à Rome et qui, selon Passeri, se conduisit indiscrètement envers le Poussin, dut aigrir ses peines. En les confiant a son ami, dans une lettre du 28 du même mois, il le prie de se souvenir de la prière qu’il lui a faite de le protéger après son trépas. Dès le mois de janvier 1665, il avait mandé à Félibien qu’ayant depuis quelque temps abandonné ses pinceaux, il ne pensait principalement qu’à se préparer à la mort : « J’y touche, disait-il, du corps » ; mot remarquable qui annonce que notre peintre philosophe était loin de croire que tout était fini pour lui, comme le lui fait dire le traducteur des Mémoires de madame Graham. il avait sans doute au fond de l’åme et présents à sa pensée les impressions, les sentiments qu’il a si souvent retracés dans ses sujets et qui montrent combien il était pénétré et plein des livres saints ; car on en reconnaît tout l’esprit et l’on croit lire la Bible elle-même dans ses ouvrages. Une inflammation d’entrailles, suite de la maladie nerveuse dont il était attaqué, lui laissa néanmoins toute sa force morale et sa connaissance pour dicter une dernière lettre, dans laquelle il marquait à son ami Chanteloup l’extrémité où il se trouvait ; et en effet sa mort suivit de près : comme il avait vécu en homme de bien et en sage, il mourut de même en chrétien, après avoir reçu les sacrements, le 19 novembre 1665, dans la 72e année de son âge. Son service funèbre, auquel assistèrent tous les peintres de l’académie de St-Luc, les artistes français, les amateurs des beaux-arts et plusieurs seigneurs et cardinaux, fut célébré à St-Laurent in Lucina. L’abbé Nicaise, chanoine de Dijon et ami particulier du Poussin, orna sa tombe d’une inscription ; et Bellori, son historien, y ajouta l’épitaphe en vers qui se termine par ces mots : In tabulis vivit et eloquitur. Le Poussin, par son testament, avait défendu toute cérémonie pompeuse à ses funérailles. De quinze mille écus romains, qui étaient tout le fruit de plus de quarante années de travaux, il laissait un tiers à la famille de sa femme, dont il avait reçu des services, et les deux autres tiers à une nièce d’Andely et à ce même neveu qu’il instituait son légataire universel, en recommandant, comme il l’écrivait à M. de Chanteloup, ces gens simples « pour qu’ils ne soient trompés ni volés », aux mêmes bontés que son ancien ami avait eues pour « son pauvre Poussin ». Le zèle constant de cet ami pour la mémoire de celui qu’il venait de perdre lui fit faire des recherches pour découvrir si le Poussin, qui avait eu le projet d’écrire sur la peinture, avait laissé des manuscrits à ce sujet. Jean Dughet (selon Félibien), consulté, répondit qu’il n’existait d’autre manuscrit qu’une copie du traité : De lumina et umbra du P. Matteo Zoccolini. Cependant Bellori, à la suite des Mesures de l’Antinoüs, a donné des Observations, en italien, attribuées au Poussin, sur la peinture, qui étaient, dit-il, conservées dans la bibliothèque du cardinal Massími et qu’a traduites en français M. Gault de St-Germain. Mais ces observations se bornent à de vagues généralités sur l’ordre, le mode, etc., et rappellent à peine quelqu’une des neuf parties qu’énonçait le Poussin, dans sa lettre à M. Chambrai de Chanteloup, comme essentielles à la peinture, savoir (après le choix d’une matière noble et capable de recevoir une excellente forme) : la disposition, l’ornement, la convenance, la beauté, la grâce, l’expression, le costume, la vraisemblance et le jugement partout. Les lettres fréquemment rapportées dans le cours de cet article annoncent pu moins l’existence d’une longue correspondance du Poussin avec M. de Chanteloup. Quoique en général elle soit restée inédite, elle était connue en assez grande partie par les citations (qui, à la vérité, ne sont pas toujours textuelles) de Félibien et d’autres biographes. Les lettres originales étaient conservées dans la maison de M. de Favry, le petit-neveu de M. de Chanteloup ; on ne sait ce qu’elles sont devenues depuis l’époque de 1796. La bibliothèque de Dufourny en possédait d’anciennes copies manuscrites, au nombre de cent quarante-sept. L’auteur de cet article a profité de quelques renseignements utiles à son objet, qu’une communication rapide avait pu lui procurer ; mais il n’a pas cru devoir faire usage de détails d’affaires ou d’art qui sortaient du plan ou des limites d’une notice. D’autres lettres du Poussin, mais en italien, au chevalier del Pozzo, imprimées dans les Lettere pittoriche, étaient possédées en original par Dufourny. M. Castellan les soupçonnait écrites presque toutes de la main du Guaspre, sauf quelques lettres autographes ou mêlées de l’écriture de Poussin ; cette conjecture se trouve confirmée par le caractère analogue de la copie manuscrite du Traité de peinture de Léonard de Vinci, accompagnée de dessins faits pour ce traité par le Poussin et donnée à M. Chambrai de Chanteloup, qui en a publié une version française en 1651[3]. C’est encore au zèle et aux instances du frère de M. de Chambrai que la France doit le Portrait original, où ce grand artiste s’est peint lui-même et où il paraît revivre au musée comme dans ses lettres et dans ses principaux ouvrages. Ce portrait, qu’il offrit comme une marque de dévouement à son ami avec des emblèmes symboliques, fut répété par lui avec des accessoires différents pour son autre ami de France, M. Pointel, « afin de ne pas faire, dit-il, de jaloux ». On croit qu’il fit un troisième portrait pour un ami de Rome et qui était conservé dans la famille des Rospigliosi. Le premier, où il s’est représenté méditant avant de peindre, a été gravé dans plusieurs dimensions par J. Pesne, l’artiste dont on a le plus de gravures de ce maître et qui a rendu le mieux l’esprit de ses compositions dans celles où une exécution agréable convient moins qu’un style sévère. Un portrait où le Poussin est retracé le crayon à la main a été lithographié par Vigneron en 1821, et un autre par Langlumé en 1822. Le principal mérite du Poussin consistant dans la composition et l’expression, ses tableaux sont ceux qui perdent le moins à la gravure : aussi ont-ils été reproduits le plus souvent et avec succès par ceux des artistes qui ont réuni une pointe ferme ou un burin pur à la précision du dessin : tels ont été, entre autres, Jean Dughet, Claudine Stella, les Audran, les Poilli, les Picart, Gantrel, Baudet ; et tels sont, de nos jours, Bartolozzi, Strange, Volpato et Morghen, les Laurent, Blot et Desnoyers. Les premiers surtout sont, après Pesne, ceux qui ont gravé le plus de pièces du Poussin. Voyez, en particulier et pour les détails, le Manuel des amateurs, par Huber et Rost ; et l’Œuvre de ce maître, par Landon, 1811, 4 vol. in-4o, contenant (indépendamment de la gravure au trait de 239 pièces qu’il donne d’après le cabinet du roi et quelques cabinets particuliers ou étrangers), l’indication de celles qui avaient été gravées par un ou plusieurs artistes ou qui étaient restées inédites. Depuis 1811, où a été publiée cette Œuvre dite complète, mais qui n’a pu l’être que relativement aux gravures, plusieurs tableaux ont été gravés de nouveau ou pour la première fois avec un nom connu. D’autres tableaux que l’on ne connaissait pas ont été annoncés et même avec gravures ; d’autres ont paru au musée et ailleurs où ils n’existaient pas ; d’autres enfin ont subi de nouveaux déplacements et passé dans des pays étrangers. Nous allons désigner les lieux principaux où les tableaux du Poussin, en plus grand nombre, se trouvent réunis ou ont été transportés par suite de la révolution française. Nous indiquerons ensuite les descriptions et les écrits les plus remarquables qui ont contribué, avec la reproduction des gravures, à faire connaître de plus en plus le caractère et l’esprit de ses ouvrages et à préparer ainsi la nouvelle renaissance de l’art, ramené, par une raison plus développée, à l’étude du grand et du beau moral dans les compositions du Poussin. 1. En France. À Paris. Depuis l’exportation des tableaux de l’ancienne galerie d’Orléans et la dispersion de ceux de l’hôtel de Toulouse, des cabinets de Crozat, de Blondel de Gagny, de Dufourny, etc., la collection principale et presque la seule est celle du musée du Louvre, dont la notice mentionne trente-trois tableaux, la plupart de l’histoire sainte et du premier ordre, notamment le Déluge ; ils ont été caractérisés dans le courant de cet article. Les dessins sont au nombre de vingt-deux et offrent, entre autres, de premières pensées de sujets tirés de la Bible. Au musée du Luxembourg était, en 1803, une Adoration des mages, celle qui a été gravée par Morghen pour le Musée français. Au cabinet de M. Renouard, libraire et amateur, les dessins accompagnant la copie ancienne du Traité de peinture de Léonard de Vinci, qui paraît avoir été écrite par le Guaspre (voy. le Catalogue de la bibliothèque d’un amateur, t. 1, p. 320). — À Versailles, dans la galerie, était Mars et Rhéa. — À Évreux est le Coriolan, que Walckenaer témoigne avoir vu à la préfecture et qui provenait du cabinet du marquis d’Hauterive. — À Vaux-le-Vicomte, dans la maison de plaisance de Fouquet, étaient conservées des figures de Termes, modelées par le Poussin. — En Italie. À Rome. Au Vatican : le Martyre de St-Érasme, d’abord au palais de Monte-Cavallo, puis transporté au musée de Paris, ensuite rendu en 1815. Une copie de la Noce aldobrandine, la même peut-être que celle qui se voyait chez M. Sage à Paris en 1808. Au palais Barberini, la Mort de Germanicus ; un Triomphe de Bacchus et d’Ariane, non terminé. Au Capitole, un Triomphe ou Empire de Flore. Au palais Colonna, l’Ange dictant l’Évangile à St-Matthieu ; un Apollon et Daphné changée en laurier ; plusieurs paysages peints à fresque. Au palais Corsini, le Sacrifice de Noé, dont la première pensée est au musée de Paris. Au palais Doria, une copie de la Noce aldobrandine et la Naissance d’Adonis. Au palais Rospigliosi était le Ballet de la vie humaine, qui fit ensuite partie de la collection du cardinal Fesch ; un Portrait du Poussin. Au cabinet Albani, le dessin d’une Minerve, se couvrant la tête de son égide pour ne pas voir le meurtre des enfants de Médée. À la bibliothèque du cardinal Massimi, les dessins originaux du poème d’Adonis. Au palais Justiniani étaient un Repos en Égypte et le Massacre des Innocents, plus tard dans la collection de Lucien Bonaparte. — À Naples, au palais Torre, une Ste-Famille avec des anges, gravée au lavis par St-Non. — À Venise, au palais Manfredini, le Temps protégeant la Vérité, sujet semblable à celui du musée de Paris ; une Danse des Saisons, sujet analogue au Ballet de la vie humaine. — À Florence, dans la Galerie, Thésée découvrant le secret de sa naissance. — À Bologne, au palais Zambeccari, le Martyre de St-Laurent, dont la composition contraste avec celle du Martyre de St-Erasme, qui était commandée par sa destination. — À Milan, dans la collection de la comtesse Pino, le Moïse défendant les filles de Jethro, gravé par Anderloni. — En Angleterre. À la galerie du collège de Dulwich, le Triomphe de David, provenant de la collection du cardinal Casanata ; l’Adoration des mages, peinte pour M. de Mauroy et gravée par Picault ; une Assomption de la Vierge et une Éducation de Bacchus, autres que celles du musée de Paris ; Jupiter et Antiope ; Vénus et Mercure ; Renaud et Armide armée d’un poignard ; l’Inspiration d’Apollon, approchant une coupe des lèvres d’un poète ; l’Horatius Coclès, attribué au Poussin. — Collections particulières : Tancrède et Herminie, du cabinet de Thornill ; Vénus et Adonis, de celui de Reynolds, gravé par Earlom ; une Ste-Famille avec des anges, chez lord Grosvenor, de la collection du marquis de Lansdown, gravée par Bartolozzi ; les Bergers d’Arcadie, gravés par Ravenet, chez le duc de Devonshire ; un Triomphe de Bacchus et d’Ariane, chez lord Ahsburnham ; Persée et la tête de Méduse, appartenant à lord Gwydir ; la Peste d’Athènes (celle probablement qui était à Rome, selon Cambry), ensuite chez M. Hope. La Continence de Scipion, originairement de la collection de Morville, est à Strawberry-Hill, où est aussi un buste de la femme du Poussin, par Duquesnoy. À la galerie du marquis de Statford, un Moïse foulant au pieds la couronne de Pharaon, un Frappement du rocher, gravés par Baudet, et les Sept sacrements, peints pour M. de Chanteloup, gravés par B. Audran, Pesne, Dughet, etc. ; le tout provenant de la galerie d’Orléans. À la galerie du duc de Rutland, les Sept sacrements (dont l’un a été malheureusement incendié), peints pour le commandeur del Pozzo, gravés par Dughet et Châtillon, provenant de la collection de Bocca Paduli à Rome, où l’auteur de cet article les a vus encore en 1791. — 2. Outre les estampes, évaluées à environ trois cents pièces, dont les exemplaires se trouvent partout et qui peuvent suppléer, pour la composition, à la vue des tableaux rassemblés séparément dans les diverses contrées ci-dessus désignées, il existe un assez grand nombre de descriptions faites avec intérêt et des remarques publiées par les biographes contemporains ou par des maîtres de l’art et des amateurs distingués concernant beaucoup de tableaux du Poussin, dont nous n’avons pu qu’indiquer les principaux traits. Les biographes ou écrivains du temps qui ont le mieux fait connaître l’esprit des ouvrages comme le caractère de ce grand maître, deux qualités que nous ne séparons point, sont : 1o Bellori, Vite de’ Pittori, Scultori, etc., Rome, 1672, in-4o, avec un portrait du Poussin, en tête de sa Vie, gravé par Clouet, et ses Mesures de la statue d’Antinoüs, figurée et vue de face et de profil. Il a décrit succinctement la suite des Sept sacrements, du chevalier del Pozzo ; mais très au long et avec des détails qu’on croirait donnés sous la dictée de l’auteur le tableau de l’Extrême-Onction, de la collection de M. de Chanteloup : il a développé de même le sujet, différemment composé, du Frappement du rocher, pour Gillier et pour Stella, ainsi que la Peste des Philistins. Il a moins détaillé une trentaine d’autres sujets soit historiques, soit surtout allégoriques ou mythologiques. — 2o Baldinucci, Noticie de’ Professori del disegno, Florence, 1728, in-4o (2e tome). Ce n’est guère qu’un abrégé biographique de Bellori avec quelques réflexions. — 3o Passeri, Vite dei Pittori, etc., Rome, 1772, in-4o, édition de Bottari. L’auteur donne quelques anecdotes qui ne se trouvent pas chez les autres biographes contemporains. Il a bien décrit le tableau de la Cène de St-Germain. Dufourny avait un exemplaire manuscrit ancien de Passeri, plus ample que l’imprimé et avec des notes de Mariette. — 4o Félibien, Entretiens sur les vies des peintres, etc., Paris, 1669, 1685, 2 vol. in-4o. Il s’est attaché à donner, en suivant l’ordre chronologique des productions, l’histoire pittoresque du Poussin, mais dans un style qui est sans couleur et dont la prolixité affaiblit l’intérêt. Il fait une ample description non-seulement du tableau de Rebecca, mais de ceux de la Manne et des Aveugles de Jericho, sur lesquels il a publié les Remarques de Lebrun et celles de Sébastien Bourdon, ainsi que le jugement porté dans les conférences de l’académie royale de peinture en 1667. — 5o De Piles, Abrégé de la vie des peintres, Paris, 1699, in-12. Les principes généralement assez purs de l’auteur, puisés dans les préceptes de son ami Dufresnoi, sont plus solides que ses jugements, dont la partialité à l’égard du Poussin doit être attribuée à sa prévention pour les écoles vénitienne et flamande. — 6o Charles Perrault, Éloges des hommes illustres du 17e siècle, Paris, 1696, in-fol. L’auteur s’est borné à un historique court et précis ; mais le portrait mis en tête de l’éloge du Poussin a été jugé avec raison fort peu ressemblant, quoique l’on eût déjà des gravures de Pesne, faites d’après le portrait vivant du peintre, suivant l’expression de Bonaventure d’Argonne. — 7o Fénelon, deux Dialogues sur la peinture, à la suite de la Vie de Mignard, par de Monville, Amsterdam, 1731, in-12 ; l’un, entre Parrhasius et le Poussin, offre une peinture descriptive du tableau de Phocion dont le corps est porté hors de la ville d’Athènes par deux esclaves ; l’autre, entre Léonard de Vinci et le Poussin, celle des Effets de la frayeur à la vue d’un homme qui fuit un serpent. — 8o On trouve dans le recueil des Œuvres imprimées d’Abraham Bosse des Remarques sur le Poussin, sur les proportions, le caractère et le costume qu’il a observés. M. Gaul en a donné un fragment intéressant. — Parmi les ouvrages plus modernes des écrivains, soit étrangers, soit français, qui ont publié des observations générales ou particulières et des éloges ou des notices plus ou moins historiques, nous citerons : Storia pittorica della Italia, par Lanzi, Bassano, 1796. Le Poussin, qui, par son long séjour en Italie et par les sites et les fabriques de ses paysages, était, en quelque sorte, naturalisé italien, est apgrécié dans cet ouvrage comme un parfait modèle à suivre pour les études à Rome. — Lectures ou Leçons de Fuesli, 4e et 5e, concernant le Moïse exposé sur les eaux, la Peste des Philistins, le Testament d’Eudamidos et le Coriolan. — Œuvres de Reynolds, traduites de l’anglais, Paris, 1806, in-8o. Son cinquième discours caractérise le génie de l’antique chez le Poussin et l’esprit de ses compositions historiques et mythologiques. — Mémoires sur la vie du Poussin, par Maria Graham, traduits de l’anglais, Paris, 1821, in-8o. On trouve recueillis dans ces mémoires ou mélanges, sans beaucoup d’ordre, plusieurs anecdotes de Passeri, plusieurs lettres du Poussin que ne donne point Félibien, des indications de tableaux peu connus, des observations extraites de divers auteurs et mêlées de vérité et de partialité : les Dialogues sur les deux tableaux déjà cités y sont reproduits. — Histoire abrégée des peintres espagnols, comprenant les œuvres des étrangers qui se trouvent en Espagne, traduite de Palomino Velasco, Paris, 1749, in-12. L’article du Poussin est fait avec concision pour la partie biographique, mais non sans prévention pour ce qui concerne la peinture. On y indique à Notre-Dame del Pilar de Saragosse une Vierge apparaissant à St-Jacques, que don Antonio de Ponz n’y a point vue. L’auteur a peut-être pris le lieu de l’apparition de la Vierge pour le lieu du tableau, dont un seul est connu au musée de Paris. — Abrégé de la vie de quelques peintres célèbres, par d’Argenville, 1745, in-4o ; 1762, in-8o. Les jugements de de Piles paraissent avoir influé sur ceux de l’auteur comme l’école de le Moine sur son goût, dans ce qu’il dit des maîtres et du chef principal de l’école française ancienne. — Extraits d’ouvrages publiés sur la vie des peintres (par Papillon de la Ferté), avec l’épigraphe tumulaire, ci-devant rapportée, de Bellori, Paris, 1776, in-8o. L’extrait relatif au Poussin est judicieux et impartial. Il désigne quarante-trois tableaux de ce maître que possédait alors le cabinet du roi : c’est dix de plus qu’aujourd’hui ; mais huit grands paysages entre autres, qu’on y comptait, en ont disparu. — Essai sur la vie et les tableaux du Poussin, Rome (Paris), 1783 ; 2e édit., an 7, avec le nom de l’auteur, Cambry, et suivie de notes. Cet essai contient un historique succinct et des descriptions rapides, mais où l’enthousiasme n’exclut pas la réflexion, ni même la discussion. — Éloge de Nicolas Poussin, qui a remporté le prix de l’académie de Rouen, par Nicolas Guibal, Paris, de l’imprimerie royale, 1783, in-8o. L’auteur y loue, ou plutôt célèbre d’un style animé le peintre poète et philosophe dans le Poussin, quoique son ami Mengs eût été préconisé sous le dernier de ces titres. L’éloge est suivi de quelques notes biographiques et littéraires. — Éloge de Nicolas Poussin, par Nicolas Ruault, qui a remporté le prix de la société des sciences et arts d’Évreux, Paris, 1809, in-8o. Dans cet éloge historique, accompagné de notes, plusieurs tableaux du musée du Louvre et d’autres compositions sont sagement appréciés par l’auteur. La similitude du nom lui a ait confondre M. de Chanteloup, le correspondant intime du Poussin, avec son frère Chambrai de Chanteloup. En parlant des peintres qui ont pris le Poussin pour modèle et ramené ainsi la peinture à l’étude de l’antique, si négligée en France depuis plus d’un demi-siècle par les successeurs de le Moine, il nomme Taillasson comme le seul des peintres vivants qui ait suivi la manière du Poussin ; il oublie Peyron, qui vivait alors (voy. ce nom) et qui a enfin ouvert les yeux à David, quoique celui-ci eût pu voir les anciennes gravures si multipliées du Poussin. — Manuel du Muséum français (par F.-E. de Toulongeon), Paris, Treuttel et Würtz, an 10 (1802). Le no 1, le seul qui ait paru, contient une analyse raisonnée et sentie des beautés qui tiennent surtout à l’expression et à la pensée dans l’œuvre du Poussin, dont il décrit dix-neuf tableaux. — Observations sur quelques grands peintres, Paris, 1807, par Taillasson, qui, dans ses Remarques sur les tableaux d’histoire et les paysages historiques du Poussin, dit que les premiers, fussent-ils détruits, les seconds suffiraient pour placer leur auteur au rang des plus grands peintres. — Vie du Poussin, considéré comme chef de l’école française, suivie de notes sur sa vie et ses ouvrages, de mesures sur la statue d’Antinoüs, etc., Paris, Didot l’ainé, 1806, grand in-8o, par M. Gault de St-Germain, avec dix-neuf gravures de sujets la plupart du musée. Ces notes ont plus le caractère historique que la vie elle-même, écrite dans un style souvent oratoire et même poétique. Elles contiennent quelques extraits curieux, entre autres un fragment alors inédit d’un manuscrit de Claude Nivelon, concernant les relations d’amitié et d’estime du Poussin et de Lebrun, qui ne cessa de témoigner l’obligation qu’il avait au premier d’avoir affermi ses pas dans la carrière de la peinture. — Vie du Poussin, en tête de son Œuvre, par H. Castellan, 1811. Dans cette vie, écrite avec réflexion et sentiment, l’auteur suit en partie l’historique de Bellori pour ce qui conceme la vie du Poussin à Rome ; et il fait des remarques et des notes judicieuses sur ses tableaux, ses dessins et ses lettres. Il a consigné dans une de ces notes, au sujet de la statue de ce grand peintre, ordonnée par le gouvernement français, la pensée du statuaire Julien, qui a supposé le Poussin au moment où, frappé du trait sublime du testament d’Eudamidas, il sort du lit, s’entoure de son manteau et trace sur une tablette l’esquisse de sa composition. Pour compléter cet article, nous ajouterons qu’un buste en l’honneur du Poussin avait déjà été exécuté en 1782 par Segla, l’un des artistes pensionnaires de l’Académie de France, et aux frais d’un zélé amateur français, M. Seroux d’Agincourt. D’après la lettre adressée par lui en 1813 à M. Castellan, sur les recherches concernant la sépulture du Poussin, sa simple tombe, qui attendait, dit Bellori, un plus digne monument et qui existait encore avec épitaphe en 1740, ne se trouvait plus en 1781. M. d’Agincourt était parvenu à se procurer au moins son extrait mortuaire, portant : Nicolò figio di Giov. Poussin dell’ diocesi d’Andely in Normandia, marito della signora Anna Romana,, mori in età di 72 anni, etc. Le monument qu’il avait obtenu de faire élever à la mémoire du célèbre peintre français devait porter l’inscription Pictorí philosophi : mais celui de Mengs avait déjà reçu ce titre, et la simple épigraphe mise au premier : Pictori Gallo, n’honore pas moins le buste du Poussin, placé à côté de Raphaël au Panthéon de Rome, qui est devenu à la fois un temple chrétien et un sanctuaire des grands hommes. On doit encore rappeler la cérémonie qui a eu lieu le 15 juin 1851 aux Andelys pour l’inauguration de la statue du Poussin par Brion, et les travaux suivants : De divers tableaux du Poussin qui sont en Angleterre et particulièrement de l’inspiration du poëte, par Victor Cousin, Paris, 1853, in-8o (extrait des Archives de l’art français) ; enfin le Poussin, sa vie et au œuvre, par H. Bouchitté (Paris, 1858), in-8o, ouvrage couronné par l’Institut.

G-ce.

  1. Les actes de juin 1594 manquent dans les registres civils de la ville des Andelys.
  2. Jean Lemaire, né à Dammartin en 1697, étudia sous Claude Vignon et alla en 1618 à Rome, où il se distingua par de grands ouvrages à fresque. Revenu à Paris en 1628, il peignit à Bagnolet, mais principalement à Ruel, chez le cardinal de Richelieu, des tableaux de perspective des plus surprenants. De retour à Rome, il y travailla sous la direction du Poussin, avec d’autres artistes français, à des copies de tableaux de la galerie Farnèse pour M. de Chanteloup. Il revint ensuite à Paris, où, étant logé en qualité de peintre du roi dans un des pavillons des Tuileries, un incendie consuma ses effets ; il se retira et mourut à Gaillon en 1659.
  3. On connaît plusieurs manuscrits de la traduction du traité ds Léonard de Vinci, avec des dessins attribués à Poussin. Un fut adjugé en 1816, à Londres, à la vente des livres du libraire Edward, au prix élevé de cent-deux livres sterling ; M. Renouard en possédait un autre, à l’égard duquel il entra dans des détails circonstanciés (Catalogue de la bibliothèque d’un amateur, t. Ier. p. 320 ; les dessins joints à ce manuscrit étaient beaux, toutefois il pouvait y avoir quelques doutes sur leur authenticité ; aussi, mis aux enchères en 1864, le volume n’a pas dépassé trois cents francs. Un libraire de Bruxelles, M. Heussner, avait trouvé un autre manuscrit semblable ; les dessins sont souvent des calques adroitement exécutés. Consulter les Recherches sur les artistes provinciaux, par M. de Chennevières, t. 8, p. 166.