Biographies de l’honorable Barthélemi Joliette et de M le Grand vicaire A Manseau/Chapitre XXIX

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XXIX.

Madame Joliette.


Nous devons ajouter à l’honneur et à la juste louange de sa noble épouse qu’elle ne lui en cédait guère, sous ce rapport. Digne héritière de la noblesse d’origine et de sentiment, de la charité proverbiale de la famille de Lanaudière, jamais on ne vit son cœur et sa bourse fermés devant l’infortune ou la misère.

Type de la femme forte et accomplie, on la voyait dès l’aurore, occupée aux soins de sa maison qu’elle dirigeait à la tête de ses servantes. Un pauvre frappait-il à la porte du manoir ? Elle-même allait s’informer et du motif de sa visite et des détails de son indigence. Elle s’affligeait avec lui, au récit de son malheur ou de ses privations. Là ne s’arrêtait pas sa sympathie et sa charité ; car, après l’avoir fait manger en le servant elle-même, elle ne manquait pas de le gratifier encore d’une abondante aumône.

Un jour c’était en l’absence de son époux. La seigneuresse assiégée par un certain nombre de mendiants, n’avait su résister à l’entraînement de son bon cœur : d’une aumône à l’autre elle avait donné jusqu’à quatorze minots de blé ! À la fin de la journée, réfléchissant qu’elle avait peut-être plus consulté sa générosité que sa discrétion, elle craignait de recevoir des reproches à cause d’une pareille prodigalité. Son inquiétude était assez vive. Pour prévenir la réprimande, elle avait chargé un ami d’avertir son époux de ce qui était arrivé.

En apprenant cette conduite, celui-ci vint la trouver, et la félicitant sur sa bonne action : « fais à l’avenir, lui dit-il, selon que te le conseillera ton cœur généreux, tout ceci t’appartient, ajouta-t-il, en lui désignant du geste, le manoir et les environs. » Digne et noble réponse, qui entoure de la même gloire, et la charité de l’épouse et la grandeur d’âme de l’époux.

Dans une autre circonstance, madame Joliette, dont l’œil vigilant surveillait tout, s’était transportée auprès du vaste four, d’où l’on retirait en ce moment le pain qui devait nourrir sa nombreuse famille de serviteurs. Sur ses pas, comme d’habitude, les pauvres étaient accourus demandant l’aumône. Émue jusqu’aux larmes à la vue des haillons qui les couvraient, de la misère peinte sur leur figure, la noble dame leur distribua toute la fournée de pain. Les mendiants s’en retournèrent en bénissant son nom et celui de son époux, tandis qu’en souriant, elle donnait des ordres pour une nouvelle fournée.