Biographies des principaux astronomes/Ebn-Jounis

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Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciencesGide3 (p. 167-169).


EBN-JOUNIS


Ebn-Jounis (Aboul Hassan Ali ben Abderrahman ben Ahmed ben Jounis ben Abdalaala ben Mousa ben Maisara ben Hafes ben Hyan), né en Égypte vers le milieu du xe siècle de notre ère, appartenait à une ancienne famille originaire de l’Yemen. Un de ses ancêtres, jurisconsulte habile, s’était distingué dans la science des traditions, parties importante du droit civil et religieux des Musulmans ; son père, Abou Saïd Abderrahman avait écrit une histoire de l’Égypte ; lui-même, enfin, avait reçu une éducation brillante, et montré qu’on pouvait être la fois musicien, poète et mathématicien.

Les fathimites venaient de s’emparer de l’Égypte, et Moez Ledinillah fondait le califat du Caire, au moment où l’empire des Arabes se trouvait exposé aux plus terribles bouleversements ; Ebn-Jounis, qui avait voyagé dans l’Irak et puisé à l’école d’Aboul-Wéfâ le goût de l’astronomie, trouva dans le oalife Aziz, successeur de Moez Ledinillah (975-996), un protecteur bienveillant, qui lui fournit les moyens de faire de nombreuses observations. Ces observations remplissent une période de trente ans, de 977 à 1007. Commencées sous Aziz, elles se continuèrent pendant les onze premières années du règne de Hakem, et portèrent sur des éclipses de Soleil et de Lune, sur des conjonctions de planètes et d’étoiles, etc. Ebn-Jounis observait dans le grand Cavafa, au-dessus d’une mosquée appelée pour cette raison la Mosquée de l’Observatoire ; plus tard Hakem, si connu par ses extravagances, mais heureusement très-zélé pour l’astronomie, fit construire un observatoire sur le mont Mocaltam, à l’orient du Caire, et il s’y rendait souvent pour y étudier la sphère céleste : on sait que ce calife est le chef de la religion de Druses.

Ebn-Jounis, qui avait entrepris la rédaction d’un Traité fort étendu, ne le termina que sous le règne de Hakem, et le lui dédia. Ce Traité, appelé Table Hakémite, formait quatre volumes ; nous n’en possédons que des fragments, mais on peut juger du mérite de l’ouvrage par les chapitres que MM. Deshaulerayes, Caussin et Sédillot ont successivement traduits. Indépendamment de ses propres observations, Ebn-Jounis en donne plusieurs qui remontent au règne d’Al-Mamoun et qui remplissent un intervalle de plus de cent cinquante ans. On trouve également dans son livre un grand nombre de pratiques et de règles qui rapprochent la trigonométrie arabe de celle des modernes, l’emploi des tangentes et des sécantes, déjà proposées par Aboul-Wéfâ, comme moyens subsidiaires en certains cas compliqués ; des artifices de calcul qui n’ont été imaginés en Europe que dans la première moitié du xviiie siècle. Nous devons aussi à Ebn-Jounis l’emploi du gnomon à trou et d’importantes corrections apportées aux Tables grecques. Aussi son Traité remplaça-t-il dans tout l’Orient l’Almageste de Ptolémée. On voit les Tables luni-solaires d’Ebn-Jounis reproduites 1° chez les Persans, dans les Tables gélaléennes d’Omer Keyam, qui déterminent la véritable longueur de l’année tropique en 1079 ; 2° chez les Grecs, dans la Syntaxe de Chrysococca ; 3° chez les conquérants mongols, dans les Tables Ilkhaniennes de Nassir Eddin Thousi ; 4° chez les Chinois, dans l’Astronomie de Co-Chéou-King. L’influence de l’école scientifique du Caire devait se répandre aussi du côté de l’Occident et imprimer une activité nouvelle aux savants du Magreb et de l’Espagne.

Ebn-Jounis était fort distrait, et il amusait le calife Hakem par ses singularités. Sous un règne tyrannique, où une parole équivoque était souvent punie par un horrible supplice, il dut à une originalité de manières peut-être affectée, de pouvoir terminer un monument qui devait immortaliser sa mémoire. Le célèbre mathématicien Hassan ben Hailtrem (Alhazen) son contemporain, simulait de son côté la folie pour ne pas exciter la défiance ombrageuse d’un maître inflexible. Ebn-Jounis mourut au Caire en 1008.