Blanqui - Critique sociale, I/Economistes/Bastiat

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Félix Alcan (1p. 221-238).

I

BASTIAT


Bastiat, le premier à peu près des économistes, entre en ligne contre l’idée socialiste. Ses confrères suivent la même marche que lui dans l’attaque et la défense. Tous essaient de remonter aux premiers exemples du prêt à intérêt et procèdent par historiettes démonstratives, par petits romans économiques où se montrent les rudiments du mécanisme capitaliste. Fausseté et ridicule de ces anecdotes qui mêlent les temps, les idées, et ne mettent en avant que des suppositions dénuées de sens, des hypothèses inadmissibles et absurdes.

Tous les anciens économistes ont laissé de côté la question de légitimité de la rente. Cette question est récente et ne date guère, pour le public, que de l’année 1848.

Bastiat s’en est emparé et en a fait le texte de ses polémiques contre Proudhon, le joûteur socialiste de l’époque. Les arguments de ses confrères ne diffèrent pas des siens, quelle qu’en soit la forme. On peut donc, sur ce chapitre de l’intérêt, réfuter dans la personne de Bastiat toute l’économie politique.

Du reste, la forme de l’apologue, qu’il emploie pour démontrer la légitimité de l’usure, à été usitée aussi par d’autres. Ils sen servent avec assurance, on peut dire avec présomption. Ils semblent se croire irréfutables et traitent leurs adversaires avec des façons de grands seigneurs envers la roture. Bastiat notamment se pose avec une outrecuidance assez risible. Il craint, dans son argumentation, qu’on ne l’accuse d’enfoncer des portes ouvertes, tant il se trouve foudroyant.


LE RABOT DE JACQUES

« Jacques échange d’abord son rabot contre de l’argent, Il prête l’argent à Guillaume, et Guillaume échange l’argent contre une scie. La transaction s’est décomposée en deux facteurs. Mais elle n’a pas pour cela changé de nature. Elle ne contient pas moins tous les éléments du prêt direct. » (Bastiat, tome V, page 54.)

Là est le sophisme et le mensonge. Le numéraire cesse d’être ce qu’il doit être, un simple instrument d’échange. Il quitte ce rôle bienfesant pour en prendre un nuisible. D’ami il se fait ennemi ; de bienfait, fléau. D’auxiliaire il devient obstacle ; d’assistance, entrave. Cette métamorphose s’opère dans son passage par les mains de Jacques, qui se sert de l’écu qu’il tient pour rançonner son voisin. Car, il ne l’échange pas au pair contre un produit de valeur égale, comme on avait fait pour lui en remplaçant son produit par l’écu. Il obtient, au bout de l’an, soit le produit de Guillaume de valeur égale au sien, avec un boni, un surplus, soit la même somme de numéraire, avec un excédent d’un vingtième. Son devoir était d’acheter, avec son écu, un produit égal en valeur à celui qu’il avait vendu lui-même, un écu. Il a retenu méchamment le numéraire qu’il devait rendre à la circulation par l’opération complémentaire de l’échange, savoir le troc de l’écu contre un produit de valeur égale au premier. S’il ne voulait pas procéder immédiatement à ce troc, libre à lui de choisir son heure, pourvu qu’il remplit la condition loyale et juste de l’échange, la parité entre les deux valeurs échangées par l’intermédiaire de l’écu.

Quant au prétendu service du prêt, service méritant rémunération, c’est une hypocrisie. Si Jacques avait besoin de son outil, il devait s’en servir. Apparemment il ne s’est pas croisé les bras pendant l’année où son rabot était entre les mains de Guillaume. S’il avait prêté son rabot, c’est qu’il pouvait s’en passer. Dire qu’il a fait un sacrifice, qu’il s’est privé d’un objet utile pour son voisin, c’est tartuferie pure. Il a travaillé pendant l’année du prêt, et perçu le prix de son produit. Il n’a aucun droit sur le produit de Guillaume. Que Guillaume ait fait usage ou non du rabot, il suit qu’il le rende à Guillaume tel qu’il l’a reçu. Il ne doit rien en sus.

« Mais pourquoi prêterais-je », dit Jacques, Sil ne doit rien me revenir du service que je rends ? Je refuserai alors. »

Refusez, si cela vous convient. Mais vous ne pouvez pas échapper à ce dilemme : Ou vous avez besoin de votre rabot, ou il ne vous est pas indispensable. S’il vous est dommageable de vous en dessaisir, gardez-le et usez-en. S’il ne vous est pas indispensable, si vous pouvez faire autre chose sans perte pour vous, exiger, pour compensation d’un service qui ne vous coûte rien, un vingtième du prix de votre rabot, outre le rabot neuf, c’est tout simplement une escroquerie.

Ajoutons la question préalable à ces arguments. La question préalable, c’est que l’historiette est une niaiserie, un non-sens, une arlequinade, Jamais il ne s’est passé et n’a pu se passer d’aventure de ce genre, dans les conditions ridicules dont on l’environne, Toutes ces hypothèses sont dénuées de sens, étrangères à la vie réelle et n’ont aucune valeur comme exemple à citer. Qui a jamais vu un ouvrier emprunter un rabot, une scie, pour un an, avec un marché solennel pour la restitution en parfait état, plus un boni ? Les ouvriers se prêtent des outils, non pour un an, mais pour quelques jours, et ne stipulent aucune condition, pas mème celle de rendre l’outil en bon état.


LE MENUISIER DE BASTIAT


« Si ce marché, profitable aux deux parties, est librement consenti, qui osera le déclarer illégitime ? »

Qui ? La morale. Elle défend de rendre le mal pour le bien et de dépouiller autrui.

Qu’aurait fait ce fripon de ses planches ? Il les a cédées, dit-on, à qui en avait besoin. Il a rendu un service. Il en a reçu le prix. Il est le maître de disposer de ce prix. Le service rendu n’est pas déniable.

Non ! mais à charge de réciprocité.

Est-il donc si facile et si commode de placer son produit et de rendre service ? Combien de sens ne demandent qu’à rendre de ces services soldés en argent ? Tout le monde soupire après ce bonheur de faire accepter ses services moyennant finance. C’est la visée universelle, le but poursuivi par tous et que tous n’atteignent pas, à beaucoup près. Le genre humain n’a pas d’autre préoccupation que de rendre un service pour de l’argent. Celui qui n’obtient pas la faveur de rendre ce service meurt de faim. On les compte par milliers ceux qui sollicitent cette faveur comme un bienfait, et qui meurent parce qu’on n’a pas voulu de leur service.

Je le répète, qu’aurait fait ce fripon de ses planches ? — Rien. Elles étaient pour lui une lourde charge, On l’en débarrasse, on lui donne en échange des écus qui lui ouvrent le choix de toutes les choses utiles et agréables. Va-t-il le faire, ce choix, et remplacer son produit si heureusement vendu par d’autres produits aussi pressés que le sien de trouver acquéreur ?

Non ! une fois nanti du précieux numéraire, il n’a garde de s’en dessaisir. Il se prive plutôt, afin de ne pas lâcher ses écus.

Il accapare ainsi l’instrument d’échange. Il l’empêche de remplir la seconde partie de ses fonctions, l’achat. Il devait acheter pour déterminer ainsi une autre vente semblable à la sienne et qui l’eût mis en possession du produit du vendeur. Ce vendeur avait besoin de numéraire aussi pour choisir, à son tour, sur le marché, les objets à sa convenance. L’’accapareur arrête la circulation de la monnaie, la détourne de sa mission bienfesante et la transforme en instrument de rapine. [I force le travailleur, qu’il en a traîtreusement privé, à lui en payer la location.

Grevé de ce prélèvement, le produit du débiteur devient insuffisant à ses besoins. Il ne travaille plus pour lui seul, mais aussi pour la sangsue attachée à ses flancs. Les accapareurs retiennent au passage le numéraire, le dérobent à l’échange, et mettent ainsi en détresse les produits invendus. Le malheureux détenteur est contraint à payer chèrement la monnaie qui lui est indispensable, et pour vivre et pour continuer son travail.


CE QU’ON VOIT ET CE QU’ON NE VOIT PAS


Bastiat dit : « Si l’État, soutirant 50 millions aux citoyens, les accumule et les dépense sur un point donné, il attire sur ce point une quantité proportionnelle de travail déplacé, un nombre correspondant de travailleurs dépaysés, population flottante, déclassée et j’ose dire dangereuse, quand le fonds est épuisé… »

Le reproche fait ici aux dépenses arbitraires de l’État s’applique tout aussi bien aux caprices du capital. Le numéraire soustrait à la circulation par la thésaurisation, fruit de la rente, va porter le travail, au gré de sa fantaisie, sur tous les points possibles, y attire le capital et les tra vailleurs et enlève l’un et les autres à leur siège naturel.

Même cécité de Bastiat dans toutes ses argumentations contre l’arbitraire des dépenses gouvernementales. Il ne s’aperçoit pas que le reproche est applicable au capital, exactement au même titre et pour les mêmes motifs. Ainsi, dans son article intitulé l’Abondance, il accuse le protectionnisme de créer une rareté factice de certains produits au profit des producteurs, au détriment des consommateurs. Que fait la spéculation du capitaliste, sinon la même chose ? Il raréfie par l’accaparement certains produits qu’il vend ensuite à bénéfice. L’économie politique répond par le pouvoir neutralisant de la concurrence. Réponse impuissante. L’accumulation du capital écrase toute concurrence et se fait place libre. Le monde actuel est dévoré par cette plaie qui s agrandit chaque jour, grâce à l’association des capitaux.

Autre aveuglement de Bastiat. Il cite des proverbes populaires bien connus : — La production surabonde. — Nous périssons de pléthore. — Tous les marchés sont engorgés et toutes les carrières encombrées. — La faculté de consommer ne peut plus suivre la faculté de produire.

Chacun, dit-il, déplore l’abondance et appelle la rareté, et cependant tout le monde travaille de son mieux à créer l’abondance, contradiction étrange. Puis il explique que les lois de protection, les impôts, les entraves s’efforcent de créer la rareté qui semble le bien le plus désirable.

Cette cause n’a que des effets minimes et n’entre que pour un faible élément dans l’enfantement des proverbes ci-dessus. C’est le capital qui joue le grand rôle dans ces belles imaginations. C est lui, par ses prélèvements sur le travail, qui paralyse la consommation en frappant d’indigence la masse des travailleurs et les mettant dans l’impossibilité d’acheter les produits qui engorgent, en effet, les magasins. Tous ces proverbes bizarres sont le résultat de l’action capitaliste beaucoup plus que des sottises économiques du gouvernement. Il est prodigieux qu’un homme si clairvoyant pour certaines choses devienne absolument aveugle pour d’autres.

Voici une énumération assez plaisante des ennemis de l’abondance et de leurs arguments. Mais pas l’ombre d’allusion à l’œuvre du capital.

« …… Voici un détracteur des machines. Il déplore que les miracles du génie de l’homme étendent indéfiniment sa puissance de produire, Que redoute-t-il ? l’abondance.

« Voici un protectionniste. Il gémit de la libéralité de la nature envers d’autres climats. Il craint que la France n’y participe par l’échange et ne veut pas qu’elle soit libre , parce que, si elle l’était, elle ne manquerait pas d’attirer sur elle-même le fléau de l’invasion et de l’inondation. Que redoute-t-i1 ? l’abondance.

« Voici un homme d’État. Il s’effraie de tous les moyens de satisfaction que le travail accumule dans le pays, et, croyant apercevoir dans les profondeurs de l’avenir le fantôme d’un bien-être révolutionnaire et d’une égalité séditieuse, il imagine de lourds impôts, de vastes armées, des dissipations de produits sur une grande échelle, de grandes existences, une aristocratie artificielle chargée de remédier, par son luxe et son faste, à l’insolent excès de fécondité de l’industrie humaine. Que redoute-t-il ? l’abondance.

« Enfin, voici un logicien qui, dédaignant les voies tortueuses et allant droit au but, conseille de brûler périodiquement Paris, pour offrir au travail l’occasion et l’avantage de le reconstruire. Que redoute-t-il ? l’abondance. »

La moquerie sur le protectionniste est vraie et sincère. Le protectionniste a peur en effet de l’abondance. Mais la raillerie est de mauvaise foi contre les hommes d’État et les brûleurs de Paris. Aucun homme d’État ne redoute l’abondance. Tous la désirent, au contraire, même quand leurs sottises l’entravent. Ce qu’ils veulent, c’est la domination, les richesses, la jouissance, et ils ne peuvent s’en donner le monopole que par l’écrasement des masses.

Quant aux brûleurs de Paris, on peut les diviser en deux catégories. L’une, la plus nombreuse, ne veut le brûler qu’une fois et pour toujours. L’autre, quelques têtes seulement, ne brûlent pas, ils démolissent pour rebâtir. Ni les uns ni les autres ne redoutent l’abondance, et cette crainte n’entre pour rien dans leurs fantaisies destructives. Ils n’ont qu’un seul mobile, la haine et la peur de la Révolution qui a son foyer à Paris. L’aristocratie provinciale veut anéantir ce foyer, le gouvernement bonapartiste veut le désarmer par une transformation.

« Quel est le but d’Ariste, en économisant 10.000 francs ? Est-ce d’enfouir 2.000 pièces de cent sous dans une cachette de son jardin ? Non certes, il entend grossir son capital et son revenu. En conséquence, cet argent qu’il n emploie pas à acheter des satisfactions personnelles » — il se prive, le pauvre homme, poveretto ! — « il s’en sert pour acheter des terres, une Maison…… Suivez les écus…… ils vont alimenter du travail tout aussi sûrement que si Ariste…… les eût échangés contre des meubles, des bijoux et des chevaux. »

Ah ! oui-dà ! Continuons le déroulement du sophisme. Voyons un peu, Tartufe économiste.

« Car, lorsque Ariste achète pour 10.000 francs de terres ou de rente, il est déterminé par la considération qu’il n’a pas besoin de dépenser cette Somme, puisque c’est ce dont vous lui faites un grief.

« Mais, de même, celui qui lui vend la terre ou la rente, est déterminé par cette considération qu’il a besoin de dépenser les 10.000 francs d’une manière quelconque. »

Qu’en savez-vous ? Il y à ici une équivoque dans le mot dépenser. Est-ce dépenser en achats d’objets que l’on consomme, ou dépenser en placement quelconque ? Ariste n’en sait rien et peu lui importe. Il achète une terre ou une inscription. Il accroît son capital et son revenu par un fermage et par une rente. Rente et fermage sont un prélèvement capitaliste sur le travail d’autrui. Quant au vendeur de l’immeuble ou de l’inscription, pourquoi, dans cette opération, ne chercherait-il pas le moyen d’obtenir de son capital un revenu supérieur, par un placement plus productif ?

« De telle sorte », continue Bastiat, « que la dépense se fait, dans tous les cas, ou par Ariste, ou par ceux qui se substituent à lui. »

Ceci est une escobarderie qui prouve la mauvaise foi de l’auteur. Il sent bien qu’Ariste fait acte d’égoïsme et d’exploitation, et il cherche à le déguiser sous la prétendue dépense que doit faire le vendeur. À supposer en effet que le vendeur eût besoin d’argent pour une consommation quelconque, Ariste n’en commet pas moins son acte usuraire. « …… Il n’y a donc, entre la conduite d’Ariste et celle de Mondor, qu’une différence. La dé- pense de Mondor étant directement accomplie par lui, on la voit. Celle d’Ariste s’exécutant en partie par des intermédiaires et au loin, on ne la voit pas… Dans les deux cas, les écus circulent… Il n’en reste pas plus dans le coffre-fort du sage que dans celui du dissipateur, »

Sans doute les écus circulent, mais à quelle condition ? Les usuriers aussi font circuler leurs espèces. Mais elle coûte cher, cette circulation.

Bastiat continue : « Il est donc faux de dire que l’épargne fait un tort actuel à l’industrie. Sous ce rapport, elle est tout aussi bienfesante que le luxe. »

Mensonge. Le luxe n’est pas bienfesant, au contraire. Mais il est moins malfesant que l’épargne. Du moins, il restitue le numéraire à l’échange, sans prime et au pair.

« …… Sous le rapport moral, la supériorité de l’épargne sur le luxe est incontestable. Il est consolant de penser qu’il en est de même, sous le rapport économique, pour quiconque, ne s’arrêtant pas aux effets immédiats des phénomènes, sait pousser ses investigations jusqu’à leurs effets définitifs. »

Il y a sur cette thèse une flagellation d’importance à administrer aux économistes. Cette page de Bastiat est un chef-d’œuvre d’hypocrisie, de mauvaise foi, de jésuitisme et de fausseté. Cette question est traitée ailleurs. Passons à d’autres sophismes.

« Malédiction sur les machines ! Voilà le cri qui s’élève du préjugé vulgaire, Mais, maudire les machines, c’est maudire l’esprit humain. »

Suit une tirade facile contre les ennemis et les destructeurs de machines. Sur ce terrain, les économistes font rage, trop heureux de trouver un prétexte tolérable à leurs déclamations. Mais tout ce tapage n’empêche pas leur impuissance à justifier les machines du mal qu’elles causent dans l’ordre actuel.

Pas de condamnation plus terrible de cet ordre social que son incompatibilité avec l’emploi bienfesant des machines. L’économie politique ne le tirera Jamais de là. Voyons les démonstrations de Bastiat. Toujours subtil et Escobar, il faufile ses arguments sous toutes sortes de masques, mais il perd sa peine.

« …. Le capitaliste, l’inventeur, le premier qui se sert avec succès de la machine…… réalise, sur les frais de production, une économie, laquelle, de quelque manière qu’elle soit dépensée, et celle l’est toujours, occupe juste autant de bras que la machine en a fait renvoyer. »

Fausseté et impossibilité absolues.

« …… Ce qui importe, c’est de bien comprendre que jamais, au grand jamais, les économies n’ont lieu aux dépens du travail et du salaire. »

Cette affirmation si tranchante est le contre-pied de la vérité. Toutes les économies se font aux dépens du salaire et du travail. Dans l’ordre actuel, l’invention d’une machine, en remplaçant un certain nombre de bras par la mécanique, met à pied les ouvriers pour un temps variable. Il est faux que ces travailleurs mis à pied soient occupés aussitôt par le capital nouveau qui résulte de l’économie réalisée. L’événement prouve constamment le contraire. L’introduction d’une machine laisse toujours en chômage les ouvriers remplacés, et on comprend fort bien qu’ils ne puissent pas trouver immédiatement d’autres occupations. Il n’existe aucun motif pour que ces occupations s’improvisent en quarante-huit heures, ou même dans un mois. C’est par suite de l’économie résultant de la nouvelle machine que les consommateurs peuvent faciliter une production plus abondante. Dans tous les cas, il y a chômage forcé, de plus, baisse des salaires, paf suite de l’offre des bras inoccupés, double source de misère qui se prolonge.

Lorsque l’équilibre commence à se rétablir, la situation nouvelle est celle-ci : tout le bénéfice provenant de la découverte du procédé mécanique a au capital. Le bas prix du nouveau produit ne profite pas à l’ouvrier. Le salaire baisse juste en proportion de l’économie survenue. La somme du capital s’accroît et crée des centres d’industrie pour occuper les bras rendus disponibles ; mais le sort du travailleur n’est point amélioré. Le capital salarie une plus grande quantité de travail, cela est vrai ; du reste toujours aux mêmes conditions léonines d’autrefois.


CAPITAL ET RENTE


« …… Quand on dit : « Donne-moi ceci et je te donnerai cela », c’est comme si l’on disait : « Je te donne ceci que j’ai fait, » — ou que tu n’as pas fait, mon bonhomme — « cède-moi cela que tu as fait… »

« …… On ne fut pas chercher de profonds économistes. Il n’y en avait pas dans le pays. Mais on choisit des hommes justes et de bon sens. Cela revient au même. » — Pas sûr. — « Économie politique, justice, bon sens, c’est tout un. » — Pas sûr.

« Jacques ne s’en est pas moins défait d’un outil qui lui était utile. »

Odieux mensonge, d’une telle évidence qu’il ne permet plus de supposer la bonne foi de l’auteur, à moins de la remplacer par un brevet d’imbécillité. Jacques se défesant d’un outil qui lui est utile, Jacques, le fabricant de rabots ! Il est vrai que cette fois il ne prête pas le rabot. Il le vend, contre sa coutume ; mais s’il n’est plus ici usurier en rabots, c’est pour devenir usurier en espèces. Il vend son rabot, ne pouvant le prêter à Guillaume qui a besoin d’une scie, mais il ne vend que pour prêter le prix de cette vente et en tirer intérêt. Comment oser dire qu’il s’est défait d’un outil qui lui était utile ? Et à quoi bon revenir à ce mensonge, inventé seulement pour mystifier le lecteur au début du boniment, mensonge qu’on a jeté de côté bientôt, pour installer Jacques prêteur de rabots à la douzaine ? Apparemment ces douzaines de rabots ne lui sont pas utiles pour menuiser. L’ouvrier le plus soigneux n’en possède pas plus de trois ou quatre.

« …… S’il est démontré que cet outil met l’emprunteur à même de faire des profits qu’il n’eut pas faits sans lui, s’il est démontré que 1e prêteur a renoncé à créer pour lui-même cet excédent de profits… »

Comment Bastiat ose-t-1l recommencer encore cette rengaine du prêteur qui se prive, qui renonce à un profit en cédant son outil, alors qu’il vient, deux pages plus haut, de déclarer très légitime le prêt d’une multitude de rabots à la fois ? Tout cela passe les bornes de la mystification.

Mars-avril, 1870.

Citation de Frédéric Bastiat sur l’individu qui économise et a le droit, avec son économie, de choisir tel produit qui lui convient.

…… C’est aller vite en besogne et mener la logique tambour battant. Autant de propositions, autant d’hérésies économiques et morales. Bastiat appelle droit ce qui est un devoir, et toute l’argumentation des défenseurs du prêt à intérêt roule sur ce sophisme. Là est le nœud de la question. Tout le reste s’en déduit comme la conséquence des prémisses.

Février 1850.