Bleu, blanc, rouge/12

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Déom Frères, éditeurs (p. 60-61).


RÊVE D’UN SOIR D’ÉTÉ


La lune aux grands yeux clairs verse dans le jardin.
Sa pâleur radieuse, et les roses pâmées
Aspirent les baisers des brises parfumées.
Le lac moiré sommeille en son flot de satin,
Un philtre alourdissant tombe du ciel serein :
L’immensité du calme endort ma rêverie…
Et je vois s’avancer, sur la mousse fleurie,
Deux blanches visions… Un souffle aérien
Fait onduler les lis ; leur robe vaporeuse,
Sans froisser les brins d’herbe erre sur le gazon :
Ainsi rase les eaux l’aile de l’alcyon.
Ainsi glisse l’esquif sur la vague écumeuse.
L’une a le charme fier de Vénus Astarté.
Sur sa lèvre mi-close un sourire extatique,
De sa large prunelle un éclair magnétique
Fascinent les amants de l’étrange beauté.
L’autre hésitante et frêle a le regard rêveur ;
Autour de son front pur brille un reflet d’étoile,
Virginale clarté, où sa grâce se voile.
Ses longs doigts effilés effeuillent une fleur

Dont les pétales blancs, comme des papillons,
Voltigent dans l’espace avec la luciole ;
Sa chevelure d’or sans lien s’auréole,
Sous le réseau ténu d’innombrables rayons !
................................
Mon regard ébloui se baignait de lumière
À les voir onduler sous l’astre pâlissant,
Si belles toutes deux, que mon cœur hésitant
Ne savait à laquelle adresser sa prière.
J’étendis les bras vers les étranges fantômes
Et, sur la terre en fleurs tombant à deux genoux :
— « Spectres mystérieux, quels doux noms avez-vous ?
« Sous votre pas léger frémissent les atômes…
« La source vagabonde oubliant de s’enfuir,
« S’arrête frissonnante… » — Une sainte harmonie
Comme un soupir d’Éole, à la brise attiédie,
Module ces accents : Je suis le Souvenir,
L’ombre-sœur est l’Amour : nous traversons la vie
Sur l’azur étoilé ! Fidèles fiancés,
Nous défions la mort tendrement enlacés.
Éternisant le rêve en votre âme ravie !
Souvenir, de l’Amour, je ne suis qu’un mirage
Un éclair de sa flamme illuminant la nuit
D’un immortel rayon qui jamais ne pâlit !
À la passion fuyant, comme un lointain nuage,
Au serment éphémère, au sublime délire
Je survis en votre être immuable et subtil…
Tel on voit en automne, une sève d’Avril
Couronner de bourgeons, l’arbuste aux fleurs de cire
Ainsi, je............................
.......Le zéphir caressa mes cheveux.......
Je m’éveillai soudain… Les roses carminées
Sommeillaient doucement sur leur tige inclinées.
Deux gouttes de cristal ruisselaient de mes yeux.