Bleu, blanc, rouge/38

La bibliothèque libre.
Déom Frères, éditeurs (p. 171-173).


SCIENCES PSYCHIQUES


Le magnétisme passe et revient de mode deux ou trois fois par année, et c’est pourtant toujours les mêmes expériences, éternellement ressassées dans les salons et dans les salles publiques. Grâce aux suggestions des magnétiseurs, les sujets sensibles se livrent sur le théâtre à toutes espèces de bouffonneries qui, loin de profiter à la science, en éloignent plutôt les gens sérieux. Allez donc vous mettre sous le pouvoir d’un agent inconnu qui vous fait grelotter par une température de 106 au-dessus de zéro, danser sans violon, ou vous frapper les poings sur le mur contre un agresseur qui n’existe que dans l’imagination de votre maître ! Tous n’ont pas des instincts de pitre et de clown ! Amuser un auditoire à ses dépens n’est pas le plus bel apanage de la dignité humaine.

Au cours d’une séance de magnétisme, à laquelle j’assistais, un monsieur digne et grave se glorifiait d’être Sa Majesté Édouard VII. Une petite, à qui l’on avait suggestionné qu’elle était poète, s’écria : « c’est moi le grand Fréchette !… » Et tout d’une haleine, elle se mit à réciter un pot-pourri où se trouvaient sautés, de la plus étrange façon, des vers de Victor Hugo, de Sully Prud’homme, d’Alfred de Vigny, etc., que le diable lui même s’y serait embrouillé.

Un général faisait la revue de ses troupes, la moustache en croc, le nez en l’air, la voix tonitruante. — Qui êtes-vous ? — J’en rougis pour lui. — Il répondit : Robert ! Pour compléter la collection d’hallucinés, un homme les cheveux droits sur la tête, la figure couperosée, entra dans une violente colère :

«  Laissez Carie Nation accomplir son œuvre, » et bing, bang, sur la muraille, il nous semblait voir les bouteilles imaginaires voler dans l’air. Durant une heure, j’eus les oreilles écharpées par d’abominables salamalecs ; je me sentais le cœur fadir à ces farces burlesques, si bien que je faillis en perdre la foi, et crier avec les autres : Mais c’est du humbug, ces gens sont payés pour en imposer à la crédulité populaire, et, volontiers, j’aurais hué ces acteurs de bas étage !…

En des cercles d’amateurs, on pousse l’inconvenance jusqu’à évoquer des morts respectables. Contraindre Jean-Jacques Rousseau, Mgr Dupanloup, Jeanne d’Arc, Papineau, le Dr Coderre, à frapper deux coups de pieds de guéridon pour oui, un coup pour non, quand on leur pose des questions comme celles-ci : Je va t’y m’marier ? — Est-ce que mon mari me joue des tours ? — Martineau ira-t-il dehors ? — Qui aura le dessus de Préfontaine ou de Tarte ? — Combien y aura-t-il de contingents encore ? — À quelle date mourra Léon XIII ? — Qui aura le dernier mot, Le Journal ou La Presse ? — Avouez que c’est, pour le moins, manquer d’égards aux morts que de les forcer à s’immiscer dans nos mesquines préoccupations, eux, qui doivent être si contents d’en être débarrassés !

Dans ce chaos, seul, un philosophe ou un savant pourrait porter un peu de lumière. Il est malheureux qu’on ne puisse rééditer ici les expériences scientifiques des Charcot, des Luys, des Bernheim, au lieu d’exploiter la curiosité du peuple. Que de richesses à tirer de ce mystérieux sommeil magnétique, où l’on retrouve toute la vigueur du sens intérieur et la finesse de l’instinct, atrophié par la civilisation extrémiste. Des personnes hypnotisées peuvent logiquement voir ce que nous n’apercevons pas, assister à la naissance de l’avenir, parce qu’elles reportent toute l’intensité de leur attention aux nuances de la vie intérieure. Sans doute, c’est très gentil que de se croire la vierge de Lorraine, la reine d’Angleterre, Judith ou Cléopâtre, mais il n’y a là rien de bien nouveau : tous les jours des imbéciles se croient des aigles. Des nuls se voient dans la glace avec, sur leur front, l’étoile des grandes destinées. Et, combien prennent des vessies pour des lanternes. Mais, ce n’est pas là le but de la science, qui doit être d’éclairer le monde en l’instruisant, de soulager l’humanité souffrante en la persuadant de la réalité de ses immortelles espérances !