Bouddhisme, études et matériaux/Chapitre 4

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§ IV. Divers problèmes relatifs au Pratītyasamutpāda




1. Pratītyasamutpāda en ordre inverse.


La formule du Pratītyasamutpāda, en termes de « suppression » (nirodha) : « de la suppression de l’ignorance, suppression des samskāras (= par la non production de l’ignorance, non production des saṃskāras) », remplace parfois la troisième noble vérité : « Voici, ô moines, la noble vérité de la suppression de la douleur, la suppression de la soif par un complet détachement (virāga)… ». Elle en diffère en ceci qu’elle place, si l’on peut ainsi dire, le « cran d’arrêt » de la marche en avant du développement des causes dans la suppression de l’ignorance, non dans la suppression de la soif.

Par le fait, là où il y a ignorance, il y a soif. Mais l’ignorance peut être supprimée au moment même et à l’occasion de la soif, comme on voit par Samyutta, iv, 87 : « De la vedanā, la soif, [mais] par la suppression de la soif grâce à un détachement complet, suppression de l’upādāna ». — Le plus souvent, c’est la souffrance, sentie ou prévue, qui détruit la soif par la terreur sainte (samvega) qu’elle produit (comparer JPTS., 1891, p. 93) ; la souffrance engendre la foi : « De la naissance, la douleur ; de la douleur, la foi {dukhhïipanisâ saddhà) ; de la foi, l’allégresse (prâmodya) ; de l’allégresse, la joie (prlti) ; de la joie, la confiance {praéràbdhi) ; de la confiance, le contentement (sukha) ; du contentement, la concentration (samàdhi) ; de la concentration, l’intuition de la vérité….. » (Saṃyutta, ii. 31, comp. Nettipakaraṇa, p. 66). — L’Aṅguttara, ii, 145 (comparer AKV., 248 b, Nettipakaraṇa, p. 87) explique ingénieusement comment on peut abandonner la soif par la soif, l’orgueil ou idée de moi (māna) par l’orgueil : il y a une bonne (kuśala) soif, un bon orgueil : désirer être délivré des passions comme le sont les arhats.

Un passage du Dīgha, i, 280, signalé par M. Oltramare (Douze causes, p. 31 ; voir Rhys Davids), Dialogues, I, 247), va plus au fond des choses, ou, du moins, montre qu’on a aperçu la difficulté du problème : « Those ascetics and brahmans who said that ideas (saṃjñās) come to a man and pass away without causes are wrong from the very commencement. For it is precisely through causes that ideas come and go. By training some ideas anise. By training others pass away… ». On peut passer, par le « training » (sikkhā), de la notion des plaisirs sensibles à celle des vérités, à celle de la jouissance spirituelle qui procède du détachement. — Mais comment ce « training » est-il possible ? Comment l’influence de cette ignorance qui enveloppe les êtres depuis l’origine des temps peut-elle être supprimée, abandonnée définitivement ? On conçoit seulement qu’elle puisse être un moment interrompue. Les bouddhistes ne furent pas seuls à se poser cette question, mais, comme ils affirment que l’enchaînement des causes se développe pareillement « qu’il apparaisse ou n’apparaisse pas de Bouddhas », ils n’ont pas les ressources que possèdent par exemple les théologiens visnouites, lesquels peuvent faire intervenir la grâce divine. D’après une citation des auteurs brahmaniques, certaine école bouddhique, apparemment les Yogācāras, admet que l’intelligence (buddhi), de sa nature même, est portée à accepter la vérité[1] (bhūtārthapakṣapāto hi buddheḥ svabhāvaḥ), thèse peu conciliable avec l’éternelle transmigration et avec la métaphysique du vieux bouddhisme. — Les anciens paraissent n’avoir pas fait la théorie de l’arrêt du Pratītyasamutpāda, se bornant aux observations pratiques dont nous avons donné quelques spécimens. A vrai dire, cette théorie, pour un Européen, n’est pas à faire ; et les moines avaient dix bonnes raisons pour une de ne pas s’en occuper (1).

2. Étymologie du mot pratītyasamutpāda (2).

Il semble bien qu’on doive entendre samutpāda = production, apparition, pratītya = en raison de, d’après la Ibrnmle : " En raison (paticca) et de Fanl et des objets {rnjxlni), apparaît ou naît {uppnjjati) la connaissance visuelle » (Saṃyutta, ii, 72).

Pratītya est le gérondif de la racine i, avec le prétixe prati. Cette racine i siguitie " aller ^ ; mais le prétixe prati signifiant « arrivée à », « rencontre avec », « tenir compte de v (apekscJ), praiitya siguitiera « en rencontre avec >? (prâpti), « en tenant compte de ». — D’autre })art, la racine pm ? précédée de sain-tit, signitie « apparition » {prâihirbhdv((). — Par cousé(j[uent^j>"ai^i7//«samntpâda signitie « apparition, production des êtres en considération des causes et des conditions (3) ».

La chose qui apparaît est censée avoir « tenu compte » de ses causes, « être allée vers » ses causes. Ou demandera comment cette activité peut être attribuée à la chose encore inexistante (4) ? D’où de deux conclusions l’une, ou que c’est une chose existante qui apparaît (sann utpadyate), ou que le sutiixe du gérondif ne marque pas ici rautériorité (l’obscurité se dissipe « en atteignant la lampe », prâpya, en raison de la lampe) (Abhidharmakośa). —

(1) Par le fait, les Vijñānavādins ont une théorie du processus de purification (vyavadāna), dont nous donnons ci-dessous, p. 64, un résumé d’après le Bodhisattvabhūmi.

(2) Voir pour plus de détails Burnouf, Introduction, (523 ; Lotus, 530 ; Madhyaynakavftti, 5 suiv. ; Yisiiddhimagga xvii, apud Warren, 1(58 .-Inasrauch as it is dependently on each otlier and in unison and simultaneously that the factors whioli constitute dépendance originate the elements of being, therefore did The Sage call these factors Dependent Origination » ; Aung et Mrs Rhys Davids, Compendium, p. 259.

(3) Madh. vṛtti. p. 5 : hetupratyayāpekṣo bhāvānām utpādaḥ.

(4) ; De même les causes « enveloppent », « embrassent » (parigrah) l’effet pour le faire naître ; voir ci-dessous, p. 66. D’autre part, d’après les documents brahmaniques, qui ont bien des chances de reposer sur des sources bouddhiques, l’action indiquée par prâtitya, « étant allé vers », appartient à la cause, pratyaya, qui tire son nom de cette action : soit qu’elle aille vers son effet en tant que productrice (Ânandagiri) ; soit qu’une cause aille vers une autre cause, le pratyaya étant la cause assistée de co-efficients (sahakārin)[2].

Śrīlābha patronne une explication différente : itya n’est pas gérondif, mais participe, avec le sens de « qui est destiné à partir », c’est-à-dire « transitoire « ou « momentané ». On a donc : « manifestation (utpāda) en compagnie (sam = samavāyena) des choses transitoires (ityānām) en raison de [tel ou tel complexe de causes] (prati = tâṃ tâṃ sâmagriṃ prati) ». Cette explication, peut-être satisfaisante pour le composé pratītyasamutpāda, ne vaut pas pour l’emploi de pratītya dans Saṃyutta, ii, 72, cité ci-dessus : « En raison et de l’œil et des objets… » » (A. k. v.).

3. Nature de la causalité.

Les sources scolastiques contiennent beaucoup d’explications sur la nature du lien causal, sur la causalité en général, sur les termes, — fournis en masse par la littérature ancienne et moderne, — qui peuvent en exprimer, avec précision, les divers aspects. L’opposition que nous avons signalée entre l’enchaînement des hetus et des pratyayas[3] n’est qu’un détail d’une idéologie très vaste, très complexe, où rentre notamment la controverse du Sarvāstivāda. — Nous nous bornerons à quelques remarques.

i. La plus archaïque des formules de causation paraît être la suivante : « Ceci étant, cela est ; de l’apparition (production) de ceci, cela apparaît, à savoir en raison de (ou en conséquence de) l’ignorance … « (iti imasmiṃ sati idaṃ hoti, imass ‘uppāddā idam uppajjati yadidam avijjāpaccayā ….) ; et, inversement : « Ceci n’étant pas, cela n’est pas ; de la suppression de ceci, cela est supprimé… » (1). Les notions de condition nécessaire, de coefficient et de cause génératrice, sont confondues dans cette définition.

Elle soulève un petit problème d’exégèse. Pourquoi le Bouddha exprime-t-il sa pensée de deux manières en deux phrases parallèles (paryāyā) ? Pourquoi parle-t-il de l’existence (hoti) avant de parler de la naissance (uppajjati) ?

D’après l’Abhidharmakośa (2), le second paryāyā (« de l’apparition de ceci… ») a pour but 1. de préciser (avadhāraṇārtham), car on pourrait comprendre le premier dans le sens de : « ceci étant [et telle autre chose étant aussi], cela est » ; 2. d’indiquer la succession des membres (aṅgaparaṃparā : « le membre avidyā étant, le membre saṃskāras est ; et de l’apparition de ce membre saṃskāras apparaît cet autre membre vijñāna » ; 3. d’indiquer la janmaparaṃparā (3) ; 4. d’indiquer la nature de la causalité (pratyayabhāva) qui est immédiate pour le premier paryāyā et médiate pour le second : la causalité est immédiate lorsque des saṃskāras vicieux sont produits en conséquence immédiate de l’ignorance, médiate lorsque les saṃskāras sont bons ; en outre, l’ignorance est cause immédiate (sākṣātpratyaya) des saṃskāras, cause médiate (pāramparyeṇa pratyaya) des vijñānas, etc. Il y a d’autres explications : 1. Vasuvarman croit que le premier paryāyā a pour but d’écarter la doctrine de non causalité (ahetuvāda), le second la doctrine d’une cause sans origine, permanente (4), Puruṣa ou Prakṛti [; mais alors le premier paryāyā est inutile] ; 2. certains théoriciens (vādinas) admettent l’existence d’un ātman, support de l’enchaînement des causes. Il faut donc entendre le Pratītyasamutpāda dans le sens suivant : « ce qui apparaît par l’apparition de telle chose donnée, cela est par

(1) Voir par exemple Udāna, 1,i ; Mahāvagga, i, 1, 2 ; Saṃ., ii, 28, 65 ; Majjh., i, 262, ii, 32, iii, 63 ; Mahāvastu, 11, 285 ; Madhyamakavṛtti, p. 9. — Critique au point de vue de la vérité absolue, ibid., p. 86.16.

(2) Ms. de la Soc. As., fol. 233 b.

(3) naissance suit existence (?).

(4) Pour cette thèse que le permanent (nitya) ne peut avoir d’effet, ne peut être cause, voir Sarvadarśana (Calcutta, 1858), p. 9, et notre commentaire dans Muséon, 1901, p. 64. l’existence de cette seule chose, sans qu’il existe une troisième chose, un ātman (yasyaivotpādād yad utpadyate tasminn eva sati tad bhavati nānyasminn ātmany āśrayabhūte). D’où la nécessité des deux paryāyas ; 3. les anciens maîtres (pūrvācārya) pensent que la formule : « ceci étant, cela est », montre que, aussi longtemps que l’ignorance, etc. n’est pas définitivement abandonnée (aprahīṇa), l’effet n’est pas abandonné (aprahîṇajñāpana) ; 4. d’après Śrīlābha, la formule : « ceci étant, cela est », signifie : « aussi longtemps que dure le courant des causes (kāraṇasrotas) aussi longtemps dure le courant des effets », et la formule : « par la production de ceci… », signifie : « l’effet naît de la naissance de la seule cause (kāraṇasyaivotpādāt) ». Le premier paryāya montre donc la durée (sthiti) ; le second, la naissance (utpatti) [Et c’est inadmissible, car 1° il s’agit de la naissance : « Bhikṣus, je vous enseignerai le pratītyasamutpāda… », et 2° la sthiti ne peut être enseignée avant l’utpatti.]

ii. Classification des hetus et pratyayas.

Les vieilles sources emploient, indifféremment à ce qu’il semble, une foule d’expressions synonymes : ko hetu ? ko paccayo ? hetu, nidāna, samudaya, paccaya (Dīgha, ii, 57) kimnidāno, °samudayo, "jātiko, °pabhavo (Saṃyutta, ii, 37, 81, Majjhima, i, 261), upanisā (1) (Saṃyutta, ii, 30). On a encore kāraṇa, nimitta, liṅga.

Certains docteurs ont cru que ces termes étaient équivalents. Il y a, en effet, des Sūtras où hetu et pratyaya sont interchangeables (2).

(1) Comparer upanissaya (upaniśraya, M. Vyut. 380,36) « point d’appui », Nettip. 80, Sumaṅgala, 125, JPTS. 1893, 138 ; voir Lotus, SBE., 317, n. 2, et sources citées ; Wogihara, Bodhisattvabhûmi (Leipzig, 1908) p. 21, upanissā = upaniśrā (?), Dīgha, ii, 289 (sūryopanisado devāḥ = °pramukhāḥ). Comp. E. Senart, Florilegium Melchior de Vogüé, p. 575.

(2) Aṅg. i, 87 corrigé dans Abhidh.k.v. Burn. 133 b : dvau hetū dvau pratyayau samyagdṛṣṭer… ». — On a donc : hetuḥ pratyayo nidānaṃ kāraṇaṃ nimittaṃ liṅgam upaniṣad iti paryāyāḥ. — On dit parfois : hetur āsannaḥ pratyayaḥ, viprakṛṣṭas tu pratyaya eva (voir Madh. vṛtti, p. 77).

Dans la scolastique, pratyaya est employé comme le nom générique de toutes les causes[4] ; toutes les sources opposent « le pratyaya qui s’appelle hetu. » (hetupratyaya) aux autres pratyayas.

La différence, essentielle en effet, est celle que nous avons signalée ci-dessus p. 44 : le hetu engendre (janaka), fait exister (nirvartaka), il est vraiment cause ; les autres pratyayas sont des conditions, des coefficients ou auxiliaires (sahakārin, parigrāhaka, upāya).

L’Abhidharma pāli (Dukapatthāna, Visuddhimagga xvii) énumère 24 pratyayas : hetu, ārammāṇa, adhipati, anantara, samanantara, sahajāta, aññamañña, nissaya …. purejāta, pacchājāta, āsevana, kamma, vipāka, āhāra ….

Les sources sanscrites[5] citent un texte sacré (pravacana) qui n’existe pas dans tous les canons : « Il y a quatre pratyayas, hetu, ālambana, anantara, adhipati », et affirment qu’il n’y a pas de cinquième pratyaya : le sahajāta, le paścājjāta, etc. rentrent dans les quatre[6].

Les définitions coïncident, sauf en ce qui concerne le [sam]anantara[7]. D’après les Mādhyamikas[8] :

1. Ce qui produit, ce qui engendre une chose, constituant la graine (bīja), c’est le hetupratyaya.

2. Le point d’appui, semblable à un bāton d’appui, grâce auquel sont engendrés la pensée et ses succédanés (citta-caitta) naissant de la cause, semblables à un homme âgé qui se lève, c’est l’ālambanapratyaya, car il est le point d’appui de la chose naissant.

3. La destruction, « précédant immédiatement », de la cause (kāraṇa), est pratyaya de la naissance du fruit ou effet (phala, kāryā), comme, par exemple, la destruction, précédant immédiatement, de la graine est le samanantarapratyaya (ou anantara°) de la pousse[9].

4. Ceci étant, cela se produit (bhavati), « ceci » est l’adhipatipratyaya de « cela ».

On observera, avec le Bodhisattvabhūmi[10], 1, que le hetupratyaya projette (ākṣipati) ses effets lointains (la graine projette la graine) et réalise son effet immédiat (la graine, la pousse) ; voir ci-dessous p. 66 ; 2. que l’adhipati reçoit le nom d’upāya « moyen » ; 3. que le samanantara et l’ālambana (tel est l’ordre dans cette source) sont « parigrahaka », constituent le parigrahakahetu.

Cette « causation » s’entend dans la plupart de nos sources des citta-caittas, en d’autres termes, du vijñāna, des vijñākayas.

On a dans Nettipakaraṇa (p. 80) :

1. l’acte d’attention, manasikāra, comme hetu, : la connaissance visuelle étant de la nature (sabhāva) de l’acte d’attention ;

2. l’œil comme adhipati ;

3. les « formes », rūpāṇi [couleur et figure], comme ārammaṇa ;

4. la lumière (āloka) comme sannissayapaccaya.

Il faut comparer la « causation « du vijñāna telle qu’elle a été exposée ci-dessus p. 21[11] : 1. cakṣus [= adhipati] ; 2. rūpa [= ālambana] ; 3. samanvāhāra, c’est-à-dire un manasikāra.

Quant à la « lumière », les sources brahmaniques qui suppriment le hetupratyaya, en font un sahakāripratyaya.

Cepandant plusieurs sources font du samanantara, non pas la destruction du citta qui précède le citta qu’il faut expliquer, mais le citta antécédent lui-même : « en tant qu’image bleue, la pensée qui est une représentation de bleu résulte du bleu, cause en qualité de fondement objectif (ālambana) ; en tant que notion intellectuelle bodharūpatā), elle résulte d’une connaissance antérieure (prācīnajñāna) cause en qualité d’antécédent immédiat…. »[12]

Est-ce à dire que des pensées semblables se suivent immédiatement ? Non, évidemment. Une pensée « passionnée », (kliṣṭa) ancienne est considérée comme la cause immédiate d’une autre pensée « passionnée », quand bien même il y aurait, dans l’intervalle, des pensées non passionnées[13].

Les Vaibhāṣikas distinguent six espèces de causes (ṣaḍ hetavaḥ, ṣaḍvidho hetuḥ) qui ne sont énumérées dans aucun sūtra existant : le sūtra a disparu (antarhitaṃ tat sūtram iti) ; mais elles sont suffisamment spécifiées dans l’Écriture (santi pratiniyatahetuvācakāni sūtrāni). — On a :

1. kāraṇahetu, cause efficiente, cause en général, ce qui produit (nirvartaka) par le fait de « ne pas être empêchement à la naissance « (jananāvighnabhāva). — Exemple : l’objet et les autres causes de la connaissance visuelle ;

2. sahabhūhetu, causes concurrentes, les trois éléments du chemin qui accompagnent la vue correcte (samyagdṛṣṭi) et concourent au même but.

3. sabhāgahetu, causes de même nature : la racine de mérite (kuśalamūla) cause d’une nouvelle racine de mérite. [De même l’ancienne ignorance d’où procédera une nouvelle ignorance grâce à un acte erroné d’attention, agissant comme pratyaya ;

4. samprayuktakahetu, causes unies, c’est-à-dire portant sur le même objet : la foi et l’intelligence (śraddhā, avetyajñāna) ; on comprend (prajānāti) ce que l’on sait (vijānāti) ;

5. sarvatragahetu, causes omniprésentes : la vue incorrecte (mithyādṛṣṭi) détermine tous les actes et dispositions de celui (|ui en es-t infecté ;

6. vipākahetu, causes de fruition, caractérisées en ce que l’effet projeté est d’une nature différente (étant sensation agréable, etc.) de la cause (qui est acte, passion) : au fruit (phala) de fruition, s’oppose souvent le fruit d’écoulenient (niṣyanda°), c’est-à-dire la passion, les dispositions bonnes ou mauvaises procédant de la passion ancienne, même après que les actes ont été rémunérés (voir n° 3 vibhāgahetu)[14].

Le Laṅkāvatāra (p. 85) a aussi une théorie du sextuple hetu :
1. bhaviṣyadhetu
2. saṃbandhahetu
3. lakṣaṇahetu
4. kāraṇahetu
5. vyañjanahetu
6. upekṣāhetu
Quelques-uns (kecit) distinguent cinq hetus :
1. kāraka « efficient », la graine de la pousse ;
2. jñāpaka « faisant connaître », la fumée le feu ;
3. vyañjaka « manifestant », la lampe la cruche ;

4. dhvaṃsaka « destructeur », le marteau de la cruche ; — genre de cause nié par plusieurs écoles, car de leur nature même, les choses sont momentanées ; leur destruction ou anéantissement (vināśa) n’a pas de cause ou n’a d’autre cause que celle de leur apparition. De même il n’y a pas de cause de la chute d’un corps jeté en l’air (voir JRAS., 1902, p. 370)[15] ;
5. prâpaka « faisant atteindre », le char un autre endroit : c’est ainsi que le « noble chemin » ne cause pas le nirvana (qui est par excellence visamyoçiaphala), mais le fait atteindre.

Les cinq fruits (phala) sont expliqués de la même manière, ou peu s’en faut, dans diverses sources (1).

iii. Les quatre aspects de la vérité de la production de la douleur.

Une théorie intéressante est celle des quatre aspects (âkâras (2)) de la vérité de la production (samudaya) de la souffrance, autrement dit du Pratîtyasamutpàda. Pour autant que je sache, elle n’est pas complète dans les Suttas, bien qu’elle y ait ses origines (3).

Qu’est-ce que la connaissance de la production (samudaya-jñana) ? » demande le Sâstra, c’est-à-dire l’Abhidharma. « C’est la connaissance pure (anâsrava) de celui qui comprend (manasi-Imrvatas) les choses causées et impures (sâsravahetuka) d’une quadruple manière : hetiitas, samudayaias, prabhivatas, pratyayatas n (4), c’est-à-dire, d’après les Sautrântikas, 1. comme causées : il est faux qu’il n’y ait pas de cause ; 2. comme résultant de plusieurs données : la cause (hehi) est un complexe, une combinaison, une collection (samudaya) et non unique : il est faux (j^u’il y ait une seule cause, le Seigneur des déistes, le pradhàna des Sânikhyas (’*) ; 3. comme produites : il est faux (^) Mahâvy utpatti, 116 ; Bodhisattvabhûmi, fol. 43 a. Sommaire dans Muséon 1911, p. 180.

(2) âlambanagrahanaprakâra âkâra iti.

(3) Mahâmjutpatti, 54 ; Bharmasamgraha, 98. | Lorsqu’on se contente de 12 « aspects » (nkdras) des vérités [Nàmasamgïti, 133), on omet pratyayatas, anatmatas, nihsaranatah, nair]/(lnikatas. — Sam. il, 37, bhavo Jdmnidàfio, kimsamudayo, kimjcitiko, kimpabhavoti (cf. il, 81) ; Majjh., i, 261. — Abhidharmakokiv. cliap. vii, Burn. fol. 425 (citant le Sâstra) et suiv.

(4) D’après quelques-uns : samudayali prabtiavah pratyayas ca paryâyamâtram, nârthabhedah «akra indrali puramdara iti yatliâ. — De même : mârga eva ca nyâyah pratipan nairyânika ity eka âkârah.

(5) Cette explication de samudaya est souvent donnée pour pratyaya, voir Oltramare, p. 46. que les choses, existant d’avance (pūrvaṃ sthita), se transforment (parinamate) : elles commencent d’exister (ādibhava) ; 4. comme arrivant en raison de ceci ou de cela (prati est distributif) : les choses n’arrivent pas en raison d’un plan rationnel (buddhipūrvakṛta ) : le monde est engendré par de multiples causes (anekapratyaya).

Cette explication de prabhavatas, « considérer les choses comme naissant, comme existant après n’avoir pas existé (abhūtvābhāva) » atteint toutes les théories des Sarvāstivādins-Vaibhāsikas. Les « partisans des trois temps » (traikālyavādin) soutiennent que les choses (bhāva) arrivent (āyacchanti) du futur dans le présent par la force des causes et conditions ; et passent dans le passé par la force de la fragilité (anityatā) : c’est ainsi qu’il faut, disent-ils, entendre le pratītyasamutpāda : nanu bhāvā nātyantāsambhavino bhavanti (1) ?

1. D’après le Bhadanta Dharmatrāta (2), lorsque le lait passe en petit lait, etc., ou lorsqu’on donne à un vase d’or une nouvelle forme, il y a bhāvānyathātva : changement en ce qui regarde la manière d’être, — forme (ākṛti) et qualités (guṇa) comme saveur, digestibilité, etc., — mais non pas changement de substance (dravya, svalaksaṇa). De même le futur arrivant dans le présent abandonne l’état (bhāva) de futur pour prendre celui de présent ; de même, il prend l’état de passé (3). — Le rapport de passé, présent, futur, repose donc sur un bhāvānyathātva.

2. D’après le Bhadanta Ghoṣaka, il y a lakṣaṇānyathātva,

(1) Bodhicaryāvatāra, 589,19 (IX, 143).

(2) Voir Bhavya, fol. 183 b (édition rouge) dans Rockhill, p. 195 ; Abhidharmakośav., Soc. As., 358 a.

(3) C’est le système discuté dans Kathāvatthu, i, 6, voir p. 120 : paccuppannaṃ ; rūpaṃ nirujjhamānaṃ paccuppannabhāvaṃ jahātīti. — āmantā. — rūpabhāvam jahātīti — nath’evaṃ vattabbe. — Abhidhannakośav. 358 a. 7 : bhāvasyānyathātvam bhavati… na rūpasvalakṣaṇasyānyathātvam ; anāgato hi vartamānam adhvānaṃ pratipadyamāno ’nāgatabhāvaṃ jahāti, vartamānabhāvaṃ pratilabhate, vartamāno’ py atītam ; suvarṇaṃ ksīraṃ ceti dṛṣṭāntadvayaṃ yathākramam ākṛtiguṇānyathātvajñapanārtham. changement dans le caractère. La chose passée a le caractère de passé (atītalakṣaṇayukta) ; mais elle n’est pas exempte (viprayukta) du caractère de futur et de présent.… S’il en était autrement, le futur ne deviendrait pas, à un moment donnée présent et passé : la chose actuelle est établie par le caractère « actuel n en exercice ; mais elle n’est pas exempte ou privée (virahita) des autres caractères. De même, si un homme est épris d’une femme, il n’est pas sans attachement pour les autres : mais cet attachement n’est pas en exercice (śeṣāsu.. rāgaprāptiḥ, na samudācāraḥ). On peut donc parler d’une « chose existant dans le temps » (dharmo ’dhvasu pravartumānaḥ).

3. Le Bhadanta Vasumitra admet un changement dans la place (avasthà, les wei de Watters, i, 274). Là où la chose (dharma) n’est pas active (kàritram na karoti), elle est future .... ; là oii, ayant agi (krtvâ), elle est détruite, on la dit passée. Il n’y a pas de changement quant à la substance. — De même la même boule vaut 1, 100, 1000, suivant qu’on la place dans le casier des unités, des centaines, des milliers.

4. D’après Buddhadeva, le rapport des trois temps {vyavahârà) est de mutuelle relation (pUrvâpampeJcsaya) : de même qu’une femme est mère relativement à sa fille, fille relativement à sa mère ; sans qu’il y ait difierence de substance.

Au dire de l’Abhidharmakosa, les Vaibhâsikas admettent le troisième système : passé, ce dont l’activité a pris tin {iiparatahâritra) ; futur, ce dont l’activité n’a pas commencé (aprâpta°) ; présent, ce dont l’activité a commencé et n’a pas pris fin (Sidâhânte.... vacanât). Mais cela ne va pas sans difiicultés : il y a eu effet des causes passées, — soit des sahhàyaJietus, par exemple avidyâ pi’oduisant avidyâ, soit des vipâhahetus, par exemple l’acte produisant la souffrance, — qui donnent un fruit (phaladana) : donc elles sont actives, donc elles sont actuelles ? On répondra qu’elles sont actuelles en tant qu’elles donnent un effet (prayacchiiti), et passées en tant qu’elles n’arrivent pas, en tant qu’elles ne reçoivent pas (parigraha) l’efficace d’une cause ancienne, et qu’il faut réserver le nom d’actuel à ce qui est, pour l’instant, effet et cause.

Mais ces explications ne valent rien (1). Il faut donc rejeter toutes les théories de « l’existence du passé, présent et futur « et confesser que l’activité (hâriira) et la chose même (dharma) ne sont pas distinctes (ananya) : donc il n’y a pas de passé, si la chose ne cesse pas d’exister après avoir existé (hhûtvà .... na hhavati) ; pas d’actuel, si elle n’existe pas après ne pas avoir existé (abhûtvà bhavati) (2). Pour le futur, c’est ce qui n’est pas encore arrivé à exister après ne pas avoir existé (yo na tàvad ahhutvâ hhavati).

4. Le Pratityasamutpâda et le « chemin d’entre-deux » (Sûtrâs et système mâdhyamika).

À l’origine le Pratîtyasamutpâda était une explication de la deuxième noble vérité : « Quelle est la cause de la souffrance, de la renaissance ? » — La souffrance, la renaissance ne sont pas sans causes (adhiccasamutpanna) (3) et sans causes appropriées ; et tout ce qui est produit par des causes doit périr, étant né (Mahâvagga, i, 6, 29, etc.). La « production en dépendance » affirme le caractère douloureux et transitoire de l’existence, la renaissance en fonction de l’acte, la possibilité d’échapper à la renaissance, soit par l’élimination de la soif, soit par la destruction de l’ignorance (4).

Mais on s’apperçut que la théorie de la « production de la souffrance par les causes successives » contenait toute une métaphysique, — ou, en d’autres termes, on reconnut des relations

(1) Car elles supposent la confusion des temps, adhvasamkara, c’est-à-dire kâlasamsandana (JPTS. 1889, p 44).

(2) Voir Majjh., iii, 25 (me dhamviâ ahutvd bfiavanti, ce qui n’est pas ti’ès décisif), mais Milinda 52 [samkharâ abhavantà jâyanti ? non : hhavantâ yeva... jâyanti ; Oldenherg-Foucher’^, 38S ; Walleser, Grundlage., 128) Kathâv., i, 6 ; Siksâsamuccar/a, 249,io{abhûtvà bhavati... svabhâvarahitaivât ) ; Madhpamakavrttî, 263, 580 (Madh. avatàra, 283). — Il est d’ailleurs évident, pour les Mâdhyamikas, qu’une chose ne peut pas commencer d’exister.

(3) Voir Childers, Dict., p. 11 ; Sam., v, 457 (acquisition de l’état d’homme ; apparition des Bouddhas ; rencontre de la tortue aveugle et du yugachidra), vi, index et p. 234 ; Rhys Davids, Dialogues, i, 41.

(4) Voir ci-dessus, p. 46.

étroites entre cette théorie et les métaphysiques, la doctrine des skandhas et du nairātmya « soullessness » (absence de principe permanent), la doctrine de la « caducité » (anityatva) aisément transformable en celle de la « momentanéité » (ksanikatvà) , enfin la doctrine agnostique ou antinomique de la plus ancienne tradition (1). (Comparer Oltramare, p. 17).

Les faux docteurs, nous dit-on, enseignent : 1° Celui qui agit est celui qui mange le fruit de l’acte : la souffrance de chacun est faite par lui-même ; — ou ils enseignent le contraire. 2** La sensation n’est pas la même chose que celui qui sent (il y a un être permanent en dessous des sensations) ; — ou le contraire. 3° Autre est le corps, autre le principe vivant (jïva), l’âme ; — ou le contraire ; 4° Tout existe ; — ou le contraire.

Le Bouddha n’adopte aucune de ces opinions contradictoires ; il enseigne la Loi (= vérité, vérité pratique) « par le milieu » {majjhena). Qu’est-ce à dire ? Qu’enseigne-t-il et quel est ce milieu, ce chemin d’entre-deux (Buddhaghosa, Warren, 169) ? Il enseigne : « En raison de l’ignorance, les samskâras «. Quand ou connaît, dit-il, la production et la destruction du monde {lokasamudaya...), les idées vulgaires de non-existence et d’existence (natthiiâ, attJiUa) disparaissent » (2).

Mais comment l’enseignement : « En raison de l’ignorance....», permet-il de résoudre la question des rapports de l’agent et du mangeur du fruits, du « sentant » et de la sensation, etc. ? C’est ce que la scolastique a pris à cœur d’expliquer, c’est ce que les rédacteurs du Samyutta avaient, sans doute, fort bien compris. Il n’y a pas d’âme {àtman, j’iva, pudgala, sattva) qui passe d’une .existence à une autre existence ; qui^ ayant accompli un acte, en mange le fruit ; qui ressente une sensation ; qui soit différente du corps ; qui soutienne une existence, c’est-à-dire une « botte » de skandhas assumés par l’action de la soif. Il n’y a ni

(1) Voir Hastings’ Encycl. art. Agnosticism.

(2) Saṃ., ii, p. 20, 76 (comparer Dîgha, ii, p. 66 ; Warren, p. 135) 23, 60 (Warren, p. 166), 17 et III, 135. — Il est curieux, et, oserai-je le dire ? regrettable que tous nos textes soient ici tirés du Saṃyutta. Ceci enlève peut-être quelque chose à leur autorité. permanence (śāśvata), ni unité, ni transmigration d’un être doué de caractéristiques permanentes (saṃkrānti : l’homme peut passer dieu) ; tout est transitoire, étant causé ou composé (saṃskṛta). — Cependant, en raison de cette même « production en dépendance », il n’y a pas « interruption », « anéantissement » (uccheda) : bien au contraire : « de petite cause suit grand fruit » (parJttaheluto vipulaphalàbhinirvrttis), et, qualitativement, le fruit correspond à la cause (tatsadréànuprabandha) (1) : la dégustation du fruit se produit dans la série psychique oii se sont trouvés la volition et l’acte qui engendrent ce fruit ; la sensation n’est pas un accident, mais une partie de la série ; le corps est lié comme cause et effet à la série psychique : il y a unité et continuité « biologique », si on peut ainsi dire.

Des skandhas ou des dhâtus se combinant et se renouvelant, des phénomènes momentanés qui se succèdent, telle est la définition rigoureuse (lâJcsanlka) du Pratïtyasamutpâda que nous font connaître les traités de métaphysique, dit l’Abhidharmakośa ; et si, dans les Sûtras, le Bouddha paraît envisager le développement causal et la destinée des êtres {sattva), c’est un enseignement intentionnel {àhhipràylha) — qui a, en somme, pour fin de montrer qu’il n’y a point d’êtres, qu’on ne doit pas se préoccuper de « son » passé, de « son » présent, de « son » avenir.

Enfin, pour aller plus au fond, on ne peut pas dire que les choses soient, car elles n’existent pas en soi ; elles sont produites par des causes pour périr ; elles n’existent qu’en périssant d’instant en instant (2) ; et on ne peut pas dire qu’elles n’existent pas, étant produites et disparaissant : comparer là-dessus Madhyamakavrtti, 269, qui utilise, dans le sens du nihilisme, le

(1) Ce sont les cinq aspects (ākāra, d’après le tibétain rnam-pa) ou causes [kâran^a) du Pratïtyasamutpâda expliqués dans le Salistambasûtra, (Madh. vṛtti, 569).

(2) J’ai réuni dans Madhyamakavṛtti, p. 145, n. 1, 281, n. 1, 545, n. 6, un certain nombre de documents relatifs aux trois ou quatre sairiskrtalak^mas du sai]ishrta (utpâda, vyaya, sthityanyathâtva) et au h^aupahhanga. Je ne me crois pas à même d’en tirer une doctrine suffisamment cohérente. (A. k. v. ii, 46). Kātyāyanāvavādasūtra (= Saṃyutta, ii, 17, iii, 135, Warren, p. 165).

Cette définition du Pratītyasamutpāda, encore qu’elle ne satisfasse pas Nāgārjuna et l’école des Mādhyamikas (1), paraît bien dépasser l’opinion canonique. Celle-ci reconnaît la réalité des choses causées, n’insiste pas sur le caractère momentané des phénomènes, se contente de nier l’existence d’un moi (pudgalaéïinyatâ), — d’un moi dont le Pratītyasamutpāda permet, en effet, de se passer, mais dont il ne comporte peut-être pas, dans les termes mêmes, la négation. — Cependant on y a cherché cette négation formelle et on a cru la trouver dans la formule finale : « Telle est l’origine de toute cette masse de souffrance n (2) — « toute ^ = Jcevala, qui peut être compris « isolée », et qu’on traduit « privée d’âme, de moi qui se passionne, agisse et souffre ». Cette exégèse, pour être contestable, exprime bien le fond de la doctrine que supporte le Pratītyasamutpāda : acte sans agent, fruit sans patient et, — pour signaler l’aspect cosmique du problème, — monde organisé sans Dieu. Causation éternelle (nitya), insubstantielle (asattvâJchya), momentanée (ksanika), c’est-à-dire faite d’instants successifs, telle est la véritable nature des choses. Une formule, que nous connaissons parle SâlistamhasUtra (3), mais qui a une longue histoire

(1) L’opinion correcte, d’après les Mâdhyamikas, c’est le silence, qui seul correspond en effet à la nature vraie des choses : « ne pas être produites ». — C’est la négation du Pratītyasamutpāda et l’affirmation de la « vacuité » (śūnyatā). Voir ci-dessous, p. 63. — Quelques références ; Poussin, Bouddhisme, (Paris, 1909), p. 188 foll. ; Oltramare, Douze caicses, p. 50 ; Wassilieflf, Buddhismiis, p. 249 ; Madhyamakavrtti, vil, 16, X. 16, XX, 17-18, xxiv, 14-18 . ; Bodhicarydvatdra, ix, 34, 100, 106.

(2) Formule palie : evam etassa kevalassa dukkhahkhandassa samudayo hoti ; formule sanscrite : evam asya kevalasya mahato.., ajoutant mahatah. — Kevala = âtmarahita (Compare Visuddhimagga, JPTS., 1893, p. 141) ; mahatah = anddyantasya = ‘ sans commencement ni fin ’. — Sur duhkhaskandha, masse, branche, ramification de la souffrance, Senart, Mélanges Harlez, p. 290 ; JAs. 1902, ii, p. 284.

(3) Voir ci-dessous Appendice ii au Ṣālistamba.

dans le Canon, mérite d’être étudiée (1). Elle nous apprend que les clioses ne sont que dans et pa,r leur dépendance de certaines causes (idappaccayata) ; la causalité, le rapport de cause à effet (kàryaknranabhava) ne consiste pas dans une évolution [parinamanâ ) de la cause en effet, du lait eu beurre (contre le satkUryavâda de la philosophie Sāṃkhya), ni dans la création par la cause d’un effet différent d’elle-même, mais seulement dans la succession nécessaire d’effets déterminés (niyàmata) ; la nature des choses, leur « thingness », réside toute entière daus cette dépendance qui les vide de toute réalité propre. — La production est de la nature d’une ‘ magie ’ (mâyâ). Commeut_, eu effet, attribuer une action (Jiriyâ) à c(^ qui ne dure pas (astJiira) ? comment le déliuir comme « faisant » (kâraÏM) ? Toute son action, toute sa causalité consiste dans son existence, ou plutôt son devenir {hlmti), — et réciproquement.

Des textes, qu’il n’est pas interdit de regarder comme anciens, ne laissent pas d’accuser le caractère irrationnel du

(1) La définition du Pratîtyasamutpâda a été dite en résumé par le Seigneur : « idauipratyayatdphalam. Au temps où il y a un Bouddha comme au temps où il n’y en a pas, cette « tliing-ness n des choses reste la même, c’est-à-dire cette " thing-ness », identité des choses, leur non-évolution, leur détermination [par] la marche en avant de la Production en dépendance : [c'est] la « suchness » (tathatā), « non-unsuchness », « identical suchness », la nature, la vérité, la réalité, la vue exacte et vraie des choses ».

Je traduis d’après la version tibétaine, Tandjur, Mdo, xvi : ida’)jipra’ tyayatdphalam, utpâddd va tathdgatcindni anutpdddd va sthitaivaisà dha ?’mdna)n dharmaid iti yaisa dharmatd dharmasthitatd, dharmd- parij.idmatd dharmaniyamatd pratltyasamutpadanulomatd, tathatd, avitathatd, ananyaiathatd, bhûtatu, satyatUy tattvam, aviparltatd^ aviparyastatd.

La première partie idampratyayatdphalam (qu’il faut peut-être lire °mātraphalam) est connue par Bhumatl^ ad ii, 2.19, Yeddntakalpataru (Benares, 1897), 273, Sarcadarsanasamgraha, (Calcutta, 1858), 20, trad. et comm. dans Muséon, 1901, p. 197, 1902, p. 392, Madhyamakavriti, 9, notes. — On comparera utilement les sources pâlies : Ang., i, 286 (Warren, p. xiv) ; Majjh., i, 167 (Warren, p. 339), Sani-, i, 25, 2G, 136. — On sait que la tathatd, " la nature vraie des choses », est devenue quelque chose de très mystérieux dans certaines écoles du Grand Véhicule, une sorte de Brahman ou de Prakfti (tathatā = anutpāda, advaya). Pratītyasamutpāda. L’explication de l’existence par la « production en dépendance » s’oppose, nous dit-on, non seulement à la théorie de l’existence fortuite (adhicca), mais encore à celle de l’origine d’une chose par soi, par autrui, par soi et autrui combinés {Samyutta, ii, 113, comparer i, 134, Udâna, 69 ; Siîcsàsamuccat/a, p. 225). Ceci est, en propres termes, la dialectique du Madhyamaka, le « dilemme » à quatre branches {prasanga) par lequel Buddhapâlita, élève de Nâgârjuna, démontrera la non-production (anutpàda) de quoi que ce soit. — Il parait évident que les causes ou pratyayas sont " autrui n à l’égard de « ce qui est produit en conséquence de ... » (pratityasamutpatma), et la Madhyamakavrttt p. 76 nous assm-e que les partisans du Pratïtyasamutpâda en conviennent.

Nous verrons donc dans le passage indiqué du Samyutta (ii, 113), de deux choses l’une, ou bien un enthousiasme aveugle pour ce dogme merveilleux de la Production, dogme qu’on déclare parfois incompréhensible {acintya) (1), mais toujours « profond » et « nouveau » ; ou bien la pensée, plus tard très consciente, que « ce qui est produit en conséquence de ... » n’est pas produit eu réalité et n’existe pas en soi : « tout est douloureux, transitoire, vide, sans substance ». Pourquoi les premiers docteurs n’auraient-ils pas compris tout ce que cette formule porte de nihilisme ?

5. La causalité dans le système des Vijñānavādins (2).

Les Vijñānavādins nient l’existence de la matière (rūpa) ou, d’une manière générale, de l’objet de la connaissance (jñeya). Rien n’existe que la pensée (citta), et, strictement, on ne peut dire que la pensée se connaisse elle-même, car la pensée serait alors son objet ; il y aurait dualité ; il y aurait autre chose que « pensée pure » (cittamātra). Ceci posé, comment faut-il entendre le Pratītyasamutpāda interne et externe ?

(1) L’Aṅguttara, ii, 80 {Sumangalatildsinl, p. 22) dit que la rétribution du harman est incompréhensible ; comparer Madhyamakdvatàra, vi, 42, et Milinda, p. 189, — Les Mâdhyamikas insistent sur ’incompréhensibilité du Pratïtyasamutpâda, Bodhicary avatar a, ix, 4, 100.

(2) Voir Bodhisattvabhûmi, i, chap. viii, Sommaire dans Muséon, 1911, p. 176.

Le processus (pravṛtti) ou la production successive des éléments ou causes de l’existence (bhavânga, c’est-à-dire avidyâ etc.), eu d’uuti’es termes le Pratîtyasauiutpâda eu ordre direct (cmulonia) n’est autre chose que l’obscurcissement ou la souillure (samklesa) de la pensée : des pensées successives et particulières, des pensées en activité (pravi-ttivijPKlnclnl) souillent la pensée essentielle, originale ou réceptacle en laquelle elles se développent par voie de causation successive. Cette pensée réceptacle (àdànavijùàna mrdavijhâna, àlayavijhàna, mUlacitta, etc.) existe-t-elle eu soi, est-elle auti’e chose que la série des pensées particulières (pravrttivijnànâni), autre chose que l’accumulation de leurs traces (vāsānas), ce n’est pas le lieu d’examiner ce problème (1). L’essentiel, est de savoir que tout le Pratïtyasamutpâda en ordre direct n’est qu’un développement de pensées, la souillure (samklesa) de la pensée qui, en soi, est connaissance sans objet.

Le Pratïtyasamutpâda en ordre inverse ne peut être autre chose que la purification (vyaoaddna) de la pensée.

Cependant, pour être tout idéal, le Pratïtyasamutpâda en ordre direct n’en affecte pas moins deux aspects : il est interne (âdhyâtmika). tant qu’il est le développement des phénomènes subjectifs qui apparaissent comme sujet de la connaissance ou de l’expérience : par exemple perception (qui n’est pas représentation), sensation, désir ou soif, acte ; il est externe (bàhya) lorsqu’on envisage des phénomènes aussi subjectifs que les premiers mais qui apparaissent comme objets de la connaissance : graine, tige, bouton, fleur … ; car nous n’avons l’idée de Heur que parce que nous avons eu l’idée de graine, et aussi l’idée de terre, d’eau, etc., lesquelles sont nécessaires, d’après les catégories de l’esprit, au développement de la graine.

Tout processus (ou samutyada) n’est qu’une pratique, une expérience de noms et d’idées (nàmasamjhàvyavaUâra) : sa cause première et constante doit donc être cherchée dans le nom

(1) Voir Muséon, 1912-1913, « Documents sur les trois “natures” des Yogâcâras », et « Triṃsâka » de Vasubandhu. (nāman) qu’on donne aux choses, dans la notion (saṃjñā) qui accompagne ou suit ce nom, dans toute manière de parler (abhilàjxi) de ces choses en raison du nom et de la notion. L’essence des choses, — c’est-à-dire les caractères que nous leur attribuons et qui commandent tout l’ensemble de nos rapports avec elles (vyavahāra), — est causée par les noms, notions, appellations dont les choses sont l’objet. En d’autres termes, la cause de tel ou tel processus réside dans le fait que nous pensons, identifions, définissons, nommons telle ou telle classe de choses : par exemple, la pratique des idées d’éternel et de non douloureux, d’actes bons ou mauvais, etc. est Yanuvydvahâraheiu du processus de souillure (saṃkleśa).

La scolastique distingue neuf autres catégories de causes. On a donc, pour les trois types de processus a. samldcsa, h. vyavadàna, c. bâhya (type graine) :

1. anuvyavahàralietu : l’emploi de noms, notions, etc., tels que a. avidyH, saniskâras, etc., h. nirodlia", ryavadânapal^plo dliarma, toutes les données favorables ou relatives à la délivrance ; c. fruits de la terre, riz, blé ; actions qui y sont relatives : « ap})orte, prends, etc.)

2. apekṣāhetu : a. non considération du caractère nocif de Vavidyâ, etc. ; b. l’inverse ; c. désirer, rechercher, manger les fruits de la terre, c’est un vyavahâra qui dépend de faim, soif et dégustation antérieure des dits fruits.

3. àJiSepahetîi : a. semences actuelles d’avidyâ, etc., qui « projettent « la renaissance ; h. possession de la « qualification à entrer dans le chemin de la délivrance n (gotra), qui pi-ojette le nirvana dès cette vie ou plus tard ; c. la graine projette tous ses fruits jusqu’au dernier (pousse (anknra), tige, fleurs, etc.)

4. parigrahakahetu : a. la fréquentation des mauvais, la nonaudition de la Loi, le jugement erroné {ayoniéo wanasiJcàra), la propulsion de l’habitude (pûrvâhhyâsâvedha) « embrassent » les semences d’avidyâ pour les faire naître ; b. l’inverse (la maturité des sens, indriyaparipàJta, s’opposant à pTirvâhhyâsàvedhd) ; c. la terre, la pluie, etc., causes auxiliaires de la production de l’ankura.

5. abhinirvṛttihetu : a. semences d’avidyā etc. produisant avidyā ; b. semences des qualités favorables à la Bodhi, (semences qui constituent le gotra), produisant les dites qualités ; c. la graine en tant qu’elle réalise son produit immédiat, c’est-à-dire le « moment » qui, dans l’évolution de la plante, suit immédiatement la graine.

6. āvāhākahetu : a. la série des membres d’avidyā à bhava réalisés par leurs semences (5) ; ces membres par une succession de transports (vāhanapāraṃparyeṇa), « amènent » les renaissance, vieillesse et mort qui ont été projetées par les semences d’avidyā en tant qu’ākṣepahetu (3) ; b. les qualités favorables à la bodhi, réalisées par leurs semences (5) amènent par stades successifs le nirvāṇa ; c. les divers moments du développement de la plante, tour à tour réalisés par la graine, etc. (5), font aboutir à maturité le dernier moment, c’est-à-dire la graine finale projetée par la graine en tant qu’ākṣepahetu (3).

7. pratiniyamahetu : a. la série des membres d’avidyā à bhava en tant qu’ils « déterminent » la souillure (saṃkleśa) en produisant une naissance infernale, animale, etc. ; b. les qualités qui relèvent du gotra des Śrāvakas déterminent la purification en menant au nirvāṇa par le véhicule des Śrāvakas, et ainsi de suite ; c. les moments de la plante en tant qu’ils aboutissent à blé, riz, etc.

8. sahakārihetu : c’est le nom générique des causes 2-7.

9. virodhahetu : a. le saṃkleśa est contrarié et arrêté par la possession d’un gotra, l’apparition d’un Bouddha, …. par tout ce qui est du parti de la Bodhi ; b. le vyavadāna est contrarié par l’inverse ; c. la maladie du grain empêche le développement de la plante.

10. avirodhahetu, l’inverse du précédent.


  1. Voir Bhāmatī (Calcutta, 1891), p. 25, Vedāntakalpataru (Benares, 1895), p. 21, Tātparyaṭīkā (Benares, 1898), p. 60, Sāmkhyatattvakaumudī ad 64 (Benares p. 146) et trad. de Garbe (Mémoires de l’Académie de Bavière, XIX, III, 621) ; Pathak, Bombay Br. A.S., L, p. 343.
  2. Voir Vedāntakalpataru, cité Madh. vṛtti, p. 76, n. 7.
  3. Voir ci-dessus, p. 44.
  4. Voir Duka, p. 3 et suiv., Vibhaṅga, index (hetu, paccaya…) ; Kathāv. XV, 1-2 ; Psychology, 274, Nettip. 78, 54, Sumaṅgala, 125 ; Visuddhi, JPTS. 1893, 109, 138.
  5. Mahāvyutpatti, 115 ; Madhyamahavṛtti, p. 77 ; Madh. avatāra, 87.15 ; Abhidharmakośav. Burn. 157 a.
  6. « Quelques-uns » (une variété de Sarvāstivādins) dans Bhavya (fol. 184), Rockhill, Life p. 196, distinguent 7 pratyayas à savoir les quatre et karma, āhāra, niśraya (rten).
  7. Pas de distinction entre samanantara (forme ordinaire) et anantara (exigé par le mètre), voir Madh. vṛtti, p. 85, n. 3 ; mais la glose de l’Ahbhidh.k.v. ci-dessous p. 54, n. 2.
  8. Les définitions qui suivent (1-4) sont fournies par les sources mādhyamikas (Madhyamakavṛtti, p. 77 et suiv. ; Madh. avatāra, p. 88.10 du texte ; voir trad. et notes) comme traditionnelles « iti lakṣaṇāt ».
  9. Voir Nyāyabhāṣya, iv, 1, 14 (Tātparya etc.) : « Si la destruction (upamarda) du bīja n’est pas la cause (kāraṇa) de la pousse, la pousse naîtra sans que la graine soit détruite ». — Cf. Walleser, Lehre des Mittlere, Nāgārjuna, p. 13. — L’ānantarya est réputé Ślokavārttika, Śabdanityatā, 430 et suiv.
  10. fol. 41 ; Muséon, 1911, p. 178.
  11. Madhyamakavṛtti, p. 553, cf. Majjh. i, 190 ; Warren, 493.
  12. Sarvadarśanasamgraha, (Bibl. Ind.) p. 20 ; voir la trad. dans Muséon et les références Bhāmati, 2, 2, 21 ; Vivaraṇapr. 34 ; Nyāyabindu, 13 et 18.
  13. L’Abhidharmakośavyākhyā dit que le samanantara est « pensée ou succédané de pensée » et donne « espace », « occasion » à la naissance du vijñāna en cause. Il porte ce nom parce qu’il est à la fois anantara et sama (samāna), immédiat et semblable). Burn. Fol. 13 b : samanantarapratyayo hi tadānīṃ cittacaittalakṣaṇa ekasyaiva tasya nīlavijñānasyotpattāv avakāśaṃ dadāti, netareṣāṃ nīlāntarādivijñānānām.
  14. Mahāvyutpatti, 114 ; Abhidharmahośav. Burn. fol. 133.
  15. Abhidharmahośav. Burn. fol. 156.