Bourassa et l’Anti-Laurierisme/Bourassa idéaliste

La bibliothèque libre.

Les Nationalistes Abandonnent leur Chef.

M. BOURASSA UN IDÉALISTE.


Le public s’amuse beaucoup de ce temps-ci en constatant le désarroi, le sauve qui peut qui se produit dans le camp de nos bons nationalistes. Il y a un malaise général qui court dans les rangs des adeptes de la cause castor-bourassiste ; les lieutenants du grand chef désertent le drapeau, après s’être bien convaincus que les doctrines extravagantes et les théories sonores de M. Bourassa, ne sont, après tout, qu’une futile fantasmagorie et les vaines élucubrations d’un idéaliste. On s’est laissé séduire pendant quelque temps, par le brio, le clinquant et le leurre des discours du tribun rageur, mais on ne veut plus prendre ses hâbleries au sérieux, ni subir plus longtemps sa férule de magister grincheux. C’est dû moins ce que disent ceux qui ont secoué le joug pesant qu’ils ont eu à porter à la collaboration du « Devoir ».

Ces messieurs se demandent maintenant comment ils ont pu errer au point de croire que M. Bourassa pourrait un jour faire école et former le parti de l’avenir ! Ils en sont bien revenus de ce rêve doré et dans leur opinion l’éloquence verbeuse, les périodes à effets et les coups de foudre du Démosthène nationaliste, ne sont propres, tout au plus, qu’à émerveiller les jeunes collégiens. Les illusions de ces heureux émancipés sont complètement tombées et ils jugent leur ancien fétiche avec la justesse d’appréciation que leur donne l’expérience de leur vie intime et commune. Leur ancien mentor, avouent-ils, a une mentalité entièrement idéaliste, dont tout le travail consiste à prôner des idées inacceptables, à critiquer tout ce qui est en dehors de sa conception intellectuelle et à exalter des théories brillantes pouvant refléter sur le « MOI » quelque gloriole.

Dans ses harangues populaires, avec quelle délectation il hume l’encens de ces triomphes éphémères que lui accordent ses sectateurs ; et avec quelle rage il se cabre sous l’aiguillon qui blesse son amour-propre et sa vanité. Tel est le chef nationaliste jugé par ses amis d’hier.

L’idéalisme qui ressort de toutes les paroles et de tous les actes de M. Bourassa et de ses acolytes est défini par Littré : « un système dans lequel on ne regarde comme certaines que les idées du MOI. » Ne dirait-on pas que le célèbre philologue a conçu cette définition après avoir fait une étude psychologique de M. Bourassa ?

L’histoire nous donne quelques exemples et nous montre jusqu’où peuvent aller des hommes du calibre du chef nationaliste, qui, pour faire triompher des utopies aussi dangereuses qu’absurdes, n’ont pas craint de couvrir le sol de la patrie de carnage, de feu et de sang. Robespierre, qui porte au front devant le monde civilisé, le stigmate des horreurs révolutionnaires, était un idéaliste dans la force du mot.

Pour mieux faire saisir l’idée pleine en entière qu’inspire la personnalité du réformateur nationaliste, on peut établir un contraste, une antithèse en esquissant légèrement la belle et noble figure du chef libéral.

Les trois grands traits caractéristiques du premier ministre du Canada, qui sont comme des jalons qui l’ont toujours conduit sûrement à travers les voies ardues et cahoteuses de sa carrière publique, sont : la CLAIRVOYANCE portée à un point vraiment extraordinaire ; la FERMETÉ d’une volonté inflexible, quand sa vaste conception lui a fait voir un projet ou quoi que ce soit que l’intérêt du pays exige : la DOUCEUR avec laquelle il sait pallier et faire accepter ce que ses décisions irrévocables peuvent avoir de pénible et de dur.

Ces trois qualités-mères, jointes à une puissance intellectuelle qui tient du génie, l’ont fait diriger d’une main sûre la barque de l’État, ballottée bien souvent par les vagues d’opinions adverses et menacée de s’échouer sur les brisants des principes erronés et des exigences injustifiables de l’esprit de parti.

Nous défions nos adversaires nationalistes de nier la véracité et l’exactitude de ces deux portraits et il leur incombe de tirer les conséquences logique de leur dissemblance.



SIR WILFRID LAURIER : — Il semble absurde d’appeler cela une course.
M. BORDEN : — Marche donc ! Get up !
M. BOURASSA : — Arrière ! Back up !