Brassée de faits/17

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Collection des Orties blanches (Jean Fort) (p. 277-284).

LETTRE III

À l’exception de quelques trente lignes qui la commencent, nous publions avec plaisir cette lettre d’un Monsieur.

Comme elle s’adresse exclusivement à nos lectrices, c’est à celles-ci que nous recommanderons spécialement l’auteur sympathique des lignes que voici.

… Depuis un certain nombre d’années, j’éprouve très vivement et jusqu’à l’obsession un goût singulier pour la flagellation active et surtout passive, c’est à dire le désir de donner la fessée et plus encore de la recevoir de personnes jeunes et vigoureuses. Cependant pour diverses raisons qu’il serait trop long d’expliquer ici, je n’ai pu trouver encore l’occasion favorable de satisfaire ce goût qui autrefois me paraissait étrange et bizarre, alors qu’aujourd’hui je le trouve naturel, depuis que j’ai trouvé par de multiples ouvrages que ce goût est assez fréquent chez les hommes, comme chez les femmes et les jeunes filles.

Dans ma jeunesse, je n’ai presque jamais été corrigé par mes parents, sauf quand j’étais tout petit, cependant d’assez bonne heure j’aimais à faire le maître qui corrige les mauvais élèves en donnant à mes camarades plus jeunes des claques sur le derrière, par dessus la culotte. Bientôt, j’éprouvai aussi le désir d’être battu, de recevoir des claques ou des gifles de la main des condisciples que j’aimais le mieux.

Malheureusement, ils ne m’en donnaient jamais et je le regrettais sans oser par amour-propre le trop manifester. Un peu plus tard, adolescent de seize, dix-huit, vingt ans, je n’éprouvais aucun attrait vers les relations sexuelles. Je n’y pensais même pas.

Quand j’avais vingt ans, voyant une belle fille de mon âge, ou une jeune femme d’allure élégante et fière, au yeux audacieux, à la bouche rieuse, et effrontée, j’étais partagé entre un double désir. Ou bien, pouvoir retrousser ses jupes pour lui donner le fouet sur sa croupe rebondie, ou bien recevoir d’elle, à nu, une solide fessée, si elle avait l’audace et la vigueur nécessaires pour me l’administrer aussi forte que je le désirais.

Quelques années plus tard, me trouvant à l’étranger et assez longtemps en Italie, ce même goût pour les corrections manuelles, que j’aurais voulu moins donner que recevoir, continua de me poursuivre partout, sans que je puisse en détourner ma pensée et mon imagination.

Rencontrant assez souvent ces belles jeunes Italiennes, assez provocantes pour l’ordinaire, je ne songeais pas, comme tous mes compagnons, à les rechercher pour le motif qu’elles espéraient, mais je me disais seulement : « Comme je voudrais connaître quelques-unes de ces belles jeunes filles aux yeux noirs, à la bouche énergique et sensuelle, aux mains longues et fortes, pour recevoir d’elles quelques fessées vigoureuses qui me feraient crier de douleur. »

Parfois une réflexion un peu différente me venait à l’esprit : « Que j’aurais de plaisir à humilier par une fessée à nu, telle ou telle de ces créatures si fières de leur beauté, si orgueilleuses dans l’aurore de leurs vingt ans ! Mais peut-être ne serais-je pas le plus fort et ce serait moi qui récolterais la fessée ! »

D’ailleurs, timide et craintif par nature, je n’eus jamais la hardiesse d’aborder pour cela quelques unes d’entre elles, ni de faire allusion à mes singuliers désirs.

Depuis des années, pour calmer mes nerfs et mes désirs intenses de flagellation, il m’est arrivé, des centaines de fois, de me donner, à moi-même, de nombreuses claques, aussi vigoureusement que je le pouvais, dans une chambre isolée, parfois au point d’en garder les marques quelques jours.

C’était bête peut-être, mais que voulez-vous ? Cela me faisait du bien, me calmait les nerfs et c’était salutaire à ma santé.

Malgré ces exercices de vigueur sur ma propre personne, dans la suite, mes singuliers désirs, que je ne pouvais satisfaire, bien loin de se dissiper au milieu des occupations de la vie, ne firent qu’augmenter et s’exaspérer, surtout après les jours pénibles de la guerre et de ma démobilisation.

À ce sujet, la lecture de vos livres si intéressants et si documentés, que je connus à partir de 1922, fut pour moi une véritable révélation. Je me croyais une exception dans le monde, un être bizarre ayant, depuis des années, des idées et des goûts que personne n’avait et voici que j’apprenais par vous, cher Monsieur, que nombre de gens dans le monde avaient des goûts semblables ou analogues ! Des femmes jeunes, des jeunes filles, des adolescents, des jeunes gens et même des hommes intelligents et cultivés, aussi bien d’ailleurs que des gens du peuple, trouvaient du plaisir et une réelle satisfaction à donner le fouet à d’autres gens qui étaient heureux de le recevoir.

De plus, ces hommes et ces femmes, ces jeunes gens et ces jeunes filles, aussi contents de recevoir une énergique fessée que de la donner, étaient beaucoup plus nombreux qu’on pouvait le croire.

Cette constatation me réhabilitait à mes propres yeux et me fortifiait dans cette idée fixe de trouver une ou deux jeunes filles d’une vingtaine d’années, ayant vraiment comme moi le goût et la passion de la flagellation active et passive, et d’autre part assez hardies, assez vigoureuses et d’esprit assez large pour m’administrer, même malgré moi, la correction manuelle longue et sévère que je désirais et dont j’avais un si grand besoin.

J’ajoute qu’il me paraîtrait aussi ridicule qu’odieux de demander un service semblable à une mercenaire quelconque.

Autant j’accepterais volontiers et avec plaisir une fessée aussi rude, aussi forte et aussi prolongée qu’on voudra, de la main d’une jeune fille ou d’une jeune femme, hardie et vigoureuse que je connaîtrais et qui me serait sympathique, autant j’aurais une invincible répugnance à donner ou recevoir une correction même légère de quelqu’un qui me serait antipathique.

Pour moi, en effet, la flagellation — ou pour parler plus simplement — la bonne fessée n’est point cette brutale et sadique correction qui a pour but de faire souffrir une personne plus faible ou pour satisfaire la lubricité du flagellant.

Elle est un jeu violent et innocent, un sport vigoureux et esthétique entre des personnes qui, ayant les mêmes goûts, trouvent leur plaisir à se donner de bonnes claques ou des coups de verge, de martinet, sur les parties du corps qui semblent destinées à de salutaires corrections manuelles ou autres.

Maintenant, je vais dire ce que j’apprécie encore dans la fessée passive.

Ce ne sont pas seulement les claques, plus ou moins fortes et cinglantes, mais aussi l’humiliation d’être sous la domination de quelqu’un plus jeune que moi, en qui je reconnais une supériorité. Plus encore, c’est la honte pénible et délicieuse d’être bousculé, claqué, fouetté par une de ces grandes et belles jeunes filles de vingt ans, comme j’en ai connu quelques-unes, qui ont dans le sang le besoin de commander, la passion de dominer tous ceux qui les approchent.

Ces créatures de force et de volonté sont tout naturellement flagellantes actives. Elles trouvent dans une fessée fortement administrée la satisfaction de leur tempérament ardent et énergique, de leur caractère volontaire et facilement dominateur. Pour l’ordinaire, elles ont le geste vif, la main prompte pour corriger quiconque voudrait leur résister, que ce soient quelques-unes de leurs compagnes moins fortes, ou des jeunes gens moins robustes qu’elles.

Je comprends qu’elles éprouvent une joie réelle à manifester la supériorité de leur force, et à tenir, pour ainsi dire, entre leurs mains leurs amis plus faibles. Leur sens et leur âme vibrent ardemment, tandis que leur main claque longuement et vigoureusement une croupe féminine ou masculine, fortement rougie.

Ne les accusez pas de méchanceté ou de dureté de cœur. Ce n’est que l’excès d’un besoin d’autorité, qui trouve ici son dérivatif.

Elles ont cette autoritaire main de femme dont parlait récemment un écrivain contemporain, qui s’impose doucement, fortement, irrésistiblement, tant par la vigueur physique que par l’énergie, la volonté de leur personnalité. N’est-ce pas le désir intense de toute femme ou jeune fille ardente, forte et volontaire de dominer l’homme, son rival. Il y a, sans doute, à Paris, en France et ailleurs, un certain nombre de personnes ayant ce goût, plus ou moins vif et qui brûlent de le satisfaire, activement ou passivement. Mais, elles ne se connaissent pas entre elles et n’osent parler, même à leurs meilleurs amis ou amies, de cette passion innocente et sans danger, considérée comme peu avouable par le pharisaïsme contemporain.

Cependant, à mon avis, cette passion, ce goût du Fouet, ce sport cinglant présente sûrement moins d’inconvénient et de dangers que la boxe ou le foot-ball ou même certains sports féminins. En tout cas, contenu dans de justes limites, il n’est pas immoral et il a même certains avantages hygiéniques et réellement moraux.

Parmi toutes ces jeunes filles d’une vingtaine d’années environ, qui travaillent à Paris où en banlieue, dans les bureaux, les magasins, les ateliers, il en est beaucoup qui, tout en aimant bien à s’amuser gentiment et à rire, n’en tiennent pas moins à rester honnêtes et sérieuses. Elles ne voudraient pas compromettre leur réputation et leur avenir en fréquentant habituellement les jeunes gens, à l’insu de leur famille. Soit qu’elles vivent dans des pensions de famille, soit qu’elles habitent en chambres meublées, faisant ménage à deux ou quatre ensemble, elles travaillent courageusement et durement toute la semaine. Aussi, le dimanche, ont-elles grand besoin de se reposer et de se détendre un peu les nerfs. Ne pouvant, pour la plupart, pratiquer les sports trop élégants c’est à dire trop coûteux des jeunes filles du monde, elles font ensemble de longues promenades à la campagne ou, quand il fait mauvais, si elles s’amusent à la maison, entre amies, à se rougir réciproquement, quoi d’étonnant qu’elles y trouvent leur plaisir et arrivent à se passionner pour un exercice aussi salutaire qu’inoffensif ?

Faut-il les en blâmer ? Nullement, car si aucun dommage n’en résulte pour elles, elles n’ont fait de tort à personne, qu’elles n’auraient pu scandaliser que si elles n’avaient observé les conditions de discrétion qu’il importe de ne jamais oublier. Félicitons-les d’avoir choisi cette façon-là de s’amuser, alors qu’il en est tant d’autres plus fâcheuses et plus déplorables.

Comme le Monsieur L. B. des lettres V et VI parues dans Suzanne Écuyère, « pour son malheur je suis né garçon ». Mais la nature capricieuse en me donnant un corps d’homme m’a doté d’une âme féminine. Par le tempérament, le caractère, les goûts, les sentiments je me rapproche de la femme. J’en ai la délicatesse et la susceptibilité, la sensibilité exagérée, le goût du détail, etc. C’est pour cela sans doute que je suis plus à l’aise avec les jeunes filles et les femmes qu’avec les hommes. Pour cela aussi que je n’éprouve pas les désirs des relations sexuelles avec les femmes, mais simplement des désirs d’affection et d’amitié sensibles. De là ce goût si vif de la flagellation active et surtout passive. Et aussi ce besoin de la recevoir de jeunes filles ou de jeunes femmes, afin d’en ressentir davantage l’humiliation et la sévérité. De là enfin cette impuissance physique à m’y soustraire, devant la vigueur physique et morale de belles filles de vingt ans !

Signé : P. E. L. S.