Bulletin - 30 juin 1835

La bibliothèque libre.

BULLETIN.

Nous venons de lire les Études sur Goëthe[1] par M. Marmier, l’un de nos plus jeunes et de nos plus instruits littérateurs. Après plusieurs séjours en Allemagne et une longue familiarité avec la langue et les hommes de cette contrée, sur laquelle l’attention est si dirigée aujourd’hui, et que MM. Heine et Lerminier viennent de nous représenter dans des ouvrages récens, M. Marmier, bornant son ambition à un moindre but, nous promène en détail à travers les seules œuvres de Goëthe comme à travers un parc étendu et varié, dont il sait les sentiers, dont il connaît chaque arbre mémorable, chaque grotte et chaque statue. Son livre, d’un genre trop peu usité jusqu’ici en France, est d’une forme facile, agréable, abondante, et rappelle bien des études et monographies analogues publiées en Angleterre et en Allemagne : rien de plus propre à faire connaître un écrivain étranger que cette façon de l’exposer en détail, de l’analyser au complet, de vous guider, en un mot, à travers toutes ses œuvres, sans prétention ni fatigue. Chez M. Marmier, le cicerone est peu occupé de lui-même, il ne pense qu’à son auteur, il s’efface devant lui ; et lorsqu’il parle en son nom et pour exprimer ses propres jugemens, c’est toujours d’un ton indulgent et ingénu qui laisse déborder une admiration sentie, et qui se fait pardonner sans peine ce qui quelquefois y manque de plus précis et de plus serré. Un des plus intéressans mérites du livre de M. Marmier est d’offrir, à propos de chaque œuvre de Goëthe, un historique des traditions qui s’y rattachent, une indication des sources où le génie a puisé. Le chapitre de Faust contient ainsi une ample et curieuse collection de témoignages sur ce personnage mystérieux. Les explications que, dans ses mémoires ou dans ses préfaces, Goëthe a lui-même données de ses ouvrages, s’entremêlent avec goût aux analyses qu’en donne M. Marmier, et il en ressort une intelligence vive, simple et non sophistiquée, des procédés et des intentions du grand poète. Nous avons éprouvé surtout ce bon effet dans le chapitre des Romans et à propos des ouvrages si peu compris en France, de Wilhelm Meister et des Affinités électives. Dans le chapitre d’Hermann et Dorothée et des poésies légères, le critique a fait preuve d’un sentiment naïf et frais de la nature, de la campagne, et jusque dans les traductions en vers qu’il a essayées, bien que parfois négligemment, on devine le sens et la mélodie du poète. Les Études sur Goëthe sont donc un ouvrage fait avec conscience, plein d’agrément, de variété, d’effusion ; une exposition sincère et animée y compense quelque défaut de fermeté dans l’analyse ; nulle prétention à l’unité de coup d’œil philosophique, mais aussi rien de pénible ; c’est une discursion aisée, une causerie instructive. On sent, au souffle qui y circule, que ces pages ont dû être écrites en quelque ville allemande, au milieu des souvenirs laissés par Goëthe lui-même, et au retour de beaucoup de promenades dans ces grasses campagnes, le long des baies de sureaux fleuris.

— Le libraire Charpentier, rue de Seine, 31, vient de publier un ouvrage remarquable sur Alger, sous le titre de Mémoires d’un officier d’état-major, par M. Barchou de Penhoën. L’auteur a fait la campagne d’Alger en qualité d’aide-de-camp du général Berthezène, et son livre nous intéresse et nous instruit encore, même après la foule d’ouvrages que la question d’Alger a fait naître.

— Le même libraire publie une magnifique édition de Byron, avec une traduction nouvelle, plus complète, de M. Benjamin Laroche. Il paraît une livraison de deux feuilles petit in-quarto par semaine ; chaque livraison coûte 25 centimes. On ne saurait allier un prix plus modéré à une exécution si parfaite. Avec les livraisons de texte, l’éditeur publie des illustrations anglaises, fort belles, exécutées à Londres ; chaque livraison contient deux portraits, et se vend 1 fr. 50 c.

Richelieu, Mazarin, la Fronde et le règne de Louis xiv, par M. Capefigue, a justifié pleinement l’attente publique, habituée à trouver dans les productions de l’auteur, des ouvrages sérieux, pleins d’érudition, de vues neuves et hardies.

— Alger étant désormais pour la France une conquête définitive, une possession que l’on ne peut déserter, plusieurs personnes ont conçu la noble pensée, dans l’intérêt de la colonisation, de fonder pour les Arabes, aux avant-postes français et sous la protection de notre armée, un hospice ouvert gratuitement aux malades indigènes et propre à les concilier aux bienfaits d’une civilisation qu’ils ignorent. Des constructions en bois exigeraient peu de frais ; la position de Douera semblerait la plus convenable. Les sœurs de la Charité offrent le concours de leur dévouement ; les colons et le gouvernement lui-même promettent leur appui. — La souscription est ouverte chez M. Péan de Saint-Gilles, notaire, place Louis xv, 8.

— Les bonnes institutions sont assez rares en France, pour qu’il vaille la peine d’appeler l’attention sur celles qui s’établissent ; de ce nombre est le Cercle Agricole, qui vient de se former rue de Beaune, 2, hôtel de Nesle. Ce cercle, conçu uniquement dans l’intérêt général de l’agriculture, se recommande naturellement à la bienveillance de tous les amis du pays. On trouve dans cet établissement des salons de lecture, de conférences, une bibliothèque composée des meilleurs ouvrages français et étrangers sur l’agriculture et l’économie rurale, la plupart des journaux et recueils périodiques, et les modèles des meilleurs instrumens aratoires. Tous les jours de la semaine, de huit heures à onze heures du soir (excepté les dimanches et jeudis), il y a des conférences sur les sciences et les arts.


— Nos lecteurs se rappellent peut-être qu’à l’occasion d’un article de M. Sainte-Beuve sur M. Ballanche, inséré au mois de septembre 1834, une réclamation, adressée par M. Coëssin, donna lieu à des circonstances particulières, et nous crûmes devoir refuser l’insertion. De nombreuses instances ayant été adressées depuis au directeur de la Revue, toutes les intentions offensives ayant été désavouées par M. de Beauterne, d’autre part M. Sainte-Beuve s’abstenant de toute opposition, nous croyons ne nous compromettre nullement aux yeux du public, qui du reste en jugera, par l’insertion suivante.

En ce qui concerne le récit du 1er  octobre 1834, auquel M. de Beauterne nous dit ne pouvoir adhérer, et que nous ne voulons aucunement discuter de nouveau, nous aimons mieux, dans un but sincère de conciliation, le retirer, priant notre public de considérer ce récit, et les faits auxquels il se rapporte, comme non avenus.

À M. SAINTE-BEUVE.
Paris, 22 septembre 1834.
Monsieur,

« Dans un long article de vous sur M. Ballanche, inséré dans le dernier numéro de la Revue des Deux Mondes, il vous a plu, vers la fin de cet article, de faire une courte mention de ma personne, conçue dans les termes suivans :

« Il lut (M. Ballanche) les neuf livres de Coëssin dès 1809, et dans un voyage qu’il fit à Paris, il visita ce prophète d’une époque pontificale, mais l’esprit envahissant du sectaire le mit d’abord sur ses gardes ; M. Ballanche voulait avant tout rester lui-même. »

« Je nie d’abord, monsieur, très positivement et très formellement, qu’aucunes de mes paroles, pensées, actions, ou publications, aient jamais pu donner à vous ni à qui que ce soit au monde, le droit de me qualifier du titre de sectaire, et je vous prie, vous et vos lecteurs, de tenir note de celle dénégation formelle, positive et nécessaire. Ensuite il est de mon devoir et dans mes convenances de vous faire observer, monsieur, que n’ayant l’honneur d’être connu de vous ni personnellement, ni probablement par la lecture de mes écrits, rien n’autorise un homme poli, comme vous l’êtes très certainement, à prendre avec un autre homme, qui lui est tout-à-fait inconnu, le ton familier que vous prenez avec moi dans la courte mention de ma personne, citée plus haut.

« En ce qui concerne M. Ballanche, il est bien vrai, comme vous le dites, qu’il m’a fait en ce temps-là un assez grand nombre de visites, et il est tout simple, comme vous le dites encore, que M. Ballanche voulût avant tout rester lui-même. Cela est un droit incontestable que chacun conserve à ses risques et périls. Mais que M. Ballanche ait cru que j’aie voulu un seul instant le rendre moi, vous conviendrez, monsieur, qu’il y a là une pensée qui ne peut être que le fruit d’une imagination bien timorée et même plus que timorée.

Quant aux ouvrages de M. Ballanche, je les ai reçus tous successivement de sa main, à peu près à mesure qu’il les publiait, et personne ne sait mieux que M. Ballanche, ce que, en ma qualité d’auteur des Neuf Livres, j’ai le droit d’en penser.

Au reste, monsieur, l’objet spécial de cette lettre n’étant que la dénégation formelle et positive du titre de sectaire, qu’il vous a plu de me donner publiquement dans le dernier numéro de la Revue des Deux Mondes, je compte sur votre délicatesse, pour la faire insérer textuellement dans le plus prochain numéro de ce journal.

Que si, contre mon attente, il vous convenait, monsieur, de donner quelque suite à cette discussion, j’aurais l’honneur de vous prévenir d’avance que pour toute réponse je m’en référerais uniquement à la présente dénégation, ayant bien soin toutefois de profiter, s’il y avait lieu, de vos observations, pour purger scrupuleusement mes publications passées et à venir, des plus légers traits qui pourraient, au moyen d’une interprétation malveillante, donner quelque lieu à la qualification fausse et désobligeante de sectaire, dont il vous a plu sans aucun motif de me tacher.

J’ai l’honneur d’être avec une considération très distinguée, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
F.-G. Coëssin.
  1. Levrault, 81, rue de la Harpe.