Bulletin bibliographique, 1851/06

La bibliothèque libre.


VERHANDELINGEN VAN HET BATAVIAASCHE GENOOTSCHAP VAN KUNSTEN EN WETENSCHAPPEN (Transactions de la Société des arts et sciences de Batavia)[1]. — De toutes les institutions scientifiques ou littéraires fondées par les Européens en Orient, la Société de Batavia est la plus ancienne ; elle date de 1778. La première idée de sa création est due à M. Mattheus Radermacher, membre du conseil des Indes et gendre de M. Reijnier de Klerk, alors gouverneur-général des possessions néerlandaises dans l’archipel d’Asie. Sa devise : Ten nut van Algemeen (pour l’utilité publique), indique très bien le but qu’elle se proposait dans les travaux qu’elle allait entreprendre, et la direction que depuis lors elle leur a imprimée. L’article second de son règlement porte en effet qu’elle s’occupera, non-seulement de l’histoire naturelle des langues et des antiquités des pays au centre desquels elle est placée, mais encore de toutes les questions relatives à l’agriculture, au commerce et aux intérêts coloniaux. Les vingt-deux volumes de mémoires qu’elle a fait paraître depuis 1779, époque où le premier vit le jour, attestent le zèle et la fidélité qu’elle a mis à remplir les engagemens et les conditions de son programme. Des recherches sur la géographie de plusieurs points de l’archipel d’Asie, des monographies dont les règnes végétal et animal, si riches, si curieux dans ces contrées, ont fourni les élémens, des dissertations médicales sur plusieurs maladies particulières à ces climats, quelques travaux que l’on pourrait ranger dans la classe de l’économie politique, tel est le principal contingent des premiers volumes, où figurent les noms de MM. Radermacher, W. van Hogendorp, Josua van Iperen, Johannes Hooijman, Isaac Titsing, F. van Siebold, Roorda van Eijsinga, etc., comme collaborateurs. Les recherches purement historiques sont, proportion gardée, peu considérables dans cette première partie de la collection ; elles y sont représentées par deux morceaux qui méritent entre autres une mention spéciale : 1° le récit de la guerre soutenue par les Hollandais contre plusieurs princes javanais de 1741 jusqu’en 1757 (tome douzième), et 2° le tableau du commerce des Européens avec le Japon, tableau auquel est consacré tout le tome quatorzième, et qui est l’ouvrage de feu M. Meijlan, chef du comptoir hollandais à Nangasaki. La position officielle de l’auteur au Japon, où ses compatriotes ont seuls avec les Chinois le privilège d’être admis, comme on le sait, donne à son livre une grande autorité. Ce livre vient prendre place à côté des descriptions si exactes de cet empire tracées vers la fin du XVIIe siècle par Kaempfer et par Valenlijn dans sa Beschrijving van Oost Indien, le plus important ouvrage sans contredit que les Européens aient jamais écrit sur l’Orient, et à côté des recherches modernes de MM. van Overmeer, Fisscher et de Siebold. La philologie, de même que l’histoire naturelle, est entrée pour une large part dans les mémoires de la Société de Batavia, et depuis ces dernières années elle y a pris une extension prédominante. Dès le début de cette compagnie savante, on la voit rassembler des listes de mots empruntés aux dialectes les moins connus de l’archipel indien : dialectes d’Achem, des Battas à Sumatra, de Macassar, de Bony à Célèbes, de l’île Bali, etc.

Ces essais, quoique incomplets, peuvent encore être consultés avec fruit pour l’étude comparée de ces divers dialectes et des races qui peuplent cette partie du globe. Plus tard, en 1826, une grammaire courte, mais assez méthodique, de la langue japonaise, œuvre de M. de Siebold, fut publiée dans le tome onzième sous le titre de Epitome linguæ Japonicæ. De tous les idiomes de l’archipel d’Asie, le javanais, de formation ancienne, d’une structure très artificielle, est celui qui a donné naissance à la littérature la plus riche, la plus originale. L’île dans laquelle il est répandu est couverte de ruines splendides, débris et témoignages d’une civilisation jadis très avancée et puissante. Sur les murs des temples et des palais, encore en partie debout, sont sculptées de nombreuses inscriptions. Il y avait là une mine de richesses archéologiques et littéraires dont l’History of Java de sir Thomas Stamford Raffles, gouverneur de cette île pendant l’occupation anglaise, de 1811 à 1815, avait déjà fait soupçonner la valeur ; mais, pour mettre cette mine en œuvre, il fallait avant tout la connaissance de la langue qui peut en ouvrir l’accès. À la Société de Batavia revient l’honneur d’avoir provoqué et encouragé les travaux dont cette langue est devenue l’objet. Le gouvernement néerlandais dans la mère-patrie, partageant les mêmes vues, décida que le javanais serait enseigné ainsi que le malay à l’école militaire de Bréda, et en fondant, il y a quelques années, l’académie civile de Delft, établissement destiné à former des employés pour les administrations publiques dans les Indes orientales, il créa une chaire spéciale pour chacune de ces deux langues.

Cette double impulsion, partie à la fois de la Société de Batavia et du ministère des colonies en Hollande, à la tête duquel était alors placé M. Baud, s’est révélée par une foule de publications qui rendent possible maintenant aux orientalistes l’intelligence des textes javanais, inabordables autrefois. Le créateur de ces études est Adriaan David Cornets de Groot, jeune linguiste de talent enlevé à la fleur de l’âge, au moment où il venait à peine d’atteindre sa vingt-cinquième année, et qui comptait parmi ses ancêtres paternels un homme qui a été une des gloires de la Hollande, Huig de Groot (Hugo Grotius). La Gramrnaire Javanaise de Cornets de Groot, Javaansche Spralckunst, forme le quinzième volume des Transactions de la Société de Batavia. Depuis lors MM. Gericke, Winter et Friederich ont enrichi cette collection de textes revus, traduits ou commentés par eux : le Roivoho ou Mintorogo, poème javanais édité par M. Gericke (tome XX), et le Romo, imitation métrique du Ramayana sanskrit (tome XXI, 2e partie). Le dix-neuvième renferme une production remarquable ; comme étant le premier travail complet et critique qui ait été entrepris sur l’une des grandes compositions poétiques des Malais : c’est le poème de Bida Sari, donné en original, avec une traduction et des notes, par M. van Hoëwel, vice-président de la société. Ce poème, qui tient par le fond au genre du roman, relève aussi en quelque sorte du drame, car l’action se déroule en une suite de dialogues qui se succèdent presque sans interruption. Il offre un simple et touchant récit des aventures d’une jeune princesse javanaise abandonnée au milieu des bois par ses parens fuyant devant leurs sujets révoltés, et qui, après des épreuves supportées avec courage et résignation, trouve pour époux un souverain et une couronne plus brillante que celle qu’elle avait perdue. On est aussi redevable à M. van Hoëwel d’avoir retrouvé un ancien dictionnaire manuscrit de l’un des dialectes principaux de Formose, dont le langage était jusqu’à présent un desideratum de la philologie européenne. Cet ouvrage avait été rédigé, à ce qu’il paraît, à l’époque où les Hollandais occupèrent cette île, de 1624 à 1661, par un de leurs missionnaires nommé Gerardus Happart, envoyé alors avec d’autres membres du clergé néerlandais à Formose pour y répandre les doctrines de l’Evangile ; les exigences de leur ministère les conduisirent à étudier les deux principaux dialectes formosans, celui du district de Sakam et le dialecte du district de Favorlang : c’est ce dernier auquel s’était attaché Gerardus Happart, et dont il nous a donné un lexique assez étendu, et où les mots sont rangés sous le radical duquel ils dérivent. On ne saurait douter, d’après l’examen de l’idiome favorlang, qui trahit de grandes analogies avec les dialectes des Philippines, qu’il appartient à la famille des langues disséminées sur cette vaste étendue du globe dont les limites sont à l’ouest le cap de Bonne-Espérance et à l’est les dernières îles du grand Océan, et on est en droit d’en induire que la population autocthone de Formose est océanienne et non pas chinoise d’origine. La compilation de Gerardus Happart, si utile pour les investigations de la philologie comparée et de l’ethnologie, a été accueillie avec empressement par la Société de Batavia, et, revue et annotée par M. van Hoëwel, elle a été insérée dans son recueil (tome XVIII).

Le tome vingt-deuxième, qui est le dernier qu’elle ait fait paraître, date déjà de près de deux ans, de 1849. Diverses circonstances en avaient retardé la mise en circulation, et ce n’est que tout récemment qu’il est parvenu de Batavia en Europe. Il s’ouvre par un discours où M. le président Buddingh rend compte des travaux de la compagnie savante à la tête de laquelle il est placé, des efforts et des sacrifices qu’elle a faits pour encourager l’étude du kawi ou javanais ancien, de la publication projetée d’un dictionnaire de la langue bougni en usage dans l’île Célèbes, des recherches qui se sont produites au sein de la société sur la géographie, l’ethnologie et l’histoire naturelle, et dans lequel M. Buddingh énumère les manuscrits précieux et les objets d’antiquité qu’elle a récemment acquis. M. le docteur Bleeker a coopéré à ce dernier volume par une suite de mémoires sur diverses classes de poissons, les labioïdes à écailles glabres, Gladschubhige Lipvisschen, qui vivent dans les eaux de Batavia ; les percoïdes de l’archipel malayo-moluquais ; les blennïoïdes et les gobioïdes de l’archipel de Sunda et des Moluques ; sur la faune ichthyologique des îles Bali et Madura. M. James Richardson Logan, le savant éditeur du Journal of the Indian Archipelago, y a coopéré par un travail sur la constitution géologique des roches de Poulo Oubin ; M. Buddingh, par une histoire et une théorie du panthéisme, principalement au point de vue indien ; M. le naturaliste Zollingen, par la relation d’un voyage fait dans les îles Bali et Lombok ; M. Ferdinand von Sommer, par un catalogue des couches et formations géologiques de la Nouvelle-Hollande, et enfin M. Friederich, par des recherches sur la langue et les anciens monumens littéraires de Bali. Cet orientaliste, envoyé par la Société de Batavia pour étudier ces monumens, a donné une notice très curieuse des manuscrits que les prêtres de cette île ont mis à sa disposition. Son mémoire se termine par une copie lithographiée du Vrétta-Santchaya, ou recueil des formes métriques employées dans la poésie balinaise.

Le tome vingt-troisième et prochain contiendra, ainsi que nous l’annonce M. Buddingh, le texte et la traduction en vers hollandais du Brata Youdha ou la Guerre des Bahratas, poème épique en javanais ancien ou kawi, dont l’auteur, Hempou Sedah, est présumé avoir vécu vers le IXe ou le Xe siècle de notre ère. Cette publication a été confiée à M. Cohen Stuart, actuellement fixé dans Pupe des résidences de Java, à Sourakarta. L’ampleur et l’élévation de pensée, ainsi que la beauté de style, qui caractérisent l’œuvre de Hempou Sedah, semblent justifier le titre d’Homère javanais que quelques savans lui ont donné. L’esquisse que nous venons de tracer des travaux accomplis jusqu’à présent par la Société de Batavia montre que, pour la variété, l’étendue et l’intérêt de ces travaux, elle peut être considérée comme marchant de pair avec les compagnies savantes les plus distinguées de l’Orient et de l’Europe.

ED. DULAURIER.


HISTOIRE DES PEINTRES DE TOUTES LES ÉCOLES DEPUIS LA RENAISSANCE JUSQU’A NOS JOURS, par MM. Charles Blanc et Armengaud[2]. — La publication de cet important ouvrage est à la fois trop peu avancée et trop morcelée en monographies sans liaison chronologique, pour qu’il soit possible encore d’en déterminer le caractère général. Entreprise quelques mois après la révolution de février, dans des circonstances où nous étions tentés de nous occuper du temps actuel beaucoup plus que des siècles écoulés, elle courait grand risque de paraître inopportune. Le moyen de nous distraire des émotions politiques par le spectacle des œuvres de l’art ? On n’y avait guère réussi dans deux occasions récentes, ou plutôt l’application du principe de la liberté illimitée au Salon et à l’exposition des figures de la République avait obtenu un tout autre succès que celui qu’on s’était promis. Dans le domaine de la peinture, comme ailleurs, les épreuves subies à cette époque eurent le mérite d’être promptement décisives ; mais aussi l’on pouvait craindre qu’elles n’eussent amené en dernier résultat l’indifférence pour les beaux-arts et pour tous les travaux qui s’y rattachent. Il y avait donc quelque péril à mettre au jour, dans de telles conditions, un recueil de gravures d’après les anciens maîtres, et à venir raconter l’histoire des diverses phases de la peinture à des gens qui ne se souciaient que de l’histoire des révolutions sociales. Cependant l’habile reproduction de quelques tableaux des écoles française, flamande et hollandaise attira d’abord l’attention des artistes sur la nouvelle publication ; peu à peu chacun remarqua ces livraisons, très préférables à tous égards aux livres illustrés qui figurent sur les tables des salons, et l’Histoire des Peintres ne tarda pas à être classée parmi les ouvrages d’art sérieux. Il n’y avait que justice en cela. Toutefois il est assez difficile jusqu’à présent d’apercevoir le but précis que se sont proposé les auteurs et les limites où ils prétendent se renfermer. Le titre même a quelque chose d’énigmatique. Annonce-t-il le dessein de nous faire étudier la vie et les œuvres des innombrables peintres qui, à tort ou à raison, sont arrivés à la célébrité ? Dans ce cas, il faudrait que plusieurs générations d’écrivains et de graveurs se succédassent pour poursuivre et mener à fin une entreprise qui eût effrayé des bénédictins. Ou bien devons-nous y voir seulement l’intention de présenter en regard les uns des autres les hommes qui résument le mieux les tendances et la gloire des différentes écoles ? Mais alors pourquoi certains peintres d’un talent fort secondaire se glissent-ils dans ce temple dédié au génie ? Étrange Panthéon et d’un accès un peu trop facile que celui où le nom de Hubert Robert est accolé aux noms de Poussin et de Lesueur, où Steenwick trouve sa place à côté de Rembrandt ! En outre, dans quelle acception est pris ce mot de renaissance, qui sert de date et de point de départ ? Marque-t-il l’époque de la régénération de la peinture au XIIIe siècle, ou celle de sa transformation au XVIe ? On ne nous en dit rien, et nous trouvons pour toute explication, dans quelques lignes où le plan de l’ouvrage est esquissé, que cette Histoire contiendra « la vie des peintres connus des sept grandes écoles. » Franchement, voilà qui n’est pas propre à nous tirer d’embarras. Il est à désirer que, dans la suite de leur travail, les auteurs fassent effort pour s’affranchir de l’éclectisme un peu vague qui se trahit dans les premières pages du livre. Nous ne pouvons aujourd’hui que constater les mérites de détail, l’exactitude des faits particuliers et la justesse des appréciations analytiques. Peut-être y aurait-il moins à louer dans les aperçus généraux ; peut-être certains aphorismes, jetés çà et là au milieu d’une monographie, nécesseraient-ils quelque développement qui en confirmât la vérité esthétique. N’est-ce pas par exemple exagérer, à force de laconisme, le principe de la libre personnalité du génie, que de dire (vie de Jouvenet, page 2) : « Les vrais peintres font leur éducation morale et intellectuelle avec une palette et quelques livres, en conversant avec les hommes et en regardant la nature, » et ne serait-il pas à propos d’ajouter qu’ils regardent aussi les tableaux de leurs prédécesseurs ? Témoin Raphaël, qui consulta toute sa vie les exemples de la peinture ancienne, et ne se fit pas faute d’en profiter largement. Ailleurs, et ceci est plus grave, nous lisons à la suite d’une description de la Leçon d’Anatomie de Rembrandt : « Copier la nature en poursuivant le modelé jusqu’en ses moindres finesses, et lui donner une force aussi extraordinaire, un tel accent, un tel relief, c’est sans doute le dernier mot de l’art. » A Dieu ne plaise que l’art n’ait rien d’autre à nous dire ! M. Charles Blanc, en émettant un peu légèrement cette opinion, oubliait-il qu’il l’avait démentie à l’avance dans son livre sur l’école française au XIXe siècle, et ne songeait-il pas qu’il allait la rétracter implicitement dans plusieurs passages de son Histoire des Peintres ? Les remarquables notices qu’il a écrites sur Ribera et sur ’Valentin semblent dictées par un sentiment tout contraire ; elles témoignent des préférences de l’auteur pour la peinture spiritualiste et de son aversion pour cette théorie funeste de « l’art pour l’art, » contre laquelle on ne saurait, aujourd’hui surtout, s’élever avec trop d’énergie. Il est regrettable seulement qu’après avoir fort nettement condamné la disposition de ces esprits qui ne demandent pas à la matière de penser, qui ne lui demandent que d’être, M. Blanc cite avec éloge quelques paroles où Valentin est présenté comme le peintre « toujours harmonieux et toujours poétique de l’extrême réalité. » Si l’on décore du nom de poésie l’art grossier qui nous montre des bandits se battant après boire, des héros et des héroïnes de mauvais lieux, comment qualifiera-t-on l’art inspiré des grands maîtres ? La première condition de la critique est sans doute l’impartialité, il est de son devoir de démêler et de mettre en relief le bien partout où il se trouve ; mais il est de son devoir aussi de respecter la hiérarchie des genres et des talens, de ne pas promener une admiration invariable sur des productions d’un ordre ou d’un mérite inégal : M. Ch. Blanc, qui, après avoir souffert qu’on appelât Valentin un poète, appelle lui-même Van-Ostade un peintre « profond, » qui dit tout uniment « le grand Sneyders, » comme s’il s’agissait de Poussin ou de tel autre génie, nous semble s’écarter quelquefois d’une loi qu’en beaucoup d’occasions il sait observer aussi fidèlement que personne. Du reste, tout ce qui se rattache à la biographie de chaque artiste est traité par M. Ch. Blanc avec un soin extrême. L’Histoire des Peintres rectifie plus d’une erreur et contient une foule de renseignemens intéressans ; des notes de M. Armengaud, relatives à la place qu’occupent les tableaux dans les galeries publiques et dans les collections particulières, l’indication des prix auxquels ils se sont vendus à différentes époques, le fac simile des signatures et des marques originales, complètent chaque notice et ne laissent rien à désirer au curieux le plus exigeant. Quant aux estampes qui accompagnent le texte, il serait plus difficile encore de ne pas s’en contenter. Si l’on supprimait du nombre de ces planches quelques portraits d’un faire sec et dur, quelques figures peu satisfaisantes, celles de Phrosine et Mélidor entre autres, où l’on ne retrouve pas la manière suave de Prudhon, il resterait une suite de vignettes charmantes, un spécimen accompli des progrès que la gravure sur bois a faits en France depuis plusieurs années. Les paysages surtout ont une souplesse et une limpidité de ton qui jusqu’ici ne paraissaient pas compatibles avec l’emploi de ce moyen, et certains ciels d’après Claude Lorrain ou Paul Potter déferaient presque la comparaison avec les travaux du même genre exécutés sur cuivre. — La publication de l’Histoire des Peintres a donc été pour la gravure en relief l’occasion de perfectionnemens qui honorent l’art de notre pays : malheureusement elle a donné lieu au-delà du Rhin à des progrès d’une autre sorte, à un développement imprévu de la contrefaçon. C’était peu de reproduire le texte : à Leipzig, on a reproduit les planches mêmes ; mais au prix de quelles mutilations ! À l’aide de je ne sais quel procédé, on a obtenu une espèce de décalcage des épreuves, et ce résultat informe, où les masses d’ombre et de lumière sont tout au plus indiquées, où la silhouette des objets est à peine sensible à l’œil, passe pour l’imitation exacte des originaux. Si le public allemand est d’humeur à accepter comme œuvres de la gravure de pareils barbouillages, libre à lui ; mais qu’il sache bien que ces prétendus échantillons du talent de nos graveurs ne sont que le fruit d’une industrie menteuse. L’art français n’est pour rien dans une entreprise où il n’y a de réel que la déloyauté du fait et l’inhabileté des faussaires.


H. DELABORDE.


— Les hommes de bien et de savoir qui consacrent tous les efforts d’une vie laborieuse à ranimer dans une sphère modeste, loin de la scène retentissante de Paris, le goût des lettres et des sciences, méritent bien un souvenir, lorsqu’ils disparaissent au milieu même de leurs labeurs si honorables et pourtant si souvent renfermés dans une étroite enceinte. Tel était M. Esprit Requien, fondateur du musée d’Avignon, naturaliste distingué, qui vient de mourir en Corse, où il complétait les collections scientifiques qu’il destinait au musée qu’il avait créé. La ville d’Avignon a vivement ressenti la perte qu’elle venait de faire. Non-seulement elle a envoyé en Corse une députation chargée de ramener les cendres du savant modeste qui lui avait consacré ses travaux, mais elle a voulu honorer sa mémoire par des funérailles solennelles où sont accourues toutes les notabilités du département de Vaucluse. Un poète provençal a, de son côté, pleuré en vers naïfs et touchans la mort du savant lettré qui n’avait pas non plus refusé ses encouragemens à la muse populaire. L’exemple que vient de donner Avignon, s’il était plus souvent mis en pratique dans nos départemens, pourrait avoir de bons résultats pour les sciences et les lettres en France ; voilà pourquoi nous aimons à le signaler.


V. de Mars.

  1. Tome XXII, in-4o, Batavia, 1849, imprimerie Lange et compagnie.
  2. Paris, chez Jules Renouard et Cie.