Carnets de guerre d’Adrienne Durville/1918

La bibliothèque libre.
Année 1918

Mardi 1er janvier 1918

Journée triste ; un peu de cafard. Nous allons au devant de Julie ; je glisse sur le verglas et me fais grand mal au genou.

Vendredi 4 janvier

Le plus grand froid que nous ayons eu ; -9° ce matin dans nos chambres ; c’est vraiment dur de se lever. J’écris à Paris pour demander mon poële à pétrole.

Dimanche 6 janvier

Les Rois : nous invitons à dîner nos patrons et les sous-patrons plus Vignes. Réunion sympathique mais pas beaucoup d’entrain. Nous nous souvenons d’il y a deux ans notre grande réception de Gérardmer.

Lundi 7 janvier

Départ de Liaison le matin et de Fouilhoux le soir. Je prends le service de la salle 14 avec Remilly.

Mardi 8 janvier

Départ du patron, comme Fournier est parti lui aussi, c’est tout le service en permission.

Il y a beaucoup à faire avec deux salles et je n’arrête pas une minute. Il continue à faire très mauvais, gel et dégel, neige et verglas.

Renée prend possession de son nouveau service.

Jeudi 10 janvier

Travail intense tous ces jours-ci sans une minute de répit.

Samedi 12 janvier

Canonnade violente ; des blessés arrivent la nuit ; c’est un coup de main qui nous a donné quelques prisonniers.

Dimanche 13 janvier

Encore le canon, encore une nuit de travail.

Évacuation de Michau ; heureusement que tous les blessés ne sont pas si occupants que lui.

Arrivée de mon poële par le train de ravitaillement ; je l’allume le soir et je vois avec joie qu’il chauffe très bien ma chambre.

Lundi 14 janvier

Arrivée d’une bande de médecins américains qui viennent suivre les cours. Ils sont comiques avec leurs chapeaux à élastique. Cela ne va pas rendre les services bien agréables.

Mardi 15 janvier

Un vrai coup de théâtre ; Caillaux est arrêté. C’est une vraie stupéfaction qui réunit toutes les approbations.

On loue l’énergie de Clémenceau et on se félicite d’être débarrassé de cette dictature criminelle.

Jeudi 17 janvier

Il y a beaucoup à faire avec mes deux salles et je n’arrête pas une seconde.

Vendredi 18 janvier

Nous n’avons aucune nouvelle de Péon depuis si longtemps que Renée écrit à son capitaine, pour savoir s’il n’a pas été tué.

Samedi 19 janvier

Retour de Liaison, Fouilhoux et Roux Berger.

Dimanche 20 janvier

Je repasse sa salle à Fouilhoux et j’ai l’impression de n’avoir plus rien à faire.

J’apprends par le journal la mort de ma tante.

Le soir, réception des Américains.

Grande soirée artistique à laquelle nous ne sommes pas invitées.

Le médecin-chef accumule volontairement les impolitesses, et quand nous nous souvenons des égards de Gérardmer, cela nous change particulièrement.

Lundi 21 janvier

Retour de mon médecin Fournier. Soirée pour tout le monde de l’H. O. E. ; cette fois, on nous invite dans le tas ; je préfère ne pas y aller et je n’ai rien à regretter, car c’était plus qu’ordinaire.

Mardi 22 janvier

Une bonne lettre de Jeanne.

Le paquet envoyé à Schaeffer me revient. Est-il tué. J’écris à son commandant.

Vendredi 25 janvier

Il fait un temps si beau, et j’ai si peu à faire maintenant que j’en profite pour aller me promener avec Renée, Possel et Beaudoin.

Nous allons à la chapelle St Lié d’où nous découvrons Reims et sa cathédrale. La brume nous cache le reste du paysage, mais ce que nous voyons est bien impressionnant.

Samedi 26 janvier

Nouvelles d’Italie. Nos amies ont eu assez à travailler, mais maintenant elles ne font plus rien et s’attendent à revenir bientôt.

Dimanche 27 janvier

Lettre de H.. Il fait l’interim de l’auto-chir 15 à Morvillars. Il espère pouvoir la garder et nous y faire venir. Je n’y compte guère, puis je trouve que la situation est bien à l’extrémité du front et qu’on peut craindre être en dehors de tout.

Mme de Barrau nous annonce sa visite prochaine.

Lundi 28 janvier

Enfin des nouvelles de Péon dont les lettres ne sont pas arrivées tout simplement.

Il arrive des ordres d’évacuer tout blessé dont le séjour à l’H. O. E. dépasse 5 semaines.

Cela arrive à la suite d’une affaire dans le service Lemaître. Si on obéit, c’est la mort du G. S. C. S..

Mardi 29 janvier

Nous allons à la gare chercher Mme de Barrau, qui par suite d’une erreur, n’arrive que le soir. Nous sommes bien contentes de la revoir. Elle nous donne quelques détails intéressants sur son ambulance de Crouy.

Mercredi 30 janvier

Nous passons la journée avec Mme de B. qui assiste le matin à une opération de Roux-B. et qui prend le thé avec nous le soir.

L’évacuation de Terrisse est décidée avec celle de plusieurs autres qu’on n’aurait jamais pensé à faire partir avant la dernière circulaire. Tout le monde est très ennuyé.

Jeudi 31 janvier

Mme de B. part le matin en emmenant Mary qui va en permission.

Nous apprenons le soir que Paris a été bombardé la nuit dernière par avions. Il y aurait beaucoup de victimes. Aucun détail, aussi j’écris vite à Paris pour avoir des nouvelles de tous.

Vendredi 1er février

Cela paraît avoir été très grave, beaucoup de morts et de blessés ; des maisons démolies entièrement. Rien heureusement de notre côté.

Samedi 2 février

Péon nous écrit que sa famille est revenue et qu’il part la retrouver, il est dans la joie.

Godart donne sa démission ; nous voilà sans ministre. Cela va peut-être changer bien des choses.

Dimanche 3 février

J’ai enfin des nouvelles ; rien dans notre quartier, Mme Morel ne s’est même pas réveillée ! Mais le chiffre des victimes est bien élevé, malheureusement.

Je reçois la réponse du Ct de Schaeffer. Le pauvre garçon a été blessé gravement à l’attaque de la Malmaison et est à l’intérieur, on ne sait où. Le bataillon se trouve à Metzeral actuellement.

Lundi 4 février

Départ de Terrisse et de mes évacués. Je vais les installer dans le train. Forest pleure. Terrisse est bien ému. Voilà 9 mois aujourd’hui qu’il est à Bouleuse, et 6 mois et demi que je le soigne. Depuis le début de la guerre, c’est le blessé que j’ai eu le plus longtemps.

Mardi 5 février

C’est Mourier qui remplace Godart ; on s’attend à des changements et à des mesures énergiques. Nos étudiants sont navrés.

Manœuvre des masques à gaz. Tout le monde y passe même les chefs de service. Nous arrivons trop tard et ne prenons pas part à l’exercice.

Commencement du procès Bolo[1].

Vendredi 8 février

Nous allons assister à Sapicourt à un très beau concert donné par des artistes mobilisés dans la région. Le médecin-chef ne veut pas nous donner de moyen de transport et il faut faire jouer le système D pour ne pas faire le trajet à pied. Bonne et agréable journée. Béchard et Reynaud très aimables et nous rentrons en auto, par ordre.

Samedi 9 février

On évacue de plus en plus et je n’ai presque rien à faire. Tricot et correspondance !

Nouvelles de Mlle Roch qui est à Morvillars.

Dimanche 10 février

On ne croit pas à l’offensive boche ici, mais plus à l’est de Reims ; on continue pourtant à évacuer.

Mlle Germain et Mme Daviau viennent déjeuner.

Le soir, concert dans la tente d’aviation, cette fois, nous sommes invitées et y allons toutes.

Sauf l’orchestre et quelques numéros pas trop mauvais, c’est pitoyable.

Lundi 11 février,

L’Allemagne signe la paix avec l’Ukraine.

Mardi 12 février

Visite du ministre Mourier qui s’abstient d’aller au groupe 10 et à tous les services du G. S. C. S.. Impossible de marquer davantage son dédain pour les œuvres de son prédécesseur mais c’est bien grossier pour les chefs.

Mercredi 13 février

Quatrième carême de guerre ! Le passerons-nous ici en entier ?

On annonce le départ du médecin-chef et on potine ferme sur la visite du ministre. On se demande si les grands patrons resteront ; j’apprends que R. B. pense à demander le Maroc.

Jeudi 14 février

Un coup de main nous amène des blessés, opérations toute la journée.

La fin du procès Bolo doit être aujourd’hui, on attend avec impatience.

Vendredi 15 février

Condamnation de Bolo à mort ; élection de Joffre à l’Académie !

Rémilly est obligé de partir pour faire un stage à Besançon ; cela change tout le service et je vais hériter de Résert, ce qui ne m’enchante pas ; l’idée du Maroc paraît abandonnée.

Samedi 16 février

On entend beaucoup plus le canon depuis quelques jours ; il y a des coups de main un peu partout ; opérations toute la journée.

Les étudiants partent mardi pour les ambulances divisionnaires.

Promenade très intéressante avec Mary, Fouilhoux et le docteur Vigne. Sous la conduite d’un capitaine d’artillerie, cousin de Rémilly ; nous visitons les travaux de construction pour l’emplacement d’une batterie.

Cela ne servira que si Reims est pris, il faut donc espérer jamais ; on mettra là des gros canons qui portent à 8 ou 10 kilomètres. Nous visitons les boyaux, les plate-formes que l’on commence seulement et nous reviendrons dans 15 jours voir les premiers travaux terminés. Après on attendra les événements.

Avec de pareils préparatifs, on comprend que la percée soit impossible de part et d’autre.

Dimanche 17 février

Canonnade violente toute la journée.

Lettre d’H. ; il espère avoir l’auto-chir 15.

Séance de cinéma, le soir ;

Mardi 19 février

Visite de M. de Nanteuil ; on travaille beaucoup dans l’aviation et la D. C. A. : Pose de câbles tenus par deux ballons situés à deux hauteurs différentes ; lumières éclatantes se diffusant sur le ciel pour éblouir l’aviateur ; on invente tous les jours quelques choses de nouveau.

Mercredi 20 février

La Russie signe la paix et accepte toutes les conditions boches. C’est la catastrophe prévue depuis longtemps. Et dire qu’il y a eu des gens pour acclamer la révolution russe !

Jeudi 21 février

Départ de Renée en permission.

J’ai un nouveau médecin de salle ; le Dr Wiart du service des officiers, très agréable.

Vendredi 22 février

Lettre de H. il espère avoir bientôt une solution pour l’auto-chir 15 et nous demander aussitôt. Notre situation est maintenant très nette ; nous ne quitterons R. B. et L. que si nous sommes demandées par un de nos anciens chefs. Mais si eux-mêmes s’en vont, comme c’est probable, nous nous arrangerons pour ne pas rester ici.

Samedi 23 février

Les conditions de l’Allemagne sont aussi dures et humiliantes que possible ; la Russie accepte tout, ce qui n’empêche pas les boches de continuer leur marche sur Pétrograd.

Que va devenir la mission francaise et le pauvre Lelong ? —

Dimanche 24 février

Retour de Mme de Possel.

Le soir, une surprise ; nos majors viennent nous annoncer que « notre pourvoi est rejeté ». C’est le terme consacré pour leurs petites fêtes. Ils nous rendent la politesse de nos dîners en nous invitant à souper chez nous. Tout le monde se met aux préparatifs et nous passons une soirée charmante, pleine de gaieté et d’entrain.

Lundi 25 février

Je soigne un gendarme de Reims, blessé par le bombardement, et j’ai quelques renseignements : on évacue la population civile à raison de 600 par jour en ne gardant que les gardiens des caves et les habitants strictement indispensables à l’armée, un millier environ.

Les rues de la ville sont barrées de fils de fer, on y est assez nerveux, paraît-il, l’entrée est très difficile, on bombarde souvent et les boches envoient des gaz asphyxiants. Moi qui devais essayer d’y aller avec Julie, il faudra renoncer à notre projet.

Mardi 26 février

Promenade à St Lié ; il fait un temps superbe et la vue est très claire ; on voit Reims dans la perfection, Brimont, le Mt Cornillet, les tranchées boches et des villages en ruines. Peu de canonnade, nous voyons pourtant une grosse marmite éclater devant nous, puis une saucisse prend feu, incendiée par un avion boche ; on voit les deux parachutes descendre et atterrir doucement.

Mercredi 27 février

Tous les jours, il y a une nouvelle : on démolit Prouilly pour l’installer à Dormans.

Une lettre du Dr Petit dit qu’on attend le G. S. C. S. de Bouleuse à Souilly. Comme on a demandé dernièrement le tonnage du matériel, il y a peut-être quelque chose de sérieux dans ce canard.

Par contre, les nouvelles de la combinaison H. sont moins bonnes.

Jeudi 28 février

Le canon augmente ; la nuit est effroyable, impossible de dormir.

Vendredi 1er mars

Quelques blessés arrivent de Reims bombardé à outrance cette nuit ; l’hôpital civil brûle et on a évacué la population civile sous le bombardement. Julie ne comprend pas que je parte en permission, elle croit à l’attaque imminente.

Le canon tonne toute la journée particulièrement sur Craonne à l’heure de mon départ. Je me demande si j’irai jusqu’au bout de ma perm.

Samedi 2 mars

Le journal annonce une grosse attaque sur Craonne et la Pompelle ; les boches ont été repoussés avec des pertes assez lourdes.

À midi, téléphone de Louis qui me dit de ne pas tenir compte de la dépêche que je viens de recevoir.

Je comprends que mon ordre de rappel est en route ; il n’arrive qu’à 7 heures du soir ; heureusement que le contre-ordre est arrivé avant.

Dimanche 3 mars

Lettre de Julie ; on a cru à l’offensive, d’où le rappel ; puis au matin, tout s’est calmé, la neige tombe, il fait un temps effroyable, je puis donc être tranquille.

L’auto-chir 16 est arrivée avec quelques infirmières dont Soulas, ce qui n’est pas de veine ; le reste suivra bientôt, c’en est fini de notre bonne intimité.

Mardi 5 mars

Départ pour Royan.

Samedi 9 mars

Retour de Royan ; à la descente du train, j’apprends que Paris a été bombardé cette nuit par les Gothas. Rien heureusement chez moi ; cela a été moins grave que la dernière fois, et les gens se sont mis à l’abri ce qui fait qu’il y a moins de victimes.

Lundi 11 mars

À 9 heures du soir, sirènes ; peu après, commencement du bombardement, bruit effroyable, bombes, secousses, c’est en plein sur notre rive gauche. Tout est fini à minuit sans dommage pour nous, mais cela paraît avoir été sérieux.

Mardi 12 mars

La grande secousse de cette nuit provient de l’écroulement d’une maison rue Mézières ; une bombe est tombée rue de Grenelle, plusieurs à Vaugirard, beaucoup dans le quartier du ministère de la guerre qui est très abîmé.

Beaucoup de morts dans un abri du métro, à la suite d’une panique causée par des apaches.

Jeudi 14 mars

Visite à Julie, arrivée en permission. H. a officiellement maintenant l’auto-chir 15, à Morvillars. Il y a des U. F. F., qu’il veut remplacer par nous. Cela va demander un certain temps.

Je serai très contente d’aller le retrouver, mais j’aurai un vrai chagrin de quitter Mary, Liaison et Fouilhoux.

Vendredi 15 mars

Déjeuner à Noisy-le-Sec ; au retour en gare d’Est-Ceinture[2], je suis secouée par une explosion formidable qui provoque la panique. C’est un dépôt de grenades qui saute à la Courneuve. Des morts, des blessés, et énormément de dégâts matériels[3].

Samedi 16 mars

Retour de permission ; je fais le voyage avec Liaison et nous parlons de la séparation possible qui nous fait tant de peine à toutes les deux.

Je retrouve notre baraque envahie par douze S. B. M. pas désagréables mais bien encombrantes, parmi lesquelles Soulas et Mlle Chabert, une de mes compagnes de session.

Par contre, ma salle est vide, on a tout évacué et il n’y reste que deux malades !

Dimanche 17 mars

Comme je n’ai rien à faire et que R. B. est en permission Liaison et moi allons faire une très jolie promenade avec MM. Vignes et Couvert. Temps très beau et vue magnifique sur Reims, le Mt Cornillet et Brimont, où l’on voit éclater les marmites.

Lundi 18 mars

Très peu de travail, rangements ; quelques opérations dans l’après midi ; correspondance.

Mardi 19 mars

Les boches font quatre coups de main auxquels nous répondons par une petite attaque, pénétrant jusqu’aux 4e lignes ennemies et tuant tout.

Opérations toute la nuit ; ma salle se remplit un peu.

Les soldats s’attendent à attaquer prochainement ; la légion vient d’arriver, on a réuni les trois bataillons de Joyeux[4], les zouaves et les tirailleurs sont là aussi ; on parle de l’attaque sur Brimont avant la fin du mois.

Mercredi 20 mars

Violente canonnade toute la journée et toute la nuit.

Jeudi 21 mars

Visite de M. Chevassu dont l’auto-chir est installée à Montigny. Il vient nous dire que n’ayant pas changé, son plus vif désir est toujours de nous avoir comme infirmières. C’est moi qui l’ai reçu la première, et j’ai dû lui répondre par un refus. C’était fort désagréable pour tous les deux. Il a tenu à renouveler son offre à toutes l’une après l’autre, ce que j’ai trouvé très chic.

Nous avons toutes un vrai regret de ne pouvoir accepter. C’était une auto-chir et pas de séparation. Si l’affaire H. rate, et si R. B. et Leriche s’en vont sans pouvoir nous reprendre, nous nous trouvons encore une fois bloquées ici.

Vendredi 22 mars

Violente canonnade sans arrêt mais pas d’entrants. Ce sont des réglages d’artillerie, paraît-il. Hier soir, bombardement de l’ambulance de Châlons s/Vesle[5] par obus à gaz ; on évacue tous les blessés.

Lettre de Julie ; l’affaire H. paraît arrangée ; on enverra à Montigny les U. F. F. pour les dédommagements. Quant à nous, nous partirons pour l’auto-chir 15 au commencement d’avril. Comme nous serions contentes si nous pouvions emmener Liaison, Mary et Fouilhoux.

Samedi 23 mars

Lettre de Julie confirmant celle d’hier. Nous en parlons aux autres, elles sont navrées.

Santy rentre de Paris qui a été bombardé toute la matinée.

L’offensive boche est commencée contre le front anglais ; l’attaque est formidable et les Anglais reculent. Pourvu qu’ils tiennent.

Dimanche 24 mars

Visite du pharmacien et du radiographe de la 20 : Chevassu est navré de notre refus, Petit a le cafard ; nous-mêmes regrettons toutes d’avoir été forcées de refuser.

Les Anglais continuent à reculer, c’est navrant.

Une nouvelle ahurissante ; c’est une grosse pièce de canon qui a bombardé Paris à 120 kilom !

Peu de victimes et de dégâts, mais c’est quand même fort.

Le danger est dans la destruction possible de nos voies ferrées des gares de l’Est et de ravitaillement.

Pas de courrier aujourd’hui ; j’appréhende un peu la façon dont R. B. prendra notre départ.

Lundi 25 mars

Les nouvelles sont mauvaises : non seulement les boches ont traversé la Somme, mais ils sont tout près de l’Oise ; nous envoyons des troupes de secours. On est un peu angoissé, bien plus que si c’était nous qui devions tenir ; nous serions autrement sûrs du résultat.

R. B. a été extrêmement gentil ; il comprend que nous désirions rejoindre un ancien chef, mais m’a dit qu’il regrettait mon départ.

Je lui ai expliqué combien j’aurais préféré moi-même ne partir qu’au moment où son service finirait.

Il croit que nous sommes encore là pour un certain temps, car il est à peu près sûr que le recul anglais va amener un déclenchement formidable par ici. Naturellement nous ne lâcherons pas en pleine attaque. Il n’y a qu’à attendre.

Mardi 26 mars

On recule toujours : Noyon est pris. Lettre de Louis : le premier obus du gros canon est tombé très près de lui devant la gare de l’Est ; il a été protégé par miracle.

Mercredi 27 mars

Les boches ont pris Roye et Albert ; on évacue Arras, c’est navrant.

Lettre de Fernand, un obus a démoli une maison en face de la sienne, il n’a rien eu.

Retour de Julie : Compiègne est évacuée et très abîmée, les hôpitaux incendiés, le G. Q. G. va à Provins. Foch est généralissime des armées alliées ; on est inquiet et on en veut un peu aux Anglais, qui malgré leur bravoure, n’ont pas tenu.

Nos affaires sont en bonne voie ; la S. B. M. a reçu notre nomination nous n’avons plus à attendre que l’ordre de départ.

Jeudi 28 mars

Nous suivons la bataille avec angoisse et nous ne vivons plus que pour l’heure du communiqué que nous avons par T. S. F.. Les patrons ne se couchent plus avant celui de la nuit ; on revit les heures qui ont précédé la Marne.

Ce soir Montdidier[6] est pris, Amiens[7] évacué et bombardé !

Les troupes boches qui se préparaient à l’attaque de Reims sont parties ; les nôtres sont envoyées en renfort. Il n’y aura peut-être rien par ici ; tout se porte là-bas.

Le moral est admirable ; nos soldats s’attendent à une contre-attaque qui recommencera la Marne et sera le début de la guerre de mouvements. Avec quelle impatience nous l’attendons tous.

Vendredi 29 mars

Meilleures nouvelles ; la ligne tient du côté de Roye, et vers Montdidier, nous avons fait reculer les boches de 2 kilomètres. Tout le monde pousse un soupir de soulagement en attendant la suite. Le communiqué boche récapitule ses victoires, est-ce parce qu’il s’attend à ce qu’il n’y en ait plus d’autres ?

Cette semaine Sainte sera bien une semaine sanglante.

Samedi 30 mars

Les nouvelles militaires continuent à être meilleures ; par contre, une horrible chose s’est passée à Paris : un obus est tombé sur une église hier à 3 heures et y a fait une quantité de victimes ; c’est monstrueux.[8]




Dimanche 31 mars

Pâques au milieu d’inquiétudes de toute sorte.

Le communiqué de 3 heures est superbe, nous en pleurons d’émotion et de fierté. On y parle de la bravoure de nos troupes à un point qui n’a pas encore été égalé ! Qu’est-ce que cela a pu être.

Mme Guinard a été tuée dans le bombardement du vendredi Saint. Cet acte suscite heureusement une réprobation générale.

Lundi 1er avril

Nous passons à la 4e armée, Gal Gouraud, la 5e étant partie pour le nord avec presque toutes les troupes de la région ; nous ne recevrons plus les blessés de Brimont, mais seulement ce qui viendra de l’est de Reims, la Pompelle[9], etc. Il est probable que nous travaillerons de moins en moins ; il y a en face de nous des Turcs et des Bulgares.

Lettre d’Hallopeau, il voudrait nous voir arriver, mais nous ne pouvons partir sans ordre, et cela peut traîner encore longtemps. C’est Malaspina qui est médecin-chef à Morvillars, ce qui sera bien agréable pour nous.

L’auto-chir 16 est alertée.

Le bombardement de Paris continue.

Mardi 2 avril

Un an aujourd’hui que nous sommes arrivées à Prouilly ; Renée y va en auto avec Beaudoin.

Accalmie dans le nord.

Mercredi 3 avril

Le calme continue, cela paraît arrêté momentanément et les Boches n’ont pas passé.

Jeudi 4 avril

Une amie de Julie, infirmière du train sanitaire, rate le départ et passe la journée avec nous.

Le service de ma salle est pris par Vignes ; c’est presque un ami.

J’apprends la mort de l’abbé Dauphin ; un de nos premiers amis de guerre qui disparaît.


Vendredi 5 avril

La bataille reprend furieuse, les Allemands sont contenus partout.

Lettres de Paris ; on bombarde toujours ; je voudrais avoir des nouvelles.

Samedi 6 avril

Les Portugais se font battre, les boches avancent de nouveau.

Notre ordre arrive de la C. R. mais cela n’est pas suffisant pour partir encore.

L’auto-chir 16 est partie vendredi pour Creil ; nous les avons embarquées dans leur train spécial, c’était assez pittoresque.

Vignes est alerté ; un départ possible attriste tout le monde.

Canon loin et fort, est-ce celui de la grande bataille ?

Dimanche 7 avril

Les nouvelles continuent à être un peu angoissantes, les Anglais vont-ils tenir ?

Lundi 8 avril

Mullon téléphone que notre ordre de mutation est parti pour l’armée. On nous mettra en route dès son arrivée ici. Je crois que notre séjour touche à sa fin.

Mercredi 10 avril

L’ordre arrive l’après-midi, nous offre une auto pour Épernay ce qui simplifierait bien le voyage, mais nous force à partir dès demain. Nous acceptons quand même et c’est la bousculade des préparatifs.

Je passe mon service à Beaudoin qui va prendre ma salle.

L’ambulance de M. Delaunay dont fait partie Fournier est alertée. Tout le monde s’en va ; il ne va plus rester ici que 6 équipes chirurgicales dont Roux-Berger, Leriche et Lemaître.

Nous recevons tous nos majors pour la soirée d’adieux ; malgré le champagne, tout le monde est triste.

Jeudi 11 avril

Notre dernière messe à Bouleuse, adieux à l’aumônier, à mes infirmiers, aux malades, ensuite aux patrons et aux amis. Nous avons tout un cortège qui nous conduit à notre voiture ; cela nous rappelle nos départs de Belfort, Gérardmer, Prouilly, toujours un mélange de joie et de regret.

Fournier me dit ses regrets d’avoir été si insociable au début du service et me remercie de ma bienveillance ; il est ému et moi aussi un peu ; c’est un bien charmant garçon et je garderai un bon souvenir de lui ; Vignes, Audibert, tous sont un peu tristes et nous sommes touchées de cette amitié bien superficielle sûrement, mais quand même sincère aujourd’hui.

Quant à Liaison, Mary, un peu aussi Fouilhoux, c’est un vrai chagrin pour elles comme pour moi de nous séparer. J’espère que nous pourrons les retrouver.

Voyage en auto jusqu’à Épernay où notre train a 2 heures de retard.

Renée s’en va sur Nancy et Lunéville et nous arrivons à Paris vers 5 heures.

Canon le soir, avec beaucoup de tapage.

Vendredi 12 avril

Journée à Paris, canon dans la journée, gothas[10] la nuit ; pas mal de victimes.

Samedi 13 avril

Départ ; je trouve à la gare de l’est Julie et deux nouvelles infirmières : Mlles Guillelmon. Bonne impression, voyage long ; Julie voit son mari entre deux stations : le second de ses neveux de Champfeu est blessé et disparu ; aucune nouvelle d’un autre ; comme tout cela est triste. Renée nous rejoint en route ; elle a vu son mari et le Général ; la division va partir dans le nord ; il n’est question de rien pour l’Alsace en ce moment.

Deux heures d’attente en gare de Belfort, un peu ennuyeuse, mais nous revoyons quand même des paysages connus et cela nous reporte bien loin en arrière. Nous rencontrons par hasard M. Feltin tout ahuri de nous voir ici ; puis H. arrive et nous faisons tous ensemble le trajet jusqu’à Morvillars.

H., bien content de nous voir, nous met au courant de la situation ; il y aura des drames, les U. F. F. sont encore là, agrémentées de quelques autres insupportables. Il faudra tout arranger en douceur.

Nous coucherons dans un séminaire tant que nos prédécesserices[sic] seront là, car il n’y a que 16 cases par baraque ; nous serons forcées de faire popote avec les 8 restantes.

Le soir, accueil poli mais froid, un peu vinaigre de la part d’une Me B. qui paraît une vraie peste. Baraque sale, mal tenue, sans goût ; où est notre jolie salle de Bouleuse ?

Nous retrouvons l’ambulance 1/61 du Dr Auperrin ; scènes de reconnaissance avec certains infirmiers.

Coucher au séminaire, Julie et moi dans la même chambre ; nous nous arrangeons avec des paravents ; malheureusement ma valise est perdue avec tout mon linge, ce qui complique un peu la situation.

Nouvelle agréable, l’auto-chir 15 n’est nullement fixée en Alsace !!!

Dimanche 14 avril

Messe dans la chapelle de l’H O E, aussi laide que possible. Visite avec H. au médecin chef de l’H O E, Malaspina que nous avons connu à Prouilly et à qui le Colonel Segonne nous avait chaudement recommandées. Il nous reçoit très aimablement et nous dit un tas de choses bien agréables pour la vanité ! Le plus pressé est de faire partir les UFF. Julie arrange avec lui toutes ces questions pendant que nous faisons une petite promenade dans l’H O E. Il est bien petit, et, au contraire de la 5e armée, rien n’est fait pour le coup d’œil et l’élégance. Tout paraît plutôt laid.

Visite au château Viellard[11] ; nous retrouvons Mlle Roch, longue causerie sur le passé et l’avenir… Un tas d’infirmières inutiles dont Mlle Livet ; cela me rappelle le Pré St Gervais.

Longue correspondance.

Arrivée des Dlles Viarmé, quelconques. On n’a pas encore retrouvé ma valise. Quel ennui.

Au dîner, on nous regarde avec moins de férocité, cela commence à se tasser, et nous sommes fort aimables.

Le soir, j’écris à Mme Genest pour demander au colonel H. d’agir au G. Q. G. pour la mutation de l’auto-chir. L’Alsace est ultra-calme et c’est bien dommage de ne pas être là-haut.

Lundi 15 avril

Départ pour Belfort avec Julie. Je prie le commissaire de gare de faire le nécessaire pour ma valise, cela devient vraiment bien difficile de m’en passer et j’emprunte du linge à tout le monde, c’est complètement ridicule.

Visite à l’ancienne ambulance de Julie où les sœurs nous voient arriver avec une bien grande surprise.

Je passe devant les cours secondaires fermés, c’est là que j’ai vu Paul pour la dernière fois.

Au Tonneau, nous trouvons Mme Millet ici pour quelques heures ; nouvelles de Gérardmer ! Suchaux est dans le nord avec Pouchau, Viala et Faure. Nous rencontrons Gachet, Mlle Daireaux de Bécourt, Mlle Azéma, mariée. Courses, retour à Morvillars ! Organisation du service : Julie, Renée et moi prendrons chacune un chirurgien, les 4 autres feront l’hospitalisation.

Visite au château Fontaine, sans intérêt.

J’apprends avec plaisir que l’abbé Dauphin n’est pas mort.

Mercredi 17 avril

Nous prenons le service de notre nouveau et peut-être dernier poste de la guerre. Julie prend la direction du service de H. ; Renée du Dr Gouverneur, moi du Dr Dubourdieu.

Il faut prendre contact, se faire à de nouveaux visages, ne heurter personne, c’est une journée difficile. D’ailleurs, les U. F. F. mettent beaucoup de bonne grâce à nous mettre au courant.

Jeudi 18 avril

Julie va par la camionnette à Belfort pour y rencontrer Humbert. Nouvelles de Gérardmer.

Vendredi 19 avril

Exécution de Bolo.

Dimanche 21 avril

Visite de Mlle Roch à qui nous faisons visiter l’auto-chir.

Nouvelles de Bouleuse : l’ambulance de Fournier est partie ; Reims[12] est complètement en flammes, c’est horrible.

Mardi 23 avril

Deux U. F. F. partent pour Bussang, les autres dans quelques jours ; nous allons enfin être tranquilles.

Mercredi 24 avril

Une nouvelle ennuyeuse, Malaspina s’en va dans la 2e armée. Il est si agréable que tout le monde le regrette ; son remplaçant est un certain Dodieau ; serait-ce l’ami de Cécile ?

Commencement du nettoyage de la baraque ; il est impossible de voir quelque chose de plus dégoûtant.

Jeudi 25 avril

Un espoir pour ma valise ; une lui ressemblant se promène du côté de Troyes. Je vais quand même à Belfort faire quelques achats indispensables. Je pars par la camionnette avec quelques toubibs. Visite à Mme Claudon.

Départ Haffner, Dreyfus et Cie.

Je couche dans la baraque.

Lettre Genest. Le colonel s’occupe sérieusement de notre demande qu’il trouve très légitime.

Vendredi 26 avril

Je suis déçue pour ma valise, celle en question a retrouvé son propriétaire.

Service, rangements, installation, nous avons beaucoup à faire.

Arrivée d’un régiment américain.

Lettres de Bouleuse, dont une charmante du patron.

Samedi 27 avril

Nouvelles de l’A C A 16 ; elles sont à Ognon près de Senlis, à 45 kil. des lignes avec une quantité de médecins et d’infirmières. Du travail, mais c’est trop loin et on revoit les scènes lamentables du début de la guerre.

Dimanche 28 avril

Visite du Colonel Lauth, nommé major de zone dans la région ; nous sommes bien contentes de le revoir et retrouvons ensemble les vieux souvenirs de Belfort.

Lundi 29 avril

L’A C A de Pierre Duval part pour le nord. Aussi toute la nôtre est-elle en effervescence et en pleine crise de jalousie. Irons-nous aussi ?

Mercredi 1er mai

Visite de Mme Viellard de passage chez elle ; elle va partir prochainement pour l’Espagne où son mari a une mission diplomatique.

Départ de Gouverneur en perm. Cela commence à se tasser avec nos chefs. Le mien quitte sa froideur indifférente et devient très aimable ; j’espère que cela marchera.

Jeudi 2 mai

Arrivée de M. de Nanteuil. Toute l’autochir dîne au château.

Réponse du colonel Herbellin. Le médecin inspecteur ne veut pas lâcher la 15 attachée à la région ; ce qui est faux et stupide à la fois.

Vendredi 3 mai

Je récris à Mme G. une longue lettre avec une note de H. pour le colonel.

Samedi 4 mai

Julie et moi dînons au château avec la famille Viellard presque au complet et le médecin-chef de l’H O E.

Dimanche 5 mai

M. de N. et Julie partent.

Lundi 6 mai

La division du Gal Segonne est envoyée dans le Nord.

Mardi 7 mai

Je peux enfin aborder le médecin-chef ; c’est bien celui que je connais. Nous retrouvons de vieux souvenirs.

Mercredi 8 mai

Retour de Julie.

Jeudi 9 mai

Beaucoup de travail pour le jour de l’Ascension. Un coup de main a fait pas mal de blessés surtout des noirs ; on opère à trois tables toute la journée.

Samedi 11 mai

Toujours du travail ; depuis jeudi nous n’arrêtons pas.

Transfusion du sang, très intéressante.

Julie et Renée dînent au château Fontaine.

Je suis de garde et passe la nuit auprès d’un blessé qu’on ne peut opérer ; veille pénible.

Dimanche 12 mai

Visite du colonel Lauth qui vient déjeuner. Il aura un laissez-passer pour Krüth, mais le plus difficile, c’est la façon de s’y rendre. J’écris à Mme Federlin.

Lundi 13 mai

Départ de H. en permission. Retour de Gouverneur.

Mercredi 15 mai

Nous travaillons beaucoup plus depuis huit jours et mon chef est vraiment très agréable.

Jeudi 16 mai

Nouvelle de Chevassu, dans l’Oise et le Nord ; travail intense et pas d’infirmières.

Condamnation à mort de Duval[13].

Samedi 18 mai

Une épidémie de grippe commence dans l’hôpital ; je suis toute démolie juste pendant une opération de Rollin ; c’est aussi désagréable que possible.

Dimanche 19 mai

Pour la Pentecôte, nos chefs nous font une messe en musique, vraiment très bien.

Mlle Guillelmon commence la grippe.

Lundi 20 mai

Julie et moi dînons chez les Maître. Ils sont fort aimables et la vue que l’on a de chez eux est bien belle.

Mardi 21 mai

Une surprise : la visite de Péon dont le régiment arrive par ici. Il est bien maigri et vieilli.

Une lettre du démon.

Mercredi 22 mai

Je commence à trouver long de n’avoir aucune réponse du colonel. Ma lettre est-elle perdue ou n’a-t-il voulu rien faire ?

Jeudi 23 mai

Renée commence la grippe et doit rester couchée. Je fais son service avec le mien, il y a à faire.

Lettre de Laroyenne à Beauvais et qui a énormément travaillé. Tant mieux.

Vendredi 24 mai

Lebègue part en permission, je lui donne une lettre pour Mme Genest.

Renée est toujours malade ; aussi je travaille beaucoup.

Nuit de veille.

Samedi 25 mai

Travail toute la journée ; Paris a reçu des bombes d’avions, cela ne paraît pas être de notre côté.

Dimanche 26 mai

Dubourdieu part subitement pour Bruyères, il sera remplacé ici par Gouverneur et Auvigne. Visite du colonel Lauth qui s’est occupé activement d’organiser mon voyage à Krüth ce sera pour cette semaine.

Lundi 27 mai

Retour d’Hallopeau. Arrivée de Wilhem notre ancien malade ; beaucoup de travail.

Mardi 28 mai

L’attaque boche se déclenche en champagne avec une violence qui emporte tout. C’est une ruée sauvage et tout le pays que nous connaissons, Prouilly et ses environs est envahi. Quelle surprise et quel désastre.

Mercredi 29 mai

Les boches avancent toujours ; Soissons, le Chemin des dames[14]sont repris, c’est navrant.

Jeudi 30 mai

Nous recevons une lettre de Bouleuse respirant le calme le plus parfait, la surprise a été complète et les responsabilités seront grandes.

Lettre Genest ; le colonel a fait ce qu’il a pu, mais a l’air de croire à une attaque par ici.

Mon voyage à Kr est décidé ; je pars le soir pour Belfort, dîner et coucher au Tonneau.

Vendredi 31 mai

Messe à St Christophe ; voyage dans l’auto de la poste par Masevaux et la route Joffre, Thann et la vallée jusqu’à Wesserling ; déjeuner à l’hôtel, puis arrivée chez les Féderlin, à 5 h ; je vais à Kruth


Samedi 1er juin

Retour à Belfort par le même splendide chemin.

Château Thierry[15] est pris ; une bombe est tombée sur une église de Paris.

Visite d’adieux de Péon qui part pour Épernay ; l’équipe Gouverneur est partie en renfort pour St Dizier[16].

Dimanche 2 juin

Visite du colonel Lauth ; il vient prendre des nouvelles de mon voyage qui s’est si bien passé, grâce à lui.

Opérations toute la journée.

Lundi 3 juin

Enfin des nouvelles de Bouleuse. Mary écrit qu’elles ont dû partir en 2 heures avec les blessés. Ils sont tous à Épernay encombré et où on ne pourra rester. À Mt N. D. les infirmières ont été faites prisonnières dans leur lit.

Mardi 4 juin

Les attaques se ralentissent ou sont repoussées ; l’attaque paraît stabilisée.

Jeudi 6 juin

Lettre de Liaison, elles quittent Épernay, mais ne peuvent dire où elles sont.

Vendredi 7 juin

Le communiqué parle de St Euphraise, cela nous fait un effet bizarre de voir les combats dans le pays que nous connaissons si bien. On parle toujours vaguement d’une attaque possible par ici.

Samedi 8 juin

Lettre de Liaison ; elles sont au camp de Mailly où on a installé un centre chirurgical de fortune et où elles travaillent à force.

H. est convoqué à Lure ; on va reculer tous les hôpitaux, tous les états-majors, c’est une débandade générale. Nous, nous irons à Héricourt, tout le monde est navré.

Dimanche 9 juin

Dîner chez les de Fontaine.

L’attaque a repris vers Noyon, on tient.

Lundi 10 juin

Réponse de Sieur, négative ; ce n’est pas lui qui s’occupe des autochirs, mais un autre à qui il a transmis la demande.

Mardi 11 juin

Beaucoup de blessés graves, encore une transfusion dont Sabatier est le donneur.

Mercredi 12 juin

Lettre de Mary ; c’est bien au camp de Mailly qu’elles sont ; elles reçoivent des blessés de St Euphraise et la ligne boche passe juste sur nos baraques.

Vendredi 14 juin

Ordres et contre ordres perpétuels ; finalement on ne part plus.

Dimanche 16 juin

Troisième anniversaire de Paul.

Lundi 17 juin

Nos médecins auxiliaires nous quittent ; deux sur trois sont bien agréables et nous les regretterons.

Mardi 18 juin

Arrivée d’une équipe chirurgicale américaine.

Mercredi 19 juin

Grande offensive autrichienne en Italie ; les Italiens résistent bien, encadrés par nous.

Attaque de Reims par les boches ; échec complet.

Jeudi 20 juin

Le bruit court du départ tout entier de la 7e armée pour l’Italie ou le nord. Elle serait remplacée par des Américains ;

Vendredi 21 juin

Gouverneur revient de St Dizier, où il a énormément travaillé, les premiers jours dans une pagaye épouvantable. Ils ont tous un peu le cafard d’être revenus.

Les permissions sont rétablies.

Samedi 22 juin

C’est une vraie victoire que nous avons eue en Italie, et qui aura une très grosse importance pour l’offensive à venir.

Dimanche 23 juin

Julie ayant perdu 10 bouteilles de champagne dans son pari avec Meugé, nous sommes toutes invitées à venir les boire à la popote de l’ACA. On nous y montre les ombres de Laby[17], pleines de talent et d’esprit ; journée fort agréable et pleine d’entente cordiale.

Lundi 24 juin

Nouvelles de l’autochir 19 qui a pu quitter Mt Notre Dame quelques heures à peine avant l’arrivée des boches, emmenant ses infirmières, mais laissant une équipe volontaire pour les blessés graves. Pour les autres services, ça été la pagaye. Après avoir quitté Mt Notre Dame, ils ont été bombardés par avions et ont eu beaucoup de personnel tué.

Jeudi 27 juin

Le pauvre Foulon meurt d’une hémorragie, malgré une nouvelle transfusion pour laquelle Sabatier donne son sang une seconde fois ; aussi a-t-il une grande tristesse.

Samedi 29 juin

Enterrement de Foulon où assiste Sabatier tout démonté.

Cela commence tristement une journée que j’ai trouvée d’autant plus pénible que c’était la fête de H. à laquelle tout le monde faisait perpétuellement allusion.

Mardi 2 juillet

Promenade à Montreux en auto. Visite du champ de bataille et des tombes du 9 août 1914.

Jeudi 4 juillet

Fête américaine à Massevaux.

Vendredi 5 juillet

Départ de Renée en perm ; elle emporte une lettre pour le colonel.

Mardi 9 juillet

Nouvelles de Bouleuse : Liaison attache son sort à celui de R. B. et Mary à celui de Leriche, c’est la séparation définitive pour elles pour elle et pour nous.

Vendredi 12 juillet

Mlle Brellmann annonce son départ, nous la regretterons.

Dimanche 14 juillet

Notre fête nationale ; depuis la guerre elle compte ; cette année, elle est célébrée par les Américains avec beaucoup d’éclat. À quand l’attaque, on l’attend ces jours-ci.

Lundi 15 juillet

Une lettre du colonel H. ; c’est bien gentil à lui de me répondre ; il me promet de faire tout ce qu’il pourra, mais ne répond pas du succès.

Dans l’après-midi, concert pour les blessés ; grand travail de brancardage ; c’est assez bien et tout le monde est content.

Nous apprenons que l’offensive boche à commencé ce matin entre Château-Thierry[18] et La Main de Massiges[19]. Les permissions sont supprimées et l’on demande une équipe de l’A. C. A. pour St Dizier. Cela fait partir Dubourdieu et rester Ferrier, c’est tout un bouleversement.

Mardi 16 juillet

Départ de mon équipe, sans moi ; jusqu’à présent, les infirmières ne suivent pas.

L’armée Gouraud tient bon, et les boches n’avancent pas à droite de Reims, mais ils ont pu traverser la Marne et avancer de quelques kilomètres.

Mercredi 17 juillet

Arrivée de Gros-Mimi ; quelle joie de la revoir et de retrouver les vieux souvenirs.

L’H. O. E. s’en va décidément à Héricourt ; l’A. C. A. reste provisoirement.

Jeudi 18 juillet

Rien de nouveau comme nouvelles militaires ; les boches n’avancent que très peu et on résiste bien.

Vendredi 19 juillet

Une bonne nouvelle ; nous avons contre attaqué entre Château-Thierry et Soissons, pris des villages et des canons et fait des prisonniers.

Ordre de départ pour Héricourt. Tout le monde rage ; comme si nous ne serions pas mieux en Champagne.

Samedi 20 juillet

Visite de Gros-Mimi.

Départ de l’équipe américaine pour la Champagne.

Dimanche 21 juillet

Entrée des Français à Château-Thierry ; notre attaque du 18 nous a valu 400 canons et 20 000 prisonniers.

H. a la Légion d’Honneur, c’est une vraie joie pour nous.

Lundi 22 juillet

Commencement des préparatifs pour le déménagement ; il est décidé qu’une équipe de l’A. C. A. restera ici pour faire le service du Château et du séminaire, les autres à Héricourt.

Renée n’étant pas au train de 7 h, j’accepte l’invitation à dîner de Mme de Fontaine, nous y fêtons la croix de H. ; c’est aussi notre dîner d’adieux.

Château-Thierry est entièrement dégagé.

À notre retour du dîner, nous trouvons Renée qui a pu prendre un train de marchandises. J’ai la grosse surprise de trouver dans ma chambre ma valise perdue que Renée a retrouvée à la gare de l’Est. C’est une vraie chance et me fait un fameux plaisir.

Mercredi 24 juillet

Les préparatifs continuent ; nous devons être installés le 1er août.

Jeudi 25 juillet

Une surprise : la visite de Mlle Beaudouin en permission à Audincourt ; elle nous raconte la fuite de Bouleuse, le bombardement d’Épernay, le fonctionnement de Chichey et la conduite des uns et des autres. Vignes a gagné une nouvelle citation, Monet a aussi reçu la croix de guerre. R. B. a demandé une nouvelle A. C. A., Leriche aussi, Lecène en a une. À Troyes on ne fait rien, et le G S C S est lamentable.

Vendredi 26 juillet

H. est nommé chirurgien consultant de l’Armée. C’est un honneur et une chaîne, pourvu que cela ne nous empêche pas de partir. Visite des Ihler.

Samedi 27 juillet

Départ de l’équipe Gouverneur, y compris Renée et une des Viarmé, pour Héricourt. Ils vont commencer à organiser et surtout faire le triage des 200 petits blessés que nous allons trouver là-bas.

Les Guillelmon partent en permission. Attaque de l’armée Gouraud qui avance de plusieurs kilomètres et fait des prisonniers.

Dimanche 28 juillet

La Marne est entièrement dégagée. Nous continuons à avancer. Rangements et paquets.

Lundi 29 juillet

Julie et moi déjeunons avec H chez Mme Viellard retour d’Espagne.

La question départ s’organise ; tout l’H. O. E. part mercredi et jeudi par des trains, l’A C A par camions.

Nouvelles de Troyes, on y a beaucoup de petits blessés, et des grands à Chichey.

Mardi 30 juillet

Emballages et rangements. Nous allons au tennis Fontaine, faire nos adieux et ramenons Mlle Roch dîner avec nous.

Mercredi 31 juillet

Départ de l’équipe Battesti et des T. M. par un train à 4 heures du matin ; nous expédions dans l’après midi Mme Gauthier et Mlle Viarmé.

Julie et moi nous réservons le voyage en camions. Travail de salle et derniers rangements.

Jeudi 1er août

Embarquement des blessés dès 6 h du matin ; cela se fait vite et bien. Vers 9 heures, on commence à aligner les camions pour le départ dont le signal est donné par un coup de sifflet. C’est amusant au possible. Dans la camionnette de tête conduite par le sous officier des automobilistes, le médecin-chef, nous (quel honneur) et quelques officiers, puis les trois gros camions et les deux camionnettes. Le personnel s’est niché un peu partout, sur les sièges et les marche-pieds. Nous avons l’air d’un cirque ambulant ; mais on ne va pas vite. Nous faisons à Héricourt une entrée sensationnelle et retrouvons tout notre monde.

L’hôpital est dans une immense caserne, pas bien sympathique. Nous avons le bâtiment neuf, on n’y sera pas trop mal quand il sera arrangé, mais quel désordre !

Nos chambres sont très bien, grandes et gaies, notre popote aussi, mais il y a des détails pénibles, et nous sommes à 40 k. du front !!

Vendredi 2 août

Messe dans une chapelle laide et triste ; prise du service dans une pagaye impossible ; beaucoup de fatigue et d’ennui. Le chirurgien de renfort qui remplace M. Dubourdieu est antipathique et j’ai comme infirmière Mme G. C’est vraiment trop de malchance, je suis découragée.

Samedi 3 août

Continuation de la pagaye, de la fatigue et de l’ennui. La seule joie vient des nouvelles du front, Soissons[20] est repris, nous avançons vers la Vesle ; la ligne de Nancy est rétablie et Bouleuse dégagé. C’est un vrai bonheur. Mais pourquoi ne sommes-nous pas là bas ?

Visite de M. Haas.

Dimanche 4 août

Un vague commencement d’ordre ; l’A. C. A. se heurte à certaines hostilités qui compliquent bien les choses.

Le soir salut pour le début de la 5e année de guerre.

Lundi 5 août

Nous arrivons à la Vesle où les boches se cramponnent.

Mercredi 7 août

Foch est nommé maréchal de France et Pétain reçoit la médaille militaire.

Par contre Malvy est condamné à 5 ans de bannissement pour crime de forfaiture. Voilà enfin de la justice.

Mlle Roch vient déjeuner, elle trouve tout bien, elle n’est pas difficile. Truchon, attrapé par H., demande son changement.

Jeudi 8 août

Le service commence à s’organiser ; il ne sera pas agréable, et il est probable que nous n’y aurons rien à faire ; donc aucune raison de se réjouir.

Vendredi 9 août

Départ de Julie pour Troyes ; commencement d’un rhume sérieux.

Attaque des Anglais sur un front de 30 kil au nord de Montdidier[21].

Samedi 10 août

Les nouvelles sont très bonnes, les boches ont été surpris et leurs lignes enfoncées, 14 000 prisonniers.

Mon rhume rappelle ceux d’autrefois ; après avoir lutté toute la matinée, je dois renoncer à venir au service le soir. H. me fait dire P. O. de me coucher.

Dimanche 11 août

Abrutissement complet, je n’ai nulle envie de me lever, et renonce à la messe ; H. vient me voir très gentiment, c’est un vrai ami que nous avons là.

Retour des Guillelmon.

Prise de Montdidier — 18 000 prisonniers  ; rétablissement de la ligne d’Amiens. Retour de Julie.

Lundi 12 août

Je me lève à 11 heures encore bien démolie. Un peu de service dans la journée.

H. est parti pour Gérardmer et les Vosges, nous sommes navrées de ne pouvoir y aller avec lui.

Mardi 13 août

Quelques rangements, absolument rien à faire ; tout le monde en a par-dessus la tête.

Surprise de la visite du Caporal Bellmann en permission à Belfort ; nouvelles de Bouleuse ; cela nous fait plaisir de le voir.

Départ des Viarmé en perm.

Mercredi 14 août

Courses à Héricourt ; toujours calme plat.

Jeudi 15 août

Messe ; un peu de travail.

H. nous raconte son voyage dans un pays admirable. Il a revu le Lac, bien moins bien que de notre temps.

Avant son départ en permission, il arrangera l’affaire Truchon.

Vendredi 16 août

Départ de H. en permission ; il va tâcher de se débrouiller pour faire bouger son A. C. A. ou en avoir une autre s’il n’y a que ce moyen pour sortir de la 7e armée.

Un coup de main boche nous amène quelques blessés, mais les plus graves sont restés au château.

Par un hasard étonnant, je rencontre dans la cour Rougeron, mon ancien infirmier de Bouleuse, malade et hospitalisé ici.

Samedi 17 août

Doyen est blessé gravement, avec la mâchoire fracassée ; il est soigné à Limoges.

Le soir, un téléphone du Général Segonne ; M. des Lonchamps est blessé au bras d’un éclat d’obus, et soigné à Villers-Cotterêts ; Renée s’affole et veut partir ; démarches pour son laissez-passer.

Dimanche 18 août

Renée part retrouver son mari ; on ne connaît aucun détail. Elle tâchera si possible de l’amener se faire soigner ici ; ce sera le meilleur moyen de la ravoir ; sans cela, quand la reverrons-nous ?

Départ de Mme Gauthier, pour toujours, espérons-le. Quelle femme insupportable !

Lundi 19 août

Julie prend le service de Renée, chez Gouverneur, en attendant que nous soyons fixés sur son retour. On parle beaucoup d’une attaque dans la région ; 2 divisions américaines et 3 françaises sont arrivées. Malheureusement tout le monde le sait.

Plus haut, les Américains ont pris le village de Frapelle, juste devant St Dié ; est-ce le prélude d’opérations plus importantes, et allons-nous enfin voir quelque chose de ce côté ?

Mardi 20 août

Truchon vient m’annoncer son départ de l’A. C. A. et sa nomination au G B C du 40e Corps Comme je le pensais, H. lui a exprimé ses regrets avant de partir, ce qui est à la fois, très chic et très juste.

Hier, visite du petit Mauvais, notre ancien blessé du Lac, devenu lieutenant et couvert de citations. Il a une jolie mentalité et nous raconte des choses intéressantes. Il a deux mois de convalescence et reviendra nous voir avant son départ de Belfort.

Mercredi 21 août

Départ de Truchon qui est bien regretté par toute l’auto-chir. ; pourvu que toute cette histoire ne fasse pas un peu de tort à H.

Aucune nouvelle de Renée.

Jeudi 22 août

Nous continuons à avancer sur Noyon, on dit que Lassigny est pris.

Une lettre de H. qui n’a pu voir personne au ministère ; toujours rien de Renée.

Je m’amuse à relire tout mon journal de guerre ; quel bon temps que celui de Gérardmer, pendant le séjour de la 11 ; que de bons amis ; mais aussi que de figures oubliées, sans compter les désillusions répétées sur la fameuse marche en avant. Un seul de nos projets s’est réalisé ; la réunion avec H. et pour cela, nous n’avons rien à regretter.

Visite de Ihler ; le docteur vient consulter Gouverneur pour une opération possible.

Vendredi 23 août

Aujourd’hui trois ans que nous avons quitté Belfort pour Gérardmer avec bien du regret ; et pourtant notre temps de G. avec la 11 a été le plus heureux de la guerre.

Maintenant nous voila de nouveau dans la région de nos débuts, avec le chef que nous désirions retrouver et une période nouvelle qui commence de gloire et de succès.

Lettre de Renée ; son mari a l’humérus fracassé, pas de lésion de nerfs ou de vaisseaux ; il est soigné par Lalouche de l’A. C. A. 19. À V. C. se trouve aussi l’autochir de M. de Combourg. La pauvre Renée se trouve ainsi en milieu ami. Elle espère pouvoir amener son mari ici, après, on verra ; sa lettre est triste ; quel chagrin si nous devions la perdre.

Samedi 24 août 1918

Mon dixième carnet de guerre ! Qui m’aurait dit en commençant qu’il y en aurait autant ? Je suis bien contente de les avoir retrouvés, et je retrouve de bien bons souvenirs en les relisant.

Hier, visite du Colonel Lauth, venu aux nouvelles. Il ne sait rien sur les projets d’attaque, et pourtant ce serait bien le moment, il y a peu de troupes ennemies par ici.

Continuation de l’avance, et encerclement de Noyon.

Dimanche 25 août

Journée de réel ennui, rien à faire et c’est dimanche.

Lundi 26 août

Un peu de travail sans grand intérêt. Toujours pas de nouvelles de Renée.

Mardi 27 août

On parle de plus en plus sérieusement de l’attaque ; les troupes américaines et françaises arrivent de tous les côtés ; on croit surtout à une action importante en Lorraine, et à une plus petite par ici.

Toute petite promenade avec Julie.

Mercredi 28 août

Enfin des nouvelles de Renée, pas brillantes ; on n’est pas sûr de sauver le bras de son mari, et il n’est pas possible de l’amener maintenant.

Elle a subi un terrible bombardement de nuit qui a tué trois blessés et blessé deux infirmières. À Pierrefonds, une des infirmières de Proust, la petite Jalaguier que nous avions logée à Bouleuse a été tuée. Je vois aussi dans le journal, la mort de Mlle de Martimprey.

Journée de vrai travail : 19 entrants.

Les boches ont fait et raté plusieurs coups de main sur les tirailleurs.

Jeudi 29 août

Les Viarmé sont revenues hier et reprennent leur service ; elles refusent toutes quatre la bactériologie, comme je le pensais.

Toujours pas de nouvelles des nouvelles, on attend leur arrivée et celle d’H pour régler définitivement les services.

Vendredi 30 août

Très jolie promenade aux environs : vue sur les Vosges et le Jura, moisson de colchiques et de baies rouges, retour par les bois ; comme cela semble bon d’échapper à cette caserne.

Samedi 31 août

Lettres de Mary et de Liaison réunies à Troyes en attendant le départ de l’A. C. A.xxR. B..

Les nouvelles de Renée ne sont pas bonnes, son mari n’est pas encore transportable ; d’ailleurs elle parle maintenant d’aller à Paris, et nous ne comprenons pas pourquoi.

La situation devient de plus en plus difficile dans mon service où M. B est bien indésirable. Algaran demande son changement.

Dimanche 1er septembre

Retour de H. qui se trouve en face de bien des tâches. Au ministère, on n’a reçu aucune demande d’infirmières. Quant aux autochirs nouvelles, elles sont toutes destinées aux Américains. On parle partout de l’attaque d’Alsace, mais tellement qu’on finit par ne plus y croire.

Les nouvelles de Renée sont meilleures, mais son mari refuse de venir ici, et il sera évacué sur Paris.

Lundi 2 septembre

Prise de Péronne, la poursuite continue victorieuse.

Arrivée d’une nouvelle U. F. F. dont on ne sait guère que faire ; on la met au 2e côté Gouverneur en attendant qu’elle aille retrouver les autres.

Surprise de l’arrivée de Mlle Germain qui a enfin reçu son ordre de départ.

Mardi 3 septembre

Remise de la croix d’Hallopeau, dans la cour de l’hôpital ; c’est simple, toujours un peu ridicule avec les infirmiers casqués, mais quand même émouvant. À 4 h. goûter au champagne dans notre lingerie pour toute l’A. C. A. et le médecin-chef de l’H. O. E. ; c’est assez gentil.

Organisation des services : je prends Mlle Germain en remplacement de l’aînée des Guillelmon qui descend aux fractures dans le service de H..

H. a demandé à Lapasset le retour de Dubourdieu qui paraît bien difficile à obtenir. On enverra peut-être Brun à sa place.

Le plus triste c’est que l’attaque devient toute problématique. On s’attend incessamment à quelque chose du côté de St Mihiel.

Mercredi 4 septembre

Lettre de Renée ; la fièvre de son mari augmente, il ne va pas bien du tout.

Communiqués merveilleux ; la fameuse ligne Hindenburg est enfoncée à Quéant par les Anglais.

Jeudi 5 septembre

Mes Battesti et Rogier sont nommées à St Maurice, près de Bussang ; elles partiront samedi.

Vendredi 6 septembre

La Vesle est traversée à Jonchery. Prouilly va être bientôt délivré. La poursuite continue partout ; depuis le 18 juillet, cela fait 6 semaines ininterrompues de succès et de victoires.

Comme cela paraît bon et que les officiers qui commandent de telles troupes en de telles heures doivent être heureux. Si Paul était là.

Samedi 7 septembre

Pas grand chose à faire, un peu d’organisation, calme plat, ennui.

Dimanche 8 septembre

Décidément Hericourt est bien ennuyeux, journée de cafard.

Lundi 9 septembre

H. part avec Auvigne pour une tournée dans les Vosges ; il s’ennuie et se déplaît tellement ici qu’il en est toujours parti.

Petite promenade avec Julie ; le pays est vraiment bien joli et c’est la seule petite compensation.

Nouvelles de Renée, sans grand changement.

Mardi 10 septembre

Commencement de l’installation des salles d’opération qui seront très belles.

Mercredi 11 septembre

Retour d’H.. Il ne croit pas à une offensive sur Bruyères, rien à faire de ce côté là. Par ici, très probablement, mais plus tard.

Quant à l’attaque de St Mihiel, elle ne doit pas avoir lieu avant le 20.

Mauvaises nouvelles de Nogent : Mme M. a une attaque.

Jeudi 12 septembre

Déménagement de la stérilisation. Nouvelles de Renée ; son mari doit être évacué sur Astoria à Paris. Elle est proposée pour la Croix de Guerre.

Vendredi 13 septembre

L’attaque sur St Mihiel a eu lieu hier par l’armée américaine, le saillant est évacué et il y a plusieurs milliers de prisonniers. Tout le monde se réjouit.

Coup de main boche qui nous amène une quinzaine de blessés ; les salles ont été finies juste à temps, et elles sont vraiment bien ; on opère jusqu’à 11 heures du soir.

Conférence entre H. et Lapasset ; nous ne pouvons rien savoir, sinon qu’il va y avoir beaucoup de changement dans les équipes chirurgicales de l’armée.

Samedi 14 septembre

Encore quelques entrants ; grave opération qui dure presque toute l’après-midi. Heureusement que H. s’en mêle, l’autre n’en sortirait pas. C’est le premier blessé sérieux que nous ayons eu depuis notre arrivée ici.

On évacue certains villages d’Alsace  ; une division française arrive à Belfort.

Dimanche 15 septembre

Messe à Héricourt, un peu de travail ; promenade sur la route de Montbéliard.

Renseignements sur l’Alsace : quelques villages sont évacués dont Dannemarie, Petit-Croix, Morschwiller, Sentheim sont bombardés par grosse pièce.

Le canon tonne avec violence, beaucoup d’avions.

Les Américains arrivent en masse, l’attaque ne tardera pas ; le rapport recommande la discrétion.

Enfin !

Nouvelles de Renée, son mari est à l’Astoria, où on va le réopérer.

Mêmes nouvelles de Nogent.

Lundi 16 septembre

Organisation, un peu de travail. On fête le 2e galon de Richard.

Mardi 17 septembre

On attend un gros coup de main pour demain, mais on croit moins à une attaque en Alsace. Celle de St Mihiel est arrêtée, en Champagne, l’armée Mangin a pris Vailly.

Lettre du Gal Segonne, il croit que M. des L. en a bien pour 6 mois, et que c’est grâce à Renée que le bras a été sauvé. Rien à faire pour la Croix de Guerre, réservée maintenant aux infirmières blessées ; comme c’est juste !

L’équipe Brun va partir pour St Dizier, remplacer M. Dubourdieu, en emmenant Aumont, c’est tout bénéfice.

Mercredi 18 septembre

Le coup de main n’a pas lieu ; les bruits les plus contradictoires circulent sur l’attaque, on finit par ne plus rien savoir.

Arrivée de 2 infirmières américaines pour les gazés, il y en a 150.

Un peu de travail de 5 heures à 11 heures du soir.

Avance en Macédoine ; l’Autriche propose la paix.

Jeudi 19 septembre

Départ de Brun, mais Aumont reste !

Les Anglais avancent sur St Quentin. Mêmes nouvelles de Nogent.

Vendredi 20 septembre

Une lettre d’Adèle m’annonce la mort de la chère Mme M.

Dimanche 22 septembre

Ici, l’état sanitaire est de plus en plus mauvais, le service des contagieux est plein, et il y a une masse d’Américains ypérités[22].

Mme Legueu annonce Alyette de Lareinty !

Lundi 23 septembre

Renée nous écrit qu’elle vient d’avoir la Croix de Guerre ainsi que M. de Combourg, Bourdeau et Mme Mont. B.

J’en suis bien contente. Son mari va être réopéré par Martel.

Victoire française en Serbie, l’armée bulgare est en déroute.

L’équipe Dubourdieu doit rentrer ce soir.

Mardi 24 septembre

M. Dubourdieu reprend son service. Amputation du pauvre .

Visite du Cl Lauth ; il croit à une prochaine offensive de l’armée Gouraud et à une autre à l’est de Verdun avant celle d’ici.

Dernièrement il est venu deux trains blindés, on a fait beaucoup de réglage d’artillerie, puis tout le monde est parti, peut être pour que l’attaque puisse se faire par surprise et sans nouvelle préparation.

Mercredi 25 septembre

Visite de Ferrier, c’est décidément l’équipe Gouverneur qui ira au château le 1er octobre et celle de Meuger viendra s’installer ici.

L’attaque de Serbie devient une grande victoire, les Bulgares sont complètement battus.

Autre victoire en Palestine ; deux armées turques sont prisonnières, on prend Nazareth et St Jean d’Acre.

Jeudi 26 septembre

L’état sanitaire empire ; 450 gazés, des grippes espagnoles[23] en masse, médecins et infirmières sont pris, l’une d’elles très gravement, Mlles Braun et Boutry plus légèrement.

Arrivée d’une nouvelle infirmière Mlle Rott, cousine des de Neufville et amie des Guillelmon. Elle va prendre le service de la plus jeune qui ira retrouver sa sœur chez le patron.

Vendredi 27 septembre

Arrivée d’Alyette qui n’a pas changé et qui nous arrive couverte de décorations ! c’est assez drôle. Elle paraît contente de nous retrouver. Mlle Rott prend son service, elle paraît intelligente et bien au courant. L’épidémie augmente, une des militarisées, Mlle Cousin, est prise très gravement, Mlle Boutry va un peu mieux. Mlle Braun n’est pas brillante.

Cette nuit, un avion a lancé une bombe sur Héricourt.

L’armée Gouraud attaque à l’ouest de l’Argonne, les Américains à l’est. Avance de 10 kilomètres, plusieurs milliers de prisonniers, prise de Montfaucon.

Samedi 28 septembre

La Bulgarie demande un armistice.

L’avance continue.

Les Anglais attaquent devant Cambrai. M. Dubourdieu, guéri, reprend son service, un coup de main nous amène des blessés, et on opère toute la journée.

Dimanche 29 septembre

Attaque sur l’Aisne ; nous reprenons le fort de la Malmaison, la forêt de Pinon et menaçons le Chemin des Dames.

Attaque des Belges, avance sur l’Yser.

Les Serbes marchent sur Uskub et occupent Stroumitza. Victoires de tous les côtés ; quels beaux jours jusqu’à la fin de la guerre.

Mlle Cousin meurt dans la journée dans des sentiments admirables.

Mlle Boutry va mieux, Mlle Braun plus mal.

Lundi 30 septembre

L’Armistice est signé avec la Bulgarie qui accepte toutes nos conditions.

Départ de M. Dubourdieu en perm.

Mardi 1er octobre

L’équipe Gouverneur part pour Morvillars au grand ennui d’Auvigne ; l’équipe Meuger arrive pour la remplacer.

Mlle Meyer est prise à son tour.

Les Anglais sont près de Cambrai et de St Quentin qui seront pris prochainement.

On ne croit pas à l’attaque d’Alsace avant un mois d’ici.

Mercredi 2 octobre

Prise de St Quentin par l’armée Debeney. C’est la première grande ville délivrée. Les Anglais avancent sur Cambrai presque encerclée.

Jeudi 3 octobre

Lettre de Renée ; elle a vu Lelong retour de Russie, et qui s’apprête à y retourner ; il a vu des choses effroyables. Son mari commence à aller mieux.

Cambrai est en flammes, les boches l’ont incendié en en partant.

Vendredi 4 octobre

Prise de Lens et Armentières.

Enterrement de Mlle Cousin, simple mais assez impressionnant. Nous y allons toutes.

Samedi 5 octobre

Départ de Julie en permission et de H. pour le congrès de chirurgie.

Je suis « toute seule » et ai un travail fou toute la journée, opérations, appareils, service des officiers. Cela fait bien des pas au bout de la journée.

Les Anglais avancent sur Lille.

Dimanche 6 octobre

Encore beaucoup de travail toute la journée.

Visite de Mlle Roch qui trouve que le service d’ambulance divisionnaire est bien déprimant : rien que des mourants.

Coup de théâtre : les empires centraux demandent l’armistice pour discuter les propositions de paix de Wilson.

Nos soldats répondent en enlevant le fort de Brimont, Moronvilliers, et en faisant reculer les boches sur 45 k. de front ! C’est splendide. Il faut que l’Allemagne se sente bien bas pour faire une pareille proposition.

Pourvu qu’on ne l’accepte pas et que nous puissions aller chez eux leur rendre ce qu’ils font en France.

Douai brûle et un hôpital de Châlons vient d’être incendié et bombardé. Protestation de Clémenceau et déclaration officielle qu’il sera fait usage de représailles. La fin de la guerre va être épouvantable ; mais que de beaux jours depuis le 18 juillet, commencement de nos victoires.

Pourquoi Paul n’est-il plus là. Mais n’est-ce pas sa mort et celle de soldats comme lui qui nous ont valu enfin toute cette gloire.

Lundi 7 octobre

On attend avec anxiété la réponse de Wilson ; pourvu qu’il n’accepte pas.

Nous continuons à avancer ; les Anglais sont au Cateau[24]. Prise de Cambrai.

Toujours du travail en masse ; un officier est assez mal ; je regrette bien que H. ne soit pas là.

Mardi 8 octobre

Réponse de Wilson ; beaucoup de phrases d’idéologie et pas un refus net. Il n’acceptera de transmettre les propositions de l’Allemagne aux alliés que si les boches évacuent les territoires envahis ; de plus il fait une différence entre le gouvernement et le peuple allemand, comme si ils ne se valaient pas.

La presse chante les louanges de cette réponse si digne, modérée, etc. Il me semble qu’on doit avoir au fond une fameuse déception.

Mercredi 9 octobre

Tout le monde se demande ce que va faire l’Allemagne ; on ne se méfiera jamais assez.

En attendant nos poilus avancent toujours ; ce sont eux qui vont se charger de l’évacuation du territoire et pour cela, nous n’avons pas besoin de Wilson.

Jeudi 10 octobre

Toutes ces négociations de paix font un effet déplorable sur l’esprit des hommes. Je ne sais pas ce que disent les combattants, mais je vois les blessés et les infirmiers. « La guerre est finie, ce n’est plus la peine de travailler, ni de se battre etc. » L’Allemagne doit sûrement escompter cet effet produit.

Vendredi 11 octobre

H. revient de Paris ; c’est une joie de le revoir, je me sentirai moins seule.

Comme nouvelle, il rapporte que la paix est faite avec la Turquie, officieusement en attendant la nouvelle officielle ; on drague les Dardanelles[25].

Samedi 12 octobre

H. opère l’officier ; appendicite très grave, on aura du mal à l’en tirer.

Opérations toute la journée, beaucoup de travail, beaucoup de fatigue.

On attend la réponse de l’Allemagne ; beaucoup pensent qu’elle acceptera, j’espère que non !

Dimanche 13 octobre

Prise de Vouziers par l’armée Gouraud qui fait des merveilles.

L’Autriche et la Turquie déclarent qu’elles acceptent les conditions de Wilson et mettent l’Allemagne en mesure d’en faire autant.

H. part en tournée d’inspection dans les Vosges ; ordre de Lure de le rappeler d’urgence ; j’ai cru un moment que c’était signe d’attaque ; il s’agit simplement de revenir prendre un grand manitou pour l’emmener avec lui.

Lundi 14 octobre

Toujours beaucoup de travail surtout avec l’officier si mal.

Visite du Gal Ecochard qui vient voir les hommes et distribue des Croix de Guerre. Sa division part pour une région inconnue, on suppose en Belgique. Les officiers ne croient plus guère à une attaque, en tous cas, pas avant 15 jours.

On dit que 2 généraux boches seraient au G. Q. G. pour connaître nos décisions ; entre Clémenceau et Foch, nous pouvons être tranquilles.

Prise de La Fère ; on croit que l’Allemagne cédera presque complètement.

Mardi 15 octobre

Réponse de l’Allemagne, très embrouillée. Elle accepte l’évacuation des territoires envahis, mais feint de croire que c’est l’unique condition de l’Armistice ; pas un mot de l’Alsace Lorraine. Notre réponse à nous est meilleure, c’est la prise de Laon où Mangin fait une entrée triomphale ; c’est une belle revanche de son limogeage injustifié.

Hallopeau repart en tournée, il rapportera peut-être des nouvelles.

Mlle Boutry perd un frère de la grippe espagnole.

Mercredi 16 octobre

C’est maintenant dans les Flandres que l’on avance et les Belges se rapprochent de Courtrai.

Jeudi 17 octobre

Prise de Courtrai. Deuxième réponse de Wilson, un peu plus ferme que la première ; mais que de phrases encore et que tous ces bavardages sont donc inutiles.

Retour de M. Dubourdieu ; dès que Julie sera revenue, je reprendrai le service avec lui.

Vendredi 18 octobre

Une grande et belle nouvelle : la prise de Lille, Douai et Ostende. Ce Lille que l’on craignait si difficilement reconquérir est enfin à nous et pas trop en ruines. C’est une joie générale et l’on pavoise à Paris. Wilson choisit bien son temps pour palabrer.

H. revient de tournée, encore sous le charme de la beauté des Vosges en ce moment avec les hêtres au milieu des sapins. Comme j’aimerais y être. Retour de Julie, un peu fatiguée ; nous causerons demain.

Samedi 19 octobre

Julie rapporte quelques détails : d’abord, on ne croyait pas les boches aussi bas, et la démarche allemande a été une grosse surprise. C’est Foch qui réglera les conditions de l’Armistice[26] ; en plus de bien d’autres choses, il exigera l’évacuation de toute la rive gauche du Rhin. Jamais l’Allemagne ne pourra accepter cela.

On parle du retour de Briand au ministère en remerciement des succès de Salonique qui lui sont vraiment un peu dus.

Un petit renseignement rétrospectif. Au moment de la grande offensive boche, nous manquions d’hommes et les Anglais gardaient chez eux 500 000 h. pour parer à un débarquement possible, ils ont refusé de les donner et n’ont cédé que sur la menace de Clémenceau d’abandonner aux boches Douvres et Calais, ce qui permettait une attaque plus directe contre l’Angleterre.

L’Allemagne fait parade de démocratie ; jusqu’à présent cela ne trompe personne.

Le Gal Humbert est nommé à la tête de la 7e armée ; cela nous permet tous les espoirs.

Prise de Bruges, Roubaix et Tourcoing.

Dimanche 20 octobre

Je reprends le service de M. Dubourdieu, avec Lebègue toujours aussi gaffeur, Germain et Mlle Rott, qui ne me plaît qu’à moitié.

Lundi 21 octobre

Prise de Tournai. En Champagne, cela est plus dur, les boches défendant formidablement leur pivot de Rethel. Humbert va-t-il faire quelque chose par ici ; il n’y est sûrement pas pour se laisser oublier.

Mardi 22 octobre

Réponse de l’Allemagne, toujours des phrases, jusqu’où iront-ils dans la voie des concessions ? Je ne puis croire à une fin maintenant, sans que nous les ayons battus davantage.

Mercredi 23 octobre

On est tout près de Valenciennes, sans pouvoir encore l’occuper entièrement.

Départ d’Alyette pour quelques jours.

Jeudi 24 octobre

Calme, on n’annonce plus aucune nouvelle sensationnelle.

Samedi 26 octobre

H. part pour 24 heures ; nous rapportera-t-il des nouvelles.

On n’avance plus de notre côté, mais une offensive commence en Italie. À quand la nôtre. Nous ne pouvons croire qu’Humbert soit ici pour ne rien faire.

Dimanche 27 octobre

Une grosse déception ; le Gal Paulinier prend, provisoirement, le commandement de l’armée. Où est passé Humbert, et pour quelle raison est-il parti ? Nous voilà de nouveau, condamnés à l’inaction ; je vais partir en permission tranquille.

Réponse de Wilson qui accepte de transmettre la demande des empires centraux aux alliés. Et pourtant les conditions posées ne sont pas remplies. Pourquoi céder ; ce Wilson est vraiment bien extraordinaire !

Les Américains perdent beaucoup d’hommes par témérité imprudente et manque de science : 25 000 prisonniers à St Mihiel et 20 000 tués et blessés, c’est beaucoup pour une affaire qui a si peu duré.

Lundi 28 octobre

Alyette et H. reviennent ensemble de Paris. On croit que l’Autriche acceptera tout.

Départ du lt L’Eleu, un peu ému. Je crois pouvoir partir en perm, sans crainte, il n’y aura aucune offensive par ici maintenant, aussi je partirai lundi et m’arrêterai à Troyes en passant.

Mardi 29 octobre

L’Autriche est prête à capituler, tout l’empire se disloque ; l’Allemagne demande les conditions d’armistice, les paris s’engagent ; pour combien de temps en avons-nous encore et aurons-nous le temps de pénétrer chez eux.

Changements dans l’A C A. Voilà longtemps qu’H. réclame Laby. Sa demande est accordée, mais on veut deux aide-majors en place ; Lormeau a été tout de suite désigné mais pour le second, il y a eu plus de tirage. Finalement, c’est Lebègue qui partira, ce qui fera un petit bouleversement dans le service.

Mercredi 30 octobre

Julie et H. vont à Morvillars, puis à l’usine Japy où sous prétexte de demander des boîtes, H. va tâcher de les faire changer d’avis sur le déplacement de l’A C A. Puisque Troubert a déclaré que cela dépendait d’eux ! Malheureusement, ils reviennent sans avoir pu voir personne, et c’est une démarche à recommencer.

Encore un changement dans l’armée, c’est le Gal de Mitry qui en prend le commandement, mais toujours provisoirement. Qu’y a-t-il sous toutes ces choses bizarres ?

Jeudi 31 octobre

L’Autriche se déclare prête à accepter toutes les conditions, pendant ce temps la bataille italienne continue avec succès pour nous.

Beaucoup de gens croient que l’Allemagne suivra et que l’Armistice avec elle sera conclu dans un mois.

J’espère que non, car voir finir cette guerre par une paix quelconque serait une terrible déception. Nous tenons la victoire et l’anéantissement de nos ennemis, ce serait dommage de ne pas en profiter. Puis après une si longue invasion de notre pays, comment accepter de ne pas aller chez eux.

Vendredi 1er novembre

La 5e Toussaint de guerre ; pour la première fois, aucune cérémonie officielle au cimetière. Julie et moi y allons seules et parlons de l’Armistice qui la réjouit, tandis qu’il me bouleverse ; j’avais rêvé tant de choses !

En attendant, c’est avec la Turquie que l’on signe ; c’est le deuxième ennemi par terre.

Le pauvre Sabatier apprend la mort de son père.

Samedi 2 novembre

La révolution éclate en Autriche, le comte Tisza[27] est assassiné. Elle demande les conditions immédiates d’armistice, on pense à l’invasion de l’Allemagne par la Bavière.

Dimanche 3 novembre

L’offensive est reprise entre l’Argonne et la Meuse ; on avance partout. On pose les conditions à l’Autriche. Il est probable que le Kaiser abdiquera.

Lundi 4 novembre

Départ en permission ; j’ai la chance d’aller jusqu’à Belfort en auto. Arrivée à Troyes où je trouve Fouilhoux ; longue conversation avec elle jusqu’au dîner.

Je revois Mary, Possel, Leriche, Santy et j’en suis bien contente. Nous retrouvons les vieux souvenirs de Prouilly et de Bouleuse. On me parle de Liaison, de R. B. sans beaucoup d’aménité.

Mardi 5 novembre

Mary me conduit à la gare. Elle me dit que Leriche doit avoir bientôt son autochir et Roux-Berger partira dès son retour de permission. L’ACA 17 est à Reims avec une autre. Quant à l’hôpital de Troyes, il doit être transféré à Épernay très prochainement.

Arrivée à Paris.

Mercredi 6 novembre

Wilson répond à l’Allemagne que c’est à Foch qu’elle doit s’adresser pour connaître les conditions de l’Armistice.

Jeudi 7 novembre

Prise de Sedan, Rethel, Vervins. Comme nos soldats se chargent de l’évacuation du territoire. Les boches ont peur, ils annoncent que leurs envoyés sont partis.

Magnifique discours de Clémenceau[28].

Vendredi 8 novembre

Hier soir, les boches ont traversé les lignes et l’entrevue a eu lieu ce matin. Ils ont 72 heures pour donner la réponse.

La république est proclamée en Bavière ; l’armée boche envahit le Tyrol pour se défendre contre une invasion possible.

Prise de Mézières.

Samedi 9 novembre

Tout le monde est anxieux ; on se demande quelle sera la réponse et il est bien certain, malheureusement, que c’est une acceptation que l’on désire partout. On achète des drapeaux pour pavoiser dès la réponse connue. Quelques détails parviennent sur l’entrevue ; parmi les envoyés se trouve le Gal Winterfield, fils de celui qui a apporté en 1870 les conditions de de Moltke[29], c’est un vrai exemple de justice. Ils ont demandé une suspension d’armes que Foch a refusée. Pourvu que les conditions soient assez dures !

Le chancelier donne sa démission.

Nos soldats continuent : prise de Maubeuge, Tournai, Hirson. Humbert est retrouvé ; sa 3e armée reconstituée est près de Mézières.

Je vais avec Renée voir les trophées de la place de la Concorde ; canons, saucisses, tanks, Zeppelin… Que de gloire !

Dimanche 10 novembre

Messe au Sacré-Cœur de Montmartre ; c’est le cas où jamais.

On attend toujours la réponse qui sera sans doute connue demain. Révolution en Allemagne, un socialiste, Ebert, devient chancelier ; le Kaiser abdique. Si tout cela est sincère, quel effondrement.

Visite à Renée où j’ai la surprise de trouver Liaison ; quel plaisir de la revoir et de reparler des amis de Bouleuse. Nous devons nous retrouver mardi.

Renée me parle de Foch, navré, paraît-il, qu’on ait arrêté sa victoire. Comme je le comprends.

Lettre Julie ; on ne sait rien de nouveau, peut-être aura-t-elle besoin de me rappeler.

Lundi 11 novembre

Renée et moi allons passer la journée à Versailles ; c’est là, qu’à onze heures précises, nous entendons les coups de canon qui annoncent la signature de l’Armistice ; quelle émotion et comme j’aurais pleuré si j’avais été seule ; je me sens bouleversée ; du bonheur de la victoire, un grand regret qu’on ait arrêté avant qu’elle soit plus complète, et la pensée qui domine tout « Pourquoi Paul n’est-il plus là ».

Versailles se pavoise instantanément.

Mardi 12 novembre

Journée de joie et de folie à Paris ; drapeaux, cortèges, cris. J’aurais préféré un bonheur plus calme ; et la dignité des poilus fait un vrai contraste avec la joie sans mesure de tous ces civils qui n’ont rien fait par comparaison.

Les conditions sont dures, moins encore qu’ils ne l’ont mérité. Ils s’en remettent à l’entente pour le ravitaillement de l’Allemagne. Il paraît que si l’envoyé civil a signé avec calme, Winterfield n’a pu retenir ses larmes. C’est bien la revanche !

Déjeuner avec Liaison et Vignes. R.-B. est au ministère, son autochir partira-t-elle ; elle devrait aller à Nancy et de là en Lorraine. Quelques potins sur les uns et les autres qui confirment presque toutes mes idées personnelles.

Mercredi 13 novembre

Déjeuner chez les Sénac ; conversation avec le Commandant ; lui aussi est navré et sa phrase résume bien nos pensées communes : « Au point de vue de l’effondrement de l’Allemagne, nous ne pouvions le rêver plus complet ; mais comme apothéose, c’est une fin de guerre ratée. » Et comme les deuils paraissent plus durs, maintenant que tout est fini.

Lettre Julie ; il est probable que toutes les A. C. A. seront dissoutes tout de suite, et que l’on gardera seulement quelques équipes chirurgicales. Que ferons-nous et où irons-nous ? Puis quel chagrin que toutes ces séparations.

Julie me dit que H. a vu les Japy, lesquels ne s’opposaient nullement au départ de l’A. C. A. Quel dommage qu’on n’ait pu agir plus tôt, nous aurions pu voir et faire de bien belles choses cet été.

Jeudi 14 novembre

Meilleure lettre de Julie ; rien ne change pour l’instant et nous avons bien des chances d’aller en Alsace, à Mulhouse ou Colmar.

La révolution continue en Allemagne. Le Kaiser est en Hollande, le bruit court de l’assassinat du Kronprinz[30].

Nouvelles du Ct Herbillon qui se force pour être content, en voilà un à qui la guerre n’aura rien rapporté.

Vendredi 15 novembre

Visite aux Haas ; naturellement, on ne parle que de la paix, qui ne sera probablement que pour le printemps.

Samedi 16 novembre

Lettre de Julie me donnant de nouvelles courses et me disant de ne rentrer que lundi.

Visite à Renée pour lui dire adieu ; malgré mes efforts, pas moyen de l’emmener pour quelques jours.

Dimanche 17 novembre

Course chez Potel et Chabot, gare de Lyon. Je me débrouille pour entrer à Notre-Dame malgré les consignes et l’absence de carte… Foule dans l’intérieur et une décoration de drapeaux absolument merveilleuse ; je ne puis rien entendre du discours du Cardinal, mais je suis transportée par l’émotion du Te Deum que tout le monde chante.

Le Te Deum de la Revanche ; nous osions à peine y penser en rêve, et voilà tant d’années qu’on l’attend. J’y pense depuis que j’ai l’âge de comprendre quelque chose et j’ai du mal à croire que c’est bien moi qui assiste à une chose si grande.

L’après-midi, je retourne à la cérémonie de St Sulpice, très belle et très émouvante.

Départ le soir ; je retrouve à la gare Alyette qui me présente son frère aîné. Ma place a été prise ; je voudrais pourtant bien ne pas passer la nuit dans le couloir. Enfin tout finit par s’arranger et je me case le mieux possible.

Lundi 18 novembre

Bien joli trajet entre Besançon et Montbéliard. Un peu de neige, beaucoup de froid. Je retrouve Alyette et Ferrier, revenant de permission.

Déjeuner à leur popotte où un bon café nous réchauffe.

À l’hôpital, tout le monde est en effervescence. M. H avec quelques autres étaient hier à Mulhouse pour l’entrée des troupes, et ils sont encore sous le coup de l’émotion ressentie. Impossible de rendre l’enthousiasme délirant de la population ; les femmes ayant confectionné des drapeaux avec des chiffons, les vieillards se souvenant de 70 et regrettant que les petits enfants ne soient pas assez grands pour comprendre la grandeur de cette journée. D’un autre côté, Mlle Germain et une des Viarmé sont parties pour Sentheim et ne sont pas encore revenues ; sont-elles allées jusqu’à Mulhouse. Tout le monde pense à l’entrée des troupes à Strasbourg et désire y aller ; ce sera bien difficile.

Dans l’après-midi, retour de Mlles G. et V. ravies de leur expédition qui rend les autres folles de jalousie.

Au moment où nous nous préparons pour le grand dîner des toubibs arrive l’ordre du départ de l’A. C. A. pour Mulhouse. C’est une joie délirante et tout le monde trépigne. Aussi le dîner se ressent-il de la joie générale ; c’est l’entrée en Alsace que nous fêtons de façon très bruyante. Après, séance des ombres de Laby. Nous les connaissons depuis Morvillars, mais elles sont si jolies que c’est un plaisir de les revoir.

Notre seul regret est l’absence de Renée elle aurait tant joui de tout cela.

Mardi 19 novembre

Nous commençons nos préparatifs et faisons des emballages toute la journée, seulement tout cela nous empêche d’être à Strasbourg jeudi. Notre seule chance est que la date d’entrée soit reculée pour que nous puissions arriver à temps.

Mercredi 20 novembre

H. et Julie partent pour Mulhouse pour se rendre compte de ce que nous aurons à y faire. Ils reviennent avec des nouvelles intéressantes ; c’est le colonel Lauth qui est major de la place, ce qui nous facilitera bien des choses ; comme la 7e armée n’existe plus et est remplacée par la 2e, c’est Jacob que nous avons comme médecin inspecteur. À Prouilly et à Bouleuse, il était plutôt agréable. Il n’est pas sûr que nous restions à Mulhouse, car Rouvilloy et Mathilde désirent y venir ; dans ce cas, nous irions à Colmar, ce qui ne nous déplairait pas, sauf à Gouverneur qui a retrouvé à Mulhouse une partie de sa famille. Quant à Strasbourg, ce ne sera peut-être que dimanche ou lundi ; si nous sommes arrivés à Mulhouse, nous pourrons peut-être y aller.

Récit de l’entrée à Metz au milieu d’un enthousiasme indescriptible. Quelles heures doivent vivre tous ces officiers. Pétain est nommé maréchal[31].

Jeudi 21 novembre

Nous recevons l’ordre de ne partir qu’à l’arrivée de l’ambulance qui doit remplacer la 2/52 ; une équipe chirurgicale est aussi désignée pour venir ici. Nous avons aussi la joie de fâcher cet imbécile de Parlange remplacé par Dallier.

Surprise de la visite de Beaudouin qui vient toujours au moment des départs. Elle nous dit que les deux autochirs de Leriche et de R. B. ne sortent pas à cause de l’Armistice ; tout le monde est dans le marasme.

Vendredi 22 novembre

Mlles Rott et Guillelmon partent pour aller à Strasbourg, si elles peuvent arriver ; elles tâcheront de se débrouiller à Mulhouse pour prendre le train qui ne va encore que jusqu’à Schlestadt. Y arriverons-nous les unes et les autres. Cela paraît devenir difficile avec le contre ordre qui nous arrive, toutes les formations situées en deçà de l’ancienne frontière passent à la D. A. ce qui complique notre situation. Heureusement que le soir tout se rétablit et que notre départ est fixé dès l’arrivée de la nouvelle ambulance.

L’entrée des troupes à Strasbourg n’aura peut-être lieu que lundi ; pourrons-nous y être à temps.

On discute pour savoir l’équipe qui restera ici ; Meugé et Dubourdieu sont tellement navrés que l’on désigne Ferrier qui ne demande pas mieux, avec Houel et Aumont.

Nous travaillons toute la journée et nos préparatifs sont terminés.

Samedi 23 novembre

L’ambulance est arrivée cette nuit ; on demande les T. M. pour le transport et nous partirons demain. Enfin !!

Un ordre arrive de laisser ici une équipe, ce qui est déjà convenu ; mais de laisser Gouverneur au château. C’est un tour de M. Viellard furieux de voir terminer sa propagande électorale. On sera forcé d’obéir, mais H. interdit de soigner aucun civil, ce sera dramatique. Auvigne est désespéré et furieux.

Les T. M. ne seront là que demain de bonne heure, nous partirons à 11 h.

L’entrée en Alsace continue et l’enthousiasme est le même dans toutes les villes. Le roi des Belges est rentré à Bruxelles où les boches ont fait sauter les gares. Protestation de Foch ; réponse insolente des Allemands ; dans certains journaux, on dit qu’on sera peut-être forcé de recourir aux sanctions militaires. Quand nous aurons traversé le Rhin, nous aurons beau jeu ; qui sait si Foch ne les désire pas.

Reddition de toute la flotte boche.

Dimanche 24 novembre

Messe à Héricourt, la dernière.

Toute la matinée, on charge les T. M. et tout est prêt vers 11 heures ; mais le déjeuner des toubibs prend du temps, et c’est seulement à midi que l’on organise la caravane. Comme H. est parti à bicyclette avec une bande, cela va assez mal ; les deux camionnettes sont pleines de bagages et le personnel est forcé de se caser n’importe où. Pour ma part, je grimpe sur le siège de T. M. avec Sabathier, le 6e de la file ; cela me gâte tout mon plaisir du trajet que je pensais faire avec Julie. Nous partons à midi ½ mais dès Belfort, il y a déjà un T. M. en panne, un autre, un peu plus loin, le mien se démolit un peu après Dannemarie et je suis recueillie dans la voiture de la bactériologie. On abandonne tous les camions qui doivent se faire remorquer et nous filons en avant ; traversée des lignes, si émouvante, arrêt à Altkirch où tout est abandonné, enfin tout à fait à la nuit, arrivée à Mulhouse !

Nous rencontrons M. H. et les autres qui nous attendent depuis plusieurs heures, la seconde camionnette arrive à son tour. Nous apprenons, 1o que nous n’allons rester que quelques jours, 2o que l’entrée des troupes à Strasbourg est pour demain et qu’il y a un train à 6 heures du matin. Nous nous précipitons au bureau du Colonel Lauth pour les sauf-conduits ; nous avons de la chance que ce soit lui qui soit major de la place.

Rien n’est organisé comme service, ni comme logement ou nourriture. Nous arrivons à nous caser à l’hôtel Central, où nous dînons tous ensemble avec nos majors. Nous voyons Gouverneur, furieux de retourner au Château, cela ira très mal, je crois.

Nous retrouvons M. Claudon !

Lundi 25 novembre

Départ à 6 heures avec le colonel L et une partie de nos majors ; le pauvre H n’a pu venir. Trajet très long mais bien joli tant qu’on suit les Vosges, après, la campagne est laide. Arrivée à Strasbourg avec une foule considérable, presque toutes les femmes en costume d’Alsacienne, tout le monde avec des cocardes ou des rubans, la ville entièrement pavoisée, c’est une débauche de tricolore. Malheureusement, le temps est gris. Nous allons vite voir un balcon que l’on nous a indiqué et où nous serions bien, sur la place Kléber. Cette statue me fait penser au pauvre petit St Cyrien qui aurait été si heureux de défiler devant son arrière grand-père. Nous déjeunons en hâte et revenons à notre balcon d’où nous assistons à l’arrivée de toutes les sociétés de Strasbourg, avec musiques et drapeaux.

Mais je me rends vite compte que nous sommes trop loin pour bien voir, et je me décide à tenter la chance avec Mlles Braun et Guillelmon.

En nous entendant parler français dans la foule, un jeune homme nous offre de nous mettre à une fenêtre du conservatoire de musique, où on fait d’abord quelques difficultés pour nous laisser entrer, mais notre costume d’infirmières aidant, nous sommes bientôt admirablement placées toutes les trois, à un tournant d’où nous voyons l’arrivée du défilé et le passage devant Kléber.

On avait dit que Foch viendrait avec le roi Albert, mais en réalité c’est Pétain et Castelnau. La véritable première entrée de troupes a eu lieu vendredi avec Gouraud. Je regrette de ne pas avoir vu cette première arrivée, si émouvante. Mais c’est quand même bien beau aujourd’hui : à deux heures arrivent les troupes précédées de Pétain, Castelnau, Gouraud[32] et quelques autres, dans trois automobiles allant au pas, puis une douzaine de régiments tous avec la musique et le drapeau. Beaucoup de cris et d’acclamations, mais je crois moins qu’à Mulhouse.

Immédiatement après le défilé, nous allons à la cathédrale ; où nous avons la chance de pouvoir entrer et d’assister à la plus belle chose qui puisse exister : le Te Deum, de la victoire, chanté dans la cathédrale de Strasbourg, reconquise par le Maréchal de France qui y assistait. Rien ne peut rendre les impressions éprouvées dans un cadre d’une telle beauté. Si Paul était là — je ne pense qu’à cela et au bonheur qu’avaient aujourd’hui tous ces officiers.

Rencontré une masse d’infirmières, Lebègue, Mme de Barrau, venue de Morhange et qui vient enfin d’avoir sa Croix de guerre ; cela nous fait plaisir de la retrouver.

Retour avec nos majors, dans un train bondé et où il fait bien froid.

Mais quelle journée, unique dans sa beauté.

Mardi 26 novembre

Promenade dans Mulhouse que je n’ai pas encore vue. Des masses de drapeaux, dont quelques uns en papier ou en chiffons, touchants par ce qu’on y a mis d’âme.

Nous visitons le lazaret, d’où les boches sont partis précipitamment en laissant tout en l’air. Ce serait parfait si c’était propre mais d’ailleurs nous ne devons pas rester et on ne déballe rien.

Tout a l’air en pagaye dans les administrations ; on s’attendait peu à une victoire si rapide, et l’organisation est au dessous de tout.

Nous déjeunons avec nos majors, pour la dernière fois, car leur popote s’organise ce soir, et il n’y a pas assez de places pour nous.

Nous allons avoir nos billets de logement pour l’hôtel et probablement une indemnité de vivres ; heureusement, car ce genre de vie devient ruineux.

Promenade dans l’après-midi, visite de la cathédrale, visite au logement d’H qui nous offre l’hospitalité de son bureau. Nous en profiterons quelquefois, car avec cette vie décousue, c’en est finie de notre bonne intimité.

Musique militaire où l’on joue la Marseillaise, bien entendu, que de choses cela représente. Les nôtres se sont fait tuer pour ce fait si petit et pourtant si grand, une musique française jouant dans Mulhouse !

Mercredi 27 novembre

Courses dans la matinée ; nous changeons de l’argent français contre l’allemand, car le mark ne valant que 0,70 c, cela nous fait une grosse économie.

Après déjeuner, le colonel Lauth nous prévient qu’il y a une prise d’armes à 2 heures ; nous y allons vite et grâce à lui sommes très bien placées. Le Gal Hirschauer passe la revue, remet quelques Croix aux applaudissement de la foule, puis c’est le défilé. Il y a ici vraiment bien de l’enthousiasme, et les petits enfants s’égosillent à crier : Fife le Chénéral !

Promenade au jardin zoologique qui paraît fort beau, mais il fait nuit et nous écourtons notre visite.

Rentrée à l’hôtel ; correspondance.

Nous ne savons toujours rien sur notre sort futur.

Jeudi 28 novembre

Courses et promenade dans Mulhouse, au Lazaret. Nous cherchons H qui pendant ce temps est à l’hôtel.

Concert militaire pendant lequel arrive un cortège de prisonniers alsaciens libérés. Avec leur uniforme boche, précédés d’un drapeau tricolore, encadrés de soldats français, ils forment un tableau saisissant.

Nous retournons au Lazaret pour la permission de Mlle Germain, recherches d’une auto ; enfin, nous l’emballons, cela en fait une de moins ; elle est malheureusement remplacée par Mlle Carrémentrant, dont nous héritons ;

H vient nous voir à l’hôtel, avec cette vie décousue, on ne se voit plus. Nos affaires vont mal en ce moment, Rouvilloy dévoré de jalousie, nous joue tous les tours possibles, tout en étant très aimable en apparence. Il voudrait nous voir partis, nous aussi, mais Jacob veut avoir une A C A sous la main et tant que la 2 n’est pas arrivée, il faut que nous restions.

Et on ne nous fait pas fonctionner alors qu’il y a du travail et qu’on est forcé d’envoyer tous les cas chirurgicaux à Héricourt où Ferrier est débordé. C’est vraiment le comble. Quant à l’équipe Gouverneur, elle est versée à la D E, et le chateau fermé. H en a par-dessus la tête de toutes ces persécutions et songe très sérieusement à se faire démobiliser. Comme nous aimerions mieux qu’il reste jusqu’à la dissolution des auto-chirs.

Vendredi 29 novembre

Courses dans la matinée ; les quatre petites essayent d’aller jusqu’au Rhin. Nous, nous allons avec H. visiter le jardin zoologique, assez joli. En rentrant nous retrouvons les autres qui n’ont pu aller bien loin, faute de camions. H. nous emmène toutes prendre le thé au Globe ; gâteaux et musique, quel contraste avec la vie de ces derniers mois.

Samedi 30 novembre

Départ par le train pour Cernay que nous visitons et qui est complètement en ruines. Très beau temps et belle vue sur les Vosges. Nous avons devant nous l’Hartmann tout pelé et où tant de chasseurs sont tombés ; comme le souvenir de Paul est vivant dans cette contrée et dans cette vallée.

Visite des tranchées boches où nous descendons pour explorer cagnas et abris souterrains. Faute de lumière, nous renonçons à ces derniers.

Passage des lignes françaises.

Arrivée à Thann où nous visitons la cathédrale, très petite mais bien belle.

Après déjeuner nous nous enfonçons un peu dans la vallée et arrivons à trouver un camion pour rentrer à Mulhouse. Notre journée manque de se terminer de façon tragique car notre camion ayant un choc formidable sur celui qui le précède, envoie la pauvre Julie rouler sur la route.

Elle tombe en plein sur la tête et se fait une plaie qui saigne beaucoup. Quelle peur j’ai eue ; elle aurait pu se briser le crâne. Nous attendons plus d’½ heure sur la route qu’il passe d’autres véhicules ; nous finissons par rentrer et je vais vite chercher H. qui voit heureusement que ce n’est rien.

Toujours rien de nouveau pour nous ; H. fait acte d’autorité et envoie d’office Gouverneur et Auvigne en permission, après ils rejoindront où nous serons, tant pis pour la D E.

L’atmosphère de la ville devient orageuse ; des Alsaciens libérés, pour se venger des mauvais traitements subis, démolissent tous les magasins boches qu’il faut faire garder. D’ailleurs, personne ne s’y intéresse particulièrement.

Dimanche 1er décembre

Messe à la cathédrale ; correspondance.

Julie est un peu moulue, mais ça ne sera décidément rien.

Il fait très froid et nous ne sortons que pour aller au Lazaret, puis prendre le thé avec H.

Arrivée de Mlle Roch avec Gouverneur qui revient prendre sa place à l’A. C. A.

Le soir, au théâtre, premier concert français. Soirée très émouvante au point de vue patriotique, terminée par la Marseillaise, chantée par Nucelly et toute l’assistance. encore, ce fut un beau moment.

Lundi 2 décembre

Nous partons à midi pour essayer d’aller jusqu’au Rhin ; le train traverse la fameuse forêt de Hardt dont on parlait tant au début de la guerre. Nous faisons ensuite quelques kilomètres à pied dans une plaine fort laide pour arriver enfin sur la rive du Rhin devenue française. Je m’attendais à trouver le fleuve plus imposant, un pont de bateaux le traversait qu’une barrière fermait de notre côté. Boches et Français parlementaient par-dessus au sujet du passage d’un Alsacien. Les boches à leur poste de l’autre rive nous regardaient à la lorgnette. Le plus impressionnant était la vue de notre drapeau flottant sur la passerelle, au dessus de la barrière, indiquant notre prise de possession. Quelle joie profonde de voir ce rêve réalisé ; le drapeau français sur le Rhin !

Le retour s’annonce laborieux, le train n’étant qu’à 7 heures : nous pouvons heureusement, en nous séparant, rentrer presque toutes dans des autos d’officiers. Nous apprenons que l’ordre de départ est arrivé ; nous partons pour Colmar demain ou après-demain.

Mardi 3 décembre

Rangements et correspondance toute la matinée.

Une partie des majors part par le train de midi ; les camions de l’A. C. A. s’en vont dans la journée ; nous assistons à leur départ avec H. qui nous emmène goûter.

Arrivée de Mathilde et de deux de ses infirmières ; les autres sont toujours dans le train spécial qui n’arrivera que demain.

Visite d’adieux au Colonel Lauth que je regrette bien. Dîner avec les trois majors restants.

Mercredi 4 décembre

Courses le matin ; rencontre de Maréchal qui me dit que toutes les A. C. A. sont dissoutes immédiatement, sauf celles dont le médecin-chef est chirurgien consultant de l’armée. Cela va nous empêcher de rester à Colmar, car ou nous sauterons ou nous irons retrouver la 7e armée, près de Metz.

Voyage pour Colmar avec trois majors dont le remplaçant de Maréchal. Nous trouvons H à la gare et il nous conduit à l’hôpital où nous devons prendre le service de chirurgie. Il est occupé par 4 Alsaciennes de Colmar qui resteront, et deux Allemandes qu’on fait partir. Nous retrouverons aussi Mme Haffner et Mme Kern avec quelques U. F. F. toutes en médecine. Mais avec cette histoire de la 7e armée, nous n’allons probablement pas rester.

Visite au médecin-chef qui charge la pauvre Hafner de nous installer, c’est la seconde fois ! On nous case dans l’appartement des infirmières, parfait pour deux, mais où l’on veut nous faire tenir toutes. Nous arrivons à trouver place pour six, et Julie et Alyette vont à l’hôtel pour quelques jours. Mlle Roch et moi héritons d’une cuisine où l’on met deux lits et que nous arrangeons de notre mieux ; avec ma cretonne rose, cela finit par être très gentil ; mais quelle saleté chez ces boches !

On vole le sac de la pauvre Julie, contenant tous ses objets les plus utiles, ses lettres, etc., elle est désolée.

Premier dîner à la popote, à peu près pas de matériel, et un menu immangeable.

Jeudi 5 décembre

Rangements toute la matinée, nettoyages, organisation ; nous avons de nos fenêtres une vue splendide sur les Vosges et notre logement devient très gentil ; seulement nous y sommes très entassées.

Déjeuner abominable, nous finirons par ne plus manger du tout dans cet hôpital.

Nous allons visiter Colmar et faire des démarches pour le sac de Julie.

Colmar paraît une ville très curieuse avec des jolies vieilles maisons, une belle cathédrale, nous la visiterons à fond, surtout si nous devons partir vite.

H. vient goûter ave nous ; nous prendrons le service demain.

Vendredi 6 décembre

Prise du service, organisation ; l’hôpital est bien aménagé, mais très mal tenu. Sur les 4 Alsaciennes, une nous paraît tout à fait boche et nous nous méfions. Travail toute la journée, je m’occupe de la salle d’opérations trop encombrée.

Le soir, un triste accident. Vaulet tombe d’auto et se fait une fracture du crâne ; il est probable qu’on ne le sauvera pas.

H. a reçu une note disant que les médecins de sa classe seraient rappelés vers le 20 décembre, c’est donc pour lui le départ et pour tous la dislocation ; toutes ces séparations me font un réel chagrin et la vie paraîtra si pénible après la guerre.

Samedi 7 décembre

Travail toute la matinée ; attrapade formidable entre H. et le médecin-chef, une sinistre brute.

Je puis enfin visiter un peu Colmar, et je suis émerveillée. Que de vieilles maisons et de coins curieux où les drapeaux en masse font une note gaie et donne une âme toute vibrante. On nous montre la maison de Bartholdi et l’on nous parle de son monument de la Revanche au cimetière. Nous tâcherons d’aller le voir. Course à la place pour avoir les billets pour le concert de demain.

Visite imprévue de Marthe Humbert et de Germaine qui passe par ici en allant à Mulhouse Strasbourg ; cela me fait plaisir de les revoir et nous tâcherons d’aller à Gérardmer en auto.

Dimanche 8 décembre

Messe à la chapelle de l’hôpital. Service assez occupant toute la matinée, tous se tasse.

Dans la journée, très joli concert uniquement pour les militaires rien que des uniformes. Un beau programme mais rien de l’émotion de Mulhouse.

Enfin quelques lettres de Paris, les premières depuis mon entrée en Alsace.

Lundi 9 décembre

Personne ne se décidant à y aller, je pars seule pour Strasbourg avec Mlles Roch et Carrémentrant. La ville est en fête avec une foule considérable qui empêche à peu près de circuler. Poincaré est déjà là, mais ce qui nous importe le plus, c’est le défilé qui doit avoir lieu à 1 heure. Aussi nous nous débrouillons pour être bien placées, le système D nous case au premier étage d’un ministère, à un superbe balcon dominant la tribune ministérielle. Le hasard nous y fait retrouver le lieutenant Glaser, que nous avons soigné à Héricourt ; nous apercevons un tas d’infirmières connues et inconnues, toute la famille de Fontaine et Chaudoye… ! Malheureusement je le perds dans la foule sans pouvoir lui parler ; j’aurais tant aimé reparler de Prouilly.

Le défilé est superbe, avec des fusiliers marins et des tanks, très acclamés, on fait une ovation à l’officier qui les commande. Après, passent une quantité de sociétés alsaciennes, de délégations de villages avec de vieux costumes ; c’est extrêmement joli et a un grand succès. Clémenceau paraît fort ému, toutes les ovations sont pour lui et Foch. Il y a beaucoup de foule, d’entrain et d’émotion ; mais quand même, rien ne vaudra pour moi la journée du Te Deum.

Le plus ennuyeux, c’est l’attente du train pendant plusieurs heures dans une gare encombrée par une foule immense.

Mardi 10 décembre

Aujourd’hui, visite officielle à Colmar et à Mulhouse ; je garde la maison pendant que toute la bande va à la réception qui est très quelconque, paraît-il.

Alyette va seule à Mulhouse avec tous les toubibs, arrive à se faufiler partout, est présentée à Clémenceau, à Mourier, et revient dans le train des ministres.

Mercredi 11 décembre

Le travail commence à s’organiser ; on range de tous côtés ; mais pour combien de temps. H. attend son ordre de départ et il est probable que l’autochir sera dissoute tout de suite. Personne ne sait ce qui se passera ni où il sera envoyé, aussi les suppositions vont leur train.

Jeudi 12 décembre

Alyette part avec deux autres pour Gérardmer. Nous devions y aller aussi avec H., mais l’auto nous manque et cela nous prive d’une promenade qui m’aurait fait un bien grand plaisir.

Visite de Rougé le médecin inspecteur du groupe d’armées qui vient s’occuper des infirmières alsaciennes et autres.

Retour de Maggie de permission. Nuit de veille.

Vendredi 13 décembre

Je me décide à laisser opérer mon petit kyste par H., qui en profite pour me taquiner ferme. Je ne sens d’ailleurs absolument rien. Immédiatement après, grande séance de photographie avant la dislocation.

Dans l’après-midi, grand goûter en l’honneur du départ d’Alyette et de celui de H. Notre petit home est tout rempli de toubibs et la réunion est fort cordiale.

Retour de Mlle Germain..

Samedi 14 décembre

H. reçoit son ordre de départ et nous quittera mercredi. En attendant, il part pour Mulhouse avec Alyette qui s’en va définitivement. Mlle G. va jusqu’à Héricourt et nous en rapportera des nouvelles.

Dimanche 15 décembre

Hier, nous avons eu la visite de Millet et Humbert, nommées à Metz ; le Lac doit fermer dans quelques jours, tout est fini à Gérardmer. Je regrette doublement de n’avoir pu y aller.

Travail toute la journée, une de mes infirmières alsaciennes paraît vexée du nouvel état de choses, comme je la crois du type rallié, je serais ravie de la voir partir.

Nous apprenons avec surprise le mariage de Christine avec Chaperon.

Lundi 16 décembre

Je conduis à la gare Julie qui va à Strasbourg avec H. et Ferrier. Beaucoup de travail à l’hôpital. Gouverneur fait son petit médecin-chef et se gonfle tant qu’il peut, c’est comique. Tout le monde trime.

Mardi 17 décembre

Une promenade était organisée avec M. de Kermaingant pour le Hohkoenigsburg[33] ; Julie n’étant pas là, je ne puis y aller ; d’ailleurs, au dernier moment nous recevons un contre-ordre ; cela me ferait plaisir d’aller un peu dans les Vosges.

Travail toute la journée ; à 5 heures, les majors de l’A. C. A. nous invitent à goûter dans notre logis ; H. et Julie n’arrivent qu’à 6 heures, leur train ayant beaucoup de retard. C’est cordial, mais sans beaucoup de gaieté. Julie et moi causons un peu le soir des séparations prochaines ; comme tout cela est triste.

Mercredi 18 décembre

Inspection de Niclaux qui remplace Jacob à la 2e armée. Rien n’est décidé pour l’autochir ; on croit même qu’elle ne sera pas dissoute, on mettra peut-être un militaire comme médecin-chef. Quel changement cela fera. Pour l’instant, on continue en vivant au jour le jour.

Le soir H. vient goûter avec nous ; après il nous fait ses adieux ; nous xx sommes très tristes tous les trois. Quand nous nous retrouverons plus tard, cela fera un tel changement avec notre bonne vie d’amitié. Quel souvenir nous en garderons. Je sais qu’il vient de me proposer pour la Croix de guerre ; si cette fois-là, cela passe, je serai heureuse de la lui devoir.

Jeudi 19 décembre

H. nous quitte ce matin, accompagné jusqu’à Belfort par toute une bande de l’A. C. A. Adieux brefs à tous ; comme il va nous manquer.

Travail toute la journée ; arrivée de l’équipe de Mlle de Villette qui vient pour la médecine et où nous retrouvons Sahuqué. Nous reparlons de Prouilly ; c’est toujours la même bonne fille, un peu collante.

Départ des dernières infirmières boches ; à partir de demain, les autres vivront avec nous.

Vendredi 20 décembre

Les toubibs reviennent le soir de Belfort après avoir mis le patron dans le train. Il était très ému, paraît-il. Nous travaillons beaucoup, il y a une moyenne de 4 à 5 opérations par jour.

Arrivée inopinée de Mlles Rott et de Beuvry qui viennent fonder un foyer du soldat aux environs. Courses à la Coopé pour notre arbre de Noël.

Mlles de Villette et de Sahuqué viennent prendre le thé avec nous et Gouverneur.

Vue magnifique sur les Vosges aujourd’hui.

Samedi 21 décembre

M. de Kermaingant vient nous chercher pour toute la journée ; mais comme Julie et moi tenons surtout à aller à Gérardmer et que nous ne pouvons être toujours parties, nous laissons les autres y aller à notre place. Je commence à croire que je n’arriverai jamais à voir les Vosges.

À leur retour de promenade, il goûte avec nous et le lieutenant Gringoire. Mais celui-là n’a pas l’air bien dégourdi et ne nous servira pas à grand chose.

Dimanche 22 décembre

Pour une fois où je comptais ne rien faire et écrire toute la journée, il y a du travail, opérations, hémorragies, cela n’arrête pas. Nous arrivons quand même à terminer les préparatifs de l’arbre de Noël.

Lundi 23 décembre

Quelques courses avec Julie, puis nous allons à la gare au devant de Renée ; avec quelle joie nous la revoyons ! Elle nous a tant manqué.

Je vois dans la journée que le 6e bon commandé par Petitpas, vient d’avoir la fourragère rouge[34] et va être envoyé en Alsace. J’espère le voir et avoir quelques renseignement précis sur l’Anlass.

Mardi 24 décembre

Travail avec Renée, organisation de la journée de demain, décoration de l’arbre.

Nous allons toutes en bande à la cathédrale où se dit la première messe de minuit depuis 1870, les boches l’ayant interdite. Il y a foule, beaucoup d’officiers avec en tête, le Gal de Castelnau. Nucelly chante le Minuit Chrétiens ; il y a de belle musique, c’est une cérémonie assez émouvante. Nous pensons à tous nos Noëls de guerre, Belfort, Gérardmer, Bouleuse, et à la messe de l’année dernière dans l’église d’Aubilly, maintenant démolie !

Réveillon entre nous avec Carrémentrant. 2e messe dans la chapelle.

Mercredi 25 décembre

Le dernier Noël de la guerre ! Combien de fois avons-nous pensé à ce qu’il serait. Je suis profondément heureuse de le passer en Alsace.

Nous finissons les derniers préparatifs ; après, c’est le brancardage des blessés, le déménagement des lits, l’organisation d’un petit concert, et enfin l’arbre avec ses paquets ; il est vraiment très réussi, et nos poilus sont ravis.

Pendant la séance, arrivée du colonel Lauth, que nous attendions un peu et de M. de Nanteuil, celui là, bien par surprise ; il est nommé à Mulhouse et devient notre voisin ; c’est une chance.

Pour terminer la journée, veille ; et comme un des hommes est très mal, elle est particulièrement pénible ; après le travail de ces derniers jours et la nuit de Noël, je suis bien fatiguée.

Jeudi 26 décembre

Travail toute la journée ; courses avec Julie et Renée ; visite du musée fort intéressant, mais dont les toiles principales ont été enlevées par les boches.

Départ des Viarmé en permission.

J’écris à Petitpas.

Vendredi 27 décembre

Nous conduisons à l’E. M. Renée qui part en auto pour Mulhouse ; conversation avec Nucelly et M. de Nantois.

Samedi 28 décembre

Quelques courses, achat de cartes postales pour les lettres de fin d’année.

Dimanche 29 décembre

M. de Nanteuil vient goûter avec nous et remmène Julie à Mulhouse ; nous travaillons pas mal et la journée se termine tragiquement par la mort sur la table d’opérations d’un de nos malades. C’est si inattendu que tout le monde est atterré.

Lundi 30 décembre

Julie revient de Mulhouse ; si elle ne s’était pas absentée, nous aurions pu aller à Gérardmer aujourd’hui ; c’est une occasion ratée, qui sait si elle se retrouvera.

Mardi 31 décembre

Le dernier jour de l’année de la victoire ; on ne la croyait pas si proche et personne ne l’attendait avant l’année prochaine. Il faut penser à toutes les vies épargnées et ne pas se dire qu’elle aurait pu être plus complète.

  1. Paul Bolo est un aventurier mondain et peu scrupuleux, menant grand train. Il fut un moment proche de Joseph Caillaux. Il est accusé d’avoir reçu de l’argent allemand pour financer des journaux pacifistes. Voir sa page wikipedia ; NdÉ.
  2. La station d’Est-ceinture se situait à l’emplacement de la gare de Rosa-Parks, au Nord-Est de Paris. Voir sa page wikipedia.
  3. Pour plus de détails sur cette catastrophe, consulter sa page wikipedia.
  4. Les Bataillons d’Infanterie Légère d’Afrique (BILA), connus sous les surnoms de Bat’ d’Af’ et de Joyeux ; NdÉ.
  5. [1] ; Châlons-sur-Vesle, avec ses sablières, est une zone stratégique pour les soldats montant au front et ceux en revenant. Le village abrite alors une ambulance et aussi un petit cimetière militaire. Le village devient un enjeu lors de l’offensive allemande du 27 mai 1918 et est alors occupé par l’armée allemande jusqu’au 1er octobre 1918, jour de la libération de la commune ; NdÉ.
  6. [2] ; Lors de la Première Guerre mondiale, Montdidier, comme toutes les localités de l’Est du département, déplore une destruction presque totale, n’épargnant nullement ses édifices les plus anciens et les plus remarquables. Il a été décoré de la Croix de guerre 1914-1918 dès le 24 août 1919, et fait partie des 22  communes décorées de la Légion d’honneur au titre de la Première Guerre mondiale, avec la citation suivante à l’ordre de l’armée : « Vaillante cité dont la guerre a fait une martyre. Après avoir subi plus de deux années le feu des canons ennemis, a connu tour à tour les joies de la délivrance et l’horreur d’une occupation brutale. Position importante et âprement disputée a subi une destruction totale payant de sa ruine la victoire de la Patrie ». NdÉ.
  7. [3] ; Amiens tient une place stratégique tout au long de la Première Guerre mondiale. Entre 1914 et 1918, la ville accueille des combattants du monde entier : Français, Britanniques, Australiens, Néo-Zélandais, Canadiens, Sud-Africains, Indiens, Chinois… La vie y est intense et les activités nombreuses : industrielles dans les usines de guerre, sanitaires avec les hôpitaux, médiatique avec la réalisation de journaux en langue anglaise, sportive avec l’essor du football au contact des troupes anglo-saxonnes, divertissantes pour les soldats en permission. La ville traverse des moments difficiles avec l’accueil des réfugiés belges et français, les évacuations de populations, les restrictions et les privations (gaz, charbon, pain, etc.). En 1916, à l’est d’Amiens, se déroule la Bataille de la Somme, l’affrontement le plus sanglant de la Grande Guerre avec 1,2  million de victimes. Fin mars 1918, une vague de bombardements intense détruit la gare du Nord, les Nouvelles Galeries et la Halle aux blés. Elle entraîne l’évacuation de la population ; En mars 1918, les Allemands lancent l’opération Michael, qui est stoppée par la brigade de cavalerie canadienne (Lord Strathcona’s Horse — Royal Canadians) le 4 avril à Villers-Bretonneux et Moreuil. En août, le corps expéditionnaire britannique du maréchal Douglas Haig dirige la bataille d’Amiens. L’attaque est destinée à libérer une large partie de la ligne de chemin de fer entre Paris et Amiens. À la fin du conflit, le bilan des victimes civiles est de 152 tués et 21 blessés, celui des dégâts matériels est de 731  immeubles complètement détruits et près de 3 000 endommagés, auxquels s’ajoutent les pillages. En 1919, Amiens est décorée de la Croix de guerre 1914–1918. ; NdÉ.
  8. [4] ; Le livre d’or des victimes du bombardement de l’Église Saint-Gervais à Paris, ouvrage de Paul de Coubertin ; NdÉ.
  9. [5] ; Le fort de la Pompelle va jouer un rôle prédominant, pour la défense du secteur de Reims. Les bombardements allemands sont très importants dans la région, détruisant pratiquement la ville de Reims. Mais l’acharnement des hommes du fort parvient à contenir les assauts successifs de l’armée allemande (attaques d’infanterie, bombardements, mines, etc.). Le 1er Corps d’Armée Colonial du général Mazillier s’y couvre de gloire durant la Bataille de Champagne de 1918 ; NdÉ.
  10. [6] ; « Gotha » était le nom d’une série d’avions bombardiers allemands durant la Première Guerre mondiale. Le nom de « Gotha » dérive du nom de l’usine Gothaer Waggonfabrik, qui lui-même dérive de la ville de Gotha, située dans l’actuel Thuringe dans le centre de l’Allemagne ; NdÉ.
  11. [7] ; Le château sert d’hôpital pendant la guerre de 1914-1918 appelé aussi ambulance de Morvillars. Il abrite une soixantaine de lits et est fortement équipé pour l’urgence chirurgicale. Il dépend de l’hôpital militaire de Belfort. Vers la fin de la guerre, l’ensemble constitué du château de Morvillars, du séminaire de Bourogne et du dépôt d’éclopés de la tuilerie (c’était le terme employé) de Froidefontaine est rebaptisé HOE 54 B. Le cimetière militaire de Morvillars compte 170 tombes de soldats tués sur le front alsacien et décédés à l’hôpital militaire du château Armand Viellard. Du 24 août au 7 septembre 1944, le maréchal Philippe Pétain séjourne au château Louis Viellard. Ce dernier est au maquis sous le nom de capitaine Félix. Lorsque Pétain arrive à Morvillars, Louise Viellard (1885-1956) épouse de Louis Viellard lui révèle son appartenance à la Résistance. Ainsi, des soldats anglais ont été hébergés au château avant de passer en Suisse avec l’aide de Louise Viellard et à la complicité des sœurs de l’orphelinat de Delle. Philippe Pétain quitte Morvillars le 7 septembre 1944, à 5 h du matin, déporté par les Allemands au château de Sigmaringen en Allemagne ; NdÉ.
  12. [8] ; Reims est gravement endommagée par de constants bombardements allemands jusqu’en 1918. À la fin de la guerre la ville est détruite à plus de 60 %. Reims, « ville martyre » devient alors un symbole pour la France entière ; NdÉ.
  13. Joseph Duval est un journaliste anachiste accusé de collaboration avec l’ennemi dans ce qui sera appelé l’affaire du bonnet rouge. Voir sa page wikipedia. NdÉ.
  14. [9] ; le député Favre estime les pertes à près de 200 000 hommes côté français au bout de deux mois d’offensives. Quant aux pertes allemandes, elles sont encore plus difficiles à évaluer. C’est après cette grande tuerie que se développèrent dans l’armée française des mutineries, particulièrement fréquentes après le 16 avril 1917, et concentrées essentiellement sur le Chemin des Dames et le front de Champagne. La Chanson de Craonne, dont le nom fut donné lors des mutineries de 1917 (la musique était reprise d’une chanson d’avant la guerre), à la suite des pertes militaires ; NdÉ.
  15. [10] ; Château-Thierry a été l’un des points clés durant les batailles de la Première Guerre mondiale en 1918, entre les troupes américaines et les troupes allemandes. Le 1er juin 1918, durant la troisième bataille de l’Aisne, la 10e division d’infanterie coloniale et la 2e division d’infanterie américaine arrêtent l’offensive allemande ; NdÉ.
  16. [11] ; Durant le premier conflit mondial, la commune servit entre autres de point de départ pour l’approvisionnement du front, via la Voie Sacrée, pendant la bataille de Verdun ; NdÉ.
  17. Lucien Laby ; son carnet de guerre a été retrouvé par sa petite-fille et publié en 2001 : Les carnets de l’aspirant Laby, médecin dans les tranchées (28 juillet 1914 – 14 juillet 1919), Paris, Bayard ; quelques extraits à propos du théâtre d'ombres :

    Samedi 20 avril. Nous installons à la popote un théâtre d'ombres, avec Meugé et Richard.

    Du dimanche 21 au mardi 30 avril. Je dessine des silhouettes sur carton que toute la popote se met à découper avec ardeur, pour notre théâtre d'ombres. Nous avons, comme pièces : « Le Roi de Bavière », « La Patrouille », « La Pierreuse Consciencieuse », « Le défilé des membres de l’ACA 15 », « La Madelon », etc. Nous faisons des séances presque chaque jour. Meugé tient le piano et chante, pendant que défilent mes bonshommes. On s’amuse beaucoup. […]

    Du jeudi 20 au dimanche 30 juin. […]. Séjour épatant au château : « chasse au lapin » avec les infirmières, promenades, revue d’ombres, parties dans le parc (Mlles Largillé, Livet, Mme Besançon, Mlle Houillès).

    ; NdÉ.
  18. [12] ; Château-Thierry a été l’un des points clés durant les batailles de la Première Guerre mondiale en 1918, entre les troupes américaines et les troupes allemandes. […] Durant la troisième bataille de l’Aisne, la 10e division d’infanterie coloniale et la 2e division d’infanterie américaine arrêtent l’offensive allemande ; NdÉ.
  19. [13] ; On peut voir sur le terrain la forme très particulière de cette colline et sur les parties non remises en culture, les traces qu’ont laissé sur le sol les combats qui s’y déroulèrent pour la conquérir ou pour la défendre. De nombreux corps des disparus des deux camps y reposent pour toujours ; NdÉ.

    Massiges, entonnoirs de mines,[14] ; NdÉ.

  20. : Soissons, _France, _1919_panorama.jpg de la ville en ruine en 1919 ; NdÉ.
  21. [15] ; Le 8 août 1918, l’offensive alliée qui se poursuivra jusqu’à l’Armistice reprend la poche de Montdidier, libérée le 10 août par le général Debeney.

    Lors de la Première Guerre mondiale, Montdidier, comme toutes les localités de l’Est du département, déplore une destruction presque totale, […]. Il a été décoré de la Croix de guerre 1914-1918 dès le 24 août 1919, et fait partie des 22 communes décorées de la Légion d’honneur au titre de la Première Guerre mondiale, […] ; NdÉ.

  22. [16] ; Ypérite, gaz moutarde, composé chimique cytotoxique et vésicant qui a la capacité de former de grandes vésicules sur la peau exposée. […] utilisé comme arme chimique visant à infliger de graves brûlures chimiques des yeux, de la peau et des muqueuses, y compris à travers les vêtements et à travers le caoutchouc naturel des bottes et masques, durant la Première Guerre mondiale ; NdÉ.
  23. [17] ; La grippe espagnole, baptisée ainsi parce que l’Espagne, non concernée par le secret militaire, fut la première à la mentionner publiquement, fut dévastatrice, touchant quasiment tout le globe ; NdÉ.
  24. [18] ; À Cateau, la bataille oppose les Britanniques aux Allemands, ralentissant ces derniers et permettant le repli des troupes britanniques et françaises pour la bataille de la Marne ; NdÉ.
  25. [19] ; La bataille des Dardanelles, également appelée bataille de Gallipoli (ou campagne des Dardanelles, ou campagne de Gallipoli), est un affrontement de la Première Guerre mondiale qui opposa l’Empire ottoman aux troupes britanniques et françaises dans la péninsule de Gallipoli dans l’actuelle Turquie du 18 mars 1915 au 9 janvier 1916. […] La bataille fut un sérieux revers pour les Alliés et l’un des plus grands succès ottomans durant le conflit. En Turquie, l’affrontement est resté célèbre, car il marqua le début de l’ascension de Mustafa Kemal qui devint par la suite un des principaux acteurs de la guerre d’indépendance et le premier président du pays. La campagne fut également un élément fondateur de l’identité nationale turque ; NdÉ.
  26. [20] ; Clauses de l’Armistice ; NdÉ.
  27. [21] ; Le comte István Tisza de Borosjenő et Szeged ; NdÉ.
  28. [22] […] Clémenceau précise que, si « la victoire est assurée », « la paix n’est peut-être pas aussi prochaine » […] ; NdÉ.
  29. de Moltke [23] ; NdÉ.
  30. [24] ; Guillaume de Hohenzollern (en allemand : Wilhelm von Hohenzollern), né à Potsdam le 6 mai 1882, mort à Hechingen le 20 juillet 1951, a été le dernier Kronprinz, prince héritier, royal prussien et impérial allemand. […] Lors de la révolution de Novembre 1918, les soldats de la 5e armée se mutinent. Le Kronprinz se réfugie à l’état-major de la 3e armée. Après la signature de l’armistice, le gouvernement provisoire du Conseil des commissaires du peuple lui ordonne de rapatrier son groupe d’armées en Allemagne, ce qu’il se sent incapable de faire. C’est le chef d’état-major général, le maréchal Paul von Hindenburg, qui lui ordonne de partir et de rejoindre son père aux Pays-Bas. Il renonce à ses droits au trône et va s’établir sur l’île de Wieringen, dans le nord de la Hollande ; NdÉ.
  31. [25] ; Pétain est élevé à la dignité de maréchal de France par décret du 21 novembre 1918 (publié au Journal officiel le 22). Il reçoit à Metz son bâton de maréchal, le 8 décembre 1918 ; NdÉ.
  32. [26] ; Général Gouraud ; NdÉ.
  33. [27] ; Château du Haut Koenigsbourg ; NdÉ.
  34. [28] ; La Fourragère est une décoration récompensant une unité militaire, […] pour faits de guerre ou de bravoure exemplaires ; NdÉ.