Catéchisme bouddhique/La Confrérie des Élus

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Catéchisme bouddhique (Buddhistischer Katechismus, 1888)
Ernest Leroux (Bibliothèque orientale elzévirienne, LXIp. 108-120).



LA CONFRÉRIE DES ÉLUS (SANGHA)


158. Que signifie le mot : Confrérie des Élus ?

Sous le nom de Confrérie des Élus, (Sangha)[1] on comprend la réunion de tous ceux qui, en vrais disciples et imitateurs du Bouddha, abandonnent le monde et suivent le Sublime Sentier à huit parties de la Délivrance et de l’Affranchissement.

159. Quels sont ceux qui ont le droit d’entrer dans la Confrérie ?

Tous ceux qui, sans acception de rang, de classe ou de race ont annoncé la ferme résolution de ne plus songer qu’à leur délivrance et qui ne sont pas sous le coup des cas d’exclusion, indiqués par la Règle.

160. Quels sont ceux qui sont exclus par la Règle ?

Tous ceux qui sont atteints de maladies incurables ou contagieuses ; les enfants au dessous de quinze ans ; les esclaves et les serfs, aussi longtemps qu’ils n’ont pas obtenu légalement leur liberté. Tous ceux qui sont poursuivis par les autorités, tant que ces poursuites durent ou qu’ils n’ont pas subi leur peine ; les débiteurs tant qu’ils n’ont pas rempli leurs obligations. Les soldats et les employés, tant qu’ils sont au service ; enfin les mineurs qui n’ont pas l’autorisation de leurs parents ou de leurs tuteurs.

161. De quelle manière est-on reçu dans la Confrérie ?

Le novice commence par être élève (Samanéra) et doit subir un temps d’épreuve, sous la surveillance d’un maître, qu’il peut se choisir parmi les Frères.

162. Quelle est la durée de ce temps d’épreuve ?

Pour les adultes qui ont déjà fait partie d’un autre ordre monastique, il dure quatre mois au moins. Pour les mineurs, il se prolonge jusqu’à leur majorité. Pour les autres, sa durée dépend de l’appréciation du maître spirituel et de l’aptitude de l’élève.

163. Quels sont les devoirs du Samanéra ?

Dès le jour de sa prise d’habit, le Samanéra accepte toutes les obligations des Frères. Il doit renoncer à toute préoccupation mondaine ; observer les dix vœux ; s’adonner avec zèle à l’étude de la Sainte Doctrine ; remplir fidèlement et dans toute leur étendue les prescriptions de la règle de la Confrérie ; enfin ne plus poursuivre qu’un but : celui d’arriver à la délivrance, et à l’affranchissement spirituel et moral.

164. Quelles sont les huit parties du Sentier Sublime ?

1o Connaissance droite, libre de préjugés, de superstitions, d’illusions.

2o Volonté droite, tournée vers le but suprême, digne de l’homme noble et éclairé.

3o Parole droite, bonne, simple, sincère.

4o Action droite, pacifique, honnête, pure et bienveillante.

5o Vie droite, c’est-à-dire une vie qui ne puisse nuire ou faire tort à aucun être vivant.

6o Efforts droits, ayant uniquement pour but de vaincre l’ignorance, les désirs et la volonté de vivre.

7o Pensée droite, sans cesse dirigée sur la Sainte Doctrine et sur la Règle.

8o Recueillement droit, qui consiste à abstraire absolument ses sens, son attention et sa pensée de tout ce qui est extérieur et à abandonner son état conscient et sa volonté dans le Nirvâna.

165. Comment sont conçus les dix vœux de la Confrérie ?

1o Je fais vœu de ne tuer ou blesser aucun être vivant.

2o Je fais vœu de ne pas prendre ce qui ne m’appartient pas ou ce qui ne m’est pas donné volontairement.

3o Je fais vœu de vivre dans une absolue chasteté.

4o Je fais vœu de dire toujours la vérité, de ne jamais mentir, de ne jamais tromper ni calomnier personne.

5o Je fais vœu de ne jamais boire de liqueurs enivrantes.

6o Je fais vœu de ne manger qu’aux temps prescrits.

7o Je fais vœu de ne pas danser, de ne pas chanter des chants profanes, de ne pas visiter les représentations théâtrales ou musicales et enfin de m’abstenir de tous les plaisirs mondains.

8o Je fais vœu de renoncer à la vanité, à l’usage des parures, de quelque nature qu’elles soient, et à celui des parfums.

9o Je fais vœu de ne pas me servir de lits somptueux, mais d’une couche basse et dure.

10o Je fais vœu de vivre toujours dans la pauvreté volontaire.

166. En quoi consistent les règles de la Confrérie ?

Ce sont les préceptes d’une vie pure et sainte, donnés par le Bouddha et contenus dans le Vinâya. Ils peuvent se partager en quatre divisions :

1o Préceptes se rapportant à l’ordre et à la discipline extérieurs ;

2o Indications relatives à la préparation et à l’usage de la nourriture, des vêtements et des autres objets nécessaires à la vie.

3o Règles de conduite pour arriver à vaincre les désirs sensuels et les passions.

4o Moyens d’arriver à la connaissance spirituelle supérieure et de se perfectionner soi-même.

Lorsque le Samanéra a été instruit dans l’exercice de tous ces vœux, de toutes ces règles et tous ces préceptes et lorsqu’il a accompli, sans encourir de graves reproches, son temps d’épreuve, sa réception (Oupasampada), comme Frère (Bhikshou, Samana), a lieu dans l’assemblée solennelle des Frères.

167. Peut-on sortir de la Confrérie, lorsqu’on y a été une fois reçu ?

On le peut toujours. La doctrine bouddhique et la règle de la Confrérie n’admettent aucune contrainte. Celui qui regrette les joies du monde peut toujours avouer sa faiblesse à son supérieur. La Confrérie ne le retient pas et il peut se retirer librement sans encourir de honte ni de reproche.

Quant au Samana qui déshonore l’habit qu’il porte et la Confrérie à laquelle il appartient, en manquant gravement à ses vœux, il encourt la peine la plus sévère que connaisse la Règle. Il est rejeté de la Confrérie.

168. Est-il permis aux Frères de choisir leur séjour à leur gré ?

Non ; ils doivent entrer dans des couvents (Vihâras) ou vivre en solitaires dans les forêts[2].

169. Quels sont les rapports qui unissent la Confrérie aux adhérents laïques (Oupâsakas) ?

Ces rapports sont purement moraux et ne reposent sur aucune obligation extérieure. La Confrérie doit être, pour les adhérents laïques, un exemple vivant de continence, de renoncement et de sainteté. S’ils le désirent elle doit leur expliquer, leur commenter la Doctrine et leur donner aide et conseil dans toutes les situations de la vie, où ils peuvent avoir besoin de consolation ou d’encouragements.

170. Comment les adhérents laïques doivent-ils se conduire envers la Confrérie ?

Ils doivent montrer aux Frères la considération et le respect qui leur sont dûs, pouvoir à leur entretien et leur fournir la nourriture, les vêtements, les demeures, etc., qui leur sont nécessaires[3]. Ils s’acquièrent ainsi des mérites et contribuent à leur propre bien dans cette vie et dans les suivantes.

171. La Confrérie a-t-elle un pouvoir spirituel sur les adhérents laïques ?

Non ; le Bouddhisme ne connaît ni excommunication, ni pénitences ecclésiastiques, ni moyens de discipline extérieurs pour les adhérents laïques. Mais la Confrérie rompt tous rapports avec un Oupâsaka qui s’est rendu coupable de graves fautes morales, ou qui a outragé le Bouddha, la Doctrine ou la Confrérie. Le vase à aumônes est retourné devant lui, c’est-à-dire qu’il est déclaré indigne de faire des dons aux Frères.

172. Comment doit être le vrai Bhikshou, suivant les paroles de la Doctrine ?

Voici les paroles des Saintes Écritures : Que celui qui, désirant et voulant le bien, aspire au Nirvâna, à la paix suprême, soit : sincère, honnête et consciencieux, doux dans ses paroles, bienveillant, modeste ; qu’il se contente de peu et n’ait pas d’inquiétudes ; que son cœur soit tranquille ; qu’il ne montre ni prétentions ni désirs.

Qu’il ne fasse rien de bas ; que sa pensée, ses paroles et ses actions soient, toute sa vie, dirigées suivant la Règle et la Sainte Doctrine ; qu’il s’affermisse dans la connaissance des Quatre Vérités de Salut et qu’il marche toujours irréprochablement sur le Sublime Sentier à huit parties. Que le bonheur ne le rende pas joyeux, que le malheur ne le rende pas triste ; que l’estime des hommes ne lui donne pas d’orgueil, que la persécution et l’outrage ne l’abattent pas ; qu’il garde toujours l’égalité de cœur de celui qui est délivré de la volonté.

Qu’il se souvienne toujours que ce qui fait le Samana, ce n’est pas l’habit, ni l’observation extérieure des vœux et des préceptes, ni la vie solitaire, la pauvreté et l’humilité, ni la science et l’érudition. Celui qui est dégagé de tous les penchants et de tous les désirs sensuels, celui dont le cœur est pur et qui a vaincu l’égoïsme, celui-là seul est un vrai disciple du Bouddha.

Aussi, qu’il n’ait qu’un but : son perfectionnement spirituel. Qu’il soigne en lui-même la connaissance, l’égalité de cœur et la bienveillance.

Qu’il soit bien disposé pour tous les êtres vivants sur cette terre et dans les autres mondes ; pour ceux qui sont élevés, comme pour ceux qui sont bas, pour les bons, comme pour les méchants ; pour ceux qui sont loin, comme pour ceux qui sont près.

Qu’il ne trompe personne, qu’il ne menace personne, qu’il ne méprise personne qu’il ne blesse personne. Qu’il jette sur tous les êtres un regard plein de compassion et de bienveillance, comme une mère regarde son unique enfant. Que chaque jour, chaque heure, il cultive en lui-même ces sentiments.

Que le cœur de celui qui chemine sur le Sublime Sentier à huit parties, soit comme le lac profond des montagnes : pur et immobile.

Car celui qui vit dans la pureté, libre de superstitions et d’illusions, d’espérance et de crainte, de passion et de désir, de haine et d’amour ; celui qui a complètement vaincu l’envie d’exister et qui a conquis la vraie connaissance, mettra un terme à la souffrance et à la nécessité des vies successives et entrera dans le suprême Nirvâna.


  1. On a traduit ici le mot Sangha par Confrérie des Élus, bien que cette traduction n’en rende le sens qu’incomplètement. Le Sangha est la réunion fraternelle de tous les Bhikshou et Samanas, les vrais disciples et imitateurs du Bouddha. Les mots Bhikshou et Samana eux-mêmes ne peuvent pas se traduire littéralement. Bhikshou veut dire : mendiant. Les Bhikshou ne sont cependant pas des mendiants, dans le sens moderne et européen du mot, qui a pour nous quelque chose de bas et d’avilissant. Le mot Samana désigne un homme qui, pour arriver à son développement moral, renonce à toutes les jouissances terrestres, c’est-à-dire un ascète. Cependant le Bouddhisme repousse l’ascétisme au sens chrétien du mot. La traduction la meilleure et la plus simple pour le mot Bhikshou serait peut-être celle de moine ou religieux mendiant. Mais, là encore, on peut craindre d’en donner une idée fausse. Les Bhikshou ne sont pas, en effet, des moines mendiants, dans le sens chrétien du mot, car ils ne font pas le vœu d’obéissance à leurs supérieurs, et leurs vœux ne sont pas irrévocables. Traduire Bhikshou par « Prêtre » comme plusieurs savants européens l’ont fait, est un contre-sens : les religieux bouddhistes n’ayant ni consécration ni privilèges. Les Livres Saints bouddhistes nomment du reste souvent les Bhikshou et les Samanas « les Ariya » c’est-à-dire les nobles ou les élus et c’est encore la désignation qui répond le mieux à leur caractère et à leur situation en face de la grande masse de ceux qui n’ont pas quitté le monde.
  2. Les membres féminins de la Confrérie (Bhikshouni) habitent naturellement des couvents séparés. La vie solitaire ne leur est pas permise et elles sont toujours soumises à la surveillance des supérieurs de la Confrérie.
  3. Faire des dons à la Confrérie n’est pas un « devoir » pour l’adhérent laïque. Ce qu’il donne, il le donne librement, reconnaissant qu’il le fait pour son propre bien. D’après la doctrine bouddhique, le Bhikshou n’est pas tenu à de la gratitude pour l’Oupâsaka qui lui fait un don. C’est celui-ci, au contraire, qui doit être reconnaissant au Bhikshou, qui lui fournit une occasion de s’acquérir des mérites, en exerçant sa bienfaisance.