Catherine Tekakwitha/3/1

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Imprimerie du Messager (p. 207-212).


CHAPITRE PREMIER


Funérailles de Catherine Tekakwitha.
— Redoublement de ferveur dans la mission.


Le P. Chauchetière nous donne ces détails sur la sépulture des sauvages de son temps : « La coutume des sauvages, dit-il, n’est pas de faire de grands appareils funèbres : ils graissent les cheveux et le visage de leurs morts ; ils les habillent quelquefois et leur donnent une chaussure neuve. Quelquefois ils les couvrent seulement. »

Dans le cas de Catherine, ces préparatifs furent faits avec amour par ses fidèles amies, Anastasie, Marie-Thérèse et sa sœur adoptive. Rien ne leur sembla trop beau pour elle, depuis les cheveux huilés avec soin, jusqu’aux pieds chaussés d’élégants mocassins.

Pour le service funèbre à l’église, on portait ordinairement le mort sur une écorce entourée seulement d’une couverte. Un vrai cercueil pour Catherine avait été fait par les deux Français de la Prairie. Elle y fut déposée. Mais il fallut laisser le cercueil ouvert jusqu’à la fin du service, afin de permettre à la foule de satisfaire sa dévotion en contemplant la beauté de la défunte.

Les funérailles eurent lieu le Jeudi Saint. Jour de tristesse et jour de joie, remarquent les biographes. On perdait sans doute celle qu’on appelait plus que jamais « la bonne Catherine », et ce n’est pas sans un serrement du cœur que plusieurs se reprochaient de ne l’avoir pas assez estimée de son vivant. On est ainsi fait, sauvages et blancs : on n’apprécie bien que ce que l’on perd. D’autre part, son entrée au ciel leur assurait sa puissante protection : elle serait l’ange gardien de la mission.

De l’église on se transporta au pied de la grande croix du cimetière, située au bord du fleuve, où Catherine aimait tant à venir prier. C’est là que son corps allait d’abord reposer. Et à ce sujet, voici ce que nous rapporte le P. Cholenec :

« On raconte d’elle que quelque temps avant sa dernière maladie, elle faisait, avec d’autres femmes, une fosse au cimetière pour y enterrer un de ses petits-neveux décédé, et le discours étant venu à tomber sur ce rendez-vous général, où chacun avait sa place, on demanda à Catherine, en riant, où était la sienne :

— C’est là, dit-elle, en montrant du doigt un certain endroit.

« Après sa mort, le P. Chauchetière fit tout ce qu’il put pour me persuader de la faire mettre dans l’église. Mais pour éviter cette singularité, je fis faire la fosse dans le cimetière, et justement au lieu même qu’elle avait marqué, et que je n’ai su qu’après bien des années. »

Le tombeau de Catherine deviendra vite glorieux, comme nous le verrons dans les chapitres suivants.

Le lendemain des funérailles, qui était le Vendredi Saint, l’un des missionnaires prêcha sur la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Déjà l’émotion de l’auditoire était profonde. Mais quand ensuite le célébrant dévoila la Croix, que Catherine avait tant aimée, « tout le monde, raconte un biographe anonyme, se mit à éclater si fort en cris et en sanglots, qu’il fallut les laisser pleurer un assez long espace de temps. Le Père ayant voulu ensuite entonner le Vexilla, il ne put jamais prononcer que les deux premiers mots (Vexilla Regis), parce qu’aussitôt les cris et les sanglots recommençaient plus forts qu’auparavant dans toute l’église ; de sorte qu’il fallut céder une seconde fois à la violence de la douleur.

« Le fruit de tout cela, continue le même auteur, fut qu’on ne parlait plus que de se convertir et de se donner entièrement à Dieu. Il se fit le même jour et le lendemain, et huit jours de suite, des pénitences si excessives dans le bourg, qu’il est difficile qu’il s’en fasse de plus grandes par les plus austères pénitents du monde. »

Catherine Tekakwitha, on se le rappelle, avait trouvé, en arrivant à la mission du Sault, une grande ferveur parmi ses compatriotes. Sa présence ne fit que l’augmenter. Sa mort détermina un tel élan de piété et de mortification, que les missionnaires en parlent comme d’un « effet prodigieux ». Ils en donnent quelques exemples.

La nuit du Vendredi Saint, une femme la passa tout entière à se rouler sur les épines, comme avait fait la défunte. Une autre le fit quelque temps après quatre et cinq nuits de suite. Plusieurs se flagellaient jusqu’au sang. Des gens mariés se séparèrent pour vivre en continence. Des veuves renoncèrent à un second mariage. D’autres, plus jeunes, promirent d’y renoncer si leurs maris mouraient avant elles ; promesse qu’elles accomplirent ensuite malgré leur jeunesse et l’attrait de partis avantageux.

Les Pères avaient grand soin de rappeler souvent la vie et les vertus de la jeune vierge. Le jour anniversaire de sa mort se passait au village en exercices d’une dévotion extraordinaire.

Parmi les imitateurs de Catherine, le P. Chauchetière signale le bon François Tsonnatoüan. Il vécut plusieurs années avec sa femme comme frère et sœur. Il ne cessa que sur le conseil de son confesseur. Durant quatorze ans, une maladie le cloua sur sa natte. Il puisait sa patience et sa consolation dans le souvenir de la sainte. Il gardait devant lui son portrait. Une de ses reliques aussi était suspendue à son cou. Il s’était fait un petit chapelet qu’il appelait le « chapelet de Catherine » : il consistait en une croix sur laquelle il récitait le Credo, deux grains pour le Pater et l’Ave, trois autres grains pour les trois Gloria Patri qui terminaient le chapelet. Il le récitait souvent pour remercier la Sainte Trinité des grâces qu’elle avait départies à Catherine.

Un dernier détail souligne l’industrieuse piété de cet homme. Il avait imaginé un autre chapelet, que les âmes ferventes connaissent bien et qu’elles appellent un marqueur : à savoir un certain nombre de rassades ou grains, enfilés sur une cordelette, qu’on déplace à volonté pour marquer des points. Le matin, il prenait la résolution de faire tant de fois tels actes de vertu ; son marqueur lui indiquait le soir où il en était de sa résolution.

Après avoir converti plusieurs de ses compatriotes par ses paroles et plus encore par ses exemples — conversions qu’il renvoyait à sa chère sainte — il mourut en prédestiné.

Nous ne pouvons mieux terminer ce chapitre que par le trait charmant que raconte le P. Cholenec dans sa relation latine.

Il y avait alors dans la mission deux jeunes filles, âgées d’environ quinze ans, toutes deux remarquables déjà par leurs vertus. Causant un jour de leur vie intérieure, elles se demandèrent ce qu’elles pourraient bien faire, à l’exemple de Catherine, de plus agréable à Dieu et à la sainte elle-même. Elles en vinrent à cette conclusion : elles voueraient, comme Catherine, leur virginité à Dieu, en prenant Jésus pour Époux et Marie pour Mère. Le pacte fut conclu entre elles. Elles le recommandèrent au Seigneur dans de ferventes prières.

Mais voici que devant nos deux jeunes héroïnes se dressa soudain un obstacle infranchissable : le refus absolu des parents.

Tout aussitôt elles changèrent de tactique. Puisqu’il leur était impossible de vivre vierges, elles mourraient vierges. Ce fut la supplique qu’elles présentèrent à leur aimable patronne, la priant de les venir chercher au plus vite. Il est permis de croire que, du haut du ciel, Catherine les entendit et obtint pour elles l’objet de leur vœu. En effet, contre toute attente, à l’étonnement des missionnaires et du village, on vit ces deux jeunes chrétiennes, frappées ensemble d’un mal secret, languir et bientôt remettre à Dieu leur âme virginale.