Catherine Tekakwitha/3/6

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Imprimerie du Messager (p. 253-275).


CHAPITRE SIXIÈME


La relation de l’abbé Remy


M. l’abbé Pierre Remy était membre de la Compagnie de Saint-Sulpice. Arrivé au Canada en 1672, il fut nommé curé de Lachine en 1680, l’année même de la mort de Catherine Tekakwitha.

Voici ce qu’en écrivait le P. Cholenec : « Nous verrons à la fin de cette histoire l’attestation de M. Remy dans les formes, et elle doit faire beaucoup à la gloire de Catherine, venant d’une personne de ce mérite et d’une vertu si connue au Canada et si fort respectée par les premières personnes du pays. »

Le Jésuite, sollicité de toutes parts d’écrire la Vie de Catherine Tekakwitha, se disposait à le faire, lorsqu’il reçut du vénérable Sulpicien un document avec cet en-tête :

« J.  M.  J. — À ma paroisse des Saints-Anges de la coste de la Chine en l’Isle de Montréal, ce 12me Mars 1696.

« Mon Révérend Père,

« Ayant appris que vous alliez travailler à écrire la vie de défunte Catherine Tegakouita, votre très chère fille spirituelle, j’ai cru qu’il était de mon devoir, de ma reconnaissance, de vous envoyer par écrit une partie des grâces que moi et plusieurs de mes paroissiens avons reçues de Dieu par son intercession, qui sont autant de miracles ou qui en approchent. Vous tirerez de cet écrit ce que vous jugerez à propos, pour l’insérer et mettre parmi les autres miracles que cette sainte fille a faits en ce pays depuis sa mort. »

L’humble aveu que nous fait ensuite ce saint prêtre nous reporte à l’incrédulité de l’apôtre Thomas touchant la résurrection du Sauveur. Sur quoi saint Grégoire raisonne ainsi très opportunément : « Ce fut par une admirable permission de la Providence que l’apôtre douta : en palpant les plaies corporelles de son Maître, il guérissait en nous les blessures de l’incrédulité. De sorte que, insiste-t-il, l’incrédulité de Thomas a été plus utile à notre foi que la foi des disciples croyants : parce que, tandis que l’apôtre, en touchant, revient à la foi, notre esprit, déposant toute incertitude, est raffermi dans la foi. »

Nous ajoutons évidemment : toute proportion gardée entre le cas évangélique et celui du curé de Lachine. Voici du reste ce dernier :

« Je vous avoue, mon Révérend Père, que j’ai été dans l’incrédulité pendant plusieurs années, et souvent j’ai révoqué en doute que Dieu voulût faire tant de prodiges et de merveilles par l’intercession de cette pauvre fille, dont plusieurs de mes paroissiens qui y avaient recours, m’entretenaient après en avoir reçu tant de grâces et de faveurs. Enfin, un jour, je fus inspiré d’en faire l’épreuve sur moi-même. »

Mais il paraît qu’avant de faire cette épreuve sur lui-même, il en reçut une de la part de Catherine, et servie à point, comme elle avait fait pour cette femme qui s’était moquée d’elle. Nous en devons le récit au grave P. de Charlevoix.

Après avoir rappelé la coutume qui s’était établie dans les paroisses environnantes, d’aller, au jour du décès de Catherine, chanter une messe solennelle de la Trinité dans l’église du Sault Saint-Louis, il ajoute que les paroissiens de M. Remy lui parlèrent de cet usage. « Il leur répondit — ainsi s’exprime l’historien — qu’il ne croyait pas devoir autoriser par sa présence un culte public, que l’Église n’avait pas encore permis. La plupart, l’entendant parler ainsi, ne purent s’empêcher de dire qu’il serait bientôt puni de ce refus ; et en effet, dès le même jour, il tomba dangereusement malade. Il comprit d’abord la cause d’une attaque si imprévue, fit vœu de suivre l’exemple de ses prédécesseurs, et fut guéri sur le champ. »

À vrai dire, ni M. Remy ni le P. Cholenec ne font mention de cet incident. À moins qu’on ne trouve une allusion discrète dans ce passage du P. Cholenec : « Il (M. Remy) a même permis à ses paroissiens, deux ans de suite, en 1694 et 1695, de venir ici et de faire chanter une grand’messe, avec le pain bénit et force communions à l’honneur de leur commune bienfaitrice. Ils ne se contentèrent pas de cela, cette année 1696 : le mardi de la semaine sainte, 17 avril, jour du décès de Catherine, il y est venu lui-même avec eux, avec les mêmes dévotions. »

Quoi qu’il en soit, l’excellent prêtre a fait le relevé de quelques-unes des grâces obtenues dans sa paroisse. Il commence par les siennes. Elles sont au nombre de trois.

La première est la guérison d’une surdité complète de l’oreille droite ; ce qui l’empêchait d’entendre les confessions de ce côté et l’incommodait fort. Il y avait de cela huit ou neuf ans. Il avait essayé en vain plusieurs remèdes pendant trois mois, et même, dit-il, mis plusieurs fois de l’eau bénite, sur le conseil de son confesseur. Un matin qu’il s’apprêtait à dire une messe d’action de grâces, pour une personne qui se disait guérie par Catherine Tekakwitha, il se sentit fortement poussé à invoquer lui aussi la bonne Catherine pour la guérison de son mal. Il fit vœu à Dieu de dire trois messes, dont la troisième en l’honneur de Catherine, si Dieu l’exauçait par l’intercession de la bienheureuse. Immédiatement après la communion, il sentit un mieux considérable ; la messe finie, le mal disparut pour ne plus jamais revenir.

La deuxième grâce fut toute spirituelle, et apparemment si grande qu’il la met bien au-dessus de tous les autres secours qu’il reçut de la servante de Dieu.

La troisième est une guérison survenue en 1693. Au fort des chaleurs de l’été, il fut saisi d’une sciatique à la hanche droite, tellement violente qu’il ne pouvait ni se lever ni même se mouvoir dans son lit. Il redoutait une paralysie qui l’empêcherait de dire la sainte messe et d’administrer les sacrements à ses paroissiens. Cloué sur son lit depuis trois jours, il invoqua la sainte : il fit vœu, s’il obtenait sa guérison, de dire un certain nombre de messes en l’honneur de Catherine, d’en dire une dans l’église du Sault, de faire trois visites à son tombeau et de couronner le tout par une neuvaine. Le vœu étant fait, il s’endormit paisiblement. Le lendemain matin, sur les quatre heures, il se leva parfaitement guéri : ni douleur, ni faiblesse dans aucun membre. Il put à l’heure ordinaire aller sonner l’Angélus à l’église, puis commencer à accomplir son vœu par une messe d’action de grâces.

Au moment où il écrit, il a bien, depuis trois mois, un rhumatisme douloureux au bras droit ; mais il le garde afin de ne pas fatiguer sa bienfaitrice, et surtout — on entend ici le bon pasteur — de ne pas la distraire de ses ouailles.

Il ajoute : « Voici, mon Révérend Père, un petit abrégé d’une partie des grâces que j’ai reçues de cette sainte fille. Il me faudrait vous écrire un volume pour vous raconter au long le grand nombre de grâces, de merveilles, et je puis dire de miracles, que Dieu a faits à plusieurs de mes paroissiens par l’intercession de Catherine Tekakouita. »

La méthode qu’il employait avec eux était celle-ci : avant de leur donner comme il disait, « les pâtes du clergé et l’onguent que Monseigneur notre Évêque m’a donné pour distribuer à mes paroissiens en leurs maladies et infirmités, et avant de les envoyer à l’hôpital ou chez les chirurgiens », il mêlait aux médicaments de la cendre des habits de Catherine et de la terre de son tombeau, il leur faisait faire une neuvaine de neuf Ave Maria par jour, pendant que lui-même les recommandait à Dieu au saint autel par l’entremise de la bienheureuse. Et ainsi, dit-il, « j’en obtiens presque toujours la guérison, sans le secours de l’hôpital ni des chirurgiens ».

« Jusque-là, ajoute le P. Cholenec, qu’il nous a assuré une fois qu’il n’y avait plus de malades dans sa paroisse, la poudre du tombeau de Catherine leur étant un remède prompt et assuré contre toutes sortes de maladies. »


M. Remy divise sa narration — qu’il appelle encore un petit abrégé — en deux parties. La première liste ne regarde que les guérisons d’enfants.

René Fortin, âgé de deux mois, a depuis plusieurs jours des terreurs paniques qui le font crier épouvantablement jour et nuit. Son visage en est tout bleuâtre et noirâtre. Sa mère l’apporte à l’église, où le prêtre lit sur la tête du petit malade l’Évangile selon saint Jean. Le mal empire jusqu’à inspirer des craintes. M. Remy conseille alors à la mère de le vouer à Catherine en faisant ou faisant faire une neuvaine à son tombeau. Le vœu est à peine formulé, que l’enfant cesse ses cris et ne ressent plus rien de son mal par la suite.

François-Joseph Lenoir Rolland, âgé de trois ans, était perclus des jambes. Il ne pouvait marcher, ni même se tenir debout. Sa mère le voua à la bonne Catherine, le porta à son tombeau, y fit dire une messe à cette intention et y fit faire une neuvaine par une femme sauvage. La neuvaine finie, l’enfant se mit à marcher : la guérison était complète.

Jacques Paré avait sept ans, lorsqu’une maladie le réduisit à l’extrémité. Il ne prenait plus rien depuis onze jours. M. Remy lui donna l’Extrême-Onction, et, avec le père et la mère de l’enfant, ils le vouèrent à Catherine, en lui faisant prendre de l’eau où avait trempé de la terre de son tombeau et de la cendre de ses habits. Malgré cela, le malade paraissait sur le point de rendre l’âme, lorsque son père fit vœu que, tant qu’il vivrait, il ferait dire tous les ans à pareil jour, en l’église où reposent les ossements de la bienheureuse, une messe d’action de grâces, si Dieu épargnait son fils par les mérites de Catherine. Dès la nuit suivante, le petit malade se sentit guéri. En preuve de quoi, il demanda à sa mère de lui apporter du blé d’Inde qu’il mangea avec appétit.

Le bon curé nous raconte ensuite deux guérisons d’enfants malades de la gale. Le second, âgé d’un an, eut ceci de particulier que sa mère, ayant demandé au médecin de lui donner un onguent pour l’en frotter, elle reçut une pommade au vif-argent, avec recommandation expresse de ne frotter l’enfant qu’aux poignets et aux genoux. Sans se préoccuper autrement de l’avis du disciple d’Hippocrate, elle frotta son fils partout où elle rencontrait la gale, c’est-à-dire, par tout le corps. L’effet fut ce qu’on peut imaginer : transports au cerveau, convulsions continuelles, imminence de la mort.

Le curé, enfin averti, accourt, récite sur le mourant les prières du rituel ; l’enfant est alors voué à Catherine, la mère promet une neuvaine de neuf Ave à la servante de Dieu, et finalement on fait prendre au malade une prise d’orviétan, alors en vogue, mais où le prêtre a soin d’y mêler de la cendre des habits de Catherine et de la terre de son tombeau. Le jour même, l’enfant était radicalement délivré de son mal.

La guérison suivante est celle d’un enfant de treize mois, à l’article de la mort, dans d’affreuses convulsions, abandonné par le médecin. Averti par le père du petit moribond, M. Remy le console en l’assurant que son fils ne mourra pas, pourvu que lui et sa femme aient confiance en Catherine Tekakwitha. Il le conduit à l’église, et, en présence de Notre Seigneur, voue l’enfant à la bienheureuse. Il lui donne de la cendre des habits de Catherine, pour en faire prendre au malade avec de l’eau pendant neuf jours, disant en outre les neuf Ave ordinaires. La nuit de ce même jour, le mourant était guéri.

Ces diverses interventions de la servante de Dieu se ressemblent nécessairement. Aussi, pour ne pas fatiguer le lecteur par leur répétition, comme disait le P. Cholenec, qu’il suffise d’ajouter que cinq autres guérisons sont racontées par le vénérable curé de la Chine, lequel termine cette série par l’attestation suivante :

« Jusques ici sont écrits en ce mémoire les miracles et guérisons qui ont été faits en cette paroisse depuis neuf ou dix ans, par les mérites et l’intercession de notre protectrice et avocate envers Dieu, Catherine Tegakouita, tant sur moi que sur ces enfants de ma paroisse, dont j’ai une parfaite connaissance, comme en ayant été le promoteur et le témoin oculaire. En foi de quoi j’ai signé, ce 24e mars 1696.

Remy
Curé de la Chine. »

La seconde partie du mémoire comprend les grâces obtenues par de grandes personnes.

Le haut de l’île de Montréal — ce qui serait aujourd’hui Sainte-Anne de Bellevue — était, en ce temps-là, une desserte confiée au curé de Lachine. Les Iroquois commencèrent à l’infester dès 1688. C’était un prélude à la grande invasion de l’année suivante, à Lachine et autres postes de l’île.

Ils avaient déjà tué sept hommes sur la desserte, au temps de la récolte, lorsque Madeleine Bourgery, ayant avec elle sa fille et son gendre, fit vœu à Dieu que si, par les mérites et l’intercession de Catherine Tekakwitha, sa maison et deux pièces de pois que son gendre avait là tout près, étaient préservées de l’incendie des Iroquois, elle ferait dire une messe en son honneur. Chose admirable ! s’écrie le bon curé. En effet, toutes les maisons de la côte furent brûlées excepté celle-ci et une autre dont M. Remy se servait quand il allait y faire sa mission. En outre, toutes les récoltes furent brûlées, à la réserve de ces deux pièces de pois. Les Iroquois y mirent bien le feu, mais la flamme courut sur elles sans les endommager, ne faisant, pour ainsi dire, que les effleurer.

Encore une fois, la simple promesse de faire dire une messe en l’honneur de la sainte, obtint à l’instant son objet dans la personne de Dame Marie Pottier, femme du notaire royal de Montréal.

Coup sur coup, trois femmes, âgées respectivement de trente-trois, de vingt et de vingt-deux ans, éprouvèrent la charité toujours vigilante de Catherine Tekakwitha. Elles étaient dans les douleurs de l’enfantement, sans rien obtenir des soins qu’on leur prodiguait. Le mal empirait plutôt et menaçait en chacune d’elles la mère et l’enfant. Elles se vouèrent à la bonne Catherine, promirent une messe à l’église du Sault, et commencèrent la neuvaine des neuf Ave, en prenant chaque jour de l’eau avec la cendre des habits et la terre du tombeau. Pendant la neuvaine ou immédiatement après, elles purent toutes trois remercier la bienheureuse de leur parfaite délivrance.

André Merlot, âgé de cinquante-trois ans, était menacé de perdre entièrement la vue, par suite d’une fluxion très grave aux yeux. Il ne distinguait déjà plus rien. M. Remy lui fit faire une neuvaine à Catherine pendant qu’il le recommandait chaque jour à la sainte messe. Le malade se frottait aussi les yeux chaque jour avec de l’eau mêlée de la cendre et de la poudre miraculeuse. Au bout de la neuvaine, il ne restait plus trace du mal. La guérison était absolue. À ce récit, le curé ajoute trois mots avec sa signature : Quod vidi testor, Remy (ce que j’ai vu, je l’atteste).

Quatre ans après la mort de Catherine Tekakwitha, deux femmes de Lachine se trouvèrent affligées d’une grande perte de sang. La première fut guérie sur la simple promesse d’une messe en l’église du Sault.

Le cas de la seconde était plus grave. Traitée pendant deux mois à l’Hôtel-Dieu de Montréal, renvoyée ensuite comme absolument incurable, elle rencontra près de chez elle, à Lachine, un missionnaire du Sault Saint-Louis, à qui elle confia sa détresse. Le Père se mit à l’encourager, lui parla de Catherine Tekakwitha, de ses vertus, de sa sainte mort, de la confiance qu’on avait en elle. Il lui conseilla de faire faire une neuvaine à son tombeau par une femme sauvage de la mission. Ravie et toute pleine d’espoir en sa guérison, elle pria ce bon Père de vouloir bien se charger de la chose. La neuvaine était à peine terminée que la malade se voyait parfaitement guérie.

L’année précédente, 1683, une jeune femme s’égara dans la forêt. Après avoir marché une demi-journée à travers la savane et les mares d’eau, sans pouvoir se reconnaître, elle entendit au loin, très loin, comme un murmure sourd et prolongé. Étaient-ce les rapides du Sault ? Cette pensée lui rappela ce qu’on disait de la puissance de Catherine Tekakwitha, enterrée là, sur l’autre rive, au pied des rapides. Elle l’invoqua aussitôt et promit de faire dire une messe. En peu de temps, elle se trouva dans une clairière, au bord du fleuve, à six milles de l’endroit où elle s’était égarée.

Dix ans plus tard, cette femme contracta, au sein gauche, une tumeur qui l’empêchait d’allaiter son enfant. Elle avait été, trois ans auparavant, affligée du même mal et avait dû être pansée à l’hôpital pendant trois mois. Répugnant à se remettre entre les mains des médecins, elle alla voir son curé. Celui-ci l’engagea à se recommander à Catherine et à faire une neuvaine en son honneur. Au bout des neuf jours, sans remède ni pansement d’aucune sorte, la tumeur était disparue.

En 1696, c’est-à-dire, en l’année même où M. Remy écrivait son mémoire, au mois de février, la fille aînée de cette même femme, nommée Angélique, âgée de dix-sept ans, souffrait d’un chancre à la bouche. Elle vint au presbytère et sollicita un remède quelconque. Le bon curé lui donna du vitriol pour s’en frotter la bouche. Ce qui, heureusement, ne produisit rien.

La mère, désolée, vint à son tour voir M. Remy. Cette fois il lui conseilla ainsi qu’à sa fille d’avoir recours à Catherine Tekakwitha et de faire une neuvaine en son honneur. Il ne laissa pas que de lui redonner son fameux vitriol, ayant soin cependant d’y ajouter de l’eau et une pincée de cendre des habits de Catherine. La malade devait s’en frotter la bouche en dedans et au dehors pendant neuf jours.

Ce nonobstant, les trois premiers jours de la neuvaine furent déplorables : le mal augmentait. Il paraît que la bouche d’Angélique était devenue tout simplement horrible. M. Remy alla voir sa jeune malade, l’encouragea à la patience et surtout lui recommanda de prier Catherine avec plus de confiance que jamais. La réponse d’en-haut ne se fit pas attendre. Le mal diminua, et avant même la fin de la neuvaine, il n’y avait plus trace de chancre.

À peu d’intervalle l’une de l’autre, deux femmes, réduites à l’extrémité par une fièvre violente, recouvraient la santé, l’une à la simple promesse d’aller faire ses dévotions auprès du tombeau de Catherine, l’autre à la fin d’une neuvaine.

Marie Secire était une toute jeune femme de dix-huit ans, souffrant le martyre pour mettre au jour son premier enfant. Elle envoya demander une messe au curé. Il la dit ; mais en même temps lui fit porter son reliquaire où il y avait de la terre du tombeau de Catherine et de la cendre de ses habits. Il recommandait à la malade de le mettre à son cou, en invoquant la bienheureuse en toute confiance. Le reliquaire était à peine placé, que la jeune mère accoucha sans aucune douleur.

Six jours après, elle retomba malade, malade à mourir. M. Remy la mit aussitôt en neuvaine, lui faisant prendre chaque jour, dans de l’eau, les deux poudres miraculeuses. Elles opérèrent encore cette fois la guérison demandée.

Michelle Garnier n’était plus une jeunesse en 1693. Âgée de soixante-quatre ans, elle tomba dangereusement malade. Elle envoya chercher M. Remy pour se confesser et se préparer au grand voyage. Le curé la confessa, mais, confiant toujours en la puissance de la bonne Catherine, il fit prendre à la moribonde ce qu’il appelle la pâte purgative du clergé, en y mêlant de la terre du tombeau de Catherine. « Ce qui fit un tel effet, dit-il, que cette femme en guérit. »

Le nommé Matour et sa jeune femme furent tous deux guéris d’une grave maladie en 1692. Ils avaient promis de faire dire chacun une messe au Sault et d’y assister. Le bon curé, les accompagnant, se chargea de l’une des messes, un Père de la mission dit l’autre, et ainsi Dieu et sa servante reçurent les honneurs qui leur avaient été promis.

Deux ans plus tard, leur petite Marie, âgée de cinq ans, fut atteinte des écrouelles, mal que M. Remy déclare « incurable en ce pays ». La mère ne pensa d’abord qu’aux médecins et à leurs remèdes. N’en obtenant rien, elle se rappela enfin sa bienfaitrice. Elle porta son enfant sur le tombeau de la sainte, y fit dire une messe et fit commencer une neuvaine. Au bout des neuf jours, le mal était vaincu radicalement.

Deux autres années après, ce fut au tour du petit Jean, alors âgé lui aussi de cinq ans. Il avait la gorge bloquée par une paille de blé qui s’y était enfoncée. Le pauvre enfant étouffait littéralement. Sa mère eut recours à la bonne Catherine : elle put faire prendre au petit malade un peu d’eau mêlée de cendre des habits de Catherine. La paille fut immédiatement entraînée sans provoquer la moindre douleur.

Les Iroquois, à l’été de 1694, avaient repris leurs incursions désastreuses dans l’île de Montréal. Pour comble de malheur, il régnait une terrible sécheresse qui menaçait de ruiner toutes les récoltes.

Dans cette détresse, les femmes et les filles de la paroisse entreprirent une série de trois neuvaines, en l’honneur de Catherine Tekakwitha, pour obtenir de la pluie et la conservation de leurs familles, de leurs bêtes et de leurs grains. Elles se confessaient et communiaient chacune à tour de rôle à la messe qu’elles faisaient dire. Le succès fut prompt et complet. Dès le second jour, ce fut une abondance de pluie qui se continua admirablement, de manière à relever toutes les moissons.

Bien plus, les Iroquois qui venaient jusqu’aux environs tuer, faire des prisonniers et ravager les récoltes, n’osèrent toucher à aucune famille de la paroisse, ni à leurs bestiaux, ni à leurs grains.

L’abbé Remy termine la série des guérisons par celle de « M. François le Gantier, écuyer, Sieur de Rané, officier dans le détachement de la marine, commandant pour le Roy le fort de notre église des Saints-Anges de la Chine ».

En décembre 1695, il revenait de Ville-Marie. Il était encore tout en sueurs, lorsqu’on vient lui dire qu’un des bateaux de la garnison s’est détaché et s’en va à la dérive sur le fleuve. Il accourt aussitôt, et bravement mais imprudemment, se jette à l’eau pour le saisir. L’eau glacée eut son effet immédiat : il fut saisi aux intestins de douleurs violentes, avec en plus ce que le P. Cholenec appelle « un furieux débordement de bile, dont il (M. de Rané) pensa mourir en quelques heures ». On avait aussitôt fait venir un médecin de Montréal. Les remèdes échouèrent sans plus. Le danger de mort était imminent.

On prévint le curé. Il accourut, confessa le mourant et le prépara à recevoir l’Extrême-Onction. Cela fait, il lui conseilla d’avoir recours à Catherine Tekakwitha, et de promettre à Dieu que, s’il le guérissait par les mérites et l’intercession de sa servante, il irait faire dire une messe à l’église du Sault. Le malade demanda de plus une neuvaine dans l’église de Lachine et trois messes à son intention.

Le bon curé avait apporté de la cendre des habits de Catherine. De son côté, le médecin tenait à ses remèdes qui étaient, dit M. Remy, au nombre de trois : « de la thériaque, de la confection d’hyacinthe et de l’or potable ». On composa de ces trois ingrédients et de la cendre une potion que l’on fit prendre au patient pendant la neuvaine. Un mieux se déclara bientôt qui alla s’accentuant, si bien qu’à la fin des neuf jours, le moribond était sur pied, guéri.

L’heureux réchappé choisit le 17 avril, jour anniversaire de la mort de Catherine, pour accomplir son vœu. Lui et sa femme vinrent au Sault, raconte le P. Cholenec, « avec leur pasteur et tous leurs paroissiens ». Mme de Rané voulut elle-même donner et présenter le pain bénit, afin de prendre part à la reconnaissance de son mari envers la bonne Catherine.

M. Remy conclut son mémoire par cette dernière attestation :

« Voilà, mon Révérend Père, un petit abrégé des miracles, des merveilles et des guérisons miraculeuses qu’il a plu à Notre Seigneur faire en ma paroisse, depuis seize ans que je la dessers, par les mérites et l’intercession de cette servante de Dieu, dont j’ai eu une parfaite connaissance, non seulement comme témoin oculaire, mais par le fidèle rapport qui m’en a été fait plusieurs fois par mes paroissiens et paroissiennes susnommés, chez qui j’ai été exprès pour m’en informer de ce qu’ils en savaient ; ce qui a fait que je n’ai pu vous envoyer plus tôt cette relation que j’ai commencée le 12me du présent mois, et que je ne finis que le trentième jour du dit mois de la présente année mil six cent quatre-vingt-seize. En foi de quoi, je l’ai écrite et signée de ma main pour servir et valoir en temps et lieu.

Remy
Curé de la Chine. »

Outre ce « petit abrégé » dont parle M. Remy, il composa sans doute un mémoire plus volumineux. (Car le P. Cholenec écrit : « M. Remy nous donne des attestations juridiques, signées de sa main, de plus de cent guérisons miraculeuses dont il a été témoin oculaire. »

Ce vénérable prêtre devait être curé de Lachine pendant dix autres années. Plus tard, à Montréal, il devint le supérieur de l’Hôtel-Dieu. Il mourut le 24 février 1726.[1]

Un de ses confrères, l’abbé Louis Geoffroy, était, vers la même époque (1691-1695), curé de Laprairie[2]. Lui aussi se disait « témoin oculaire des merveilles que Catherine faisait dans sa paroisse, et qu’il était prêt à les publier partout ». Le P. Chauchetière, qui rapporte ce propos, ne nous dit pas que M. Geoffroy ait rien laissé par écrit sur ces guérisons miraculeuses.

Il est vrai que le P. Cholenec ajoute : « M. Geoffroy a aussi attesté plusieurs miracles très considérables de Catherine en sa paroisse de la Prairie. » Mais ces attestations ne nous sont point parvenues.

Pour constater une intervention miraculeuse de Catherine Tekakwitha depuis ces temps reculés, il faut venir jusqu’à l’année 1905. Elle se produisit dans un poste sauvage de l’Île Manitouline, appelé Shishigwaning.

Nous avons sous les yeux la relation qu’en fit le Messager Canadien du Sacré-Cœur (avril 1906), et, mieux encore, un extrait du diarium (journal personnel) que tenait le missionnaire,[3] visiteur, chaque mois, de ce poste éloigné de quatre-vingts à cent milles de Wikwemikong.

À Shishigwaning donc vivait une bonne sauvagesse, malade depuis onze mois d’ulcères syphilitiques de la bouche et de la gorge. Elle avait contracté ces ulcères en fumant la pipe dont s’était servie sa fille, alors syphilitique. Elle souffrait horriblement ; elle faiblissait aussi, ne pouvant plus prendre qu’un peu de bouillon. Malgré les médecins et leurs remèdes, le mal empirait.

Sur ces entrefaites, le missionnaire arriva à Shishigwaning, dans la matinée du vendredi, 29 septembre 1905. La malade voulut profiter de sa présence pour le consulter comme médecin (il l’avait été avant de se faire Jésuite). Le Père lui déclara que, dans les circonstances, il ne pouvait ni ne voulait agir comme médecin. « (Mais puisque les hommes ne peuvent rien pour vous, ajouta-t-il, c’est l’heure du bon Dieu. Demandez-lui votre guérison par la puissante intercession de Catherine Tekakwitha, votre sœur par le sang. Tout en restant résignée à la volonté de Dieu, demandez avec ferveur et confiance. Promettez quelque chose au bon Dieu, pour lui montrer votre confiance maintenant, et votre reconnaissance lorsque vous serez guérie. »

Ces paroles firent une vive impression sur la pauvre malade. Elle se mit à invoquer Catherine Tekakwitha, et le soir même elle commença une neuvaine en son honneur.

Un jour, deux jours se passent : rien ne change. Le jour suivant, c’est, peut-on dire, le jour de Catherine : toute trace du mal disparaît, la guérison est parfaite.

« Pour moi, déclarait le missionnaire en terminant son récit, je n’ai pas le moindre doute : il y a intervention de la divinité, il y a miracle dans cette guérison subite. »

Le tombeau de Catherine a été souvent mentionné dans ces pages. Vu son importance, nous croyons devoir lui consacrer notre dernier chapitre.

  1. Henri Gauthier, La Compagnie de Saint-Sulpice au Canada, Montréal, 1912, p. 84.
  2. Henri Gauthier, La Compagnie de Saint-Sulpice au Canada, Montréal, 1912, p. 55.
  3. Le R. P. Théotime Couture, S. J.