Catilina (Jonson-trad. Dalban)/Préface

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Traduction par Pierre-Jean-Baptiste Dalban.
Les libraires de pièces de Théâtre. (p. 5-8).


PRÉFACE.

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Cette pièce, disait Voltaire, dans la préface de Rome sauvée, n’est pas d’un genre à se soutenir comme Zaïre sur le théâtre ; tout le monde aime et personne ne conspire. On peut prendre aujourd’hui le contre-pied de cette pensée, et en induire des conséquences toutes contraires. Personne n’aime et tout le monde conspire. Sous une forme de gouvernement où deux partis toujours en présence sont sans cesse occupés à s’exagérer leurs torts, tout ce qui les blesse prend à leurs yeux une importance grave, tout est crime d’état ou trahison, toutes les passions se taisent devant les intérêts politiques, et c’est plus que jamais le moment d’intéresser parle tableau des conspirations et des événemens qui renversent les empires.

Voilà ce qu’ajoute La Harpe sur ce sujet, dans l’examen du théâtre de Voltaire : « Tous les temps ne se ressemblent pas ; je ne dirai pas comme une femme de nos jours, qui depuis long-temps n’était plus jeune : Est-ce qu’on aime encore ? mais ce que tout le monde sait, c’est que depuis huit ans[1] tout le monde conspire, et que la conspiration est à l’ordre du jour et en permanence. Car il faut bien quelquefois parler la langue de son temps. Elle est belle, cette langue, et ces temps sont beaux ! Pourquoi Rome sauvée n’a-t-elle pas été faite plus tard ? Rome n’offrait qu’un Catilina à la tête d’une armée et un Cicéron à la tribune. Ici combien l’auteur eût trouvé de Catilinas dans les clubs ! … Mais en attendant qu’on nous mette le sans-culotisme en tragédie, voyons celle de Rome sauvée. »

Nous ne pensons pas comme La Harpe, que les temps dont il parle et le langage qui leur appartient fussent singulièrement propres à la peinture et à la représentation du sujet dont il s’agit. La susceptibilité des tyrans révolutionnaires n’aurait pas manqué de s’alarmer de la vérité d’une imitation qui les aurait peints avec trop de ressemblance. Il faut être irréprochable pour supporter sans effroi l’énergie de certains tableaux ; et l’on prétend que l’arrêt de Robespierre qui, dans la révolution, mit en état d’arrestation une partie de la comédie-française, n’avait pour objet que de prévenir une représentation de Catilina qu’on préparait à ce théâtre.

Voilà ce qu’on trouve dans les Mémoires de Collé sur le Catilina de Crébillon : « Il n’y a dans cette pièce nulle conduite, nul intérêt ; le dénouement en est vicieux, le cinquième acte est entièrement mauvais. Il n’y a point d’intrigue d’amour. L’intérêt politique est médiocre, et même il n’y en a point, parce que Catilina agit moins qu’il ne parle. Si on l’eût mis, au troisième acte, en action au milieu de ses conjurés, et qu’il les eût tous fait jurer sur la coupe pleine du sang de Nonnius ; si au quatrième acte, au lieu des déclamations qui sont dans sa bouche, on l’eût fait se justifier au milieu du sénat, de façon à convaincre de son innocence les sénateurs et les spectateurs, et que cette justification eût été la base et le fondement de l’éclat de la conspiration au dernier acte, il n’est pas douteux qu’il y aurait alors eu une chaleur d’intérêt assez forte pour pouvoir se passer de celui de l’amour. »

On sentira, sans que nous le disions, pourquoi, en tête de cet ouvrage, nous rappelons l’imitation de quelques scènes d’une tragédie à laquelle nous devons cependant si peu de chose. Dans un moment où toutes les conversations sur ce sujet vont prendre un nouveau degré d’intérêt, où la translation d’un théâtre anglais à Paris va fixer tous les esprits sur les avantages de deux scènes rivales, nous avons cru à propos d’appeler l’attention sur une pièce étrangère du même sujet que le notre. Nous ne pouvons disconvenir qu’à l’exception de deux ou trois scènes, tout dans cette pièce nous a paru indigne d’une imitation raisonnable, et que, sans vouloir répéter les critiques de Voltaire, nous sommes entièrement de son avis sur cette tragédie. Nous ajouterions que, loin de penser que la scène française ait rien à gagner d’un rapprochement qui va fixer momentanément l’attention publique, nous imaginons que le théâtre anglais y peut contracter des avantages dignes d’une nation placée par ses philosophes au premier rang des nations savantes, et qui a quelquefois pris un si grand essor en poésie ; mais il y a, dans les mœurs et les habitudes des peuples, des raisons de leur manière d’être si indépendantes des règles du goût et de la raison même, que tout ce qu’il est permis d’espérer sur ce sujet, c’est que les choses en demeureront au point où elles en sont.

Il reste à nous justifier d’avoir osé traiter un sujet supérieurement traité par Voltaire ; mais il y a des choses qui ne peuvent être excusées que par l’audace qui les fait entreprendre. Il peut exister deux bons ouvrages sur le même sujet traité différemment. C’est la meilleure excuse à alléguer dans notre position ; encore sentons-nous qu’elle ne vaut rien pour nous.

  1. Ceci fut écrit en 1797.