Chansons en sabots/La Meule de foin
LA MEULE DE FOIN
Sans logis, sans pain, hors d’haleine,
Tout au bout d’une immense plaine,
Se cachant de tous avec soin,
Ma mère, pauvre vagabonde,
Un soir d’été me mit au monde
Dans une meule de foin !
Vous avez tous une patrie,
Un morceau de terre chérie.
Un vieux clocher qui brille au loin…
Mais, moi, rien ne me repayse :
Mon hameau natal, mon église,
C’est une meule de foin !
Quand je rôdais le long des routes,
Si les uns me jetaient des croûtes
Les autres me montraient le poing :
Trop jeune pour clamer ma haine,
Je m’en allais cacher ma peine
Dans une meule de foin !
Lorsque sonna l’heure amoureuse,
Une douce et triste glaneuse,
Un soir d’Août m’ayant rejoint
Parmi l’or de la Moisson jaune,
De son baiser me fit l’aumône
Dans une meule de foin !
Quand, l’Hiver, au fond des étables,
J’entendais des gueux lamentables
Envier le Riche en leur coin,
Je riais de leur air morose,
Moi qui ne rêvais autre chose
Qu’une humble meule de foin !
Si, comme eux, j’ai rêvé Fortune
C’est l’indulgente et bonne Lune
Qui fut toujours mon seul témoin…
Et le doux Songe qui nous leurre
Changeait en Palais, pour une heure,
Ma pauvre meule de foin !
Voilà comment, toute ma Vie,
J’ai rêvé, souffert sans envie,
Content de peu, sans grand besoin…
Et j’irai quelque jour, vieil homme,
M’endormir de mon dernier somme
Dans une meule de foin !