Chant de la Gazette de Cologne

La bibliothèque libre.
Le Fer rouge : nouveaux châtiments[Poulet-Malassis] (p. 10-16).
◄  Valets
Lâche  ►


 
Nos pères ont eu cette honte
De connaître la liberté ;
Ils étaient ceux que rien ne dompte,
Ils bravaient l’éclair irrité.

Les miasmes venus de France
Avaient empoisonné leurs cœurs ;
On lisait : paix et délivrance
Sur leurs jeunes drapeaux vainqueurs.

Leur rire semblait un tonnerre
Et, comme les feuilles des bois,
Balayait tout ce qu’on vénère,
Les princes, les ducs et les rois,

Et rien n’était affligeant comme
Leur orgueil téméraire et vain :
Ils proclamaient les droits de l’homme
Supérieurs au droit divin !

Ils osaient dire qu’une altesse
Diffère du premier venu
Par un peu de scélératesse
Et d’aveuglement ingénu !

Mais nous, leurs fils, c’est autre chose !
Nous sommes de bons chiens couchants ;
Nous voulons qu’un roi nous impose
Ses soins paternels et touchants.

Nous sommes des sujets d’élite,
Nous allons, fiers, le front baissé,
Notre zèle réhabilite
Aux yeux du maître le passé.

Nous étions allemands, nous sommes
De bons prussiens ; nous portons
Notre hommage à des gentilshommes
Dont les mains tiennent des bâtons.

Rien aujourd’hui ne nous divise.
Nous sommes heureux, hosanna !
Et nous avons pris pour devise :
Johann Maria Farina !


Oh ! Cologne est la ville sainte
De la choucroute et du tabac ;
Le vieux Rhin baigne son enceinte,
Nous revendiquons Offenbach !

Nous exportons de la morale,
De la peinture, des vieux suifs ;
Nous avons une cathédrale
Que nous exploitons en vrais juifs.

Aussi, quand un peuple se lève
Et réclame ses libertés,
En voyant l’éclair de son glaive,
Nous nous sentons tous insultés.

Dociles comme une machine,
Prêts à supporter tous les bâts,
Quand nous plions si bien l’échine,
Voici qu’on est brave là-bas !

Trouvant que le droit humain chôme,
Voici que la France, en fureur,
Quand nous gardons notre Guillaume,
Vient de vomir son empereur.

Un peuple libre sur la carte !
Un souverain sur le pavé !
Oh ! Relevons ce Bonaparte,
Bien qu’il soit de sang mal prouvé.


Car un prince est bien lamentable
Lorsque des parchemins joyeux
N’offrent pas un tas respectable
De bandits parmi ses aïeux ;

Lorsque sa généalogie,
Superbe, n’a pas traversé
Les siècles disparus, rougie
Du sang sur l’échafaud versé.

Toute maison de bonne souche
À son histoire où le poison
Joue un rôle sombre et farouche
Dans les mains de la trahison,

Et la noblesse n’est sincère
Qu’autant qu’on dit comment advint,
Qu’un jour, égrenant son rosaire,
Vers l’an douze ou treize cent vingt,

La noble dame châtelaine,
Son époux allant guerroyer,
Mêla chastement son haleine
Au souffle d’un jeune écuyer.

Nos princes, Dieu les accompagne
Et les conduise par la main !
Déjà du temps de Charlemagne,
Etaient voleurs de grand chemin,


Et, grâce au ciel ! Les adultères,
Les faux, les empoisonnements
Projettent des lueurs austères
Jusque sur leurs commencements.

Mais au bout du compte, un roi, même
Sans meurtrier antique au bout
D’un passé ténébreux et blême,
Vaut mieux que pas de roi du tout ;

Et puis, s’il faut qu’on se départe
De la saine tradition,
Bien que récents, les Bonaparte
Méritent quelque attention ;

Dix-huit brumaire et deux décembre,
Double date, double sommet
Au haut duquel la mort se cambre !
C’est une race qui promet.

Ettenheim sent son moyen âge ;
Hoche brusquement expirant
Rehausse encor le personnage
Nommé Napoléon Le Grand.

Règne donc la famille corse
Au bec sanglant et carnassier !
Qu’elle-même allume l’amorce
Des sinistres canons d’acier !


Car nous qu’on outrage et qu’on lie,
Nous qui voulons des majestés,
Vraiment cela nous humilie
Que l’on soit libre à nos côtés.

Car notre abjection profonde
Pâlirait nécessairement
Lorsque s’étendrait sur le monde
L’universel abaissement ;

Quand les peuples, comme à Cologne,
Chérissant les affronts soufferts,
S’écrîraient partout sans vergogne :
« De l’argent ! Des bâillons ! Des fers ! »




O bons marchands de vulnéraire,
Soyez infâmes ! Vautrez-vous
Toujours dans l’ombre funéraire
De vos rois mystiques et fous !

Aimez la main qui vous fustige,
Léchez les pieds les plus fangeux,
Soyez lâches jusqu’au vertige,
Valets soumis et nuageux !

La révolution sacrée
Jette à la face des bourreaux

Les trônes brisés, elle crée
Un peuple de jeunes héros ;

Et vous assisterez, farouches,
Au grand réveil des nations,
Et l’on blessera vos yeux louches
Avec des flèches de rayons.

Vous serez contraints de vous taire
Quand, dans le jour, dans la clarté,
Nous ferons entendre à la terre
Le cantique de liberté !

Alors, maudissant vos entraves,
Trahis par vos tyrans, meurtris,
Vous nous tendrez vos mains d’esclaves,
Et vous pousserez de grands cris ;

Et la république sereine
Répondra de sa forte voix :
« Laquais, dans la nuit souterraine,
Allez pourrir avec vos rois ! »



12 septembre