Chants et chansons politiques/Libre-pensée

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G. Guérin, libraire (p. 8-10).

LIBRE-PENSÉE



Air : Aussitôt que la lumière.

Aussitôt que la lumière
Frappe mon œil matinal,
Je commence ma carrière
Par dévorer mon journal ;
Si je vois la politique
Prendre un ténébreux chemin :
Je mets tout en république
Pour le bien du genre humain.

Vous comprenez que je prône
Franchement la liberté ;
Car je vois sur plus d’un trône
Une triste majesté.
On a chassé les Jésuites,
Mais Escobar n’est pas mort,
Malgré toutes nos poursuites,
En France il gouverne encor.

On nous a dit que le pape[1]
Était jadis libéral,
Mais il paraît que la chape
En fit un bon cardinal ;

Depuis qu’il a la tiare,
On a tant versé de sang,
Qu’il en traverse une mare
Pour monter au Vatican[2]

On promet le libre-échange
Et d’abolir les octrois,
C’est pour nous donner le change
Qu’on nous promet tant, je crois ;
Car, où règne la misère,
Les soldats et les cagots,
Il ne faut pas qu’on espère
Un dégrèvement d’impôts.

Quand le peuple saura lire[3],
Certe, on ne trouvera pas,
Comme aujourd’hui, pour l’empire,
Des mouchards et des soldats ;
Endormi par l’ignorance,
Il n’a pas de volonté ;
Lui, qui serait maître en France,
S’il voulait la liberté.


Mais, un jour, la République
Reviendra front haut, bras nus,
Pour anéantir la clique
Des vendeurs et des vendus ;
Si je meurs dans la tempête,
Ô peuple, écris de ta main :
« Ci-gît un pauvre poëte,
« Mort en bon républicain. »


  1. Jean-Marie, comte de Masteï-Ferretti, fut élu pape sous le nom de Pie IX, en juin 1846.
  2. On sait, depuis l’avènement du second Empire, ce que le pouvoir temporel de ce successeur de saint Pierre a coûté d’argent et d’hommes à la France et à l’Italie.
  3. D’après une statistique récente, la France n’occupe que le sixième rang en Europe sous le rapport de l’instruction (1867)