Chasse et pêche au Canada/08

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N. S. Hardy, Libraire-éditeurs (p. 42-46).



LE WAPITE OU CERF DU CANADA.

(ELAPHUS CANADENSIS.)


S’il fallait encore des arguments pour établir l’urgence d’une législation protectrice, en faveur du gibier au temps de la reproduction, le fait de l’extinction en la province de Québec du noble animal représenté ci-haut, suffirait presque seul. Excepté à quelques rares localités à l’ouest, le Wapite, le roi de nos forêts, est disparu pour nous. Nul doute, que sa disparition est due en entier aux massacres en toutes saisons des Wapites, perpétrés par les indiens et par des blancs, qui osent se dire chasseurs.

« Les misérables, » me disait un jour un Nemrod ami, qui violent les lois de chasse et capables de tuer un Wapite femelle, au moment où elle sera bientôt mère, devraient être mis au pilori et avoir la majuscule « M » (pour misérable) brûlée là ! où finit l’épine dorsale. »

Je répétai Amen ! Amen ! ! Amen ! ! !

Allez le chasser maintenant, dans les prairies de l’Ouest, aux versants est des montagnes Rocheuses du 56° et 57° parallèle de latitude nord, jusqu’au Texas. D’après Sir John Richardson, la limite de son parcours, à l’est, serait une ligne tirée à l’extrémité-sud du lac Winnipeg, à la Saskatchewan, 103° degré de longitude ; de là, au point où elle rencontre la rivière Elk, dans le 111° degré. On ne le voit que rarement sur les Monts Alleghany. Dans cette province, ce qu’il nous en reste, ce sont ses os et son bois grandiose enfouis sous terre, au fond des forêts. On peut donc dire, malgré le témoignage de quelques indiens[1], que le Wapite est pour nous une race éteinte. C’est un cerf d’une stature très-haute, fort élégant et tellement ressemblant au cerf d’Europe, que les premiers Canadiens, nos pères, crurent que c’était le même animal. Mais sa taille, ses habitudes, sa couleur et d’autres particularités, examinées par des naturalistes compétents, l’ont fait classer comme un animal distinct. Il mesure à l’épaule de quatre pieds et demi à cinq pieds, c’est-à-dire un pied de plus que le cerf anglais. Le dos et la mâchoire inférieure sont d’un jaune brun assez vif. L’œil est entouré d’un cercle brun ; une bande noire court de l’angle de la bouche, le long du côté de la mâchoire inférieure. Le rouge et le noir prédominent sur le col, qui est frangé de longs poils plus foncés que celui des côtés ; de l’épaule aux hanches, le gris domine. Il règne une tâche jaune-pâle sur le haut des cuisses que termine une ligne noire. La queue, jaunâtre, est longue de deux pouces et demi, tandis que celle du cerf européen a sept pouces en longueur. Les oreilles sont blanches en dedans, et recouvertes de poil de la même couleur à l’extérieur, que les parties environnantes. Les sabots sont petits et noirs, comme ceux du cerf ordinaire. Le Wapite a un museau, des dents canines supérieures, une langue molle ; son poil est fragile et en dessous on voit une laine courte. Les cornes sont rondes, fort grandes et fort longues. D’après un fragment trouvé dans le comté de Renfrew, le bois dont il a dû faire partie, a dû excéder en longueur quatre pieds. Le bois d’un Wapite adulte pèse de quarante à quarante-cinq livres, tandis que celui du Chevreuil mâle et adulte pèse au plus quatre livres et demi. Les cornes du Wapite ont donc dix fois le poids de celles du Chevreuil. Elles poussent assez droites ; à la base, on remarque quelquefois des cornichons qui se replient vers le front.

C’est dans les cantons nouvellement établis de l’ouest, où le colon fait des défrichements, que l’on déterre ces bois gigantesques. Leur forme ronde, avec les extrémités aiguës, les font parfaitement distinguer des cornes palmées de l’orignal. D’après les traditions des Indiens, ces animaux ont dû être assez communs dans la vallée de l’Outaouais, au commencement du dix-huitième siècle. On les trouve assez près de la surface, sous des couches de feuilles ou de mousse, où tout indique qu’elles ont dû y reposer au delà d’un siècle.

On a exhumé le squelette complet d’un Wapite, près du site de la ville d’Ottawa, en creusant le canal Rideau, vers 1832 : le bois qui adhérait au crâne mesurait cinq pieds de long. En 1854, on a découvert dans le comté de Lanark, Ontario, les restes d’un grand cerf, qui vraisemblablement appartenait à cette espèce. On voit sur les prairies à l’ouest, des bandes de Wapites, de 20 à 600 individus ; dans ces pâturages, inépuisables, ils atteignent quelquefois, dit-on, la grosseur d’un grand cheval. On cite des cornes de Wapite trouvées en Californie et au Nouveau-Mexique, longues de plus de six pieds. Ce ruminant vit de branches de saules, de mousse, de bourgeons de roses sauvages ; l’hiver, il enlève, avec son pied, la neige qui recouvre la racine des petits arbres ; puis, il en dévore les racines.

Le Wapite affectionne les bocages pleins d’ombre, les îles recouvertes de saules, ainsi que les pointes bien boisées qui s’avancent dans les rivières. Pendant la chaleur du jour, il se fera un lit verdoyant et frais d’herbes ou de rameaux d’un arbre tombé ; c’est alors aussi, qu’il s’enfoncera sous l’onde des lacs, pour se protéger contre les moustiques ; il ne laissera exposé que son museau pour respirer. Ceux qu’Audubon tint captifs, à New-York, subsistaient sur la nourriture qui convient aux vaches : avoine verte, maïs, etc.

Les cornes leur tombent en février et en mars.




  1. On nous informe que des Indiens prétendent avoir tué ces années dernières un Wapite sur le lac Taché, en aval de Stoneham. Ne serait-ce pas plutôt quelque gigantesque orignal ?

    Les anciens de Montmagny, racontent aux jeunes chasseurs, la course extraordinaire d’un cerf gigantesque, au milieu des maisons du village. Traqué par des chasseurs, dans les hauteurs, en aval du Buton, pris de panique, il dirigea sa course vers la Rivière du Sud, avec la vitesse d’une locomotive, suivant un de ces sentiers de montagne par où le bois de corde est transporté au village, dans des traînes. Un bûcheron avait tenté de lui barrer le passage avec son voyage de bois, mais le colosse, aveuglé par la teneur, bondit par dessus le cheval, la voiture et le conducteur. Puis, s’élançant sur la glace vive de la Rivière du Sud, dans sa course impétueuse, il ne s’arrêta que pour considérer un vaste cordon noir, qui reliait une rive à l’autre, — le grand pont de Fréchette, à Saint-Thomas. Les deux côtés de la rivière étaient encombrés de spectateurs, étonnés d’une apparition aussi étrange Cervus continua sa course jusqu’à l’embranchement du chemin qui conduit au Cap Saint-Ignace. Des chasseurs sans nombre le poursuivirent et finalement la bête tomba, percée de balles, près du commencement du Cap, à l’endroit appelé la Basse-Bretagne. Était-ce un Wapite ou un grand orignal ? Le parcours avait été de plus de quinze milles dans des endroits fort populeux.