Chefs d’œuvre lyriques (Malherbe)/34

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La Venue du Printemps


ENFIN, Termes, les ombrages
Reverdissent dans les bois ;
L’hiver et tous ses orages
Sont en prison pour neuf mois ;
Enfin la neige et la glace

Font à la verdure place ;
Enfin le beau temps reluit
Et Philomèle, assurée
De la fureur de Térée,
Chante aux forêts jour et nuit.

Déjà les fleurs qui bourgeonnent
Rajeunissent les vergers ;
Tous les échos ne résonnent
Que de chansons de bergers ;
Les jeux, les ris et la danse
Sont partout en abondance ;
Les délices ont leur tour,
La tristesse se retire,
Et personne ne soupire,
S’il ne soupire d’amour.

Les moissons dorent les plaines,
Le ciel est tout de saphyrs,
Le murmure des fontaines
S’accorde au bruit des zéphyrs,
Les foudres et les tempêtes
Ne grondent plus sur nos têtes,
Ni des vents séditieux
Les insolentes colères
Ne poussent plus les galères
Des abîmes dans les cieux.

Ces belles fleurs que nature
Dans les campagnes produit
Brillent parmi la verdure,
Comme des astres la nuit ;
L’Aurore, qui dans son âme
Brûle d’une douce flamme,
Laissant au lit endormi
Son vieux mari, froid et pâle,

Désormais est matinale
Pour aller voir son ami.

Termes, de qui le mérite
Ne se peut trop estimer,
La belle saison invite
Chacun au plaisir d’aimer ;
La jeunesse de l’année
Soudain se voit terminée ;
Après le chaud véhément
Revient l’extrême froidure,
Et rien au monde ne dure
Qu’un éternel changement.

Leurs courses entre-suivies
Vont comme un flux et reflux ;
Mais le printemps de nos vies
Passe et ne retourne plus.
Tout le soin des destinées
Est de guider nos journées
Pas à pas vers le tombeau !
Le Temps de sa faux moissonne.
Et sans respecter personne,
Ce que l’homme a de plus beau.

Tes louanges immortelles,
Ni tes aimables appas
Qui te font chérir des belles,
Ne t’en garantiront pas.
Crois-moi, tant que Dieu t’octroie
Cet âge comblé de joie
Qui s’enfuit de jour en jour,
Jouis du temps qu’il te donne
Et ne crois pas en automne
Cueillir les fruits de l’amour.