Chefs d’œuvre lyriques (Malherbe)/63

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Le Promenoir des deux Amants


AUPRÈS de cette grotte sombre
Où l’on respire un air si doux
L’onde lutte avec les cailloux
Et la lumière avecque l’ombre.

Ces flots, lassés de l’exercice
Qu’ils ont fait dessus ce gravier,
Se reposent dans ce vivier,
Où mourut autrefois Narcisse.

L’ombre de cette fleur vermeille
Et celle de ces joncs pendants,
Paraissent être, là dedans,
Les songes de l’eau qui sommeille.

Les plus aimables influences
Qui rajeunissent l’univers
Ont relevé ces tapis verts
De fleurs de toutes les nuances.


Dans ce bois ni dans ces montagnes
Jamais chasseur ne vint encor ;
Si quelqu’un y sonne du cor,
C’est Diane avec ses compagnes.

Ce vieux chêne a des marques saintes ;
Sans doute qui le couperait
Le sang chaud en découlerait,
Et l’arbre pousserait des plaintes.

Ce rossignol, mélancolique
Du souvenir de son malheur,
Tâche de charmer sa douleur,
Mettant son histoire en musique.

Il reprend sa note première,
Pour chanter, d’un art sans pareil,
Sous ce rameau que le soleil
A doré d’un trait de lumière.

Sur ce frêne deux tourterelles
S’entretiennent de leurs tourments,
Et font les doux appointements
De leurs amoureuses quereller.

Un jour, Vénus avec Anchise
Parmi ces forts s’allait perdant,
Et deux Amours, en l’attendant,
Disputaient pour une cerise.

Dans toutes ces routes divines
Les nymphes dansent aux chansons,
Et donnent la grâce aux buissons
De porter des fleurs sans épines.

Jamais les vents ni le tonnerre,
N’ont troublé la paix de ces lieux,

Et la complaisance des dieux
Y sourit toujours à la terre.

Crois mon conseil, chère Climène,
Pour laisser arriver le soir,
Je te prie, allons nous asseoir
Sur le bord de cette fontaine.

N’ois-tu pas soupirer Zéphire
De merveille et d’amour atteint,
Voyant des roses sur ton teint,
Qui ne sont pas de son empire ?

Sa bouche, d’odeur toute pleine,
A soufflé sur notre chemin,
Mêlant un esprit de jasmin
À l’ambre de ta douce haleine.

Penche la tête sur cette onde
Dont le cristal paraît si noir :
Je t’y veux faire apercevoir
L’objet le plus charmant du monde.

Tu ne dois pas être étonnée,
Si vivant sous tes douces lois,
J’appelle ces beaux yeux mes rois
Mes astres et ma destinée…

Veux-tu, par un doux privilège,
Me mettre au dessus des humains ?
Fais-moi boire au creux de tes mains,
Si l’eau n’en dissout point la neige.