Cheikh Nefzaoui - La Prairie Parfumée - 06

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La Prairie parfumée où s’ébattent les plaisirs (الروض العاطر في نزهة الخاطر)
Traduction par Baron R***.
(p. 4-6).

Historique de l’ouvrage


Ce livre magnifique, je l’ai composé après un petit livre connu sous le nom de Flambeau de l’Univers, qui concerne les mystères de la génération.

Ce dernier ouvrage avait été porté à la connaissance du Vizir de notre Seigneur Abd el Aziz, maître de Tunis la bien gardée.

Ce Vizir illustre était son poète, son compagnon, son ami et son secrétaire particulier. Il était judicieux, éprouvé, sagace et sage, le plus savant des gens de son temps et le plus entendu en toutes choses. Il s’appelait Mohammed ben Ouana ez Zouaoui et tirait son origine des Zouaoua[1]. Il avait été élevé à Alger, et c’est dans cette ville qu’il avait été connu de notre Seigneur Abd el Aziz el Hafsi[2].

Le jour de la prise d’Alger, ce Seigneur se réfugia avec lui à Tunis, que Dieu le conserve par sa puissance jusqu’au jour de la résurrection ! et il le nomma son grand Vizir.

Lorsqu’arriva entre ses mains le livre désigné ci-dessus, il m’envoya chercher, afin que j’allasse chez lui, m’invitant à ce rendez-vous avec les plus grandes instances. Je me rendis aussitôt dans sa demeure et il me reçut de la manière la plus honorable.

Trois jours après il vint me trouver et, me montrant mon livre, il me dit : « Voilà ton œuvre ! » Comme je rougissais, il ajouta : « N’aie pas honte, parce que tout ce que tu as dit est la vérité ; il n’y a de quoi effrayer personne dans tes paroles. Tu n’es point d’ailleurs le premier de ceux qui ont traité de cette matière et, j’en jure par Dieu ! certes, la connaissance de ce livre était nécessaire. Il n’y aura que l’ignorant déhonté et ennemi de toute science qui ne le lira pas ou qui le tournera en ridicule. Mais il te reste encore diverses choses à dire. » Je lui demandai quelles étaient ces choses, il me répondit : « Je désire que tu ajoutes dans cet ouvrage un supplément dans lequel tu traiteras des remèdes dont tu n’as parlé, en y joignant les faits qui s’y rattachent, sans omettre aucun détail. Tu y décriras les motifs de l’acte de la génération, ainsi que les choses qui peuvent y mettre obstacle.

« Tu mentionneras également dans cet ouvrage les remèdes pour dénouer l’aiguillette, et ceux qui augmentent les dimensions des petits membres et les rendent fiers. Tu citeras ceux qui enlèvent la mauvaise odeur des aisselles et des parties naturelles de la femme, et ceux qui rétrécissent ces parties. Tu parleras également de la grossesse des femmes, de manière que ton livre soit complet, sans omettre aucune chose. Enfin, tu auras atteint ton but si ce livre satisfait tous les désirs. »

Je répondis au Vizir : « Ô notre maître ! tout ce que tu as décrit n’est pas difficile à exécuter, s’il plaît à Dieu très élevé ![3] »

Je me suis mis aussitôt à l’œuvre pour la composition de cet ouvrage, en implorant le secours de Dieu, qu’il répande sa bénédiction sur son prophète ! que le salut et la miséricorde soient sur lui !

J’ai appelé ce livre le Parterre parfumé pour le délassement de l’esprit (Er Roud el âater fi nezaha el khater).

Et Dieu, qui dispose tout pour le bien, et il n’y a d’autre Dieu que lui, et il n’y a de bien que celui qui provient de lui ! nous lui demandons de nous aider de son appui et de nous diriger dans la bonne voie. Car il n’y a de force et de puissance qu’en Dieu le très élevé, le très puissant.

J’ai divisé cet ouvrage en vingt-et-un chapitres, afin d’en faciliter la lecture au taleb (l’Étudiant — celui qui désire la science) et de lui permettre de trouver facilement la matière qu’il désire. Chaque chapitre est relatif à un objet particulier, soit médicamentation, soit anecdotes, soit enfin ruses et trahisons des femmes.


  1. (11) Les Zouaoua forment une tribu de la Kabylie indépendante entre Dellys et Bougie, et ils occupent les hauts pitons du Djurjura. Le pays de Koukou, dont les écrivains espagnols ont fait un royaume, n’est autre que celui de la tribu Kabyle des Zouaoua qui, à l’époque de l’arrivée des Turcs en Algérie fut souvent en lutte contre eux.
  2. (12) Il ne peut être question ici que de la soumission d’Alger aux Espagnols, en ce sens que cette ville, en l’année 1510 (916 de l’Hégire), reconnut la suprématie de l’Espagne en s’engageant à lui payer tribut, ou bien de l’établissement de la domination Turque en 1515 (921 de l’Hégire). Ce sont là les deux seuls cas de soumission que relatent les anciens historiens, et à aucune de ces époques ne régnait un Abd el Aziz à Tunis. Il est bien probable, toutefois, que c’est de la domination Turque que l’auteur veut parler, alors que l’émir d’Alger, Salem ben Toumi, ayant appelé Barberousse avec ses Turcs pour l’aider à faire la guerre aux Espagnols, celui-ci parvenu dans la ville fit mettre l’émir à mort et se fit proclamer Roi d’Alger à sa place.

    À cette époque le souverain de Tunis se nommait Abou Omar Amane Mohammed.

    Le bey du nom d’Abd el Aziz qui, par l’époque de son règne, se rapproche le plus de l’évènement signalé par l’auteur, est Abou Omar Abd el Aziz qui mourut en 899 et fut un des meilleurs khalifas de la dynastie des Beni Hafs. Cette erreur de concordance ne doit pas, d’ailleurs, étonner ceux qui savent combien les historiens Arabes sont inexacts dans leurs citations.

  3. (13) Les arabes n’annoncent jamais l’intention qu’ils ont d’accomplir une chose sans ajouter « S’il plaît à Dieu ! » Les prescriptions du Coran à ce sujet sont (Verset 23, Chapitre XVIII) : « ne dis jamais : je ferai telle chose demain, sans ajouter : s’il plaît à Dieu ! etc. etc. »

    L’origine de ce verset est attribué à un embarras momentané, dans lequel se serait trouvé Mohammed pour répondre à des questions qui lui étaient posées par des Juifs. Il leur avait promis une réponse pour le lendemain, oubliant d’ajouter « S’il plaît à Dieu ! » En punition de cet oubli la révélation se fit attendre quelques jours.

    Voici la reproduction du verset :
    « Ne dis jamais : je ferai telle chose demain, sans ajouter : si c’est la volonté de Dieu ! Souviens-toi de Dieu, si tu viens à l’oublier, et dis : Peut-être Dieu me dirigera-t-il vers la vraie connaissance de cette aventure. »