Christine (1855)

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Poëmes et PoésiesDentu, libraire-éditeur (p. 173-178).
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CHRISTINE.

À Madame J. D.




Une étoile d’or là bas illumine
Le bleu de la nuit, derrière les monts ;
La lune blanchit la verte colline :
Pourquoi pleures-tu, petite Christine?
     Il est tard, dormons.




— Mon fiancé dort sous la noire terre,
Dans la froide tombe il rêve de nous.
Laissez-moi pleurer, ma peine est amère ;
Laissez-moi gémir et veiller, ma mère ;
     Les pleurs me sont doux.



La mère repose, et Christine pleure,
Immobile auprès de l’âtre noirci.
Au long tintement de la douzième heure,
Un doigt léger frappe à l’humble demeure :
     — Qui donc vient ici ?



— Tire le verrou, Christine, ouvre vite :
C’est ton jeune ami, c’est ton fiancé.

Un suaire étroit à peine m’abrite ;
J’ai quitté pour toi, ma chère petite,
     Mon tombeau glacé.



Et cœur contre cœur tous deux ils s’unissent.
Chaque baiser dure une éternité :
Les baisers d’amour jamais ne finissent.
Ils causent longtemps; mais les heures glissent,
     Le coq a chanté.



— Le coq a chanté, voici l’aube claire ;
L’étoile s’éteint, le ciel est d’argent.
Adieu, mon amour, souviens-toi, ma chère ;
Les morts vont rentrer dans la noire terre,
     Jusqu’au jugement.




— Ô mon fiancé, souffres-tu, dit-elle,
Quand le vent d’hiver gémit dans les bois,
Quand la froide pluie aux tombeaux ruisselle ?
Pauvre ami, couché dans l’ombre éternelle,
     Entends-tu ma voix ?



— Au rire joyeux de ta lèvre rose,
Mieux qu’au soleil d’or le pré rougissant.
Mon cercueil s’emplit de feuilles de rose ;
Mais tes pleurs amers, dans ma tombe close,
Font pleuvoir du sang.



Ne pleure jamais. Ici-bas tout cesse,
Mais le vrai bonheur nous attend au ciel.

Si tu m’as aimé, garde ma promesse ;
Dieu nous rendra tout, amour et jeunesse,
     Au jour éternel.



— Non ! je t’ai donné ma foi virginale ;
Pour me suivre aussi, ne mourrais-tu pas ?
Non, je veux dormir ma nuit nuptiale,
Blanche, à tes côtés, sous la lune pâle,
     Morte entre tes bras.



Lui ne répond rien. Il marche et la guide.
À l’horizon bleu le soleil paraît,
Ils hâtent alors leur course rapide,
Et vont, traversant sur la mousse humide
     La longue forêt.




Voici les pins noirs du vieux cimetière.
— Adieu, quitte-moi, reprends ton chemin ;
Mon unique amour, entends ma prière !
Mais Elle au tombeau descend la première,
     Et lui tend la main.



Et depuis ce jour, sous la croix de cuivre,
Dans la même tombe ils dorment tous deux.
Ô sommeil divin dont le charme enivre !
Ils aiment toujours. Heureux qui peut vivre
     Et mourir comme eux.