Chronique d’une ancienne ville royale Dourdan/1

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CHAPITRE PREMIER

LES ORIGINES DE DOURDAN.


Parti de Paris pour aller à Tours, le voyageur qui suit la ligne du chemin de fer d’Orléans, après avoir côtoyé la Seine jusqu’à Athis, rencontre un modeste affluent. Quittant alors le grand fleuve, il s’engage sur la droite dans une vallée pleine de fraîcheur, où coule la rivière d’Orge, que bordent de charmants villages : Juvisy, Savigny-sur-Orge, Épinay-sur-Orge, Villiers-sur-Orge, Longpont, et au sommet du coteau qui domine Saint-Michel, la tour de Montlhéry commandant le passage. C’est là que, naguère encore, emporté sur la gauche par le chemin de fer, dans la direction d’Étampes et de la Beauce, le voyageur quittait à regret la vallée de l’Orge. Aujourd’hui, sans allonger sa route, il peut, grâce à l’embranchement de Brétigny et à la nouvelle ligne de Tours par Châteaudun et Vendôme, remonter jusqu’au bout le cours pittoresque de l’affluent de la Seine le plus voisin de Paris et jusqu’ici le moins connu. Arpajon, Breuillet, Saint-Chéron, que les artistes ont su depuis longtemps découvrir, sont les premières stations de cette ligne nouvelle. La quatrième est Dourdan, l’ancienne capitale du Hurepoix, où nous conduisons nos lecteurs.

Situé à 51 kil. de Paris, à 37 kil. de Versailles, à 21 kil. 6 de Rambouillet, à 16 kil. 9 d’Étampes et à 44 kil. 3 de Chartres, Dourdan, ville de trois mille âmes, du département de Seine-et-Oise, de l’arrondissement de Rambouillet, chef-lieu de deux cantons qui portent son nom, s’élève à mi-côte sur le versant de la vallée exposé au midi, dominé par les grands clochers de son église et le donjon de son vieux château. Presque circulaire, contenue dans une enceinte de murailles fortifiées, prolongée seulement par quelques faubourgs, bordée plutôt que traversée dans sa partie inférieure par la rivière d’Orge, la ville est coupée dans le sens de sa longueur par deux voies principales, qui relient ses quatre portes et auxquelles toutes les autres rues viennent aboutir. L’église, le château, la place de la halle, occupent le centre. La rivière, qui prend sa source à deux lieues de là, au village de Bretencourt, forme en se divisant une sorte d’île au pied des murailles de Dourdan. A l’est et à l’ouest s’étendent des prairies qui étaient autrefois des étangs ; sur les pentes, jadis cultivées en vignes, les champs s’étagent et rejoignent la plaine. Au nord la forêt de Dourdan, au sud-ouest les bois de Louye couronnent de verdure la cime des coteaux et complètent un paysage dont la variété, l’harmonie et le calme intéressent l’œil en le reposant.

Urapiorum felix regio, « l’heureux pays de Hurepoix[1], » disaient les anciens géographes en parlant de la province à laquelle ils donnaient Dourdan pour capitale ; et à leurs yeux cette contrée où s’entremêlaient bois, prairies, moissons, vignes et vergers, était un contraste, un dédommagement créés tout exprès par la nature à côté de la région moins favorisée du Gâtinais, Wastinium, pays des « Gastines » sablonneuses ou forestières. Aussi mal défini comme origine que comme étendue, le Hurepoix était ce pagus Huripensis, Heripensis, Mauripensis ou Morivensis, dans lequel venait se confondre le Châtrais ou Josas, et dont Dourdan, Chevreuse, Corbeil, la Ferté-Alais, Palaiseau étaient les villes principales[2], tandis que le Gâtinais revendiquait les duchés d’Étampes, de Nemours, le comté de Rochefort et quantité d’autres seigneuries.

Géologiquement, Dourdan appartient encore à la Beauce ; il est situé sur un des anciens rivages de ce grand lac d’eau douce qui expirait tout près de là, dans les sables, au nord et au nord-est, et dont l’immense bassin se creusait au sud-ouest, rempli jusqu’au bord du sédiment calcaire témoin irrécusable de ses flots disparus.

Aussi loin qu’on peut remonter dans l’histoire, on trouve tout ce vaste espace entre Paris et Orléans couvert de grandes et impénétrables forêts, dont celles de Saint-Germain, Rambouillet, Dourdan, Orléans, Fontainebleau, etc., ne sont que des lambeaux détachés. Au cœur de ces forêts, qui étaient elles-mêmes le cœur de la Gaule, les Carnutes apparaissent comme les antiques possesseurs du sol. Au temps de César, l’homme avait déjà morcelé par le défrichement et coupé par des voies cette vaste agglomération de bois. La portion qui s’étendait sur les confins de la Beauce et de l’Île-de-France s’appela forêt d’Yveline ou des Yvelines, nom dérivé, dit-on, de l’humidité de son sol[3], et devenu par sa transcription latine l’Aquilina ou l’Æqualina sylva des anciennes chartes[4].

Le voisinage des eaux, le cours des rivières ont toujours attiré les hommes et fixé le choix de leur séjour. L’emplacement qu’occupe Dourdan dut tenter, à ce titre, les nomades et primitifs habitants de la forêt. L’Orge, se répandant au milieu du vallon élargi, y formait à la surface du sol, grâce à l’imperméabilité de couches argileuses, plusieurs grands étangs communiquant au terrain, dans cet endroit, une fertilité et une fraîcheur toutes particulières.

La clairière s’agrandit, et les parties défrichées ou desséchées furent peu à peu acquises à la culture. Si l’on nous demande les pièces justificatives de cet âge préhistorique de Dourdan, nous dirons que nous n’en connaissons pas d’autres que la rencontre dans le sol de quelques instruments de pierre et silex taillés, dits haches celtiques. Plusieurs de ces instruments se trouvent dans la forêt, aux abords de Dourdan ; l’un d’eux, qui nous a été remis l’an dernier, a été découvert à la porte de la ville, enfoncé de plusieurs pieds dans le sol de la prairie, précisément à l’endroit du grand étang ou étang du Roi[5].

La meilleure preuve de l’existence de Dourdan pendant cette antique période serait le nom même de Dourdan. Dans la première syllabe de ce nom, évidemment fort ancien, on a voulu retrouver la racine dour, dor, dur, dru, qui signifierait « eau, rivière », et s’observe dans tant de noms géographiques : Durocasses, Dordogne, Dordrecht, Durance, etc.[6].

Si ce qu’on appelle l’âge de pierre a laissé à Dourdan quelques vestiges, l’âge de bronze, plus voisin ou au moins mieux connu de nous, n’y a pas fourni jusqu’à présent de spécimens caractéristiques comme armes ou ustensiles. Quelques monnaies gauloises[7] ont été toutefois rencontrées dans le sol, et la présence d’habitants sur l’emplacement de Dourdan avant la période romaine paraît un fait incontestable. Si on a pu dire avec quelque vérité que sous tout vieux château se retrouve le sol d’une forteresse romaine, et sous toute forteresse romaine un oppidum gaulois, la situation de Dourdan sur un des points extrêmes de la Carnutie, sa position qui commande une vallée fertile, l’élévation naturelle sur laquelle a été bâti son château, suffiraient presque, à priori, pour permettre d’affirmer l’existence d’un établissement antérieur à la conquête.

Quant à la période gallo-romaine, aucune incertitude n’est permise ; les témoins s’en retrouvent tous les jours et nous les indiquerons sommairement.

Des fours à poteries romaines se sont rencontrés dans toutes les parties de la ville, et des monceaux de débris de vases auxquels se sont trouvées mêlées des monnaies romaines ont maintes fois révélé d’une manière évidente l’existence, sous les empereurs, non-seulement d’un centre de population, mais d’un centre de fabrication, pour laquelle d’ailleurs l’argile et le sable de la localité étaient spécialement propres. L’abondance même de ces débris à Dourdan, leur vulgarité, ont été une des raisons du peu d’importance qu’on y a de tout temps attaché sur les lieux, et il est bien regrettable que ces restes n’aient jamais été recueillis, comparés, étudiés. Plusieurs fours anciennement mis à découvert sur le versant de la côte de Liphart ont longtemps servi d’abri aux bergers. D’autres, à l’occasion de puits, de fondations, de caves, ont été constatés dans la rue Saint-Pierre, dans la rue de Chartres, dans la rue d’Étampes, sur la place du Marché, dans la rue des Belles-Femmes, etc., et ont disparu sous les constructions ou les pavages qui les recouvrent. L’année dernière, heureusement, un de ces fours a pu être observé dans le terrain du Parterre près de la rue Grousteau, lors des fouilles de la nouvelle gendarmerie. Ce four, avec son massif circulaire, son couloir latéral, n’a pas été détruit, et existe, recouvert seulement de terre et de sable, à l’angle de droite du bâtiment des écuries, dans la cour. Au milieu et aux abords de ce four se trouvait un amas de débris de poteries qui ont été conservés[8].

Parmi ces débris, il se trouve plusieurs spécimens des belles poteries rouges brillantes dites samiennes, entre autres deux écuelles ou soucoupes profondes à mascarons représentant des têtes de lion, à fond rugueux et siliceux, destinées au broiement de quelque ingrédient culinaire ou pharmaceutique ; — des fragments portant des moulures ornées d’arabesques et une portion de médaillon à personnages ; — un éclat de poterie intérieurement rouge, et glacée par la cuisson d’une belle couleur ardoisée et métallique ; — une petite tête d’enfant en terre grise, fruste mais expressive, destinée à être appliquée comme mascaron, etc.

A côté de ces restes de poteries élégantes existent un grand nombre de débris de poteries communes de toutes les formes, grises, noires, blanches, à tous les degrés de cuisson, pots renflés, cruches ou bouteilles à une ou deux anses, écuelles ou sébiles, goulots de toutes sortes, bords, fonds ou pieds d’espèces de marmites d’un grand diamètre, etc. ; mais nous avons vainement cherché quelques marques de potier, quelques vestiges de moule. Parmi ces fragments on a trouvé deux moyens bronzes romains, d’une très-belle conservation, l’un de Néron et Drusus, l’autre de Trajan, qui témoignent des premières années de notre ère. Les monnaies romaines sont d’ailleurs assez fréquentes dans le sol de la ville ; une sorte de cachette dans une maison de la rue Saint-Pierre a fourni jadis un grand nombre de pièces malheureusement dispersées. Parmi celles qu’on a recueillies, ou dont on se souvient, quelques-unes portaient l’effigie de César et d’Auguste, la plupart appartenaient aux Antonins, et les autres dataient de leurs successeurs ou du bas empire. Les tuiles à rebords ne sont pas rares non plus, principalement dans un chantier au nord-est de la ville[9].

La présence des Romains à Dourdan n’a rien qui doive nous surprendre. Admirables stratégistes, ils ne manquaient jamais d’utiliser pour la défense du territoire qu’ils avaient conquis les points déjà fortifiés et reconnus les meilleurs par les indigènes eux-mêmes. Ils transformaient en station permanente et flanquaient en la rectifiant l’enceinte du poste primitif, et les habitations se multipliaient à l’entour.

Une étude fort curieuse serait celle des substructions qui se sont quelquefois rencontrées dans la ville, principalement aux abords de la place et du château, et dont l’époque n’a jamais été constatée. Une autre étude non moins intéressante serait celle de l’emplacement d’anciennes villas ou stations romaines qui ont dû exister le long du cours de l’Orge, au-dessus et au-dessous de Dourdan. Sans redescendre jusqu’à Saint-Évroult, où les vestiges romains sont incontestables, il est certain que des fragments de mosaïque et des restes de constructions romaines ont été trouvés au-dessous de Dourdan, près de Roinville, derrière le moulin Poissard. Dans la vallée, à l’ouest de Dourdan, est le chantier de Châtillon autrefois le Castillon qui rappelle évidemment un castellum. Bien que nous ayons une grande répulsion pour les hypothèses, l’antique hostel des Meurs, aux portes mêmes de la ville, du côté de Potelet, ne recouvrait-il pas quelque maison des champs antérieure aux barbares ou au moyen âge ? Ne pourrait-on pas penser la même chose, en remontant l’Orge, d’un terrain au-dessus de Grillon, près de Ville-Lebrun, où des traces de fossés et canaux indiquaient l’enclos d’une habitation ? Un peu plus haut, à Sainte-Mesme des recherches offriraient un véritable intérêt, à en juger par ce que le hasard a fait découvrir.

Avant d’arriver à Sainte-Mesme, à l’endroit où la route de Dourdan tourne à angle droit pour franchir, sur un pont, la rivière, arrêtons-nous à la pièce de terre qui fait suite à la route, dans la direction de Corpeaux, et d’un bout se trouve bordée par le chemin de fer, c’était l’emplacement d’une grande villa romaine. L’attention de Lescornay avait été éveillée, car il rapporte que « joignant le village de Saincte-Mesme (la prairie néantmoins entre-deux) se trouve un grand champ, dans lequel (si on fouille un pied et demy) on trouve un lict de chaux et ciment sur le terrain qui n’est que sable, et sur ce lict du carreau blanc entremeslé de noir large comme l’ongle, à la mosaïque, qui fait juger qu’en cet endroit estoit la salle de quelque somptueux palais et que quelque seigneur de grande qualité y demeuroit ; veu mesme qu’on y trouve tous les jours des pièces de marbre ouvré, et encore depuis peu une main fort bien taillée[10]. » Au commencement de ce siècle, quand M. Lebrun, duc de Plaisance et propriétaire de Sainte-Mesme, fit tirer de ce champ des pierres pour l’établissement du chemin de Ville-Lebrun à Dourdan, d’autres mosaïques furent encore retrouvées, avec des marbres et pièces de monnaie d’Antonin, Marc-Aurèle, Constantin, etc.[11].

A quelque distance, dans la commune de Ponthévrard, près la ferme des Châtelliers, au chantier des Castilles, — noms caractéristiques, — il existe du carrelage en mosaïque à fleur de terre, et le savant Duchâlais en a ramassé lui-même quelques cubes avec des fragments de poterie rouge et noire[12].

Si nous nous arrêtons, à une petite lieue de Dourdan, aux ruines gallo-romaines de Sainte-Mesme, c’est que la tradition, et après elle de Lescornay, veulent trouver là le berceau de Dourdan, le point de départ de ses origines et de son nom. Nous entrons ici dans le domaine des légendes ; que ce soit avec la circonspection impartiale avec laquelle la science aborde ces témoins obscurs, naïvement invraisemblables, mais quelquefois plus confus qu’inexacts.

« Anciennement, dit de Lescornay, un seigneur du pays qui estoit qualifié Rex Dordanus, homme payen, demeuroit au lieu dict Saincte-Mesme, demie lieuë au dessus de Dourdan, et avoit une fille nommée Mesme, laquelle fit profession du christianisme à son desceu : à cause de quoy (et pour n’estre descouverte) elle se retiroit ordinairement prez d’une fontaine où elle faisoit ses secrettes prières ; mais en fin ayant esté descouverte, et n’ayant peu estre divertie[13], il luy fit trancher la teste par la main propre de Mesmin son frère, lequel (adjouste le vulgaire), ayant recogneu sa faute, fut baptisé et se relégua quelque temps dans la forest prez d’une fontaine où il fit pénitence[14]. »

Une seule chose embarrasse de Lescornay « pour ce que ces termes sont équivoques signifiants roy Dourdain et roy de Dourdan, » il ne peut dire « s’il a fait bastir Dourdan et lui aye donné son nom, ou si Dourdan estant auparavant luy, il en aye porté le nom pour ce qu’il en estoit seigneur. » Là effectivement est la difficulté. Quant à la date, nulle donnée même approximative.

Autre légende tirée de l’histoire de Saint-Rémy des Landes :

Environ vers l’an 555 saint Arnoul, filleul et disciple de saint Rémy et mari de la pieuse Scariberge, nièce de Clovis, ayant quitté sa femme pour entrer dans les ordres, et ayant été un instant évêque de Tours, fut tué à Reims. Son corps fut transporté sur un chariot et accompagné par Scariberge, pour être enterré à Tours. Le cortége passant par un endroit dit Yveline, le comte Dordingus, grand seigneur dans la province, poussait alors vivement un cerf qui se retira sous le chariot comme dans un asile. Dordingus, instruit des mérites du saint, passe la nuit en prières, et veut accompagner le corps jusqu’à Tours. Mais on ne peut faire avancer le chariot miraculeusement arrêté, et le comte donne à Scariberge le lieu où il chassait pour y bâtir une église. Le village d’Yveline prit le nom de Saint-Arnoul et existe encore à deux lieues de Dourdan, et Scariberge fonda le monastère voisin de Saint-Rémy des Landes. « Il est aisé de juger, dit sans embarras le facile annaliste de ce monastère, le P. Jean-Marie Cernot, qui rapporte cette histoire d’après un ancien registre de l’abbaye dont les lettres sont gothiques, que le comte Dordingus estoit un grand seigneur de la contrée, et qu’il avoit pour titre de sa famille celuy de sa principale seigneurie, scavoir, de Dourdan, qui est un de nos anciens comtez de France et l’un des plus remarquables endroits voisins de la petite ville de Saint-Arnoul. Il y a aussi bien de l’apparence que Dordingus estendoit son domaine aux environs, et qu’il avoit droit de chasse dans la forêt où les merveilles que nous avons décrites sont arrivées[15]. »

Que conclure de tout cela ? L’identité des deux personnages est chose probable, et la double tradition n’aurait sans doute fait que consacrer le souvenir d’un ancien seigneur important de la contrée. Qu’il habite le palais gallo-romain de Sainte-Mesme, la chose est possible ; qu’il en soit le fondateur, rien ne le prouve. Qu’il soit païen, que plus tard il se convertisse et fonde une église, et que tout cele se passe au vie siècle, il n’y a rien là d’étonnant ; on sait qu’au vie et même au viie siècle le paganisme n’était pas encore totalement détruit dans les campagnes reculées et les vieilles forêts des Carnutes ; des documents incontestables en font foi. Qu’une portion de la forêtd’Yveline soit la propriété d’un seigneur de cette époque, l’histoire, fort obscure d’ailleurs à ce sujet, ne le contredit pas. La forêt d’Yveline, mentionnée par Grégoire de Tours[16], avait été d’abord donnée par Clovis à l’église de Reims ; elle rentra plus tard dans le domaine royal. Pépin s’en dessaisit de nouveau pour en faire donation à l’église de Saint-Denis (798)[17] ; mais déjà des écarts de cette immense forêt avaient été aliénés par les rois ses prédécesseurs, en faveur de quelques-uns de leurs barons[18].

Le roi, c’est-à-dire seigneur ou comte Dordanus ou Dordingus, serait donc un des compagnons des rois mérovingiens, un de ces Francs de la conquête entre lesquels le sol fut partagé, et qui s’établirent, sans y faire grand changement, dans les villas gallo-romaines. Il est certain qu’on doit voir dans le nom de Dordingus une forme germanique, qui se retrouve d’ailleurs dans les premières traductions latines du nom de Dourdan. Nous avons dressé à ce propos, avec beaucoup de soin, la liste des diverses formes du nom de Dourdan d’après les plus anciens textes, et nous la mettons ici sous les yeux du lecteur.

« Apud villam Dordingam ou Dordengam, » an. 956 ; ex Chronico Senonensi Sanctæ Columbæ ; D. Bouquet, tom. IX, 41, A.

« Apud Dordingham villam, » an. 956 ; Aimoini monachi de Gestis Francorum lib. V, cap. xliv ; apud Bouquet.

« Apud Doringam, » an. 956 ; Pertz, Monumenta Germaniæ, XI, 403.

« Apud Drodingam villam, » an. 956 ; ex Chronic. Hugonis Floriacensis ; apud Bouquet, VIII, 321.

« Dordeneus villa, » an. 956 ; Chron. de l’abb. de Saint-Victor; id. IX, 44, D.

« Locus quem dicunt Dordingum, » an. 986 ; Gerberti epistola XCIV ; citée dans D. Bouquet et dans Hadr. de Valois, article Dourdan.

« Apud Dordensium, » an. 1120 charte de Louis le Gros citée par le P. Basile Fleureau, barnabite, dans ses « Antiquitez de la ville et duché d’Estampes, » 1683, in-4, p. 496 ; Aim., lib. V, c. 11.

« Apud Dordingtum ; » charte de Louis le Gros tirée d’un cartulaire du prieuré de Longpont, indiquée par André du Chesne à J. de Lescornay, qui l’a citée dans ses « Mémoires de Dourdan, » 1624.

« Apud Dordinchum, » circ. an. 1147 ; lib. II Chron. Mauriniacensis. D. Bouquet, XII, 71.

« Dordanum, » an. 1210-1290 ; chartes latines manuscrites concernant le prieuré de Dourdan, aux archives d’Eure-et-Loir, fonds de Saint-Chéron ; charte de Philippe Auguste (1222), Bibl. imp., ms. fonds français, no 9852, 3 (Colbert), fol. 124, verso, etc., etc.

« Dordannum, » an. 1284 ; D. Bouquet, XXII, 458, A.

« Dordan » (Isabellam), an. 1174 : Isabelle de Dourdan ; cartulaires blancs et rouges de Josaphat, arch. d’Eure-et-Loir, et Gallia christiana, XII, 51, E. ; an. 1314, Jean de Saint-Victor ; ap. Bouquet, XXI, 658, J.

« Dordam, » an. 1257 ; Bibl. imp., ms. 9653, 5, A. Les continuateurs de D. Bouquet ne savent pas si l’on doit lire « Dordam » ou « Dordain. »

« Dourdan, » an. 1266 ; arch. du Loiret, comté de Dourdan, invent. de Vassal, A, 1384. – An. 1281, arch. d’Eure-et-Loir, fonds de Saint-Chéron, etc., etc.

« Durdactum castrum, » an. 1314 ; Guil. de Nangis ; apud D. Bouquet XX, 609, D.

« Dardunum, » idem, dans le ms. no 435.

« Dordonum, » idem, dans les mss. no 999 et 4921, A.

« Dordincum, » Martyr, univers. de Castellanus ; Acta sanct.

« Durdinium, » Dictionnaire de Corneille.

« Durdanum, » Baudrant.

« Dourdenc » est encore une forme que nous nous rappelons avoir vue.

Il est difficile de déguiser sous plus de formes diverses un nom qui reste au fond toujours le même. L’ignorance et parfois les essais de science des copistes, des tabellions ou des clercs, l’influence des différentes races qui ont passé sur le territoire, ont amené ce résultat.

Pour en finir avec le seigneur Dordingus, a-t-il pris en le germanisant le nom primitif de Dourdan, la chose est probable, et ce nom primitif, ce nom vulgaire qui reparaît plus tard serait celui même de Dourdan ou Dordan, suivant la phrase de « l’autheur célèbre » que cite de Lescornay, « Orgia alluit Dordingam quam vulgò Dordanum incolæ vocant. »

L’existence, à Dourdan même, d’une bourgade mérovingienne est un fait hors de doute. A supposer que la forteresse romaine ait été alors détruite ou remaniée, Dourdan, à cause de sa position de frontière, dans les divers partages entre les descendants de Clovis, dut être doté d’un de ces châteaux que les rois mérovingiens firent construire sur certains points menacés du territoire[19].

La tradition, d’accord en cela avec les probabilités de l’histoire, fait en effet remonter à Gontran la fondation d’un château à Dourdan. Dourdan appartenait alors au pays d’Étampes, pagus Stampensis, dont la première mention se trouve, vers cette époque, dans Grégoire de Tours[20]. Il en était une des frontières. Dépendant, comme le territoire d’Étampes et celui de Chartres, du royaume d’Austrasie, Dourdan fut compris dans la transaction de Childebert qui cédait tout ce pays à Gontran, roi de Bourgogne (587) ; il eut à subir les désastres et les ravages nés des sanglantes discordes de ces premiers et violents rivaux de la monarchie franque. On a voulu faire de Dourdan le théâtre d’un des chocs de Gontran et de Chilpéric, d’après le texte de Grégoire de Tours, qui indique comme lieu de l’action un pont sur l’Orge, Urbiensis pons Parisiacæ civitatis. Mais Dourdan n’appartenait pas à la civitas Parisiaca, au diocèse de Paris, comme on aurait dit plus tard, et, suivant H. de Valois, c’est à Savigny-sur-Orge qu’il convient de reporter la scène[21].

Certains objets ont été aussi attribués à la période mérovingienne de Dourdan. En fidèle narrateur, nous devons le consigner ici. Dans un mémoire présenté, en 1851, à la Société archéologique de l’Orléanais, par le regrettable M. Duchâlais, si compétent en pareille matière, un triens mérovingien, ou tiers de sou d’or, qui venait alors d’être acquis par la Bibliothèque impériale, est décrit comme ayant dû être frappé à Dourdan. Ce triens, de 11 millimètres de diamètre, porte un buste très-primitif dont les contours sont formés par de petits globules. Autour se lit le mot dortenco. Au revers, une croix fichée sur un globe, aux branches de laquelle pendent l’alpha et l’oméga, est entourée de cette légende, qui serait le nom du monétaire : lelgvn. M. Duchâlais, tout en avouant qu’il existe en Bugei un village de Dortan, croit devoir attribuer ce triens à Dourdan, en considération de l’importance que devait avoir déjà cette bourgade, par des motifs déduits, d’après de Lescornay, des traditions que nous avons rapportées[22].

Quand on a fouillé l’emplacement de l’ancien cimetière Saint-Pierre, où sont les arbres qui ombragent l’entrée du parterre, des cercueils fort anciens ont été trouvés. Ces cercueils, dont les uns étaient en pierre, les autres en plâtre, suivant l’usage adopté pendant une longue période, contenaient des ossements, entre autres ceux d’un homme ayant une épée à ses côtés, et ceux d’une femme enterrée avec son enfant. Ils ont été malheureusement dispersés avec ce qu’ils renfermaient, et finalement brisés après avoir servi quelque temps d’auges[23]. Des antiquaires de Paris, alors informés, ont gardé un souvenir de cette découverte. Doit-on la rapporter à l’époque mérovingienne ? La supposition est fort plausible, mais elle aurait besoin d’être vérifiée.

Nous ne rechercherons pas le sort présumable du territoire de Dourdan pendant la période carlovingienne, puisque l’histoire s’est obstinée à en taire le nom. Sans doute il vit passer, au commencement du xe siècle, le torrent des pillards du Nord, les Normands de Rollon, qui dévastèrent tout le pays d’Étampes, au dire des chroniqueurs[24]. Le Chartrain était alors tour à tour possédé, disputé ou partagé par les fils des nouveaux conquérants et par la puissante maison de Robert le Fort, qui hésitait encore à prendre définitivement la couronne sur la tête des pâles successeurs de Charlemagne. Hugues le Grand, duc et plus que roi de France, paraît avoir cédé vers ce temps le titre et certaines terres de son comté de Chartres à son parent le Normand Thibault le Tricheur, mais en conservant le territoire qui s’approchait de Paris. Dourdan faisait partie du domaine que se réservait le puissant duc, et c’est associée au nom de Hugues le Grand que cette ville, dont nous avons pu depuis longtemps affirmer sans témérité et suivre presque sans peine la vie latente, prend sa place au grand jour de l’histoire, avec son nom et la double mention de villa et de castrum.

  1. Papirius Masson, Description de la France par les fleuves. — G. Morin, Hist. du Gâtinais et du Hurepoix.
  2. Guérard, Provinces et Pays de la France, Annuaire de la Soc. d’hist. de France, an. 1837.
  3. Ève ou ive, c’est-à-dire eau, à cause des sources nombreuses qu’on y rencontrait. Houzé, Signification des noms de lieux, etc.
  4. Le nom de forêt d’Yveline désigne plus particulièrement aujourd’hui la partie de forêt comprise entre Rambouillet et Sonchamp.
  5. D’autres sont en la possession de M. Aug. Moutié, président de la Soc. archéol. de Rambouillet. La commission de topographie des Gaules a signalé ces découvertes sur la belle carte qu’elle prépare.
  6. D’autre part, le célèbre érudit de Genève, M. Pictet, consulté par nous, veut bien nous envoyer la note suivante :

    « Comme nom de lieu, Dourdan n’est pas isolé : car on trouve un village Dourdain dans Ille-et-Vilaine, et un Dordagno en Espagne, entre la Coronne et Santiago ; mais rien de semblable en gaulois, ni chez les Celtes insulaires. Comme nom de rivière, par contre, nous avons le Dourdon, affluent du Tarn, et le Durdan (Seine-Inférieure), affluent à la Manche, et de plus un lac Dordon dans les Hautes-Pyrénées, et ces noms s’expliquent bien par l’irlandais dord, dordán, durdan, murmure, bourdonnement, du verbe dord, bourdonner ; en gallois durdd, bruit sourd, murmure, évidemment une onomatopée. Cela ne convient guère pour un nom de lieu, à moins qu’il ne se rattache à celui d’un cours d’eau. Se pourrait-il que l’Orge (Urbia, Hordea, Orgia), eût été appelée aussi Durdanus ou Durdana ? ou qu’elle ait brui notablement en passant à Dourdan ? » — Peut-être, en se déversant dans le grand étang.

  7. Une d’entre elles, monnaie de potin, ou cuivre jaune, fait partie de la collection de M. de Saulcy.
  8. Plusieurs de ces fragments, rapprochés et recollés, ont été montrés par nous aux savants antiquaires de la manufacture de Sèvres, MM. Riocreux et Millet, qui les ont examinés avec un grand intérêt. Ces débris, avec d’autres vases entiers, ou fragments d’ouvrages en terre offerts par plusieurs particuliers, vont former une modeste collection que l’administration intelligente s’occupe d’ouvrir à la mairie, en invitant la population à y déposer, comme don ou même comme prêt, tout ce qui peut rappeler l’histoire du passé de la ville.
  9. Au moment où nous mettons sous presse, des trouvailles intéressantes viennent d’être faites dans cette région, à l’occasion des fouilles opérées pour les constructions de M. Beaurienne et de M. Gingréau. L’emplacement d’un cimetière gallo-romain a pu être facilement constaté. Douze squelettes au moins, les pieds tournés vers l’orient, ont été trouvés à une faible profondeur. Quelques-uns avaient la tête placée entre deux grosses pierres. Des clous permettent de penser que plusieurs avaient été déposés dans des cercueils. Des débris de poterie étaient mêlés aux terres. Un caveau, à demi effondré, contenait les ossements d’un personnage dont la tombe avait été brisée. Un fragment de moulure ou corniche, des débris d’animaux, le crâne d’un bœuf, de magnifiques tuiles à rebords, une meule à bras, des tessons de poteries, un vase intact en terre rouge fine élégant de forme et décoré d’entailles, le fond d’un autre vase contenant un dépôt vitreux de plusieurs centimètres d’épaisseur, une sorte de chaton en verre, quelques petits bronzes du bas empire, sont les objets les plus intéressants que la fouille de ce caveau ait amenés au jour. Ils donnent la date du quatrième siècle environ de notre ère, et les terres profondément remaniées, les détritus, les pierres enfouies dans le sol attestent un long et ancien établissement.
  10. De Lescornay, p. 26.
  11. Un fragment de marbre transparent comme de l’albâtre et portant des cannelures et le bout d’une griffe d’animal finement sculptée, nous a été gracieusement offert par M. Dubois, agent voyer en chef du département de Seine-et-Oise, et fera partie du petit musée de la ville.
  12. Mém. de la Soc. arch. de l’Orléanais, tom. I, 1852, p. 198.
  13. Malgré l’offre de son père de la marier au fils du roi de Castille : Magnati Castiliæ regis filio. — (Acta sanctorum, de sancta Maxima, etc., 25 août.) — Serait-ce le seigneur des Châtelliers ?
  14. D’autres versions ajoutent qu’il devint ensuite éveque d’Orléans. — Les Bollandistes ne veulent pas reconnaître ce personnage et sont sévères pour les incertitudes et les confusions de cette légende. (V. Acta sanctorum ; Gallia christiana ; Martyrol. de Castell. ; Martyrol. de Paris, éd. de Noailles ; Brév. de Vers., etc.). Les fontaines de Sainte-Mesme et de Saint-Mesmin sont encore en vénération. L’église de Sainte-Mesme est l’objet d’un pèlerinage. (Voir à la fin du volume la Promenade dans le canton sud.)
  15. Vie de saint Arnoul et de sainte Scariberge, son épouse, etc., par le P. I. M. Paris, 1676, in-32. – Cf. D. Bouquet, in Greg. Turon., II, 387.
  16. Hist. eccles. Franc., lib. X.
  17. Doublet, Hist. abb. S. Dionysii, p. 699 ; Bouquet, V, 707.
  18. Malte-Brun, Hist. de Marcoussis. Paris, 1867, p. 3.
  19. Viollet-le-Duc, Dict. d’Architect., article Chateau.
  20. Hist. Francorum, IX, xx ; X. xix ; le pagus Stampensis ou Stampinus, franchissant l’Orge sous Dourdan à la Brière (Brocaria prope de fluviolo Urbia, chart. Clotild. Bréquigny, Dipl., p. 257), s’engage par la branche affluente qui passe au nord de Rochefort et de Saint-Arnoul, par Bullion (Bualone, Testam. Bertram. Episc. Cenoman.) et se perd dans la forêt Yveline, confinant au Gâtinais et au Chartrain et enveloppant dans son périmètre ce qui sera le doyenné de Rochefort. (Guérard, Polyptique ; Guérineau de Boisvillette, Mém. de la Soc. arch. d’Eure-et-Loir t. III, p. 78, etc.)
  21. Greg. Turon., lib. VI, cap. xix ; Hadr. Vales., Notitia Galliarum ; Alfr. Jacobs, Géographie de Grég. de Tours, p. 138.
  22. M. A. de Barthélémy, dans sa Notice sur les noms de lieux signalés sur les monnaies, se contente de citer l’opinion de M. Duchâlais, à propos du triens de Dourdan.
  23. Disons toutefois qu’un de ces cercueils en pierre, très-bien conservé, existe encore, rempli de terre et de fleurs, dans la cour de la maison de la rue Saint-Pierre que possède M. Isambert, et qu’habite M. Cosseron, tourneur. Quant aux cercueils de plâtre, nous en avons vainement cherché les traces.
  24. « Stampas equidem adiens Rollo totam terram adjacentem perdidit, quamplurimos captitavit. » (Guill. de Jumièges, liv. II.)