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Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1249

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Règne de Louis IX (1226-1270)

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[1249]


Vers l’Ascension du Seigneur, saint Louis, roi de France, quittant Chypre où il avait passé l’hiver avec une multitude infinie de pélerins, aborda à Damiette, première ville de l’Égypte. Comme nos vaisseaux ne pouvaient approcher du rivage, à cause des bas-fonds de la mer, les Français, laissant leurs vaisseaux, s’avancèrent contre les Sarrasins, qui, gardant le rivage, tâchaient de nous empêcher de prendre terre, sautèrent dans la mer avec leurs armes, et se mirent dans l’eau jusqu’aux genoux. Fondant courageusement sur les Sarrasins, ils s’emparèrent du rivage, d’où ils repoussèrent les ennemis, dont ils tuèrent un grand nombre. Ensuite, les bateaux des Sarrasins s’étant emparés de l’embouchure du Nil, les nôtres les mirent en fuite, et prirent possession du rivage et du port ; et, le jour même qu’ils étaient venus, ils dressèrent leurs tentes sur le rivage.

A la vue de ces succès, les Sarrasins de Damiette, miraculeusement saisis d’une terreur subite, quittèrent la ville, et s’enfuirent, le peuple pendant la nuit même, et les grands le lendemain matin, après avoir mis le feu de tous côtés. Les nôtres l’ayant aussitôt appris, l’armée se mit en marche, tous entrèrent en même temps et avec empressement dans la ville. Ils éteignirent le feu, et mirent une garnison du roi de France. La ville ayant enfin été purifiée, le roi de France saint Louis, le roi de Chypre, les barons de toute l’armée chrétienne, le légat et le patriarche de Jérusalem, avec tout le clergé, y entrèrent en procession, les pieds nus, et réconcilièrent la Mahomerie, qui long-temps auparavant, à l’autre prise de cette ville, avait été consacrée église de la sainte Vierge Marie. Après qu’on eut dans cette église rendu des actions de grâces au Dieu très-haut pour les bien-faits qu’il accordait, le légat célébra une messe solennelle en l’honneur de sainte Marie mère de Dieu. Damiette ayant ainsi été prise par la volonté divine, huit jours après la Trinité, le roi de France et toute l’armée chrétienne y restèrent tout l’été jusqu’à ce que le Nil eût décru, dans la crainte que la hauteur de ses eaux ne leur fit éprouver des dommages, comme on lit qu’il arriva une fois aux Chrétiens dans les temps du roi de Jérusalem. Alphonse, comte de Poitou, frère de saint Louis, roi de France, qui avait été laissé avec sa mère pour la garde du royaume, en abandonnant le soin à ladite dame sa mère, la reine Blanche, prit le chemin d’outre-mer avec la femme de son frère Robert, comte d’Artois, et aborda à Damiette le dimanche avant la fête des apôtres saint Simon et saint Jude. Saint Louis, roi de France, ayant muni Damiette de vivres et de gens, quitta cette ville avec son armée le vingtième jour de novembre et marcha contre les Sarrasins qui s’étaient rassemblés en une grande armée à Massoure. Les nôtres ayant bien et courageusement combattu tout l’hiver dans ce pays contre les Sarrasins, dont ils tuèrent un grand nombre, et auxquels ils firent éprouver de grandes pertes, s’avancèrent un jour contre eux au combat sans précaution et sans ordre. Les Sarrasins, qui avaient repris des forces, entourèrent les nôtres de toutes parts et en firent un grand carnage. Dans cette affaire, Robert, comte d’Artois, frère de saint Louis, roi de France, s’étant imprudemment porté trop en avant, ne vit pas plus tôt la ville de Massoure ouverte, qu’il s’y précipita impétueusement avec les Sarrasins en fuite, et, par une témérité peu convenable, tombant entre les mains des ennemis, fut perdu pour ce monde.