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Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1297

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Règne de Philippe IV le Bel (1285-1314)

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[1297]


Alphonse et Fernand. combattant vaillamment en Espagne, imprimèrent à tous la terreur de leur nom et de leur approche. Don Juan, leur oncle, s’étant rendu vers eux, augmenta beaucoup leurs forces, car il leur fit rendre un grand nombre de châteaux et de villes. Don Juan s’étant précipité témérairement sur les ennemis, et ayant été pris, l’illustre Alphonse, son neveu, ne put le ravoir autrement qu’en rendant toutes ses conquêtes ; c’est pourquoi, entraîné par l’extrême générosité de son cœur, il rendit tout pour lui, s’estimant plus riche de la possession de ses amis que de celle d’une opulence périssable. Se montrant bientôt ingrat pour un si grand bienfait, son oncle se joignit aux ennemis, auxquels il rendit le royaume de Léon, qu’il avait reçu du don de son neveu. Ayant donc tout perdu, Alphonse, au dessus de l’adversité par la magnanimité de son ame, se rappela sa haute origine, car il descendait des rois de France, et ne sachant où se diriger, malgré l’avis des siens qui lui conseillaient de retourner en France ou en Aragon, il alla camper devant une certaine ville, aimant mieux mourir pour la défense de ses droits et la cause de la justice, que de revenir sans gloire et sans honneur. Le seigneur de ce château, témoin de son habileté et ému d’affection, l’introduisit avec ses gens dans la ville et dans la suite, par son secours, Alphonse causa beaucoup de dommages à ses ennemis. Pendant ce temps, Fernand, son frère, allant demander du secours en France, livra combat aux ennemis, et ensuite se rendit de France à la cour de Rome ; mais il rapporta peu d’avantages de ces deux voyages.

Henri, comte de Bar, qui avait pris en mariage la fille d’Edouard roi d’Angleterre, entra en ennemi, avec une grande multitude d’hommes d’armes, dans le comté de Champagne, qui appartenait par droit de succession à Jeanne, reine des Français, tua un grand nombre d’hommes, et une ville toute entière. Gautier de Crécy, seigneur de Châtillon, envoyé par le roi de France pour réprimer ses téméraires entreprises, et accompagné des Champenois, dévasta par le fer et le feu la terre du comte de Bar, et le força ainsi de venir la défendre. Les cardinaux de Colonne, déposés, se rendirent à Nepi, ville de Toscane. Le pape, les condamnant comme schismatiques, et les déclarant excommuniés, envoya contre eux des croisés d’Italie avec une grande armée.

Philippe, roi de France, ayant rassemblé une grande armée à Compiègne contre Gui, comte de Flandre, qui avait renoncé à la foi qu’il lui devait, fit chevalier en cette ville, à la fête de la Pentecôte, son frère Louis, comte d’Evreux, un autre Louis, fils aîné de Robert, comte de Clermont, et cent vingt autres. De là il marcha vers la Flandre ; et, pénétrant sur cette terre malgré l’opposition des ennemis, assiégea, la veille de la fête de saint Jean-Baptiste, les habitans de Lille. Ayant détruit une abbaye de religieuses nommée Margate, les Français ravagèrent par le fer et la flamme tous les environs de Lille, jusqu’à la distance de quatre lieues. Gui, comte de, Saint-Paul ; Raoul, seigneur de Nesle, connétable de France ; Gui, son frère, maréchal de l’armée, avec quelques autres, s’étant éloignés de l’armée de quatre lieues, livrèrent combat aux ennemis sur les bords de la rivière de la ville de Comines, en mirent plus de cinq cents en déroute, en tuèrent un grand nombre, et s’emparèrent de leurs tentes. Ils amenèrent prisonniers avec eux vers le roi de France beaucoup de stipendiés du roi d’Allemagne, d’hommes d’armes et des chevaliers de grand renom. Dans le même temps, le pape canonisa à Civita-Vecchia Louis, roi de France. Comme le roi de France était occupé au siège de Lille, Robert, comte d’Artois, abandonnant la défense de la Gascogne à des fidèles du roi des Français, se retira dans sa terre à Saint-Omer, et, appelant vers lui son fils Philippe, attaqua la Flandre de ce côté avec un grand nombre de nobles. Gui, comte de Flandre, envoya contre lui une grande multitude de chevaliers et d’hommes de pied armés, qui livrèrent combat au comte d’Artois, près d’un village appelé Furnes. On combattit âprement de part et d’autre ; mais les Flamands, quoiqu’au nombre de six cents cavaliers et de seize mille hommes de pied, furent tués par les gens du comte, et beaucoup d’hommes d’armes et de chevaliers furent pris avec Guillaume de Juliers et Henri comte d’Aumont. Pendant qu’on les envoyait dans des chariots à Paris et ailleurs, et dans différentes prisons, ayant devant eux la bannière du comte d’Artois, au grand honneur et gloire de cet ancien chevalier, le comte d’Artois reçut la ville de Furnes à composition, et s’empara ensuite de Cassel et de toute cette vallée.

Cependant les gens de Lille, fatigués par les assauts des troupes du roi de France, voyant les machines briser souvent les remparts, comme Robert, fils aîné du comte de Flandre, qui était avec eux dans la ville, n’osait pas faire une sortie contre les Français, se rendirent eux et leur ville au roi de France, à condition qu’on leur laisserait leurs biens et la vie. Robert, sortant de la ville avec un petit nombre de chevaliers, se retira promptement à Bruges où était son père. Edouard, roi d’Angleterre, était venu peu de temps auparavant dans cette ville avec peu de gens, trompé, dit-on, par le comte de Flandre qui lui avait mandé pour certain qu’il ferait prisonniers à Bruges le comte d’Artois, et Charles, frère du roi de France, ou plutôt probablement pour secourir le comte de Flandre contre le roi de France. Le roi de France ayant appris l’arrivée du roi d’Angleterre, mit une garnison à Lille, et se dirigeant vers la ville de Courtrai, qui se rendit aussitôt à lui, se hâta ensuite d’aller assiéger Bruges. Mais pendant ce temps, le roi d’Angleterre et le comte de Flandre, quittant Bruges, se retirèrent promptement avec leurs troupes à Gand, à cause des fortifications de ce lieu. Les gens de Bruges effrayés vinrent faire leurs soumissions et humilités au roi de France, et se remirent eux et leur ville en son pouvoir. Dès que son armée eut pris un peu de repos ; le roi marcha vers Gand, mais ayant reçu dans un certain village des envoyés du roi d’Angleterre qui demandaient une trêve il accorda, quoiqu’à grand’peine, au comte de Flandre une trêve de deux ans, à cause de rapproche de l’hiver, et pour l’amour du roi de Sicile venu en France à ce sujet, et s’en retourna en France vers la fête de Toussaint. L’armée du pape Boniface s’étant emparée de Nepi, ville de Toscane, en chassa les cardinaux Colonne, qui se rendirent à Colonna, où ils furent de nouveau assiégés.

Les prélats du royaume de France s’étant rassemblés à Paris ; le roi leur produisit une lettre dont le contenu était que le pape Boniface lui avait permis, lui et à son prochain héritier, de percevoir la dixième partie des revenus des églises, toutes les fois qu’ils le croiraient nécessaire et le jugeraient à propos, d’après le témoignage de leur conscience ; qu’en outre ledit pape lui avait accordé, pour aider aux dépenses de la guerre, tous les revenus, profits et échéances d’une année des prébendes, prieurés, archidiaconats, doyennés, bénéfices des églises, et autres dignités ecclésiastiques quelconques, devenus vacans pendant la durée de la guerre dans le royaume de France, à l’exception des évêchés, des archevêchés et des monastères et abbayes. Le pape Boniface lut, le 3 mai, en plein consistoire, en présence de tous les assistans, quelques nouveaux statuts, que, dans son zèle et ses soins pour l’état et les avantages de l’Église universelle, il avait fait compléter et rédiger par des hommes habiles dans le droit canon et le droit civil. Après plusieurs lectures, ils furent approuvés avec un grand empressement par les cardinaux, et le souverain pontife régla qu’on les ajouterait à la suite du cinquième livre des décrétales dont ils feraient le sixième livre.