Chronique de la quinzaine - 14 août 1844

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Chronique no 296
14 août 1844


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 août 1844.


Dès que le ministère du 29 octobre a pris les affaires, on lui a dit : Ne vous jetez pas inconsidérément dans l’alliance anglaise, ne précipitez rien, soyez prudent. Vous voulez renouer l’alliance brisée par le traité du 15 juillet, vous la jugez nécessaire au repos de l’Europe, vous voulez sortir de l’isolement où les évènemens de 1840 ont placé la France : soit. Rapprochez-vous de l’Angleterre, mais n’aliénez pas votre liberté. L’Angleterre se tient sur la réserve avec vous : ne montrez pas dans la recherche de son alliance une vivacité indiscrète, mesurez surtout votre langage officiel, ne donnez pas vos espérances pour des réalités, songez aux ressentimens excités en 1840. Pour proclamer l’intimité des deux gouvernemens et des deux peuples, attendez qu’elle soit rétablie.

M. Guizot, sans écouter ces sages conseils, a proclamé l’entente cordiale ; aussitôt on lui a dit : Vous allez contre le but que vous voulez atteindre, vous compromettez l’alliance par cet empressement irréfléchi. Du côté de l’Angleterre, vous ferez naître des exigences ; du côté de la France, vous exciterez de justes susceptibilités : vous ferez croire, vous ferez dire que le gouvernement de juillet a fléchi, et qu’il est disposé à faire des concessions ; le sentiment national s’inquiétera. L’alliance anglaise, devenue pour vous une source d’embarras et une blessure pour l’amour-propre du pays, sera impopulaire. Les esprits s’aigriront chez les deux peuples ; le moindre accident, amené par le hasard au milieu de cette situation équivoque, pourra produire une explosion.

L’incident est arrivé, et l’explosion a eu lieu. L’affaire du missionnaire Pritchard a mis le feu dans les journaux des deux pays ; les vieilles jalousies nationales se sont ranimées : nous voulons croire qu’elles s’apaiseront. Le révérend M. Pritchard, après avoir allumé la guerre dans Taïti, n’aura sans doute pas la satisfaction de voir l’Europe s’embraser à cause de lui. Cependant cette malheureuse affaire, en supposant même qu’elle se termine bientôt par les négociations, ce qui nous paraît douteux, laissera en France un souvenir pénible qui s’effacera difficilement. Nous voulons parler de l’impression causée par les paroles de sir Robert Peel dans le parlement anglais.

Sir Robert Peel n’est pas un homme qui se laisse entraîner par la passion. C’est un orateur froid qui calcule toutes ses paroles. S’il a été prompt et véhément, c’est qu’il a pensé que cela lui serait utile. Il a compté sur la forme insolite de ses réclamations pour intimider notre cabinet. De là est venue l’émotion que la France a ressentie. Voilà pour elle le fruit de la politique suivie depuis quatre ans à l’égard de l’Angleterre. Un différend s’élève à deux mille lieues entre les deux peuples : à la première nouvelle qui en arrive à Londres, le ministre anglais, sans examiner les faits, sans discuter, annonce en plein parlement qu’il demande une ample réparation à la France. Il envoie du haut de la tribune anglaise une sommation à notre gouvernement. Voilà comme l’Angleterre en use avec nous ! Tant de soins, tant de sacrifices, tant d’avances faites à la tribune et dans les discours du trône, ont abouti à une alliance bâtarde, où l’égalité des prétentions n’existe pas, où l’Angleterre conserve une opinion exagérée de sa force, où nos complaisances sont prises pour un signe avoué de notre faiblesse ! Quel échec pour la politique de M. Guizot, et quel sujet de tristes réflexions pour la France !

Félicitons nos chambres. Elles n’ont pas voulu se séparer sans témoigner au pays qu’elles partageaient son émotion. Le sentiment national a trouvé dans M. Molé et dans M. Billault des interprètes également fermes et mesurés. N’oublions pas M. Charles Dupin, qui a parlé le premier de tous et a excité une sensation très vive, en défendant énergiquement l’honneur de notre marine. Une déclaration a été arrachée à M. Guizot par M. Molé. Venu au Luxembourg avec l’intention bien arrêtée de garder le silence, M. le ministre des affaires étrangères, troublé par l’attitude de la chambre et par le danger de sa situation ministérielle, a protesté qu’il avait à cœur autant que personne l’honneur de notre marine et la défense des droits de nos officiers. On lui rappellera un jour cette déclaration. Elle a une portée que M. Guizot a voulu sans doute atténuer dès le jour même, en ajoutant dans le Moniteur qu’il la regardait comme élémentaire et inutile : il est bon qu’on sache que ce commentaire restrictif n’a pas été exprimé devant la chambre des pairs. Aucun membre ne l’a entendu. L’accueil de la noble chambre ne lui eût pas été favorable.

Ainsi donc, M. Guizot négocie, et la France attend ses actes. On a pu croire un instant que les difficultés s’aplaniraient par le retour subit du ministère anglais à des sentimens plus raisonnables et plus justes ; on a été trompé. Après sir Robert Peel, lord Aberdeen, sans modifier les prétentions exprimées par son collègue, avait tenu cependant un langage plus modéré. A Paris, M. Guizot montrait à qui voulait la voir une lettre de notre chargé d’affaires à Londres, M. de Chabot, annonçant que lord Aberdeen désapprouvait les termes employés par sir Robert Peel. Bien plus : des journaux anglais, connus pour recevoir les inspirations de M. Peel, présentaient l’affaire sous un jour nouveau qui en rendait la conclusion facile. M. Guizot était déjà triomphant. Ses écrivains les plus intimes plaisantaient fort agréablement sur la simplicité des journaux de l’opposition, sur tout ce bruit fait à propos d’une petite reine de sauvages et d’un religionnaire exalté, sur la bonhomie de ceux qui conservaient encore des inquiétudes sérieuses au sujet de cette puérile affaire. M. Molé devait en être pour ses paroles à la chambre des pairs ; M. Billault était prié de réserver son éloquence pour une meilleure occasion. Malheureusement, les faits qui ont suivi sont venus troubler ces joies indiscrètes et cette confiance prématurée. Le gouvernement anglais a reproduit avec une insistance évidemment calculée toutes ses prétentions sur l’affaire de Taïti. Les hommes les plus graves de l’Angleterre se sont fait, en quelque sorte, un point d’honneur de parler, à peu de chose près, comme M. Peel. Lord Wellington a déclaré formellement que l’Angleterre avait été insultée, et que cette insulte devait être réparée. Quant à lord Palmerston, il a dû naturellement saisir cette heureuse occasion d’exprimer avec sa bienveillance ordinaire les sentimens qu’on lui connaît à l’égard de la France. La presse anglaise, ouvertement encouragée par lord Aberdeen, a fait comme le parlement ; elle a montré la même vivacité et la même décision. Son langage a été unanime. Il est devenu dès-lors manifeste pour M. Guizot que sa situation personnelle, si soigneusement ménagée jusqu’ici par le ministère anglais, était sacrifiée sans scrupule. Un fait qui s’était passé peu de jours avant aurait pu lui en donner le pressentiment. Lors des premières interpellations sur Taïti, dans la première séance du mois d’août, lord Aberdeen avait commis envers M. Guizot une grave indiscrétion. Le noble lord avait affirmé que le désaveu de M. Dupetit-Thouars avait été demandé à la France. C’était démentir publiquement M. Guizot, qui a déclaré il y a six mois, à la tribune française, que ce désaveu a été spontané. Un pareil oubli des intérêts de M. Guizot avait déjà quelque chose de significatif dans les circonstances.

Le cabinet anglais ne retire donc aucune de ses prétentions primitives. Il exige une réparation. Il compte l’obtenir de M. Guizot en cessant de protéger sa position ministérielle, et il se présente ayant derrière lui tout le parlement et toute la presse de l’Angleterre. Que fera M. Guizot ?

Plus on examine cette affaire, plus il est difficile de voir à quel titre l’Angleterre exige une réparation. Si l’on en juge par les détails publiés dans les journaux anglais, aucune accusation sérieuse ne peut être légitimement intentée contre MM. Bruat et d’Aubigny. Il est avéré que le religionnaire Pritchard fomentait des troubles contre le gouvernement substitué au protectorat. Il était l’ame d’une insurrection. Sur l’ordre de M. d’Aubigny, commandant en l’absence de M. Bruat, M. Pritchard est arrêté et incarcéré ; puis, au retour du gouverneur, il est mis à bord d’un vaisseau anglais sous la condition de n’être débarqué sur aucun point des îles de la Société. Que peut-on reprocher aux autorités françaises ? Dira-t-on avec lord Palmerston que les Français n’avaient pas le droit d’exercer la souveraineté dans l’île, que cette souveraineté, ayant été désavouée par la métropole, est réputée n’avoir jamais existé ; que dès-lors, pour M. Pritchard, elle a été nulle de fait et de droit ? Cette doctrine n’est pas soutenable ; elle est à peine défendue par les feuilles anglaises. Lord Palmerston en a tout le mérite. C’est un principe reconnu que tout gouvernement de fait exerce une autorité souveraine ; ceux qui l’attaquent le font à leurs risques et périls : il ne leur est pas permis d’invoquer la protection de leur gouvernement pour couvrir leurs hostilités. M. Pritchard avait protesté contre l’occupation souveraine de Taïti : il devait en rester là. Combattre cette occupation sans l’aveu de l’Angleterre, c’était faire un acte dont il devait seul répondre, et qui par conséquent ne pouvait être mis sous la garantie de son gouvernement. D’ailleurs, que la souveraineté établie à Taïti fût réputée légitime ou non par M. Pritchard, peu importe. Si les Français n’avaient pas la souveraineté, ils avaient au moins le protectorat ; or, pas plus sous le protectorat que sous la souveraineté, les missionnaires et les résidens étrangers n’avaient le droit de troubler l’ordre. Dira-t-on encore avec lord Palmerston, soutenu cette fois par lord Aberdeen et par les feuilles anglaises, que M. Pritchard, bien qu’il eût amené son pavillon, n’avait pas cessé d’être consul de l’Angleterre ? Qu’importe ? Consul ou résident, il n’avait pas le droit de conspirer. S’il était consul, dites-vous, on ne pouvait le détenir ou même l’arrêter ; son titre le rendait inviolable ! On fait ici une confusion : c’est en effet le privilège d’un ambassadeur d’être inviolable dans le pays où il représente son souverain ; s’il conspire, on peut le renvoyer, et non l’arrêter. Mais ce privilège n’existe pas pour les ministres plénipotentiaires, à plus forte raison pour les consuls. Le révérend M. Pritchard était-il donc ambassadeur d’Angleterre à Taïti ?

En France, pour venir au secours de M. Guizot, on a imaginé un autre texte d’accusation. Deux feuilles ministérielles ont insinué plus ou moins clairement que des réclamations légitimes pouvaient s’élever sur la durée et sur la rigueur de la détention. Cela mènerait au désaveu de M. d’Aubigny. Voilà l’expédient trouvé. Le bruit court que M. Guizot ne serait pas éloigné d’offrir cette satisfaction à l’Angleterre. S’il en est ainsi, M. Guizot serait bien mal inspiré. Où a-t-il vu que M. d’Aubigny se soit rendu coupable de procédés violens envers son prisonnier ? On lit partout que M. Pritchard a été traité comme un prisonnier de distinction. De plus, M. d’Aubigny est connu pour un homme sage et modéré. Si des violences ont été commises, comment se fait-il que tout le monde les ignore, excepté M. Guizot ? Quant à la durée de la détention, comment pourrait-on blâmer M. d’Aubigny d’avoir fait garder à vue M. Pritchard jusqu’au retour du gouverneur ? Du reste, cette pensée d’un désaveu partiel semble appartenir exclusivement à M. Guizot ou à ses journaux. Le ministère anglais ne paraît pas goûter cette demi-humiliation. Les feuilles de Londres qui ont distingué entre M. Bruat et M. d’Aubigny n’ont pas pris, dit-on, l’idée de cet expédient en Angleterre. Presque toute la presse anglaise demande que les deux officiers français soient désavoués.

Faut-il parler de ces révélations sinistres que les affidés de M. Guizot font tout bas à l’oreille ? Il s’agirait, suivant eux, d’une insulte au pavillon anglais ! Voilà des gens bien informés ! Comment l’Angleterre ignore-t-elle ce qu’ils savent, et, si elle en est instruite, pourquoi garde-t-elle le silence sur un pareil fait ? Pourquoi M. Guizot, de son côté, hésiterait-il à le révéler, ne fût-ce que pour simplifier sa situation ? Ces fausses rumeurs nous ont bien l’air d’être inventées pour éprouver les esprits, pour les troubler, et les préparer à l’idée d’une concession.

L’avenir nous dira quels sont les faits communiqués par lord Cowley à M. Guizot. S’ils présentent un caractère nouveau, nous les apprécierons ; s’ils s’accordent avec les détails publiés dans les feuilles anglaises et connus aujourd’hui de tout le monde, nous n’hésitons pas à déclarer, dès à présent, que les exigences de l’Angleterre n’ont rien de fondé. Lui accorder, sur de pareils motifs, la réparation qu’elle demande, ce serait une faiblesse sans excuse. Désavouer nos officiers lorsqu’ils ont fait leur devoir, lorsqu’ils ont montré de la prudence et de la fermeté, lorsqu’ils ont pris les mesures nécessaires pour épargner le sang de la France, lorsque, soutenus par une poignée d’hommes contre une population fanatique, ils ont su, à trois mille lieues de nous, garder fidèlement le poste confié à leur bravoure ; les rappeler, les frapper d’une disgrace au moins apparente, lorsque leur conduite mériterait au contraire l’approbation du gouvernement, ce serait un acte déplorable. Rapproché du désaveu qui a frappé l’amiral Dupetit-Thouars, ce nouveau coup porté à notre marine aurait des conséquences funestes. L’idée s’accréditerait de plus en plus que le bras de la France ne s’étend pas au-delà des mers pour soutenir ceux qui la servent avec honneur, que tout dévouement est méconnu, et que tout acte de vigueur est menacé d’un désaveu, s’il porte ombrage à l’Angleterre. Cette pensée jetterait l’inquiétude et le découragement chez nos marins. Le moment serait bien choisi de répandre de pareils sentimens sur notre flotte, lorsque nous avons une escadre qui croise sur les côtes du Maroc, en présence des vaisseaux de l’Angleterre !

On ne peut se dissimuler toutefois que la position de M. Guizot est délicate. Les embarras lui viennent de la conduite qu’il a tenue jusqu’ici vis-à-vis du cabinet anglais. Il est placé entre une concession humiliante ou un énergique démenti brusquement donné à toute sa politique. L’alternative est cruelle ; aussi M. Guizot paraît en proie à de vives perplexités. Il a perdu, dit-on, sa confiance accoutumée. On cite de lui des paroles empreintes d’un certain découragement. Il trahit ses inquiétudes secrètes par des mouvemens de dépit contre l’occupation de ces petites îles, d’un intérêt si méprisable à côté de la grandeur des débats qu’elles ont suscités. M. Guizot, sur ce point, ne peut accuser que lui seul. C’est chez lui qu’est née, à défaut de combinaisons plus glorieuses, l’idée bizarre de planter le drapeau de la France sur ces îlots lointains, dédaignés par l’avide Angleterre. Aujourd’hui même, après les tristes résultats de l’occupation de Taïti, on nous annonce que le pavillon français flotte sur les îles de Gambier. Demain, on nous apprendra l’occupation de quelque rocher désert, ignoré des navigateurs, dans les mers de la Chine. Voilà les conquêtes du cabinet. Cet établissement stérile de Taïti n’avait-il pas été critiqué dès le début par les esprits les plus sages ? N’a-t-on pas montré la base fragile sur laquelle il reposait ? N’a-t-on pas dit que le mode d’occupation institué sous le nom de protectorat serait insuffisant pour maintenir l’ordre dans une société sauvage, où la force exerce plus d’empire que les lois ? N’a-t-on pas vivement blâmé l’institution de cette autorité indéfinie, privée des moyens nécessaires pour résister à la violence, et destinée par la nature même des choses à renier son principe, dès que son existence serait menacée ? M. Guizot était prévenu. Il a méprisé les avertissemens qu’on lui donnait. Aujourd’hui, toutes les prédictions faites sur l’établissement de Taïti se réalisent : Le conflit élevé entre la reine Pomaré et les autorités françaises avait déjà condamné le système du protectorat : la guerre allumée par le religionnaire Pritchard, le sang de nos soldats massacrés dans des embuscades, la conspiration flagrante des missionnaires et des résidens étrangers, les prétentions annoncées par le cabinet anglais, le soin de notre sécurité et de notre dignité, rendent désormais le protectorat impossible. Ou il faut trouver le moyen de se retirer de Taïti avec honneur, ou il faut prendre la souveraineté.

Il est triste de voir, au milieu de circonstances si graves, les singulières ressources que M. Guizot emploie pour raffermir sa fortune ébranlée. Lisez les feuilles anglaises : vous aurez le secret de ses combinaisons actuelles. Vous verrez où il cherche son point d’appui. La presse anglaise, pleine d’outrages contre la France, ne tarit pas d’éloges sur M. Guizot. De sir Robert Peel ou de M. Guizot, quel est le plus grand ministre ? On s’évertue tous les jours de l’autre côté du détroit à résoudre cet important problème. M. Guizot serait le collègue de M. Peel qu’il ne serait pas mieux traité. Son éloquence, sa sagesse, sa gloire, sont un texte inépuisable de louanges. On ne devrait pas oublier son patriotisme. Si cependant toutes ces louanges venaient d’une source que M. Guizot pût avouer, si l’Angleterre en prenait seule la responsabilité, nous ne pourrions faire qu’une chose : plaindre M. Guizot d’être moins admiré chez nous que chez nos voisins ; mais qui peut ignorer maintenant l’origine de ces apologies fastueuses que deux feuilles anglaises particulièrement insèrent dans leurs colonnes avec une complaisance si méritoire ? C’est une chose sue de tout le monde. Depuis bientôt quatre ans, chacun en rit, M. Guizot peut-être tout le premier. Le procédé toutefois cesse d’être plaisant dans les circonstances où nous sommes. Cette soif indiscrète des éloges de l’étranger, ce besoin de se faire célébrer dans les feuilles anglaises au moment d’un conflit diplomatique entre les deux pays, sont de nature à irriter la France, surtout lorsqu’elle rencontre dans ces mêmes feuilles, à côté des magnifiques hommages décernés à M. Guizot, des invectives grossières dirigées contre des hommes dont elle honore le caractère et les talens. Les éloges et les outrages seraient-ils donc de la même source ? La plume qui rédige tous les jours le bulletin des victoires parlementaires de M. Guizot, qui vante sa fermeté et son courage, qui élève aux nues son génie politique, qui en fait l’homme d’état nécessaire à la paix du monde, serait-elle donc la même qui appelle M. Thiers un brouillon et un factieux, un esprit vide, un partisan de la guerre, et M. Molé l’indigne chef d’une lâche et méprisable faction, qui, de désespoir et sans scrupule, s’associe au parti de la guerre pour renverser M. Guizot ?

Si M. Molé et M. Thiers pouvaient être sensibles à ces calomnies odieuses, une chose les consolerait : c’est de voir les éloges, communiqués ou non, que les feuilles anglaises prodiguent à M. Guizot, cruellement compensés par des paroles qui doivent lui causer un déplaisir amer. « Sans doute, a déclaré lord Palmerston dans le parlement, l’intérêt de l’Angleterre veut que M. Guizot reste ministre : c’est aussi l’intérêt de la France et du monde ; mais, pour obtenir ce résultat, aucun ministre anglais ne doit sacrifier les intérêts et l’honneur de l’Angleterre. » Ce qui veut dire : nous reconnaissons volontiers que M. Guizot nous a rendu de grands services ; mais, pour avoir notre appui, il faut qu’il continue de faire nos volontés. Quelle ironie sanglante et quelle injure ! Peut-on stipuler plus outrageusement le prix moyennant lequel M. Guizot peut compter sur la bienveillance de l’Angleterre ?

Quiconque, en France, s’est senti blessé par la menace calculée de M. Peel, quiconque déclare que les faits connus ne justifient pas les prétentions du ministère anglais, quiconque cherche à fortifier M. Guizot contre des réclamations injustes et contre les entraînemens naturels de sa politique, quiconque le supplie de défendre énergiquement, selon sa promesse, l’honneur et les droits de notre marine, celui-là, des deux côtés du détroit, est accusé de vouloir la guerre. Dans les feuilles anglaises, comme dans les journaux ministériels de France, c’est le langage convenu. M. Molé, pour avoir parlé du sentiment national, est du parti de la guerre ; M. Charles Dupin, pour avoir loué nos officiers de marine, vent la guerre. M. Billault veut la guerre. Sans doute M. Fulchiron, qui n’a pas parlé, mais dont l’émotion a été remarquée pendant le discours de M. Billault, est aussi du parti de la guerre. Avons-nous besoin de dire encore une fois que ce prétendu parti de la guerre n’existe pas ? Avons-nous besoin de faire savoir au journal anglais qui s’est chargé si complaisamment de calomnier M. Molé, que l’ancien président du 15 avril est un des hommes dont la présence aux affaires sera toujours la garantie d’une paix honorable et digne entre les deux nations ? Vouloir une alliance fondée sur une estime mutuelle et sur un respect réciproque, vouloir une balance égale dans les relations des deux pays, vouloir qu’il n’y ait pas, d’une part, un empressement indiscret, un abandon irréfléchi, source d’infériorité, et de l’autre une certaine présomption et une tendance à tout exiger, suite nécessaire de la facilité à tout obtenir ; vouloir que le gouvernement de la France, imitant la prudence de l’Angleterre, ne se lie pas les mains à chaque instant, comme cela est arrivé pour la convention des détroits, pour le droit de visite, pour Taïti, pour le Maroc ; vouloir, en un mot, du côté de la France, dans ses rapports avec l’Angleterre, une politique qui sache ganter son secret, qui reste indépendante sans être ombrageuse, qui soit un bouclier pour le pays, et vouloir, du côté de l’Angleterre, dans ses rapports avec la France, une politique plus mesurée dans son langage et dans ses actes, est-ce là vouloir la guerre ? N’est-ce pas, au contraire, vouloir un système favorable à l’harmonie des deux peuples, le seul capable d’apaiser l’irritation causée par la fausse attitude de leurs gouvernemens ?

Ce système est celui des hommes que les journaux dévoués à la fortune de M. Guizot attaquent violemment aujourd’hui ; il est facile de comprendre dans quel but. On les calomnie parce qu’on les redoute plus que jamais. On sait que leur entrée au pouvoir aurait l’assentiment de la majorité ; les chambres, en se séparant sous une impression douloureuse, ont témoigné au cabinet des dispositions ; qui l’inquiètent vivement pour l’avenir. Plusieurs membres du parti conservateur n’ont pas dissimulé leur regret d’avoir laissé vivre le ministère en dépit des dissidences nombreuses qui les séparent de lui depuis long-temps. Ils ont exprimé des craintes, sinon sur les intentions réelles de l’Angleterre, qui rencontre du côté des États-Unis et de l’Irlande des motifs sérieux pour vouloir le maintien de la paix, du moins sur la marche même de M. Guizot, désormais engagé par ses fautes dans une voie où il lui est peut-être impossible d’arrêter le mal et de faire le bien. La couronne, dit-on, a daigné entendre de nombreuses confidences à ce sujet. Voilà ce qui nous a valu le plaisir de voir M. Guizot porté aux nues dans les feuilles anglaises, et ce qui a ressuscité tout à coup dans les journaux ministériels de Paris le fantôme du parti de la guerre !

La session est close en France ; elle se termine en Angleterre. Les deux cabinets vont se trouver en présence. M. Guizot paraît penser que cette situation vaut mieux pour lui. Il aura plus de liberté dans ses mouvemens ; n’étant plus poussé par la tribune, il demandera du temps, et le temps, comme on dit, est un grand maître. Nous reconnaissons volontiers que M. Guizot peut se féliciter du départ des chambres, il a beaucoup de raisons pour cela. Le pays partagera-t-il son sentiment ? C’est autre chose. L’attitude prise dès le premier jour par le parlement français était une garantie que les négociations seraient sagement et honorablement conduites tant qu’il serait assemblé. Fera-t-on librement en son absence ce qu’on eût été forcé de faire devant lui ? L’avenir décidera cette question. Quoi qu’il en soit, M. Guizot nous permettra de considérer comme un heureux hasard que la question de Taïti soit venue en France la veille de la clôture de la session, au lieu du lendemain. Qui sait ? sans les paroles de M. Charles Dupin, de M. Molé et de M. Billault, le Moniteur nous aurait déjà peut-être annoncé le rappel de M. d’Aubigny.

À côté de cette grave affaire de Taïti, la plupart des autres questions débattues entre la France et l’Angleterre ont perdu momentanément leur importance. Les explications données par lord Aberdeen sur l’affaire du Maltais de Tunis ont passé inaperçues. Il résulte cependant des paroles assez aigres de lord Aberdeen qu’il a été sur le point de demander à M. Guizot le désaveu de notre consul à Tunis. C’eût été l’occasion d’un nouveau conflit. Le coupable, jugé par un tribunal de Tunis, malgré l’intervention de notre consul, a subi sa condamnation. L’exécution ayant eu lieu, lord Aberdeen déclare qu’il s’est contenté d’adresser à notre gouvernement des représentations énergiques. Lord Beaumont eût voulu une réparation.

La question du droit de visite a été encore agitée. M. Guizot s’est prononcé d’une manière assez explicite à la chambre des pairs. Son langage, rapproché des circonstances nouvelles, qui ne paraissent pas de nature à diminuer ses embarras dans cette question, mérite d’être remarqué. Il déclare qu’il a pris au sérieux le vœu national, et qu’il s’efforce de le faire prévaloir ; il agit, dit-il, devant le cabinet anglais comme il a parlé dans les chambres. Les négociations sont ouvertes ; il espère qu’elles auront atteint un résultat à l’ouverture de la session prochaine. Pour justifier cette espérance, M. le ministre des affaires étrangères a parlé des instructions que le gouvernement anglais vient d’adresser à ses croiseurs. Ces instructions sont sages ; mais l’Angleterre, en les publiant, n’a rien fait pour alléger le fardeau de M. Guizot. La mission qu’il a reçue des chambres n’est pas de réclamer des améliorations réglementaires dans l’exercice du droit de visite ; il a pris l’engagement d’en réclamer la suppression. Sur ce point, il n’a rien obtenu. L’opinion anglaise lui oppose toujours une résistance énergique. Son langage n’a pas varié depuis trois ans. C’est toujours la même manie de nous supposer des répugnances pour l’abolition de la traite, et de nous croire à la merci des passions coloniales. L’ambition maritime et commerciale, mal déguisée sous de vains prétextes de philanthropie, maintient ses exigences. L’orgueil britannique ne se dément pas. Récemment, un journal anglais, parlant des instructions données aux croiseurs, lesquelles ont tout simplement pour but de leur commander d’être polis en visitant les navires, déclarait que l’Angleterre ne peut pousser plus loin l’abandon de toute prétention à la suprématie maritime. Quelle condescendance en effet, et quel effort d’humilité ! Les croiseurs anglais consentiront à changer leurs façons arbitraires pour des manières polies et mesurées : voilà ce qu’on appelle en Angleterre une concession immense ! La marine anglaise veut bien désormais se montrer discrète dans l’exercice du droit de visite : c’est la preuve qu’elle abdique toute prétention à l’empire des mers ! De pareilles dispositions, jointes à des difficultés politiques devenues si grandes pour M. Guizot, peuvent inspirer des doutes sur le succès des négociations qu’il poursuit pour obtenir la révision des traités. L’œuvre paraît au-dessus de ses forces. Cependant les chambres attendent l’accomplissement des devoirs qu’elles lui ont imposés. La France ne peut consentir à aliéner l’indépendance de son pavillon.

Si la France a ses embarras, l’Angleterre a les siens. Sans parler de ceux que nous lui donnons, bien malgré nous, et qui sont l’effet d’une politique dont nous souffrons pour le moins autant qu’elle, son attention est dirigée sur plusieurs points qui provoquent de sa part des réflexions sérieuses. Aux États-Unis, ses intérêts sont menacés. Pour se concilier les états de l’Union, elle leur a fait des concessions de territoire qui n’ont pas suffi à l’ambition américaine. Le territoire de l’Oregon devient l’objet d’un nouveau litige qui peut amener des complications graves. Ce n’est pas tout. La grande question qui divise l’Angleterre et l’Amérique est l’annexation du Texas. Source de rivalités et de déchiremens dans le sein de l’Union, l’affaire du Texas, pour l’Angleterre, est une lutte d’intérêts commerciaux et maritimes avec les États-Unis. Si le Texas est annexé à l’Union, les états du sud, qui regorgent d’esclaves, en peupleront les déserts de cette vaste contrée, grande comme le tiers de la France ; ce sera un nouveau marché destiné à la traite. Secondé par les habitudes rapaces et violentes des hommes du sud, l’esclavage se développera sur les bords du golfe du Mexique, et prendra possession d’un territoire d’où l’on ne pourra l’extirper que par la guerre. Ce sera un coup mortel porté à la politique abolitioniste de l’Angleterre. En outre, le voisinage de la race américaine sera funeste au Mexique ; tôt ou tard la race mexicaine, faible et dégénérée, sera refoulée dans l’isthme, et le commerce de l’Angleterre en éprouvera un dommage immense. Aussi l’annexation du Texas est l’objet d’attaques universelles dans les journaux anglais. Les agens de l’Angleterre, répandus dans les états de l’Union, fomentent la discorde entre les partis, et se mêlent ouvertement à une lutte violente, dont l’issue est encore douteuse. Chez elle, l’Angleterre trouve une plaie plus grande. C’est l’Irlande, la malheureuse Irlande, plongée aujourd’hui dans un morne abattement, prête à se réveiller demain, si la voix de son agitateur retentit, et à former autour de lui des rassemblemens nombreux comme des armées. L’Irlande, du reste, par un singulier retour de fortune, pourrait être appelée à profiter des embarras présens de l’Angleterre. Le parti tory, son implacable ennemi, semble ne pas repousser l’idée qu’il serait temps enfin de fermer ses blessures. Un voyage de la reine en Irlande., un acte de clémence en faveur d’O’Connell et de ses amis, quelques mesures destinées à diminuer la misère du pays, voilà, d’après certains indices, le plan qui serait sérieusement discuté aujourd’hui, dans le but de calmer l’agitation du rappel, et d’étouffer les élémens d’une guerre civile. Le gouvernement de la Grande-Bretagne, devenu plus libre, fixerait alors ses regards vers les États-Unis et vers la France. S’il en devait être ainsi, nos démêlés diplomatiques avec l’Angleterre seraient moins regrettables. Ils auraient eu du moins pour résultat de mettre fin à la plus grande injustice qui ait jusqu’à présent flétri l’honneur d’un peuple.

Un autre point préoccupe encore l’Angleterre, c’est la Grèce. Son influence y est menacée par la chute probable de M. Maurocordato et de ses collègues. L’Angleterre devra s’attribuer en partie cet échec. M. Maurocordato, en entrant au pouvoir, annonçait un esprit droit, des vues libérales, de la modération, un patriotisme éclairé, sachant apprécier les véritables intérêts de la Grèce. Des conseils imprudens l’ont jeté dans une mauvaise voie. M. Lyons en sait quelque chose. Les circonstances vont donner à M. Piscatory un nouveau rôle. Il ne s’est associé sans doute jusqu’ici à M. Lyons que pour ne pas compromettre par des dissidences inopportunes l’œuvre difficile d’un gouvernement nouveau, incertain dans sa marche. Aujourd’hui, si M. Coletti triomphe, et s’il a, comme on l’annonce, la ferme volonté de rester indépendant de la Russie, la situation de M. Piscatory cesse d’être indécise. Son influence doit dominer. M. Lyons en acceptera-t-il la solidarité ? Suivra-t-il à son tour l’exemple de prudence et de désintéressement que lui a donné le ministre de France ? Ceux qui connaissent M. Lyons et les instructions qu’il reçoit de l’Angleterre n’osent pas l’espérer.

L’opinion, en France, s’est occupée du voyage de M. de Nesselrode à Londres. M. Billault en a parlé à la tribune. Le diplomate du Nord va-t-il remercier l’aristocratie anglaise de l’accueil empressé qu’elle a fait à l’empereur Nicolas ? Va-t-il, à la faveur des démêlés récens de la France avec l’Angleterre, reprendre l’œuvre de M. de Brunow ? A-t-il reçu l’ordre de se concerter avec le cabinet anglais sur les questions de l’Orient, de la Grèce et du Maroc ? Nous ne pouvons dire qu’une chose à ce sujet : c’est que le moment du voyage est admirablement choisi. Nous pensons que cet incident diplomatique n’est pas indigne de l’attention des gens sérieux.

Pendant que M. de Nesselrode est à Londres, on se demande en France si le roi Louis-Philippe ira voir en Angleterre la reine Victoria. On ne peut se dissimuler que l’affaire de Taïti a rendu ce voyage assez problématique. Si la réparation que l’Angleterre exige est accordée, le voyage sera peu populaire en France ; si la réparation est refusée, l’accueil de l’Angleterre ne pourra pas être très empressé. Néanmoins, les personnes qui se prétendent bien informées persistent à dire que le voyage se fera au mois d’octobre. S’il se fait, puisse-t-il avoir du moins un résultat sérieux ! Puissent les deux couronnes, noblement inspirées, comprendre que l’alliance des deux peuples, pour être solide, doit revêtir un autre caractère ; qu’il faut la faire sortir de ce cercle étroit où on l’a renfermée ; que les deux gouvernemens s’abaissent dans cette politique d’observation mutuelle, de surveillance réciproque et de prétentions mesquines, que l’on a voulu nommer l’entente cordiale ! Lorsque, le lendemain de la révolution de juillet, l’Angleterre et la France, marchant de concert, protégeaient le réveil des institutions libres en Belgique, en Portugal, en Espagne, leur union était plus puissante qu’aujourd’hui, et on n’avait pas cependant songé à lui donner une dénomination pompeuse. Elle était forte, parce qu’elle reposait sur de grands intérêts. Elle avait une base ; or, c’est justement ce qui manque aujourd’hui. Avec le seul intérêt d’avoir pour ministres d’un côté M. Peel, de l’autre M. Guizot, vous ne ferez pas ce qui peut s’appeler légitimement une alliance entre deux peuples. Vous ne ferez qu’un contrat entre des ambitions égoïstes. Voulez-vous unir solidement l’Angleterre et la France, associez-les dans une grande cause ; cherchez pour elles une grande entreprise, qui soit l’objet d’une émulation généreuse. Alors les passions des deux peuples, ainsi poussées au dehors et dirigées vers un noble but, produiront une intimité forte et durable, au lieu de ces tiraillemens perpétuels et de ces malentendus que nous voyons aujourd’hui.

On annonçait, depuis plusieurs jours, la paix avec le Maroc ; on disait que l’empereur accordait à la France les satisfactions demandées ; on ajoutait qu’un courrier, parti hier de l’hôtel des affaires étrangères, était allé porter à Madrid, au duc de Glucksberg, les pouvoirs nécessaires pour ratifier les conventions arrêtées par notre consul, M. de Nyon ; la paix semblait certaine, et voilà que tout à coup on apprend ce soir, à Paris, qu’une dépêche télégraphique vient d’apporter la nouvelle du bombardement de Tanger. Les satisfactions offertes par l’empereur n’ayant point paru suffisantes, M. le prince de Joinville, dit-on, a bombardé les défenses de la ville. On assure que la place renfermait quatre-vingts pièces de canon et un matériel de guerre considérable. Le prince de Joinville aurait renversé les fortifications établies par les Marocains du côté de la mer. En l’absence de tous renseignemens officiels, nous ne voulons pas calculer aujourd’hui la portée d’un évènement si grave et si imprévu.




L’histoire de nos provinces est encore à faire ; d’utiles et intéressans travaux viennent cependant chaque jour jeter de nouvelles lumières sur cette partie curieuse et peu connue des annales de la France. La province a déjà vu paraître plusieurs monographies remarquables : c’est tantôt l’histoire littéraire, tantôt l’histoire politique, qui ont été l’objet de patientes recherches. La Normandie, la Bretagne, la Flandre, ont eu leurs critiques et leurs historiens qui, le plus souvent inspirés par les souvenirs de la localité, ont porté dans leurs travaux une ardeur et une persévérance dignes d’encouragemens. L’Alsace a aujourd’hui son tour, grace à M. le baron Hallez-Claparède, qui publie sous ce titre : Réunion de l’Alsace à la France[1], une histoire abrégée du pays jusqu’aux dernières années du XVIIIe siècle. Parmi toutes nos provinces, l’Alsace est l’une des dernières qui soient entrées dans l’unité française ; sur aucun point du territoire, peut-être, le travail de centralisation n’a été plus rapide, et l’on peut dire que la fusion du génie français et du génie allemand s’y est opérée avec un bonheur inattendu. M. Hallez-Claparède a étudié avec amour l’histoire de la province dont il est un des enfans ; c’est une noble intention qui a conduit sa plume. « Nous avons à cœur, dit-il, de montrer la part de forces et de richesses que l’Alsace a apportée à la France, la part de force et de grandeur qu’elle a reçue d’elle. » Cette tâche ainsi comprise, M. Hallez-Claparède a montré qu’il pouvait l’accomplir. L’ouvrage qu’il publie ne doit cependant être considéré que comme la première partie d’un travail qui, nous l’espérons, sera terminé. M. Hallez a raconté l’histoire de l’Alsace avant la réunion à la France ; il reste à montrer comment cette réunion s’est accomplie, consolidée ; comment l’influence des idées françaises est venue, au XVIIIe siècle, compléter l’œuvre de la diplomatie du grand roi. Cette dernière partie de l’histoire n’est pas la moins curieuse ; il appartient à M. Hallez de l’écrire, et de donner ainsi une étude complète sur l’une de nos plus intéressantes provinces. En attendant, son livre mérite le succès légitime qui a déjà, sur plusieurs points de la France, accueilli, dans les essais d’histoire locale, de savantes recherches et de précieux documens pour l’histoire de l’unité française.

— Depuis les Fiancés, l’Italie a vu paraître beaucoup de romans historiques, le genre a pris faveur. Des essais heureux témoignent de l’aptitude qu’ont les Italiens pour transformer en narrations animées les pages sévères de l’histoire, et ce mouvement remarquable mérite d’attirer notre attention. Parmi les ouvrages traduits récemment de l’italien, et dont la critique doit s’occuper, il faut placer le nouveau roman de M. d’Azeglio, les Derniers Jours d’un Peuple. Le peuple dont M. d’Azeglio évoque ici le souvenir, c’est le peuple de Florence ; on sait qu’au XVIe siècle la république florentine succomba sous les efforts combinés de Charles-Quint et de Clément VII. Ce grand évènement a heureusement inspiré M. d’Azeglio. On reconnaît dans son livre un talent formé à l’école de Manzoni. Uni par des rapports intimes à l’auteur des Fiancés, M. d’Azeglio se rattache encore à l’illustre écrivain par une sorte de parenté intellectuelle. L’influence de Manzoni a marqué de son cachet les œuvres qu’il a produites. Seulement, chez M. d’Azeglio, on remarque une tendance prononcée à développer le fond historique où vient s’encadrer la fiction. Il transporte volontiers le drame sur le grand théâtre des évènemens ; il suit le pape et l’empereur sur les champs de bataille où s’agitent les destinées de l’Italie. Ses romans ne sont point une imitation servile ; nés, pour ainsi dire, dans l’école et sous le regard de Manzoni, ils conservent cependant leurs qualités propres, leur vive et réelle originalité. Le nouvel ouvrage de M. d’Azeglio, bien supérieur au premier roman de l’auteur, Ettore Fieramosca, sera lu avec attention par tous ceux qui s’intéressent aux lettres italiennes. L’élégante et fidèle traduction de ce livre est due à M. Étienne Croix. On doit encourager parmi nous les efforts qui ont pour but de répandre et de populariser la littérature actuelle de l’Italie.




  1. Un vol. in-8+, chez Franck, 69, rue Richelieu.