Chronique de la quinzaine - 14 août 1865

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Chronique n° 800
14 août 1865


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



14 août 1865.

Le fait politique important du moment, nous ne nous lasserons point de le répéter, c’est le réveil de l’esprit de spontanéité et d’initiative au sein du pays. Voilà le curieux travail que révèlent les élections significatives, celles qui se produisent dans les milieux vraiment actifs et vivans. Les seconds tours de scrutin pour les élections municipales ont confirmé nos appréciations sur les tendances de l’opinion. Ces seconds tours ont été favorables à l’union libérale, c’est-à-dire au mouvement d’opinion qui veut sincèrement rétablir, comme on l’a dit, la pyramide sur sa base, en d’autres termes faire partir du corps électoral l’inspiration et les directions qui doivent conduire le pouvoir politique et administratif. Ce qui surprend au premier aspect, c’est que ce réveil de l’esprit public ait pu se produire en l’absence de ces libertés politiques que M. Thiers a si heureusement appelées les libertés nécessaires, sous un régime de restrictions qui annulent le droit de réunion, et qui enlèvent à la presse la première vertu de la fonction qu’elle est appelée à exercer dans les sociétés modernes, qui est de fournir aux citoyens un moyen facile et rapide de concert et d’action commune. Il s’est fait là, tandis que peu de gens y songeaient ou le prévoyaient, une sorte de travail instinctif, sourd, latent. Ainsi commence le progrès d’une réaction inévitable et irrésistible. C’est de cette façon qu’agissent les lois de la nature, inflexibles et silencieuses, sans avoir besoin d’aide et sans céder aux obstacles. Qu’on en prenne donc son parti : s’il y a eu excès dans les privilèges et les prérogatives que le pouvoir s’est donnés en France depuis quatorze ans, le pays commence à ressentir cet excès ; l’opinion publique, manifestée par les élections, semble dire que le tour de la liberté est enfin venu, et que ce n’est plus maintenant au pouvoir de faire des conquêtes.

Ce qui nous plaît dans cette évolution libérale, c’est qu’elle n’a rien d’orageux, rien d’inquiétant, et que, pour parler trivialement, elle commence par le bon bout Nous y pouvons entrer avec cette calme et sereine ardeur que donnent au savant, dans l’étude de la nature, la certitude de l’expérience et l’enthousiasme de l’inconnu, exprimés ici naguère en si beaux termes par M. Claude Bernard. Les institutions dans lesquelles se meut un peuple sont un laboratoire où se poursuit, à travers cette série d’expérimentations qui forme l’histoire, le progrès continu de la science politique et sociale. S’il est un fait démontré par l’expérience, au-dessus de toute contestation, c’est qu’en France les institutions donnent au pouvoir une prépondérance excessive dans le gouvernement et dans l’administration, et que la spontanéité nationale et le libre et original développement des individus sont trop comprimés par l’appareil gouvernemental. Tous les esprits élevés et désintéressés qui se sont appliqués à la politique depuis soixante ans, tous ceux qu’on peut appeler nos philosophes politiques, ont vu, décrit, dénoncé le mal et le péril. Sous la restauration, Royer-Collard montrait dans son grand et fier langage les libertés de la charte étouffées par la grande machine du despotisme qu’il appelait la centralité, et que nous nommons la centralisation. Au lendemain de 1852, notre Tocqueville nous replaçait en face de notre histoire, et nous faisait voir dans la centralisation révolutionnaire et impérialiste la résurrection ou plutôt la continuation rétrograde du despotisme de l’ancien régime. Mais en politique il ne suffit point que le faux et le vrai soient découverts par les grands esprits ; il faut que l’erreur soit comprise, que la vérité soit reconnue et voulue par les masses. Ce qui se passe dans les manifestations électorales de la France depuis deux ans est de nature à nous donner l’espoir qu’à cet égard l’esprit public prendra le bon chemin. On se met en train de réagir contre la tutelle abusive du pouvoir, et la réaction commence d’une façon toute pratique, aux premiers degrés de la vie publique. Les grandes villes protestent contre l’intervention impérieuse des préfets dans l’élection des députés ; les communes importantes veulent prendre plus d’influence dans l’administration de leurs affaires : elles disent clairement qu’elles veulent avoir à leur tête des maires appelés par le suffrage de leurs concitoyens, et non plus exclusivement élevés et choisis par l’autorité d’en haut. C’est donc par la vie municipale que la vie publique semble vouloir renaître : tendance excellente, et qui rend singulièrement encourageans les symptômes qui se manifestent à la surface du pays.

Ce serait pourtant se montrer inattentif que d’attribuer exclusivement à un mouvement latent, confus, qui s’ignorerait lui-même, l’état des esprits sur lequel nous insistons. Le grand intérêt de la décentralisation est l’objet actuel des préoccupations réfléchies des hommes politiques qui revendiquent pour la France le droit, l’honneur et la sécurité de se gouverner elle-même. Montaigne a lancé avec une plaisante drôlerie d’esprit un de ses plus vifs paradoxes contre les législations politiques artificielles, et il a intitulé cette sortie humoristique : des Cannibales. Rencontre piquante et que M. Montégut eût pu indiquer dans son ingénieuse hypothèse sur la Tempête de Shakspeare, le grand poète anglais a traduit dans le second acte de cette ravissante comédie un morceau du chapitre des Cannibales. Le livre de Montaigne était une des lectures favorites de Shakspeare. Les Essais furent traduits en anglais en 1603 par Florio ; parmi les raretés les plus curieuses que possède la bibliothèque du British Museum se trouve l’exemplaire de la traduction de Florio qui a appartenu à Shakspeare, avec la signature du poète. D’une boutade de Montaigne, Shakspeare a fait le plan de république utopique qu’il a mis dans la bouche de Gonzalo. La république que la verve de Montaigne imaginait chez les cannibales, et que Gonzalo voulait établir dans l’île de Prospéro, peut se définir du nom de celle de M. Proudhon, l’anarchie. « C’est une nation, dirais-je à Platon, — ainsi parle Montaigne en belle humeur, — à laquelle il n’y a aucune espèce de trafic que, nulle cognoissance de lettres, nulle science de nombres, nul nom de magistrat, ny de supériorité politique, nul usage de service, de richesse ou de pauvreté ; nuls contrats, nulles successions, nuls partages, nulles occupations qu’oysifves, nul respect de parenté que commun ; nul vestemens, nulle agriculture, nul métal, nul usage du vin ou du bled ; les paroles mesmes qui signifient le mensonge, la trahison, la dissimulation, l’avarice, l’envie, la détraction, le pardon, inouyes. Combien trouveroit-il la république qu’il a imaginée esloingnée de cette perfection ! » Enchanté de ses cannibales, le Gascon s’écrie : « Tout cela ne va pas trop mal ; mais quoy ! ils ne portent point de hault de chausses. » Ce qui séduisait Montaigne chez ses sauvages, c’est que leur société « se peust maintenir avec si peu d’artifice et de soudure humaine. »

C’est de cette soudure par laquelle s’obtient la cohésion de la société politique qu’il est aujourd’hui question parmi nous. Il s’agit d’en trouver une qui soit plus humaine, moins artificielle que celle qui nous tient en nous contraignant à une passive inertie. Un peuple vivant est une vaste association d’associations particulières : c’est surtout du mode suivant lequel les associations particulières se lient et se fondent dans l’association générale que dépend la liberté d’un peuple. Les associations administratives et politiques déterminées par le fait de la cohabitation sur une certaine étendue de territoire se classent dans la proportion de cette étendue. La première de ces associations, la plus naturelle, est la commune. L’histoire, la géographie, les variétés de races et de langues, avaient autrefois constitué chez nous les provinces ; mais la tradition provinciale a été brisée par la révolution française. Entre les associations communales et la grande association, qui est l’état, il y a place pour des associations intermédiaires. Chez nous, de la commune à l’état, la gradation est établie par ces formes d’association que l’on appelle le canton, l’arrondissement, le département. Comment faut-il attacher en faisceau ces divers organismes de la vie collective du pays ? Il se trouve en France que, par l’effet soit des routines du despotisme de l’ancien régime, soit des nécessités de circonstance créées par des l’évolutions soudaines, soit de l’ambition jalouse de pouvoirs nouveaux qui croient rendre leur autorité plus vigilante et plus stable en l’étendant partout, l’organisation des groupes politiques et administratifs s’est faite de haut en bas, s’est constituée à priori. Tout est parti, tout part du pouvoir central. Le pouvoir central est présent, est maître dans le département, dans l’arrondissement, dans la commune. On a bien supposé en principe que les divers groupes devaient avoir une vie propre et exercer cette vie par des représentans ; mais en pratique on a voulu que le premier et le dernier mot appartinssent à l’agent du pouvoir central placé à la tête de chaque groupe, et ces groupes, frappés d’une minorité perpétuelle, ont été placés sous la tutelle de l’état. Ce système et ce régime sont la centralisation, sous laquelle s’éteint toute spontanéité locale et s’alanguit chez nous la vie publique. Cette façon de construire l’état à priori et de haut en bas est artificielle : c’est la centralisation dans le mauvais sens du mot. La méthode naturelle, — une fois bien définis et délimités les attributions et les droits de l’état, du département, de la commune, — est au contraire de faire partir la vie de la base pour la conduire au sommet. Que chaque groupe vive de sa vie propre et spontanée, et se rattache harmonieusement et librement à l’unité centrale par un lien élastique et souple, que la commune et le département s’administrent eux-mêmes autant que possible et soient administrés par l’état le moins possible, voila ce qu’on demande sous le nom de décentralisation. Et ici il ne faut point prendre le change et confondre certains effets matériels avec l’essence même de la centralisation abusive. Un des inconvéniens pratiques de la centralisation est de nuire à la prompte et logique expédition des affaires en les obligeant à passer par la longue filière de la hiérarchie administrative. Quelques-uns, le gouvernement entre autres, ont souvent l’air de croire que l’on a suffisamment décentralisé quand on a dispensé les affaires de subir l’action de certains rouages qui les ralentissaient, quand par exemple on en a transporté la décision finale du ministre au préfet. L’accroissement des attributions et de l’autorité du préfet aux dépens du pouvoir ministériel n’a rien à faire avec la décentralisation morale que poursuivent les esprits libéraux. La décentralisation que l’on demande aujourd’hui pour la France, c’est la réduction du pouvoir des agens de l’autorité centrale au profit des représentans élus des associations locales, à propos des intérêts et des questions qui touchent directement ces associations. Ce que l’on veut, c’est l’émancipation du département et de la commune.

Cette émancipation nécessaire mûrit sous nos yeux. Elle n’est plus une aspiration vague et paresseuse ; elle se présente à nous comme un plan délibéré répondant aux nécessités pratiques et actuelles de la question. Nous avons à signaler ici une des tentatives les plus intéressantes et les plus louables de notre temps. Il s’est trouvé dans un de nos principaux chefs-lieux de département, à Nancy, une réunion d’hommes qui n’ont perdu ni le goût, ni l’intelligence, ni le zèle des choses politiques, et qui se sont résolument attaqués à la question de la décentralisation. La réunion de Nancy n’est point composée d’enthousiastes et d’utopistes ; elle est formée de propriétaires, d’anciens représentans, d’anciens fonctionnaires, de membres de conseils-généraux et de conseils municipaux. Elle s’est mise à étudier la réforme départementale et communale avec le calme, le soin des détails, le sens pratique qu’apporterait dans une telle investigation une section du conseil d’état ou une commission législative. Jamais l’agitation d’une grande question politique n’a eu un début plus paisible, plus raisonnable, plus ferme et plus modeste. La réunion de Nancy, en même temps qu’elle signalait le mal, a indiqué le remède efficace, non à l’aventure, mais en se fondant sur les rapports naturels des choses, en s’appuyant sur des exemples positifs, sur des expériences certaines chaque jour accomplies à côté de nous par des populations libérales qui parlent notre langue. Il y a peu de mois, elle publiait sous forme de brochure le résultat remarquable de son travail ; elle nous en donne aujourd’hui une nouvelle édition. Nous croyons qu’elle a trouvé la bonne soudure. Ou nous nous trompons fort, ou le Projet de Décentralisation de Nancy, semblable à une de ces œuvres animées de l’amour du bien public qui parurent avant la révolution française, est destiné à avoir un retentissement considérable.

La publication de la réunion de Nancy est en effet une tentative féconde qui a déjà produit une des manifestations politiques les plus intéressantes et les plus utiles qu’on ait vues en France depuis longtemps. Les représentans les plus éminens de nos grandes opinions se sont rencontrés sur le terrain ouvert par les pionniers de Nancy. La nouvelle édition du projet renferme un grand nombre de lettres où se concilient, par un mouvement naturel de raison et de cœur, des hommes politiques appartenant aux partis les plus divers. On dirait que la réunion de Nancy a convoqué un vaste meeting pour agiter la question de l’émancipation du département et de la commune, que les premiers hommes du pays ont tenu à honneur de répondre à son appel, et que la nouvelle brochure est le compte-rendu de leurs discours. Là ont parlé M. Odilon Barrot et M. Jules Favre, M. le duc de Broglie et M. Carnot, M. Guizot et M. Garnier-Pagès, M. Berryer et M. Eugène Peiletan, M. Duvergier de Hauranne et M. Jules Simon, M. Dufaure et M. Magnin ; là nous entendons les voix de ces anciens représentans, de ces citoyens honnêtes rentrés dans la vie privée depuis 1862, et qui conservent le feu sacré au fond de nos départemens, tels que M. J. Chauffour, de Colmar ; là enfin, et nous ne nommons point tout le monde, des hommes plus jeunes, MM. Paul Andral, Lanfrey, Jules Ferry, s’expriment sur la question des libertés locales avec une fermeté de vues et une décision de langage qui sont d’un bon augure pour l’avenir de cette cause. Nous avons surtout remarqué parmi ces dernières adhésions la discussion nette, énergique, de M. Jules Ferry. Il est impossible que le public ne soit point frappé d’une manifestation de cette importance, et que l’exemple des conciliations opérées ainsi par les vues droites et les sentimens dignes ne porte point d’heureux fruits dans la conscience du pays.

Au surplus, tout se réunit pour mettre à l’ordre du jour la question de la décentralisation. La marche des esprits se rencontre en ce point avec les essais mêmes tentés par le pouvoir pour écarter quelques-uns des abus matériels de la centralisation excessive. On se souvient que le gouvernement avait, dans la dernière session, présenté au corps législatif un projet de loi sur les conseils-généraux. On n’a pas eu le temps de voter ce projet cette année-ci ; on le discutera infailliblement l’année prochaine. En attendant, les conseils-généraux vont se réunir dans peu de jours, et il semblerait opportun que ces conseils fissent entendre des observations raisonnées sur une mesure qui les touche de si près. M. de Montalivet a compris cette opportunité et n’a point hésité à soumettre aux conseils-généraux, sous la forme d’une Note à consulter, les réflexions qu’une étude très attentive du projet de loi lui a inspirées. C’est avec une grande autorité que M. de Montalivet s’adresse aux représentans de nos départemens, et la question particulière sur laquelle il appelle leur attention est fort sérieuse. M. de Montalivet n’est pas seulement le fils d’un ministre de l’Intérieur du premier empire qui attacha son nom à de nombreuses améliorations administratives ; il a été l’un des plus remarquables ministres de l’intérieur d’un régime libre, et c’est lui qui a proposé et promulgué la loi organique de 1838, qui régit les conseils-généraux, et dont tout le monde s’est accordé à reconnaître les bons résultats. Le fait que M. de Montalivet a tenu à mettre en lumière est une conséquence financière du projet de loi présenté au corps législatif qui n’a jusqu’à présent été relevée par personne, une question financière relative au budget départemental. Il y aurait de quoi prendre la fuite, si un autre que M. de Montalivet faisait mine de nous vouloir guider dans ce labyrinthe. N’avez-vous pas remarqué qu’une des armes les plus efficaces par lesquelles les bureaucraties défendent leurs despotiques routines, c’est la langue spéciale, l’argot particulier qu’elles inventent pour traiter de leurs affaires ? Avant de discuter avec elles, et si l’on veut saisir les conséquences de leurs actes, il faut apprendre leur vocabulaire, et elles ont bien soin de vous rebuter, dans cette étude, en rendant ce vocabulaire aussi aride, aussi fastidieux que possible. Elles se défendent avant tout contre la critique par l’immense ennui que leur technologie narcotique vous inspire. Si vous voulez par exemple vous engager dans la discussion des budgets départementaux, il faut vous jeter à corps perdu dans les catégories de ces centimes ordinaires, spéciaux » extraordinaires, etc., moins pittoresques encore que les vieux sous pour livres de notre ancien régime. La grande supériorité des financiers libéraux, c’est qu’ils ôtent au public la peine de déchiffrer ce grimoire, et qu’ils traduisent en langue vulgaire la lourde algèbre bureaucratique. Jamais dans un discours de M. Gladstone ou de M. Thiers vous n’êtes arrêté par un vilain mot de métier. M. de Montalivet participe à cette grâce d’état qui fait don de la clarté aux hommes politiques épris de la vérité, et qui se font un devoir de la rendre accessible à tous. Quand on connaît l’état de souffrance physique dans lequel M. de Montalivet est depuis plusieurs années, on admire cette chaleur de sentiment qui l’anime pour le bien public, cette ardeur et cette activité d’esprit qui luttent contre la douleur et la dominent.

La combinaison du projet de loi que M. de Montalivet met en lumière et sur laquelle il éveille la sollicitude des conseils-généraux est celle qui porterait en fait de 112 millions à 123 les ressources mises à la disposition des départemens pour leurs dépenses. Certes M. de Montalivet ne trouve point à redire à l’augmentation de ces ressources ; cette augmentation est nécessaire. Les départemens sont en train de dépenser plus qu’ils ne reçoivent : ils s’endettent, leurs finances sont dans une situation critique, il est urgent d’accroître leurs ressources ; mais ici il y a trois questions à examiner. Quelle est la cause principale de l’accroissement inévitable des dépenses ? A qui faut-il demander les nouvelles ressources ? Où le projet de loi les prend-il ? Il est certain que l’accroissement de charges que subissent les départemens provient surtout des dépenses mixtes, c’est-à-dire de dépenses faites dans l’intérêt de l’état plus que dans l’intérêt du département, et dans lesquelles le département est substitué à l’état comme un meilleur administrateur, telles par exemple que les alignemens, loyers et ameublemens des préfectures et sous-préfectures, des cours et tribunaux, d’une partie des routes départementales, du service des aliénés et des enfans trouvés, etc. Il y a là toute une catégorie de dépenses auxquelles correspondent les centimes obligatoires, qui, par leur caractère général, ont bien plus pour objet de défrayer des services de l’état que de subvenir à des intérêts départementaux. Ces charges étant arrivées à l’excès, c’est plutôt l’état, avec son budget général, que le budget départemental qui devrait faire face à l’insuffisance des ressources. En pareil cas, l’équité, la logique, voudraient que l’état vînt au secours du département ; les précédens se prononcent pour cette politique. Sous la restauration, sous le gouvernement de Juillet, sous la république de 1848, l’état, en de telles rencontres, a toujours pris sur le budget général les secours qu’il s’est tenu pour obligé d’apporter aux départemens en détresse. Le nouveau projet de loi comprend différemment les nécessités de la situation et s’écarte des anciens précédens. Il résulterait des combinaisons annoncées par ce projet, de l’économie qu’il introduit dans la levée et la distribution des centimes, que l’accroissement d’environ 11 millions donné aux ressources départementales ne serait point emprunté au budget général, mais qu’il proviendrait d’une augmentation de 3 centimes 63 centièmes de centime prélevés sur les quatre contributions directes : foncière, personnelle et mobilière, portes et fenêtres, patentes. En d’autres termes, les contributions directes, qui, par les centimes ajoutés, subviennent seules aux budgets départementaux, seraient augmentées de près de 11 millions. M. de Montalivet déduit très habilement et très clairement cette conséquence des combinaisons du nouveau projet, et il en signale le défaut de justice et de logique avec une grande autorité. Les finances départementales sont embarrassées ; cet embarras résulte surtout de dépenses que les départemens font moins pour eux-mêmes que pour l’état. En faire supporter l’effet aux budgets départementaux contrairement aux précédens et à l’équité, c’est aussi en rejeter tout le fardeau sur les contributions directes ; c’est réellement augmenter l’impôt direct et en même temps restreindre pour l’avenir le réservoir des ressources départementales. Une pareille tendance de la loi, à laquelle on n’avait point pris garde encore, valait bien la peine d’être étudiée et indiquée aux conseils-généraux et au corps législatif. Tel est le service que M. de Montalivet nous rend à tous par sa Note à consulter. Les conseils-généraux profiteront de cette note. Il leur sera permis, nous n’en doutons point, de présenter des observations sur le projet de loi qui les concerne, leurs attributions légales les y autorisent ; puis il ne s’agit point là d’un intérêt de parti : l’intérêt public est seul en jeu. C’est une de ces questions dans la solution desquelles, pour nous servir du mot heureux et conciliant de la circulaire de M. de Lavalette sur les élections municipales, il ne saurait y avoir ni vainqueurs ni vaincus.

En cette saison d’universel repos, la diplomatie allemande occupe seule la scène. Nous avons eu raison de ne point trop nous alarmer du conflit qui paraissait s’être engagé dans ces derniers temps entre l’Autriche et la Prusse. Au fait, la guerre que les journaux allemands ont paru craindre pendant quarante-huit heures n’eût pu éclater que si M. de Bismark l’eût voulue quand même. Il aurait fallu pousser l’Autriche à bout et lui faire un outrage prémédité pour lui mettre les armes à la main. Nous ne savons quels ménagemens M. de Bismark a daigné avoir pour l’amour-propre autrichien. Il est heureux pour l’humanité que ce terrible ministre ne soit point un grand général ; sans cela, les choses étaient disposées de telle sorte que nous eussions bien pu avoir une représentation complète en plein XIXe siècle de la politique de Frédéric II, un coup de rapine cyniquement préparé dans le cabinet et achevé par quelque hardie manœuvre sur le champ de bataille. Nous l’avons échappé belle. Et cependant que pourrait désirer de plus pour la confusion de notre époque le plus narquois des sceptiques que le spectacle auquel nous avons assisté depuis deux ans dans cette affaire des duchés ? Est-il rien de plus prodigieux, de plus inouï que le rôle joué par le cabinet de Berlin ? Quel empressement à saisir les faux prétextes ! quelle confiance dans la dissimulation ! quel sans-gêne à confesser le mensonge quand on ne voit plus d’Intérêt à déguiser la vérité ! Une guerre est entreprise contre un petit royaume accusé d’usurper des provinces dont on mettait en avant le propriétaire soi-disant légitime ; les provinces conquises, les prétendans sont écartés, personne n’avait droit aux duchés que ceux à qui on vient de les dérober, on l’avoue et l’on proclame qu’il n’y a plus qu’un droit, celui que l’on puise dans le traité imposé au vaincu ! L’Allemagne, mystifiée la première dans les aspirations de ses radicaux et les prétentions vaniteuses de ses états secondaires, voit cela et s’y résigne ; la France voit cela et se console en cultivant sa gloire ; l’Angleterre voit cela et se félicite de réduire ses taxes et d’étendre son commerce. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, et le XIXe siècle est l’heureux imitateur du XVIIIe. Il faut que dans notre Europe la forme monarchique soit douée d’une vitalité bien puissante pour qu’elle puisse survivre à de pareilles prouesses d’Immoralité.

Ce n’est point nous qui accuserons l’Autriche de faiblesse, si elle se montre dans cette circonstance trop complaisante pour la Prusse. L’Autriche est à coup sûr le gouvernement en Europe qui a le plus de droit au repos et qui est le plus autorisé à sacrifier son amour-propre à sa tranquillité. Nous sommes de ceux qui souhaitent que l’empire autrichien s’occupe de son gouvernement intérieur, et nous faisons des vœux pour le succès de l’expérience qui y commence à l’heure présente. Que le gouvernement autrichien se réconcilie donc sincèrement et pleinement avec les nationalités généreuses et énergiques qui peuvent s’associer à ses destinées ! Ce travail de réconciliation est déjà en train de réussir en Hongrie ; le comte Belcredi le poursuivra aussi dans les provinces dont l’administration lui est particulièrement confiée. La circulaire par laquelle il a inauguré son arrivée au pouvoir annonce des intentions excellentes, et rompt d’une façon heureuse avec le despotisme bureaucratique. On s’attendait à voir le nouveau cabinet signaler son avènement par de larges mesures de clémence envers les prisonniers politiques. Ces amnisties eussent été surtout bienvenues dans les provinces polonaises, et certes le gouvernement autrichien doit aux Polonais de sérieuses réparations. Toute l’Europe a vu les encouragement que le cabinet de Vienne donna d’abord aux mouvemens de la Pologne. Les autorités locales fermaient les yeux sur le concours que les Galiciens prêtaient à l’insurrection. La Galicie n’eût pas pu demeurer une semaine la base d’opération des insurgés sans la connivence tacite du gouvernement autrichien. Comment les Galiciens n’eussent-Ils pas vu dans cette connivence une sorte d’approbation secrète ? On se souvient aussi que, lorsqu’il fut démontré que les puissances occidentales ne tenteraient rien pour la Pologne, la politique changea soudainement. Il fallut alors conjurer le ressentiment de la Russie, apaiser un si dangereux voisin, lui donner des gages. Il fallut apprendre aux Galiciens que le gouvernement ne couvrait plus de sa tolérance les expéditions entreprises sur la frontière. L’avertissement fut cruel. On condamna à la prison des femmes, la comtesse Ostrowska, mère de huit enfans ; on emprisonna des hommes respectés, tels que le comte Tarnowski, que nous ne pouvons nous souvenir sans émotion d’avoir connu à Paris en 1863. Depuis ce temps, ces victimes des tergiversations et d’une réaction de la politique autrichienne souffrent dans les cachots. Comment a-t-on pu prolonger cette persécution au-delà des circonstances critiques qui en furent le prétexte ? Comment le nouveau cabinet, qui n’est pour rien dans les variations du ministère précédent, pourrait-il accepter le déplorable héritage d’une répression arbitraire et impitoyable ? Le nouveau gouvernement autrichien a publié en Galicie une petite amnistie au profit des condamnés qui n’avaient prêté aux volontaires polonais qu’un asile provisoire, ceux qui avaient gardé plus longtemps chez eux les volontaires n’ont point été compris dans cette amnistie. C’est en faveur de ceux-ci que nous élevons la voix ; c’est bien plus encore dans l’intérêt du gouvernement autrichien que nous réclamons leur élargissement. Nous voudrions que ce gouvernement ne perdit point le fruit de ses bonnes intentions par des demi-mesures, et comprit qu’il n’y a de clémence habile et efficace que celle qui est franche et complète.

Nous ne voyons pas non plus quel service la cour de Tienne croirait rendre à la Russie en se montrant cruelle pour ses sujets galiciens. Nous faisons au gouvernement russe, qui est après tout un grand gouvernement, l’honneur de croire qu’il n’a pas des passions de tyranneau, et qu’il ne se plaît point à exercer ses vengeances par commission et procuration. En Russie même, les passions de 1863 ont eu le temps de se refroidir, et le gouvernement de l’empereur Alexandre peut porter son attention sur des objets moins déplaisans que la poursuite d’une répression acharnée. De temps à autre, il arrive maintenant de Russie des informations auxquelles l’Europe peut prendre intérêt. Aujourd’hui nous apprenons que l’empereur Alexandre a décidé des réductions considérables dans l’effectif de son armée. Le tsar prend là une initiative qui l’honore, et donne un exemple dont devraient profiter les grandes puissances continentales. Il y a peu de jours, le télégraphe annonçait la création en Russie d’une grande institution de crédit foncier. On voit que les préoccupations dominantes se sont modifiées à Saint-Pétersbourg. Le crédit foncier ramène naturellement la pensée sur les effets de l’abolition du servage, grande résolution que l’Europe avait accueillie avec sympathie, mais dont les suites lui ont nécessairement échappé au milieu des complications survenues depuis trois ans. L’abolition du servage a produit en Russie dans la propriété territoriale une crise dont il importerait de connaître les résultats. La propriété en Russie jouissait autrefois de grandes facilités de crédit, et nous nous souvenons que les statisticiens estimaient à un milliard de roubles les prêts qu’elle avait reçus des banques nationales. La valeur des propriétés s’établissait autrefois sur le nombre des serfs qui y étaient attachés, elle se calculait par nombre d’âmes. Qui ne se souvient à ce propos du curieux roman de Gogol, les Ames mortes ? C’étaient donc les âmes qui formaient le gage du crédit, et depuis l’abolition du servage les âmes sont bien mortes pour les propriétaires. Une large institution de crédit foncier peut donc remplir une fonction très importante et plus efficace en Russie qu’en aucun autre pays. Au moment de la transformation qu’y subit la propriété, elle peut faire passer d’un régime suranné aux conditions du régime de crédit qui est eu vigueur en Europe les richesses territoriales, encore si incomplètement exploitées, de ce vaste empire.

En Amérique, la période de transition ouverte par l’abolition de l’esclavage dans les états soumis du sud semble vouée à une longue et pénible confusion. On ne peut savoir encore jusqu’à quel point les nègres se prêteront au travail salarié, ni dans quelle mesure les propriétaires appauvris pourront faire au travail libre les avances de capitaux qui lui sont nécessaires ; puis aux difficultés économiques se mêlent les difficultés politiques. La reconstruction des états du sud ne s’accomplissant point sur un plan unique, ces états restant en possession de leur autonomie et traçant eux-mêmes les dispositions de leurs constitutions futures, d’étranges diversités se produiront dans la condition politique des anciens esclaves. Ici les nègres auront le droit de suffrage, là la capacité électorale leur sera refusée. Avant que ces flots troublés aient repris leur niveau, il faut s’attendre à de longues tourmentes. Il y aurait de quoi douter de la bonne issue de ce travail de rénovation, si l’on n’avait affaire à la fougueuse énergie du caractère américain, accoutumé à mépriser et à vaincre tous les obstacles. Le général Sherman, il y a peu de temps, donnait à Saint-Louis dans une réunion publique un curieux aperçu des robustes qualités de ce caractère en racontant la guerre qui vient de finir. Le héros de la campagne de Géorgie expliquait la stratégie de cette guerre avec une vivacité expressive, une clarté pittoresque et une rare modestie. Suivant lui, l’affaire capitale de la guerre a été la campagne du Mississipi. Avec une franchise équitable, il a fait honneur de l’inspiration qui décida la campagne au général Halleck, celui-là même dont il a eu récemment à se plaindre et qu’il a peu ménagé dans son récent séjour à Washington. La première action de cette campagne fut le combat de Pittsburg-Landing, où les généraux fédéraux Sherman et Grant, alors jeunes et inconnus, se mesurèrent avec un des plus renommés généraux confédérés, le général Sidney Johnson. Les fédéraux restèrent maîtres du champ de bataille, et cette première victoire ouvrit la série ininterrompue de leurs succès. Puis commencèrent les longues manœuvres et les lentes opérations contre Vicksburg, la forteresse qui était la clé du Mississipi central. Vicksburg fut pris, et alors, comme le rappelle Sherman, M. Lincoln put dire : « Le Mississipi coule maintenant libre jusqu’à la mer. L’erreur des confédérés, la faute surtout de leur chef, M. Jefferson Davis, fut de ne pas comprendre d’abord que le Mississipi empochait la coexistence de deux confédérations séparées, qu’il était pour chacune d’elles d’un intérêt essentiel et absolu de le posséder, que par conséquent la guerre durerait tant que l’un des états rivaux ne se serait point rendu entièrement maître du grand fleuve ; mais le jour aussi où les positions stratégiques du Mississipi furent au pouvoir des fédéraux, où il vit qu’il était impossible de les leur reprendre, M. Jefferson Davis eût dû sentir que le destin de la guerre était arrêté ; que la continuation de la lutte ne conduisait qu’à une inhumaine et stupide effusion de sang, et que les confédérés ne devaient se servir de ce qui leur restait de force et de prestige que pour obtenir leur rentrée dans l’Union américaine à des conditions équitables et raisonnables. Ce fut un mauvais sentiment que de vouloir déchirer en deux cette grande république ; ce fut une faute de jugement de ne pas s’arrêter le jour où l’impossibilité du succès de cette tentative fut démontrée. Voila les erreurs et les fautes que M. Jefferson Davis expie aujourd’hui si cruellement. Nous pensons que les États-Unis vainqueurs sont assez vengés contre le chef de la rébellion par la façon sévère dont les événemens l’ont forcé à reconnaître ses torts. Nous persistons plus que jamais à espérer que l’Union américaine n’imposera pas au grand rebelle d’autre peine que celle que lui a infligée déjà l’avortement de son orgueilleuse entreprise. Les faits ont prouvé jusqu’à présent que nous ne nous sommes point trompés en annonçant depuis longtemps que les États-Unis vainqueurs étonneraient le monde par leur clémence. On voit que presque tous les chefs de la rébellion ont été amnistiés ; M. Davis est à l’abri du sort que l’on avait redouté pour lui. Les hommes les plus influens et les plus écoutés du parti radical préparent noblement l’opinion à la générosité. Nous croyons devoir signaler surtout une publication de M. Ward Beecher sur la punition des rebelles, qui est un plaidoyer aussi éloquent qu’habile contre ceux qui voudraient traîner M. Davis au supplice. M. Beecher a eu l’heureuse pensée d’inviter ses concitoyens à la clémence au nom de la gratitude qu’ils doivent aux amis que les États-Unis n’ont cessé de compter parmi les libéraux de l’Europe. M. Beecher ne s’est point trompé, et l’Europe libérale sera à son tour reconnaissante envers les États-Unis, si ceux-ci, ne perdant pas de vue les intérêts de la cause que leur république représente dans le monde, évitent d’obscurcir le triomphe de cette cause par de froides vengeances et d’inutiles cruautés.

E. FORCADE.


Tous les ans, à cette bienheureuse époque de dispersion et de repos, l’Académie française distribue prix et couronnes tout comme l’Université, tout comme la plus humble école de village. C’est la fertile et riante saison : tous les lauriers sont coupés à la fois et distribués d’une main libérale à tous les degrés, au travail, au zèle et à la bonne volonté, à l’enfant et à l’esprit mûri dans l’étude, aux héros obscurs de la vie pratique et à ces autres héros de la vie intellectuelle que l’Académie sait toujours découvrir, à ceux qui les méritent et à ceux qui ne les méritent pas. Hélas ! c’est une grave question de savoir ce que peuvent réellement les récompenses quand on n’est plus au collège. Elles ont de l’efficacité sans doute pour l’enfant, dont elles stimulent l’ardeur et l’expansive émulation, à qui elles montrent en perspective cette fête du grand concours où M. Duruy faisait entendre l’autre jour de virils encouragemens à la jeunesse ; elles sont de cet âge ingénu où tout devient un aiguillon. Au-delà de l’enfance, quand le grand concours c’est la vie elle-même, que peuvent les récompenses ? Elles sont un ornement flatteur, une apparence de décoration, une médaille ; elles donnent le droit de mettre sur un livre : « ouvrage couronné par l’Académie française, » Jamais, je le crois bien, elles n’ont produit ni une bonne action ni une œuvre supérieure de l’esprit ; jamais elles n’ont incliné un cœur honnête au bien ou provoqué l’essor d’une imagination originale ; jamais en un mot elles n’ont eu la puissance qui engendre le génie ou la vertu. Et il y a mieux : ni la vertu ni le talent ne seraient ce qu’ils sont, s’ils cessaient de procéder de l’inspiration la plus intime et la plus indépendante, s’ils perdaient leur caractère de spontanéité et de désintéressement pour devenir une affaire de récompenses publiques avec prix et accessits. C’est ce qui fait une idée si bizarre de l’idée en apparence si naturelle et si simple du généreux M. de Montyon, qui a imaginé de laisser un budget d’encouragement pour le mérite sous toutes les formes, et chargé l’Académie française de l’administration de ce budget. M. de Montyon, tout plein de l’esprit de son siècle, obéissait évidemment à une pensée bienfaisante et inefficace : il créait une institution utile sans doute dans une certaine mesure, honorable dans tous les cas, mais, si l’on me passe le terme, dénuée de toute puissance reproductive, souvent plus favorable à la médiocrité et au calcul qu’aux véritables élans de l’esprit ou du cœur.

Pour l’esprit, passe encore. A défaut de l’originalité, qui est la vie des lettres, qui ne trouve qu’en elle-même son inspiration et sa force, l’Académie peut provoquer des travaux utiles, des études discrètement méritoires, ou récompenser d’honorables essais, et à toute extrémité elle a toujours la ressource d’élargir ses programmes pour y faire entrer des œuvres souvent étonnées de se trouver ensemble ; mais pour la vertu, c’est là qu’est la difficulté. Imaginez donc un prix de dévouement, un prix d’amour de l’humanité, des accessits d’honnêteté et de vertu ! imaginez quelque brave personne venant recevoir la médaille pour avoir secouru ses semblables, pour avoir senti s’allumer en ville cette flamme de charité qui, comme l’esprit, souffle où elle veut ! Ici le retentissement est presque une diminution du mérite moral, presque une offense à la délicate pudeur de l’héroïsme inconnu, et il risque plutôt de devenir un encouragement aux bonnes actions intéressées, à la fausse vertu. Il ne manquerait plus, pour compléter ce concours supérieur, que d’y ajouter des concours régionaux. et d’organiser une vaste machine destinée à procréer la vertu par la voie des mécanismes administratifs et des récompenses honnêtes ! Heureusement l’Académie dans la pratique réduit du mieux qu’elle peut les inconvéniens du système. Et d’abord, comme le disait si bien l’autre jour M. Sainte-Beuve, « il est naturellement interdit aux vertueux de se proposer eux-mêmes ; » ils ne sont pas admis à présenter leurs titres. Il faut qu’ils soient l’objet d’une sorte de désignation publique et spontanée. Alors tout le monde s’y met, ceux qui connaissent une bonne action pour la raconter, le maire pour attester, le préfet pour confirmer, les membres de l’Académie pour vérifiée et peser. Il n’y a que le lauréat qui ne sait rien ou qui est censé ignorer ce qui se prépare, jusqu’au jour où son nom retentit à l’Académie et entre dans cette légende dorée des braves gens couronnés pour leur vertu. Depuis que cette légende se fait, bon nombre de noms inconnus y ont pris place, et bien des membres de l’Académie en ont été les collaborateurs. Pour les récompenses destinées à l’esprit, c’est toujours M. Villemain qui en est l’élégant et ingénieux rapporteur, qui a la mission de justifier les choix de l’Académie en faisant au besoin la part de la critique et de l’éloge. Pour les prix de vertu, chaque académicien à son tour est chargé de ce bulletin de victoire de l’honnêteté contemporaine. C’est M. Sainte-Beuve cette année qui, pour la première fois à l’Académie, se trouvait appelé à ce rôle attrayant, quoique un peu embarrassant, de rapporteur des actions vertueuses, et par la coïncidence imprévue d’un hasard complaisant l’auteur des Causeries du Lundi se trouvait pour la première fois appelé à ce rôle au moment où il venait d’être promu au sénat. Ce n’était plus seulement un simple écrivain ou même un simple académicien, c’était un personnage ayant la toge, et le discours de M. Sainte-Beuve a réussi tout comme s’il n’était pas le discours d’un sénateur.

M. Sainte-Beuve a réussi à l’Académie l’autre jour, comme il réussit d’habitude, par la finesse, par la pénétration Ingénieuse, par l’habileté des nuances, par la justesse des tons et des aperçus, même peut-être un peu par cette modération à demi sceptique, quoique respectueuse encore, qui ne se laisse pas Imposer par les grands mots de philanthropie et de vertu. Je ne sais si je me trompe, M. Sainte-Beuve avait à résoudre un problème qui n’était pas des plus faciles : il avait à parler de toutes ces actions auxquelles s’adressent les couronnes de M. de Montyon, sans partager absolument les illusions de cet homme de bien et de son siècle, avec un tour d’esprit aussi peu fait que possible pour glisser dans les illusions banales et les fausses sensibilités, en homme qui, au cours de ses études, a eu souvent l’occasion de prendre la mesure de la race humaine, qui, même quand il s’agit de la vertu, répète encore : « Oh ! que le vrai en bout genre demande de l’attention et de la précaution pour le bien démêler ! » Et c’est là justement le mauvais pas, le pas difficile d’où M. Sainte-Beuve s’est tiré avec habileté, avec finesse, sans diminuer la valeur d’une fondation généreuse, et sans paraître aussi trop sacrifier aux chimériques confiances d’une philanthropie inefficace. M. Sainte-Beuve est le modèle des distributeurs de prix de vertu qui ne sont pas dupes de leur rôle d’un moment. C’est là, j’ose le dire, la saveur de son dernier discours, de ce discours qui est encore une causerie sur les bonnes actions après tant d’autres causeries sur les œuvres de l’imagination et de l’esprit On peut raconter autrement, on ne racontera pas avec plus de facile bonne grâce et plus d’ingénieuse animation ; on n’enchaînera pas dans un tissu plus fin, plus industrieusement orné, toutes ces honnêtes et modestes actions qui ne sont pas des plus éclatantes, il est vrai, qui n’ont rien d’exceptionnel, mais où se peignent des âmes simples, dont le moindre mérite est de n’avoir jamais songé à la couronne académique qui va les chercher : une pauvre institutrice de Bretagne élevant les enfans, soignant les malades, devenue la providence du village, une bonne grainetière de Paris dévouant sa vie à la charité, un brave sous-officier se partageant entre son devoir de soldat et sa mère, un vieux prêtre épuisant son patrimoine et s’oubliant lui-même pour donner à son pays une église, des écoles, des orphelinats, des ouvroirs. M. Sainte-Beuve se plaît à ces contrastes : le prêtre et le soldat, le bon curé de Laviron rappelant dans sa touchante imprévoyance le vicaire de Wakefield, la figure d’Ary Scheffer apparaissant à l’improviste dans la vie de la brave grainetière.

Pour ma part, toutes les fois que reviennent ces distributions de récompenses, il est une chose qui me frappe comme elle a frappé M. Sainte-Beuve : ces quelques exemples choisis avec art réveillent l’idée de tout un ensemble de choses pratiques suivant leur cours dans l’obscurité, à l’abri des changemens et des disputes bruyantes. Pendant que nous en sommes à discuter pour savoir comment on répandra l’instruction, si elle sera gratuite et obligatoire, universitaire ou cléricale, spiritualiste ou panthéiste, voici de pauvres gens qui n’entendent rien aux systèmes, et qui, dans la mesure de ce qu’ils peuvent, résolvent chaque jour le problème en attirant les enfans dans leurs écoles, en recueillant les orphelins pour les instruire. Pendant que nous dissertons à perte de vue sur la morale, sur la vertu, sur les devoirs sociaux, voici d’humbles créatures humaines qui pratiquent obscurément et sans bruit les choses dont nous parlons si bien. Elles n’ont point eu besoin d’entendre des discours sur la fraternité et la mutualité pour être secourables, pas plus qu’elles n’ont attendu les démonstrations économiques pour se livrer à leur labeur quotidien. Elles sont tout simplement honnêtes, dévouées, travailleuses, faisant le bien sans aucune pensée de gloire et sans l’ambition d’un rôle, dans l’humilité et le silence, et c’est ainsi, peut-on ajouter avec M. Sainte-Beuve, « c’est ainsi qu’au sein des sociétés humaines subsiste et se renouvelle incessamment cette dose de bien nécessaire à l’équilibre moral du monde. »

Que l’Académie distribue donc ses récompenses aux vertus qui lui sont signalées, — pourvu qu’on n’en attende pas une influence démesurée sur le mouvement de la moralité universelle, — rien de mieux, comme aussi il est juste que les œuvres de l’esprit aient leurs couronnes, pourvu qu’on n’en attende pas non plus des effets bien décisifs sur le progrès de l’intelligence contemporaine. On pourrait même dire peut-être, à ce point de vue, que le dernier concours littéraire n’égale pas les plus brillans de ceux qui l’ont précédé ; il n’a pas l’éclat de celui où le talent de M. Taine se révélait, il y a quelques années, par l’Essai sur Tite-Live. Ce n’est pas que nous pensions à rabaisser les œuvres de mérite que les préférences de l’Académie sont allées rechercher ; mais l’ensemble manque évidemment de relief, et ce ne sera pas encore ce concours, je le crains, qui marquera l’ère nouvelle de notre littérature. Il y a longtemps déjà que M. Villemain, le modèle des secrétaires perpétuels, se joue dans cette tâche de rapporteur des prix académiques, qu’il remplissait une fois de plus l’autre jour. C’est son domaine privilégié, et il y marche d’un pas sûr, d’un esprit toujours ferme. Autrefois, à l’époque de ses retentissantes leçons, M. Villemain rassemblait autour de sa chaire toute une jeunesse studieuse et enthousiaste ; aujourd’hui il ne fait plus qu’une leçon par année, devant un auditoire choisi : c’est son rapport sur les ouvrages que couronne l’Académie, et l’ensemble de ces rapports, qui se succèdent depuis trente ans, formerait assurément tout un cours de littérature contemporaine, un cours aussi varié qu’élégant, semé de jugemens fins, de traits expressifs, d’aperçus ingénieux. Ce serait toute notre littérature ou du moins toute une partie de notre littérature vue de l’Académie par un esprit supérieur qui regarde au-delà de l’enceinte de l’Institut.

C’est là le charme sérieux des rapports de M. Villemain. Dans ce vieux cadre du discours académique rajeuni par sa parole, il a fait entrer tous les sujets, il les marque au passage d’un trait lumineux et rapide. Ce n’est plus seulement un rapporteur, c’est un critique animé qui juge, résume, rectifie, coordonne les vues les plus diverses, et fait à son tour œuvre d’art en jugeant les autres. Ainsi il apparaissait l’autre jour encore, partageant avec M. Sainte-Beuve et aussi avec M. Saint-Marc Girardin, qui a lu un fragment sur l’apologue, l’honneur de cette séance, appliquant à tout à la littérature et à l’histoire, une égale justesse de parole et relevant les banalités trop ordinaires des éloges académiques par la finesse des remarques, quelquefois par une pointe de critique élégamment mordante. Je n’ai pas besoin d’énumérer tous les livres passés en revue et spirituellement caractérisés par M. Villemain : Ils sont couronnés, ils suivront leur fortune, que ne changera guère une récompense académique. Cette année, c’est une Histoire de France de M. Trognon qui a obtenu le prix réservé au meilleur, au plus éloquent morceau historique, et c’est aussi à un travail d’histoire des plus intéressans, des plus patriotiques, le livre de M. Lavallée sur les Limites de la France, qu’est échu le second prix de cet ordre. Quant aux autres, j’ai toujours admiré ce qu’un programme pouvait avoir d’élasticité et quelle variété de travaux on peut faire entrer dans ce cadre des ouvrages les plus utiles aux mœurs. Histoire, littérature, philosophie, critique, contes à lire en famille, tout y passe, tout petit servir à l’amélioration des mœurs sans doute ; il ne s’agit que de mettre un certain esprit d’accommodement dans l’interprétation, et après tout la bonne littérature sera toujours assurément l’auxiliaire de la bonne morale. Un peu de mélange est inévitable dans cette classe de livres couronnés par l’Académie ; mais, l’idée acceptée, comment se fait-il que ce soit justement un des ouvrages les plus distingués du concours, le livre des Moralistes sous l’empire romain de M. Martha, pour lequel M. Villemain se montre le plus sévère et le plus réservé ? M. Martha est, avec M. Boissier, de cette génération de professeurs, de jeunes érudits de l’université occupés à déchiffrer encore une fois l’antiquité romaine ou grecque, et qui relèvent la science par l’esprit, par la grâce élégante, par un goût purement littéraire. Ils s’entendent merveilleusement à faire de l’érudition classique une chose aimable et attrayante. Je n’assure pas que le livre de M. Martha doive exercer une influence souveraine et décisive sur les mœurs, d’autant plus qu’il est de cet ordre de livres qui ne s’adressent pas à la masse des lecteurs ; mais c’est assurément une étude de littérature aussi savante que fine, et si l’auteur ne s’échauffe pas comme Diderot, s’il ne cherche pas dans les œuvres de la pensée les protestations de principes, s’il a quelque faiblesse pour Lucien, le terrible moqueur, ce n’est pas absolument un grand mal, ni même une méprise dangereuse pour les mœurs contemporaines.

CH. DE MAZADE.


LA CHAPELLE DU PALAIS DE L’ÉLYSÉE.


Il n’est pas rare de voir, dans les palais destinés à l’habitation d’un souverain ou d’un prince, la chapelle étaler une opulence orgueilleuse en désaccord avec les sentimens et les pensées que doit inspirer un pareil lieu. Arrive-t-il en revanche que la contagion de ce luxe profane l’ait épargnée : l’espace est parfois si restreint, la modestie de l’aspect forme un tel contraste avec les magnificences environnantes, qu’on prendrait presque le logis de Dieu pour celui d’un des plus minces officiers de la maison, d’un hôte avec lequel il n’y a ni beaucoup de façons à faire, ni une étiquette fort rigoureuse à observer. On sait le mot de cet étranger visitant les écuries du château de Chantilly, et demandant comment Dieu pouvait être traité dans une demeure où l’on hébergeait ainsi les chevaux. En face des ornemens dont certaines chapelles royales sont surchargées, il ne serait ni moins opportun ni moins juste de se demander quels trésors de fantaisie et de luxe ont pu être dépensés ailleurs pour la décoration d’une salle de fête, puisque les architectes et les peintres semblent s’être proposé ici une tâche du même genre et en avoir d’avance à peu près rempli les conditions. Faudrait-il par exemple entreprendre de grands changemens dans la chapelle du palais de Versailles, s’il s’agissait de l’approprier à une destination toute différente de celle qu’elle recevait il y a bientôt deux siècles ? Et cependant Mansart, Lafosse, d’autres artistes encore, qui ont élevé ou orné les murs de la chapelle de Versailles, n’étaient pas seulement des gens habiles. C’étaient aussi des chrétiens qu’eût scandalisés sans doute la pensée des torts qu’ils se donnaient ainsi à leur insu ; mais le moyen, surtout à l’époque et sous les regards de Louis XIV, de célébrer la majesté divine sans la confondre quelque peu dans les termes avec la gloire du roi, et d’imaginer des hommages dont l’expression ne participât ni des pompes accoutumées du siècle, ni des usages établis a la cour ?

L’excès de ce faste au surplus et les caractères trop humains du système de décoration le plus ordinairement suivi en pareil cas ont leur explication, sinon leur excuse, dans les difficultés particulières de l’entreprise et dans les conditions multiples qu’elle prescrit. Il ne faut pas que la chapelle d’un palais ne soit qu’un salon de plus, une pièce complétant ou continuant par sa magnificence banale la somptuosité des appartemens royaux ; il est nécessaire toutefois, sous peine de contre-sens, qu’elle corresponde à l’importance sociale de ceux qui s’y réunissent, qu’elle laisse voir clairement pour quelle classe d’hommes elle a été faite, et que, en nous montrant avant tout le sanctuaire, elle nous révèle aussi le voisinage du trône, — comme dans un ordre de faits différent la chapelle d’un monastère doit nous parler de la pauvreté et de l’humilité volontaires des religieux qui viennent y prier. Autrement pourquoi cette église en dehors des églises ouvertes à tous, pourquoi ce culte domestique ? Comment oser appeler Dieu chez soi, si c’est pour se familiariser à ce point avec lui qu’on l’accueille moins cérémonieusement que l’envoyé d’une cour étrangère ?

Il convient donc, il est indispensable que la chapelle d’un palais ait une apparence de richesse en harmonie avec la qualité des personnages qui la fréquentent et avec les splendeurs qu’offrent les autres parties de l’édifice, — à la condition pourtant de ne pas laisser une place principale aux témoignages de ces souvenirs, à la condition de ne déposséder ni la religion au profit du prince, ni la majesté liturgique au profit de l’éclat d’un cortège, ni l’art enfin au seul profit du faste. Il convient surtout que ce lieu consacré garde un aspect et un caractère de sévérité dignes des mystères que le prêtre y célèbre, dignes aussi des graves avertissemens qui tomberont de la chaire évangélique. Or quoi de plus délicat, quoi de plus malaisé, que de réussir à concilier ces élémens contraires ? Quelle élévation et en même temps quelle finesse de goût ne faudra-t-il pas pour résoudre ce double problème, d’une impression religieuse à produire avec des moyens tout mondains et d’un hommage à rendre aux grands de la terre sans leur décerner pour cela une apothéose ou les installer dans un olympe d’opéra ! Les artistes de notre pays qui ont essayé, à différentes époques, de louvoyer entre ces écueils ont le plus souvent échoué, nous l’avons dit. La tentative récemment faite au palais de l’Élysée par MM. Eugène Lacroix et Sébastien Cornu a-t-elle eu un meilleur succès ? Nous ne voudrions pas en exagérer l’importance, ni prétendre trouver là le dernier mot de la question. Toutefois, parmi les œuvres analogues qui se sont succédé en France depuis le commencement du siècle, celle-ci nous semble une des plus sensément conçues et exécutées, une des mieux appropriées aux exigences diverses que nous rappelions tout à l’heure. À ce titre, elle mérite de sérieux éloges, et en tout cas elle commande l’examen.

Pour l’architecte chargé de construire la chapelle du palais de l’Élysée, le problème se compliquait de certains empêchemens matériels, indépendans des difficultés inhérentes aux tâches de ce genre en général. L’exiguïté de la superficie ne permettait pas de multiplier les divisions architectoniques, d’indiquer, même à l’état d’esquisse, soit la figure consacrée de la croix, soit la forme renouvelée des basiliques, d’une nef aboutissant au chœur parallèlement à deux bas-côtés. Une salle, ou si l’on veut une galerie étroite, longue à peine de quatorze ou quinze mètres, éclairée d’un seul côté par trois fenêtres et couverte d’un toit horizontal à très peu d’élévation au-dessus du sol, voilà l’ingrat espace où il s’agissait d’opérer. Comment féconder ce champ aride, comment isoler suffisamment le sanctuaire sans restreindre outre mesure les places réservées à l’empereur, à sa famille, à sa maison ? Et d’une autre part le moyen de rapprocher sans irrévérence, de confondre dans une sorte de pêle-mêle, non-seulement les choses sacrées et les choses temporelles, mais aussi les personnes et les rangs ? Dans l’impossibilité où il était d’élargir ou de prolonger l’espace compris entre ces murs, M. Lacroix a pris le parti de le partager en plusieurs plans, de manière à reconquérir sur la hauteur, si médiocre qu’elle fût, les moyens qui lui manquaient ailleurs d’établir des lignes de démarcation. En face de l’autel érigé, à l’extrémité et sur le sol même de la chapelle, dans un enfoncement dont l’obscurité enveloppe à demi la table des saints mystères et fait d’autant mieux resplendir la lumière des cierges autour du tabernacle, une première tribune s’élève, communiquant par des degrés avec la partie inférieure qui précède le sanctuaire et qui tient lieu de chœur. Cette tribune, fermée de chaque côté par les murs latéraux de la chapelle et s’ouvrant, dans la direction de l’autel, en trois baies que séparent deux groupes de colonnes accouplées, cette sorte d’estrade monumentale est destinée au souverain et à sa famille. Plus loin, sur deux plans progressivement exhaussés et reliés entre eux par quelques marches, s’étagent les autres personnages de la cour. Enfin, derrière ceux-ci, deux portes donnent accès à la chapelle et la mettent en communication avec les appartemens du palais.

On le voit, l’ordonnance architectonique est ici fort simple ; mais il y a de l’imagination dans cette simplicité, puisqu’elle résulte de combinaisons que la disposition primitive des lieux ne suggérait ni ne favorisait nullement par elle-même. Quant au mode de décoration adopté, il faut savoir gré à M. Lacroix de la mesure qu’il a gardée entre la prodigalité et une parcimonie malséante dans une occasion semblable. Partout les matériaux précieux ont leur place, et une large place : ils n’usurpent rien cependant de celle qui appartient à l’art. Les ornemens que dessinent les marbres de couleur sur le pavé, sur la plinthe des lambris et sur le soubassement de la tribune, — les riches moulures qui marquent les divisions du plafond ou la courbe des arcades plaquées le long des murs, — tout exprime, sans l’afficher, la magnificence, tout intéresse le regard sans mécontenter la raison, sans laisser soupçonner une arrière-pensée d’ostentation sous ce luxe dont le goût a réglé les dehors et tempéré l’éclat. La chapelle du palais de l’Élysée a un autre mérite, assez rare dans les œuvres de l’art contemporain : elle n’accuse aucun excès de l’esprit archéologique, aucun effort pour donner le change sur l’époque où elle a été construite et pour simuler une image des anciennes mœurs. Je sais, comme tout le monde, les lois qu’en matière d’architecture ecclésiastique prescrit l’immutabilité du dogme, et par conséquent les devoirs imposés aux artistes dans la partie proprement religieuse de leur travail ; mais, pour ce qui concerne seulement l’art et les moyens d’exécution, est-il nécessaire, est-il juste de se confiner dans l’imitation servile du passé, d’y placer bon gré mal gré l’idéal du présent, de nier ainsi le progrès ou tout au moins l’évidente mobilité des choses humaines ? Contrairement à l’opinion d’une école un peu trop en faveur aujourd’hui, il nous semble que les architectes seraient malavisés de s’évertuer à contredire absolument leur temps, qu’ils peuvent, sans en subir tous les caprices, en accepter du moins les aspirations légitimes, et qu’au lieu de copier littéralement les ornemens à l’usage de tel ou tel siècle, ils feront bien d’en agencer pour leur propre compte qui correspondent aux convenances actuelles et aux idées de l’époque où nous vivons. L’architecte de la chapelle de l’Élysée est apparemment de notre avis, puisqu’il n’a voulu donner à son œuvre ni une date mensongère ni une physionomie toute d’emprunt. En s’inspirant, de préférence à d’autres modèles, des monumens de l’art byzantin, il ne s’est pas condamné pour cela à n’en éditer qu’une contrefaçon stérile. Qu’il ait toujours rencontré dans les détails la délicatesse ou la fermeté, que les innovations ou les combinaisons tentées par lui aient eu pour résultat invariable l’élégance, la pureté du style, c’est ce qu’on ne saurait affirmer, si l’on examine de près certaines parties, — le champ de marbre vert entre autres sur lequel se répètent, au bas de chaque tableau, des lignes d’or assez inutilement tourmentées et encadrant avec quelque lourdeur l’abeille impériale, — ou bien les ornemens et les tons d’une coquetterie un peu banale qui couvrent la surface du plafond. Il n’en est pas moins vrai que les formes et les couleurs réunies par M. Lacroix composent un ensemble très digne d’éloges. Exempte de prétention fastueuse comme de pédantisme archaïque, la chapelle du palais de l’Élysée satisfait aux exigences les plus graves, aussi bien qu’aux conditions où l’art et les convenances sont seuls intéressés.

Les peintures, dont l’exécution a été confiée à M. Cornu, tiennent une place considérable dans la décoration de cette chapelle. Outre le fond du sanctuaire, orné d’un médaillon et de deux dessus de porte représentant Jésus-Christ en buste et deux anges à mi-corps, elles remplissent sur les trois autres faces douze compartimens en forme de niches, encadrés par des colonnes engagées et par des arcades feintes que surmonte un entablement enrichi de moulures dorées et d’imitations de mosaïques. A ne considérer que les usages traditionnels, les figures des douze apôtres semblaient d’avance promises à ces douze places, ou bien le pinceau devait y retracer les images des saints qui, comme saint Jean-Baptiste ou saint François, comme saint Jérôme ou saint Antoine, ont dû aux austérités de leur vie le privilège d’avoisiner ordinairement dans les églises l’image du rédempteur. M. Cornu néanmoins ne s’est pas conformé sur ce point aux coutumes de ses devanciers, et, vu la destination toute spéciale de son œuvre, nous croyons qu’il a eu raison. A quoi bon en effet proposer aux regards de ceux qui ont reçu la mission de diriger les affaires humaines les types du renoncement au monde, les modèles par excellence du désintéressement chrétien ! N’était-il pas ici plus opportun et plus utile de rappeler que le trône a pu quelquefois encourager à l’amour de Dieu aussi sûrement que la grotte de l’anachorète ou la cellule du cénobite, et que dans notre France en particulier, dans le royaume de saint Charlemagne et de saint Louis, les grands exemples de foi ne manquent pas plus que les exemples de génie politique et de courage ? A côté de ces héros de la croix couronnés, et pour compléter les souvenirs que leur gloire réveille, M. Cornu a résumé dans quelques figures l’histoire des dévouemens ou des travaux illustres qui, depuis l’apostolat de saint Irénée jusqu’à celui de saint Denis, depuis le martyre de sainte Blandine jusqu’aux pieuses conquêtes de sainte Geneviève et de sainte Clotilde, ont marqué l’établissement du christianisme sur le sol de notre pays et l’y ont comme enraciné. En regard de saint Denis, premier évêque de Paris, le premier évêque de Lyon, saint Pothin, offre à la vénération des peuples une statue de la Vierge portant dans ses bras le divin enfant. Plus loin, le jeune saint Symphorien et le jeune saint Cloud sacrifient au service de Dieu, l’un ses titres, l’autre sa vie, tandis que saint Martin de Tours et saint Rémi vouent à la même cause leur zèle épiscopal et leur indomptable énergie.

Très heureusement choisies quant aux convenances historiques ou morales, ces figures se recommandent en général par la justesse et la dignité de l’expression pittoresque. L’aspect en est à la fois sobre et décoratif, et n’étaient çà et là quelques mollesses dans le dessin, quelque excès de rondeur dans le modelé, l’exécution matérielle honorerait autant l’habileté de l’artiste que la sagesse des intentions, la majesté vraisemblable des attitudes et des gestes, honorent sa raison et son goût. Notons pourtant une infidélité et, selon nous, une infidélité regrettable aux principes qui ont inspiré l’ensemble du travail. Hormis un seul, tous les personnages représentés ici se montrent de face, dans des attitudes calmes, comme le prescrivaient non-seulement les caractères des modèles, mais aussi les lois de la symétrie et les formes données par l’architecture. D’où vient que, pour tracer la figure de saint Symphorien, M. Cornu ait pris un point de vue oblique ? Pourquoi cette figure est-elle en mouvement alors que toutes les autres sont immobiles ? Il y a là contre l’harmonie linéaire une faute que l’accord entre elles des parties environnantes permet d’autant mieux de relever, comme aussi le choix ingénieux des ajustemens et des couleurs dans chacun des dix autres tableaux nous donne le droit de regretter dans la figure de Charlemagne une certaine insuffisance de ton et de caractère.

Quelle que soit au surplus la valeur de ces objections de détail, les peintures de la chapelle de l’Élysée attestent un talent aux inclinations élevées, aux doctrines saines, confirmées par une longue familiarité avec les maîtres comme par les traditions et les souvenirs de l’école où il s’est formé. Il n’y a que justice à ajouter qu’elles révèlent un surcroît de certitude dans la manière de l’ancien élève de M. Ingres et un progrès sur ses œuvres précédentes, — sur les peintures entre autres dont il a décoré la nef de Saint-Louis-d’Antin et les murs de deux chapelles à Saint-Séverin et à Saint-Merry. Bien que dans la chapelle de Saint-Séverin par exemple M. Cornu nous eût donné déjà une jolie figure de saint Cloud, celle qu’il a imaginée pour représenter une seconde fois le même personnage a une grâce plus délicate encore et plus expressive. Le coloris d’ailleurs en complète très heureusement le sens, et l’on peut signaler, comme un spécimen de fine harmonie, le choix et la proportion des tons associés dans cette figure, — depuis la blonde chevelure du saint et la teinte violette de son manteau jusqu’au blanc de la tunique, dont l’éclat tempéré achève de s’adoucir au contact du ton vert de la bordure qui la garnit, et par le voisinage des tons, plus vifs encore, qui modèlent les jambes et les pieds.

Après ce chaste saint Cloud, auquel sainte Blandine sert de digne pendant par l’innocence de la physionomie et le charme juvénile des formes, les meilleurs tableaux de la série nous semblent être ceux qui représentent saint Pothin et saint Irénée, saint Denis et saint Martin de Tours. Peut-être, même ici, l’énergie du pinceau ne laisse-t-elle pas de faire un peu défaut ; peut-être retrouve-t-on dans le dessin intérieur quelque chose de cette correction un peu molle dont nous parlions il y a un instant. En tout cas, ces quatre figures rachèteraient ce qui leur manque du côté de la précision et du modelé par l’ampleur et l’exactitude des silhouettes, par la noblesse sans emphase des attitudes, par une signification morale dont les autres parties du travail sont d’ailleurs également pourvues.

Les peintures de la chapelle de l’Élysée ne forment donc pas seulement un complément satisfaisant de l’architecture, un ensemble harmonieux au point de vue des couleurs et de l’effet ; elles se distinguent de la plupart des toiles qui amusent nos regards au jour le jour, qui encombrent chaque année le Salon, par une expression évidente de bonne foi, d’intentions loyales, de nobles désirs, d’ardentes aspirations vers le beau. Comme les travaux récens de M. Timbal à Saint- Sulpice, comme les peintures de M. Lenepveu dans la même église, elles prouvent que les graves croyances n’ont pas cédé partout la place au culte des réalités vulgaires ou des menus agrémens pittoresques, et que les disciples d’un art sévère n’ont pas tous disparu de notre école. Elles méritent à ce titre d’être tenues en sérieuse estime et d’être comptées parmi les œuvres les plus recommandables produites dans notre pays depuis que le pinceau est tombé des mains du peintre religieux par excellence, depuis la mort d’Hippolyte Flandrin.

HENRI DELABORDE.


UN ESSAI DE DRAME RÉALISTE EN ITALIE[1].


Rien n’est rare comme un auteur italien disposé à comprendre que les sévérités de la critique sont plus utiles à ses œuvres et à lui-même que ne serait le silence fait autour de ses livres et de son nom. Pour ne parler aujourd’hui que du théâtre, l’usage ne permettant guère, en Italie, qu’un ouvrage dramatique, fût-il un chef-d’œuvre, soit représenté plus de trois ou quatre fois, il semble que les écrivains devraient demander à la presse une plus large publicité. En général cependant, ils n’impriment point, soit par défiance d’eux-mêmes ou par économie, soit parce qu’ils se persuadent qu’un ouvrage écrit pour la scène ne peut que perdre à la lecture.

Voici néanmoins une exception, et il faut avant tout féliciter M. Alcide Oliari de comprendre ses intérêts autrement que ne font la plupart des représentans actuels de la littérature dramatique en Italie. Il y a quelques années, dans un travail sur le théâtre italien, nous faisions ici même mention d’un drame de M. Alcide Oliari, Béatrice Cenci, qui avait vu le jour, comme les proverbes de Musset, en dehors de la scène. Nous serions bien trompé si le nouveau drame de cet auteur, Zita di Narni, avait eu d’autres destinées. Écrit, ainsi que le précédent, avec un soin qu’on néglige généralement en Italie, quand on y écrit pour le théâtre, ce nouvel ouvrage, à en juger par quelques lignes extraites d’une lettre intime et qui servent de préface, ne serait que le développement dialogué d’une anecdote venue, peu importe comment, à la connaissance de l’auteur. C’est donc, dans la force du terme, un drame réaliste, et M. Oliari a voulu bien évidemment être tributaire du fait. Nous ne pouvons vraiment que le regretter pour lui : on a beau en effet chercher son sujet dans les réalités de la vie journalière, l’y choisir, et par conséquent le trouver à son gré ; on n’en est pas moins à la gêne, sans parler du danger auquel on s’expose de faire un mauvais choix. C’est, nous le craignons, ce qui est arrivé a M. Alcide Oliari. L’anecdote dont il a fait un long drame en cinq actes n’est autre que l’éternelle histoire de la jeune fille du peuple séduite par un beau gentilhomme, délaissée après sa faute et mourant de désespoir. Quelle difficulté de rajeunir un pareil sujet, et de le traiter sans monotonie avec trois personnages ! Nous ne savons si le public italien pense que M. Oliari a rajeuni cette fable par la manière dont il l’a traitée, mais nous serions porté à croire le contraire, car, en lisant l’ouvrage avec attention, tout ce qui nous y a paru digne d’intérêt, c’est ce qui lui donne un caractère italien, et c’est ce que remarquent à peine, sans aucun doute, les compatriotes de l’auteur. Pour nous, ce mérite pique notre curiosité : c’est pourquoi nous nous arrêterons un instant au drame réaliste de M. Oliari.

Le véritable italien de la pièce, ce n’est ni Zita la victime, ni même Rogiero le séducteur : c’est Folco, grand et fort gaillard que la mère de Zita recueillit jadis par charité, et à qui, en mourant, elle a révélé le secret de sa naissance. Ce secret, à vrai dire, n’en est un que pour Zita : c’est le secret de la comédie ; quiconque se prend de querelle avec Folco lui reproche sa bâtardise. Lui-même s’en déclare malheureux plus que de raison ; il a d’amères et sombres paroles, comme si la société moderne, qu’il méconnaît, faisait aux âmes honnêtes, aux volontés fortes, un obstacle insurmontable de l’inconduite de leurs parens. Quel goût de la déclamation ne faut-il pas porter en soi pour se dire seul sur la terre, sans affections, sans souvenirs de famille, sans espérances, quand on a été élevé comme un fils par une brave paysanne, quand on a une sœur, une prétendue sœur dont on rêve de faire sa femme, quand on a pu, dans une si humble condition, être l’ami d’enfance, c’est-à-dire sans doute le compagnon de jeux du jeune Rogiero, le seigneur qui habite le château voisin ! Cet étrange personnage n’est-il pas déjà bien Italien ? Mais comme il nous le paraîtra davantage quand nous le verrons permettre que Zita travaille de ses doigts pour vivre tandis qu’il préfère pour sa part mendier sur les ponts ! Capable d’ailleurs de s’élever autant que de s’avilir, apprend-il que Zita aime Rogiero, au lieu de tuer celui-ci, ce qui sentirait assez le terroir, il sacrifie avec magnanimité ses espérances personnelles à la condition que cette idylle aboutira à un mariage ; mais le mariage traîne en longueur, et, se voyant odieux aux deux amans pour les avoir pressés d’en finir, Folco poignarde son rival, s’enfuit par la fenêtre en recommandant son âme à Jésus, et va se faire brigand.

Moins complets peut-être, les deux autres personnages ont pourtant encore leur saveur locale. A peine Zita a-t-elle reçu les déclarations de Rogiero, alors même qu’elle se défend encore, elle cesse de lui dire lei et vossignoria, ces formes de la civilité et de la déférence en Italie ; elle l’appelle par son nom et bientôt le tutoie, quoiqu’elle sache et proclame l’infinie distance qui la sépare de lui. Cela ne l’empêche pas, il est vrai, d’implorer du ciel l’envoi d’un couteau pour frapper l’audacieux ; Rogiero tire aussitôt le sien de sa poche et l’offre à sa maîtresse irritée, car il sait bien l’usage qu’elle en fera. Elle en effet, par un mouvement assez dramatique, le jette aussitôt en demandant pardon à sa mère de n’avoir pas le courage de frapper. Bientôt, comptant follement sur le mariage promis, ne consent-elle pas à venir habiter, ainsi que son frère, sous le toit de Rogiero et a accepter les bienfaits du séducteur ? Il n’y a pas sans doute de moyen plus assuré et plus naïf de courir au-devant de la défaite. Nous croyons qu’une Parisienne saurait se livrer moins pour mieux préparer le succès ; mais les impétueuses filles de l’Italie n’ont, quand elles aiment, ni ces calculs, ni cette dignité. En revanche, elles ont des forces vraiment viriles : c’est plaisir de voir cette vigoureuse Romaine, quand son amant est blessé et inerte sur le sol, l’emporter à elle seule dans la coulisse, sauf, lorsqu’elle aura succombé, à déclamer comme son frère, à parler à tout instant d’honneur et de mort, à invoquer à toute parole la protection de la Vergine purissima, quoiqu’elle ait, ce semble, perdu tout droit à ce chaste et saint patronage.

Telle est Zita, l’ouvrière de Narni ; quant au châtelain Rogiero, il ne serait, dans les premières scènes, qu’un vulgaire Lovelace sans un trait d’une hardiesse peu propre ailleurs qu’en Italie à séduire une jeune fille. Pour épouser Zita, il tuera, dit-il, son propre père ; il le répète sans crainte de faire horreur à celle qu’il veut séduire, ou de lui inspirer des doutes sur la sincérité de semblables déclarations ; mais où il devient un caractère, C’est quand l’action se hâte vers le dénoument. Le père de Rogiero, qui, soi-disant, s’opposait seul au mariage, est mort depuis trois années. Rogiero est maître de ses actes, Zita séduite est sur le point de devenir mère, et cependant il résiste à ses supplications, Il lui signifie froidement que jamais il ne l’épousera. Vous croyez qu’il recule devant les explications ? Il les donne au contraire avec une précision qui ne laisse rien à désirer. Cette cruelle précision, ce langage sévère dans la bouche d’un débauché, d’un séducteur, et s’adressant à la personne séduite, n’est-ce pas le comble de l’horrible ? Il est douteux qu’un tel personnage pût être supporté à la scène ; mais observez-le avec l’attention qu’il mérite, et vous trouverez dans cette âme glacée de reptile des traits qui nous ramènent au XVIe siècle, qui rappellent les préceptes de Machiavel et de Guicciardin, les pratiques d’Alexandre VI et de César Borgia. il ne manque à Rogiero que l’honneur d’empoisonner Zita : c’est un soin dont se charge Folco, le chef de brigands.

Voilà des peintures véritablement italiennes ; mais, hâtons-nous de le dire, elles nous représentent l’Italie telle que nous la montre l’histoire, non telle qu’elle parait chaque jour davantage au soleil de la liberté. Sans doute on retrouverait encore des Folco, des Zita, des Rogiero, mais en petit nombre et seulement aux deux extrémités de l’échelle sociale, parmi ces couches profondes de la population où la lumière pénètre avec tant de peine, et dans les rangs d’une aristocratie aujourd’hui fort divisée, parmi les rares hobereaux qui regrettent le moyen âge et les libertés dont leurs pères y jouissaient seuls. Le travail un peu déclamatoire, mais après tout saisissant de M. Oliari nous paraît venir à son heure, car il est bon de prendre, à leur lit de mort, le portrait des personnages curieux qui vont disparaître à jamais.


F.-T. PERRENS.


V. DE MARS.

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  1. Zita di Narni, dramma in cinque atti, di Alcide Oliari. Milano 1864.