Chronique de la quinzaine - 14 décembre 1845

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Chronique n° 328
14 décembre 1845


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 décembre 1845.


Une révolution ministérielle s’est accomplie en Angleterre ; elle était si inattendue, elle a été si subite, qu’elle n’a pu produire du premier coup tout son effet. Chose étrange ! la nouvelle d’un changement de ministère, qui, si elle avait été préparée par quelques symptômes avant-coureurs, aurait probablement affecté les fonds publics et dérangé le cours des affaires, n’a produit sous ce rapport aucune impression. Le public doutait encore de la réalité de ce qui se passait sous ses yeux. Il ne pouvait croire, avant de l’avoir bien vu, que ce ministère si solidement constitué et par sa force propre et par la faiblesse de ses adversaires, eût disparu soudainement comme un personnage de théâtre, sous lequel s’ouvre une trappe. Quand la nouvelle a été bien certaine, quand il a été bien avéré que sir Robert Peel se retirait, on a cru et on a dit universellement qu’il reviendrait. Il était tellement admis que c’était l’homme nécessaire, indispensable, que toute autre combinaison semblait impossible. Et cependant sa résolution était bien définitive ; sa démission n’était pas une formalité, une simple politesse pour ses collègues et en particulier pour le duc de Wellington ; elle était sincère, et elle est, quant à présent du moins, irrévocable.

Nous disions, il y a quinze jours, que lord John Russell était le meilleur tacticien parlementaire de son pays, et qu’il venait de le prouver par la position nouvelle qu’il avait prise. En se mettant lui-même à la tête de la croisade contre les corn-laws, il supplantait, disions-nous, sir Robert Peel, et il prenait possession d’un terrain qui, tôt ou tard, deviendrait celui du combat. C’est en effet ce qui est arrivé, et nos conjectures ont même été de beaucoup dépassées. Nous étions encore loin de croire que sir Robert Peel serait forcé de reconnaître si promptement les effets de cette tactique habile, et qu’il se trouverait pris entre l’alternative de l’action immédiate et celle de sa retraite. On pourra trouver qu’il a trop vite abandonné la partie, qu’il a vu la situation pire qu’elle n’était, et qu’il aurait dû risquer un dernier combat ; mais nous croyons au contraire qu’il a jugé sa position avec beaucoup de résolution, et que le parti qu’il a pris annonce autant de sang-froid que de justesse d’esprit. En effet, s’il n’avait proposé dans la chambre des communes qu’une réforme partielle, il ne pouvait plus compter sur le concours des whigs, qui jusqu’à présent avaient voté pour lui, puisqu’ils venaient de se prononcer pour une réforme radicale. Les tories, mécontens de leur côté, auraient saisi cette occasion de lui faire expier les mesures libérales qu’il leur avait imposées depuis quatre ans. Sir Robert Peel n’a pas voulu s’exposer à un échec qu’il considérait comme à peu près certain. Il a donc pris résolument son parti, et a dit à ses collègues : Je proposerai le rappel total, ou je me retirerai. On dit qu’il avait d’abord réussi à convertir le plus important de ses collègues, le vieux duc de Wellington, qui exerce une autorité presque toute-puissante sur la chambre des lords. C’était le principal ; il y avait bien, à ce qu’il paraît, quelques récalcitrans, mais c’était de ceux dont on pouvait très bien se passer. Comment cet accord momentané fut-il rompu ? comment le duc de Wellington changea-t-il de résolution ? C’est ce qu’on ne sait pas encore. Est-ce le mouvement causé dans le pays par la nouvelle hardiment donnée par le Times, est-ce les obsessions de ses collègues de la chambre haute et les cris de la grande propriété qui agirent sur lui et lui firent prendre en dernier lieu le parti de la résistance ? Toujours est-il que, dès qu’il se trouva en opposition directe dans le conseil avec sir Robert Peel, le sort du ministère fut décidé. Une réunion du conseil eut lieu lundi à Londres ; le duc de Wellington n’y assistait pas. La démission des ministres y fut décidée ; tous partirent le surlendemain pour l’île de Wight, où se trouvait la cour. Le duc de Wellington les joignit à un embranchement du chemin de fer, et alla avec eux déposer sa démission entre les mains de la reine.

Lord John Russell avait été, dit-on, déjà prévenu qu’il serait appelé par sa souveraine. Il avait quitté Edimbourg en toute hâte. Aussi, dès le jeudi, il partit pour l’île de Wight, après avoir eu une conversation en passant à Londres avec sir Robert Peel ; il vit la reine, revint en ville le soir même, et en ce moment son administration est déjà composée.

C’était, en dehors de sir Robert Peel et des tories modérés, la seule combinaison possible. Un ministère de purs tories n’aurait pas vécu une semaine sans jeter l’Angleterre dans les plus grands périls intérieurs. Dès que sir Robert Peel, de son côté, refusait de reconstituer un cabinet sans le duc de Wellington, il n’y avait plus, naturellement, d’autre candidat que lord John Russell.

Les noms des nouveaux ministres étaient tout trouvés. Lord John Russell sera premier lord de la trésorerie, c’est-à-dire premier ministre. Il aura pour collègues M. Macaulay, aussi distingué comme orateur que comme critique et historien ; lord Morpeth, autrefois secrétaire d’état pour l’Irlande ; M. Baring, autrefois chancelier de l’échiquier ; M. Charles Buller, un des orateurs les plus spirituels du parlement ; sir Thomas Wilde, ancien avocat-général, orateur et légiste de premier ordre, et lord Palmerston, assez connu pour n’avoir pas besoin d’autre désignation. Voilà pour la chambre des communes. Dans la chambre des lords, les ministres whigs seront lord Cottenham, ancien chancelier ; lord Grey, plus connu sous le nom de lord Howick ; le marquis de Normanby, ancien vice-roi d’Irlande sous le nom de lord Mulgrave ; le marquis de Lansdowne, ancien président du conseil, titre, comme on sait, purement honorifique, et le marquis de Clanricarde, ancien ambassadeur à Pétersbourg. L’ambassadeur à Paris serait le comte de Clarendon, ancien ministre plénipotentiaire à Madrid.

Ce ministère est, individuellement, plus brillant que celui qui vient de se retirer, et dans lequel il n’y avait que quatre hommes véritablement politiques, sir Robert Peel, le duc de Wellington, sir James Graham et lord Aberdeen. Lord Lyndhurst et lord Stanley, quoique d’un talent de premier ordre, avaient à peu près abdiqué tout ascendant politique : le reste du cabinet était composé de médiocrités ; mais ce ministère avait le grand avantage de l’unité, il avait un chef qui poussait sa suprématie jusqu’à l’autocratie, et sa politique en avait acquis une décision et un ensemble rares.

Ce n’est pas que lord John Russell exerce moins d’ascendant personnel que sir Robert Peel. Au contraire, sa domination sait peut-être mieux se faire accepter ; mais, supérieur à son éloquent rival par l’étendue de l’esprit et la largeur des principes, il lui est certainement inférieur dans la direction et l’administration des affaires publiques. Or, c’est face à face avec des difficultés matérielles que va tout d’abord se trouver le nouveau ministère. S’il est vrai que la récolte n’ait pas été suffisante, il faudra y parer par des lois immédiates ; mais si le ministère whig se trouve arrêté dès son début, s’il échoue dans la chambre des communes, que fera-t-il ? Une dissolution ? C’est déjà du temps de perdu, et en admettant, ce qui est fort douteux, qu’il trouve une majorité quelconque dans la chambre des communes, la chambre des lords n’est-elle pas là pour lui barrer le chemin ? On a donc raison de prévoir un conflit entre les deux chambres, et de très grandes difficultés pour tout ministère, quel qu’il soit.

Une autre circonstance très grave augmentera encore les embarras de la nouvelle administration. Dans quatre ou cinq jours, le message du président des États-Unis arrivera à Liverpool, et tombera au milieu de la crise anglaise. Si la dissolution du cabinet de sir Robert Peel avait eu lieu un mois plus tôt, si elle avait pu être connue en Amérique avant la réunion du congrès, il est possible qu’elle eût influencé le langage du président et l’eût rendu encore plus provocateur qu’il ne devait l’être. Heureusement pour l’Angleterre, M. Polk aura parlé sans savoir qu’elle était à ce moment-là en pleine crise, et nous ne croyons pas que, quant à présent du moins, il y ait un péril imminent pour la paix.

Les Américains, il faut en convenir, font souvent beaucoup plus de bruit que de mal ; ils font des démonstrations non suivies d’effet. Ainsi, l’incorporation immédiate du territoire de l’Orégon est votée par la chambre des représentans. On sonne la cloche d’alarme, on croit que la guerre va éclater et qu’il faut se préparer à entrer en campagne. La question cependant passe de la chambre des représentans au sénat, et ici la scène change. Le sénat est le pouvoir modérateur ; il est composé d’hommes plus calmes et plus sages ; il aime mieux dénouer que trancher, et il rejette le bill adopté par l’autre chambre. Cela arrive presque chaque année ; plusieurs fois déjà la plus jeune chambre a voté la conquête de l’Orégon sur le papier, et autant de fois le sénat l’a ramenée à la raison. Nous sommes fort tentés de croire qu’il en sera encore ainsi cette fois ; nous croyons même que la chambre des représentans compte sur le refus du sénat, et qu’elle se donne ainsi la gloriole de faire une manifestation belliqueuse, sachant bien qu’elle n’aboutira à rien.

Ainsi donc, lors même que le président, dans son message, déclarerait positivement l’intention des États-Unis de réclamer la totalité du territoire contesté, il ne faudrait pas encore croire qu’une guerre avec l’Angleterre est au bout de sa phrase. Il est très probable que M. Polk recommandera l’occupation du territoire et l’établissement de postes militaires, il est très probable aussi que la chambre des représentans adoptera un bill à cet effet ; mais il est encore plus probable que le sénat rejettera le bill, et que tout se bornera là.

M. Polk le sait ; il n’est peut-être pas plus pressé qu’un autre de se charger de la responsabilité d’une guerre avec la Grande-Bretagne, et, s’il se compromet dans son message, c’est qu’il est obligé, par sa position électorale, de courtiser les états de l’ouest. C’est ce côté de l’Union américaine qui domine aujourd’hui, et sa domination ne fera que s’accroître d’année en année. Si le nord et le sud faisaient cause commune, ils pourraient résister à cet ascendant croissant ; malheureusement ils ont des intérêts séparés et même hostiles. Pendant que le nord s’oppose inutilement à l’extension territoriale du sud, le sud, à son tour, combat le tarif par lequel les états manufacturiers veulent protéger leur industrie. L’ouest intervient et apporte avec lui la majorité, et c’est ainsi qu’il a fait consommer l’incorporation du Texas. En ce moment, le sud est satisfait, et c’est peut-être ce qui ajournera la solution de la question de l’Orégon. Ayant eu sa part, il n’est plus si pressé d’agir, et il ne voudra pas risquer une guerre pour une conquête qui ne profiterait qu’à l’ouest.

En attendant, l’ouest pousse les hauts cris, et les organes du président Polk répètent à l’envi ses plaintes. Le commerce du territoire de l’Orégon, qui consiste en fourrures, est monopolisé par la compagnie anglaise de la baie d’Hudson, qui a envoyé dans ces contrées, deux fois grandes comme la France, huit à neuf cents trappeurs et chasseurs. Les États-Unis, de leur côté, y ont une population d’environ quatre mille cultivateurs ; mais, quand quelques-uns d’entre eux veulent aussi faire le commerce lucratif des fourrures, les agens anglais viennent s’établir auprès d’eux, leur font une concurrence ruineuse, et les chassent du marché. Or, les Américains calculent avec envie que la compagnie d’Hudson-Bay se faisait, dès 1828, près de 25 millions par an avec ce commerce, et que ses actions étaient déjà à cette époque à 140 pour 100 au-dessus de leur valeur. Ils calculent aussi que, plus ils attendent, plus ils perdent, car les Anglais épuisent la mine qu’ils ont si long-temps exploitée sans partage.

Les états de l’ouest feront donc tous leurs efforts pour entraîner ceux du nord et du sud dans leur querelle. Ils ont tout à gagner à la guerre, et rien à perdre. En effet, ils sont placés loin dans les terres ; ce n’est pas sur eux que pourra tomber une invasion : ils n’ont pas à craindre de voir brûler leurs ports, ils n’en ont pas ; de voir ruiner leur commerce, ils sont cultivateurs. Ils n’auront pas même à payer les frais de guerre, car ce sont les états commerciaux qui supportent les taxes. Toutes ces considérations, qui poussent les états de l’ouest, auront sans doute aussi pour effet de retenir les autres ; mais cet équilibre ne saurait durer bien long-temps. L’élément démocratique a pris depuis ces dernières années en Amérique une prépondérance qui ne présage que des dangers croissans pour le maintien de la paix. S’il y a encore dans l’Union un parti d’hommes sages et modérés qui résistent autant que possible à cet entraînement, ce parti perd du terrain chaque année : chaque élection successive à la présidence fait faire un pas de plus à la démocratie pure, et donne au représentant de l’Union une couleur radicale plus tranchée. Les modérés se sont long-temps opposés à l’annexion du Texas, et ils ont fini par s’y rallier ; le même courant les entraînera tôt ou tard, ou bien les submergera.

Une révolution ministérielle en Angleterre, une émotion administrative en France, tels sont les évènemens qui préludent à la session qui va s’ouvrir. Si la retraite de sir Robert Peel doit avoir un contre-coup dans la politique française, la réforme du conseil royal de l’instruction publique donnera lieu certainement à de vifs débats dans notre parlement. Cette réforme est une question grave dans laquelle nous chercherons avec sincérité à discerner le vrai. À l’égard de l’université, nos sentimens ne sauraient être douteux pour personne. Nous considérons l’université comme une des institutions fondamentales du pays, comme la personnification de l’état répandant sur la jeunesse les bienfaits de l’éducation et de la science. Quand nous avons constamment défendu cette grande institution, nous n’avons pas tant obéi à des sympathies universitaires qu’à des convictions politiques : aussi tout ce qui pourra concourir à l’affermissement de l’édifice élevé par la main de Napoléon aura notre adhésion franche, et, en la donnant, nous ne ferons qu’exprimer la pensée de nos amis, des hommes éminens qui, dans le conseil royal de l’instruction publique, sont l’honneur et la gloire de l’université, pour eux comme pour nous, il est un intérêt qui prime tous les autres, et qui s’élève au-dessus de toutes les considérations particulières : c’est la force de l’institution dont ils sont les premiers représentans.

L’ordonnance de M. de Salvandy a été accueillie au sein même de l’université avec des impressions diverses et contradictoires qui montrent combien cette affaire est complexe et délicate. Si nous n’avions en effet à résoudre qu’un problème administratif, la tâche serait moins difficile, quelque étendu que fût ce problème ; mais ici la question administrative se complique de considérations et de circonstances politiques qui la modifient et la passionnent. Or, il y a beaucoup d’esprits qui ont été frappés, avant tout, de ces considérations et de ces circonstances. Les plus ardens ont jeté un cri d’alarme, et leur langage a témoigné d’une irritation amère ; d’autres, plus calmes et plus réservés, ne dissimulent pourtant pas la défiance que leur inspire la réforme qui est venue brusquement les assaillir. Ces sentimens, ces dispositions, ne sauraient étonner si l’on se rappelle de quelle crise, de quelle lutte philosophique et religieuse nous sortons.

Pour aller droit à la réforme elle-même, quelle est-elle ? Elle n’est pas une innovation, c’est un retour au passé même de l’université, à son passé le plus illustre, à l’époque où elle fut fondée par Napoléon au retour d’Iéna et de Tilsitt. En 1806, après la campagne d’Austerlitz, une loi en trois articles avait été promulguée pour annoncer la création d’une université impériale dont l’organisation devait être soumise au corps législatif dans la session de 1810. Malgré cet engagement, ce fut par des décrets et non par une loi que l’université fut organisée. Un décret en date du 17 mars 1808, et composé de cent quarante-quatre articles, jeta les bases de cette grande organisation, et c’est à une des parties les plus essentielles de ce décret, à celle qui concerne le conseil de l’université, que M. de Salvandy nous ramène aujourd’hui. Quelques mois après, le 17 septembre 1808, l’empereur rendit un autre décret qui contenait un règlement de l’université ; enfin, le 15 novembre 1811, un troisième décret, non moins capital que les deux autres, constitua en cent quatre-vingt-treize articles le régime intérieur du corps universitaire. Voilà sur quelles bases s’appuyait l’université quand l’empire tomba. Revenons au décret du 17 mars 1808, à la partie qui réglait les attributions réciproques du grand-maître et du conseil de l’université. Le grand-maître avait la nomination de toutes les places administratives et des chaires des collèges et des lycées, il instituait les professeurs de faculté, il nommait et plaçait dans les lycées les élèves qui avaient concouru pour obtenir des bourses ; enfin, et ceci veut être remarqué, il accordait la permission d’enseigner et d’ouvrir des maisons d’instruction aux gradués de l’université. Il y avait des peines que le grand-maître pouvait infliger seul, comme celles de la réprimande, de la censure, de la suspension ; il y en avait d’autres que le conseil de l’université pouvait seul infliger, c’étaient celles de la réforme et de la radiation. Nous sommes arrivés aux attributions du conseil ; il jugeait toutes les questions relatives à la police, à la comptabilité, à l’administration générale des facultés, des lycées, des collèges ; il jugeait les plaintes des supérieurs et les réclamations des inférieurs ; il décidait quels ouvrages pouvaient être mis entre les mains des élèves ; il jugeait enfin les affaires contentieuses et relatives à l’administration générale des académies et des écoles. On voit que ce conseil était comme une sorte de conseil d’état attaché au département de l’instruction publique. Pour compléter la similitude, il y avait, au sein du conseil de l’université, un service ordinaire et un service extraordinaire. En effet, des trente membres qui composaient le conseil, dix étaient conseillers à vie et prenaient le titre de conseillers titulaires ; c’était la partie permanente de l’institution. Vingt autres étaient choisis parmi les inspecteurs, les doyens, les professeurs de faculté, et tous les ans le grand-maître en dressait la liste ; c’était la partie mobile du conseil. Pour le travail, le conseil se partageait en sections dont chacune examinait les affaires qui lui étaient renvoyées par le grand-maître, et en faisait le rapport à l’assemblée générale.

La restauration ouvrit un autre état de choses : elle eût désiré détruire l’université ; mais, en dépit de sa malveillance, elle fut obligée de la respecter, sinon dans son ensemble, du moins dans ses parties fondamentales. Les collèges, les facultés, les académies, subsistèrent, mais le grand-maître et le conseil de l’université, ces grandes créations du décret du 17 mars 1808, disparurent. Leurs pouvoirs furent délégués à une commission qui, en 1820, fut autorisée à prendre le nom de conseil royal de l’instruction publique. Deux ans après, la charge de grand-maître fut rétablie, et, plus tard encore, le grand-maître prit le titre de ministre de l’instruction publique. Toutefois presque tous les pouvoirs administratifs restèrent entre les mains du conseil royal, et c’est pour obvier à cet inconvénient que M. de Vatimesnil, par une ordonnance du 26 mars 1829, établit qu’une partie des délibérations du conseil, celles qui touchent à l’administration, devaient être approuvées par le ministre responsable. Telle est la situation dans laquelle la révolution de 1830 trouva l’université. Depuis quinze ans, le conseil royal et le grand-maître se partagent l’administration universitaire, et il est vrai que la plus grande part est restée aux mains du conseil royal. Depuis quinze ans, les représentans les plus éminens de la science contemporaine ont brillé tour à tour tant dans le conseil qu’au ministère de l’instruction publique. Successivement, MM. Guizot, Villemain et Cousin ont été grands-maîtres ; ces deux derniers ont aussi administré l’université comme conseillers, et ils ont eu pour collègues des hommes d’une incontestable notabilité dans les sciences comme dans les lettres.

Que conclure de tout cela, sinon que l’université relève de deux traditions, la tradition impériale et la tradition des trente dernières années qui se sont écoulées depuis 1815 ? Or, il arrive que le ministre entre les mains duquel se trouve aujourd’hui, pour la seconde fois depuis 1830, le portefeuille de l’instruction publique, a toujours été exclusivement préoccupé des avantages du système impérial. Nous n’hésiterons pas à rendre cette justice à M. de Salvandy, que la réforme qu’il vient de consigner dans son ordonnance du 7 décembre, il l’a toujours voulue et préméditée. Pendant le 15 avril, il n’a pas tenu à M. de Salvandy qu’il n’ait frappé le coup par lequel il nous surprend aujourd’hui, et alors il ne s’agissait pas seulement d’un retour au décret du 17 mars 1808, mais d’une grande ordonnance qui reconstituait a novo l’université. À cette époque, les ministres qui siégeaient avec M. de Salvandy dans les conseils de la couronne, M. le comte Molé, M. de Montalivet, M. Barthe, furent plus frappés du danger qu’il y avait à tout remettre en question, à tout ébranler, que des bienfaits problématiques d’une réforme aventureuse ; aujourd’hui M. de Salvandy a des collègues plus indifférens ou plus téméraires.

Nous rappelons ces souvenirs, parce qu’au moment d’exprimer les doutes et les appréhensions que nous inspire l’ordonnance du 7 décembre, nous trouvons équitable de reconnaître que la pensée à laquelle a obéi M. de Salvandy a toujours été chez lui persévérante et fixe. Il est très vrai qu’en 1839 M. de Salvandy, dans le rapport au roi qui précédait le budget de 1840, établissait que le conseil royal de l’instruction publique n’était pas fondé sur les décrets constitutifs de l’université, mais sur les ordonnances de 1815. « Le conseil royal, disait alors M. de Salvandy, n’est pas soumis aux conditions de nomination que les décrets avaient fixées, et qui étaient une des garanties du corps universitaire. Enfin son organisation n’est pas non plus celle des décrets, et de là naît un autre inconvénient : c’est qu’assez nombreux pour une commission dirigeante, telle que les ordonnances l’avaient compris, il ne l’est pas assez, comme les rapporteurs du budget l’ont justement remarqué, pour le conseil délibérant et pour le tribunal que les décrets ont institués. » En parlant ainsi, en invoquant l’opinion des rapporteurs du budget, M. de Salvandy avait l’avantage d’être d’accord avec un des membres du conseil royal siégeant à la chambre. En 1830, M. Dubois, rapporteur du budget spécial de l’instruction publique, sans engager en rien l’avenir sur la composition et la constitution ultérieures du conseil royal, demandait qu’on y rappelât des conseillers ordinaires choisis parmi les inspecteurs-généraux, les doyens et les professeurs des facultés. On voit que M. Dubois réclamait un remède simple et pratique, en réservant avec prudence la question si grave de l’organisation même du conseil.

Cette question, M. de Salvandy l’a tranchée à lui seul, et c’est là le point de la difficulté. Ce n’est pas sur les inconvéniens qui pouvaient exister que s’élève aujourd’hui la controverse, mais sur le remède même par lequel on prétend les corriger. Nous ne disconviendrons pas que M. de Salvandy ne se soit associé un illustre collaborateur dans la personne de l’empereur Napoléon ; toutefois il est douteux que la résurrection pure et simple d’un décret de 1808 soit une solution victorieuse aux embarras de 1845. Dieu nous préserve d’avoir le moindre dédain ou la moindre antipathie pour les grands monumens de la législation impériale : si l’université de France est debout, c’est surtout par la puissance du décret du 17 mars 1808. Cependant, tout en considérant ce décret comme un des principaux titres de l’université, nous n’avons pas pour ce grand acte une adoration superstitieuse qui nous en fasse considérer toutes les dispositions comme une panacée infaillible. Les 144 articles dont se compose le décret du 17 mars 1808 sont-ils tous applicables aux mœurs, aux besoins de notre époque ? Ce décret ne règle pas seulement les attributions réciproques du grand-maître et du conseil, il établit une vaste hiérarchie qu’il veut faire respecter minutieusement. Les premiers articles du décret concentrent exclusivement l’enseignement publie entre les mains de l’université ; ils refusent, ils nient d’une manière absolue la liberté qu’on réclame aujourd’hui. N’entrons pas dans un détail qui serait infini ; disons seulement que si la législation impériale est, pour l’université, une immortelle origine, un fondement solide, on ne saurait l’ériger en une charte immuable, envers laquelle tout esprit d’amendement et de critique serait un crime.

Dans son culte pour la législation napoléonienne, M. de Salvandy ne s’est pas aperçu qu’il ne tenait pas assez compte d’un passé moins éclatant que l’époque impériale, et pourtant respectable. Est-il bien prudent d’abroger d’un trait de plume toutes les dispositions et ordonnances contraires à l’ordonnance du 7 décembre et au décret organique ? Nous n’élevons pas ici une question de légalité, mais une question toute politique ; nous ne contestons pas qu’on ne puisse, par une ordonnance, abroger d’autres ordonnances, et revenir à l’exécution d’un décret impérial à laquelle la jurisprudence a donné force de loi. C’est la convenance politique qui nous préoccupe surtout. Nous n’aimons pas ces abrogations générales et dangereuses par lesquelles le gouvernement semble incriminer lui-même son passé. Si les ordonnances qui faisaient le titre légal du conseil royal qui administre l’université depuis vingt-cinq ans sont mises au néant, que faudra-t-il penser de la validité de ses actes ? Ceux qui n’ont pas aperçu le danger de provoquer de pareilles questions peuvent être avertis depuis quelques jours par la satisfaction avec laquelle les adversaires systématiques de l’université ont accueilli la nouvelle ordonnance, joie suspecte qui ne saurait manquer d’éclairer M. de Salvandy sur la valeur de certains éloges. Un ministre conservateur a-t-il beaucoup à s’applaudir de voir un projet de réforme accueilli et célébré comme un premier acte de démolition ?

L’opposition constitutionnelle avait montré, il en faut convenir, plus de circonspection et de prudence. Il y a deux ans, elle a eu la majorité au sein de la commission chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’instruction secondaire ; elle ne s’en est pas servie pour mettre témérairement en question l’existence du conseil royal. Nous croyons au contraire qu’après un assez long débat entre M. de Salvandy et M. Saint-Marc Girardin, la majorité a exprimé l’intention expresse de ne pas agiter intempestivement une semblable question, désirant que le temps consacrât de plus en plus une institution qui représentait le pouvoir éclairé de l’état. Dans quelques jours, le ministère se présentera devant les chambres avec l’ordonnance du 7 décembre : il n’a pas voulu discuter le projet que la chambre des députés attendait, et il apporte une réforme que personne n’estimait urgente. Il est impossible qu’une pareille interversion n’excite pas un débat animé. M. de Salvandy doit s’y attendre et s’y préparer. Il se prévaudra de la droiture de ses intentions et de la persévérance de ses vues ; il pourra montrer pièces en main qu’il a toujours eu sur l’organisation de l’université les mêmes principes et les mêmes projets. Tout cela sera vrai ; mais cela suffira-t-il pour répondre aux objections politiques qui lui seront présentées ? On lui demandera compte de l’ébranlement imprimé aux institutions et aux esprits par une mesure aussi grave ; on en critiquera la forme, on en contestera l’opportunité.

M. de Salvandy croit, par son ordonnance, avoir résolu une question fondamentale ; là est son erreur, car il n’a fait que la poser. Il l’a posée avec hardiesse, trop de hardiesse ; mais, quant au remède employé pour guérir un mal dont il a cru devoir se faire lui-même le dénonciateur officiel, nous doutons qu’il soit définitif et sérieusement accepté, soit par les chambres, soit par l’opinion, enfin par l’université elle-même. On commence, dans ce grand corps, à comprendre qu’au milieu de tant de vues divergentes, de tant de théories contradictoires, on a besoin de l’autorité d’une loi constitutive. Avec une loi, on sera à l’abri de ces ordonnances imprévues, de ces secousses administratives qui viennent troubler le cours régulier des choses ; voilà ce qui se dit aujourd’hui au sein de l’université. De leur côté, les chambres remarqueront infailliblement que les questions que tranche ainsi l’omnipotence ministérielle appartiennent, par leur nature même, au pouvoir législatif. Qui a mission d’organiser, dans un pays constitutionnel, des institutions fondamentales, comme la magistrature, le conseil d’état, l’université, le service militaire, si ce n’est le parlement, c’est-à-dire la puissance réunie de la couronne et des deux chambres ? Si l’ordonnance du 7 décembre n’est qu’une manière de porter la question aux chambres, à la bonne heure ; peut-être seulement cette présentation eût-elle pu avoir lieu sans en faire payer les frais au pouvoir royal.

En ce moment, il n’y a plus de conseil de l’université, car l’ancien conseil royal est dissous, et le nouveau n’est pas encore formé. Dans une époque régulière, dans un temps calme, une pareille situation est étrange. L’été dernier, le conseil d’état a passé du régime de l’ordonnance au régime de la loi, sans interruption, sans secousses : à l’instant même où l’ordonnance de 1839 disparaissait, la loi prenait sa place ; il n’y a pas eu solution de continuité. Aujourd’hui l’université et son chef sont sans conseil ; cette situation est grave, et doit peser à M. de Salvandy. M. le ministre de l’instruction publique doit être impatient de répondre aux craintes, aux défiances, aux objections que son ordonnance a soulevées, et d’y répondre par l’organisation même du nouveau conseil. Ici les choix sont une affaire capitale. C’est par les choix que M. de Salvandy montrera qu’il ne s’est proposé que le plus grand intérêt de l’université, qu’il n’a entendu travailler qu’à accroître son autorité morale. Si des choix irréprochables et promptement décrétés permettaient, dans quelques jours, au nouveau conseil, d’entrer en exercice, tous les hommes de bonne foi suivraient avec impartialité cette grande expérience, dont la réussite peut, mieux que toutes les explications parlementaires, justifier et les intentions et la conduite de M. de Salvandy. M. le ministre de l’instruction publique est sincèrement dévoué, nous en sommes convaincus, à la cause de l’université. Il la sert avec activité, quelquefois avec pétulance, toujours avec le désir d’attacher son nom à de grandes mesures. Il est évident que le ministre qui, à quelques jours d’intervalle, a rendu les deux ordonnances sur les maîtres d’études et le conseil royal, a eu l’ambition de toucher en même temps à la base et au sommet de l’université, et clé régénérer à la fois les deux extrémités de ce grand corps. En donnant aux maîtres d’études les moyens d’agrandir leurs connaissances et leur carrière, en élevant leur condition morale et leur existence matérielle, M. de Salvandy a bien mérité de l’éducation. N’oublions pas non plus le courage avec lequel il propose aux chambres les dépenses qu’il estime nécessaires aux progrès de la science. Ces sentimens, ces qualités, peuvent expliquer ce que la gestion administrative de M. de Salvandy a, dans certaines circonstances, d’impétueux et d’imprévu.

La Belgique se montre assez peu soucieuse de nos griefs. Au moment même où il négocie chez nous le renouvellement de la convention de 1842, si gravement compromise par l’extension accordée aux vins et soieries d’Allemagne des faveurs précédemment stipulées dans cette convention au profit des vins et soieries de France, le gouvernement belge défend un projet de loi dont l’adoption aura pour résultat de transformer Anvers en port du Zollverein. Au terme de ce projet, Anvers, qui n’était depuis 1828 qu’un entrepôt de libre réexportation, deviendrait un entrepôt franc, où les marchandises étrangères destinées, soit au transit en Belgique, soit à la réexportation par mer, pourraient entrer, stationner, circuler, sans être soumises au déballage et à la vérification de détail. C’est là le but que poursuit depuis long-temps la diplomatie prussienne, et personne dans la chambre des représentans ne se l’est dissimulé. Les défenseurs du projet lui font même un mérite de ses tendances germaniques : l’exemption du déballage et de la vérification de détail appellera, disent-ils, dans le port d’Anvers tous les produits de l’Allemagne, qui, sans ces facilités, trouveraient profit à lui préférer les ports néerlandais. Très bien jusque-là. Nos voisins usent d’un droit incontestable, et ce n’est pas nous qui leur conseillerons l’isolement commercial. On peut seulement s’étonner de voir la Belgique afficher tant de condescendance pour le Zollverein, et tant de susceptibilité, de manque d’égards, de prétentions injustes vis-à-vis de nous. Le contraste qui ressort de la discussion actuelle est frappant. Outre les partisans avoués de la liberté commerciale, le projet a pour lui la plupart des prohibitionnistes de la chambre, ceux-là même qui ont toujours combattu l’alliance avec la France par les argumens les plus exagérés du système protecteur. Un simple rapprochement de noms et de dates en dirait très long sur ce sujet.

Ces réserves faites, nous dirons que le projet des entrepôts francs est l’indice d’un véritable progrès. La Belgique, trop exclusivement préoccupée jusqu’ici des défiances de son industrie manufacturière, commence à comprendre que le commerce proprement dit a lui-même ses droits. L’intérêt manufacturier bénéficiera tout le premier de cette mesure. Elle concentrera une partie de la contrebande sur un point aisément surveillé. Elle facilitera les exportations maritimes de la Belgique, qui, vu leur faible développement, sont aujourd’hui dans l’alternative d’aller chercher un navire en charge dans les ports de l’étranger, ou d’attendre plusieurs mois, dans le bassin d’Anvers, que le navire de transport ait complété son chargement. Dès qu’Anvers sera devenu entrepôt franc, les cargaisons y feront moins faute que les navires.

La diplomatie ne réussit pas à pacifier le Liban. Il faut espérer que Reschid-Pacha rougira pour l’honneur de son pays des horreurs gratuites dont la politique de ses prédécesseurs a accablé la malheureuse Syrie. Qu’ont produit les promesses solennelles de Chékib-Effendi ? Après avoir annoncé qu’il allait de sa personne sur les lieux pour mieux se rendre compte de ce qui ne lui paraissait pas encore suffisamment expliqué, l’envoyé de la Porte s’est audacieusement joué de l’intervention européenne, et il a ordonné le désarmement de la montagne, ou plutôt, sous l’apparence d’une mesure générale, il n’a désarmé que les chrétiens, laissant aux Druses leurs armes. De cette façon, ces derniers pourront se livrer à tous les excès sans avoir à craindre l’ombre d’une résistance. À cette déplorable anarchie si perfidement fomentée, il n’y a qu’un remède : c’est la franche union pour une œuvre d’humanité des deux cabinets de Paris et de Londres ; ici, il faut faire trêve à des malentendus, aux divisions, si l’on veut, qui n’ont que trop duré entre les deux consulats français et britannique de Beyrouth, divisions qui ont déjà coûté si cher aux populations chrétiennes du Liban. Au surplus, il faut reconnaître que dans ces derniers temps les représentans de la France ont été par leur énergie à la hauteur de leurs devoirs. Chékib-Effendi, qui désirait agir sans témoins, avait ordonné que tous les religieux ou négocians européens eussent à quitter le Liban. Cette mesure s’adressait presque exclusivement aux Français, et elle était en contradiction flagrante avec les capitulations. Notre consul protesta. Chékib-Effendi passa outre, Alors M. de Bourqueney exigea à Constantinople, de la manière la plus péremptoire, le retour de nos nationaux, et une indemnité pour les frais que leur avait occasionnés un déplacement si arbitraire. Après une longue résistance qu’on assure avoir été encouragée par la légation russe, la Porte céda enfin, et cette fois les réparations ne furent plus illusoires, comme on avait pu le croire d’abord : elles ont été complètes ; mais, nous le répétons, l’avenir se trouvera encore compromis de la manière la plus cruelle, si à Beyrouth l’Angleterre et la France ne se montrent pas sincèrement unies. Il faut savoir que la Porte joue avec les deux légations quand celles-ci ne sont pas d’accord, comme elle joue avec les chrétiens et les Druses, et il serait temps que l’Europe chrétienne ne se prêtât plus à une mystification qui amène de si désastreux résultats.

Le droit de visite touche-t-il définitivement à sa fin ? Le Moniteur publie la déclaration en vertu de laquelle dans trois mois, à partir du 6 décembre, commencera l’exécution de la convention signée le 29 mai 1845 entre la France et l’Angleterre pour la suppression de la traite. À cette époque, c’est-à-dire le 6 mars 1846, les mandats donnés aux croiseurs des deux pays pour l’exercice du droit de visite devront être respectivement restitués. En ce moment même, deux escadres, composées chacune de vingt-six bâtimens, sortent des ports de France et d’Angleterre pour se diriger vers la côte occidentale d’Afrique. La surveillance des deux escadres s’étendra sur douze cents lieues de côte environ. À la répression de la traite viennent se joindre des intérêts que la présence de notre pavillon doit favoriser. Le gouvernement vient de conclure des traités de commerce avec trente-sept chefs indigènes qui se sont engagés en même temps à ne plus tolérer la vente des noirs.

Jamais le ministère de la marine n’a eu plus d’occasions de déployer son activité, car le cabinet prétend mener de front une expédition sur Madagascar avec le blocus de Buénos-Ayres. Dans un mois, l’escadre que nous envoyons dans la mer des Indes sortira de Toulon ; le commandement de l’expédition est confié au général Duvivier, qui, avant ses campagnes en Afrique, a servi plusieurs années dans nos colonies. Nous allons faire sur la côte de Madagascar une apparition vive et rapide ; nous allons tirer vengeance des Hovas. Le ministère n’a pas la pensée de pousser ses conquêtes dans l’intérieur de l’île, mais il espère, par une démonstration énergique, relever nos établissemens et rendre à notre commerce la sécurité dont il a besoin. À Buénos-Ayres, nos opérations ne sortiront pas des limites d’un blocus. Le ministère déclare ne pas faire de la chute de Rosas la condition nécessaire du rétablissement du bon accord avec la république argentine que Rosas respecte véritablement l’indépendance de la république de l’Uruguay, qu’il ne cherche plus à l’absorber dans sa dictature, et nous nous tiendrons pour satisfaits. Comment songer à une guerre continentale, à une guerre sur le sol argentin ? Ce serait se condamner à des dépenses sans fin et probablement sans résultats. Cette conduite est sage ; mais, pour qu’elle soit tout-à-fait habile, il faut que le ministère poursuive l’exécution du blocus avec une vigueur, avec une persévérance qui arrache enfin à Rosas et aux populations argentines les transactions que nous croyons juste de leur imposer.


À la Bourse, les émotions n’ont pas manqué dans cette dernière quinzaine. La destitution de M. Baudon, receveur-général de la Seine-Inférieure, a causé une vive surprise. M. Lacave-Laplagne n’a pas pardonné aux receveurs-généraux, qui avaient promis une concurrence sérieuse pour le chemin de Lyon, la fusion à laquelle ils se sont prêtés. Le commerce de Rouen a écrit à M. Lacave-Laplagne pour le prier de révoquer la destitution du receveur-général de la Seine-Inférieure. M. Baudon accordait de grandes facilités au commerce, et il s’est vu forcé de les retirer : cela coïncide d’une manière fâcheuse avec les derniers jours de l’année. La crise financière touche presque à son terme. La fin de l’année, comme il arrive presque toujours à la Bourse, où tout s’escompte, a eu lieu le 30 novembre. Les catastrophes particulières qu’on a eu à déplorer étaient les suites des désastres du mois précédent. C’est le 20 qu’auront lieu les deux adjudications du chemin de Lyon et de l’embranchement de Creil à Saint-Quentin. Deux compagnies seulement sont en présence pour la ligne de Lyon : l’une, formée de l’élite des compagnies autrefois rivales, maintenant réunies, et ayant à sa tête un nom financier dont les grandes entreprises de chemins de fer semblent ne pouvoir plus se passer ; l’autre, composée d’élémens hétérogènes, dont les tribunaux ont déjà fait connaître les discordes, et qui semble trop faible pour soutenir les investigations sévères de la commission d’examen. On peut sans témérité regarder la question comme jugée, et l’adjudication comme certaine en faveur de la seule compagnie qui offre à l’état les garanties exigées. Pour l’embranchement de Saint-Quentin, il y a cinq compagnies en présence. La victoire sera vivement disputée : on sait que pour le chemin du Nord elle est une nécessité, et c’est une position qu’on exploite. Il est probable que la compagnie du chemin du Nord fera les plus grands efforts pour obtenir l’adjudication de l’embranchement de Saint-Quentin, si important pour elle.


La littérature politique vient de s’enrichir d’un livre éminent ; nous voulons parler des Études administratives[1] de M. Vivien, dont nos lecteurs connaissent l’ingénieuse et ferme sagacité. Sur le droit administratif, les traités, les compilations, ne manquent pas ; pour la science administrative, M. Vivien a l’honneur de frayer le premier la route. « La science administrative, comme le dit M. Vivien dans une excellente préface, interroge les phénomènes sociaux plus que les lois écrites ; elle est plus générale dans ses vues, plus libre dans ses décisions ; elle s’appuie sur toutes les autres sciences qui ont pour objet les destinées de l’homme ; elle demande à la philosophie ses principes, à la morale ses règles, à l’histoire ses origines, à l’économie politique la solution de ses plus grands problèmes, la théorie des impôts, la loi de la population, celle de la richesse, et toutes les conditions du progrès matériel. » Une science ainsi définie, ainsi constituée, devait avoir son représentant dans l’Académie des sciences morales et politiques ; c’est ce qu’a pensé la section de législation en présentant M. Vivien en première ligne aux suffrages de l’Académie ; l’Académie ratifiera le jugement de la section de législation.


  1. Un vol. in-8, chez Guillaumin.