Chronique de la quinzaine - 14 décembre 1859

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Chronique n° 664
14 décembre 1859


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 décembre 1859.

Si l’on pouvait d’avance juger des résultats du prochain congrès par l’effet qu’a produit dans les esprits la seule nouvelle des invitations expédiées aux puissances, il serait permis de concevoir de favorables pressentimens sur la destinée de cette délibération européenne. L’influence de la nouvelle sur l’opinion a été excellente. En même temps une impression rassurante se répandait : quelques faits apparens et des rumeurs très accréditées dissipaient les craintes qu’avait inspirées récemment l’état de nos rapports avec l’Angleterre, et donnaient à croire que, loin de tourner à l’aigreur, les dispositions des gouvernemens anglais et français inclinaient vers la bienveillance mutuelle, la bonne entente et l’action concertée. Il ne nous est guère possible d’établir maintenant la portée de ces faits ou le fondement de ces bruits. Parmi les faits, nous avons déjà signalé le plus saillant, la circulaire du ministre de l’intérieur, qui a modéré le zèle anti-anglais de la presse officieuse ; nous mentionnerons aussi la réponse satisfaisante du chef du cabinet de l’empereur à la démarche excentrique de quatre négocians de Liverpool, — braves gens bien dignes sans contredit de figurer parmi les hommes de bonne volonté à qui la paix a été promise à la naissance du Christ, mais dont l’acte insolite et un peu ridicule est taxé d’indiscrétion et presque de félonie par leurs trop sévères compatriotes. Le chapitre des bruits serait plus curieux peut-être, mais qui oserait, sans en avoir la mission, répéter publiquement des protestations verbales attribuées à de grands personnages ? Qui oserait surtout garantir la fidélité des échos multipliés et successifs par lesquels elles arrivent dans le monde politique ? Quoi qu’il en soit, deux aimables vertus, dont, pour notre part, nous subissons volontiers le charme, la foi et la patience, règnent pour le moment sur l’opinion. L’on croit et nous croyons à la bonne intelligence entre les gouvernemens de France et d’Angleterre ; l’on croit et nous croyons que l’on verra au congrès les effets de cet accord : muni de cette foi, l’on attend patiemment le congrès, sans vouloir scruter d’avance aucun des problèmes qu’il devra résoudre, sans vouloir anticiper par aucune conjecture sur les difficultés de sa tâche. Ce soulagement, ce repos, cette quiétude que nous apportent la certitude de la réunion prochaine du congrès et l’amélioration de nos relations avec l’Angleterre, sont des biens que l’on tient à posséder et à savourer à loisir, et que l’on ne veut pas laisser entamer, dans le court intervalle qui nous sépare du concile diplomatique, par des prévisions importunes. Ce sentiment d’absorption et de concentration confiante dans le présent est si général qu’il nous semble que les gouvernemens doivent avoir grande peine à s’y dérober eux-mêmes. Nous ne sommes point dans leurs secrets, mais nous ne serions pas surpris si, cédant un instant à la lassitude après une année si remplie et à l’appréhension des tracas de l’avenir, ils hésitaient à se sonder mutuellement, ils évitaient de soulever, par une négociation préparatoire, les questions qui pourraient les diviser, ils ajournaient à l’époque du congrès les inévitables controverses. À eux aussi cette halte doit être douce. Par un accord tacite et général, une vraie trêve de Dieu s’est donc faite sur les affaires d’Italie : respectons-la, et gardons-nous d’agiter ayant l’heure du congrès aucune question italienne.

Nous profiterons de ce court répit pour réfléchir sur l’esprit qui doit animer l’opinion libérale dans la nouvelle série de discussions et d’événemens où vont entrer les affaires d’Italie. L’influence de l’opinion sur les délibérations diplomatiques qui vont s’ouvrir sera grande, il faut s’y attendre et s’y préparer. Il n’y a que deux sanctions possibles aux décisions d’un congrès, la force matérielle ou la force morale, l’action militaire ou l’opinion. L’action militaire paraît devoir être écartée en principe : sur ce point, les déclarations publiques de l’empereur sont d’accord avec les principes, affichés par le ministère anglais. L’autorité du congrès ne pourra donc s’exercer que par la force morale, c’est-à-dire que les arrêts du congrès n’auront de puissance que celle qui leur sera prêtée par l’opinion, que le congrès, s’il veut obtenir quelque efficacité pour son œuvre, devra écouter attentivement les inspirations de l’opinion, que l’opinion en un mot sera la vraie souveraine. La situation parlementaire de l’Angleterre, celle même de l’Italie, si le gouvernement piémontais a le bon esprit de convoquer promptement ses chambres, donneront une forme pratique à l’intervention de l’opinion. Le ministère anglais a une si petite majorité dans la chambre des communes, qu’il sera obligé de compter à tout instant avec cette chambre. Dans l’état d’excitation où est l’Angleterre, la chambre des communes, reflétant le sentiment public, sera vigilante et exigeante. Le ministère anglais a bien compris cette situation, lorsqu’il s’est décidé à n’envoyer au congrès aucun de ses membres, ni lord Palmerston ni lord John Russell. Les représentans de l’Angleterre, lord Cowley et lord Wodehouse, diplomates distingués, mais qui ne sauraient avoir l’initiative qui aurait appartenu au chef ou à un membre influent du cabinet, seront toujours étroitement liés à la lettre de leurs instructions. Le ministère lui-même sera tenu de court par la chambre des communes, laquelle sera surveillée, poussée ou contenue par l’esprit public. Ce sera une situation neuve que celle de ce congrès délibérant sur la renaissance d’un peuple à l’indépendance et à la liberté en présence et sous le contrôle d’un parlement qui, depuis les réactions continentales, est en quelque sorte devenu le parlement du monde. Nous croyons que la diplomatie, à laquelle les traditions sont chères, serait fort embarrassée pour trouver des précédens qui s’y pussent rapporter. Le congrès de Paris ne ressemblera pas à ces congrès qui suivirent les événemens de 1815, aux congrès de Laybach et de Vérone, véritables conspirations du despotisme contre les droits populaires, où se complotait mystérieusement entre gouvernemens absolutistes la destruction à main armée, et encore par l’intervention étrangère, des constitutions qu’avaient voulu se donner les nations méridionales. Le congrès de Paris, renonçant à l’emploi de la force, n’a devant lui que deux issues : ou il entrera en compromis avec l’opinion libérale de l’Europe, ou, s’il refuse de tenir compte de cette opinion, il se condamnera à une impuissance avérée.

Dans de telles circonstances, il faut que partout en Europe l’opinion libérale comprenne et l’importance du rôle qu’elle est appelée à jouer, et les devoirs que ce rôle lui impose. Les hommes qui sont dévoués à la cause libérale doivent en ce moment redoubler de fermeté, d’ardeur et de confiance. Ces hommes sont encore dans notre pays plus nombreux qu’on n’a l’air de le croire, plus nombreux qu’ils ne semblent le penser eux-mêmes. Il serait temps qu’ils songeassent à définir nettement leur situation et leur mission. Avant tout, qu’ils sachent bien et qu’ils apprennent à ceux qui seraient tentés de les considérer comme des adversaires qu’ils ne constituent point un parti, et un parti d’opposition, dans le sens que nous attachions à ce mot sous le régime parlementaire. Ils représentent des principes, des doctrines ; ils forment, si l’on veut, une école : ils ne sont point un parti ; ils ne sont pas davantage une opposition. Un parti n’est pas seulement déterminé par des idées, il est lié par des intérêts et par des questions personnelles : les intérêts peuvent être élevés et les questions personnelles respectables, ce n’en sont pas moins des entraves qui donnent à un parti organisé je ne sais quel caractère égoïste et exclusif. Une opposition est un parti qui lutte contre un autre parti investi du gouvernement, et aspire à le remplacer au pouvoir. Nos institutions actuelles, on nous dispensera de le démontrer, ne se prêtent point à ces organisations de partis et d’opposition. Qu’on puisse le regretter à plusieurs égards, c’est une discussion qui nous est peut-être interdite, et dans laquelle d’ailleurs nous ne voulons pas entrer. Que l’organisation des partis et d’une opposition politique présente des avantages publics et particuliers, c’est un point sur lequel nous ne voulons pas nous prononcer. Il nous suffit, pour le moment, de constater que ces avantages sont compensés par des inconvéniens, et que, par le fait même qui nous prive des uns, nous sommes affranchis des autres. Nous n’avons pas les tentations et les soucis de l’ambition personnelle, nous n’avons point à nous préoccuper des questions de personnes et à nous inspirer des animosités qu’elles engendrent ; nous ne sommes pas voués, par la nécessité d’une situation, à la critique systématique des actes du pouvoir. Rien de ce qui a dans la vie politique un caractère étroit, exclusif, intéressé, ne nous est plus imputable. Nous n’avons plus à nous attacher qu’aux principes qui sont l’âme même de notre cause, qui ont été l’inspiration la plus généreuse du XVIIIe siècle, et qui sont le plus glorieux héritage que notre révolution nous ait légué. En les défendant, nous perpétuons une des plus vitales traditions françaises, et nous gardons à l’avenir un dépôt fécond. Ce sont les intérêts mêmes de ces principes et la force de développement qu’ils contiennent qui nous tracent nos devoirs dans les circonstances actuelles.

Le premier de ces devoirs, soyons-en bien convaincus, est d’achever de nous dépouiller des petitesses et des tics de l’esprit de parti, qui seraient pour nous un affaiblissement sans compensation. Ne nous laissons pas aller à l’insouciance par mauvaise humeur, au dédain par paresse, à l’air de dégagement et d’ironie par découragement. Laissons-nous pénétrer de ce noble cri du patriotisme désintéressé que poussait naguère ici M. de Rémusat : « Par quelque barrière infranchissable qu’on soit séparé de la politique officielle, on ne peut se tenir pour étranger à ce qu’elle décide et à ce qu’elle entreprend… On n’émigre pas plus de sa pensée que de sa personne, parce qu’on est à jamais hors de la vie publique. » N’oublions pas que le monde marche, et qu’il s’y fait sans nous des choses grandes et bonnes, qu’il faut le prendre où il est, dans l’ordre des faits et des intérêts, si nous voulons le ramener où nous sommes, dans l’ordre des idées. Le second devoir est de maintenir la fixité de nos principes ; le troisième, de les professer et de les appliquer dans toute la largeur qu’ils comportent ; le quatrième, de nous tenir à l’unisson du mouvement libéral qui s’accomplit en Europe. N’étant point des prétendans au pouvoir, pourquoi nous imposerions-nous gratuitement ces compromis accidentels que la pratique des choses prescrit, dit-on, aux gouvernemens ? Qu’aurions-nous gagné par exemple cette année à subordonner nos principes, qui nous commandent de respecter en Italie les vœux d’un peuple qui veut s’émanciper du joug étranger et se constituer librement, à une tactique d’opposition systématique ? Nous aurions été amenés à changer trois ou quatre fois d’opinion, sans avoir l’excuse qui couvre au moins les variations de la politique d’un gouvernement, obligé de modifier ses desseins par des combinaisons d’intérêts imprévus et par la force des événemens. Il faut aussi pratiquer nos principes dans toute leur étendue et les préférer hardiment aux routines surannées qui se présentent à nous comme des traditions de la politique soi-disant grande du passé. Les affaires d’Italie nous fournissent encore sur ce point une leçon instructive. L’Italie centrale veut s’annexer au Piémont, pour former avec cet état un grand royaume italien. Peut-être a-t-on encore le droit de contester la fermeté et la sincérité de cette résolution de l’Italie centrale ; mais le jour où cette question de fait serait tranchée par une manifestation décisive des peuples italiens, il ne serait pas permis à un Français libéral de s’inscrire contre le vœu légitime d’un peuple au nom de cette politique de nos anciens rois qui interdisait la formation d’un royaume puissant sur nos frontières. Là où la voix des principes est claire et impérieuse, de prétendus intérêts doivent céder. Nos principes proclament le droit des peuples à choisir et à constituer leur gouvernement : il y aurait une immoralité révoltante a vouloir les sacrifier en Italie à un soi-disant intérêt français.

En agissant ainsi, nous commettrions au-delà des Alpes une injustice analogue à celle que nous reprochons à quelques hommes d’état anglais à propos du percement de l’isthme de Suez. Ces hommes d’état prétendent en effet qu’un intérêt anglais, à coup sûr malentendu, doit l’emporter, dans l’affaire de Suez, sur l’intérêt des autres peuples, tel que ceux-ci le comprennent, et sur un vœu de la civilisation générale. Les libéraux français ne peuvent pas, sous un prétexte d’intérêt égoïste, donner au monde le scandale d’un pareil désaveu de leurs idées. Ici d’ailleurs le prétexte même est faux. L’ancienne politique française, qui empêchait la formation d’états puissans sur nos frontières, était logique, car elle s’appliquait à une époque où des états semblables n’auraient pu être formés que par la conquête, et où les monarchies européennes, constituées despotiquement, étaient, par cela même, toutes placées sous une menace mutuelle et permanente de guerre. Un état despotique ne pouvant pas donner à ses voisins de garanties efficaces de paix, les ministres de nos anciens rois avaient raison de prévenir l’extension des états situés sur nos frontières. La même politique serait aujourd’hui encore justement applicable au royaume de l’Italie supérieure, si ce royaume devait être despotiquement gouverné, car nous serions alors continuellement exposés aux agressions capricieuses et soudaines du prince qui disposerait seul de ses ressources et de ses forces militaires. Au contraire, l’Italie, se constituant sous un régime parlementaire, n’est plus pour nous une menace, parce qu’une nation représentée et appelée à choisir elle-même entre la guerre ou la paix ne se prononce jamais pour une guerre gratuite, parce qu’une nation représentée ne peut recourir que pour sa propre défense à ces coalitions auxquelles est si favorable le mystère des cabinets absolutistes, parce qu’enfin une nation représentée fait ses affaires au grand jour, ne décide ses entreprises qu’après de longues discussions publiques, et que de sa part il ne saurait y avoir pour ses voisins aucun danger de surprise. Ainsi les libéraux français doivent respecter les vœux de l’Italie tels qu’ils seront présentés au congrès. Il ne nous suffit donc pas de maintenir persévéramment l’identité de nos principes ; il faut, dans l’application, être résolus à les interpréter aussi largement que possible. Dans cette voie, il y a une influence qui doit nous éclairer et nous guider : c’est le développement des idées libérales dans les autres pays de l’Europe, c’est la nécessité de demeurer toujours au niveau et à l’unisson des progrès du principe de liberté au dehors. La halte de la France n’a point en effet suspendu la marche des idées libérales dans le monde. Nous aurons un jour un grand espace à franchir d’un bond pour rattraper l’avance que d’autres ont prise sur nous. Nous pourrons attendre patiemment ce jour, et nous rendre le témoignage de n’avoir point manqué à la fortune et à l’honneur de notre patrie, si jusque-là nous avons maintenu en nous l’intégrité de nos principes, et si nous en avons nourri la flamme dans les esprits et dans les caractères.

Parmi nos contemporains étrangers, celui chez lequel on trouve peut-être la note la plus élevée et la plus sûre de l’esprit libéral est M. John Stuart Mill. M. Mill peut être considéré comme le penseur politique qui a mis dans la circulation intellectuelle de son pays le plus d’idées libérales éprouvées. Personne autant que lui n’a enrichi ce fonds commun où les politiques de profession, les journalistes, les orateurs, les ministres, tous plus ou moins condamnés à l’improvisation, puisent les vérités politiques, économiques et sociales qu’ils vont ensuite vulgariser avec tant de talent, et qui ont fini par former l’atmosphère morale actuelle de l’Angleterre, malheureusement si peu connue du continent, comme nous en faisions récemment la remarque. M. Mill a des facultés philosophiques rares chez ses compatriotes : il a un autre mérite aussi peu commun en Angleterre, c’est une curiosité sympathique des idées, des aspirations et des littératures du continent, et notamment de la France. Peu d’Anglais connaissent la France aussi bien, et ont pour elle autant de goût. Comme tous les esprits élevés, qui veulent accroître la civilisation de leur patrie en la comparant à des civilisations différentes, il dédaigne de flatter son pays, et ne craint point de lui signaler les qualités de ses rivaux, qu’il voudrait lui voir acquérir. S’il a encouru un reproche parmi ses compatriotes, c’est d’être le censeur un peu morose de l’Angleterre et le panégyriste un peu complaisant de la France. Les qualités de M. Mill et ces penchans que nous venons d’indiquer donnent un puissant intérêt et une autorité particulière à un écrit remarquable qu’il vient de publier, dans le Fraser’s Magazine, sur la politique étrangère de l’Angleterre, sous ce titre : « Quelques mots sur le principe de non-intervention, » a few Words on no-intervention.

M. John Stuart Mill, qui n’est point, nous le répétons, un adulateur de son pays, s’étonne de la méprise profonde que commettent les écrivains du continent dans leurs jugemens sur l’Angleterre. « Il y a un pays en Europe, dit-il avec une éloquente sincérité, égal aux plus grands par l’étendue de ses possessions, et qui les dépasse tous en richesse comme par la force que la richesse procure, dont le principe déclaré en matière de politique étrangère est de laisser à eux-mêmes les autres peuples. Aucun pays ne redoute ou n’affecte de craindre de sa part des projets d’agression. Les puissans, de tout temps, ont eu l’habitude d’usurper sur les faibles et de lutter pour la domination avec ceux qui sont aussi forts qu’eux. Il n’en est point ainsi de cette nation. Elle veut garder ce qui lui appartient, elle ne se soumettra à aucune usurpation ; mais, pourvu que les autres nations ne se mêlent pas de ses affaires, elle ne veut pas se mêler des leurs. L’influence qu’elle peut exercer sur elles par la persuasion, elle l’emploie plutôt au service des autres qu’à son profit : elle est médiatrice dans les querelles qui éclatent entre les états étrangers, elle s’efforce de mettre un terme aux guerres civiles obstinées, elle réclame la clémence en faveur des vaincus, ou enfin elle obtient la cessation de quelque crime national ou de quelque scandale pour l’humanité, tel que la traite, des esclaves. Non-seulement cette nation ne cherche pour elle aucun bénéfice aux dépens des autres, elle ne poursuit aucun avantage sans admettre les autres à le partager. Elle ne fait point de traités qui stipulent pour elle des profits commerciaux exclusifs. Si les agressions de peuples barbares la contraignent à faire une guerre heureuse, et si ses victoires lui permettent d’imposer la liberté du commerce, tout ce qu’elle demande pour elle, elle le demande pour le genre humain. Les frais de la guerre sont pour elle ; les fruits en sont fraternellement partagés avec l’humanité tout entière. Ses ports et son commerce sont libres comme l’air et le ciel. Tous ses voisins y peuvent entrer sans payer de droits, et elle ne s’inquiète pas si, de leur côté, ils gardent tout pour eux, et persistent à se fermer avec la plus étroite jalousie à ses négocians et à ses marchandises. — Une nation qui adopte une telle politique est une nouveauté dans le monde ; c’est si bien une nouveauté que la plupart n’en peuvent croire leurs yeux. Par un de ces faits paradoxaux que nous rencontrons souvent dans les affaires humaines, voilà pourtant la nation qui est, pour sa politique étrangère, dénoncée comme le type de l’égoïsme, comme une nation qui ne cherche qu’à tromper, à supplanter ses voisins. Un ennemi vaincu, un rival distancé, pourrait à la rigueur exhaler une telle accusation dans un moment de mauvaise humeur ; mais que cette calomnie soit acceptée par les indifférens et passe à l’état de doctrine populaire, il y a bien là de quoi surprendre même ceux qui ont sondé le plus avant l’abîme des préjugés humains. Telle est pourtant, au sujet de la politique anglaise, l’opinion la plus répandue sur le continent. » M. Mill ne se contente pas de protester contre cette colossale méprise, dont naguère nous étions en train de voir les déplorables conséquences se dérouler parmi nous, et dont par contre-coup les Anglais subissent l’effet en se livrant à des armemens formidables et en s’imposant le fardeau de taxes extraordinaires. Avec sa sagacité de philosophe, il en recherche les causes, celles du moins que les Anglais peuvent s’imputer à eux-mêmes, et dont il est en leur pouvoir d’arrêter l’action malfaisante.

La situation paraît critique à M. Mill. « Nous sommes, dit-il, dans un de ces momens qui ne se présentent qu’une fois dans la vie d’une génération. » Suivant lui, la conduite et le renom de l’Angleterre peuvent décider d’une longue série d’événemens et de la direction d’une période historique pour l’Europe. Dans cette crise, M. Mill presse sévèrement les hommes d’état anglais de veiller à leur langage et à leurs actes. C’est, selon lui, par des imprudences et des inexactitudes de parole, c’est en déviant par caprice, sur des points secondaires, de la vraie politique générale de l’Angleterre, que les hommes d’état anglais compromettent la réputation de l’Angleterre, et fournissent matière aux jugemens injustes qui sont portés sur elle au dehors. Confirmant une observation très fine et très vraie de M. de Rémusat, M. Mill remarque que sur le continent on fait les Anglais plus habiles et plus profonds qu’ils ne le sont en réalité. On y recherche dans la conduite de l’Angleterre tout ce qui peut prêter aux accusations d’égoïsme. Si l’on n’en trouve pas la matière dans sa conduite ordinaire, on se rabat sur les exceptions, l’on donne à ces exceptions une importance exagérée, et l’on veut y découvrir les mobiles habituels de la politique anglaise. « On prend au mot, dit-il, le langage que nous employons sur nous-mêmes, et par lequel nous nous faisons pires que nous ne sommes. Ce mauvais langage par lequel nous nous calomnions nous-mêmes a deux causes : d’abord les Anglais répugnent tant à faire profession de vertus, qu’ils aiment mieux se faire fanfarons de vices ; ensuite les hommes d’état anglais, insoucians à l’excès de l’effet que leurs paroles peuvent produire à l’étranger, commettent l’erreur grossière de croire que les objets bas sont les seuls qui soient à la portée de ceux de leurs concitoyens qui ne font pas partie de l’aristocratie, et qu’il est toujours utile, sinon nécessaire, de mettre dans leurs discours ces objets en première ligne. » Comme exemple de ces erreurs de langage, M. Mill indique la formule banale sous laquelle les orateurs anglais présentent ordinairement la doctrine de non-intervention. C’est toujours, dit-il, le même honteux refrain : « Nous ne sommes pas intervenus, parce que les intérêts anglais n’étaient pas engagés. Nous ne devons pas intervenir, parce que les intérêts anglais ne sont pas en question. » A juger de l’Angleterre par ce langage, continue-t-il, on en fait un pays dont les hommes les plus distingués ne rougissent pas d’avouer comme règle de conduite politique une maxime que personne, à moins d’être tombé au dernier degré de bassesse, ne se laisserait accuser d’appliquer à sa conduite privée, à savoir que l’on ne doit pas remuer le doigt pour les autres, à moins d’y trouver son avantage. Qu’arrive-t-il ? les autres nations disent à l’Angleterre : « La non-intervention n’est donc point pour vous une question de principe. Si vous vous abstenez d’intervenir, ce n’est pas que vous pensiez que vous auriez tort d’intervenir. Ce n’est pas le bien des autres qui vous préoccupe. Vous vous mêleriez de leurs affaires, si vous pensiez y trouver votre avantage. » Les hommes d’état anglais et les politiques de profession ont en cela le tort de trahir par la négligence de la parole leur véritable pensée et la pensée de leur pays. En réalité, ils ne veulent dire qu’une partie de ce qu’ils semblent dire. Ils répudient l’intervention comme un système par lequel une nation ne peut faire du bien à un autre peuple ; mais en parlant des intérêts de l’Angleterre, ils font une confusion involontaire d’idées : ils entendent donner non les intérêts, mais la sécurité de l’Angleterre, comme un motif légitime de guerre. Leur vraie pensée, qui est celle de leur pays, c’est que la guerre ne serait juste que si la sûreté et les intérêts de la nation étaient mis en péril par une agression hostile et déloyale. Cependant ces fautes d’expression, aggravées par l’ignorance du continent, nuisent réellement à la réputation de l’Angleterre. « C’est une opinion accréditée parmi les politiques du continent, dit justement M. Mill, spécialement parmi ceux qui se croient les mieux instruits, que l’existence de l’Angleterre dépend de l’acquisition incessante de nouveaux marchés pour notre agriculture, que la chasse aux marchés est une question de vie ou de mort pour nous, et que nous sommes toujours prêts à fouler aux pieds tous les devoirs de la morale publique et internationale plutôt que de nous arrêter dans cette course. Il serait oiseux de montrer ce qu’une telle opinion suppose de profonde ignorance et d’inintelligence des lois qui régissent la production des richesses et de tous les faits qui établissent la situation commerciale de l’Angleterre ; mais cette ignorance et cette inintelligence sont malheureusement générales sur le continent. Est-ce trop exiger de nos politiques de profession que d’exprimer le désir qu’ils tiennent quelquefois compte de cet état de choses ? A quoi peut-il servir de nous exprimer comme si nous n’avions pas de scrupule à commettre des choses que non-seulement nous ne commettons pas, mais qu’il ne nous vient pas même à l’esprit de faire ? » Parmi les erreurs d’action sur les questions secondaires que M. Mill reproche aux hommes d’état anglais, il signale surtout l’affaire de Suez. Il déclare d’abord que l’Angleterre est entièrement étrangère aux opinions exprimées par lord Palmerston au sujet du canal de Suez. La prétendue opposition de l’Angleterre à cette entreprise se réduit à un caprice du chef du cabinet. Le grand économiste n’a pas de peine à démontrer que l’opposition de lord Palmerston au canal est une déviation aux principes de politique commerciale adoptés depuis tant d’années par l’Angleterre. L’entreprise, avec les bases financières sur lesquelles elle s’est constituée, ne sera peut-être pas rémunératrice des capitaux engagés. Cela regarde les actionnaires. Il n’entre pas dans les attributions du gouvernement britannique d’empêcher des particuliers, fussent-ils Anglais, de dépenser leur argent dans des spéculations malheureuses. Et combien de fois ; ajoute avec raison M. Mill, les premiers promoteurs d’une entreprise n’ont-ils pas, au prix de leurs sacrifices, préparé la voie à ceux qui ont pu, au profit de tous, réaliser les avantages qu’on s’en promettait ! Pourquoi n’en serait-il pas ainsi pour le percement de l’isthme de Suez, si la tâche était trop grande pour la compagnie qui la première a voulu tenter cette œuvre audacieuse ?

Ces efforts de M. Mill pour ramener les hommes d’état anglais à une consistance plus rigoureuse dans leur langage et dans leur conduite sont louables assurément, car ils tendent à effacer une des causes principales des malentendus qui se sont élevés entre les Anglais et nous ; ce n’est point là cependant qu’est la portée la plus sérieuse de son écrit. Le principe de non-intervention est la force morale que l’Angleterre doit apporter au congrès de Paris. Toute définition de ce principe a donc en ce moment une importance particulière ; une définition qui vient de M. Mill doit surtout être prise en sérieuse considération, car on peut être sûr que, comme tout ce qui émane de cet écrivain, elle ne manquera pas d’influer sur l’esprit des hommes d’état anglais. M. Mill n’est point partisan des guerres faites pour une idée. Faire la guerre pour une idée, si c’est une guerre agressive et non défensive, lui paraît aussi répréhensible que de faire la guerre pour acquérir du territoire et du butin, car, selon lui, nous n’avons pas plus le droit d’imposer nos idées aux autres peuples que de les contraindre à subir sous toute autre forme nos volontés ; mais il croit que la guerre peut en certains cas être permise à un peuple, sans que ce peuple soit attaqué ou menacé, et il juge qu’il importe aux nations d’être bien fixées sur ces cas particuliers avant qu’ils ne se présentent. M. Mill sépare d’abord, par une distinction décidée, les principes qui peuvent diriger les nations civilisées dans leurs rapports avec les peuples barbares et les principes qui doivent diriger dans leurs relations réciproques les peuples de même civilisation. Dans le premier cas, dans celui où se trouvent la France en Algérie et l’Angleterre dans l’Inde, la guerre lui paraît permise, et a même à ses yeux un caractère hautement civilisateur. La vraie difficulté commence quand on examine les rapports mutuels des nations chrétiennes. Tous les esprits honnêtes proscrivent les guerres de conquête. On repousse également dans les pays libres toute idée d’intervention pour soutenir un gouvernement contre son peuple. « Un gouvernement, dit M. Mill, qui a besoin d’un secours étranger pour imposer l’obéissance à ses sujets est un gouvernement qui ne devrait pas exister. » L’intervention est un acte honnête, légitime, humain, lorsqu’elle a pour objet de mettre fin à une lutte indécise, et où un parti ne pourrait l’emporter qu’au prix de cruautés affreuses et de perturbations prolongées : c’est ainsi que les puissances européennes se sont interposées avec raison entre la Grèce et la Turquie, entre la Turquie et l’Égypte, entre la Belgique et la Hollande. La question délicate pour un pays libre est de savoir s’il peut venir au secours d’un peuple qui lutte contre son gouvernement pour conquérir ou pour conserver de libres institutions. Ici deux cas peuvent se présenter : le gouvernement contre lequel le peuple est soulevé est ou indigène ou étranger. Si le gouvernement est indigène, l’intervention en faveur du peuple n’est pas légitime aux yeux de M. Mill ; dans ce cas, on ne peut être assuré que l’intervention, même heureuse, tournera à l’avantage du peuple, car comment un peuple qui ne saura pas conquérir la liberté pourra-t-il la conserver quand le secours étranger sera retiré ? Un peuple libre ne peut raisonnablement et justement prêter à un peuple qui s’efforce d’obtenir la liberté que le concours moral de l’opinion, à moins que l’intérêt de sa propre défense ne soit en jeu. La question est différente, si la tyrannie contre laquelle une nation s’insurge est étrangère ou soutenue par des armées étrangères. « Pour devenir un principe légitime de morale, dit M. Mill, il faut que la non-intervention soit acceptée par tous les gouvernemens. Il faut que les despotes consentent à être liés par ce principe aussi bien que les états libres. Sans cela, le principe de non-intervention, proclamé par les états libres, aboutirait à cette misérable conséquence, que l’injustice viendrait en aide à l’injustice, tandis que le droit ne pourrait aller au secours du droit. L’intervention pour imposer la non-intervention est toujours juste, toujours morale, sinon toujours prudente. » M. Mill illustre cette conclusion, qui est en effet la sanction et la sauvegarde du principe de non-intervention, par l’exemple du dernier soulèvement de Hongrie. Le jour où l’empereur Nicolas jeta ce défi à l’Europe occidentale d’intervenir contre les Hongrois au profit de l’empereur d’Autriche, c’eût été, suivant M. Mill, de la part de l’Angleterre et de la France un acte honorable et vertueux de déclarer au tsar que cela ne serait pas, et que si la Russie allait au secours de la mauvaise cause, les nations d’Occident iraient au secours de la bonne. « La première nation, écrit en finissant M. Mill, qui, assez puissante pour rendre sa parole efficace, aura le courage de dire qu’aucun coup de canon ne sera tiré en Europe par les soldats d’une puissance contre les sujets révoltés d’une autre, sera l’idole des amis de la liberté dans toute l’Europe. Cette déclaration seule assurera l’émancipation presque immédiate de tout peuple qui désirera assez la liberté pour être capable de la conserver, et la nation qui prononcera cette parole sera bientôt à la tête d’une alliance de peuples libres assez forte pour défier tous les despotes confédérés contre elle. Le prix est trop glorieux pour ne pas tenter tôt ou tard quelque pays libre : le temps est proche peut-être où l’Angleterre, si elle ne prend pas ce parti par héroïsme, sera obligée de le prendre pour sa sûreté. »

Il nous a paru utile de faire connaître cette intervention de M. Mill dans la polémique internationale et les graves conclusions auxquelles, avec ce mélange de modération et de vigueur qui sont les traits distinctifs de son esprit, arrive cet éminent penseur. Nous aurions voulu, si M. Mill n’avait pas eu à nos yeux des droits antérieurs et supérieurs à l’attention du public français, dire quelques mots d’un admirable discours qu’un membre des communes, M. Kinglake, vient de prononcer devant les électeurs de Bridgewater sur la situation de l’Angleterre vis-à-vis de l’étranger. Nous avons retrouvé dans ce discours, qui a produit dans le monde politique anglais une profonde sensation, des idées parentes de celles que nous avons plusieurs fois émises nous-mêmes sur la vertu essentiellement pacifique des institutions représentatives, et sur la sécurité réciproque que se donneront les nations européennes le jour où elles auront toutes assuré les garanties de leur liberté intérieure. Au surplus, les questions extérieures, quoiqu’elles y soient envisagées avec plus de calme que dans les derniers temps, continuent à tenir la première place dans les préoccupations de l’Angleterre. La question de la réforme électorale est loin de faire contre-poids à l’agitation des volontaires. M. Bright a l’air de s’en apercevoir, car il a annoncé, dans la dernière réunion de l’association réformiste de Londres, une résolution qui, venant de lui, paraît modeste : il votera pour le bill que doit présenter lord John Russell, quoique ce bill, dont lord John avait fait connaître les principales données avant les dernières élections, demeure bien en-deçà du programme de l’éloquent agitateur.

Résolus à ajourner jusqu’à la réunion du congrès la discussion des questions italiennes, nous ne dirons rien non plus de la croisade qui se prêche en ce moment dans la plupart des pays catholiques en faveur de l’intégrité du pouvoir temporel du pape, et qui nulle part n’est plus bruyante qu’en Irlande. Nous avons remarqué pourtant, parmi les harangues des meetings monstres d’Irlande, le curieux discours d’un évêque dont le nom nous échappe, marqué de contradictions éloquentes qui n’étaient pas faites pour nous déplaire. Ce prélat, vieil ami d’O’Connell, regarde avec raison comme dégénérés ceux de ses coreligionnaires qui ne savent pas apprécier ces libertés de la presse et des associations, et ce régime des parlemens libres dont l’Irlande jouit jusqu’à l’abus. Il se promettait bien, quant à lui, de renverser de leurs sièges aux prochaines élections ceux des membres irlandais qui ne voteraient pas contre lord Palmerston dans le cas où le noble lord laisserait démembrer l’état pontifical. Le même évêque racontait pourtant avec une verve toute pittoresque qu’il était en Italie pendant la dernière guerre, qu’entendant le canon d’un champ de bataille, il avait fait des vœux pour le succès de l’armée sarde, et qu’en contemplant les beautés des lacs de l’Italie supérieure, il s’écriait : « Pourquoi les Autrichiens resteraient-ils ici ? pourquoi l’Italie n’appartiendrait-elle pas aux Italiens ? » On pourrait s’entendre avec un pareil évêque. Si en effet il n’y avait plus que des Italiens en Italie, les plus grandes difficultés de la papauté ne seraient-elles pas conjurées ? Le pape n’aurait plus le poids de ces alliances et de ces interventions étrangères qui ont surtout dépopularisé son gouvernement temporel, et l’Italie elle-même, la spirituelle et ambitieuse Italie, qui a tant contribué à la construction de cet édifice de la papauté, signe de sa prééminence religieuse, serait bien capable de s’arranger encore avec son pape. Mais n’anticipons pas sur le congrès. Maintenant que les adhésions des puissances sont connues, il n’est plus guère permis que de s’enquérir des noms des plénipotentiaires choisis par elles. La présence du cardinal Antonelli à Paris aurait excité un vif intérêt de curiosité ; mais aurons-nous le cardinal ? C’est douteux. Nous ne voulons pas douter du moins que la Sardaigne ne soit représentée au congrès par M. de Cavour. Si les objections qui se sont quelque temps, dit-on, opposées à la désignation de M. de Cavour étaient venues de la Sardaigne, elles auraient été une ingratitude ; si elles étaient venues d’une autre puissance, elles eussent été une faute. Dans la diplomatie, M. de Cavour est l’homme de l’Italie émancipée, émue, attendant une vie nouvelle, que nous ont faite les événemens de cette année. Sans M. de Cavour, le congrès n’eût pas été le congrès pour l’Italie, car elle ne s’y serait pas crue représentée. Or l’on conviendra que s’il est un pays en Europe pour qui il importe que l’œuvre du congrès soit efficace et son autorité persuasive, c’est à coup sûr l’Italie.

On n’en a point fini encore avec toutes ces épineuses questions agitées depuis si longtemps entre le Danemark et l’Allemagne, et tant que ces questions ne seront pas résolues, elles seront un sujet perpétuel d’inquiétude et de crise pour la monarchie danoise, un grief permanent et une raison incessante d’intervention pour la confédération germanique. Le Danemark s’était pourtant exécuté aussi bien qu’il l’avait pu. On lui avait signalé la constitution commune du 2 octobre 1855 comme portant atteinte aux intérêts et aux droits des duchés allemands dépendant de la couronne danoise, et il a suspendu cette constitution pour le Holstein et le Lauenbourg ; la diète de Francfort lui a fait un devoir de consulter de nouveau les Holsteinois, et il a convoqué des états provinciaux, en livrant à leur délibération la constitution même, en les appelant à formuler leurs vœux, à se prononcer sur l’organisation constitutionnelle de la monarchie. On ne pouvait aller plus loin. Il est malheureusement arrivé ce que l’excitation des esprits dans le Holstein devait laisser prévoir. Les états provinciaux des duchés ont formulé un projet qu’ils ont adressé au roi, et qui est non-seulement incompatible avec le principe de ce qu’on appelle l’état d’ensemble, mais encore impraticable, en même temps qu’il serait contraire à toute équité. Nous ne citerons qu’une des prétentions holsteinoises. Selon le projet des états provinciaux, aucune loi générale ne pourrait être adoptée, aucune dépense commune ne pourrait être autorisée que moyennant accord et consentement de quatre assemblées provinciales distinctes, séparées et respectivement indépendantes, l’une représentant quarante mille habitans du Lauenbourg, l’autre cinq cent mille du Holstein, la troisième quatre cent mille du Slesvig, et la quatrième, qui est celle du Danemark seul, représentant une population de seize cent mille âmes. On voit que l’inégalité qui en résulterait ne serait pas compensée par la facilité de ces délibérations indépendantes et rivales qui seraient comme le liberum veto'' de la monarchie danoise.

Le cabinet de Copenhague, on le conçoit, n’a pu accepter ce projet, et il s’ensuit que les duchés se trouvent provisoirement placés entre une constitution suspendue et une constitution nouvelle, sur laquelle on ne peut s’entendre. Cette anomalie n’est peut-être pas près de finir, si l’on en juge par la vieille date et les mille vicissitudes passées de ce conflit. En attendant, le gouvernement danois a pris récemment quelques mesures pour régler le mieux possible ce provisoire. Une patente royale est venue aviser à cette situation tout exceptionnelle. Il ne sera rien ordonné, en ce qui touche les duchés, sans que les états provinciaux aient été consultés. Ces états auront en même temps le droit d’adresser des pétitions sur les intérêts communs de la monarchie. La part du Holstein dans les dépenses générales sera fixée par le roi proportionnellement à la population d’après le dernier recensement. Ce n’est pas d’ailleurs que le gouvernement du Danemark renonce à rattacher constitutionnellement les deux duchés au reste de la monarchie : il va faire au contraire, une tentative nouvelle. On réunirait, sous la présidence d’un membre du gouvernement, des députés pour le Holstein-Lauenbourg et pour le Danemark-Slesvig en nombre égal, sept pour chaque partie ; ces députés seraient élus par les états provinciaux holsteinois et par la représentation législative danoise. Moyennant des concessions réciproques et une révision de la constitution de 1855, le gouvernement espère arriver à formuler un projet qui, après avoir été soumis à l’examen des diverses assemblées, finirait par être adopté d’un commun accord, et resterait définitivement la loi fondamentale de la monarchie. Ces diverses mesures, le cabinet de Copenhague vient de les notifier à la diète de Francfort par une communication diplomatique qui précise le point où en est aujourd’hui ce conflit. Qu’on n’oublie pas la situation singulière où se trouve le Danemark : une patente royale de 1852, rendue en vertu d’engagemens pris avec la confédération germanique, lui fait un devoir d’organiser l’ensemble de la monarchie ; d’un autre côté, toute tentative d’organisation rencontre l’insurmontable répugnance du Holstein. Reste un troisième personnage, la diète de Francfort, qui prétend être juge de la façon dont le cabinet de Copenhague exécute ses engagemens. C’est là le problème qui occupe depuis sept ans les hommes d’état du Danemark et de l’Allemagne, et qui n’est peut-être pas beaucoup plus près d’une solution que le premier jour.

Ce n’est là encore que le côté extérieur d’une affaire qui réagit nécessairement sur la situation intérieure du Danemark. Il y a dans ce pays, sans qu’on se l’avoue peut-être deux partis politiques distincts. L’un de ces partis est absolutiste d’inclination, l’autre constitutionnel. Les absolutistes, peu nombreux en réalité, sont les grands défenseurs du principe de l’unité de l’état d’ensemble ou Heelstat, même au risque de sacrifier la constitution et l’indépendance nationale danoise aux exigences de l’Allemagne. Les constitutionnels, qui sont en grande majorité et qui voudraient sauver les institutions libres, l’indépendance nationale, tendraient plutôt au contraire à abandonner cette idée d’unité difficile à concilier avec la situation mixte des duchés ; ils s’en tiendraient volontiers à une sorte d’union composée : — d’une part, des provinces constitutionnelles indépendantes, le Danemark et le Slesvig, — de l’autre côté, des provinces allemandes du Holstein-Lauenbourg, qui tiennent en même temps à la confédération germanique. Ces divisions se sont fait sentir lorsque s’est réuni, il y a peu de temps, le Rigsraad, cette assemblée qui est censée être la représentation commune de la monarchie, et qui ne l’est plus d’une manière aussi complète depuis la patente royale qui met provisoirement les duchés allemands à l’écart. La minorité s’est armée de ce fait pour décliner l’autorité et la compétence d’une assemblée qui, selon la constitution, devrait se composer de quatre-vingts membres, et qui ne compte plus que soixante représentans après l’exclusion temporaire du Holstein et du Lauenbourg. Des membres ont protesté et se sont retirés des séances. Il en est résulté un certain embarras. Le ministère malgré tout a tenu tête à cette opposition, et il a réussi à rallier une majorité assez forte. Les difficultés paraissaient donc surmontées, lorsque le jour même de la clôture du Rigsraad, le 24 novembre, le ministère donnait subitement sa démission.

À quoi tenait cette retraite soudaine du cabinet de Copenhague ? Aucun incident extérieur n’était survenu ; tout semblait aplani pour le moment par l’accord du gouvernement et de la majorité législative dans la politique intérieure. Cette démission n’a pu s’expliquer que par une cause, par la résistance résistance que rencontrait le ministère dans cette petite cour de favoris qui s’est formée depuis le mariage morganatique du roi. Le ministère, a ce qu’il semble, demandait l’éloignement de quelques-uns des personnages de cette cour suspecte ; il n’a pu l’obtenir du roi, et il s’est retiré. Voilà donc un nouveau cabinet formé à Copenhague le 2 décembre, et dont les principaux membres sont M. Rotvitt, président du conseil et ministre de la justice ; le baron de Blixen, ministre des affaires étrangères ; le général Thestrup, ministre de la guerre ; M. Jessen, ministre de l’intérieur. C’est en somme un cabinet d’une physionomie vague, sans caractère, ne représentant aucune idée, aucune politique. MM. Rotvitt et Jessen, l’un bailli, l’autre maire d’une ville de province, tous les deux chambellans, doivent leur avènement à la faveur de la cour. Le premier n’a marqué jusqu’ici dans les chambres que par ses alliances avec le parti démagogique des amis des paysans. M. Jessen incline plutôt vers l’aristocratie. Le baron de Blixen joint à des formes extérieures agréables un esprit vif et mobile. Haut placé d’abord dans le parti aristocratique réactionnaire, il a depuis modifié ses opinions, et après avoir cabale contre la cour, il s’est réconcilié avec elle. On ne connaît point encore son expérience et sa capacité politique. Dans son ensemble, le ministère semble d’autant plus faible qu’il succède à un cabinet qui réunissait de bien autres conditions de force et d’intelligence. Il reste à savoir quelle marche adopteront ces nouveaux ministres pour relever le pouvoir dans l’opinion et faire face aux difficultés de la situation du Danemark. e. forcade.




ESSAIS ET NOTICES.

DU PERSONNEL DE LA MARINE FRANCAISE
ET DE LA FORMATION DES EQUIPAGES.




L’étude sur les Marines de France et d’Angleterre que la Revue a publiée dans son numéro du 15 septembre dernier nous a valu quelques communications intéressantes, auxquelles nous ne pouvons mieux répondre qu’en reproduisant les détails nouveaux qu’elles nous apportent sur ce grave sujet.

En évaluant approximativement à 2,000 le cadre de nos officiers de marine, nous y avions compris les aspirans, dont le nombre est indéterminé. On nous fait observer que les aspirans, n’entrant pas dans la formation des états-majors, doivent être laissés en dehors du cadre, ce qui le réduirait d’une manière exacte aux chiffres suivans :

33 officiers-généraux, amiraux, vice-amiraux, contre-amiraux.
110 capitaines de vaisseau.
220 capitaines de frégate.
650 lieutenans de vaisseau.
550 enseignes.
Total. 1,563

Notre personnel d’officiers est donc effectivement de 1,563 contre 5,000 environ, que portent les listes de l’amirauté anglaise. On voit déjà combien cet écart est grand, et dans quelles conditions d’infériorité il nous laisse ; on s’en assure mieux en suivant sur nos flottes la répartition de ce corps d’officiers dans l’hypothèse d’un armement complet.

Il est évident que, pour un service de guerre, il faudrait d’abord armer tous les bâtimens à vapeur à flot capables : 1° de présenter le flanc à l’ennemi, 2° de poursuivre comme croiseurs les bâtimens de commerce, 3° de porter des vivres, des munitions, des troupes, dans nos colonies, ou d’accompagner comme transports une flotte de guerre en vue d’une expédition ou d’un débarquement, 4°de défendre les.ports de commerce ou de guerre les plus importans ou les places dépourvues de batteries et de défenses fixes.

Il faudrait en outre armer en flûtes les quelques vaisseaux à voile qui nous restent, et dont, sous cette forme, on obtiendrai de bons services, en les amalgamant dans une flotte de transport, et sauf à les faire remorquer quand cela serait nécessaire. Pour les frégates et les grandes corvettes à voile, bâtimens d’une marche supérieure, leur destination est d’avance indiquée : elles iraient dans les mers lointaines, où le ravitaillement en charbon est impossible, faire un service de croiseurs dont la tradition est toujours vivante, et infliger au commerce ennemi des dommages auxquels il ne pourrait échapper. Sur nos 27 frégates à voile, 20 sont dans les meilleures conditions pour cet emploi, et toutes nos corvettes y sont propres. L’avantage de cette flotte, c’est sa prompte disponibilité ; tout bâtiment à flot peut être considéré comme un bâtiment armé. Le matériel est dans les magasins, et nos croiseurs à voile auraient pris le large avant que l’ennemi eût pu établir des croisières à vapeur pour leur barrer le chemin. Les bâtimens à voile inférieurs aux corvettes resteraient en dehors de cet armement.

Dans la flotte à vapeur, il faudrait également faire un choix. Pour les bâtimens à roues, il conviendrait de s’arrêter aux corvettes, quoique plusieurs avisos de première classe fussent bons à un service de transport. Parmi les bâtimens de flottille, on devrait mettre en ligne de compte les batteries flottantes, les canonnières et les chaloupes blindées, qui seraient utilement employées à la défense des côtes et des abords des rivières navigables.

Voici dès lors les trois divisions naturelles d’un armement complet : flotte de guerre, transports, croiseurs à voile. Il resterait en dehors de ces besoins : 1° le vaisseau-école de Brest, pépinière des aspirans ; 2° le vaisseau de matelots canonniers, où se forment les bons chefs de pièces ; 3° l’école des mousses de Brest, institution qui fournit d’excellens sujets, et où se recrutent les cadres des officiers mariniers et des sous-officiers ; 4° la flottille qui stationne dans l’intérieur des fleuves du Sénégal, et qu’en cas de guerre il conviendrait d’accroître plutôt que d’affaiblir.

L’ensemble comporterait la présence de 15 officiers-généraux à la mer, avec un chef d’état-major et deux aides-de-camp pour chacun. En y ajoutant le personnel nécessaire au service des ports de guerre, réduit aux termes les plus stricts, et sans y comprendre les officiers supérieurs qui font partie des commissions de recette, on a tous les élémens du tableau qui suit, et où les officiers sont répartis dans les proportions que comporte chaque nature de service.

Tableau de répartition des officiers de marine français dans l’hypothèse d’un service de guerre.


Capitaines de vaisseau Capitaines de frégate Lieutenans de vaisseau Enseignes
Flotte à vapeur de guerre
33 33 165 165 33 vaisseaux à hélice
7 7 35 7 bâtimens cuirassés à hélice
16 16 80 16 frégates à hélice
5 5 20 5 corvettes à hélice
5 5 15 5 avisos de 1re classe à hélice
11 33 11 avisos de 2e classe à hélice
9 9 27 9 corvettes rapides à roues
31 31 31 canonnières et chaloupes cuirassées à hélice
Flotte de transport
9 9 27 9 vaisseaux à voile[1]
29 29 87 29 transports à hélice
19 19 57 19 frégates à roues
Croiseurs à voile
20 20 100 20 frégates
11 11 44 11 corvettes de 1er rang
État-major des officiers-généraux en chef ou en sous-ordre
10 15 20 Chefs d’état-major ou aies de camp
Dans les ports[2]
5 8 20 Direction de port et ateliers dans les cinq grands ports militaires
3 8 40 Divisions des équipages de la flotte
5 8 15 Majorités, conseils de guerres, observatoires
3 7 Aides-de-camp des préfets maritimes
1 1 8 État-major du vaisseau-école
1 1 8 6 État-major du vaisseau canonnier et de l’école des matelots timoniers
3 État-major de la corvette des mousses
1 20 Flottille du Sénégal
2 2 Gouverneurs et commandans particuliers de colonies
103 210 630 532 Personnel strictement nécessaire pour l’ensemble des services en temps de guerre
110 220 650 550 Cadre actuel
7 10 20 18 Restant disponible


Les lieutenans de vaisseau seraient aussi réglementairement insuffisans ; mais comme beaucoup d’enseignes seraient alors inoccupés, on les suppose embarqués sur les vaisseaux et corvettes à voile, ainsi que sur les frégates à roues, en remplacement d’un pareil nombre de lieutenans de vaisseau.

Ce tableau est si concluant qu’il pourrait se passer de commentaires. Nos armemens une fois au complet, il ne nous resterait comme réserve, pour parer à des nécessités imprévues, que 10 capitaines de vaisseau, 20 lieutenans de vaisseau et 18 enseignes. Encore n’a-t-on pas compris dans le tableau, comme cela est indiqué en marge, les officiers qui remplissent dans les ports des fonctions très utiles ; on s’est tenu, pour le personnel embarqué, au-dessous des chiffres réglementaires, comme il est facile de s’en convaincre par un simple rapprochement. Rien de plus digne d’attention qu’une situation semblable. Si, ce qu’à Dieu ne plaise, et ce que les hommes sensés doivent éloigner de tous leurs vœux, une guerre maritime venait à éclater, elle aurait pour effet le plus immédiat de créer des vides, de grands vides, dans le corps des officiers. Ces vides, comment les combler ? Les marins, on l’a dit souvent, ne s’improvisent pas ; encore moins improvise-t-on les chefs qui les commandent. Il n’en sort pas des rangs comme dans l’armée de terre ; c’est le produit de l’étude et du temps unis à la vocation. Avec une sollicitude louable, le gouvernement s’est récemment appliqué à tirer du matériel existant tout le parti qu’il était possible d’en tirer. Il a mis à flot les vaisseaux en réserve sur les chantiers, réparé ceux qui avaient éprouvé quelque avarie ; il en a transformé un certain nombre pour n’être en arrière d’aucun perfectionnement, et en a construit d’autres sur des modèles entièrement nouveaux, avec des armures de métal qui doivent les rendre impénétrables. La part du matériel est donc faite, et amplement ; en peut-on dire autant du personnel ? On a des bâtimens en état et en quantité suffisante ; a-t-on assez d’officiers pour les monter et les conduire au feu ? Ce sont là pourtant des termes qui se correspondent et doivent toujours se mettre en équilibre.

L’insuffisance du cadre des officiers est donc manifeste dès aujourd’hui et dans l’état des choses. On vient de voir ce qui reste de disponible quand on aura armé ce qui est à flot et susceptible d’être armé. Que sera-ce lorsque les constructions en projet et distribuées sur un certain nombre d’exercices arriveront au dernier degré d’achèvement, et que nous aurons, comme l’indique le rapport du ministre de la marine à propos du budget de 1859, 150 bâtimens de guerre à vapeur de divers rangs, bien pourvus, bien installés, et au niveau des meilleurs modèles ? En supposant que les cadres ne soient pas élargis, où trouvera-t-on le nombre d’officiers nécessaire pour monter cette belle flotte ? On ne saurait y songer trop tôt, ni y porter un trop prompt remède. Les cadres ont été fixés à une époque où l’armée de mer n’avait ni l’activité ni l’importance qu’elle a acquises, et ils sont restés stationnaires pendant que ceux de l’armée de terre s’accroissaient incessamment. Quelque opinion qu’on se forme des événemens, un fait reste avéré pour tout le monde : c’est que le rôle de la marine ne saurait être amoindri. Et si du second rang la marine passait au premier, quel regret n’aurait-on pas de n’en avoir pas préparé tous les élémens avec une égale prévoyance ! Une autre considération se joint à celle-là, et, quoique plus spéciale, elle mérite qu’on s’y arrête. L’arme est ingrate pour qui s’y voue, et l’avancement n’y a lieu que d’une manière peu encourageante. Plus d’une démission est donnée avant l’heure, plus d’une émigration a lieu vers des services privés. Si ce n’était l’attachement au métier, très vif chez le marin, ces retraites volontaires et prématurées seraient bien plus nombreuses. Il y a tel moment de la carrière, par exemple le passage du grade de lieutenant de vaisseau à celui de capitaine de frégate, où les cadres se resserrent au point qu’il y a par an à peine un officier de promu sur cent qui pourraient y prétendre. Nécessairement le zèle doit s’en ressentir, et la tiédeur gagner jusqu’aux meilleurs quand ils voient, avec les années, leur horizon se limiter et leurs chances se restreindre. L’élargissement des cadres, en ouvrant aux ambitions plus de perspectives, donnerait au service plus de ressort, en même temps qu’il répondrait au besoin le plus urgent et le mieux démontré.

Dans quelles proportions cet élargissement des cadres devrait-il avoir lieu ? Là-dessus il n’y a pas de donnée absolue ; c’est une affaire d’appréciation. Si l’on voulait prendre pour règle l’effectif de nos voisins, on irait au-delà d’un effort raisonnable. Les Anglais ont plus de 100 officiers-généraux, nous n’en avons que 33, et sur ce nombre 20 à peine sont disponibles pour un commandement à la mer. Les Anglais ont 358 capitaines de vaisseau ; nous n’en avons que 110, et ainsi des autres grades. Ce serait folie que d’essayer de mettre nos cadres au niveau des leurs et d’effacer, à force d’argent, de telles distances. Une donnée plus admissible serait celle-ci : prendre pour base de calcul un armement complet sur le pied de guerre et y affecter le chiffre d’officiers de tout grade que les règlemens comportent, puis se ménager à terre comme réserve un nombre d’officiers équivalant au tiers du personnel embarqué. Dans ces termes, l’augmentation n’aurait rien d’excessif ; en retour d’une dépense modérée, on aurait toutes les garanties d’un bon service, plus de mouvement dans un cadre plus élastique, avec l’avantage de posséder une réserve pour remplir les vides que les combats occasionneraient. Quand on songe à ce que serait cette guerre, avec les moyens de destruction qu’elle mettrait en jeu, cette réserve d’un tiers sur le total de l’effectif semble plutôt rester en-deçà qu’aller au-delà des besoins éventuels ; seule elle peut empêcher qu’après les premières campagnes, si brillantes qu’elles soient, nos flottes ne soient réduites à l’impuissance, faute d’officiers expérimentés.

Après avoir établi quelle serait, dans l’hypothèse d’un armement complet, la situation du corps des officiers, il convient de voir comment se passeraient les choses pour la composition des équipages. Les communications que nous avons sous les yeux contiennent là-dessus des renseignemens précis. Voici comment se distribueraient les forces pour les diverses natures de services qui figurent dans le.tableau précédent. On a pris pour chaque espèce de bâtimens une moyenne dans laquelle on fait entrer la maistrance et les ouvriers chauffeurs :


hommes hommes
Bâtimens à vapeur. 33 vaisseaux 870 28,710
« 16 frégates 550 8,800
« 7 bâtimens cuirassés 600 4,200
« 5 corvettes 200 1,000
« 16 avisos 100 1,600
« 31 canonnières 40 1,240
« 29 transports 150 4,350
« 19 frégates à roues 140 2,660
Bâtimens à voile 9 vaisseaux-transports 300 2,700
« 20 frégates 500 10,000
« 11 corvettes 300 3,300
« 1 vaisseau canonnier 1,000 1,000
Total 69,560

L’armement au complet exigerait donc 70,000 hommes en nombres ronds, et en y ajoutant une réserve de 9 à 10,000 hommes, 80,000, qui suffiraient aux besoins les plus immédiats. Cet effectif n’a rien que le pays ne puisse supporter, si l’on a soin de le répartir entre le recrutement et l’inscription maritime. L’inscription maritime, on le sait, comprend les marins des classes, c’est-à-dire inscrits sur des registres où figure toute la population qui vit des industries de la mer, matelots au commerce, caboteurs, pêcheurs, y compris les ouvriers, tels que charpentiers et calfats, dont les travaux se rattachent au matériel naviguant. Le recrutement comprend une partie minime du contingent annuel que la loi appelle au service militaire, et qui, au lieu d’entrer dans l’armée de terre, est affectée à l’armée de mer. Entre les deux origines, il y a cette différence que pendant que les hommes du recrutement ne doivent à l’état que le service ordinaire de sept années, les hommes des classes peuvent y être astreints jusqu’à la cinquantaine, sinon d’une manière continue, du moins par des appels successifs et des périodes de trois ans. Ce régime des classes, que les habitudes et la tradition ont consacré, est, on peut le dire, la clé de voûte de notre établissement maritime, et tout onéreux qu’il soit, et quoiqu’il blesse ce sentiment d’égalité qui exerce chez nous tant d’empire, peut-être serait-il imprudent et dangereux d’y renoncer. Tout ce qu’il est permis de faire, c’est d’y apporter des ménagemens, et ces ménagemens sont de deux sortes : en premier lieu, il faut enlever de plus en plus à cette servitude son caractère presque indéfini, et en réduire l’effet à des périodes d’embarquement déterminées. On est entré dans cette voie, et il est rare qu’après deux campagnes de trois années et deux congédiemens on rappelle à bord des bâtimens de l’état les marins des classes. Cependant il n’y a là qu’une tolérance ; le droit de rappel n’en subsiste pas moins, et l’exercice en est quelquefois abusif. Les commissaires de quartier n’y apportent pas toujours le discernement désirable, et leurs actes ne relèvent pas d’un contrôle sérieux. Aussi les marins de notre littoral protestent-ils à leur manière : on en voit qui, pour échapper au service de l’état, restent en pays étranger et s’engagent au commerce sous des pavillons à leur convenance, d’autres qui changent de profession et émigrent à l’intérieur, où il est difficile de retrouver leurs traces. Pour contenir ces réfractaires, peut-être faudrait-il à l’institution des bases plus fixes et des règles moins incertaines ; dans tous les cas, elle a besoin d’être maniée avec douceur : les faits doivent atténuer ce que le droit a de rigoureux.

Telle est la première forme de ménagemens ; la seconde serait plus efficace encore, si elle entrait dans nos mœurs. Ce qui pousse nos marins à bord des navires étrangers, c’est l’attrait du salaire. Les Américains leur offrent 80 francs par mois quand l’état ne leur en donne que 24 ou 30 au plus, en y ajoutant le supplément de gabiers. Comment pourraient-ils hésiter ? comment pourraient-ils, en comparant ces deux chiffres, envisager le service de l’état autrement que comme une charge, y prendre goût, s’y attacher ? Si étrangers qu’ils soient au calcul, celui-ci est trop élémentaire pour qu’ils ne le fassent pas. L’Angleterre et les États-Unis l’ont compris ; leur marine militaire est désormais payée sur le même pied que celle du commerce ; c’était le seul moyen d’avoir des équipages de choix et fidèles au pavillon ; ces deux états se sont résignés de bonne grâce. Les derniers engagemens de l’amirauté ont eu lieu à raison de 43 à 44 livres sterling par an, ce qui fait, à une petite fraction près, 1,100 francs. Nos gabiers, nos fins matelots, comme on les nomme, en sont réduits à 360 francs. Il est vrai qu’aux États-Unis et en Angleterre, où les contrats sont libres, il faut payer ces services à leur prix réel sous peine d’en manquer, tandis qu’en France on peut y mettre le prix qu’on veut puisqu’on les impose. L’engagé est à la merci de l’état, qui l’engage ; l’état a fait la loi : fût-elle plus dure, il faudrait la subir. De là des répugnances faciles à comprendre, et qu’une augmentation de salaire, si légère qu’elle fût, diminuerait, si elle ne les détruisait pas.

Un autre allégement pour les hommes des classes serait dans un emploi plus étendu des hommes du recrutement. Pour que cet élément entrât dans la composition des équipages, il a fallu triompher de beaucoup de préventions. On n’admettait pas jadis qu’il pût y avoir à bord des vaisseaux autre chose que des marins de profession. Ces préventions n’existent plus ; les hommes du recrutement comptent aujourd’hui dans la flotte comme de bons auxiliaires, et sont destinés à y gagner du terrain. Tirés de l’intérieur, ils sont en général plus vigoureux et de plus grande taille que les gens des côtes, et, sinon pour l’adresse, du moins pour ce qui exige de la force musculaire, ils leur sont supérieurs. Leur nombre, qui varie entre 6 ou 7,000 par an, pourrait dès à présent être doublé, triplé même, non-seulement sans inconvénient, mais avec un avantage marqué pour le service. C’est la vapeur qui a rendu possible, en beaucoup de détails, cette substitution des conscrits aux inscrits, et on va comprendre comment. Tant que la voile restait l’unique moteur, tout s’effaçait et devait s’effacer à bord devant ceux qui savaient la manier, et un homme du recrutement ne pouvait pas y prétendre ; les marins des classes, chargés des manœuvres des hunes, étaient aussi chargés presque exclusivement de la manœuvre des canons. On y employait de fins matelots, des hommes à qui la mer était familière. Avec la vapeur, ces fins matelots, sans perdre de leur prix, sont moins indispensables, et les hommes du recrutement peuvent les suppléer sur les ponts et dans les batteries. Par une expérience qui remonte à plusieurs années, il est démontré que les conscrits du contingent deviennent, après quelques mois passés à bord des vaisseaux, d’aussi bons canonniers que les marins des classes, dont l’apprentissage n’est ni moins long ni moins sujet à des mécomptes. Or le canonnage sera de plus en plus l’objet essentiel de l’instruction maritime et la force d’un établissement naval. Il restera aux marins des classes, comme domaine réservé, les services où la voile se maintient, les croisières, les transports, les stations et expéditions lointaines ; quant à ceux dont la vapeur s’empare et qu’elle n’abandonnera plus, ils peuvent être indistinctement remplis par les inscrits et les conscrits, par les hommes des classes et les hommes du contingent. Ces derniers prennent ainsi dans la flotte un degré d’importance qui en modifiera nécessairement l’organisation ; ils y figurent au poste essentiel, le poste de combat, et au lieu d’y entrer comme un simple appoint, ils sont en position aujourd’hui de joindre à leurs autres titres celui du nombre.

En effet les proportions d’amalgame entre les deux élémens dont se composent les équipages sont devenus, aux yeux des personnes compétentes, susceptibles de modifications. Dans l’époque des débuts, un homme du contingent n’était considéré dans le service de mer que comme une superfétation, presque comme un embarras. Plus tard, on rendit à ces braves gens plus de justice, et on admit que des équipages où les marins des classes entreraient pour deux tiers, les recrues de terre pour un tiers, seraient susceptibles d’un bon service à bord des bâtimens à voile. Avec la vapeur, on devait faire un pas de plus, et on l’a fait. Il paraît accepté aujourd’hui que le partage peut s’opérer entre les deux élémens d’une manière à peu près égale. Ainsi, dans l’hypothèse d’un armement complet, semblable à celui dont nous ayons donné le détail, 45,000 hommes seulement seraient demandés à l’inscription maritime ; le reste pourrait être emprunté à la conscription. Les avantages de cette combinaison sont faciles à apprécier. En premier lieu, en ne prenant que 45,000 sujets aux registres des classes qui en portent 90,000, on peut à la fois faire un choix et se ménager une réserve égale au chiffre des levées : 45,000 marins resteraient disponibles pour remplacer ceux qui seraient tombés devant l’ennemi. Ensuite, en identifiant de plus en plus aux services de la mer des hommes qui ne sont pas nés dans la profession, on ouvre au recrutement de nos flottes des ressources à peu près inépuisables ; on supprime une des causes de notre infériorité vis-à-vis des états qui sont mieux pourvus que nous en marins de commerce.

Ce changement dans les habitudes ne s’est produit et ne s’affermira, on le devine, qu’à la suite d’efforts persévérans et des combinaisons appropriées. Ce qui a le plus aidé à cette transformation, ce sont des institutions spéciales créées en vue de services déterminés. L’enseignement des équipages avait autrefois un caractère général, comme si tous les hommes dussent être appelés à tout faire, et dans des fonctions distinctes se suppléer presque indistinctement. Cette variété d’instruction, près de ses bons côtés, avait un côté faible et un grave inconvénient : c’est que les services n’arrivaient pas à leur degré de perfection, faute d’être exclusivement dévolus aux mêmes hommes. On revient aujourd’hui là-dessus et dans ce sens : on multiplie les écoles spéciales, où l’instruction est donnée à fond et où les recrues de l’intérieur trouvent des cadres qui leur sont affectés. La première de ces écoles, et la plus utile sans contredit, est celle des matelots canonnière ; elle a son siège sur un vaisseau qui est constamment en cours d’exercices, quelquefois à l’ancre, le plus souvent à la voile. Cette institution, quoique récente, a déjà eu de très bons effets. L’école peut former par an de 900 à 1,000 sujets, qui, après huit mois d’instruction, sont répartis sur les vaisseaux, où ils deviennent d’excellens chefs de pièce, et font à leur tour des élèves. Un examen précède leur sortie, et, après l’avoir subi, ils reçoivent un brevet. La moitié au moins de ces canonniers provient du recrutement ; ils sont l’élite de la flotte, et dans aucune autre marine ils n’ont de supérieurs pour l’habileté, la tenue, le zèle et l’esprit de corps. Lorsqu’il y a deux ans, le grand-duc Constantin visita nos ports militaires, le vaisseau des matelots canonniers fut un des détails qui fixa le plus vivement son attention ; il se montra émerveillé de l’ardeur que montraient ces hommes, de la dextérité avec laquelle ils maniaient les canons, de la justesse et de la promptitude du tir, de l’ordre qui régnait dans les manœuvres.

À côté de cette école des matelots canonniers, il existe sur le même vaisseau une petite école de matelots timoniers qui se compose de marins des classes. Elle n’a que trois ans d’existence et a déjà porté de bons fruits. C’est toujours le même principe : prendre en détail chaque service et le pousser jusqu’où il peut aller. L’école des matelots fusiliers n’a pas d’autre objet. Sans doute, à bord d’une escadre, tout marin a toujours su se servir d’un mousquet ; mais avant ces derniers temps on s’en fiait plus à l’habileté individuelle qu’à l’instruction des hommes et à la qualité des armes. C’est notre armée de terre qui a donné à notre armée de mer l’exemple et le goût d’un tir de précision. Nulle part ce tir n’était mieux approprié, ni plus utile que dans des combats où tous les officiers, depuis l’amiral jusqu’à l’enseigne, sont à découvert et où les feux qui se croisent du pont et des hunes peuvent, autant que ceux des batteries influer sur l’issue d’un engagement. L’école des matelots fusiliers fournira désormais cette instruction spéciale : elle reproduit pour les équipages ce qu’a fait l’école de tir de Vincennes pour les bataillons de chasseurs à pied ; on y apprend à manier les armes perfectionnées qui frappent des coups sûrs à de grandes distances. Plus récente que celle des canonniers, cette école n’a pas dit son dernier mot ; elle ne forme que sept cents sujets ; elle en pourrait aisément former mille, qui répandraient promptement dans la flotte de bonnes habitudes de tir. L’un de ces avantages est de se recruter surtout parmi les hommes du contingent de terre, qui, plus patiens et plus dociles que les marias, se prêtent plus aisément aux soins de détail et aux exercices fréquens qu’exigent les nouvelles armes.

Enfin il est un dernier cadre où les conscrits figurent à peu près exclusivement, c’est celui des ouvriers chauffeurs, travail ingrat, mais recherché à raison de la solde beaucoup plus forte qui s’y attache. Une des conditions imposées aux chauffeurs, c’est d’apporter la preuve qu’ils ont été ouvriers en métaux, et les gens des classes sont très rarement dans ce cas. C’est donc parmi les hommes déjà accoutumés aux feux des forges que sont choisis les chauffeurs, et cet élément ne se rencontre que dans la conscription ou les engagemens volontaires. Ainsi toutes ces institutions spéciales qui viennent d’être énumérées, école des canonniers, école des fusiliers, cadre des chauffeurs, sont autant de débouchés qui se sont ouverts aux hommes du recrutement. Ils y figurent à côté des marins des classes à titre égal, si ce n’est supérieur, et chacune de ces catégories est ainsi appelée à faire valoir les qualités qui lui sont propres dans des conditions de rivalité profitables au service de l’état.

Ces institutions spéciales ont un autre avantage, si évident qu’il est à peine utile d’y insister. En créant dans chaque service un type de perfection pour ainsi dire, elles élèvent l’instruction des équipages à un niveau que jamais cette instruction n’avait atteint. On sait quelles ont été, en industrie, la force et la vertu du principe de la division du travail ; c’est ce principe qui, appliqué à l’art militaire et naval, y multiplie les corps doués d’aptitudes et investis d’attributions particulières. Ce système peut avoir ses inconvéniens, si on en abuse ; appliqué dans une certaine mesure, il apporte, comme on a pu s’en convaincre, un remarquable supplément de vigueur aux armées qui les premières en ont fait l’application. Pour la flotte, restée jusqu’ici sous l’empire d’une instruction trop générale, ce soin des spécialités, si on y persiste, donnera à chaque détail plus de valeur et à l’ensemble plus de puissance. Il ne faut pas croire d’ailleurs que l’idée en soit entièrement nouvelle, et que de bons esprits n’en aient pas déjà été frappés. Dans l’enquête sur la marine, ordonnée en 1849 par une loi et poursuivie pendant deux années sous la ferme et judicieuse présidence de M. Dufaure, des hommes qui font honneur à leur arme, les amiraux Charner et Hernoux, avaient donné à ces institutions, alors naissantes ou en projet, l’appui de leur autorité. Les faits ont confirmé cette opinion, et dans les essais qui chaque jour se succèdent, on peut voir ce qu’y ont gagné les exercices de la mousqueterie et du canonnage.

Une conclusion à tirer de ces faits, c’est que les cadres nouveaux suffisent à une bonne composition des équipages et répondent à toutes les éventualités. On a, pour les marins des classes, les cadres de gabiers et de timoniers, pour les hommes du recrutement, en partage si ce n’est à titre exclusif, les cadres de canonniers, de fusiliers, de chauffeurs et d’aides-mécaniciens. La question du nombre se trouve ainsi écartée ; l’inscription n’en fournit plus le terme unique ; nos flottes puisent dans le réservoir, autrefois restreint, maintenant illimité, que l’on nomme le recrutement. De son côté, l’école des mousses de Brest prépare des titulaires pour la maistrance et forme de bons sous-officiers et officiers mariniers. Dans ces conditions, on a sous la main les équipages nécessaires pour monter le matériel existant et les réserves qui doivent en être l’appui ; bien ménagées, ces ressources peuvent même suffire au matériel en construction et à la flotte de 150 bâtimens à vapeur de combat qui nous sont annoncés pour 1871. On peut donc, sur ce point, attendre les événemens, avec la confiance qu’ils ne nous trouveront pas au dépourvu.

Mais, pour le cadre des officiers, cette confiance ne saurait être la même ; il y aurait imprévoyance à le laisser ce qu’il est et à fermer les yeux sur son insuffisance. Il pourvoit péniblement aux services actuels, et on a pu s’en convaincre à propos des derniers armemens pour la Chine ; Il ne se prêterait pas à des services plus étendus ; il est au-dessous de ce qu’on l’a vu dans des temps où la marine était effacée, et au milieu du développement des autres services militaires il a gardé une décourageante immobilité. Une augmentation dans ce cadre ne pourrait en aucune façon avoir un caractère agressif ; ce n’est qu’une question d’équilibre entre les équipages et les chefs appelés à les commander. Pour rétablir cet équilibre, on ne saurait s’y prendre de trop longue main ; les effets n’en seront pas immédiats, des années s’écouleront avant qu’ils soient sensibles. Un mot plein de sens a été dit par le ministre qui préside le cabinet anglais : c’est qu’en matière de défense chaque état est juge de la conduite qu’il doit suivre et n’a point à se régler sur ce qu’on dit et pense ailleurs. Il est à croire qu’il ne réserve pas à sa nation le bénéfice de ce principe, et que toutes restent maîtresses d’agir dans la mesure de leurs besoins. Ici le besoin est démontré, et nous n’avons pas craint de le mettre en évidence. Nous avons donné au maintien de la paix et à l’alliance qui la garantit des gages si sincères et si multipliés, qu’il nous est permis de signaler ce vide dans notre établissement maritime sans qu’on se méprenne sur nos intentions.


LOUIS REYBAUD.


V. DE MARS.

  1. Pour des états-majors composés réglementairement il aurait fallu de plus en capitaines de vaisseau :
    9 pour commander les vaisseaux à voile
    11 pour les corvettes de 1er rang
    19 pour les frégates à roues
    39 capitaines de vaisseau au total
  2. Ne sont pas compris dans le tableau :
    1° 5 capitaines de vaisseau membres du conseil des travaux et de l’amirauté ;
    2° 5 capitaines de vaisseau commandans supérieurs de bâtimens à vapeur dans les cinq ports ;
    3° 2 capitaines de vaisseau examinateurs au commerce ;
    4° Les aides-de-camp du ministre ;
    5° Les capitaines de frégate et lieutenans de vaisseau attachés aux bâtimens en réserve ;
    6° Les lieutenans de vaisseaux, capitaine de port en Algérie et dans les principaux ports de commerce,
    soit approximativement :
    13 capitaines de vaisseau
    4 capitaines de frégate
    16 lieutenans de vaisseau
    Et en récapitulant ces chiffres et ceux de la note précédente :
    52 capitaines de vaisseau
    4 capitaines de frégate
    16 lieutenans de vaisseau
    72 total général.