Chronique de la quinzaine - 14 juillet 1838

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Chronique no 150
14 juillet 1838
CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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14 juillet 1838.


Si le gouvernement représentatif était réellement en danger, comme le disent chaque jour, d’une voix unanime, les quinze ou vingt journaux de toutes couleurs qui composent, à Paris, l’opposition de la presse, ce danger ne serait pas grand. Assurément, les véritables principes du gouvernement représentatif ne peuvent périr lorsqu’ils comptent un si grand nombre de défenseurs. Le ministère est d’ailleurs si faible, de l’aveu même de l’opposition, qu’eût-il les mauvaises pensées qu’on lui prête, ses projets seraient bien impuissans en présence d’une opposition aussi forte ! N’eût-il même fait qu’abandonner momentanément ces principes, le ministère y serait bientôt ramené de force par l’influence de ces clameurs, si écoutées par le pays. Ainsi, de toutes manières, la France peut se tranquilliser. S’il est vrai qu’elle ait un ministère débile, qui s’écarte chaque jour, par excès de faiblesse, de la bonne voie, elle a une opposition vigoureuse, qui, ayant déjà mené les affaires durant toute la session (elle le déclare du moins), ne les abandonnera pas au gouvernement. Puisque l’opposition règne, et puisqu’elle est animée d’un si bon esprit, tout va le mieux du monde. Mais alors de quoi se plaint donc l’opposition ?

C’est un touchant accord. Les doctrinaires déclarent qu’ils n’auront pas de relâche jusqu’à ce qu’ils aient mis à la tête du conseil un président qui présidera réellement, et jusqu’à ce que la majorité parlementaire soit représentée dans le cabinet. Il nous répugne de revenir sans cesse sur les mêmes questions, mais cela n’est pas superflu ; et puisque l’opposition s’obstine à présenter sans cesse le même thème, il faut bien s’obstiner à le renverser. Nous demanderons donc à M. Duvergier de Hauranne et à ses amis, s’ils entendent par l’admission de la majorité aux affaires, le retour au pouvoir de leur parti ; c’est, en d’autres termes, demander si le parti doctrinaire est la majorité de la chambre. Ce parti répondra qu’à l’aide du centre gauche, de l’extrême gauche et des voix légitimistes, il se trouve en majorité. Nous le contesterions encore, et l’histoire de la session nous fournirait plus d’un exemple contraire ; mais cette assertion fût-elle vraie, s’ensuivrait-il que cette majorité bariolée réunirait les conditions nécessaires pour gouverner le pays ? Nous parlons des conditions parlementaires. Quand une opposition compacte, comme est en Angleterre l’opposition tory, depuis que le radicalisme ne vote plus avec elle, grossit numériquement au point de devenir une majorité, ou simplement même une imposante minorité, il est évident que ses principes l’emportent. Il faut lui ouvrir largement les portes du pouvoir. C’est, dans l’esprit du gouvernement constitutionnel, la voix du pays qui est censée parler. Lui obéir est un devoir ; et quoi qu’on fasse en pareil cas, il est impossible d’écarter des affaires un parti qui se présente de cette façon. Mais c’est un parti. Il n’y a pas d’anarchie dans l’état, et le passage de la domination d’un principe à celle d’un autre principe, s’opère sans secousse. Telle est l’institution, tel est le but du gouvernement représentatif, qui n’est qu’une suite de révolutions paisibles, d’émeutes légales, dont toutes les perturbations sont signalées d’avance, prévues et calculées, afin qu’il n’y ait jamais d’autres secousses dont on ne pourrait pressentir la portée. Un ministère n’a pas besoin d’être attaqué avec la violence que nous voyons aujourd’hui, quand les choses en sont venues à ce point ; c’est là le véritable régime constitutionnel ; mais nous avons eu souvent l’occasion de le dire depuis le commencement de la session qui vient de se clore, une réunion, une cohue de minorités, pourrait-on dire, ne forment pas un parti. C’est là, si l’on veut, une assez forte opposition qui peut entraver les affaires, comme nous l’avons vu, mais ce n’est pas une majorité capable de les prendre et de les diriger. Ainsi le ministère ferait encore plus de mal qu’il ne fait, qu’il faudrait trouver d’autres élémens pour l’abattre. On s’écrie sans cesse qu’il tombera au commencement de la prochaine session ; nous disons, nous, qu’il restera debout, si on l’attaque comme on l’a attaqué dans la session dernière ; non pas qu’on l’ait faiblement attaqué, mais parce que l’opposition a pris une fausse route. Le bon sens du pays ne s’y trompe pas. Aussi l’émotion de la presse de Paris n’a-t-elle pas dépassé les barrières, et il est bon d’avertir les feuilles qui s’évertuent à crier à la ruine des idées constitutionnelles, que leurs discussions sont parfaitement inintelligibles dès la seconde borne militaire, et même, la plupart du temps, dans les faubourgs de Paris.

Nous ne sommes pas de ceux qui crient à l’opposition comme une injure : « Vous n’êtes que des ambitieux ! Vous ne voulez que le pouvoir ! » Les ministres actuels ont été aussi des ambitieux avant que d’être ministres ; eux aussi ils ont voulu le pouvoir. Rien de mieux que cette ambition si l’on y joint un peu d’amour de son pays. Or nous croyons que chacun aime son pays à sa manière ; car le bien du pays est l’intérêt de tous, et l’ambitieux parvenu qui ne ferait pas avec zèle les affaires du pays, dans un gouvernement de publicité comme le nôtre, ferait assurément très mal les siennes. Un jour viendra où l’opposition aura, de son côté, quelque chose de mieux que des injures et des reproches de vénalité à répondre aux écrivains qui défendent les principes du gouvernement. Nous dirons, en attendant, que les adversaires du ministère dans la chambre, n’ont pas avancé la question d’un point par la polémique de cette session dans la chambre et dans la presse, et qu’ils ont donné une grande preuve de faiblesse en se réunissant uniquement pour la défense du principe de la présidence réelle. M. Guizot a-t-il formulé une accusation précise dans ses discours ou dans ses articles durant cette session ? a-t-il fait entendre une autre accusation que celle-ci : « Le pouvoir se rapetisse, l’autorité diminue ! » M. Duvergier de Hauranne a-t-il tenu un autre langage dans son dernier pamphlet ? Dans la lettre écrite depuis au Journal du Cher, l’honorable député a-t-il dit autre chose, et les raisons qu’il donne pour motiver ses attaques contre le ministère sont-elles plus satisfaisantes que les raisons qu’il donne pour s’excuser de l’avoir défendu ? La politique du ministère, selon M. Duvergier de Hauranne, énerve et dissout le gouvernement parlementaire, elle compromet le pouvoir royal, elle désorganise l’administration : toutes choses que le centre gauche disait et écrivait lors du ministère doctrinaire, et que les doctrinaires écrivaient et disaient lors du ministère du 15 avril. Si M. Duvergier de Hauranne disait que lui et ses amis n’appartiennent pas au parti ministériel parce que le ministère a fait l’amnistie, qu’ils blâmaient ; parce qu’il veut garder Alger, parce qu’il a resserré notre alliance avec l’Angleterre, parce qu’il a marché vers les idées du centre gauche, qui étaient en discrédit dans le cabinet du 15 septembre ; nous le concevrions. Si le centre gauche et la gauche disaient qu’ils combattent l’administration actuelle parce qu’elle n’a pas donné assez d’extension à l’amnistie, parce qu’elle n’a pas abrogé les lois de septembre, parce qu’elle s’est réunie à la majorité de la chambre pour repousser toute idée d’intervention en Espagne, nous comprendrions encore ce langage. Mais on se garde bien de parler ainsi dans l’opposition, parce que ce serait se montrer tel qu’on est, et qu’alors chaque fraction de cette grande et unanime réunion d’avis divers s’en irait chacune de son côté, et dériverait vers ses principes. Il est bien plus commode de dire que le pouvoir parlementaire se désorganise, surtout quand on se donne pour le pouvoir parlementaire, et qu’on réclame pour soi les forces qu’on dit abattues et qu’on prétend restaurer.

Voyez aussi ce qui arrive ! Grace à cette enseigne, tous les mécontens peuvent venir se réfugier sous la même bannière. On a lieu de s’étonner, en vérité, qu’il y ait eu en France une révolution de juillet, quand on se met à lire avec quelque attention la devise de tous ces partis, dont les uns combattent et détruisent le gouvernement, croyant ne s’en prendre qu’aux ministres, et dont les autres n’en veulent qu’au gouvernement, et le frappent en réalité de toutes les attaques qu’ils semblent diriger contre le cabinet.

Cette devise est la même pour tous : réalité du gouvernement parlementaire. Les doctrinaires veulent le gouvernement parlementaire. Ils ont combattu pour cela en 1830 (ont-ils combattu ?). Le gouvernement parlementaire, faussé par la restauration, s’était retrouvé au 11 octobre, à l’époque où l’on mettait la capitale en état de siége et où l’on élaborait les lois de septembre. Il existait dans toute sa plénitude quand le ministère soumettait à regret à la chambre le traité des 25,000,000 dus aux États-Unis ; quand M. Guizot et ses amis s’apprêtaient, en soupirant, à soutenir la loi d’apanage. Ce gouvernement s’est perdu depuis, il a cessé d’exister depuis l’amnistie, depuis que l’orgueil national se satisfait par la possession définitive de l’Algérie, depuis qu’on a renoncé à la loi de disjonction et à d’autres lois pareilles. Un ministère de récompense à qui le retrouvera !

Le centre gauche veut aussi le gouvernement parlementaire. La partie du centre gauche, qui figure dans l’opposition, n’a, en effet, jamais transigé avec des idées moins absolues ! On ne l’a jamais vue, depuis 1830, appuyant des mesures peu parlementaires comme, par exemple, la loi sur la gendarmerie dans les départemens de l’ouest et la mise en liberté de Mme la duchesse de Berry. N’importe, le centre gauche veut ce qu’on appelle le gouvernement parlementaire quand on n’est pas du gouvernement, et ce qu’on nomme le gouvernement impossible quand on est aux affaires. Au moins est-il juste de dire qu’il l’a toujours demandé en théorie, et c’est en cela surtout qu’il diffère des doctrinaires.

Mais les amateurs, les défenseurs enthousiastes du pur gouvernement parlementaire ne se trouvent pas seulement dans ces deux nuances d’opinions. Les légitimistes, par l’organe de la Gazette ; les républicains, par la voix du National ; les bonapartistes, par leurs publications et proclamations, réclament tous à grands cris ce gouvernement constitutionnel que nous n’avons pas sans nul doute, et qui commencera, pour les uns, à la convocation des états-généraux ; pour les autres, au prochain champ-de-mai ou à la réunion générale des comices populaires. Tout cela s’appelle confusément, pour l’heure présente, le gouvernement et les idées parlementaires ; cet ensemble de vues si conformes, se nomme en masse l’opposition ! C’est là ce qu’on énumère, quand on parle de la majorité de la chambre et de l’opposition des vingt principaux journaux de Paris ! S’il s’agit d’entrer au ministère comme on est entré à l’Hôtel-de-Ville en 1830, pêle-mêle, sauf à se reconnaître et à s’éliminer après, à la bonne heure ! Les doctrinaires ont alors quelque chance, même s’ils arrivent les derniers comme alors. Mais il nous semblait que nous n’en étions plus là, et que les leçons du passé nous avaient appris à tous à procéder avec moins de tumulte à l’arrangement de nos affaires. Il nous semblait qu’après tous ces enseignemens il y avait quelque espoir d’être écouté, en disant à l’opposition, que nous appellerons volontiers l’opposition au ministère : Renoncez à des attaques qui sont puériles de votre part, et qui donnent lieu à des attaques plus sérieuses de la part de l’opposition au gouvernement. S’il est vrai que vos principes soient assez différens de ceux de ce ministère, et qu’ils soient professés par un assez grand nombre pour former une majorité, prouvez-le en disant ces principes. Attaquez le ministère sur des faits. S’il a de coupables complaisances pour une influence extra-parlementaire, faites-le savoir. Cette complaisance se manifeste apparemment par quelques actes ; et vous ne pouvez les ignorer, puisque vous signalez cette complaisance : divulguez les actes. Vous dites que le pouvoir diminue ; en quoi diminue-t-il ? Blâmez-vous la politique extérieure ? Montrez-nous comment elle a failli, et en quelle chose. L’Espagne constitutionnelle est-elle plus en danger par le refus d’intervention qu’elle ne l’était au temps du ministère du 11 octobre ou du 15 avril ? L’alliance anglaise vous semble-t-elle affaiblie par l’ambassade du maréchal Soult ? Trouvez-vous des indices de désunion dans le dernier discours de lord Palmerston, où il reconnaît le droit de la France à s’asseoir d’une manière stable en Afrique ? La question d’Orient se présente. Le pacha d’Égypte veut son indépendance. Son grand âge, dit-il, lui fait une loi de se presser de secouer la suzeraineté de la Porte, dont il ne veut pas mourir le vassal. Que feriez-vous de cette question d’Orient ? De qui prendriez-vous la défense et la protection ? En quoi le ministère péchera-t-il, s’il prend l’un ou l’autre parti ? On est réellement un parti, une opinion, un camp politique, lorsqu’on parle un langage aussi net. On court alors effectivement la chance de saisir le pouvoir ; mais se renfermer dans de vagues généralités, demander le gouvernement représentatif, crier à l’abaissement et au rapetissement, ce n’est rien qu’une tracasserie qui ne mène à rien. Nous nous en rapportons au témoignage du pays tout entier, qui est si tranquille, tandis que l’opposition est si exaltée ; qui vaque tranquillement à ses affaires, qui commerce, qui récolte, qui jouit de sa paix, de son aisance et de sa liberté, tout comme si nous avions le gouvernement parlementaire, la présidence réelle, et tout ce que nous aurons infailliblement, dès que les cinq oppositions réunies auront composé et fait agréer un nouveau ministère de leur façon.

Le procès intenté à M. Laity devant la cour des pairs s’est terminé par une condamnation. La peine prononcée par la cour des pairs est bien rigoureuse. Un jeune homme, un jeune officier, condamné à cinq années de détention, et de plus, pour sa vie entière, à cette sorte de détention qu’on nomme surveillance de la police, c’est là sans doute une punition sévère. Mais M. Laity s’était exposé à une punition bien plus rigoureuse encore en prenant, à Strasbourg, les armes contre le gouvernement. Un intérêt réel s’attache à ce jeune officier qui a risqué de la sorte tout son avenir en faveur d’idées qu’il croit généreuses ; mais le ministère a fait son devoir. En traduisant l’accusé devant la cour des pairs, il a usé d’un droit que lui confère la législation. N’est-il pas curieux qu’il soit blâmé par les auteurs même de cette législation ? On parle de gouvernement constitutionnel. Dans sa courte existence politique, M. Laity en a éprouvé les avantages et les inconvéniens d’une manière bien éclatante. Acquitté par le jury quand il était sous le poids d’une accusation de révolte à main armée, acte qu’il ne niait pas, il a été condamné pour avoir publié une brochure dont toute la responsabilité morale ne pèse évidemment pas sur lui. Pour le ministère, il ne pouvait se soustraire à cet acte de vigueur ; et les journaux qui l’ont attaqué ont eu soin de ne parler que de la publication de la brochure, en écartant le fait de la distribution à dix mille exemplaires au peuple et à l’armée. Encore une fois, nous plaignons le condamné, et nous espérons qu’un jour on adoucira sa peine ; mais nous croyons que les esprits impartiaux approuveront le ministère. Nous ne parlons pas de ceux qui, l’accusant sans cesse de faiblesse, encouragent par ces accusations les tentatives du genre de celle qu’il a été forcé de réprimer d’une manière aussi péremptoire.

Si nous blâmions le ministère, ce serait d’un autre procès que de celui de M. Laity. Le journal le Temps avait publié sous la forme dubitative, et comme des bruits de ville, quelques détails sur la délibération de la cour des pairs. Le ministère, en faisant saisir ce journal, en lui intentant un procès au nom des lois de septembre, en usant d’un droit qu’il a incontestablement, a-t-il fait un acte de bonne politique ? Nous ne le croyons pas. Le Temps est un journal modéré, il a défendu le ministère pendant une grande partie de la session, il a servi de tout temps les intérêts de la dynastie actuelle. En 1830, en 1831, le Temps a rendu de véritables services. Est-ce pour de tels journaux qu’a été faite la législation de septembre ? Le Temps a commis, il est vrai, une infraction aux lois de septembre en publiant quelques détails de la délibération de la cour des pairs ; mais mille légères infractions aux lois de septembre n’ont-elles pas été tolérées depuis un an ? D’où vient donc cette rigueur excessive à l’égard du Temps ? Comme il n’est certainement entré dans la pensée d’aucun des ministres de faire sentir en cette occasion, au Temps, qu’il y a plus d’inconvéniens à attaquer le cabinet qu’à le défendre, nous dirons simplement au ministère qu’il a donné lieu à ses adversaires de lui supposer cette pensée. L’article du Temps eût passé inaperçu sans la saisie de ce journal. Cet article ne pouvait blesser ni le ministère, ni la cour des pairs. À quoi tend donc cette saisie ? Si l’on veut procéder logiquement, il faudra saisir, l’un après l’autre, dix journaux de l’opposition, et comme nous pensons que le ministère n’a pas décidé de se soumettre, en frappant la presse, aux sommations d’énergie que lui fait l’opposition, nous sommes persuadés que cette petite mesure de rigueur sera sans suite et sans conséquences de la part du cabinet. Nous n’hésitons pas à ajouter que notre désir est qu’il en soit ainsi devant les tribunaux, et que le Temps soit acquitté. Nous avons assez souvent approuvé les actes du ministère actuel, pour avoir le droit de blâmer, sans être taxés de partialité, ceux qui nous semblent impolitiques, et celui-ci est du nombre. Le ministère actuel est du 15 avril, et non du 6 septembre ; il ne doit pas l’oublier.

L’ordonnance de clôture de la session a été portée aux deux chambres. Le ministère a de grandes affaires à traiter dans l’intervalle des deux sessions, et peut-être d’importans et rigoureux devoirs à remplir sur lui-même. L’opposition, absente avec la chambre, s’est déjà réfugiée dans la presse, dont la vivacité hostile a redoublé depuis peu de temps. Le ministère fera mieux de la combattre, ainsi qu’il l’a déjà fait, par des actes que par des réquisitoires. L’armée doit appeler d’abord l’attention du gouvernement. Elle est brave et instruite, brillante et fidèle, tout le monde le sait ; mais les tentatives qui ont été faites auprès d’elle, demandent un redoublement de vigilance et d’énergie dans ceux qui la dirigent. Au dehors, les questions se pressent. La Navarre essaie de se pacifier et de se purger du parti qui en a fait le centre de ses opérations. Ce serait un beau commencement de session et une excellente réplique aux partisans de l’intervention, qu’un passage du discours du trône où l’on annoncerait la pacification de l’Espagne. Les affaires de Belgique ne tarderont pas à être portées devant la conférence, où le rôle de générosité et de protection auquel est appelée la France, trouvera plus d’une difficulté. En Orient, la déclaration d’indépendance du pacha appelle également le gouvernement français à user de sa prépondérance ; et comme tout se tient, plus les questions se multiplient, plus la nécessité d’être logique les lie les unes aux autres.

Ainsi un cabinet qui s’interposerait, à Alexandrie, pour que le traité de Koniah ne soit pas violé, serait mal venu à exiger, dans la conférence de Londres, la rupture du traité des vingt-quatre articles. Heureusement l’alliance de la France et de l’Angleterre répond à tout. Cette alliance, nous n’en doutons pas, maintiendra la paix en Égypte comme en Hollande, et simplifiera toutes les négociations qui s’ouvrent en ce moment. L’accueil fait au maréchal Soult n’est pas un fait insignifiant. À Saint-Pétersbourg, à Vienne, le maréchal pouvait recevoir un brillant accueil de cour. Cet accueil n’eut rien ajouté à l’éclat de son nom et à l’autorité de sa personne ; mais, à Londres, il n’en est pas ainsi. Le peuple anglais, représenté dans les rues de Londres par sa démocratie, et dans Westminster par son élite aristocratique, a salué, dans la personne du maréchal, les souvenirs de la gloire de la France, souvenirs si odieux aux Anglais, il y a peu de temps, et cet accueil a cimenté l’alliance des deux pays. Dans une lettre très noble, le maréchal Soult a renvoyé avec modestie cet honneur au pays et au roi. C’est, en effet, au pays et au roi que devra profiter cet honneur ; mais le maréchal Soult l’augmentera encore pour lui-même, s’il en retire les moyens de rendre de nouveaux services à ce pays et à ce roi qu’il vient de représenter à Londres, avec tant d’éclat.

La réception du maréchal Soult à Londres et dans les comtés environnans, a fourni de singulières réflexions à quelques journaux. Ces réflexions s’adressent à M. le duc de Nemours, qui devrait, dit-on, être frappé des hommages qui s’adressaient particulièrement au maréchal pendant le séjour du prince à Londres. Il nous a semblé jusqu’alors que, de tous les Français qui se trouvaient à Londres, M. le duc de Nemours devait être le plus flatté de ces applaudissemens et de ces vivats dont on saluait le plus illustre des soutiens de la monarchie de juillet : c’est là, sans nul doute aussi, le sentiment dont le prince a été animé. M. le duc de Nemours a eu le bonheur de voir plusieurs fois le feu de l’ennemi, et c’est un genre de bonheur dont peu de jeunes gens de son âge peuvent se glorifier aujourd’hui. Sa carrière commence, celle du maréchal Soult ne finit pas encore ; mais elle a été longue, et il a été donné à peu de princes et à peu de généraux, même au temps de ces grandes guerres où le maréchal Soult s’est illustré, d’acquérir une renommée aussi haute. Comment donc M. le duc de Nemours pourrait-il être choqué des triomphes bien légitimes du maréchal, que le roi lui-même a préparés en envoyant le duc de Dalmatie à Londres, en qualité de son ambassadeur extraordinaire ? N’a-t-on pas vu, depuis quelques années, les fils du roi rendre hommage, en toute occasion, à cette grande et vieille gloire du maréchal Soult, et se placer à ses côtés dans les instans périlleux où l’énergique soldat de l’empire est allé en personne réprimer la révolte et combattre l’anarchie ? Les écrivains légitimistes qui font de telles réflexions, et qui souffrent au fond, plus que personne, de l’accueil fait à un officier de fortune, à un maréchal sorti des rangs de la révolution, sont ceux qui énuméraient récemment, avec joie, les forces de la Russie, et appelaient le Nord à venir rétablir l’ordre en France. Il est donc assez naturel qu’ils ne puissent bien juger des sentimens d’un jeune prince français à la vue de l’enthousiasme que produit parmi les étrangers un soldat de la France.

D’autres feuilles, d’un parti opposé, ont reproduit une prétendue circulaire du ministre de l’intérieur, au sujet de la gendarmerie départementale. D’après cette pièce, la gendarmerie serait chargée de surveiller la presse, de réprimer ses délits, et de faire en quelque sorte l’office du procureur du roi. Le ministre de l’intérieur s’est hâté de faire démentir ces allégations ; il eut suffi, pour toute réponse, d’envoyer aux journaux en question les circulaires véritables de M. de Montalivet, et entre autres l’excellente circulaire sur les prisons, qu’il vient d’adresser aux préfets des départemens, pièce qui montre assez dans quel esprit il dirige son administration. Cette instruction prescrit les soins les plus minutieux à l’égard du régime des prisons ; elle oblige les préfets à visiter les prisons plus d’une fois par an ; elle impose des inspections encore plus fréquentes aux maires, et admoneste ceux qui ne paraissent pas mensuellement dans les maisons de détention. Il est impossible de provoquer avec plus de sollicitude des changemens favorables dans cette partie de l’administration, et tous les termes de cette circulaire, œuvre d’une philanthropie éclairée, font un véritable honneur à M. de Montalivet. De tels actes rempliront bien l’intervalle d’une session, et préparent la loi sur les prisons que le ministère se propose de présenter au commencement de la session prochaine.