Chronique de la quinzaine - 14 juillet 1881

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Chronique n° 1182
14 juillet 1881


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 juillet.

On aurait beau s’en défendre et chercher à se faire illusion, on sent bien qu’à travers tout, sous une apparence de régularité routinière et de paix ininterrompue, il y a dans les affaires de la France des embarras et des malaises. On s’en aperçoit à des signes de toute sorte, non-seulement à cette fatigue inhérente sans doute à la saison et au déclin d’une session, d’une législature, mais encore à l’incohérence et à la confusion qui sont un peu partout, à l’incertitude des résolutions, à la manière décousue dont marchent les choses.

Ce n’est pas que la situation soit aggravée ou compromise. Il n’y a point en perspective, il est permis de le croire, de ces complications qui sont de nature à créer de sérieuses inquiétudes, et les incidens qui se sont produits depuis quelques mois, qui préoccupent justement l’opinion, qui attirent en ce moment l’attention publique sur les rives africaines, ces incidens ne sont pas de ceux qui peuvent déconcerter une grande nation. Le pays par lui-même n’est sûrement pas en disposition de susciter des difficultés ; il offre le plus rare spectacle de tranquillité, de bonne volonté et de soumission. Le mal n’existe pas moins, il se fait sentir à tout propos, dans la plupart des affaires, et pour qu’il en soit ainsi, il faut bien qu’il y ait une cause plus générale, plus profonde. La cause, c’est que depuis assez longtemps en vérité, depuis trois ou quatre ans ! au moins, on semble se complaire à gaspiller une situation prospère. Par inflation on dans un intérêt de domination, on mésuse un peu trop de tout. On vit d’expédiens, d’illusions, sans s’apercevoir que, pendant ce temps, avec ce système, les idées s’obscurcissent, les ressorts de l’état s’usent, le sens des grandes conditions de la vie publique s’altère.

Rien certes ne montre mieux le danger de cette politique d’optimisme, d’illusion et de confusion que ces affaires d’Afrique, qui ont été l’autre jour dans notre parlement l’objet d’une discussion plus animée, plus pénible que décisive, qui restent pour le moment une des plus vives préoccupations de la France. Les faits par eux-mêmes sont assurément assez sérieux. L’expédition, de Tunis a été, il est vrai, déclarée officiellement close, et le rappel d’une partie du corps expéditionnaire envoyé dans la Tunisie a semblé confirmer cette déclaration. Jusqu’à quel point cependant cette campagne est-elle réellement finie ? La question reste encore passablement obscure. La vérité est que, si un traité constituant le protectorat français a été signé avec le bey, s’il y a aujourd’hui à Paris un ministre du prince tunisien chargé sans doute de compléter les arrangerons qui ont été conclus, rien n’est fini dans la régence même, où les événemens inquiétans se succèdent. Le récent assassinat d’un de nos officiers, M. le capitaine de Mattei, aux portes d’un café, prouve la violence du fanatisme musulman. D’un autre côté, au sud de Tunis, sur la frontière tripolitaine, dans la ville de Sfax et autour de Sfax, a éclaté un mouvement insurrectionnel qui a nécessité l’envoi d’une force navale, un bombardement de la ville, — qui détermine encore, à l’heure qu’il est, le départ de nouveaux contingens français peu après le rappel d’une partie du corps expéditionnaire primitif. Il est clair que la France, pour sa sûreté, pour l’autorité de son protectorat, va se trouver conduite par les événemens à occuper quelques points, Sfax, Gabès, peut-être Kairouan, qui est un peu plus dans les terres, qui est un foyer de propagande musulmane. Elle se trouve désormais, sur cette frontière tripolitaine, en face d’une fermentation religieuse et guerrière que la Sublime-Porte a l’air de désavouer diplomatiquement, qu’elle entretient néanmoins et par ses excitations et par des envois de troupes à Tripoli. La Turquie, à ce qu’elle assure, ne veut que maintenir l’ordre dans le vilayet de Tripoli, — et, sous ce prétexte, elle a envoyé un pacha qui s’occupe à organiser des contingens, à souffler la guerre autour de lui, qui a commencé par refuser de reconnaître le protectorat français sur les Tunisiens, tel qu’il est fixé par le traité du Bardo. C’est donc là une situation assez difficile, qui exige une vigilance aussi attentive qu’énergique. Si la première campagne contre les Khroumirs est finie, les complications qui peuvent en être la suite sont loin d’être dissipées. C’est une autre phase pleine d’inconnu qui commence ; mais ce qu’il y a de plus grave, ce que les hommes accoutumés à l’Afrique avaient vu dès l’origine, c’est que cette affaire de Tunis n’est en définitive qu’un épisode dans l’agitation musulmane qui menace l’intérieur de nos possessions algériennes, qui se propage depuis quelque temps déjà des frontières tunisiennes et tripolitaines à la frontières du Maroc.

C’est le point grave, en effet. Cette insurrection nouvelle, qui est une épreuve de plus pour l’Algérie, qui a coïncidé avec la marche de nos soldats sur Tunis, elle ne s’est pas manifestée partout à la fois sans doute. Elle n’a pas pris le caractère d’un soulèvement décidé dans les provinces d’Alger et de Constantine. L’esprit de révolte a pu être contenu jusqu’ici dans les tribus qui dépendent de ces provinces. Il n’en est pas de même du sud de la province d’Oran, où l’insurrection est devenue rapidement une sorte de guerre sainte nouvelle à laquelle il faut, maintenant faire face. Là, dans cette région des hauts plateaux qui s’étend au-delà du Tell sur une profondeur de 200 kilomètres vers le désert, où errent des tribus mal soumises et où nous n’avons qu’un poste avancé, celui de Geryville, le mouvement est en réalité des plus sérieux. Il s’est trouvé non pas un autre Abd-el-Kader, mais un autre Bou-Aaza, un marabout du nom de Bou-Amema, qui a su réunir des séides enflammés de son esprit et des contingens assez nombreux. On l’appellera, si l’on veut, un bandit, un maraudeur, un aventurier, peu importe. Bou-Amema est évidemment un de ces chefs qui se rencontrent de temps à autre en Afrique, qui ont assez d’ascendant pour rallier des soldats, assez d’audace pour ne pas craindre de se mesurer avec notre domination, et il n’a pas précisément prouvé jusqu’ici qu’il fût un ennemi à mépriser. Vainement on a envoyé des colonnes qu’on a plus d’une fois représentées dans les dépêches officielles comme prêtes à le saisir, tout au moins à le rejeter au loin dans le désert ; il s’est toujours échappé, il a passé à travers les mailles du réseau dans lequel ou se proposait de l’envelopper. Il a pu arriver jusqu’aux approches de Saïda, poste central dans la région des plateaux, saccager les exploitations d’alfa, terrifier la population espagnole employée à cette industrie, faire des prisonniers, emmener des otages avec son butin. Il a eu, chemin faisant, avec nos troupes des rencontres qui nous ont coûté bon nombre d’hommes et qu’il a pu considérer comme des succès.

Bref, Bou-Amema a défié jusqu’ici une répression demeurée malheureusement impuissante, et un des résultats les plus sensibles de l’apparition de cet audacieux ennemi a été de désorganiser pour le moment une grande industrie, celle de l’alfa, de jeter l’alarme parmi les émigrans espagnols qui forment la portion la plus nombreuse de la population de la province d’Oran. Des milliers de ces émigrans sont rentrés en Espagne, emportant le souvenir des violences sanglantes et des déprédations dont ils viennent d’être victimes. Tout est à recommencer aujourd’hui pour ramener la sécurité dans cette contrée ou l’autorité française reste en face d’un ennemi redoutable. C’est là pour le moment le fait palpable et saisissant. Il y a des combats à livrer au sud de la province d’Oran comme il y a aussi un effort à faire à l’autre, extrémité de la régence de Tunis, devant cette ville de Sfax, qu’on ne pourra peut-être emporter que par un assaut.

Que des fautes militaires aient été commises sur cet échiquier des hauts plateaux oranais dont on parlait l’autre jour, que les opérations engagées dès le début contre l’insurrection nouvelle aient été conduites avec une certaine inexpérience, c’est possible. Il est trop clair que, pour une raison ou pour l’autre, tous ces chefs lancés à la poursuite du marabout n’ont pas été heureux dans leurs combinaisons et dans leur stratégie ; ils n’ont pas réussi ! Mais il y a eu évidemment avant tout une faute politique, une imprévoyance de gouvernement. Tout le monde en est convenu l’autre jour dans la discussion de la chambre. Depuis assez longtemps on avait l’œil sur ce marabout qui s’érige aujourd’hui en « sultan ; » on connaissait non existence, son ascendant parmi les tribus, ses menées agitatrices, ses relations avec les populations marocaines de la frontière. On n’ignorait pas que l’hostilité contre la domination française était ardemment propagée dans le monde arabe, que tout se préparait pour un mouvement plus ou moins prochain. On le savait si bien que, dès le commencement de l’année dernière, une démonstration militaire avait été décidée dans les conseils du gouvernement pour intimider les agitateurs, pour faire sentir parmi ces tribus toujours à demi rebelles la puissance de la France Puis, sans raison bien plausible, ce projet était abandonné ; le gouvernement de l’Algérie se décidait à ne rien faire ! Mieux encore ! depuis qu’on avait renoncé à la démonstration militaire projetée un moment, des officiers avaient été envoyés successivement dans le pays ; ils avaient tous signalé la remuante activité de Bou-Amema, son influence croissante sur les tribus de Geryville, de Saïda et du Sebdou ; ils annonçaient les uns et les autres une insurrection imminente. On a persisté cependant à rester jusqu’au bout dans l’immobilité, sans prendre aucune précaution sérieuse. On a attendu indéfiniment, — « et puis, selon le mot d’un député, on est tout surpris de l’explosion des événemens, » dont on a connu l’origine et les préliminaires, qu’une démonstration un peu vigoureuse faite à propos aurait pu sans doute prévenir ! Ainsi, il peut y avoir eu des fautes militaires, il y a eu certainement aussi des fautes de politique, et en réalité les unes et les autres s’enchaînent, se confondent ; elles tiennent justement à ce faux système qu’on applique à tout, aux affaires de l’Algérie comme aux affaires intérieures, au risque de mettre partout la confusion.

La vraie cause des nouvelles complications africaines, elle est dans cette situation équivoque et mal définie qu’on a créée, dans ce mélange d’un gouvernement civil plus ou moins artificiel et d’un pouvoir militaire dénué d’initiative autant que d’indépendance : elle est en définitive dans cette idée chimérique à laquelle on a cédé par une sorte de préjugé en prétendant assimiler politiquement et administrativement l’Afrique à la France. Il faut bien voir les choses dans leur vérité. L’Algérie reste encore, après tout, une colonie qui est dans la période d’enfantement et de formation, où la France n’a pas cessé d’être en terre conquise, où la population est tellement discordante avec ses élémens arabes ou étrangers qu’elle implique la nécessité d’une autorité toujours active, puissamment armée, présidant à une organisation forcément spéciale. Pourquoi un chef militaire a-t-il paru jusqu’ici plus particulièrement propre à exercer cette autorité ? C’est évidemment parce que, plus que tout autre, il représente le commandement pour les Arabes, parce qu’il est la force vivante et visible aux yeux de populations qui ne s’inclinent que devant la force. Oh ! assurément, s’il se rencontrait un politique supérieur réunissant tous les caractères, ayant tous les dons du conseil et de l’action, fait pour être la tête de l’administration militaire aussi bien que de l’administration civile, la question serait singulièrement simplifiée, ou plutôt elle n’existerai ! pas. A défaut de cet homme exceptionnellement supérieur, qu’on ne paraît pas avoir sous la main, qui du moins n’est pas pour le moment à Alger, le parti le plus sage reste toujours manifestement de ne pas violenter la nature des choses, de maintenir ou de rétablir la seule autorité possible, efficace dans un pays où la première loi est d’être sans cesse sous les armes On a cru faire merveille en donnant à l’Algérie des députés, des préfets, un chef civil, une organisation à peu près française, sauf pour les affaires indigènes, — et on n’est arrivé qu’à une véritable confusion.

Qu’on se rende, compte de ce système d’assimilation et de gouvernement civil tel qu’il existe aujourd’hui. Rien ne semble plus simple ; au fond, rien n’est plus compliqué, plus obscur et plus incertain. Le gouverneur a sans doute l’apparence d’un grand pouvoir ; il représente la France, l’autorité souveraine sur la terre d’Afrique. Par le fait, il a sans cesse à se débattre au milieu du toutes les contradictions. Il n’y a que quelques mois, le gouverneur actuel, M. Albert Grévy, dans un rapport, posait ces singulières questions : « Quelles sont exactement aujourd’hui les attributions respectives du gouverneur-général et des ministres ? .. Quelles sont exactement aujourd’hui les attributions spéciales du ministre de l’intérieur au regard du gouverneur-général et des autres ministres pour toutes les affaires de l’Algérie ? .. » Le fait est qu’une réponse claire, précise à ces étranges questions n’est pas facile et qu’on ne distingue qu’une chose, c’est que ce gouverneur civil est dans une position où il n’est pas toujours sûr de se reconnaître lui-même. Bon nombre de services, cultes, justice, instruction publique, lui échappent ; ils sont directement rattachés aux divers ministères de la métropole, qui, de loin, de Paris, adoptent souvent des mesures et choisissent des fonctionnaires sans consulter suffisamment les intérêts locaux. Pour le reste, le gouverneur a tout à la fois à compter avec le ministre de l’intérieur et avec le ministre de la guerre, — avec le premier pour la direction politique, et civile, avec le second pour la direction des affaires militaires. Il commande en effet ou il est censé commander les forces de terre et de mer ; en réalité, il a tout juste assez d’autorité pour diminuer ou effacer les chefs de l’armée, pour être une embarrassante inutilité entre le ministre de la guerre, qui est à Paris, et les commandans directs, qui sont en Algérie. Que résulte-t-il de tout cela ? Il en résulte, en vérité, ce qui arrive aujourd’hui. La conséquence de ces confusions perpétuées et aggravées, c’est que l’action se disperse ou s’égare. Le gouvernement disparaît, la responsabilité finit par n’être plus nulle part, et le jour où éclatent des événemens qu’on aurait pu prévoir et détourner, qui sont la suite d’un faux système, on s’évertue assez stérilement à chercher sur qui on fera peser des accusations, qui l’on devra mettre en cause. M. le ministre de la guerre, sans refuser de sévir contre des chefs de colonnes qui n’ont point été heureux, s’efforce néanmoins de dégager le commandement ; il ne veut pas qu’on parle d’un antagonisme du pouvoir militaire vis-à-vis du pouvoir civil. En d’autres termes, il laisse la plus grande part de responsabilité au gouverneur-général. Fort bien ! mais alors quelle est la position de ces officiers commandans de provinces, de cercles ou de colonnes actives, toujours réduits à attendre des ordres, à interroger le palais qui est à Alger et l’hôtel ministériel qui est à Paris ? Quel rôle fait-on à cette armée chargée de maintenu l’ordre, de sauvegarder la sécurité de nos possessions et privée de toute initiative, n’ayant plus même le pouvoir de suivre les mouvemens arabes, puisque le gouvernement civil a attiré à lui les affaires indigènes ? Elle n’est plus responsable que de l’exécution des ordres qu’elle reçoit, au risque d’en être la première victime si les ordres sont tardifs, ou confus, ou insuffisans. M. le président du conseil, de son côté, il est vrai, ne l’entend pas tout à fait ainsi. Il met tout son zèle à dégager le gouverneur-général, à tout rejeter sur les chefs de l’armée. Le gouverneur n’est pour rien dans les opérations militaires ! Ce sont des fautes militaires qui ont été commises ! La guerre, c’est le rôle de l’armée de la faire, ce n’est pas le rôle du gouverneur-général ! Soit ; mais alors qu’est-ce que ce gouvernement civil qui en temps de paix commande les forces de terre et de mer, qui a tout pouvoir dans les affaires arabes, qui par sa politique ou par ses actes peut préparer les événemens les plus graves, — et qui, au jour de la crise, s’éclipse, laissant aux autres la responsabilité ? M. le président du conseil ne s’est pas aperçu qu’en voulant à tout prix excuser le gouverneur civil actuel de l’Algérie, il a mis a nu le vice de l’institution elle-même. Les députés de l’Algérie, eux non plus, n’ont pas pris garde qu’avec tout ce qu’ils racontaient ils faisaient à leur manière le procès du gouvernement civil. C’est après tout la plus évidente moralité de ces derniers débats de la chambre, qui ont eu au moins cette utilité pratique et directe de montrer par quelle série d’erreurs, de déviations et de confusions a été préparée l’épreuve nouvelle infligée à l’Algérie.

Aujourd’hui le mal est fait, et sans se laisser aller au pessimisme par trop sombre de ceux qui désespèrent de l’Algérie, on peut dire que la crise est assez sérieuse pour que la première pensée des pouvoirs publics soit d’y remédier le plus tôt possible. M. le ministre de la guerre, selon l’invariable habitude après tous les revers ou les mésaventures, a commencé par quelques actes de sévérité. Il a remplacé quelques-uns des officiers chargés de conduire les colonnes actives, le commandant de la province d’Oran et même le commandant supérieur du 19e corps d’armée. Il a envoyé, comme chef militaire à Alger, un homme connu pour ses services et pour une courte apparition dans la politique, M. le général Saussier. M. le ministre de la guerre qui, lui aussi, a sa responsabilité, même la première responsabilité et dans l’organisation de l’expédition de Tunis et dans les affaires de l’Algérie, M. le ministre de la guerre est sans doute le premier juge des mesures de commandement et des choix de personnel devenus nécessaires dans une situation qui a ses difficultés. Qu’on change donc des officiers, qu’on envoie de nouveaux généraux avec la recommandation d’être plus heureux, qu’on établisse postes et redoutes à la frontière comme on l’a proposé ou qu’on transporte les sièges des divisions dans l’intérieur, comme l’a demandé un député de l’Algérie, soit ; ce sont des actes de circonstance et de prévoyance qui peuvent s’expliquer ; mais il est bien clair qu’on aura, beau multiplier les palliatifs, on n’aura rien fait tant qu’on ne se sera pas placé résolument en face de la vraie question d’organisation et de gouvernement pour nos possessions africaines. M. le général Saussier lui-même, quel que soit son mérite, risquerait fort d’échouer si aux instructions nouvelles qu’il a dû recevoir on n’ajoutait pas des pouvoirs plus étendus, surtout mieux définis, si on ne lui donnait pas, avec l’ordre de rétablir la paix et l’ascendant de la France, les moyens de remplir sa mission. Il faut bien se dire, en fin de compte, que les expériences d’assimilation et de gouvernement civil qui ont été tentées n’ont que médiocrement réussi, que l’Algérie n’est pas la France, qu’une colonie où il y a plus de 2 millions d’Arabes à côté de 250,000 Européens ne peut pas être administrée comme un département français, que pour maintenir la sécurité nécessaire à une sérieuse colonisation, il faut une autorité énergique, efficace surtout par l’unité de pouvoir. Que cette autorité doive être humaine, intelligente, libérale et qu’elle ne procède pas par l’extermination des Arabes, comme le proposent certains civilisateurs, — qu’elle soit, de plus, incessamment soumise au contrôle des pouvoirs publics et qu’elle reste responsable devant eux, c’est bien entendu. C’est une question d’organisation à examiner et à résoudre ; mais il est évident désormais qu’avec ce gouvernement civil tel qu’il est, toujours partagé et ballotté entre des influences contraires, on n’arrive qu’à de la faiblesse : on n’a que des fictions d’autorité et de responsabilité.

Cette question de nos établissemens d’Afrique, qui intéresse si sérieusement la grandeur de la France, n’est point de celles qui peuvent être tranchées en un jour ni à propos d’une interpellation de circonstance. Elle reste en réserve ; elle est une partie de l’héritage que la chambre près de unir va laisser à la chambre qui sera bientôt élue par le pays, et elle n’est pas la seule dont aura à s’occuper le parlement renouvelé. A vrai dire, cette chambre, qui s’achemine chaque Jour vers sa On, dont les heures sont plus que jamais comptées, elle aura touché à bien des problèmes d’organisation publique, et le malheur est que dans tout ce qu’elle aura fait elle aura porté justement cet esprit qui se manifeste moins par une politique suivie que par des velléités, par des fantaisies, par des impatiences de changement. Elle a remué bien des questions sans les résoudre, pour les laisser en suspens au moment de sa prochaine et définitive séparation. Certes ce ne sont ni les projets officiels, ni les propositions individuelles qui manquent à l’heure qu’il est ; ils sont de toute sorte, et à part le budget qui doit toujours être voté, qui est déjà à peu près adopté au Palais-Bourbon, propositions et projets n’ont plus même la chance d’arriver à l’épreuve décisive du scrutin. Les lois militaires n’auraient pas sans doute laissé d’être urgentes, ne fut-ce que pour épargner à M. le ministre de la guerre l’inconvénient de se mettre assez souvent en dehors de toute régularité ; elles sont désormais forcément ajournées a un autre temps, à un autre parlement. La loi sur l’enseignement obligatoire a été, il est vrai, votée par la chambre des députés ; mais elle est arrêtée au sénat, où elle est en train de subir d’assez sérieuses modifications. Chose étonnante ! M. Jules Simon a réussi à faire introduire dans l’enseignement primaire l’obligation d’instruire les jeunes enfans sur leurs « devoirs envers Dieu et envers la patrie. » C’est visiblement un attentat contre la « laïcité ! » Il est maintenant bien peu probable que la loi ainsi amendée soit acceptée par l’autre chambre avant la fin de la session. Ni ce projet, ni bien d’autres qui occupent encore des commissions parlementaires, qui touchent à toute sorte d’intérêts moraux ou matériels, n’ont plus le lumps d’être discutés et sanctionnés. Ils restent comme le témoignage d’une activité plus ambitieuse et plus remuante que réellement féconde.

Eh bien ! Dira-t-on, ce n’est point un mal que des questions qui ont après tout leur importance, qui intéressent le pays, soient soulevées par l’initiative parlementaire, dussent-elles n’être pas résolues pour le moment. Elles auront du moins été examinées, approfondies, et cette étude aura peut-être préparé une solution. Non, sans doute, ce n’est point un mal qu’on travaille dans un parlement, qu’on propose des innovations, des réformes. Le seul inconvénient, c’est qu’on risque assez souvent de se perdre dans la confusion, de tout ébranler, de meure pour ainsi dire en suspens ou en suspicion les lois anciennes sans réussir à les remplacer par des lois nouvelles. On se donne beaucoup de mouvement pour finir par ne rien faire, et un des plus récens exemples de ce travail sans résultat, c’est ce qui vient de se passer avec cette proposition aussi inutile que tardive faite par le gouvernement lui-même au sujet d’une organisation nouvelle de la préfecture de police.

La situation, à la vérité, devenait singulière. Voilà quelques mois déjà que la guerre est déclarée entre le conseil municipal de Paris et M. le préfet de police Andrieux. Le conseil parisien est un maître jaloux qui prétend se servir de ses droits et même des droits qu’il n’a pas, qui entend donner libre carrière à toutes ses fantaisies d’omnipotence et ne souffre pas qu’on lui résiste. M. le préfet Andrieux n’est pas précisément d’un caractère souple et d’une humeur facile ; il a commencé par se soumettre assez diplomatiquement, puis il s’est révolté et il en est même venu à traiter avec quelque dédain les sommations qui lui étaient adressées, les ordres du jour municipaux dirigés contre lui. Bref le conflit n’a pas tardé à devenir fort aigu ; il a pris une te lie vivacité que le conseil municipal a rompu systématiquement toute relation avec M. Andrieux. Il a dès ce moment renvoyé, de parti-pris, tous les dossiers qui lui étaient communiqués pour l’expédition des affaires sans se demander s’il avait le droit d’en agir ainsi au risque de laisser en souffrance les intérêts les plus sérieux. Au fond, cela est bien clair, le conseil municipal a son but, vers lequel il tend depuis longtemps. Il a l’ambition de mettre la main sur la préfecture de police pour la supprimer ou pour l’absorber dans la mairie centrale qu’il rêve ; c’est à l’institution autant qu’à l’homme qu’il fait la guerre avec ses prétentions et ses exigences. Le gouvernement n’est point sans doute absolument désarmé contre cette ambition qui ne tendrait à rien moins qu’à créer un état dans l’état, et il ne tiendrait qu’à lui de se servir des moyens dont il dispose pour ramener le conseil parisien dans la limite de ses pouvoirs tout locaux. Malheureusement, le ministère, avec cette « politique modérée » dont parlait l’autre jour M. le président du conseil, n’a pas de ces hardiesses, et si, dans cet étrange conflit qui se prolonge, il a refusé jusqu’ici de désavouer M. Andrieux, il évite avec soin, d’un autre côté, de se brouiller avec le conseil municipal. C’est précisément pour sortir de là ou peut-être simplement pour avoir l’air de faire quelque chose que M. le ministre de l’intérieur a imaginé cette tardive proposition de loi qui aurait pour conséquence de reconstituer la préfecture de police, en séparant les attributions qui en font une institution d’état et les attributions purement municipales, qui seraient rendues à la ville. En réalité, c’est un expédient de circonstance déjà désavoué par le conseil municipal et même par M. Andrieux, qui n’a point hésité à réclamer énergiquement devant une commission parlementaire le maintien de la préfecture de police dans l’intégrité de ses prérogatives. Ce qu’il y a de plus clair, c’est que ce projet a toute sorte de chances d’aller rejoindre tant d’autres projets sur lesquels le parlement actuel n’aura pas à se prononcer. C’est encore une partie de l’héritage que la chambre léguera à ses successeurs. Elle n’est plus évidemment en état d’aborder une si grosse affaire, et à la vérité ce n’est pas pour elle le moment des affaires sérieuses.

Ou donc est aujourd’hui d’ailleurs la place des questions sérieuses au milieu de ces apprêts de fête qui remplissent déjà Paris, qui font de la première cité du monde, de la ville de l’intelligence et des arts, une ville livrée pour quelques jours à toutes les exhibitions et à tous les bruits assourdissans ? C’est la seconde fois qu’on célèbre le 14 juillet, et tout est disposé, sous la protection bienveillante du gouvernement, avec le concours des municipalités, pour la plus vaste organisation de joie publique. Rien de plus simple sans doute que ces fêtes ; tous les régimes ont eu leurs fêtes, la république a les siennes. Il ne faudrait cependant pas pousser l’exagération lyrique jusqu’à voir dans ces journées accordées aux plaisirs populaires un spectacle fuit pour réconforter l’âme d’une nation, digne de l’admiration du monde. C’est en vérité voir bien des choses dans des illuminations, des feux d’artifice et des bals de carrefour. De plus, il est bien permis de croire que, si le 14 juillet a été choisi pour une solennité nationale, ce n’est pas absolument une raison pour livrer pendant quinze jours la ville aux spectacles forains les plus bruyans et rendre certains quartiers de Paris inhabitables pour les gens paisibles et laborieux. Les historiographes du nouveau régime trouveront que tout cela est grandiose, que l’empire n’a jamais mieux fait ! C’est peut-être vrai ; jamais sous l’empire ni sous d’autres régimes, on n’a poussé à ce degré le soin d’organiser administrativement les plaisirs du peuple, qui est le roi ou l’empereur du jour. Seulement c’est passablement césarien ; c’est peut-être étrange de proposer à la république l’empire comme un modèle à égaler ou à dépasser, fût-ce dans des fêtes. De modestes libéraux, qui ne souhaitent aucun mal à la république, n’auraient pas imaginé de lui faire ce compliment et de lui proposer de ces exemples.

Lorsqu’il y a quelques mois, une effroyable explosion frappait à mort, en plein Pétersbourg, l’empereur Alexandre II de Russie, les démagogues de l’Europe, sans s’émouvoir autrement, trouvaient ingénieux de démontrer que de tels crimes n’étaient propres qu’aux états monarchiques, que la république était la souveraine sauvegarde contre le fanatisme du meurtre politique. Ces déclamations viennent de recevoir un cruel démenti au-delà de l’Océan. Le président des États-Unis, M. Garfield, en entrant dans un chemin de fer, a été frappé par un meurtrier. Le président américain a passé un instant pour mort, sa vie est encore en danger, et on remarquera qu’en quinze ans, c’est la seconde fois qu’un chef de la république est frappé par un assassin à Washington. M. Garfield est cependant un homme simple, qui ne suscite aucune animadversion, qui n’a pas été mêlé, comme Lincoln, à de terribles événemens. La tentative dont il vient d’être l’objet, si elle n’est l’œuvre d’un fou, ne peut être que le résultat de cette contagion de meurtre qui se répand quelquefois, qui ne connaît pas toujours, autant qu’on le dit, la limite entre les républiques et les monarchies, et qui est toujours également odieuse.


CH. DE MAZADE.

LE MOUVEMENT FINANCIER DE LA QUINZAINE
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La liquidation de juin a été plus dure encore pour la spéculation à la hausse que celle des mois précédons. Mais cette fois au moins la leçon n’a pas été perdue et la tension exagérée des reports a eu pour conséquence presque immédiate une baisse considérable de toutes les valeurs sur lesquelles l’impossibilité de conserver plus longtemps les engagemens à terme était devenue évidente.

La réaction ne s’est pas produite avec violence ; il n’y a eu ni désarroi ni panique. Les syndicats, qui s’étaient constitués en vue de pousser à des cours de plus en plus élevés les meilleures et les plus estimées parmi les valeurs de la cote ont simplement reconnu l’inutilité d’une plus longue résistance aux exigences des capitaux reporteurs. L’argent était en mesure de dicter la loi au papier ; le papier a dû reculer. On a baissé en quelque sorte en vertu d’une loi mathématique, avec méthode, par étapes régulières, et le mouvement qui s’est produit pendant cette quinzaine n’a absolument rien de commun avec le fameux krach tant de fois prédit par les pessimistes de parti-pris.

Que l’on calcule les bénéfices énormes qu’ont réalisés les spéculateurs à la hausse depuis des mois et des années, et l’on verra que, depuis le 1er juin, même après une baisse très importante, ces mêmes spéculateurs n’ont encore abandonné qu’une faible partie de ces bénéfices. Nous ne parlons pas, bien entendu, des acheteurs de la dernière heure ; victimes de leur imprudence, ceux-là paient les frais d’une aventure qui ne porte aucune atteinte sérieuse à la solidité du marché.

On peut croire cependant que la spéculation à la hausse ne comptait se dégager ni avec une telle précipitation, ni en payant un tribut aussi élevé aux revendications impitoyables de l’argent. Les circonstances ont forcé la main aux syndicats en leur imposant comme une nécessité immédiate une liquidation qu’ils espéraient effectuer à loisir, avec discrétion, en passant par-dessus les deux liquidations de juillet. Il était permis, de supposer que les transactions à la Bourse conserveraient encore ce mois-ci une certaine animation, que la rentrée des loyers et le paiement des coupons allaient ramener sur le marché des capitaux en nombre considérable, 500 ou 600 millions peut-être, prêts à prendre la succession des syndicats en s’employant en valeurs de toute catégorie. La spéculation repasserait ainsi à l’épargne une bonne partie de son fardeau et aborderait en août la morte saison.

Telle était l’illusion dont on se berçait. Les circonstances qui l’ont dissipée et qui ont décidé la spéculation à ne pas attendre le concours des capitaux provenant des paiemens de coupons et à liquider sans retard sont les événemens d’Algérie et de Tunisie et la conclusion de l’emprunt italien.

L’insurrection sera domptée, nul n’en doute ; mais les péripéties de la répression peuvent être très variées. Il a été commis dès le début bien des fautes, et on ne peut prévoir à quel prix il sera possible de les réparer. On comprend que les banquiers et la grande spéculation aient tenu à ne pas rester sous l’impression de motifs d’inquiétude, susceptibles d’aggravation subite. De là ces ventes rapides des derniers jours, cette préoccupation visible d’alléger coûte que coûte les positions, cette volonté de ne pas hisser derrière soi des engagemens trop étendus. Mais l’affaire de l’emprunt italien a pesé plus lourdement encore sur le marché que les événemens d’Afrique ; d’un côté, parce que les incidens qui ont précédé et suivi notre expédition de Tunisie ont contribué à susciter contre cette opération une sorte de mauvais vouloir général inspiré par des considérations d’ordre purement politique ; de l’autre, parce que des efforts très manifestes ont é : é faits depuis quatre ou cinq jours, sur le terrain exclusivement boursier, pour entraver dans la mesure du possible le succès de l’émission.

La situation politique n’a pas permis que l’émission eût lieu actuellement en France. La maison de Rothchild voulait que le gouvernement italien attendît jusqu’au mois d’octobre. M. Magliani a passé outre et s’est tourné du côté de l’Angleterre. Devant l’abstention des Rothschild, aucune maison de banque française n’a cru pouvoir présenter hautement l’emprunt italien à Paris et c’est avec MM. Baring et Hambro de Londres que le ministre des finances d’Italie a contracté. On sait cependant que la Banque d’escompte a pris une grosse participation dans l’affaire, pour elle-même et pour plusieurs établissemens de crédit. La moitié de l’emprunt a été émise le 13 courant au pris de 90 pour 100, les versement sont espacés jusqu’au 10 janvier 1882. On a pesé sur les cours de l’italien jusqu’au jour de l’émission, et l’écart entre le cours de la rente ancienne et le taux fixé pour la nouvelle est devenu à peu près nul. On ne saurait dans de telles conditions préjuger le résultat de l’opération.

C’est au point de vue économique que l’emprunt italien a soulevé les objections les plus sérieuses. Il est bien clair que, s’il ne s’agissait que du montant même de la somme que veut emprunter le gouvernement italien, les préoccupations seraient nulles. Mais la loi suri abolition du cours forcé en Italie a voulu que l’emprunt eût ce résultat précis de faire entrer en Italie 400 millions en or, destinés, une fois entrés dans le pays, à n’en plus sortir. Sans examiner si les prescriptions de la loi sur ce dernier point ne doivent point se heurter à des obstacles invincibles, le seul fait que les réservoirs métalliques actuellement existans doivent fournir en deux ans 400 millions d’or à l’Italie peut causer de légitimes inquiétudes, parce que le déplacement d’un tel stock de monnaies, après les saignées que l’Amérique a déjà pratiquées à Londres et à Paris depuis deux ans, ne s’effectuera peut-être point sans qu’il en résulte une perturbation grave sur les deux marchés monétaires. Il y a huit jours, on redoutait déjà une élévation du taux de l’escompte à la Banque d’Angleterre et on estimait que la Banque de France ne tarderait pas à suivre l’exemple.

Nous croyons qu’il y a beaucoup d’exagération dans les craintes que fait concevoir l’exode des 400 millions d’or. A Londres, le monde financier ne paraît nullement s’en émouvoir ; il est certain que les contractais, MM. Baring et Hambro, ont prévu les difficultés monétaires à vaincre et pris les mesures nécessaires. Les versemens d’espèces ont été stipulés à longue échéance, et le jeu naturel des échanges internationaux aura sans doute déjà fait rentrer en France et en Angleterre une partie de l’or exporté bien avant que l’expédition de la somme entière ait été effectuée.

Quoi qu’il en soit, la Bourse a dû supporter cette quinzaine, en dehors de l’action des causes générales de faiblesse, le contre-coup des préventions et des hostilités dont l’emprunt italien a été l’objet.

Un regard jeté sur la cote suffit pour juger de l’étendue qu’ont prise les réalisations, depuis la fixation discours de compensation le 1er et le 2 juin. Le 5 pour 100, seul de nos fonds publics, se retrouve au même cours, 119.25, ce qui implique la perte intégrale du report. Les 3 pour 100, en faveur desquels de nombreuses opérations d’arbitrage avaient été faites en mai et en juin, ont perdu plus de terrain que le 5 pour 100. Le 3 pour 100 ancien a reculé de 0 fr. 75, l’amortissable de 0 fr. 65, l’emprunt nouveau de 0 fr. 87. On sait que l’emprunt de 1 milliard en amortissable est encore à peu près exclusivement entre les mains des banquiers et des établissemens de crédit qui l’ont souscrit par spéculation. Un versement de 200 millions devra être effectué à partir du 16 courant sur cet emprunt ; comme la Banque offre son concours pour ce versement, le marché n’a pas à se préoccuper des conséquences immédiates qu’il pourrait avoir sur le prix des capitaux.

Les grandes valeurs ont été les plus éprouvées, et on ne saurait s’en étonner, la spéculation les ayant successivement poussées toutes à des cours qui les rendaient désormais inaccessibles à l’épargne. Il n’est point de titres plus estimés que les actions de nos grandes compagnies de chemin de fer. Mais les prix auxquels elles étaient parvenues, prix qui seront un jour justifiés et légitimement atteints, étaient en avance de plusieurs années. Aussi la baisse s’est-elle abattue sur ces actions, comme s’il s’agissait de mauvais titres abandonnés subitement par la maison de banque qui les a émis. L’Est a reculé à 795 fr., le Lyon de 1,830 à 1,730, l’Ouest de 870 à 857, l’Orléans de 1,395 à 1,290, le Nord de 2,125 à 1,930, le Midi de 1,335 à 1, 195. Sur ces deux derniers, il ne faut pas oublier qu’un coupon a été détaché le 6.

Le détachement des coupons de juillet sur les valeurs de spéculation a produit des déceptions cruelles. Comme il avait été précédé d’une certaine réaction, on croyait que les coupons seraient vite regagnés. Depuis le 6, ils ont au contraire, été perdus et bien au-delà, comme sur la Banque de Paris par exemple, qui de 1,340 a reculé à 1,250.

Le Crédit foncier était le 2 juin à 1,760, soit 1,738 ex-coupon. Nous le retrouvons à 1.680. Le public financier estime que cet établissement abuse des créations de sociétés suivies d’émissions avec primes. Les actionnaires mêmes ne croient pas que ce système soit excellent, car il ne paraît pas qu’ils aient accueilli avec beaucoup de faveur l’offre qui vient de leur être faite de souscrire par privilège aux actions de la Compagnie foncière de France et d’Algérie. Les acheteurs à terme de Crédit foncier ont dû payer un report énorme alors qu’ils comptaient bénéficier d’un déport. Cette déconvenue les a refroidis, et leur confiance ne se ranimerait que s’ils apprenaient que le conseil d’état s’est enfin décidé à autoriser l’augmentation du capital.

Le Crédit mobilier a baissé de 755 à 705, la Banque d’escompte de 867 à 827, la Banque Franco-Égyptienne de 847 à 795, le Crédit lyonnais de 967 à 930 ; le Crédit général français, une des plus étonnantes transformations des temps récens, a été précipité de 835 à 755. Le contraste est grand avec la tenue placide des établissemens de crédit -négligés par la spéculation, comme la Société financière, la Société des dépôts, le Crédit industriel, même la Banque hypothécaire.

Le groupe de l’Union générale a tenu vaillamment tête à l’orage ; nous retrouvons tous ses titres en hausse : l’Union au-dessus de 1,400, la Banque des pays autrichiens à 830, la Banque des pays hongrois à 660.

Les valeurs industrielles n’ont pas été épargnées : le Suez a baissé de 1,800 à 1,792, le Gaz de 1,565 à 1,505, les Voitures de 790 à 745, la Transatlantique de 620 à 587, les Messageries de 830 à 800. Les chemins étrangers ont aussi payé leur tribut. Le Nord-Espagne est revenu de 625 à 552, le Saragosse de 580 à 507, les portugais de 695 à 650, les autrichiens de 785 à 751.

Sur les fonds d’état étrangers, à l’exception des titres de la Dette ottomane, qui ont été l’objet d’offres incessantes, calme complet.


Le directeur-gérant : C. BULOZ.