Chronique de la quinzaine - 14 novembre 1838

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Chronique no 158
14 novembre 1838
CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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14 novembre 1838.


Chacun a pris un rôle différent dans la comédie que joue le parti doctrinaire. Les uns font de l’hypocrisie religieuse ; les autres, de l’hypocrisie politique. Aujourd’hui, c’est le tour de M. Duvergier de Hauranne, qui a pris pour texte la corruption. Il faut avouer que, pour ceux qui connaissent les doctrinaires et qui les ont vus à l’œuvre, cela sonne étrangement, que de les entendre crier à la corruption. Quand M. Duvergier s’est fait le champion bénévole de la chambre, quand il a voulu établir, dans l’espoir que cette chambre l’en récompenserait en rendant le pouvoir à son parti, que la chambre élective est tout, absolument tout dans l’état, tandis que les autres pouvoirs ne sont et ne doivent être rien que des simulacres de pouvoirs, institués pour baisser humblement la tête dans toute occasion, M. Duvergier faisait une chose qui pouvait passer pour habile. Mais aujourd’hui que M. Duvergier passe de la défensive à l’offensive, pour le compte de la chambre élective, dont il s’est fait avocat d’office, nous l’avertissons que, dans les intérêts même de son parti, il s’est avancé trop loin ; car la chambre n’a pas dessein de détruire le pouvoir royal, pas plus pour augmenter son propre pouvoir que pour rétablir le pouvoir dans les mains du parti doctrinaire.

Le nouvel écrit de M. Duvergier de Hauranne, à le juger par les nombreux fragmens qu’il a fait fraternellement distribuer, avant la publication, aux journaux de la gauche, peut se diviser en trois parties distinctes, en trois points d’un même sermon, liés, non par quelque vertu chrétienne, comme la charité, mais par la haine la plus âcre et la mieux conditionnée. Les attaques de M. Duvergier s’adressent donc très méthodiquement, et par une gradation tout-à-fait oratoire :

Au roi,

Aux ministres,

Aux défenseurs de l’ordre public et de l’intégrité du gouvernement.

Quant à la chambre des pairs, M. Duvergier de Hauranne n’en parle même plus. Il pense, sans doute, l’avoir rayée pour toujours de la liste des pouvoirs, par ses écrits sur l’omnipotence de la chambre des députés.

M. Duvergier de Hauranne marche sans façon et sans scrupule à son but, qui est d’établir que la royauté usurpe le pouvoir exécutif, que le pouvoir exécutif et le gouvernement sont incapables de remplir leurs devoirs, et le trahissent ouvertement, et enfin que les défenseurs de l’ordre sont sans morale et sans conscience. Nous dégageons de ce bref résumé de l’écrit de M. Duvergier toutes les allégations audacieuses, mensongères, nous voudrions pouvoir dire erronées, qui en font la diatribe la plus répréhensible que se soit jamais permise cet écrivain, qui se dit membre d’un parti conservateur ; nous nous bornerons à le suivre avec calme dans ses raisonnemens.

D’abord, d’où viennent tant d’accusations capitales qui ne craignent pas de monter jusqu’au trône ? par qui sont elles faites ? Par des gens qui ont donné l’exemple de tout ce qu’ils reprochent aujourd’hui ; par un parti qui, s’il accepte M. Duvergier pour son représentant, a poussé plus loin que personne les doctrines qu’il condamne ; par les hommes qui, en 1830, ont voulu partir de la restauration et non de juillet, et qui s’épuisaient alors en subtilités pour enter une dynastie sur l’autre. La sincérité n’est-elle pas la première base d’une discussion ? Comment donc croire à la sincérité de ces reproches ? Nous voudrions bien ne pas dire à M. Duvergier de Hauranne que son écrit nous semble, comme tous ceux qui émanent depuis quelque temps de son parti, moins une discussion politique qu’une pétition présentée au bout d’une baïonnette ; que n’ayant pu réussir, dans la dernière session, à ameuter la chambre, et doutant encore de son succès dans la session prochaine, le parti doctrinaire veut montrer aujourd’hui jusqu’où il peut aller si l’on continue à se passer de lui. Nous voudrions bien ne pas dire que nous avons trouvé dans l’écrit de l’honorable député de la colère et non de la logique, le goût du pouvoir et non le goût de la liberté et de l’ordre. Cette sorte d’argumens ne nous semble pas digne d’une polémique élevée ; mais comment les repousser quand on trouve à chaque ligne la démonstration dont on voudrait nier soi-même l’évidence. Il y a quelques années, en effet, quand le parti doctrinaire trouvait le pouvoir royal trop désarmé, quand il sommait la chambre, avec une brutalité dont on peut citer les termes, de donner toute extension à ce pouvoir, des circonstances graves étaient là pour motiver ces principes et ces sentimens. Nous ne voudrions pas, pour cela, opposer le parti doctrinaire à lui-même, et lui dire que ce pouvoir, qu’il attaque si ardemment aujourd’hui, il ne le trouvait jamais assez fort et assez puissant quand il était dépositaire de cette force et de cette puissance. Les doctrinaires pourraient répondre qu’ils étaient ministres, qu’ils réclamaient pour eux mêmes la force et le pouvoir, sans laisser la royauté pénétrer, comme le dit M. Duvergier de Hauranne, « là où se font les affaires, au sein même de l’administration. » Les accusations n’ont cependant pas manqué aux doctrinaires à l’époque dont nous parlons ; les journaux de l’opposition ne leur ménageaient pas les noms de complaisans, de ministres serviles, de courtisans, qu’ils prodiguent aujourd’hui à d’autres ; et nous n’avons pas vu qu’ils aient alors essayé de se justifier de ces attaques, soit dans les journaux dont ils disposaient, soit à la tribune de la chambre, qui leur était ouverte au double titre de députés et de ministres du roi.

Nous sommes très disposés à penser qu’à cette époque les doctrinaires furent les ministres les plus constitutionnels du monde, et nous ne leur demandons pas compte de ces prétendus empiétemens de la royauté sur lesquels les doctrinaires savent bien à quoi s’en tenir ; mais si ces invasions du pouvoir royal n’existent, en réalité, que sous la plume de ceux qui s’en servent comme d’argumens pour jeter l’alarme dans les esprits, la théorie qui reconnaît au roi une influence immense et souveraine existe plus réellement, et cette théorie est tout entière du fait des doctrinaires. Ce n’était déjà plus un temps de guerre civile, une époque où la dictature pouvait paraître nécessaire, que celle où M. Persil, alors membre hautement avoué du parti doctrinaire, et lié étroitement par ses opinions politiques à M. Duvergier de Hauranne et à ses amis, émettait le principe que le roi règne et gouverne. Quand M. Guizot adressait son allocution aux électeurs de Lizieux ; quand les organes du parti commentaient et étendaient encore les paroles de M. Guizot, l’ordre régnait-il ou non dans le pays ? et était-il devenu nécessaire, urgent, de prêcher l’extension presque illimitée de la prérogative royale ? Qui donc alors voulait réduire les chambres à un rôle insignifiant et passif, si ce n’est les doctrinaires ? Qui donc proclamait hautement l’excellence des vues et l’étendue des lumières du roi ? Qui donc repoussait avec colère les prétentions de l’opposition, qui voulait, comme le veut aujourd’hui le parti doctrinaire, que la royauté fût réduite à un rôle passif et insignifiant ? Qui donc demandait d’un air de dédain, s’il était possible de condamner un esprit actif et supérieur à la nullité et à l’inaction, parce qu’il avait le malheur d’être roi, et si l’opposition avait le projet de réduire le souverain constitutionnel à être le seul homme de son royaume qui n’aurait pas le droit de donner son avis sur les affaires ? Et aujourd’hui, M. Duvergier de Hauranne se croit obligé de venir nier formellement, au nom du parti doctrinaire, « que, dans l’état actuel de la civilisation, la royauté, quelque intelligente qu’elle soit, suffise à tous les besoins et puisse, sans danger pour le pays et pour elle-même, annuler et suppléer les autres pouvoirs. » Mais personne, personne en France n’a jamais dit ces paroles ; il est vrai que quelques propositions, non pas aussi hardies, mais un peu semblables, ont été soutenues pendant quelque temps dans un journal, au grand scandale de tous. Ce journal se publiait quand les doctrinaires étaient ministres ; il était injurieusement opposant aux membres non doctrinaires du cabinet, et, pour plus grand scandale, il se publiait sous l’aile d’un des ministres doctrinaires et s’inspirait dans le ministère de l’intérieur, où M. Duvergier de Hauranne jouait alors un grand rôle, rôle occulte, il est vrai, et du genre de celui qu’il voudrait aujourd’hui prêter à la royauté.

Nous en avons assez dit pour montrer si les accusations de M. Duvergier de Hauranne sont sincères. Mais sont-elles justes, au moins ? Après avoir montré la royauté sortant de sa sphère, il fallait bien, pour compléter le tableau, s’apitoyer sur l’asservissement de la chambre. Mais ici M. Duvergier de Hauranne, non moins audacieux dans ses récriminations, s’avance sur un terrain où il est plus facile de le joindre et de le réfuter. Il est facile d’accuser la royauté de pénétrer là où se font les affaires. Assurément les ministres ne viendront pas dérouler le secret des affaires dans quelque pamphlet, pour répondre à celui de M. Duvergier de Hauranne. Ils n’exhiberont pas les dépêches diplomatiques adressées directement et reçues directement par eux, pour prouver qu’ils dirigent en réalité les affaires ; ils ne soumettront pas aux partis leurs rapports avec les préfets et les administrations, avec les généraux, avec les chefs du corps judiciaire, pour échapper à une accusation banale, dirigée autrefois avec plus de force encore contre ceux-là même qui en usent pour leur propre compte aujourd’hui. L’accusation est commode, mais peu courageuse et peu loyale surtout, car on sait qu’elle restera sans réponse et sans réfutation. Il n’en est pas ainsi d’une accusation faite pour être vidée publiquement, comme l’accusation de servilité adressée à la chambre. On s’enveloppe, il est vrai, de quelques précautions, car on voit que le terrain est glissant et difficile. On dit bien sans détour à la royauté qu’elle usurpe ; mais, pour la chambre, on y met un peu plus de façon. Le gouvernement, dit-on, lui destine un rôle passif et insignifiant ; elle n’est pas encore au degré d’obéissance et de servilité où elle sera bientôt sans doute, si M. Duvergier de Hauranne et ses amis n’y mettent ordre ; mais cela ne manquera pas d’arriver prochainement. Et dans cette hypothèse, on voit déjà fondre tous les maux sur la patrie ! Une fois la chambre habituée à un rôle de nullité, qu’on ne dise pas qu’il serait aisé de ranimer sa vie éteinte. Les assemblées, pas plus que les hommes, ne changent si brusquement de nature, s’écrie M. Duvergier de Hauranne, et quand les ressorts d’une machine sont brisés ou détendus, ce n’est pas du jour au lendemain qu’on leur rend la force et l’élasticité. C’est donc un mouvement de force et d’élasticité que M. Duvergier demande à la chambre, ne fût-ce que pour entretenir la liberté et le jeu de ses membres. Le moindre mouvement suffirait, pourvu qu’il renversât le ministère, et M. Duvergier se contenterait de cette petite démonstration gymnastique. La chambre pourrait-elle refuser les conseils d’un si bon médecin ?

Nous reconnaissons tout ce qu’il y a de délicatesse dans le procédé de M. Duvergier de Hauranne envers le corps dont il fait partie, en insinuant seulement que la chambre sera prochainement servile et corrompue, si elle n’y prend garde. Ceci nous fait espérer que l’honorable député aura de meilleurs sentimens envers la royauté quand son parti, rentré aux affaires, prendra, dans le gouvernement, la large part qu’il convoite avec tant d’impatience. Nous tenant donc à la partie de sa pensée qu’il émet nettement, nous demanderons, non pas si la chambre des députés est réduite à la nullité, comme l’insinue, après tout, M. Duvergier de Hauranne, mais si le ministère actuel a jamais songé à diminuer sa légitime influence. A-t-on déjà oublié la dernière session ? Toutes les questions les plus importantes n’ont-elles pas été soumises au jugement de la chambre ? Sa part a-t-elle jamais été plus large dans les affaires ? Tous les documens qu’elle a demandés n’ont-ils pas été mis sous ses yeux ? A-t-on vu les crédits dépassés, comme ils l’ont été souvent à l’époque que regrettent les doctrinaires ? Le gouvernement a-t-il entravé le droit de proposition donné à la chambre par la Charte de 1830 ? La question des rentes et plusieurs autres n’ont-elles pas été discutées par le ministère, avec tout le soin que devait comporter ce droit de proposition, exercé sur de si hautes et de si graves matières ? Quel ministre a hésité à se rendre dans le sein des commissions, et à y donner les détails les plus circonstanciés, à ce point qu’on pourrait demander, après avoir lu l’écrit de M. Duvergier de Hauranne, si la déférence des ministres envers quelques députés n’est pas sans inconvéniens ?

Récemment encore, une question de la plus haute importance, celle des sucres, a excité les pressantes réclamations des colonies, des ports, de tout le commerce maritime, qui objectaient qu’un retard pourrait être fatal, et qu’un soulagement reculé de quelques mois aurait peut-être un effet fâcheux sur le budget de nos recettes. Une partie de l’opposition pressait le ministère de trancher la question par une ordonnance. Le conseil supérieur du commerce, convoqué par le ministère, et auquel avaient assisté, durant plusieurs séances, tous les membres du cabinet, n’était pas éloigné d’une mesure par ordonnance royale. Mais la mesure entrait dans les droits de la chambre, et le ministère, plein de respect pour toutes les prérogatives, même pour celles qu’il tient dans ses mains, a ajourné la question, pour la soumettre à la législature. Voilà un exemple tout récent des tentatives du ministère pour annuler la chambre ! M. Duvergier de Hauranne ne dira pas moins qu’on fait bon marché de la puissance parlementaire, et il ajoutera, en se fermant les yeux à la manière des augures : « Je vois l’hésitation, l’incertitude, la lenteur, l’égoïsme d’une assemblée qui doute de sa propre puissance, et qui se croit appelée à contester plutôt qu’à diriger, à juger plutôt qu’à agir. »

C’est donc pour porter des accusations si mal fondées qu’un député prend la plume ! Ce sont des assertions si contraires à la vérité, qui fermentent dans son esprit, au point de ne pas lui permettre d’attendre la session, qui est si prochaine ! Il lui faut précipitamment une tribune pour proclamer sa pensée ! Et la chambre lui semble dans un péril si grand et si menaçant, qu’il ne peut différer de lui adresser, en toute hâte, ses salutaires avertissemens avant qu’elle se rassemble ! S’il en était ainsi, nous devrions respecter une conviction si ardente, et laisser passage à ce dévouement de bon député et de bon citoyen, tout irréfléchi, tout aveugle qu’il pourrait nous sembler. Mais si cette rupture avec la royauté, si ces inquiétudes sur l’indépendance de la chambre, si tout cela n’était que feinte et qu’un parti pris de lancer les élémens du gouvernement les uns contre les autres, que devrait-on penser de l’écrit de M. Duvergier de Hauranne ? Nous ne l’accuserons pas, nous laisserons parler son propre organe, la feuille qu’il rédige, qui reçoit les confidences et les premières communications de ses accès de verve périodique : « Un journal ministériel, dit-elle, se flattait qu’aux approches du combat décisif qui va se livrer, les diverses fractions de l’opposition se querelleraient entre elles, soit sur la réforme électorale, soit sur tout autre sujet. Il n’en sera rien, et les diverses fractions de l’opposition, tout en conservant chacune ses opinions et ses vues d’avenir, sont fort déterminées à marcher contre l’ennemi commun. » Ainsi, le ministère est l’ennemi commun ; l’ennemi commun, c’est tout uniment celui qui occupe la place que l’on convoite.

Peu importe si le gouvernement a vos vues ou s’il ne les a pas, si vous êtes d’avis, au fond de votre conscience, que ceux avec qui vous marchez sont des adversaires de l’ordre que vous voudriez établir plus puissamment encore ; il s’agit peu, du moins pour vous, si, en vous mettant avec eux contre le pouvoir, vous ouvrez une carrière aux idées que vous déclarez hautement être des idées de désordre et d’anarchie. Il vous suffit que vous ayez quelque chance d’arriver au pouvoir et d’abattre l’ennemi commun. Le reste n’est rien. Vous aurez montré l’exemple des attaques directes contre la royauté et contre le caractère personnel d’un souverain que vous avez tant de motifs de révérer et d’estimer ; vous aurez appris à l’opposition qui se fera contre vous, comment on vilipende le pouvoir et comment on le traîne dans la boue ; vous aurez flétri d’avance vos propres organes, en traitant insolemment de corruption et de bassesse l’esprit d’ordre et de conservation ; vous aurez ainsi porté les mains sur vous-mêmes, sur tout ce qui pourrait vous prêter quelque force, sur le trône d’où elle descend sur les ministres, sur la presse conservatrice d’où elle monte pour les défendre ; mais vous aurez abattu l’ennemi commun. En d’autres termes, vous aurez voté contre vos propres vues pour faire rentrer dans les rangs des citoyens, quelques jours plus tôt, et par des moyens que réprouvent à la fois la conscience et tous les principes que vous invoquez, des hommes occupés du bien du pays, et devant lesquels vous aurez à rougir, quand ils viendront vous demander si vous êtes, plus qu’ils ne l’étaient, des ministres dévoués au pays, exerçant le pouvoir avec indépendance.

M. Duvergier de Hauranne va-t-il nous répondre qu’il n’est pas ministre et qu’il ne veut pas l’être ? Nous le reconnaissons ; l’honorable député travaille pour ses amis. Il y a même quelque modestie dans son fait. Il ne se sent pas appelé à ce maniement officiel des affaires qui oblige un homme à écouter patiemment les réclamations de tous, à s’associer à tous les intérêts ; il sait lui-même que, dans cette répartition infinie des droits que le gouvernement représentatif a créés, le rôle d’un ministre est de concilier, d’apaiser à toute heure, de ne rien briser, de n’opposer la force et l’autorité qu’après avoir longuement et attentivement recherché si c’est le droit du pouvoir, et si le droit de personne ne se trouvera froissé. M. Duvergier de Hauranne n’ignore pas qu’il est impropre à tout cela. L’écrivain que nous combattons est tout simplement un esprit morose et tracassier ; qui n’est pas arrivé au ministère, parce que son mérite ne l’y a pas porté, mais qui a la passion des affaires, de l’administration, la passion du pouvoir surtout, quoiqu’il n’ait jamais eu, tout audacieux qu’il est, l’audace de le porter, craignant, sans doute avec raison, de plier dessous. Disons tout à M. Duvergier de Hauranne, qui parle avec si peu de circonspection, du caractère et de la personne des autres. Son activité est extrême, mais elle s’épuise en petites colères ; ses prétentions ne sont pas moins grandes que d’autres, mais elles se satisfont par de petites usurpations de pouvoir sur les ministres qu’il croit avoir faits, ou qu’il croit protéger, sur l’autorité de ses amis quand ils gouvernent. Sa vie politique est une sorte de bourdonnement ; et ce qu’il lui faut, et ce qui lui manque à cette heure, c’est d’être assis près d’un ministre, de le conseiller, de l’exciter, de se faire officieusement son chef de division, son chef de cabinet, son courrier de dépêches, et jusqu’à son huissier ; de se croire d’autant plus important, d’autant plus influent, d’autant plus indispensable qu’il paraît moins, que son incognito ministériel est plus grand. En un mot, M. Duvergier de Hauranne, qui n’a jamais eu le courage de solliciter une responsabilité quelconque, est justement celui qui use le plus largement de la responsabilité de ses amis, même quand ils ne sont pas au pouvoir ; car il compromet alors, comme il le fait aujourd’hui, leur avenir ministériel, en attendant qu’il entre aux affaires sous leur manteau, pour y jouer le rôle triste et fatigant qu’il prête, dans son écrit, avec une irrévérence gratuite, à la royauté !

La royauté n’est heureusement pas de cette nature. Elle est ce qu’elle doit être, haute, majestueuse et digne. Elle n’a pas besoin de pénétrer furtivement là ou se font les affaires, au sein même de l’administration. Ce bourdonnement, cette ardeur sans frein, de mettre les mains à tout, ne sont pas du fait d’un souverain ; et vous avez beau le faire à votre image, cette profanation ne servira pas vos passions politiques, et n’abusera pas les hommes de bonne foi, qui savent, comme nous, qu’aujourd’hui, en France, la royauté n’est pas d’un parti, au mortel regret de ceux qui voudraient la mettre, de gré ou de force, dans le parti doctrinaire.

M. Duvergier de Hauranne déplore que la royauté soit privée du concours des hommes les plus éminens, et dit qu’ainsi les affaires sont moins bien faites, système qui a l’inconvénient d’exalter les ambitions de second ordre et de devenir une déplorable excitation à la suffisance et à la présomption, qui veulent arriver à tout. Mais, en fait de capacités, M. Duvergier de Hauranne en voit-il d’autres que la sienne et celle de ses amis ? L’organe de son parti ne proclame-t-il pas chaque jour les doctrinaires comme les seuls dépositaires des idées d’ordre et de conservation ? Ne disait-il pas, il y a peu de jours, que la seule opposition qui fasse ombrage au cabinet est celle des hommes de pouvoir et de gouvernement, celle du parti doctrinaire, qui ne veut ni de la réforme, ni de l’intervention, ni de tout ce que veut l’opposition, avec laquelle les doctrinaires marchent cependant ? Ainsi, au dire des doctrinaires, leurs capacités sont les seules qui pourraient entrer aux affaires aujourd’hui. Quant aux capacités de second ordre dont il faut éteindre l’excitation, ne seraient-ce pas celles de l’opposition dont il est question ? car l’opinion des doctrinaires sur les talens de l’opposition n’est pas un mystère. On les a vus dédaigner assez haut M. Odilon Barrot, rire assez fort des prétentions diplomatiques de M. Mauguin et de ses ardeurs de guerre, se moquer agréablement de la politique de la gauche et de ses plans de gouvernement. Ainsi, les capacités que veut ramener au pouvoir M. Duvergier, ne seront pas difficiles à trouver : ce sont les doctrinaires. Le cercle n’est pas grand ; mais, au moins, on ne peut douter du désir sincère de l’écrivain en faveur de ces capacités, et de la franchise de ses regrets en voyant la royauté privée momentanément du secours de ces lumières !

Nous savons déjà ce que serait le gouvernement modèle de M. Duvergier de Hauranne. Nous avons vu ce qu’était le gouvernement des doctrinaires quand ils n’avaient plus M. Thiers pour les modifier et les maintenir dans la route que leur avait ouverte Casimir Périer, dans la route du pouvoir où, par faiblesse pour le parti avancé de juillet, M. Guizot semait des préfets et des sous-préfets de l’extrême gauche, avant la formation du ministère du 13 mars. Nous avons vu les doctrinaires dans le cabinet du 6 septembre, qui s’est dissous uniquement parce que M. Guizot et ses amis refusaient d’admettre au ministère de l’intérieur, à la place de M. de Gasparin, M. de Montalivet, esprit net et ferme, sous lequel M. Duvergier de Hauranne n’aurait pu exercer le métier de ministre, dans son incognito habituel. Nous avons vu l’esprit le plus conciliant forcé d’abandonner les doctrinaires, qui débordaient de tous côtés par la virulence de leurs humeurs, comme M. Thiers avait été forcé de le faire lors de la dissolution du cabinet du 11 octobre. Et M. Duvergier de Hauranne viendra maintenant faire un tableau aussi sombre qu’inexact d’une administration qui a donné à la France, malgré les doctrinaires, l’amnistie, la paix et un surcroît de territoire en Afrique, la prospérité et l’extension des affaires commerciales, et au roi la sécurité de ses jours. M. Duvergier de Hauranne se plaindra de ce qu’une politique conciliatrice a mis trêve au système intimidateur par lequel, fermant les yeux à l’esprit public puissamment amélioré, on voulait perpétuer l’état de choses contraire ? La chambre jugera si elle doit revenir à ce système, et donner raison à M. Duvergier. La demande est assez publique pour mériter une réponse solennelle.

Nous venons au reproche de corruption, adressé par M. Duvergier de Hauranne au gouvernement. Il sied bien aux doctrinaires de parler de corruption, quand, après l’avoir portée au pouvoir, ils la portent aujourd’hui dans l’opposition, en donnant un spectacle nouveau dans le gouvernement représentatif, celui d’hommes qui déclarent publiquement qu’ils voteront avec l’opposition, dont ils ne partagent pas les vues politiques, contre une administration qui réalise les leurs ; qui auront des boules blanches pour la réforme, pour l’intervention, pour tout ce qu’ils désapprouvent, uniquement pour renverser l’ennemi commun. M. Duvergier de Hauranne déclare qu’il y a eu abus d’emplois publics par le gouvernement, que des distinctions personnelles ont payé des services qui devraient être payés autrement. Au compte de M. Duvergier, il ne faut pas avoir le malheur d’être homme de talent quand on ne siége pas sur les bancs de la chambre ; sapez, attaquez le gouvernement, bouleversez tout, vous aurez, de la main de M. Duvergier et de ses amis, quand ils sont dans l’opposition, un brevet d’honnête homme et d’indépendant ; mais si vous êtes pour l’ordre, pour la conservation de ce que les doctrinaires conserveront aussi quand ils seront en place, gare à vous, M. Duvergier ouvrira ses mains, et les plus lâches, les plus infâmes calomnies pleuvront sur votre tête. Cependant, si vous voulez vous joindre à l’opposition, vous serez accueilli avec joie, et les calomnies se changeront en fleurs qu’on sèmera sur vos pas. Au contraire, si vous avez été jamais de l’opposition, et surtout de l’opposition contre les doctrinaires, on n’examinera pas si ceux que vous souteniez sont aux affaires, si ceux que vous combattiez sont dehors ; vous serez corrompus, le pouvoir corrupteur, et quelque talent, quelques titres qu’aient ceux qu’il élève, il suffira qu’ils tiennent une place, pour qu’on veuille les dégrader. Bel antécédent pour les écrivains de l’opposition qui ouvrent aujourd’hui la voie du pouvoir aux doctrinaires ! Ils savent d’avance le degré d’estime qu’on leur porte, et l’état qu’on fera d’eux !

Mais nous sommes trop justes pour faire peser sur tout le parti doctrinaire la violence et l’injustice des accusations d’un écrivain qui compromet son propre parti par l’animosité de sa haineuse faconde. Certes ce ne sont pas les hommes qui ont supporté le poids des affaires avec toute la responsabilité qui s’y attache, ce n’est pas M. Guizot, par exemple, qui viendrait nous parler de corruption. Quand M. Guizot était ministre de l’instruction publique, une pension considérable fut attribuée, sur le fonds d’encouragement aux lettres, à un recueil qui ne naquit que plusieurs mois après cet acte de munificence ; était-ce là de la corruption ? Quand M. Duvergier de Hauranne était tout-puissant au ministère de l’intérieur, un encouragement de 100,000 francs fut donné au Panthéon littéraire, une autre souscription de 100,000 francs fut accordée, pour la même spéculation, par M. Guizot, ministre de l’instruction publique ; était-ce encore de la corruption ? M. Duvergier de Hauranne veut-il nier que des places d’administration, que des places au conseil d’état, que des emplois de tout genre, jusqu’à des brevets d’imprimeurs, aient été accordés à des amis et à des partisans du ministère doctrinaire, qui les méritaient sans doute, mais qui avaient pour titres des services rendus au gouvernement dans la presse ? Où le gouvernement prendra-t-il les hommes de talent qui peuvent remplir des fonctions, si ce n’est parmi les hommes de talent qui marchent avec lui ? Et que sont les doctrinaires, s’il vous plaît ? que sont M. Guizot, M. Duchâtel, qu’est M. Thiers, sinon des écrivains pleins de talent que le gouvernement a appelés à lui ? Aussi les trouverait-on sans doute d’un autre avis que M. Duvergier de Hauranne, dont le talent médiocre et inquiet a raison de ne pas aspirer à des situations aussi hautes.

Résumons. L’opposition de gauche est violente, animée, souvent injuste, elle ne marchande pas les moyens ; mais c’est une opposition enfin. Il y a là des passions politiques, un désir vrai de modifier, de changer les affaires. Les uns trouvent que la chambre n’est pas assez avancée, que la vie politique est trop restreinte ; ils demandent la réforme ; ils sont pour qu’on élargisse le cercle. Les autres se sont créé une France utopique ; ils la voudraient comme au temps de l’empire, l’épée haute en Europe, menaçant de tout détruire, si on ne la laisse dominer ; pensée impossible à réaliser dans l’état actuel de l’Europe, où les grandes puissances telles que la France, et la France surtout, n’assureront leur avenir que par un respect religieux pour la foi jurée des traités, quels qu’ils soient. M. Thiers est pour l’intervention ; il est venu au pouvoir par une conviction, il en est sorti de même, et combat généreusement pour cette conviction. Mais les doctrinaires ! Ils disent qu’ils sont mécontens du gouvernement représentatif, tel que l’entendent le pouvoir, les députés et les électeurs ; et les doctrinaires ne veulent pas de la réforme électorale.

Ils accusent le roi de régner trop, et ils protestent qu’ils ne sont pas révolutionnaires.

Ils déclarent que le ministère n’est qu’un instrument dans la main du roi, un cabinet complaisant et servile, et ils ont été accusés de la même faiblesse.

Ils maudissent l’impuissance de notre diplomatie en Espagne, et ils ne veulent pas d’intervention en Espagne.

Ils parlent de corruption, et quand ils seront au pouvoir, vous les verrez faire ce qu’ils ont déjà fait, et parler de l’impossibilité de gouverner sans fonds secrets. Enfin, ils trouvent que le gouvernement s’en va, et ils l’affaiblissent en l’attaquant avec fureur, dans celui qui le donne, dans ceux qui l’exercent et dans ceux qui le soutiennent.

L’explication de tout ceci, c’est que l’opposition d’extrême gauche et de gauche modérée sont des oppositions ou exagérées, ou rudes, ou colères, mais que ce sont des oppositions politiques, tandis que celle des doctrinaires n’est qu’une misérable intrigue.


— Un journal, qui défend le gouvernement à sa manière, prétend que le directeur de la Revue des Deux Mondes a sollicité la place occupée honorablement, depuis quarante ans, par M. Sauvo, rédacteur en chef du Moniteur. Ce journal prend occasion de cette fausse supposition pour jeter force injures à la Revue des Deux Mondes, qu’il nomme malencontreuse, et à son directeur, qu’il croit rabaisser en lui donnant le titre d’imprimeur. On pourrait faire observer aux écrivains et aux gérans du journal en question qu’ils auraient mauvaise grace à dédaigner ce titre après avoir sollicité et obtenu de M. Guizot des brevets d’imprimeur dont ils ont fait un utile usage. Mais il est des injures auxquelles on ne répond pas, et nous ne sommes pas de ceux qui pensent qu’il est bon d’être défendu et loué par toutes sortes de personnes.

Quant à l’épithète de malencontreuse, donnée à la polémique de la Revue des Deux Mondes, nous ferons observer qu’une feuille malencontreuse pour le gouvernement qu’elle défendrait serait celle où l’on prônerait l’alliance de la France avec la Russie en déclamant contre l’alliance anglaise, où l’on attaquerait le parti constitutionnel en Espagne et le gouvernement de la reine pour exalter les carlistes espagnols, et où l’on trouverait, comme on a pu le voir il y a deux jours, des articles orangistes qui semblent appeler la restauration du gouvernement néerlandais en Belgique. Que sont, en réalité, des défenseurs qui ne donnent ni force, ni considération ?

Quant au Moniteur, il est faux d’abord que M. Buloz ait jamais ambitionné la place de M. Sauvo, lequel est, comme nous le savons, plus attristé que personne des éloges qu’on lui a donnés pour mieux injurier un autre. Puis, il est très exact, comme on l’a dit, que l’insertion dans le Moniteur d’un article contre le préfet de la Corse, et d’un passage du journal la France dirigé contre le gouvernement, a dû attirer l’attention du ministère sur la rédaction de la feuille officielle, et le faire penser à se garantir de pareilles erreurs. Le fait est positif, et nous en garantissons l’exactitude. D’où vient donc l’humeur du journal en question ? Ne serait-ce pas de ce que le fondateur de ce journal avait proposé au gouvernement de lui accorder l’entreprise du Moniteur, dont il voulait faire un journal à meilleur marché que le journal à bon marché dont il est l’inventeur ? Toute mutation qui dérangerait ce projet lui semblerait-elle fâcheuse ? Mais quel ministère pourrait consentir à laisser faire du journal officiel une spéculation mercantile, et une association par commandite ? Ces sortes d’entreprises ont des chances étranges : voyez plutôt celle de Saint-Bérain.