Chronique de la quinzaine - 14 octobre 1838

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Chronique no 156
14 octobre 1838
CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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14 octobre 1838.


Trois résultats favorables ont été obtenus récemment : ce sont la solution de l’affaire suisse, sans que la France ait été forcée d’en venir aux mesures de rigueur ; l’acceptation du traité de Constantinople par le pacha d’Égypte, et la réélection du général Jacqueminot, à une grande majorité, malgré les efforts inouis de la presse quotidienne. L’opposition n’imprimera pas moins, chaque jour, que c’est elle qui triomphe, et que le gouvernement est aux abois.

La réponse du directoire de Lucerne à la note de M. de Montebello, réponse postérieure au départ de M. Louis Bonaparte, ne permet pas au gouvernement français d’insister davantage sur cette affaire. « Lorsque les grands conseils des cantons ont été appelés à répondre sur la demande de M. le duc de Montebello, dit le directoire fédéral, leurs votes se sont partagés sur la position de M. Louis Bonaparte, et sur la question de sa nationalité, mais non sur le principe que la demande d’expulsion d’un citoyen suisse serait inadmissible comme contraire à l’indépendance d’un état souverain. » Les grands conseils n’étaient pas, en effet, convoqués dans un autre but, et le directoire fédéral reconnaît par là que le gouvernement français ne mettait pas en question le principe de la souveraineté des états. Il se bornait à soutenir que M. Louis Bonaparte n’avait pas acquis le droit de cité en Suisse, car il n’avait pas renoncé à sa nationalité antérieure. Le gouvernement français réclamait donc l’expulsion d’un réfugié, d’un réfugié dangereux, qui mettait à profit la sécurité dont il jouissait en Suisse, pour inonder la France de pamphlets incendiaires. En facilitant les démarches de M. Louis Bonaparte pour sortir du sol de la confédération, le directoire fédéral a témoigné implicitement qu’il reconnaît la justice des réclamations du gouvernement français. En exprimant le désir de ne plus voir troubler à l’avenir la bonne harmonie de deux pays rapprochés par leurs souvenirs, comme par leurs intérêts, le directoire a donné une désapprobation éclatante aux meneurs qui s’efforçaient de troubler cette union. La réponse du gouvernement français à cette note sera, sans nul doute, ce qu’elle doit être ; nous l’attendons digne de la noblesse d’esprit de M. Molé, digne en même temps du pays qu’il a représenté, en cette circonstance, avec une vigueur calme et une modération que n’exclut pas l’énergie. Cette réponse sera probablement ostensible, et nous ne doutons pas qu’elle satisfera à la fois les amis de l’ordre en France comme en Suisse.

L’acceptation par le pacha d’Égypte du traité de commerce, signé à Constantinople, entre la Turquie, l’Angleterre, et reçu par l’amiral Roussin au nom de la France, seulement ad referendum, est un évènement plus inattendu que la conclusion de l’affaire suisse, que tous les bons esprits avaient su prévoir. Quelques jours avant la réception de la dépêche qui annonçait cette nouvelle au gouvernement, les journaux français et anglais déclaraient, sur la foi de leurs correspondans d’Alexandrie, que le pacha n’adhérerait jamais à un traité qui abolit le monopole en Égypte. On rappelait que le traité de Kiutaia garantissait à Méhémet-Ali une indépendance absolue dans ses domaines d’Égypte, de Syrie et d’Arabie, et que ce traité se trouverait virtuellement abrogé par le traité de commerce de Constantinople. Les espérances trompées en Suisse se ranimaient du côté de l’Égypte. La Russie se préparait, disait-on, à reparaître devant Constantinople au premier signal des hostilités du vice-roi contre le grand-seigneur. On croyait déjà la guerre engagée en Europe, et la France entraînée dans le mouvement général qui se préparait. Ces espérances n’étaient pas tout-à-fait dénuées de fondement, non pas que la détermination du pacha dût avoir des suites aussi graves que celles qu’on voulait bien supposer ; mais la paix de l’Orient n’eut pas moins été en péril, s’il eût suivi ses premières inspirations. Quelques jours après la réception du traité, le consul de France trouva, en effet, le vice-roi peu disposé à accéder à cette convention. Ses traits étaient calmes et sourians, et il se livrait à l’examen de sa situation avec le sang-froid qu’il puise, en toute occasion, dans la supériorité de son caractère. Le pacha développa avec beaucoup de sagacité les inconvéniens du traité de Constantinople, dont ni la France ni l’Angleterre ne retireraient, disait-il, les avantages qu’elles s’en promettaient, et il le qualifia de duperie. Quant à lui, ajouta-t-il, s’il insistait pour la continuation du monopole en Égypte, ce n’était pas qu’il en fût partisan. Au contraire, là et ailleurs il le blâmait ; mais rien n’était préparé dans ses états pour le remplacer, il lui faudrait quelques années pour aviser à un autre mode d’administration. Ce mode, il le trouverait sans doute, car étant propriétaire de toutes les terres de l’Égypte, il serait toujours maître de fixer le prix du vendeur à l’acheteur. Toutefois, il voulait voir l’effet que produirait l’abolition du monopole en Turquie ; en conséquence, il refusait de souscrire présentement au traité. Le consul crut de son devoir de faire sentir au pacha toute l’importance et toute la gravité de cette réponse ; mais Méhémet-Ali, après l’avoir écouté patiemment, confirma sa déclaration dans les mêmes termes. Le pacha continua de se préparer à son voyage du Sennaar, au grand étonnement des représentans des puissances, qui prévoyaient de grandes complications dans les affaires. Ce fut à l’issue de cette conférence du pacha avec M. Cochelet, que les consuls informèrent leurs gouvernemens respectifs des dispositions du vice-roi d’Égypte, et que toutes les correspondances annoncèrent son refus formel d’adhérer aux engagemens pris par le grand-seigneur, à l’égard de l’Égypte, dans le traité de commerce de Constantinople.

Trois jours après, le pacha invita de nouveau les consuls à se rendre auprès de lui, et leur déclara qu’après avoir fait de mûres réflexions, il avait résolu d’accéder au traité. Sans vouloir remarquer la surprise que causait cette résolution si éloignée de celle qu’il avait manifestée dans sa dernière audience, le vice-roi parla longuement des mesures qu’il aurait à prendre dans sa nouvelle situation, et des ressources administratives qu’il a en réserve ; puis, il reçut ses principaux fonctionnaires, leur fit ses adieux, et partit pour le lointain voyage du Sennaar, avec Saïd-Bey, son fils chéri, qu’il a placé à la tête de sa marine, et qui donne les plus belles espérances. L’ordre de désarmer une partie de la flotte égyptienne fut donné aussitôt. Le grand âge de Méhémet-Ali, la dignité répandue sur toute sa personne, son calme et sa gaieté dans un moment si difficile, ont contribué à rendre cette scène à la fois touchante et solennelle. Nous croirions faire injure à la sagacité de nos lecteurs, en leur exposant toutes les conséquences que doit avoir, pour la paix de l’Orient, l’adhésion de Méhémet-Ali aux conventions diplomatiques conclues par le grand-seigneur, en ce qui concerne l’Égypte.

Avant de parler des affaires intérieures du pays, nous voulons constater encore le succès des mesures adoptées pour le développement de la domination française en Afrique. Voici le résumé des dernières nouvelles, qui sont du 8 octobre, et de la plus haute importance.

L’occupation de la province de Constantine se complète insensiblement par les soins du maréchal Valée, qui vient de s’y transporter. L’armée a pris possession d’une excellente position maritime, sur les ruines d’une grande ville romaine, dans la baie de Stora, et les juges les plus compétens proclament que cette position est peut-être la meilleure de tout le littoral africain, depuis l’embouchure de la Tafna jusqu’au-delà de Bone. Grâce à cette belle opération, que l’armée et le génie militaire avaient préparée par d’admirables travaux, Constantine n’est plus qu’à dix-neuf lieues de la mer, et désormais sera bien plus sûrement approvisionnée, et à moins de frais. Pour comble de bonheur, le pays qui entoure cette nouvelle et pacifique conquête est d’une grande fertilité : nulle part dans la régence, il n’y a d’aussi épaisses futaies, ce qui est un avantage inappréciable. Le gouverneur-général a donné le nom de Fort de France à l’établissement de la baie de Stora. Il a, en même temps, profité de son voyage dans la province de Constantine, pour en organiser le gouvernement d’une manière définitive.

L’opposition a essayé ses forces dans l’élection du général Jacqueminot. Toutes les nuances de la coalition s’étaient réunies pour porter son concurrent, M. Bureaux de Pusy. Le parti parlementaire, les légitimistes, les républicains, se donnaient la main pour repousser M. Jacqueminot, qui a le tort très grave, aux yeux des uns, de ne pas croire à la violation du gouvernement représentatif, parce que les portefeuilles ne sont pas inféodés à quelques hommes dont il est le premier à reconnaître le talent et le mérite, et qui, aux yeux des autres, a commis le crime, bien grand, de réprimer les émeutes à la tête de la garde nationale, et de ne pas avoir soutenu la pétition de la réforme électorale. Il faut remarquer que le candidat qu’on opposait à M. Jacqueminot n’était pas lui-même partisan de la réforme, et qu’il ne demandait que l’admission des capacités au droit électoral. Il y a loin de là à vouloir que tout garde national soit électeur, et tout citoyen garde national. Mais il fallait bien trouver un concurrent présentable pour l’opposer à M. Jacqueminot, et nous avons déjà vu, plus d’une fois, que pourvu qu’on se mette dans la coalition, elle demande peu compte des opinions qu’on apporte. M. Bureaux de Pusy était donc à la fois le candidat des comités carlistes, des clubs républicains, des réunions doctrinaires, et de la défection du centre gauche qui s’est égaré dans cette cohue. Son opinion, d’ailleurs assez modérée, représentait, par un privilége tout-à-fait heureux, la déclaration des droits de l’homme, les états-généraux de la Gazette, le gouvernement parlementaire, tel que l’entend M. Duvergier de Hauranne, et l’administration constitutionnelle ramenée à ses véritables principes, telle que la souhaitait M. Gisquet dans la dernière session. Quant à M. Jacqueminot, il était accusé de telles énormités, que ses anciens amis pouvaient à peine le regarder en face. N’était-il pas devenu lieutenant-général en 1838, lui qui n’avait que depuis 1834 le droit de l’être par les règlemens militaires et par ses états de service ? N’était-il pas coupable de cumul d’un emploi dans la garde nationale et d’un emploi d’activité dans l’armée, lui qui a refusé également le traitement d’officier actif et celui de chef d’état-major de la garde nationale ? Nous ne parlons pas d’autres faits moins graves reprochés à M. Jacqueminot, tels que l’oubli d’une amnistie pour les délits de garde nationale, et sa présence aux Tuileries dans les solennités publiques. En face de tous ces adversaires, le général Jacqueminot en était réduit à l’appui des citoyens paisibles, qui vivent en dehors des passions de parti, et qui pensent que la charte de 1830, telle qu’elle est, est une constitution assez libérale pour protéger toutes nos libertés. Or, ces honnêtes citoyens, ces électeurs pleins de sens se sont trouvés au nombre de six cents, c’est-à-dire en très grande majorité. La réélection de M. Jacqueminot a cependant réjoui l’opposition. Puisque les électeurs, ces odieux défenseurs du monopole, ont donné leurs voix à M.   Jacqueminot, la réforme électorale est plus nécessaire que jamais. Hâtons-nous donc de signer la pétition de la réforme électorale ! Quand chaque garde national sera électeur, nul doute qu’on ne nommera plus des députés tels que M. Jacqueminot. La garde nationale de Paris et de la banlieue, qui courait avec tant d’ardeur aux émeutes, et qui les réprimait avec tant d’énergie, va certainement chercher ses candidats dans les clubs républicains, à moins qu’elle ne les prenne dans les rangs du parti de la Gazette de France et de la Quotidienne, pour lequel elle a montré tant de sympathie en 1830 ! Nous sommes bien certains que cette nouvelle épreuve ne tournerait pas encore au profit de l’opposition ; aussi ne compterait-elle pas s’arrêter là, si elle arrivait au résultat qu’elle se propose. La garde nationale n’aurait pas plus tôt le droit d’élection, qu’on s’occuperait à dénaturer la garde nationale ; car telle qu’elle est aujourd’hui, la garde nationale est l’ennemie de tous les esprits remuans et des meneurs de clubs, de tous ceux qu’elle combat depuis huit ans, et qui se trouvent en première ligne parmi les partisans de la pétition.

Mais voici qu’un capitaine de la garde nationale, qui désapprouve la réforme, vient de donner sa démission. Noble réponse à quelques gardes nationaux de sa compagnie, qui le menaçaient de lui retirer leurs voix aux prochaines élections ! Dans un gouvernement de majorité comme le nôtre, rien n’est plus conforme aux principes constitutionnels qu’un tel procédé. Vous en appelez aux élections futures de la garde nationale ? a dit M. Phalipon aux pétitionnaires ; vous me menacez trois ans d’avance d’une non-réélection ? et moi, je vous appelle aux élections à l’heure même. La majorité jugera entre vous et moi, et je vous offre l’occasion d’accomplir dès à présent vos menaces. Croirait-on que les feuilles de la coalition, que les organes du parti parlementaire, voient là une conduite blâmable, un acte inconstitutionnel ? En donnant sa démission, M. le capitaine Phalipon entrave la liberté de signer la pétition, liberté que donne la charte à tous les citoyens ! En se retirant du commandement, en rentrant dans les rangs, il gêne l’opinion de ses camarades ! On a été même jusqu’à dire que la démission de M. Phalipon tend à désorganiser la garde nationale, tant la sollicitude des radicaux pour la garde nationale est devenue grande. Parfaitement : M. Phalipon est un grand coupable, un mauvais citoyen, comme M. Jacqueminot, comme tous ceux qui ne s’enrôlent pas sous la bannière levée par la Gazette de France, pour marcher à la liberté, perdue sans doute en 1830, et que les légitimistes, pieusement suivis des républicains, se chargent de retrouver ! En attendant, il nous tarde de savoir si la compagnie de M. Phalipon nommera à sa place quelque signataire de la pétition pour la réforme électorale. Ils sont en si grand nombre, au dire du parti, qu’on n’aura que l’embarras du choix. Mais si, par impossible, M. Phalipon était réélu capitaine de la compagnie, serait-il permis d’en conclure que, dans cette compagnie de garde nationale du moins, on rejette la pétition de la réforme ? Cependant vous verriez que certains journaux nous démontreraient le contraire et qu’ils nous prouveraient que cette réélection, si elle a lieu, est encore un triomphe pour eux, comme l’a été la réélection de M. Jacqueminot.

La coalition n’a pas tort de vouloir détruire le corps électoral et changer la chambre. Elle a ses raisons, et sa logique est bonne. Nous avons vu la coalition échouer dans la dernière session, devant une chambre encore incertaine. On peut même dire que les résultats ont été magnifiques, après les tiraillemens qui étaient résultés du nouvel arrangement des partis. Que s’est-il passé depuis ? Les partis se sont agités en raison inverse du besoin de repos et d’ordre qui domine la France. Qu’ont-ils produit ? La pétition de la réforme électorale, quelques signatures qu’on arrache à grand renfort d’obsessions et d’articles de journaux. Et le résultat de cette pétition, que sera-t-il, sinon une preuve nouvelle du peu de consistance d’un parti qui se compose de dix partis différens, et qui ne cherche plus sa force qu’en dehors de toutes les institutions existantes ? L’opposition a beau se recruter dans tous les rangs, elle ne se renouvelle pas ; elle a beau voir ses idées repoussées, elle se présente sans cesse avec les mêmes plans et les mêmes projets, et c’est ce qu’elle fera encore à la session prochaine. Il est vrai que la réforme électorale et le suffrage universel, vieux thème usé sur toutes ses faces par un journal légitimiste et par les feuilles radicales, aurait un certain caractère de nouveauté dans l’opposition parlementaire, qui se dit encore dynastique et modérée. Mais le principe de la réforme sera-t-il adopté par les représentans de cette opinion dans la chambre ? Nous en doutons, et nous espérons pour eux-mêmes qu’ils le rejetteront.

Plusieurs feuilles qui se donnent pour les organes officiels de quelques députés influens, appuient déjà ouvertement la pétition pour la réforme électorale. D’autres l’encouragent, tout en enveloppant leur opinion de phrases un peu confuses. Quant à douter du droit qu’ont ces feuilles, de parler au nom des hommes d’état qu’elles invoquent, on ne le peut guère ; leur langage est trop affirmatif. Ainsi un journal, appelant récemment l’attention publique sur la situation de l’Espagne, citait à la fois l’opinion du Journal Général, du Siècle et du Commerce, opinion conforme à la sienne, et en concluait que M. Guizot, M. Barrot, M. Mauguin et M. Thiers sont d’accord pour flétrir la politique du gouvernement français, qui perpétue les malheurs de l’Espagne. Donc, en s’attachant à l’ordre établi par le journal que nous mentionnons, M. Guizot parlerait dans le Journal Général, M. Barrot dans le Siècle, M. Mauguin dans le Commerce, et M. Thiers dans le journal qui constate ces faits. Ce journal est le Nouvelliste.

Nous ne ferons pas ressortir tout ce qu’il y a de grave pour les hommes d’état qu’on vient de désigner, à se porter inspirateurs des journaux cités, cas beaucoup moins grave pour le patron du Nouvelliste, journal qui affecte des formes modérées et un langage assez digne, que pour M. Guizot, qui répondrait ainsi d’un journal violent et injurieux, où les plus simples convenances ne sont pas respectées. Nous nous en tiendrons simplement au fait. Les quatre feuilles en question sont d’accord sur un point, sur la nécessité d’en finir avec l’Espagne. « Les divisions s’effacent à mesure que nous marchons, dit la feuille du soir ; les diverses nuances de l’opinion parlementaire s’effacent, et tous les grands intérêts se trouvent compris par tous les hommes politiques. » Et la même feuille ajoute qu’on lit dans le Journal Général, « qui reçoit les inspirations de M. Guizot et des membres les plus distingués de son parti, » un article qu’elle cite et qui tend à intervenir en Espagne, pour nous donner de la sécurité sur cette frontière, dans l’éventualité d’une conflagration générale et des grandes menaces d’un avenir qui peut être très prochain.

Quoique nous ne partagions pas l’opinion de M. Guizot et des membres les plus distingués de son parti sur cette conflagration générale si proche, nous ne sommes pas moins ravis, charmés, de le voir en possession d’un avis net et décidé au sujet de l’Espagne. M. Guizot ne dira donc plus comme autrefois, quand il était le collègue de M. Thiers, qu’on peut prendre l’une ou l’autre voie ; et le parti doctrinaire, qui était encore opposé à l’intervention lors des débats au sujet de l’adresse, dans la dernière session, a changé encore en ceci, comme sur tant d’autres points. Le Siècle ou M. Barrot est, de son côté, de l’avis du Journal Général ou de M. Guizot ; il appelle l’attention des partis sur la situation de l’Espagne. Les hommes dévoués à la révolution, dit-il, s’irritent de l’abandon dans lequel est laissé ce malheureux pays, et à ce sujet il cite l’autorité pleine de force du Journal de Paris ! Voilà, en effet, toutes les nuances d’opinions effacées et tous les hommes politiques d’accord. Au début de la session, dès que MM. Odilon Barrot, candidat du Constitutionnel, et du Siècle sans doute, sera mis en possession de la présidence de la chambre, on interviendra en Espagne, en attendant qu’on procède au renouvellement du corps électoral d’après le principe consacré par la pétition qui se signe en ce moment. Nous verrons ce qu’en pensera la chambre.

Ce petit changement fait à la politique extérieure adoptée jusqu’à présent par le gouvernement et par les chambres, ne manquera pas d’en amener d’autres qu’on peut prévoir. Déjà l’opposition fait son plan de politique générale, et le tableau des alliances qui nous conviennent. Elle s’indigne d’abord, comme de raison et de coutume, de la conduite du ministère, qui ambitionne une alliance avec la Russie, quand cette alliance est de nature à compromettre, d’ici à longues années, tout ministère qui s’inclinera de ce côté. C’est, on en conviendra, une manière bien commode de trouver des torts au gouvernement, que de les lui prêter sans le moindre prétexte plausible. On part de là pour semoncer rudement ce ministère anti-national, ce cabinet anti-constitutionnel, qui cherche ses alliés au Nord, au lieu de les prendre parmi les gouvernemens qui nous sont analogues par l’esprit libéral et les institutions. En vérité, il semble, à écouter de telles accusations, que ceux qui les portent, ont préalablement déchiré tous les traités et brûlé les archives de toutes les chancelleries de l’Europe, tant la vérité est outragée, comme à plaisir, à chaque parole. Mais jetez les yeux sur la carte, ouvrez la collection des constitutions politiques, et dites-nous où est le pays constitutionnel avec lequel nous soyons en guerre, ou en état d’éloignement ? Serait-ce le Mexique ou Buenos-Ayres ? Pour ceux-là, nous l’avouons, et les constitutions les plus libérales du monde n’empêcheront jamais, nous l’espérons, de tirer vengeance des insultes des peuples qui n’ont pris de la liberté que ses excès. Nous cherchons vainement ailleurs. Le traité de la quadruple alliance n’est détruit que dans l’imagination de ceux qui voudraient voir la moitié de l’Europe croisée contre l’autre. L’Angleterre, l’Espagne, le Portugal, la Belgique, voilà, ce nous semble, les pays constitutionnels où règnent les principes libéraux. Nos alliances sont-elles ailleurs, s’il vous plaît ? Le gouvernement quête celle de la Russie ? De quelle manière ? Le gouvernement français entretient des forces imposantes dans les eaux de la mer Noire ; ses vaisseaux, combinés avec ceux de l’Angleterre, font respecter la paix de l’Orient : est-ce ainsi qu’il quête l’alliance de la Russie ? Jamais les réfugiés polonais n’ont trouvé, en France, une protection plus douce que sous ce ministère. Est-ce de la sorte que l’on sollicite le Nord ? La France plaide la cause de la Belgique à Londres ; elle répond par des actes pleins de dignité et de réserve à toutes les démarches de moindre importance du cabinet de Pétersbourg, réglant sa conduite exactement sur la sienne ; et l’on vient nous dire qu’on ambitionne une alliance qui compromettra tous les ministères d’ici à de longues années ! Il est vrai que la France ne brouille pas tout au gré des impatiens, et qu’elle observe avec calme la marche des affaires, bien assurée que la paix et la tranquillité de l’Europe sont un bien réel qu’il faudra maintenir de toutes ses forces, tant qu’il ne s’agira pas de l’acheter par des concessions indignes de nous. Il est vrai que le gouvernement, mieux informé que quelques journaux remplis chaque jour de fausses nouvelles, ne croit pas qu’il faille désespérer de l’Espagne constitutionnelle. Il est encore vrai qu’il ne croit pas de son honneur de déchirer le traité des 24 articles qu’il a garanti ; mais il y a loin de là à s’humilier devant les puissances du Nord, et il ne faut pas nous dire, comme vous l’avez fait imprudemment, que le gouvernement condamne la France à une politique de vieillard ; car la France pourrait bien vous répondre prochainement, par l’organe de la chambre, que cette politique est la sienne, et qu’elle l’a adoptée de préférence à celle que vous lui proposez, qui pourrait bien n’être que de la politique de jeunes gens. Aussi ne l’attribuons-nous pas aux hommes mûris par les affaires, sous la protection desquels on voudrait la mettre aujourd’hui. Au reste, il en est du système d’alliance du Nord comme de la vérité du gouvernement représentatif qu’on réclame. C’est une discussion toute factice, où l’opposition établit à son gré certains faits pour les combattre, un monologue en deux parties où elle joue tous les rôles en changeant sa voix.

Est-ce aussi au nom des hommes d’état du parti modéré, que le journal qui se fait le plus spécialement leur organe demande la modification des lois de septembre ? Est-ce un des ministres qui a travaillé à la confection de ces lois, qui laisse imprimer, avec son autorisation, que, parmi ceux qui ont voté la législation de septembre avec le plus de conviction, il y en a beaucoup qui se demandent, avec raison, si ces lois s’accordent avec l’époque actuelle et la disposition présente des esprits ? Il faut donc s’attendre à voir la proposition de réviser ou d’abroger les lois de septembre, ajoutée à toutes celles que la chambre aura à essuyer dans la prochaine session. Quant à celle-ci, les pièces seront faciles à recueillir ; elles se trouvent toutes dans le salon de lecture de la chambre des députés. La chambre n’aura qu’à se faire apporter les journaux et à les lire à la tribune ; elle nous dira ensuite si le moment est bien choisi pour proposer l’abolition des lois de septembre !

Nous avons vu souvent combattre un ministère, ou, pour être plus exacts, un gouvernement ; mais jamais on n’a employé les armes dont on se sert actuellement. On en vient à un sentiment qui tient de l’admiration, à la vue de cette activité infatigable et de ce labeur prodigieux. Chaque jour amène un flux toujours croissant de fausses nouvelles, d’injures et de calomnies, si grand, qu’il faudra bientôt renoncer à les enregistrer et à les démentir. Dans cette alliance des partis, qui s’est faite au commencement de la session dernière, c’est à qui fournira sa part avec une conscience sans égale ; légitimistes, républicains, journaux se disant modérés, chacun travaille à sa manière, mais tous dans un seul et même but. Le roi, les ministres, les fonctionnaires, les citoyens amis de l’ordre, tous ceux qui ne désespèrent pas de la possibilité de maintenir le pays dans la prospérité et le calme dont il jouit au milieu de cette exaspération quotidienne, sont chaque jour en butte à de violentes attaques, et c’est à ce moment qu’on vient demander l’abrogation des lois de septembre ! Les écrivains qui font cette pétition ne lisent donc pas leurs propres écrits ? Un seul fait autoriserait, à nos yeux, la demande qu’on propose, c’est que les lecteurs des journaux les plus effervescens se chargent eux-mêmes de la répression de la presse, en cessant de la lire. Ainsi, le chiffre des feuilles quotidiennes envoyées au timbre et à la poste a encore diminué depuis un mois. Le Journal des Débats est à peu près le seul qui fasse exception, et qui soit en progrès. Les lecteurs se montrent donc plus rigoureux envers la presse que la législation de septembre, qu’on applique avec tant de modération. Si le gouvernement imitait l’administration anglaise, qui publie, chaque mois, la liste et le nombre des feuilles envoyées au timbre, cette mesure suffirait peut-être pour maintenir la presse dans des limites qui lui seraient favorables, et pour la diriger dans un esprit de modération qui tournerait à son profit.

Voici quelques-uns de ces chiffres qui appartiennent de droit à la publicité ; le premier tableau est celui de la poste, le second est celui du timbre :

POSTE.
EN JUILLET. EN AOÛT. EN SEPTEMBRE.
Journal des Débats 
4,764 4,878 4,914
Gazette de France 
4,220 4,131 4,133
Constitutionnel 
3,864 3,845 3,733
National 
2,646 2,599 2,504
Quotidienne 
2,301 2,314 2,319
Courrier Français 
2,236 2,243 2,208
Le Temps 
2,033 1,952 1,932
Commerce 
1,699 1,731 1,734
Journal Général 
1,568 1,488 1,439
L’Europe 
1,074 1,156 1,663
Journal de Paris 
832 688 604
La France 
818 789 750
Le Bon Sens 
324 301 304
Messager 
336 301 308
m
Journaux
à 40 fr.
La Presse
Le Siècle
7,518 7,229 7,278
7,359 7,226 7,406
Moniteur Parisien 
413 418 416
m
TIMBRE.
Journal des Débats 
9,166 8,333 9,166
Gazette de France 
5,000 5,000 5,000
Constitutionnel 
5,833 5,833 5,833
National 
3,333 4,000 3,333
Quotidienne 
3,333 3,333 3,333
Courrier Français 
5,000 5,000 3,333
Le Temps 
2,433 3,400 2,700
Commerce 
3,100 3,600 3,400
Journal Général 
1,466 1,533 1,000
L’Europe 
1,516 1,533 1,533
La France 
1,333 1,000 1,333
Le Bon Sens 
666 666 666
Journal de Paris 
813 » »
Messager 
3,066 5,000 5,000
m
Journaux
à 40 fr.
La Presse
Le Siècle
9,700 9,700 9,666
11,666 15,000 14,500
Moniteur Parisien 
5,300 5,000 7,833

Nous ferons observer que ce n’est qu’en prenant le chiffre moyen du timbre d’une année, qu’on peut se rendre un compte exact de la situation des journaux, car chaque administration de journal peut envoyer au timbre le nombre de feuilles qu’elle juge convenable, et souvent un journal peut se charger de fournir les feuilles timbrées à un autre, comme fait, depuis deux mois, dit-on, l’imprimeur du Messager à l’égard du Journal de Paris. En Angleterre, où les annonces se font en raison du nombre des abonnés, quelques journaux de Londres font timbrer, par spéculation, un grand nombre de feuilles qu’ils vendent aux journaux de province, et figurent ainsi pour un plus grand nombre d’abonnés que celui qu’ils ont réellement, dans les états du timbre qu’on publie chaque mois.