Chronique de la quinzaine - 29 juillet 1832

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Chronique no 8
29 juillet 1832


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.

29 juillet 1832.


Il nous faut bien reparler du choléra, puisqu’il a de nouveau si rigoureusement sévi durant cette quinzaine, puisque, pendant sa première moitié surtout, il a si fort et presque exclusivement préoccupé chacun.

En vérité, lorsque le chiffre officiel du bulletin sanitaire est encore un matin venu nous annoncer qu’il y avait eu la veille, dans Paris, deux cent vingt-cinq décès de la façon de l’épidémie, assurément l’on a pu, sans trop de pusillanimité, s’effrayer un peu, d’autant mieux que, depuis sa réapparition, l’impitoyable maladie expédiait son monde plus lestement que jamais, et vous enlevait en quelques heures. Et puis la funeste et incessante procession des convois recommençait de tous côtés. Déjà l’on s’attendait à revoir, comme au mois d’avril, les tapissières et les fiacres lugubrement transformés en corbillards. On tremblait que les astres rouges et sanglans des ambulances ne se levassent encore la nuit au fond des places obscures. On allait donc se trouver encore asphyxié par le chlorure, le camphre et le vinaigre ! Heureusement cette fois la peste n’a point persisté ; heureusement voici qu’elle s’éloigne et fait de nouveau retraite.

On discute fort néanmoins en ce moment sur les causes de cette dernière recrudescence. Les uns l’attribuent à la chaleur, les autres aux glaces, ceux-ci aux bains de rivière, et ceux-là aux fruits. C’est vraiment peine inutile que l’on se donne. Ne voyez-vous pas, messieurs, que ce misérable choléra s’accommode à merveille de toutes les températures et de tous les régimes, et qu’il se soucie autant du froid et du chaud que de vos traitemens antiphlogistiques ?

Mais quittons un peu la France et voyons ce qui s’est récemment passé de plus important au-dehors.

Il s’est fabriqué à Londres un soixante-septième protocole ; ce ne sera pourtant pas encore probablement le dernier, et l’on finira sans doute par ne les plus compter. Quoi qu’il en soit, si le roi de Hollande et la conférence achèvent définitivement quelque jour cette interminable paix à laquelle ils travaillent depuis si long-temps, ils se seront au moins fait d’abord entre eux une rude guerre.

Les grandes nouvelles nous sont venues cette quinzaine de l’Allemagne. Ainsi que l’on s’y attendait, et comme nous l’avions bien prévu, la diète de Francfort a mis enfin au jour et lancé ses manifestes. Ces décrets, dictés à la confédération opprimée par la nouvelle sainte-alliance, n’attentent pas moins à l’indépendance des princes allemands qu’à celle de leurs peuples. Il est dit expressément dans ces scandaleuses ordonnances que la liberté de la presse, la liberté du vote de l’impôt, en un mot que toutes les libertés seront effacées des constitutions germaniques avec les baïonnettes de la Prusse et de l’Autriche. Il s’agit maintenant de savoir si la France et l’Angleterre n’interviendront pas dans cette lutte inégale, entreprise par les puissances despotiques contre le droit des nations ; il s’agit de savoir si les quatre cent mille hommes de notre armée assisteront magnanimement, l’arme au bras, à cette immolation des gouvernemens représentatifs au centre de l’Europe. La question est grave et mérite d’être pesée.

Une tentative bien différente est faite ailleurs en ce moment, à ce qu’il semble, toute au profit de la liberté. L’expédition de don Pedro vient de débarquer heureusement en Portugal. Déjà même la petite armée des aventureux patriotes s’est emparée d’Oporto. C’est là qu’elle attend : mais le pays entier ne se soulève pas comme on l’avait promis. Cette bombe, jetée dans la Péninsule, n’a pas éclaté jusqu’ici. Lisbonne et Madrid sont demeurées tranquilles. Il est vrai que l’ex-empereur du Brésil n’inspire aux Portugais qu’une médiocre confiance. C’est lui bien plutôt que sa fille qui leur arrive ; cependant don Miguel ou don Pedro, qu’importe ? Est-ce en conscience la peine de changer ? Et puis, que leur apporte-t-il ? Une constitution taillée sur le patron des nôtres. Est-ce donc bien aussi cela qu’ils veulent ? On ne sait pas, voyez-vous, traiter les maladies des peuples. Tous sont souffrans ; mais tous n’ont pas le même mal. Nos médecins politiques n’ont pourtant pour eux qu’un seul et même remède. Quelles que soient ses mœurs, quel que soit son âge, d’un bout du monde à l’autre, au midi comme au nord, une nation leur dit-elle : Je suis mal gouvernée, je suis opprimée, que faut-il faire ? Ils répondent : Prenez ma constitution. Voilà le tort. Les nations ne guérissent pas, faute d’être soignées selon leur tempérament.

Jetons maintenant un coup-d’œil hors de l’Europe avant de rentrer en France.

Ibrahim que l’on avait dit, il y a quelque temps, complètement battu par les troupes du grand-seigneur, triomphant, au contraire, sur tous les points, s’est emparé de Saint-Jean-d’Acre, et vient d’en envoyer le pacha captif à son père.

De nouvelles convulsions ont aussi récemment agité les républiques américaines. Ainsi le sol tremble partout, dans le vieux monde comme dans le nouveau.

Voilà bien pourtant au moins quinze jours que nous montrons chez nous un calme et une sagesse exemplaires. Depuis quinze jours, pas la moindre conspiration, pas la plus petite émeute, nous sommes occupés seulement à juger ce que nous avons de complots arriérés de l’hiver et du printemps.

Après un mois presque entier de débats à la cour d’assises, voici déjà la conspiration de la rue des Prouvaires expédiée. L’on avait bien démesurément grossi celle-là, lors de sa naissance, au carnaval dernier, mais elle s’est singulièrement amoindrie pendant le procès : à peine y a-t-il eu moyen de condamner à la déportation, ou bien à la détention et à la surveillance des polices, quelques Catilinas subalternes et obscurs ; il a fallu d’ailleurs acquitter tout le reste. Ce n’étaient plus que de pauvres ouvriers conspirateurs assez mal payés par la légitimité, et qui vraiment avaient travaillé pour elle en conséquence. Quoi qu’il en soit, à propos de ces sortes d’affaires, si chargées d’incidens et si compliquées, il faut admirer combien le métier de juré devient chaque jour plus difficile et demande maintenant de sagacité. Au milieu de tant d’accusés, de chefs d’accusation, de témoins, d’avocats-généraux et d’avocats particuliers, comment voulez-vous que des honnêtes marchands, devenus soudain des juges, ne perdent pas la tête ? Le moyen pour eux de ne pas absoudre ou condamner un peu au hasard, à la grâce de Dieu : ainsi font-ils, la main sur la conscience, et probablement nous ferions tous ainsi.

Cependant, au défaut des émeutes et des grandes commotions politiques, les petits évènemens ne nous ont pas manqué pendant cette quinzaine.

Victime d’un affreux guet-à-pens, M. Quiclet, si célèbre par ses querelles électorales avec feu M. le président Amy, a péri ces jours derniers misérablement assassiné.

Plusieurs hommes recommandables et haut placés dans l’art et dans la science, M. Berton, fils de l’auteur d’Aline, et musicien distingué lui-même, M. Portal le médecin, M. Saint-Martin l’orientaliste, ont aussi succombé récemment aux nouvelles attaques de l’épidémie.

M. Talabot, l’apôtre, est mort également du choléra, et son convoi s’est fait en grande pompe selon le rit saint-simonien. Cette pauvre religion saint-simonienne semble bien, en vérité, toucher elle-même à sa fin. Les persécutions l’auraient peut-être sauvée, aussi les appelait-elle de tous ses vœux ; mais ce n’est plus le temps des bourreaux et des martyrs. C’est le temps des commissaires de police et de la garde municipale. C’est le temps de la cour d’assises. On traduit donc devant elle le père suprême et les principaux membres de son clergé, sous la double prévention d’escroquerie et d’outrage à la morale publique. Voilà tout ce qu’on peut faire pour eux ; et vous verrez encore qu’ils n’auront même pas assez de bonheur pour être condamnés.

Il nous faut aussi décidément porter le deuil de nos médailles de la Bibliothèque. On a découvert enfin les adroits amateurs qui se les étaient appropriées. Malheureusement, pour en mieux garder sans doute la collection, ils les avaient déjà converties en de beaux lingots d’or. Il y a, ce me semble, rue de Richelieu, justement vis-à-vis de la Bibliothèque, un grand tombeau vide, bâti pour le duc de Berry, sur l’emplacement de l’ancien Opéra, et dont on ne sait plus maintenant que faire. Qu’on le consacre à la mémoire de nos médailles. Ce sera pour elles un cénotaphe très convenable. M. Raoul Rochette, qui les conservait de leur vivant, en sa qualité de membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, se chargera volontiers, j’imagine, de composer une épitaphe pour le monument.

Mais que disons-nous ? d’où vient qu’à propos d’un sujet si frivole, nous osons parler en ce moment avec tant de légèreté des honneurs funèbres ? Il y avait à Paris bien des tombes saintes qui en demandaient quelques-uns. Mais s’est-on souvenu d’elles seulement ? A-t-on daigné songer un instant aux morts dans ces fêtes qui ont célébré les anniversaires de juillet ? Oh ! non pas. On nous a donné des courses de chevaux au champ-de-Mars et des mâts de cocagne aux Champs-Élysées. Nous avons eu des rosières, une revue, des joutes sur l’eau, des danses de corde et des parades militaires, des illuminations et des feux d’artifice. Sauf les distributions de comestibles à la pointe de l’épée, tout s’est à-peu-près passé comme à la Saint-Napoléon et à la Saint-Louis, sous l’empire et sous la restauration. Quelle pauvre comédie ! Que de petitesse et de mauvaise grâce ! Quand vous fêtez ainsi le peuple des barricades, ne ressemblez-vous pas, dites, à ces parvenus, à ces enfans enrichis, qui, par respect humain, font venir une fois l’an leur père de la campagne, et lui donnent à dîner, sans oser pourtant l’appeler leur père, sans être pour cela de meilleurs fils ?

Qu’importe au surplus ? Le peuple s’arrange probablement de ces sortes de réjouissances et de ce banquet, puisqu’il en vient prendre sa part. Laissons-le donc s’ébattre et danser dans cette poussière de fête ; nous, continuons notre tâche. Nous avons à parler encore des nouvelles publications et des évènemens littéraires de notre quinzaine.

Aux théâtres, il ne s’est point représenté d’ouvrages qui méritent d’être mentionnés ici, mais on annonce que M. Victor Hugo vient de terminer un drame. Ceci doit intéresser vivement tous les vrais amis de l’art. On sait que M. Victor Hugo ne fait point de la poésie à la toise, et qu’il n’exploite le drame sous la raison d’aucune société ; aussi nous a-t-il habitués à n’attendre de lui que des œuvres dignes et consciencieuses. Sa dernière pièce est, dit-on, écrite en prose. Tous ceux qui en ont entendu la lecture, s’accordent à dire que jamais le talent du jeune écrivain ne s’est élevé à une plus grande hauteur que dans cet ouvrage, et semblent compter pour lui sur un succès qui laisserait bien loin même celui d’Hernani. C’est beaucoup espérer assurément. Que M. Victor Hugo se hâte pourtant de tenir ces promesses. Qu’il choisisse bien vite son théâtre.

Nous, en attendant, examinons sommairement les livres nouveaux qui nous ont été récemment adressés.

Disons d’abord encore un mot du roman de M. Karr, dont nous avons promis de reparler. En deux lignes, voici l’analyse de Sous les Tilleuls[1]. Madeleine, qui aimait Stephen, et en était aimée, l’oublie parce qu’il est pauvre, et se marie avec Édouard parce qu’il est riche. Édouard était l’ami de Stephen. Ce dernier se venge cruellement de la double trahison de sa maîtresse et de son ami. Il commence par tuer en duel le mari, puis il séduit sa femme, et au moment où elle vient de se livrer à lui, il l’écrase impitoyablement sous l’injure et le mépris. La malheureuse se pend de désespoir. Stephen déterre son cadavre, et lui donne sur la bouche un baiser d’expiation. Ce roman voulait être naturel et vrai. Il commençait même assez bien ainsi, mais vers sa seconde moitié, situation, style et caractères, tout y devient exagéré, prétentieux et faux. C’est dommage, M. Karr a gâté son livre, qui eût été beau. Tel qu’il est cependant, il renferme d’excellentes parties, on y trouve plus d’une page vraiment touchante et passionnée, et certes, ce début révèle un talent plein de sève et d’originalité. Mais si ce jeune auteur prétend à des succès durables et complets, il lui faut se défier des éloges outrés que lui prodigue l’admiration indiscrète de ses amis. Il doit surtout se garder de penser, comme eux, que son essai le place d’emblée au-dessus de Goëthe, et qu’il a déjà fait mieux que Werther.

Le nouveau roman de madame S. Gay, un Mariage sous l’empire[2], se recommande doublement par une peinture animée et fidèle de la société de l’empire et par l’habile développement d’une situation neuve et vraie. Le fond en est très simple. M. de Lorency, colonel de l’armée, épouse mademoiselle de Brenneval par convenance, pour plaire à l’empereur. Blessée de la froideur et des infidélités de son mari, la jeune femme se monte la tête, et s’imaginant qu’elle aime le comte Adrien de Kerville, elle est assez faible pour lui céder. Éclairée par ses remords, elle a bientôt abjuré ce faux amour. Mais il est trop tard. Elle devient mère, et son amant d’un jour est le père de son enfant. Cette irréparable faute, que doit pourtant ignorer M. de Lorency, creuse plus profondément l’abîme qui les sépare. Il y a maintenant entre eux un secret et un repentir ! Quel malheur ! Et c’est par dépit seulement qu’ils se sont trompés ! et cependant ils étaient nés pour s’aimer ; leurs deux cœurs étaient dignes de se comprendre ! Que de souffrances ils auront à subir avant de se pardonner, avant de se jeter dans les bras l’un de l’autre. Tout le roman est là. Cette paisible action lui suffit. Elle marche d’ailleurs toujours intéressante et soutenue jusqu’au dénoûment, entrelacée avec art de scènes vives et historiquement spirituelles. Il n’est pas jusqu’au ton parfois assez singulier des personnages qui ne soit bien de l’époque et n’appartienne en propre à cette cour et à ce monde un peu mêlés de l’empire. En somme ce dernier ouvrage de madame S. Gay nous semble l’un de ses meilleurs. Ce n’est pas dire assurément que nous en faisons peu d’état.

Mais voici un livre important et qui mérite considération, puisqu’il se présente à nous sous le nom de M. Fenimore Cooper. Nous voudrions pouvoir donner ici l’analyse détaillée de the Heidenmauer[3], mais les étroites dimensions de cette chronique ne nous le permettent point. L’action de ce nouveau roman de l’auteur du Pilote est d’ailleurs, sinon très attachante, au moins fort compliquée. M. Cooper a puisé son sujet dans une légende qu’il a recueillie sur les bords du Rhin. Il a voulu nous peindre aussi des mœurs du seizième siècle et nous montrer comment il entend notre vieille Europe. Sans doute il en a cru faire un portrait fidèle. Nous craignons bien pourtant qu’il ne se soit trompé, et cette fois peut-être plus gravement encore que dans le Bravo. Les moines de l’abbaye de Limburg, les bourgeois de Deurckheim et le comte de Lienengen-hartenburg, avaient-ils donc déjà, de leur temps, toutes les idées américaines que leur prête l’écrivain trans-atlantique ? Vraiment nous en doutons. Ah ! M. Cooper, vous faites bien mieux parler vos marins et vos sauvages. Pourquoi donc les abandonnez-vous ? Est-ce qu’ils n’ont plus rien à nous dire ? Prenez-y garde. Si vous courez long-temps encore ainsi par nos vieux chemins de l’Europe, nous nous lasserons de vous suivre et nous vous laisserons aller seul. Voyez-vous, votre dernière excursion sur les bords du Rhin n’est pas amusante. Sauf quelques vues de pays bien dessinées, que trouvons-nous dans votre Heidenmauer ? Des ressouvenirs et des imitations de Walter Scott comme nous en avons déjà tant, et puis le seizième siècle affublé de l’esprit du dix-neuvième. Voilà tout.

Recommandons à nos lecteurs l’ouvrage d’un autre Américain, Life and writings of governor Morris, par Jared Sparks. Ce n’est guère qu’une compilation, mais elle est au moins bien faite et contient une foule de documens précieux sur les révolutions française et américaine et sur l’histoire politique des États-Unis.

La sœur de lait du vicaire[4] de M. S. Henry Berthoud nous est donnée comme une histoire de province. Ce n’est, en tout cas, qu’une histoire bien commune, bien insignifiante et bien médiocre. M. Berthoud a fait autrefois des contes fantastiques qui valaient, ce nous semble, beaucoup mieux.

Quant aux petits volumes carlistes de cette quinzaine, ils sont infiniment supérieurs à ceux de la précédente.

Voulez-vous, mesdames les marquises, une boutade injustement capricieuse et spirituelle contre la révolution de Juillet ? Envoyez vite acheter l’Élysée-Bourbon[5]. C’est un charmant chapelet de jolis feuilletons qui trahissent tous à l’envi l’anonyme qu’a voulu garder leur auteur.

Voulez-vous une Histoire de Chambord[6], écrite d’un bon style et pleine de souvenirs intéressans et de curieux détails ? Voici celle de M. Merle.

Mais n’avons-nous donc déjà plus de nouvelles ou de nouveautés littéraires à signaler ? Si, vraiment. C’est pour les journaux, surtout, que le temps est prospère, et l’on vient d’en inventer encore quatre tout neufs, à savoir : le Journal du bon sens, le Journal décennal, le Journal des enfans, et le Journal du Vésuve. Cette dernière feuille rendra compte, sans doute, des éruptions du volcan avec la plus grande impartialité. Quant au journal décennal, comme l’indique son titre, il n’en paraîtra qu’un numéro tous les dix ans. On ne s’y abonnera probablement que pour un siècle.

Une innovation notable s’est aussi récemment introduite dans l’économie du plus répandu de nos journaux. Le Constitutionnel aura désormais un feuilleton, ce qui nous promet de la littérature au niveau de sa politique.


jacques lerond.

  1. Chez Gosselin.
  2. Chez Vimont.
  3. Chez Baudry ; la traduction se trouve chez Gosselin.
  4. Chez Vimont.
  5. Chez Urbain Canel.
  6. Chez le même.