Chronique de la quinzaine - 30 avril 1832

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Chronique no 2
30 avril 1832


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


30 avril 1832.

On a beau faire, il faut se soumettre ; c’est le choléra qui domine encore toutes les questions. Depuis un mois, c’est lui seul qui gouverne. À lui toutes les prérogatives de la couronne ; et voyez s’il n’en use pas en vérité dans toute leur étendue ! N’est-ce pas lui qui vient d’ajourner les chambres ? N’a-t-il pas l’air de vouloir changer ou recomposer le ministère ? Et si là, du moins, s’arrêtaient ses usurpations de pouvoir ! Mais non pas. — Il prend avec nous des allures de roi légitime. Plus habile seulement, et plus fatal encore que Charles x, de débonnaire mémoire, le voilà qui nous mitraille en silence, depuis trente journées qui ne sont glorieuses que pour lui ; car nous, pauvre peuple, avec notre souveraineté, que pouvons-nous contre cet invisible ennemi, qui tranche aussi du souverain et nous décime avec sa muette artillerie ? Que pouvons-nous ? — Fuir. C’est ce qu’a fait déjà bon nombre des plus prudens ; la masse néanmoins demeure. De force ou de gré, il lui faut patiemment attendre, l’arme au bras, que le bon plaisir du fléau juge nos rangs suffisamment éclaircis et s’en aille promener ailleurs ses ravages. Quand cette grande et longue exécution sera terminée (et ce moment semble enfin approcher), quand Paris respirera, si nous sommes restés debout nous-mêmes toutefois, nous pourrons dire les noms des plus regrettables victimes qui seront tombées autour de nous, jusque-là, c’est bien assez de compter nos morts, et de les ensevelir.

Constatons néanmoins dès à présent un décès qui n’est pas du fait de l’épidémie. Le Globe, et avec lui la religion saint-simonienne sont morts la semaine dernière. C’est le vendredi saint que le nouveau Messie et ses disciples ont voulu procéder eux-mêmes à leurs funérailles. Cet arrangement paraît symbolique et le choix du jour semble cacher la pensée d’une résurrection. Quoi qu’il en soit, tout le collège est allé s’enterrer sur l’une des hauteurs qui dominent Paris. Jusqu’à ce qu’il leur plaise de ressusciter (si toutefois ils en ont l’idée, ce qu’entre nous, je ne crois point), que ces messieurs reposent en paix. Que la terre de Ménilmontant leur soit légère. Il n’y a vraiment contre eux rien à dire. Chacun a bien joué son rôle. Ils sont demeurés apôtres et père suprême jusqu’au bout. Ils ont gardé leur sérieux jusqu’à la fin. Aujourd’hui que la recette baisse et que la foule se porte à d’autres parades, ils se retirent en gens d’esprit. C’est bien.

Mais à leur place, voici M. de Châteaubriand qui monte sur les planches. À la bonne heure. On commençait à s’inquiéter de son silence. Rassurez-vous cependant. Ce n’est pas encore cette fois son dernier mot. — Mais écoutez toutes les belles choses qu’il va vous dire, toutes les belles phrases qu’il va faire sur ces 12,000 francs offerts par madame la duchesse de Berry (somme que, par parenthèse on eût beaucoup mieux fait d’encaisser, en eût-il fallu donner reçu même au nom de toute la dynastie exilée, enfans, mère, oncle, tante et grand-père). Ne voyez-vous pas quelle bonne fortune pour M. de Châteaubriand que le refus de ces 12,000 francs ? Il y a là de quoi lui fournir matière à brochures pendant tout un an. Hélas ! c’est vraiment grande pitié de voir un beau talent, un noble caractère, se consumer à faire du style et dévoûment pour une si pauvre cause. Il est triste de voir l’auteur de René devenu, depuis la révolution de juillet, le porte-guenille de la légitimité. Quelque ami sincère de M. de Châteaubriand ne pourrait-il donc lui dire charitablement qu’à force de se mettre en scène sous les plus frivoles prétextes, à force de se montrer au public et de le haranguer à tout propos, hors de tout propos, comme font ces vieux acteurs qui ne veulent plus quitter le théâtre, on finit par lasser étrangement et décourager les admirations les plus persévérantes ? — Le conseil serait bon, mais je gage qu’on en ferait peu d’état.

Il y a loin de l’auteur des Martyrs à celui d’Alonzo ; cependant il fallait bien que M. de Salvandy nous donnât aussi sa petite pièce ; mais cette fois, pour varier sans doute un peu, ce n’est plus M. de Châteaubriand, c’est Milton qu’il a parodié. M. de Salvandy nous envoie le choléra en punition de nos péchés révolutionnaires. Il charge Satan de nous apporter ce cadeau : cela lui semble neuf et ingénieux. En vérité, M. de Salvandy, vous nous traitez bien peu charitablement. Vous êtes tout fier, j’imagine, des larmes qu’on prétend que Goethe aurait répandues quelques instans avant sa mort, parce qu’on n’aurait pas voulu lui permettre de lire vos Seize ou vingt mois de la révolution. Nous avions entendu cependant raconter autrement le fait. Le grand poète aurait en effet pleuré, mais après avoir lu votre livre. Non pas qu’il en eût été bien vivement touché, mais ayant si laborieusement employé sa vie entière à l’admiration des belles choses, il eût amèrement regretté de ne vous avoir ainsi consacré que quelques-unes de ses dernières heures. — Cette version est néanmoins contredite, comme invraisemblable, par des personnes fort sensées qui prétendent que cet introuvable lecteur d’Alonzo que cherchait partout Benjamin Constant, a pu seul lire Vingt mois de la révolution. Mais le lecteur d’Alonzo, c’était peut-être Ghoethe ! qui sait ?

Quoi qu’il en soit, prenez-y garde, monsieur de Salvandy : vous voici véhémentement soupçonné d’avoir entretenu des relations avec un grand poète, avec un homme de génie ! Et cet homme de génie, feu M. Auger, comme chacun sait, l’a fait mettre au ban de l’Académie ! Et vous alliez être de l’Académie. Monsieur de Salvandy, prenez-y garde.

Nous venons d’indiquer les nouveautés théâtrales les plus remarquables des derniers jours ; d’ailleurs point d’évènemens littéraires, point de scandales intéressans à signaler. Les ordonnances et instructions expresses de la médecine ayant mis les esprits et les cœurs à la diète, ainsi que les corps, les intelligences se montrent très sobres, et l’amour se conduit avec une réserve et une prudence exemplaires : c’est que M. Broussais surtout, le plus noir, le plus inexorable de nos docteurs, interdit rigoureusement, et sous peine de choléra immédiat, toute espèce d’émotion vive, tout épanchement de tendresse. Hélas ! mesdames, qu’en dites-vous ? Que vont devenir les âmes aimantes à ce régime ?