Chronique de la quinzaine - 30 juin 1847

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Chronique n° 365
30 juin 1847


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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30 juin 1847.


Ce n’est pas la vivacité des débats parlementaires que nous déplorons : cette vivacité est une des conséquences naturelles de nos institutions et de nos mœurs politiques ; mais l’objet de ces débats, mais les accusations et les misères sur lesquelles ils ont roulé, voilà ce qui nous remplit d’un sentiment douloureux. Lorsque dans les premières années qui suivirent 1830, les chambres se livraient à de véhémentes discussions, les questions étaient grandes et les passions généreuses. Alors il s’agissait, dans ces luttes, des conditions de la paix européenne ou des bases de notre organisation intérieure. Aujourd’hui les questions, les affaires qui agitent le parlement, sont d’une nature telle que c’est en dehors de la politique qu’il faut aller les chercher. Par quelles déviations fâcheuses la dignité des débats parlementaires s’est-elle si fort altérée ?

On a pu reconnaître les inconvéniens d’une première résolution prise avec plus d’entraînement que de réflexion par un grand pouvoir. Nous avons regretté que la chambre des pairs ait attaché trop d’importance à une allégation de la presse quotidienne. Avons-nous eu tort ? Il est arrivé que les deux chambres ont dû s’occuper solennellement d’une phrase de journal qu’assurément on avait oubliée, quand elle a été dénoncée à l’attention de la pairie. Dans cette circonstance, la chambre des députés s’est montrée surtout animée d’un sentiment que nous ne saurions trop louer. Elle a prouvé que, si elle est justement jalouse de ses propres prérogatives, elle a un respect sincère pour les droits constitutionnels de l’autre chambre. Elle n’a pas voulu, comme quelques-uns le lui demandaient, substituer sa propre appréciation à celle de la pairie, qui seule devait juger si réellement elle était offensée. Outre ces raisons de principes, la chambre a encore été déterminée par la tournure qu’ont prise les débats, par la manière si nette dont la question s’est trouvée posée, de l’aveu de tout le monde principes constitutionnels, motifs politiques, tout a donc décidé la chambre à autoriser les poursuites contre celui de ses membres qui se voyait sous la prévention d’une offense à la pairie.

Cette autorisation n’était-elle pas déjà une satisfaction véritable pour la chambre des pairs, qui devait naturellement montrer d’autant plus de modération, que la chambre des députés avait eu à son égard plus de déférence ? Du reste, on apportait à sa barre les protestations les plus explicites de dévouement et de respect. Aussi, devant ces protestations, la chambre des pairs s’est tenue pour satisfaite. Il parait même qu’au sein de la pairie plusieurs des membres de l’opposition qui avaient provoqué avec le plus de vivacité les poursuites ont opiné pour l’acquittement avec non moins d’ardeur, par une sorte de rétractation de leurs premiers sentimens. D’ailleurs, quand de politique une question devient judiciaire, quand il s’agit de prononcer une peine, il y a dans les esprits une disposition honorable qui les fait pencher vers l’indulgence.

Maintenant voici une face nouvelle de ce singulier débat. Dès que la pairie eut prononcé le renvoi des fins de la plainte, ce résultat devint l’objet de mille commentaires. Du côté de l’opposition, on prétendit que cet acquittement d’un prévenu retombait comme un blâme indirect sur le cabinet. Assurément la très grande majorité de la chambre des pairs ne s’était préoccupée, dans cette circonstance, d’aucunes considérations politiques. Elle n’avait eu qu’une pensée c’était de vider un pareil incident, non pas au point de vue de tel ou tel intérêt, mais avec toute l’impartialité de la justice. Toutefois, en dépit de ces intentions, la décision de la pairie eut des conséquences qui ne se firent pas attendre. Le cabinet, qui, lorsque l’affaire avait été déférée à la pairie, s’en était, pour ainsi dire, désintéressé, a vu les passions qui l’avaient déjà assailli reproduire leurs attaques avec une vivacité nouvelle. Il semblait qu’après les violences et les accusations qui avaient rempli, la séance du 17 juin, tout était épuisé ; la séance du 25 a prouvé le contraire.

Lorsque les représentans des partis extrêmes livrent au gouvernement d’impétueux assauts, les luttes qui s’engagent sont prévues, et, si vives qu’elles soient, elles ont quelque chose de normal ; mais, quand le pouvoir est assailli de cette façon par des hommes qui l’ont défendu long-temps, comment expliquer ces attaques ? Est-ce parce que le ministère n’a pas accueilli avec empressement la réforme électorale et la réforme parlementaire, qu’il a été, dans ces derniers jours, pris à partie avec tant de colère ? On l’a dit, on l’a imprimé, et cependant l’incrédulité publique a cherché d’autres causes à cette explosion. Admettons pourtant l’explication donnée. Nous comprenons fort bien que parmi les conservateurs quelques-uns eussent voulu dans le cabinet plus de résolution, plus d’initiative pour de sages réformes ; mais à ce point de vue quelle était la conduite à garder ? Il fallait, tout en continuant d’exciter le pouvoir à se montrer plus actif, plus entreprenant, ne pas cesser de l’appuyer en l’éclairant. Si l’on n’ignorait pas que certains obstacles avaient pu entraver de bonnes intentions, il fallait tenir compte des intentions et des obstacles, et montrer une patience non pas inerte, mais intelligente et féconde en utiles efforts. Ne disait-on pas dernièrement qu’on ne serait pas un homme politique, si on ne savait attendre ? Il nous coûte de le dire, mais cette parole n’équivaut-elle pas à un jugement prononcé sur soi-même ? On a su si peu attendre, que deux jours après l’acquittement prononcé par la cour des pairs on en perdait, en quelque sorte, tout le bénéfice moral par de nouveaux emportemens. Nous n’avons pas vu sans regret tomber dans une pareille faute un homme auquel on ne saurait refuser le mérite d’avoir long-temps marché dans sa ligne avec courage. Qu’a-t-il gagné par des agressions aussi dépourvues de mesure ? N’a-t-il pas donné raison à ceux qui ont toujours pensé qu’il avait été poussé dans la politique moins par une vocation décidée que par un esprit plus aventureux que solide ? S’il a réellement désiré conquérir un rôle actif dans les affaires, croit-il se rapprocher d’un pareil but par la nouvelle attitude qu’il vient de prendre ? L’ambition veut plus de sang-froid.

Nous conviendrons que, si l’on s’est seulement proposé de porter le trouble dans les rangs de la majorité, de harceler, d’embarrasser le cabinet, on y a réussi jusqu’à un certain point. En effet, lorsque, dans la séance du 25 juin, la chambre a vu que les accusations dont la tribune avait retenti le 17 se reproduisaient devant elle, enrichies d’autres assertions non moins fâcheuses, l’émotion a été au comble. On a prononcé à ce sujet le nom de la convention. Cette assemblée de tragique mémoire avait au moins le mérite de ne se passionner que pour des questions immenses. Ici que de pauvretés, que de déplorables détails jetés en pâture aux mauvaises passions ! Cependant il fallait dissiper cette grosse nuée de petits griefs, d’imputations envenimées. Tâche difficile et ingrate, dans laquelle M. le ministre de l’intérieur, il faut le dire, a montré une remarquable fermeté. Il est resté calme et modéré au milieu des interruptions les plus violentes ; sa parole nette et précise a raffermi la majorité, et quand M. Benoît Fould eut détruit, par des explications catégoriques, le seul fait qui présentait, à vrai dire, un caractère politique, l’opinion de la majorité n’était plus douteuse. C’est pour l’exprimer que M. de Morny a proposé un ordre du jour motivé, qui a été voté par 225 voix. M. de Morny a pensé, non sans raison, qu’il lui appartenait plus qu’à tout autre de prendre l’initiative de cette proposition ; en effet, par des paroles souvent citées, il s’était montré fort résolu, dès le principe, à porter partout un examen sévère. La plupart des conservateurs progressistes ont voté avec la majorité.

Qui s’étonnera que l’opposition ait d’abord accueilli avec empressement, avec joie, l’ardent adversaire du cabinet ? Ne lui annonçait-on pas des révélations qui devaient être de terribles armes contre le gouvernement ? C’est le rôle, c’est le droit de l’opposition de ne rien dédaigner, de tout exploiter. Seulement il est advenu que les effets n’ont pas répondu aux promesses. Ces armes tant vantées se sont trouvées d’assez mauvaise trempe, et il est d’ailleurs des hommes auxquels il ne pouvait convenir de s’en servir. Nous avons vu avec une satisfaction véritable, comme sans surprise, que pas un des représentans de l’opposition gouvernementale, pas un des membres du centre gauche n’a pris la parole dans les débats du 25 juin, dans ces scènes de tumulte et de désordre si étrangères aux habitudes du parlement. Il y a plus, ses deux chefs, MM. Thiers et de Rémusat, n’ont pas assisté à la séance. Il est facile de comprendre le sentiment qui a déterminé cette absence. On peut être l’adversaire décidé et redoutable d’une politique, et ne pas vouloir placer le terrain de la lutte dans des régions inférieures. Si à l’élévation de l’intelligence on joint l’expérience des affaires et l’esprit de gouvernement, il y a certains spectacles dont on s’éloigne sans regret.

En votant un ordre du jour motivé par lequel elle se déclarait satisfaite des explications qui lui avaient été données par le ministère, la majorité a eu l’intention expresse de raffermir ce qu’on s’efforçait d’ébranler : la dignité du gouvernement. Elle a jeté dans la balance l’autorité de son vote comme un contrepoids nécessaire à tant de violentes accusations. Il est temps en effet de venir en aide à ce qui est aujourd’hui assailli de toutes parts, de défendre l’honneur de nos institutions et du gouvernement que nous avons fondé il y a dix-sept ans. Ce devoir n’appartient pas moins aux représentans graves et sérieux de l’opposition qu’aux membres de la majorité. Ne sommes-nous pas dans des circonstances critiques où se trouve en jeu, non pas l’existence d’un cabinet, mais la considération même de ces classes moyennes qui ont entre les mains l’influence, le pouvoir, la direction de la société ?

On ne saurait contester, et nous l’avons dit nous-mêmes, que le triste procès dont est saisie la chambre des pairs était une nécessité ; mais quelle nécessité déplorable ! « Il faut sonder de telles plaies d’une main courageuse, dit M. Renouard dans son rapport ; l’opinion publique ne s’égare pas quand on lui dit tout. «  Puisse-t-il avoir tout-à-fait raison ! Comment ne pas penser avec effroi à l’impression qui sera produite sur les masses par cette accusation si solennellement portée contre deux anciens ministres occupant aujourd’hui les positions les plus hautes dans la magistrature et dans l’armée ? La publicité est une des conditions, une des garanties indestructibles de notre civilisation politique, ses bienfaits sont réels ; mais ne sont-ils pas quelquefois compensés par des inconvéniens fort graves ? Les lumières sont-elles répandues en proportion de la publicité ? N’y aura-t-il pas dans la foule une disposition inévitable à considérer le procès dont la presse portera partout les détails comme l’indice d’une corruption jusqu’alors inouie ? En vérité, il faudrait aussi publier un cours d’histoire pour démontrer qu’au contraire la corruption chez les fonctionnaires publics, chez les représentans du pouvoir, n’a jamais été plus restreinte que de nos jours, et que sur ce point toute comparaison avec le passé est l’éloge de notre temps. A quelque époque, sous quelque forme de gouvernement qu’on envisage la corruption, vous la trouvez marchant le front levé et dominant avec impunité dans les mœurs des républiques comme dans celles des monarchies. Pour ne parler que de l’ancienne France, que dirons-nous des ministres, des généraux d’armée, recevant sans mystère, des provinces qui voulaient capter leurs bonnes graces, des pensions, des tributs ? Ouvrirons-nous le livre rouge pour citer les largesses prodiguées aux maîtresses, aux favoris, aux courtisans ? N’ayons pas la manie de nous donner pour pires que nous ne sommes. Dans la vaste instruction dont le procès devant la cour des pairs a été l’objet, la probité de l’administration et des bureaux ressort pure de tous les examens, de toutes les enquêtes auxquelles on s’est livré. Quant au conseil général des mines et au conseil d’état, on voit qu’il n’entre dans la pensée de personne, pas même de ceux qui se trouvent accusés d’avoir voulu ou de s’être laissé corrompre, qu’il soit possible d’exercer sur les délibérations de ces deux corps la moindre influence au profit d’intérêts privés. Voilà pourtant des résultats moraux honorables et rassurans pour nos mœurs publiques. Qu’on ne se hâte donc pas si fort de jeter l’anathème à notre époque.

Avant d’ouvrir la discussion du budget, la chambre des députés a adopté la proposition relative à la réduction de l’impôt du sel, c’est-à-dire qu’elle a fait ce qu’elle avait déjà fait l’an dernier. Seulement, cette fois, c’est presque à l’unanimité qu’elle a voté la motion de M. Demesmay, qui n’a eu contre elle que 14 voix. La chambre veut enfin qu’on accomplisse une réforme qui touche de si près aux intérêts des classes pauvres et de l’agriculture. Sur le fond même, le gouvernement ne s’est pas mis en désaccord avec la chambre, car il a pris l’engagement de présenter dans la session prochaine une solution qui trouvera sa place dans le budget. Personne à coup sûr ne le blâmera de chercher à combiner les réformes qu’il accepte avec l’ensemble des nécessités financières. Cette marche aura l’avantage d’obliger tout le monde, le gouvernement, la commission du budget et ceux qui se préoccupent de réformes partielles, d’embrasser dans toute son étendue notre système d’impôts. C’est la meilleure manière de trouver aux réductions qui seront opérées des compensations possibles et nécessaires. M. Dupin s’est fait justement applaudir de la chambre, quand il a parlé du sel comme du troisième aliment du pauvre, venant après le pain et l’eau. « Qui de vous, s’est-il écrié, n’a vu dans nos campagnes des familles entières devant lesquelles un place pour toute nourriture un monceau de pommes de terre, très peu de pain, et pour assaisonner ce mets si insipide, de l’eau de la fontaine ! Songez à ce que serait pour cette famille un kilogramme de sel ! » Seulement cette sympathie de M. Dupin peur les classes laborieuses aurait dû l’empêcher de blâmer si vivement tout ce qui avait été fait pour imprimer un grand essor aux travaux publics. En effet, ces travaux, comme l’a dit M. Duchâtel, augmentent non-seulement la richesse générale du pays, mais encore le bien-être des classes laborieuses, en élevant la main-d’œuvre.

La chambre n’a pas montré moins d’intérêt pour d’autres travailleurs, sur lesquels la France doit étendre sa protection et sa justice ; il s’agit des esclaves de nos colonies. Nous avons déjà parlé du projet de loi qui, dans les colonies de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane française et de Bourbon, exclut les assesseurs des cours d’assises. Il a fallu reconnaître que cette exclusion est nécessaire, car les assesseurs créoles ou propriétaires d’esclaves acquittent d’une manière systématique les maîtres accusés. Le gouvernement a voulu remédier à un pareil mal sans entrer avec précipitation dans une réforme trop radicale. C’est pour cela, comme l’a remarqué M. le duc de Montebello, qu’il supprime un élément qui, par la nature même des choses, plus encore que par la faute des personnes, était justement considéré comme mauvais. Un système plus absolu proposait d’exclure sans réserve les colons des fonctions de la magistrature dans nos possessions d’outre-mer : il a été combattu par M. le ministre de la marine avec une mesure qui a été favorablement accueillie par la chambre. M. le garde-des-sceaux a d’ailleurs annoncé qu’il s’occupait, de concert avec son collègue, d’améliorations importantes dans la magistrature coloniale, qui sera assimilée à la magistrature algérienne. Au nom de la commission, le rapporteur, M. d’Haussonville, a insisté sur l’avantage qu’il y avait à adopter des mesures modérées, d’une exécution facile, et la loi a été votée à l’immense majorité de 230 voix contre 4 boules noires. Toutefois, malgré cette presque unanimité, il est fort à craindre que les colons ne persistent dans leurs plaintes. Un de leurs délégués, M. de Jabrun, a consigné dans un petit écrit, publié avant le vote de la chambre, de vives protestations contre le projet du gouvernement. Sans adopter toutes ses critiques sur la composition de la magistrature coloniale, nous y trouvons de nouveaux motifs pour le gouvernement d’accomplir le plus tôt possible les améliorations annoncées à la chambre.

On se rappelle que, dans sa réponse au discours de la couronne, la chambre avait déclaré qu’elle veillerait à ne laisser s’introduire aucune dépense nouvelle qui ne serait pas justifiée par une évidente nécessité. Cette volonté de la chambre est devenue comme le programme de la commission du budget. Toutefois le rapporteur, M. Bignon, a insisté sur les difficultés qu’il y avait à opérer des réductions importantes dans le budget ordinaire. En effet, le budget des dépenses de la France est divisé en cinq grandes parties : la dette publique, — les dotations, — les services généraux, — les frais de régie et de perception, — les remboursemens, restitutions et non-valeurs. Sur ces cinq parties, deux seulement peuvent être soumises à des réductions, les services généraux, les frais de régie et de perception ; mais, on l’a dit, un pays organisé comme le nôtre doit être administré fortement ; si l’on veut garantir les intérêts du trésor, assurer les revenus publics, il faut se garder, par des réductions arbitraires, d’ébranler notre constitution administrative. Dans presque tous ses votes sur les diverses allocations du budget, la chambre s’est montrée préoccupée de ce principe. Elle a reconnu aussi l’utilité de certaines augmentations qui, faites à propos, préviennent pour l’avenir des dépenses plus considérables. C’est ce qu’a fort bien démontré M. Vitet, quand il a combattu la réduction proposée sur la somme consacrée à la conservation d’anciens monumens historiques. En effet, une pareille économie entraînerait la ruine de monumens précieux, ou en rendrait plus tard la conservation extrêmement coûteuse. Un membre de l’opposition, M. Léon de Maleville, n’a pas moins insisté que M. Vitet sur le maintien du crédit, que la chambre a voté intégralement. Les intérêts élevés des arts et des lettres ont trouvé dans le parlement des sympathies tutélaires. La chambre n’a pas voulu réduire les subventions aux théâtres royaux. Sur l’importante question du Théâtre-Français, elle était complètement édifiée par les travaux de la commission administrative qu’avait instituée l’hiver dernier M. le ministre de l’intérieur. Cette commission s’est livrée à une enquête approfondie, et les résultats de cette enquête ont été présentés d’une manière fort remarquable par M. Vivien dans un rapport qui a pour conclusion un projet de réforme dont les bases ont été adoptées par l’administration. C’est en ayant sous les yeux cet intéressant document que la commission du budget a pu apprécier les diverses causes du malaise de la Comédie-Française, et les moyens les plus propres à en arrêter les effets. Rien n’est plus utile pour activer les délibérations parlementaires que ces grands travaux préparatoires où se trouvent concentrés tous les élémens d’une question. De cette façon, les chambres peuvent voter sur des matières délicates en parfaite connaissance de cause, sans cependant entrer dans des détails qui ne conviennent pas toujours à de grandes assemblées.

À mesure que se déroule la discussion du budget, discussion laborieuse et souvent agitée par d’orageux incidens, nous approchons du terme de la session. Si nous jetons un coup d’œil sur les six mois qui viennent de s’écouler, nous les trouvons plus féconds en leçons pour l’avenir qu’en résultats positifs. Au moins, qu’à défaut de travaux importans ces leçons ne soient pas perdues. Le ministère doit être convaincu maintenant qu’il y a pour lui une impérieuse urgence de prendre l’initiative des sages réformes et des améliorations nécessaires. En adoptant cette conduite, il ne cédera aux exigences, aux fantaisies de personne, mais à la force des choses, à l’autorité souveraine des faits. Il connaît aujourd’hui la chambre de 1846, il en a expérimenté les sentimens et les tendances. Toute chambre nouvelle a une activité, une ambition, qui demandent un aliment. C’est ce qu’avait trop oublié le cabinet, et il a pu regretter d’avoir trop abandonné la chambre à elle-même, de ne pas l’avoir tenue en haleine par des travaux qui avaient d’ailleurs leur opportunité dans des causes de toute nature. Il y a pour un ministère quelque chose de plus inquiétant qu’une chambre exigeante ou agitée, c’est une chambre oisive. C’est dans le far niente parlementaire que s’amoncèlent les orages. Nous ne doutons pas que les esprits politiques du cabinet ne soient résolus à mettre à profit l’intervalle de la session pour préparer les projets, les mesures, qui devront, l’hiver prochain, occuper les chambres. C’est moins que jamais, pour le pouvoir, le temps des doux loisirs : c’est le temps au contraire d’un redoublement de vigilance, d’application et d’énergie.

La chambre, qui a voté rapidement le budget des affaires étrangères, a entendu les explications de M. Guizot sur nos relations avec la Suisse. L’indépendance de la Suisse est non-seulement inviolable en principe, mais elle est un intérêt de premier ordre pour la France, qui doit toujours la maintenir. Après cette déclaration formelle, M. le ministre des affaires étrangères a défendu l’esprit de la note que M. de Bois-le-Comte avait laissée le 2 juin entre les mains de M. Ochsenbein, président du directoire. Il a affirmé que cette note ne contenait que des avertissemens et des conseils, tels qu’on en peut donner à des voisins et à des amis. On ne saurait, au surplus, bien apprécier le langage du représentant de la France, si l’on oublie ou si l’on ignore dans quel état d’effervescence est aujourd’hui la Suisse. Dans les derniers jours de mai, le grand conseil de Berne donna ses instructions aux députés à la diète ; on agita alors au sein du grand conseil les thèmes les plus irritans, tels que la dissolution immédiate du Sonderbund, l’expulsion des jésuites de la Suisse par tous les moyens dont la diète pourrait disposer, la révision du pacte fédéral par une assemblée constituante, nommée en proportion de la population. Ces propositions et d’autres motions analogues furent adoptées à des majorités de 120, 130, 145 voix sur 152. Le grand conseil procéda ensuite à la nomination de 3 députés à la diète fédérale. M. Ochsenbein, ancien commandant des corps francs, fut nommé premier député, chef du conseil d’état, et, comme tel, président du vorort, à la majorité de 99 voix sur 154 ; M. Schneider fut élu second député, et M. Staempfli, qui a fait également partie des corps francs, a été désigné comme le troisième. Il ne faut pas oublier non plus que dans la séance du 31 mai, où il prononça son acceptation du mandat de député, M. Ochsenbein déclara qu’il était prêt à soutenir, comme chef de la diète, la même cause qu’il avait servie comme général à la tête des corps francs, et à laquelle il promettait de consacrer son existence. Quelques jours auparavant, dans la séance du 27 mai, qui précéda sa nomination, M. Ochsenbein avait dit en propres termes que le Sonderbund n’était pas né des corps francs, mais que c’étaient les corps francs qui étaient nés de la conduite des cantons composant le Sonderbund.

On aura l’explication d’un langage aussi vif dans la bouche du président de la diète, si l’on songe à l’influence tyrannique exercée par les clubs radicaux, auxquels les chefs de l’état se voient forcés d’obéir. Ces clubs marchent avec exaltation à leur but, qui est l’unitarisme de la Suisse, et ils dominent le gouvernement. C’est au milieu de cette fermentation que M. de Bois-le-Comte dut faire la visite d’usage à M. Ochsenbein, président du directoire. Le langage de M. Ochsenbein avait changé la situation. Le nouveau président du directoire avait glorifié les corps francs, contre lesquels le gouvernement français avait, en 1845, énergiquement protesté. Aussi notre représentant crut-il devoir rappeler cette protestation, dans la crainte que son silence ne parût un abandon des principes que la France, il y a deux ans, avait invoqués. Après avoir remis son discours écrit à M. Ochsenbein, M. de Bois-le-Comte eut avec lui une conférence qui ne dura pas moins d’une heure, et dont plusieurs détails, à ce qu’il paraît, ne tardèrent pas à être connus des clubs radicaux, grace à la présence du chancelier fédéral, M. Amrhym, qui assistait le président du directoire. On trouva au club de l’Ours que M. Ochsenbein avait écouté trop tranquillement les observations de M. de Bois-le-Comte sur l’état de la Suisse. M. Ochsenbein est en face d’exigences et de passions révolutionnaires qu’il aura de la peine à contenter.

Il serait déplorable que ces exigences et ces passions finissent par allumer en Suisse une guerre civile, où le fanatisme politique serait encore envenimé par l’intolérance religieuse. Des deux côtés, les passions sont vives et les convictions profondes. Les catholiques sont énergiquement résolus à défendre leurs droits, qui, selon eux, sont expressément stipulés par le pacte fédéral. Leurs adversaires leur répondent que le principe fondamental du pacte est que la diète doit pourvoir à la sûreté de la Suisse ; or, les jésuites compromettent cette sûreté, et la majorité doit prononcer leur expulsion. C’est sous l’inspiration ardente de ces opinions que les corps francs se sont levés, et qu’on a vu dans leurs rangs des pères de famille qui avaient quitté leurs maisons, leurs enfans, pour sceller de leur sang le triomphe de leurs principes. Il y a aussi chez les adversaires des catholiques un désir secret de prendre une revanche de leur défaite de Lucerne. La Suisse sera-t-elle assez malheureuse pour que ces passions l’emportent sur son véritable intérêt, qui est de maintenir la constitution fédérale, tout en la perfectionnant dans ses détails ? « La Suisse doit rester ce que la nature l’a faite, c’est-à-dire une réunion de petits états confédérés, divers par le régime comme ils sont par le sol, attachés les uns aux autres par un simple lien fédéral qui ne soit ni gênant, ni coûteux. Il faut aussi faire cesser les dominations injustes de canton à canton. Il importe que l’égalité véritable, celle qui fait la gloire de la révolution française, triomphe en Suisse ; que tout territoire, tout citoyen soit l’égal des autres en droits et en devoirs. Ces choses accordées, il faut admettre non pas les inégalités, mais les différences que la nature a établies elle-même en Suisse. Je ne comprends pas la Suisse sous un gouvernement uniforme et central comme celui de la France. On ne me persuadera pas que les montagnards descendans de Guillaume Tell puissent être gouvernés comme les riches habitans de Berne ou de Zurich. » Qui a donné ces conseils à la Suisse ? Ce n’est ni un jésuite, ni un Autrichien, c’est Napoléon.

On attend encore la décision du cabinet relativement au gouvernement général de l’Algérie. Heureusement, de tous les points de notre colonie, les nouvelles confirment le maintien de la tranquillité. La frontière du Maroc, d’où paraissent désormais devoir nous venir les difficultés les plus sérieuses, n’inspire en ce moment aucune inquiétude. Abd-el-Kader, qui avait tenté de se rapprocher de la Moulouia pour entraîner les Beni-Senassen à le suivre sur le territoire algérien, a dû reprendre son ancien campement, après avoir vu ses excitations très froidement accueillies. La position de l’émir est dans ce moment bien plus menaçante pour le Maroc même que pour l’Algérie. En effet, son influence croissante sur les tribus qui environnent la deïra n’est pas le résultat de l’enthousiasme pour la guerre sainte, mais l’expression de la nécessité pour ces montagnards de se rallier à une autorité vigoureuse qui les sauve des dangers et des malheurs de l’anarchie intérieure. Du côté de la frontière de Tunis, notre situation est encore mieux assurée. La grande tribu des Nemencha, qui avait fui devant les trois colonnes opérant sur son territoire, a depuis fait sa soumission à un détachement de troupes laissé aux environs de Tebessa. Le Sahara est entièrement pacifié, et on commence à nouer des relations commerciales avec les oasis méridionales. La Kabylie est jusqu’à présent dans un état paisible qui ne parait pas devoir nous faire repentir des expéditions par lesquelles nous avons hâté l’établissement de la domination française dans ces contrées. Pendant que la fin de la campagne du printemps marque pour l’armée une période de repos, la direction des affaires de l’Algérie, au ministère de la guerre, ouvre sa campagne administrative avec activité. Déjà même avant les encouragemens et les conseils que la chambre des députés lui a adressés dans la discussion de la loi des crédits extraordinaires, elle avait préparé des projets pour développer l’établissement d’une société civile sur le territoire conquis et pacifié par nos armes. En ce moment, plusieurs projets d’ordonnance sont soumis aux délibérations du conseil d’état. L’organisation des conseils municipaux, la naturalisation des étrangers en Algérie, l’abolition de l’esclavage, la création d’un régime hypothécaire, des modifications au code de procédure civile en matière de saisie immobilière, telles sont les questions importantes qui vont bientôt recevoir une solution. Voilà d’utiles travaux ; mais que le gouvernement n’oublie pas que l’organisation intérieure de la colonie et ses destinées doivent être mises le plus tôt possible sous la sauvegarde d’une autorité supérieure confiée à d’habiles mains.

La querelle d’étiquette si malheureusement survenue entre la Porte et le cabinet d’Athènes approche enfin de son terme ; les dernières nouvelles d’Orient ne peuvent plus laisser de doutes à cet égard. Nous en félicitons vivement la Turquie et la Grèce, qui ont l’une et l’autre besoin de calme, et qui ont tant à gagner au maintien de leurs bons rapports. C’est la médiation de l’Autriche qui a préparé les voies d’une réconciliation entre les deux pays ; demandée par M. Coletti, cette médiation a été acceptée à Constantinople, et elle a eu pour premier effet l’abandon des mesures de rigueur arrêtées par le divan contre le commerce grec et les sujets hellènes établis en Turquie.

La bienveillance constante témoignée par le cabinet de Vienne à l’administration actuelle de la Grèce, les efforts qu’il n’a cessé de faire pour dissiper d’injustes préventions et réduire à leur valeur des attaques passionnées, indiquaient tout naturellement M. le prince de Metternich comme le meilleur intermédiaire à choisir dans un différend où la politique de l’Autriche, moins engagée que celle des autres puissances, ne pouvait apporter que l’intérêt de la paix. Les rancunes de la Porte contre un état affranchi de son joug avaient été ravivées ; lord Palmerston avait cru entrevoir, dans une question minime en soi, mais de nature à mettre en jeu les amours-propres, qui ne raisonnent pas, un moyen de renverser avec éclat le ministère présidé par M. Coletti, et de ramener, dans des proportions secondaires, il est vrai, un accord des grandes puissances sur un point où il a plu à l’Angleterre, sans que ses intérêts lui rendent nécessaire une semblable attitude, de se mettre en lutte ouverte avec la France. Des souvenirs sans application possible ont, dans cette circonstance, égaré l’humeur pétulante du ministre de 1840 ; la Russie n’a pas voulu le suivre sur un terrain qu’elle connaît trop bien pour l’agiter à la légère, et l’Autriche et la Prusse n’ont pas hésité à joindre leurs efforts à ceux de la France pour retenir dans ses limites purement diplomatiques un démêlé d’étiquette. Dans ce démêlé, il faut le reconnaître, le caractère officiel de l’envoyé du sultan avait reçu une atteinte ; le gouvernement grec se déclare prêt à la réparer, mais du moins il n’agira pas sous le coup d’un ultimatum menaçant, il ne s’exécutera pas dans un délai de trois jours, la dignité du trône ne sera pas compromise par une démarche faite au nom du roi. M. Mussurus, invité à revenir à Athènes, y recevra simplement l’assurance d’un accueil bienveillant, de l’accueil dû au représentant d’une puissance voisine et amie. De son côté, la Porte, prenant en considération les faits qui se sont passés, annonce l’intention de donner promptement un successeur à son ministre, dont la situation serait difficilement compatible avec des souvenirs que des regrets n’effaceraient jamais complètement. À notre avis même, et ce conseil sera certainement donné par les amis sincères de la Turquie, il serait plus digne et en même temps plus habile de la part du divan de décider le sultan à se contenter de l’offre qui lui est faite de recevoir à Athènes M. Mussurus. Cette démarche du cabinet grec sauvegarde les principes diplomatiques ; elle était nécessaire, mais nous ne pouvons voir, dans la présence momentanée à la cour du roi Othon d’une personne impliquée en grande partie par sa faute dans un débat fâcheux, qu’une satisfaction superflue et moins faite que la générosité pour rétablir sur un pied solide des relations interrompues. Nous ne quitterons pas ce sujet sans dire que depuis cinq mois, dans des circonstances souvent délicates, nos agens à Constantinople et à Athènes n’ont cessé de faire entendre le langage le plus sensé et le plus net, et que leur fermeté n’a pas peu contribué à préparer la solution d’une difficulté que des passions étrangères voulaient grossir pour la tourner ensuite contre nous.

Les nouvelles intérieures de la Grèce sont aussi fort satisfaisantes. Les opérations électorales doivent être commencées partout, et personne ne met en doute le triomphe du ministère. À ce propos, nous dirons que, si nous avons en Grèce des sympathies, nous n’y avons aucune antipathie, et nous regrettons qu’entraînés dans une voie mauvaise, des hommes qui auraient pu rendre encore d’utiles services à leur pays se soient eux-mêmes condamnés à l’impuissance et à la défaite.

La vigueur des autorités locales a purgé l’Acarnanie de quelques chefs de brigands, pour la plupart étrangers au pays, et venus, les uns de la Turquie, les autres des îles Ioniennes. L’Acarnanie, du reste, est le seul point de la Grèce où la tranquillité ne soit pas aussi parfaite que dans les autres provinces ; la configuration du sol, d’anciennes habitudes guerrières, le voisinage de la frontière turque et celui de Zante et de Céphalonie, que lord Palmerston devrait moins oublier quand il adresse ses reproches à M. Coletti, expliquent cet état de choses. Partout ailleurs, il faut le répéter, l’ordre est complet, et l’on peut prédire que, sauf peut-être quelques rixes locales, presque inévitables dans un mouvement électoral auquel le peuple entier prend part en vertu du droit de suffrage universel, cette grande opération s’accomplira à l’honneur de la Grèce et du gouvernement qui la dirige. La nouvelle chambre s’assemblera sans doute dans les premiers jours du mois d’août. Elle est appelée à un rôle important. La Grèce est fatiguée des agitations politiques ; le développement de son commerce maritime, les progrès de son agriculture, réclament toute son attention et tout son temps. Les dispositions laborieuses d’un peuple qui veut faire fortune, et sa vive intelligence, créent au gouvernement de grandes facilités, mais lui imposent aussi des devoirs. M. Coletti va rester vainqueur de la lutte que ses adversaires ont imprudemment provoquée ; nous ne doutons pas qu’il n’apporte la mène volonté, la même énergie et le même bonheur à la seconde moitié de sa tâche, qui comprend l’organisation du pays, la mise en valeur de ses ressources et la libération de sa dette.

Un motu-proprio du 14 juin vient d’instituer à Rome un conseil des ministres ; jusqu’à présent, l’expédition des affaires était abandonnée à l’initiative isolée de chaque chef de département ; nul accord, nulle pensée commune qui reliât entre elles les diverses branches de l’administration. Désormais tous les actes du gouvernement seront discutés au sein de cette assemblée, dont les différens membres deviendront ainsi solidaires des résolutions soumises au souverain pontife. Le nouveau conseil, qui doit entrer en fonctions le 1er juillet, sera composée de trois cardinaux : le cardinal secrétaire d’état président, le cardinal camerlingue, le cardinal préfet des eaux et forêts ; de trois-prélats di fiocchetto, monsign. l’auditeur de la chambre, monsign. le gouverneur de Rome, monsign. le trésorier, et du président des armes. Il se réunira une fois par semaine, sans préjudice des séances extraordinaires que le besoin des affaires pourra réclamer. Cette nouvelle réforme est assurément la plus importante qu’ait accomplie jusqu’ici le souverain pontife ; en détruisant l’omnipotence du secrétaire d’état et des autres cardinaux hauts fonctionnaires, elle fournit en même temps au gouvernement pontifical l’occasion d’établir l’ordre des attributions et la distinction des pouvoirs, jusqu’ici étrangement confondus, et d’attaquer à la racine le vice fondamental de l’administration romaine. Cette pensée se trouve nettement exprimée dans l’exposé des motifs du décret du 14 juin, à la fin duquel le pape, énumérant les inconvéniens et les abus engendrés par l’ancien état de choses, ajoute ces paroles remarquables : « Les formes de gouvernement doivent se modifier selon le temps et les circonstances ; ce qui pouvait n’être ni nécessaire ni opportun autrefois est nécessaire et opportun aujourd’hui. » Assurément, voilà une phrase que le monde ne se serait pas attendu, il y a quinze mois, à voir tomber du haut du Vatican.

Lorsque de telles assurances partent de la chaire de saint Pierre, lorsque le chef de l’église convie lui-même son peuple à la liberté, il est aisé de comprendre la vénération passionnée dont la personne de Pie IX est l’objet dans toute la péninsule. Suspendue à la bouche de son amorosissimo padre, l’Italie recueille avec avidité chaque nouvelle déclaration, qui, en consacrant un nouveau droit, renferme une promesse pour l’avenir. Par une transformation que notre siècle ne pouvait ni prévoir ni espérer, le nom du pape est, depuis un an, le symbole du progrès et des réformes, le drapeau sous lequel l’Italie marche à la liberté, sans que rien au monde soit désormais capable de l’arrêter : réformes pacifiques, progrès sans trouble, puisque l’initiative vient des souverains, soutenus par l’opinion publique. Plus d’une nation occupée à défendre en ce moment ses libertés les armes à la main pourrait bien profiter d’un aussi salutaire exemple ; ce serait, sans contredit, le plus sûr moyen d’éviter toute intervention étrangère. Il est vrai de dire que le même bon esprit ne se rencontre pas chez tous les gouvernemens.

Nulle part peut-être cet accord du souverain et du peuple pour la réalisation des améliorations morales et matérielles ne s’est manifesté plus vivement qu’en Toscane ; la Toscane a la première ressenti l’influence du mouvement des états romains, et l’une des premières conséquences de l’agitation des esprits a été l’établissement d’une loi de censure plus libérale. Bien qu’une assez grande tolérance permît l’introduction et la circulation des journaux étrangers, l’action de la presse italienne n’avait pu jusqu’à présent s’exercer que d’une manière clandestine. La promulgation des ordonnances qui ont réglé cette matière dans les états romains a déterminé le grand-duc Léopold à promulguer le décret du 6 mai. Cette mesure dépassait toutes les espérances : aussi fut-elle d’abord accueillie avec une certaine méfiance ; mais, si quelques doutes ont pu s’élever sur les intentions qui l’ont dictée, les circulaires du 1er juin sur le nouveau régime de la presse et les faits accomplis depuis deux mois les ont entièrement détruits. Aujourd’hui la Toscane a une tribune où elle peut discuter les actes du gouvernement, exprimer ses vœux et formuler ses plaintes, et elle en use sans que rien soit encore venu troubler sa sécurité. Plusieurs journaux ont déjà paru, d’autres sont annoncés prochainement. A Florence, l’Alba est rédigée par M. La Farina, littérateur sicilien ; la Patria se publiera bientôt sous la direction de MM. l’abbé Lambruschini, le baron Bettino Ricasoli et l’avocat Salvagnoli. L’Italia a été fondée à Pise par deux professeurs distingués de l’université, MM. Montanelli et Centofanti ; Sienne et Livourne auront aussi leur journal : celui de Livourne, il Corriere di Notizie italenne, est plus spécialement destiné à la défense des intérêts commerciaux et maritimes. Réforme et nationalité, telle est leur devise commune. Enfin une revue mensuelle, la Fenice, sous la direction de M. Vieusseux, paraîtra avant la fin de l’année, et, renouant la tradition interrompue de l’ancienne ontologie de Florence, résumera le mouvement littéraire de la Toscane et de toute la péninsule.

L’établissement d’un régime nouveau pour la presse ne pouvait être un fait isolé. Le gouvernement du grand-duc l’a sagement compris. Ainsi que l’a fait en Piémont le roi Charles-Albert, il a songé à donner un code à la Toscane. Un motu proprio du 31 mai a institué deux commissions chargées de rédiger un code civil et un code pénal. La commission du code pénal a pour mission expresse de mettre un frein à la direction arbitraire de la police. Le même décret renferme la promesse d’une consulte d’état, et, dans une communication ministérielle adressée au surintendant-général des communes, le gouvernement annonce, pour le mois d’août prochain, une assemblée des provéditeurs des cinq chambres (arrondissemens) dont se compose le grand-duché, des gonfaloniers (maires) des principales villes, et de plusieurs notables, au choix du souverain. Cette réunion devra s’occuper de la réforme du système municipal. Ce n’est point là une représentation nationale ; mais ces mesures établissent un droit important, celui d’examen, de remontrance et de consultation.

Voilà bien des pas faits en peu de temps et dans une voie que l’Italie avait jusqu’ici ignorée, la voie de la légalité. Nous avons la confiance qu’elle s’y maintiendra jusqu’au bout, et ne compromettra, par aucune démarche inconsidérée, l’œuvre si heureusement commencée. C’est une condition d’existence pour le parti libéral en Italie. Quant à nous, placés à distance et à un point de vue désintéressé, il nous est possible de juger et d’apprécier les faits sans passion, et d’indiquer les écueils dont la route est semée. L’expérience acquise par cinquante années de luttes ne doit pas être perdue pour les populations qui naissent à la vie politique, et leur peut épargner les épreuves d’une longue et pénible initiation.

Il ne conviendrait pas d’attribuer trop de gravité à certaine effervescence populaire qui s’est produite dernièrement à Livourne et à Pise, à l’occasion de l’anniversaire de l’exaltation de Pie IX. Par une coïncidence malheureuse, le gouvernement avait publié, peu de jours auparavant, une loi contre les rassemblemens ; il eût été peut-être à la fois habile et prudent de choisir une époque plus convenable et de ne pas la promulguer à la veille d’une manifestation attendue. Le peuple a vu dans cette circonstance une provocation. A Pise, les étudians et la masse de la population se sont portés, le 16 juin, au palais du gouverneur, qui a eu le bon esprit d’accorder ce qu’il ne pouvait empêcher, et la fête s’est célébrée sans trouble. A Livourne, l’autorité a cru devoir résister et a fait fermer les portes de la cathédrale au peuple, qui, accouru en foule sur la place publique, a forcé les prêtres à chanter le Te Deum en plein air, et s’est ensuite répandu dans les rues en déchirant la notification du gouvernement. Un blâme sévère a accueilli ces démonstrations, et la presse de Florence s’est justement élevée contre des actes qu’il convient de prévenir dorénavant, si l’on ne veut pas fournir le plus léger prétexte aux ennemis de la liberté.

Le gouvernement de la Toscane ne poursuit pas avec moins d’activité que celui de la Sardaigne la construction de ses chemins de fer. Un nouveau tronçon de la ligne de Livourne à Florence vient d’être livré à la circulation : c’est l’espace compris entre Pontedera et Empoli, représentant un quart de la longueur totale. C’est le 21 juin qu’a eu lieu l’inauguration à laquelle présidait l’évêque de San-Miniato, au milieu d’un concours considérable. La dernière fraction, celle d’Empoli à Florence, ne pourra être terminée qu’à la fin de 1848, à cause des obstacles nombreux que rencontrent les travaux dans la vallée étroite et tortueuse de l’Arno. On travaille à la fois sur la ligne de Sienne à Empoli et sur celle de Florence à Pistoja par Prato. La ligne de Lucques à Pise est en pleine exploitation. Il n’est pas inutile de remarquer que, depuis cinq années que date l’établissement des chemins de fer en Toscane, on n’a pas eu encore à enregistrer un seul accident sur ces différentes lignes.

Ainsi que nous le faisions remarquer dernièrement, la question des chemins de fer est pour l’Italie, plus que pour tout autre pays, une question de nationalité. L’abolition des douanes intérieures et la liberté des échanges entre les divers états en sont la conséquence forcée, comme le prouve la convention que viennent de conclure les deux gouvernemens,de Toscane et de Lucques. La frontière qui les séparait a été supprimée. La Toscane prend à sa charge, moyennant une certaine somme, la garde, le service et l’exploitation des douanes extérieures du duché de Lucques, et la ferme des objets de monopole, le sel, le tabac, les cartes à jouer et la loterie. La jonction de Lucques à Pise par un chemin de fer a produit l’union douanière des deux pays : les mêmes causes amèneront sur d’autres points les mêmes effets ; mais avant que les duchés de Parme et de Modène, reliés à la Toscane par la prolongation du chemin de fer de Pistoja, et les états romains par celui de Sienne, voient tomber les barrières de douanes qui les séparent, l’établissement d’un tarif uniforme qui fera cesser la contrebande, l’ouverture de routes plus directes, les communications plus multipliées, peuvent réaliser un résultat immédiat et fournir un exemple utile à suivre au reste de la péninsule.



REVUE LITTÉRAIRE
LE THÉÂTRE ET LES LIVRES

Dans la littérature comme dans la vie, chacun, en regardant autour de soi, peut aisément reconnaître trois générations, trois groupes distincts : les hommes qui ont commencé à penser et à agir avant que les idées qui dominent fussent développées ou pressenties ; ceux qui, arrivés au moment où ces idées se faisaient jour, en ont été les interprètes ; ceux enfin qui, venus plus tard, hésitent à se joindre aux groupes déjà formés. Le monde de la pensée a donc ses vieillards, comme il a ses adultes et ses enfans, et même, grace à un penchant qui tient aux plus secrètes vanités du cœur, les deux générations extrêmes tendent souvent à se rapprocher l’une de l’autre, plutôt que de s’associer à celle qui représente la virilité du talent. S’il arrive, en outre, que celle-ci se laisse égarer ou amoindrir, si l’inaction de quelques-uns et les excès de plusieurs amènent une lacune et déconcertent les premières espérances, cette lacune est ordinairement remplie par la vieillesse et l’enfance. Pourquoi les salons sont-ils si tristes et le monde si ennuyeux ? disait récemment une femme d’esprit ; c’est qu’on n’y rencontre que des hommes de dix-huit ans ou de soixante. Il en est de même au théâtre. Les pièces qu’on y joue depuis quelque temps sont tantôt juvéniles sans être originales, tantôt surannées sans être sérieuses, et portent l’empreinte de la caducité ou de l’inexpérience.

Parmi les inconvéniens de cette situation, il en est un d’un effet plus général et que je dois signaler : c’est que, peu à peu, le théâtre perd tout son intérêt : pour les hommes dont les avertissemens ou les éloges peuvent avoir quelque influence sur notre avenir dramatique. Autrefois il y avait là une source féconde de curiosité, non-seulement pour les lettrés, mais même pour l’élite des gens du monde, pour ceux qui, aimant à cultiver leur esprit sans rechercher l’occasion de le produire, apportent dans les discussions d’art la sincérité de leurs impressions et la délicatesse de leur goût. C’est ainsi que s’exerçait cet enseignement mutuel, cet échange de leçons ingénieuses et de spirituel patronage qui faisait du théâtre une partie importante de la littérature, une préoccupation constante de la société polie. Les applaudissemens avaient alors toute leur valeur, parce qu’ils n’étaient donnés qu’avec discernement et mesure. Les arrêts de la critique avaient un sens, parce que ses rigueurs ou ses complaisances étaient soumises au contrôle du vrai public, dont elle était forcée de respecter l’opinion, sous peine de déchéance. Aujourd’hui, qui pourrait ranimer ces traditions à demi effacées ? Qui pourrait rétablir cette solidarité intelligente entre les auteurs et leurs juges ?

L’Odéon, avant de fermer ses portes, a donné, coup sur coup, une multitude de.pièces nouvelles, comédies, tragédies, drames, comédies et tragédies surtout, car ces deux formes de l’art semblent avoir aujourd’hui un attrait particulier pour les deux générations qui aspirent, l’une trop tôt, l’autre trop tard, aux succès dramatiques. C’est à la comédie que visent de préférence nos jeunes auteurs : or, pour écrire la comédie, il faut avoir vécu ; ce n’est pas dans les rêveries de l’adolescence, dans les espiègleries et les enfantillages d’une verve qui s’essaie, qu’on peut trouver ce trésor d’observations, cette connaissance approfondie de l’humanité, cet art de réunir en un seul type mille traits épars et patiemment recueillis, auxiliaires indispensables au génie du poète comique. Aussi, que rencontre-t-on presque toujours dans les plus remarquables de ces tentatives ? D’heureux détails, des velléités d’élégance et de fantaisie, l’ingénieux développement de quelque délicat paradoxe ; rien de plus. Au lieu d’entrer profondément dans un sujet, de serrer de près l’homme, cet éternel et inépuisable modèle, l’inspiration se joue alentour avec une sorte de grace aimable, mais enfantine on sourit et l’on passe outre.

Si les essais de comédie nouvelle offrent tous les défauts de la jeunesse, nous n’adresserons pas le même reproche aux tragédies que nous voyons reparaître, de temps à autre, à la surface de notre littérature, comme les débris d’un naufrage rapidement emportés vers l’oubli. Nous ne prétendons pas réveiller ici d’anciennes querelles, ni surtout proscrire une forme qui nous a valu, sous la main de nos grands poètes, de si magnifiques chefs-d’œuvre : c’est peut-être parce qu’elle offrait à leur génie plus de difficultés et d’entraves qu’ils ont trouvé dans la lutte un emploi plus complet et plus éclatant de leurs forces. Mais aujourd’hui la question n’est plus là ; l’art nouveau, en brisant ce vieux moule, a condamné ceux qui voudraient s’en servir encore à recomposer leurs figures avec ces morceaux et des débris. La tragédie, si j’ose ainsi parler, ne peut plus produire que des ouvres posthumes. Si nous voyons un artiste sincère s’obstiner encore dans cette voie, nous pouvons rendre hommage à ce que son œuvre révélera d’inspiration réelle ou de consciencieuses études ; mais nous devons être sans pitié pour ces tragédies à la suite, accourues de tous les points de la France, comme ces courtisans de l’ancien régime, qui affluaient à Paris le lendemain des restaurations ; couvres sans portée, sans avenir, où nous pouvons signaler encore ce caractère de vieillesse enfantine dont je parlais tout à l’heure. Nos théâtres pourraient jouer chaque année trente ouvrages du même genre, sans qu’il y eût profit pour personne, sans que la critique y trouvât les élémens d’une discussion instructive. Substituer une formalité à une lutte, remplacer les émotions d’une victoire disputée par des applaudissemens prévus qui ressemblent à un cérémonial plutôt qu’à une récompense, telle doit être, à la longue, la conséquence de ces exhibitions fâcheuses, qui discréditent l’art en discréditant le succès.

Chose singulière ! ces tragédies, conçues et écrites d’après des formules vieillies, ont un point de ressemblance avec ces comédies d’une allure trop jeune ; il y manque aussi l’intelligence du mouvement réel, des véritables idées de notre époque. On y retrouve les illusions d’écrivains abusés par un faux point de vue, et cherchant encore la vie là où elle n’est pas. Souvent aussi le milieu où on a vécu tend à rendre la méprise plus complète. Ainsi un poète de province, un acteur tragique, sont tombés dans la même erreur : ils ont pris le cercle habituel de leurs prédilections ou de leurs études pour le champ des idées contemporaines, et l’atmosphère où ils vivent pour l’air que nous respirons. Ils ont cru pouvoir ressusciter, l’un les fantômes de ses soirées, l’autre les souvenirs de ses lectures, et, dans ce milieu factice, ils ont oublié le vrai monde, le monde des vivans, celui qui palpite et se meut sous le regard qui l’observe, sous la main qui l’interroge.

Nous devons, au sujet d’une de ces récentes tragédies, ajouter une remarque, c’est qu’il serait bon que les sociétaires du Théâtre-Français n’écrivissent pour ce théâtre qu’avec une extrême circonspection ; ils ont le dangereux honneur d’être à la fois un jury et une aristocratie, c’est-à-dire d’avoir des ennemis et des envieux. Ils doivent mettre d’autant plus de soin à ne jamais justifier les attaques, qu’ils sont plus souvent et plus injustement attaqués. Je sais qu’on peut me répondre par de glorieux exemples, et que plusieurs comédiens, à commencer par Molière, ne se sont pas trop mal tirés de leur double tâche d’acteurs-poètes ; aussi mon observation est-elle générale plutôt qu’absolue, et je me borne à constater que les tragédies comme celles dont je parle sont plus communes que les hommes comme Molière.

Au reste, il est plus facile d’écrire contre la Comédie-Française de pitoyables pamphlets, et de proposer un spécifique, à l’instar de MM. Josse et Guillaume, dans la première scène de l’Amour médecin, que de remédier d’une manière efficace à une situation fâcheuse. Croit-on que ce soit en faisant intervenir l’arithmétique dans la littérature, en chicanant sur les noms propres, en remplaçant, au gré de tous les caprices personnels, les acteurs anciens par de nouveaux acteurs qu’on parviendrait à dissiper le malaise qui existe ? Le rôle de la critique est de remuer non des chiffres, mais des idées. Parler de l’art en homme ; d’affaires, traiter les établissemens littéraires comme des entreprises industrielles, chercher à surprendre l’attention publique par la substitution du calcul au raisonnement, quelquefois même du scandale à la discussion, ce n’est qu’abaisser les lettres et donner à notre époque un triste spectacle de plus. Comment s’étonner d’ailleurs de voir se multiplier parmi nous ces témoignages de la haine impuissante ? Toutes les avenues intellectuelles sont obstruées par une foule avide qui se pousse, se presse, s’agite, et veut arriver, non pas en s’élevant jusqu’au but, mais en le faisant descendre à son niveau. Contre-sens bizarre et fatal ! les professions pour lesquelles il suffirait d’une certaine culture d’esprit et d’une aptitude médiocre n’offrent à cette multitude d’aspirans qu’un nombre limité de places ; une fois ces places prises, toute espérance est interdite ou ajournée. L’art, la littérature, cet exercice suprême des facultés de l’esprit, pour lequel il faudrait nue vocation spéciale et par conséquent fort rare, présente, au contraire, à l’ambition un horizon sans bornes, un champ sans limites : les places n’y sont pas comptées ; elles sont prêtes à se multiplier, si les talens se multiplient ; et là justement ou il ne peut y avoir de succès que pour le très petit nombre, tout le monde prétend au succès. Aussi, voyez ce qui arrive : après les premiers mécomptes, plutôt que de s’avouer qu’ils se sont trompés, ces surnuméraires de la littérature se jettent dans les voies mauvaises. Ils n’étaient qu’imprudens, ils deviennent haineux ; ils n’étaient qu’aveuglés, ils se font hostiles. Si quelqu’un réussit à côté d’eux, ils l’attaquent et le déchirent ; ils se vengent sur lui des obstacles qu’il a surmontés et qu’ils n’ont pu vaincre. Ils déposent au bas de quelque journal obscur le venin de leur jalousie ou de leurs louanges intéressées ; ils cherchent, et souvent, hélas ! ils trouvent des hommes assez pusillanimes pour redouter leurs coups ou assez vains pour désirer leurs éloges : ils se font les familiers de l’orgueil d’autrui, ne pouvant assouvir le leur. On avait cru être artiste ou poète, on devient séide ou bravo : triste effet de ces vocations chimériques qui égarent tant d’imaginations et compromettent tant de destinées ! condition désastreuse qui fait de ces prétendus lettrés le plus cruel fléau des lettres, et les amène à blasphémer leurs premières croyances, à profaner l’objet de leur premier culte !

C’est à un principe analogue qu’il faut attribuer les progrès de cette concurrence, contre laquelle nous ne nous lasserons pas de protester. Diviser, c’est affaiblir : vous croyez élever de nouveaux temples à l’art véritable, et ce sont les faux dieux qui s’y installent. De bonne foi, est-ce en ouvrant de nouveaux théâtres que vous pourrez enrichir le répertoire ou compléter le personnel des théâtres qui existent, et qui se plaignent tous d’être dépourvus d’artistes et de pièces capables d’attirer la foule ? Vous voulez encourager, raffermir, et vous disséminez les forces au lieu de les concentrer ! Je ne voudrais, pour preuve à l’appui de mon opinion, que la situation présente de ce Théâtre-Historique, qui devait initier la foule à des émotions délicates et littéraires. Après nous avoir offert d’abord le regain d’un roman-feuilleton, puis une comédie dont le succès a été beaucoup plus comique que la pièce même, il n’a rien trouvé de mieux à nous donner que la traduction improvisée du plus mauvais drame de Schiller. Il serait peu généreux de revenir sur cette École des Familles, qui, fidèle à ses litigieux antécédens, a failli se faire transporter au Palais de Justice pour y rendre le dernier soupir. Il ne manque plus à l’auteur que d’envoyer des huissiers et du papier timbré au public récalcitrant, qui n’a pas consenti à s’aventurer sur la foi des panégyristes ! Lemierre, lorsqu’on donnait une de ses tragédies et que la salle était vide, ce qui arrivait presque toujours, avait l’habitude de dire : « Tout est plein, mais je ne sais où ils se fourre ont. » Aujourd’hui nous avons des poètes qui, non contens de parler comme Lemierre, soutiennent leur dire comme Chicaneau. Voilà pourtant ce qu’il en coûte pour avoir trop caressé les amours-propres d’auteur ! Le directeur du Théâtre-Historique a été sur le point de se voir forcé de jouer quarante fois de suite devant les banquettes. M. Hugo et Janin ont eu le déboire d’être choisis jusqu’au bout pour témoins de ce duel ridicule entre la vanité et le bon sens, et les treize juges qui avaient accueilli le pourvoi de l’École des Familles ont pu lire dans la préface qu’ils étaient les véritables auteurs de la pièce, et que M. Adolphe Dumas ne la signait qu’après eux, Chacun a été puni par où il avait péché.

Assurément, s’il y avait, dans tout le répertoire de Schiller, un drame qu’il convînt de laisser en repos, c’était celui d’Amour et intrigue. Ce drame a déjà été traduit deux ou trois fois, au boulevard, au Théâtre-Français, à l’Odéon ; en outre, il appartient à ce que j’appellerai la mauvaise manière de Schiller : ce grand poète, dans quelques-uns de ses premiers ouvrages, s’est surtout inspiré de cette métaphysique anti-sociale, résultat attrayant et dangereux de la philosophie du XVIIIe siècle commentée par la rêverie allemande. On comprend que ces idées d’émancipation, de révolte intellectuelle, répandues, comme des germes féconds, dans des esprits inquiets, romanesques, s’éveillant aux premières lueurs de la poésie moderne, devaient produire ces types singuliers, ces inventions maladives où les hiérarchies et les lois sociales sont sacrifiées à un idéal de vertu, d’amour et de grandeur, plus facile à rêver qu’à définir. C’est ainsi que, dans les Brigands, Charles Moor, en haine de la société, se fait voleur de grands chemins. Dans Intrigue et Amour, Schiller n’est pas allé aussi loin ; il s’est contenté de peindre une passion loyale et sincère, contrastant, par ses poétiques ivresses, avec les infamies et les misères d’une société corrompue. Seulement, pour rendre l’antithèse plus frappante, il a fait de ses deux amans des êtres extatiques, que leur amour environne d’une atmosphère sereine, éthérée, inaccessible aux bruits du monde, aux ames souillées qui s’agitent autour d’eux. Sans doute, cette opposition ne manque pas de grandeur ; cette lutte de l’idéal contre les intérêts positifs, de la passion romanesque contre l’ambition et la scélératesse, pouvait tenter un poète ; mais, plus énergique qu’habile et forcé d’écrire une tragédie bourgeoise, Schiller est descendu à des moyens de mélodrame, qui, dans la traduction, sont devenus tout-à-fait intolérables. Remarquez, en effet, que les scènes empruntées à l’histoire ou celles qu’agrandit et généralise l’élévation du sujet et des caractères sont bien plus faciles à transporter d’une langue dans une autre que ces drames domestiques où se reflètent, d’une façon plus particulière, les mœurs et la physionomie d’un peuple. Guillaume Tell, Hamlet, sont de tous les temps, de tous les pays, parce que le patriotisme et la rêverie, personnifiés dans ces types sublimes, échappent aux conditions restreintes de localité, et finissent par appartenir à l’humanité tout entière ; mais Ferdinand et Louise ! le musicien Miller et le secrétaire Wurm ! ôtez-leur leur tournure germanique, ôtez-leur cette teinte vaporeuse et indécise que garde, dans presque toutes ses inventions, la littérature allemande ; faites-les comparaître devant un public français, sur notre théâtre, où tout est net, où l’esprit s’accroche sans cesse aux angles et aux saillies, et ils deviendront tout simplement des personnages de mélodrame ; les incidens auxquels ils sont mêlés, le dialogue qu’ils récitent, nous paraîtront tout aussi forcés et beaucoup plus gauche : ; que ceux qu’emploient, au boulevard, les maîtres du genre. La traduction de M. Alexandre Dumas fait encore mieux ressortir cet inconvénient : elle est, pour ainsi parler, grossièrement littérale, c’est-à-dire que le traducteur, pour s’épargner la réflexion et le travail, a négligé de modifier, d’approprier à notre goût les parties du drame qui devaient nécessairement nous choquer, et qu’en même temps, emporté par la précipitation de sa plume, il a dépouillé de tout caractère l’œuvre de Schiller, substituant à la noble prose du poète allemand un langage à la fois vulgaire et emphatique. Sous prétexte de colorer son style, de donner aux épanchemens amoureux de Ferdinand et de Louise plus d’exaltation et de poésie, il a fait le plus étrange abus de ces images discréditées depuis long-temps, même sur la palette du drame moderne. Les étoiles, le ciel, les rayons, Dieu surtout, reviennent sans cesse dans ces tirades, qui devraient bien se souvenir un peu plus du précepte du Décalogue : Dieu en vain tu ne jureras ! C’est là, il faut le dire, une des manies de M. Dumas, toutes les fois qu’il veut faire du style élevé et poétique ; lorsqu’il est soutenu par la difficulté d’une situation, par la nécessité d’emporter d’assaut une position dangereuse ou d’accélérer, par la vivacité du dialogue, la marche des événemens, il retrouve encore son ancienne verve ; mais, dans les momens de calme, lorsqu’il ne s’agit plus que de faire chanter à ses amans cette immortelle mélodie de la passion partagée, il dépasse le but au lieu de l’atteindre, et sa prose constellée n’offre plus qu’un luxe trompeur de métaphores : paillettes fanées d’un manteau de prodigue.

Cette pièce d’Amour et Intrigue est donc, dans toute l’acception du mot, une œuvre de pacotille, dépourvue de toutes les conditions qui rendraient recommandables les traductions de drames étrangers. Nous comprenons très bien qu’il puisse y avoir un intérêt réel, une profitable étude dans cette tâche, toujours un peu ingrate, de traducteur ; mais il faudrait alors traiter avec un respect égal la langue à laquelle on emprunte et le public auquel on s’adresse. Que Goethe, illustre déjà par un grand nombre de créations admirables, ait voulu, pour se rendre successivement compte de toutes les formes de l’ art, traduire quelques chefs-d’œuvre des autres littératures ; que, dans son fief poétique de Weimar, entouré de toutes les splendeurs d’une royauté littéraire, il ait voulu initier ses compatriotes à des beautés nouvelles et inconnues, c’était là un imposant spectacle, aussi fécond en enseignemens qu’en jouissances, car Goethe apportait à ce travail l’attention patiente de son génie universel. Qu’à une époque de luttes et de tentatives, des poètes novateurs, jaloux de mettre en présence les deux systèmes dramatiques, se soient mesurés avec Shakespeare, et que M. de Vigny, par exemple, ait essayé de faire adopter à un public français l’Othello original, c’était là une généreuse entreprise, et l’intelligente fidélité de la traduction, la consciencieuse ciselure des détails, rendaient le drame de M. de Vigny digne du chef-d’œuvre qu’il nous faisait connaître et de la réforme littéraire à laquelle il concourait ; mais chercher dans Schiller ou Shakespeare une nouvelle branche d’industrie, recourir à eux, dans les heures d’épuisement, pour que rien n’arrête le mouvement de production, appeler le génie de ces grands poètes au secours d’une opération commerciale à laquelle on ne peut plus suffire seul et par soi-même, dilapider le bien d’autrui comme le sien, c’est faire dans la voie du mercantilisme littéraire un pas qu’il convient de signaler. M. Dumas, défigurant aujourd’hui Shakespeare et Schiller, ressemble à ces gens incorrigibles qui, après s’être ruinés eux-mêmes, ruinent leurs créanciers.

Le nom de M. Dumas, ce nom à la fois si populaire et si compromis, a appelé l’attention sur le volume de poésies que vient de publier son fils, sous le titre prétentieusement humble de Péchés de Jeunesse :

Gresset se trompe ; il n’est pas si coupable,

a dit Voltaire de l’auteur du Méchant ; on pourrait en dire autant de ces Péchés, qui me semblent fort innocens. Je m’attendais, sur le titre du livre, et, l’avouerai-je ? un peu aussi sur le nom du jeune auteur, à me trouver face à face avec un talent hardi, téméraire, un peu tapageur, ayant même cette pointe d’insolence et d’étourderie qui donnèrent tant de charme aux débuts poétiques d’Alfred de Musset. Au lieu de cela, ces Péchés de Jeunesse ne m’ont offert qu’un pastiche assez pâle de nos poètes, combiné avec une sagesse inquiétante. Se montrer si raisonnable n’est vraiment pas de bon augure. Les éternelles comparaisons de l’amour et de la prière, de l’ange et de la femme, de la fleur et de l’ame, toute cette poétique des Feuilles d’Automne et des Voix intérieures, reparaissent dans ce recueil, et défraient la partie élégiaque. Un reflet fort affaibli des Contes d’Espagne et d’Italie, voilà pour la partie amoureuse et cavalière. L’inspiration personnelle de l’auteur ne se manifeste que dans une pièce adressée à son père pendant un procès. Rien assurément de plus légitime, ou du moins de plus naturel que le filial enthousiasme de M. Dumas ; mais cet enthousiasme ne parait pas lui porter bonheur, lorsqu’il dit à son père de continuer à couler comme un vieux fleuve, sans doute pour abreuver les générations dévorées de la soif du feuilleton. Métaphore pour métaphore, j’aime encore mieux l’astre éclatant de Lefranc de Pompignan.

M. Dumas fils s’indigne, non sans raison, contre les hautaines et dédaigneuses paroles qui sont tombées, à cette occasion, de la tribune : nous croyons en effet que ces paroles étaient intempestives ; mais à qui la faute ? Si nos hommes de lettres, si nos écrivains célèbres se respectaient un peu plus eux-mêmes, à coup sûr on les respecterait davantage. Notre époque présente de bizarres anomalies elle a rapproché, Dieu merci, toutes les distances, effacé les distinctions de caste, proclamé la souveraineté de l’intelligence, et cependant jamais les artistes, les gens de lettres n’ont été parqués, pour ainsi dire, d’une façon plus évidente. Pourquoi cet isolement ? La littérature n’est-elle pas l’emploi le plus honorable des facultés de l’esprit ? Pourquoi si peu de nos illustres réussissent-ils à se faire prendre au sérieux par les hommes graves ? pourquoi semblent-ils des amuseurs et non des maîtres, des aventuriers et non des combattans ? C’est qu’ils ont eux-mêmes travaillé à se faire cette réputation dont ils se plaignent, à établir ces préventions qui les froissent. Au lieu de devenir les hommes d’une idée, d’une société, d’un temps, ils ont mieux aimé rester les hommes d’une coterie, s’entourer d’adulateurs, s’étourdir du bruit de leur renommée. Ils ont refusé d’accepter les conseils de la critique, les avertissemens du monde, et cet échange d’enseignemens et d’aperçus, qui est à la vie de l’intelligence ce que le commerce est à la vie matérielle. Peu à peu la société a cessé de les compter parmi ses forces véritables ; elle s’est divertie de leurs caprices, de leurs manies, de leurs équipées, comme elle se divertissait de leurs livres. Elle s’est accoutumée à voir en eux des êtres fantastiques comme leurs romans, invraisemblables comme leurs héros. Telle est la situation ; elle est triste, car elle compromet à la fois la littérature et les lettrés, les artistes et l’art ; elle contribue plus que tout le reste au gaspillage, à l’avortement de tant de facultés brillantes. Que nos écrivains consentent enfin à entrer dans le sérieux de l’intelligence, dans le sérieux de la vie ; qu’ils renoncent à ces factices jouissances d’une vanité puérile, à ces stériles louanges d’un cercle complaisant dont ils sont le centre, et qui, en les élevant au rang des dieux, les empêche d’être vraiment des hommes. Que, détrompés enfin sur la valeur de ces éloges, ils reconnaissent tout ce qu’il y a de faiblesse à les recevoir et d’avilissement à les donner ; qu’ils se retrempent dans le monde, dans la société, dans la vie réelle, dans les conseils sincères de leurs vrais amis, et ils seront bien vite relevés de cette déchéance passagère. Pour atteindre ce but désirable, deux choses seraient nécessaires : il faudrait que le talent sût entendre la vérité et que la critique sût la dire.


— L’histoire d’Espagne a été de notre temps étudiée avec une ardeur presque égale en-deçà comme au-delà des Pyrénées. Aujourd’hui encore des écrivains distingués, des esprits sérieux s’appliquent en Espagne et en France à éclairer les parties encore obscures de ce vaste sujet. Parmi ces écrivains, on ne sera pas surpris de rencontrer un de nos plus énergiques conteurs, qui n’a jamais demandé en vain ses inspirations à l’Espagne : nous avons nommé M. Prosper Mérimée. L’histoire de Pierre-le-Cruel l’occupe en ce moment, et M. Mérimée trouvera assurément dans cette page si dramatique des annales espagnoles un digne pendant à ses travaux sur la guerre sociale et sur Catilina. L’auteur de Colomba unit d’ailleurs une conscience bien rare au talent de l’historien. Déjà il avait presque terminé cette étude sur Pierre-le-Cruel, quand il a voulu la compléter par des documens recueillis en Espagne même, et de nouvelles recherches l’ont amené à refondre presque entièrement son travail. C’est à Barcelone surtout que M. Mérimée a été heureusement secondé, et que, grace à l’obligeance de don Prospero de Bofarrull, archiviste général de la couronne d’Aragon, il a pu étudier toutes les faces de son sujet, entouré des documens les plus précieux. On aime, en signalant ce concours prêté par un savant espagnol à un écrivain français, à ajouter que M. de Bofarrull vient d’être nommé chevalier de la légion d’honneur, sur la proposition de M. le ministre de l’instruction publique. L’archiviste d’Aragon est auteur d’une Histoire des comtes de Barcelone, ouvrage aussi remarquable par l’étendue des recherches que par l’excellente critique apportée dans l’examen et la discussion des documens. On doit encore à M. de Bofarrull le classement admirable des archives de Barcelone ; tous ceux qui ont visité ce vaste établissement ont pu apprécier l’ordre parfait établi par le conservateur, son exquise politesse, et la bienveillance avec laquelle il met son immense érudition au service de toutes les personnes, studieuses. Si la France arrive à mieux connaître, à mieux apprécier le glorieux passé de l’Espagne, ce sera grace à ces bonnes relations établies entre les écrivains et les savans des deux pays, relations déjà fécondes, et qui deviendront, il faut l’espérer, de plus en plus étroites.


— A côté des fugitives productions que multiplie la presse quotidienne, on voudrait pouvoir signaler moins rarement des livres qui n’aient pas été écrits en vue d’un public éphémère et que l’improvisation n’ait pas marqués de sa fâcheuse empreinte. Parmi ces livres qui, on ne peut le nier, nous ont toujours trouvés empressés à les distinguer, à les apprécier, souvent même à les accueillir, nous pouvons ranger trois publications récentes. Dans les Guerres maritimes de la révolution et de l’empire, de M. Jurien de Lagravière[1], nos lecteurs savent quel intérêt des connaissances spéciales et un remarquable talent de narrateur répandent sur des tableaux tracés avec une impartialité digne de l’histoire. Ce qui recommande les Voyages et aventures au Mexique, de M. Ferry[2], c’est la forme animée, dramatique de quelques récits où se révèle un vif sentiment des mœurs et de la nature mexicaine. Enfin, dans une suite d’études que la Revue a publiées en partie, c’est la physionomie de Paris contemplé dans quelques-uns de ses plus curieux aspects[3] que M. Esquiros a su reproduire avec une exactitude qui chez lui n’exclut pas l’émotion. Il y aurait mauvaise grace à insister long-temps sur le mérite de ces travaux là même où ils ont trouvé place ; mais nous avons quelque droit du moins de nous féliciter de la tendance qu’ils indiquent, et nous aimons à citer en regard des succès équivoques de l’improvisation les heureux efforts dur talent fécondé par la réflexion, fortifié par la patience.


— Tout le monde comprendra l’opportunité de l’écrit que M. Saint-Marc Girardin vient de publier sur l’instruction intermédiaire[4]. C’est un commentaire ingénieux du règlement de 1840, fait par M. Cousin, sur l’ensemble et la diversité des études de collége ; mais, dans ce commentaire, M. Saint-Marc a mis son esprit et ses vues. L’auteur a voulu faire pour les études telles qu’elles sont et telles qu’elles devraient être en France ce qu’il avait tenté déjà en 1835 et 1839 sur l’état de l’instruction intermédiaire dans le midi de l’Allemagne. Il veut qu’on tienne compte de l’état réel des collèges, qui offrent un aliment suffisant à toutes les vocations. Les écoles annexes qui ont été attachées aux collèges dans plusieurs villes, les cours de sciences et d’histoire naturelle, sagement gradués et laissés au choix des parens et des élèves, au lieu de leur être imposés comme obligatoires, témoignent assez que l’Université s’est mise au niveau des besoins du jour, et qu’elle est plus progressive dans ses lentes, mais sages modifications, que certaines maisons qui, sous prétexte de progrès, rendent les études encyclopédiques, c’est-à-dire le savoir superficiel, obligatoires à tous leurs disciples. L’auteur termine par une brillante apologie des études classiques et par des argumens nouveaux en faveur des littératures anciennes. Si nous n’étions convaincus d’avance, nous aurions été persuadés, rien qu’à voir combien la pratique de l’antiquité a donné de solidité et de relief aux argumens de M. Saint-Marc Girardin.



  1. Deux volumes in-18, chez Charpentier, 17, rue de Lille.
  2. Un volume in-18, chez Charpentier.
  3. Paris ou les sciences, les institutions et les mœurs au dix-neuvième siècle ; deux volumes in-8o, chez Jules Renouard.
  4. De l’Instruction intermédiaire et de ses rapports avec l’instruction secondaire. in-8, Paris, Jules Delalain. 1847.