Chronique de la quinzaine - 30 juin 1859

La bibliothèque libre.

Chronique no 653
30 juin 1859


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



30 juin 1859.

Unissons-nous d’abord à cette unanime manifestation de joie et d’orgueil qui a salué la victoire de Solferino. La guerre, il faut l’avouer, est pour la France une fête. Sans doute il ne manque point parmi nous d’esprits sensés qui éprouvent au contrôle de la raison les motifs d’une guerre tant que le pays demeure libre de choisir sa conduite, ni d’intérêts considérables et respectables qui résistent aux entraînemens militaires tant que la paix peut être conservée ; mais devant une nécessité supérieure les dissentimens s’effacent. Le vieux sang français retrouve son éternelle jeunesse, la France s’abandonne à l’ivresse des batailles : elle respire tout entière le souffle héroïque qui anime ses soldats. Ne parlez plus en de telles circonstances de ces accusations enfantées par l’esprit de parti, par lesquelles l’on imputerait à des adversaires une insensibilité impardonnable pour les intérêts et la gloire de la patrie. L’unanimité que nous venons de voir réfute noblement cette injustice ; elle révèle dans cette nation et à son honneur une force généreuse et une vertu que les vicissitudes politiques n’ont pu altérer.

Il ne nous est point permis d’apprécier avec précision les résultats militaires de la victoire de Solferino. Il faudrait pour cela non-seulement connaître les détails du combat, qui n’ont point été réunis encore ; il faudrait savoir aussi pourquoi cette bataille a été livrée par les Autrichiens, dans quel état elle a mis leur armée, et jusqu’à quel point elle peut compromettre la défense des forteresses du quadrilatère. La résolution qui a porté les Autrichiens à repasser le Mincio et à nous offrir la bataille sur la rive droite est peu facile à expliquer : elle entre bien dans ce caractère contradictoire qui a marqué la direction de l’armée autrichienne depuis le commencement de la guerre. Pour envahir le Piémont, l’Autriche ne craint point de s’aliéner les puissances qui lui avaient été le plus favorables dans les négociations et de braver l’opinion publique de l’Europe. L’on s’attend à la voir du moins tirer de cette témérité politique tout le profit militaire qu’elle peut offrir : on craint pour Turin ; on redoute que l’armée autrichienne ne vienne couper à Novi les communications entre les deux agglomérations de l’armée française en voie de formation, celle qui vient par les Alpes et celle qui arrive par la mer. Point du tout : l’armée autrichienne renonce à tous les avantages de l’offensive, et ne se préoccupe que de la défensive, gardant avec vigilance la ligne du Pô, qui ne sera point attaquée, et négligeant celle du Tessin, qu’elle vient disputer trop tard et avec des forces insuffisantes, précipitamment et confusément réunies à Magenta. Du Tessin au Mincio, la retraite de l’armée autrichienne est si précipitée encore, qu’elle ressemble à une fuite. L’Autriche, qui avait attaché un si grand prix à la ligne du Pô, en évacue brusquement toutes les positions fortifiées. On pense qu’elle concentre ses troupes derrière le Mincio pour refaire leur moral en mettant entre elles et les alliés les remparts de ses forteresses : nouvelle surprise ; l’armée autrichienne sort de sa retraite pour nous attaquer. Il y a dans ces divers actes un mélange de témérité fantasque, de lenteur paresseuse et de brusque découragement qui annonce l’existence d’un grand trouble et d’une cruelle incertitude dans les conseils de l’Autriche depuis le commencement de cette crise.

Ces oscillations contradictoires rendent plus difficile à pénétrer la portée réelle des résolutions militaires des Autrichiens. Quel que soit au surplus le mobile qui les ait poussés à Solferino, que l’empereur François-Joseph ait repris une si vigoureuse offensive ou par amour-propre militaire, ou pour prévenir la jonction attendue du corps du prince Napoléon avec l’armée alliée, ou dans l’espoir de nous surprendre au milieu d’une marche trop confiante, le résultat de la défaite aggravera d’une façon désastreuse les chances, déjà si défavorables pour lui, de la campagne. Après avoir été expulsé de la Lombardie, il en est repoussé avec éclat à la première tentative qu’il fait pour y rentrer. Cette tentative est gigantesque. L’armée autrichienne marche sur un front de cinq lieues ; les masses qui vont se heurter sont aussi considérables que celles qui se rencontraient sur les champs de bataille où, dans la seconde moitié du premier empire, se jouaient les destinées de l’Europe. On dirait une de ces parties désespérées après lesquelles, si la fortune des armes vous est contraire, il ne reste plus qu’à céder et à se résigner à son arrêt. La position de l’armée autrichienne s’aggrave en effet non-seulement par l’énorme échec qu’elle vient de subir, mais par la force et le concert des attaques nouvelles qui vont être dirigées contre elle. Nous passons le Mincio sans obstacle ; l’armée alliée va se grossir du corps commandé par le prince Napoléon et de la division toscane ; notre escadre va dans l’Adriatique forcer la position de Venise, nous ouvrir une nouvelle base d’opération, et par le débarquement d’un nouveau corps de troupes nous permettre de prendre à revers le fameux quadrilatère. Quel qu’ait été le dessein de l’empereur d’Autriche en nous attaquant sur cette chaîne de mamelons qui est comme une fortification avancée de la ligne du Mincio, et quelle que soit la situation morale et matérielle de son armée après la défaite, il est évident que la bataille de Solferino, si elle ne détermine pas sur-le-champ le dénoûment militaire de la campagne présente, l’aura du moins singulièrement accéléré, et ne le devancera que d’un temps assez court.

Au point de vue politique, tout le monde a également senti l’importance de cette victoire. Une des premières conditions qui nous puisse obtenir la localisation de la guerre, c’est que les progrès de la guerre soient rapides. Que rAutriche soit éconduite de l’Italie : plus ce résultat sera promptement réalisé, et moins nous aurons à craindre de voir la cause de l’Autriche recruter des auxiliaires. L’influence du fait accompli est souveraine en de telles occurrences. Lorsque nous aurons refoulé l’Autriche jusqu’à ses frontières germaniques, et lorsque l’Italie sera rendue aux Italiens, qui pourrait songer à prendre les armes pour restituer à l’Autriche une domination qu’elle n’aurait point su garder, pour replacer l’Italie sous le joug qu’elle aurait déjà secoué ? Croit-on par exemple que l’Allemagne elle-même, si aveuglée qu’on la suppose dans ses sympathies autrichiennes et dans ses préjugés anti-français, viendrait aider l’Autriche à reconquérir ce qu’elle aurait perdu, après avoir omis de lui prêter secours lorsque la tâche était bien plus aisée, lorsqu’il s’agissait simplement pour l’Autriche de conserver ce qu’elle possédait ? Les rapides succès qui feront la guerre courte la restreindront par cela même.

Tel est le premier avantage politique de victoires promptes, répétées, retentissantes, telles que Magenta et Solferino. Ce n’est point le seul. La rapidité de la guerre ne détournera pas seulement de l’Italie les coups d’ennemis nouveaux, elle lui gagnera des amis. Elle ne facilitera pas seulement la solution des difficultés diplomatiques, elle secondera la bonne solution des difficultés intérieures de la question italienne. Ces divers effets de la marche rapide de l’action militaire se montrent chaque jour. L’Angleterre est devenue plus favorable à la cause italienne à mesure qu’elle a vu se prononcer davantage la pente du fait accompli. Certes, au commencement de cette année, lord Palmerston et lord John Russell tenaient sur la perspective de la guerre et sur le respect des traités le même langage que lord Derby : comme le chef du gouvernement conservateur, ils blâmaient les tendances belliqueuses du Piémont. Tandis que les événemens marchaient, les discours de lord John Russell et de lord Palmerston devenaient plus franchement sympathiques à l’Italie. Chaque pas rétrograde, chaque échec des Autrichiens sur le terrain de la guerre a rendu plus sensible cette transformation des dispositions de l’Angleterre. L’on ne se tromperait pas en supposant que la victoire de Magenta et les mouvemens qui en ont été la conséquence en Italie n’ont point été étrangers à la chute de lord Derby. Lord Derby, n’ayant pas réussi dans ses louables efforts pour maintenir la paix, avait fini par maugréer contre tous les belligérans, et par les envelopper dans le même blâme chagrin. Après Magenta, cette abstention boudeuse n’était plus de saison. Il fallait se préparer à une situation nouvelle : il était visible que l’Italie serait affranchie, et qu’il faudrait veiller à sa réorganisation politique. Aussi le cabinet de lord Palmerston est-il composé des plus chaleureux amis du libéralisme italien, d’hommes qui, comme lord John Russell, M. Cobden, M. Gladstone, ont donné des gages anciens et nombreux à la cause de la liberté de l’Italie. Aujourd’hui donc, grâce à l’heureuse conduite de la guerre, l’affranchissement peut compter sur le concours moral déclaré de l’Angleterre. La puissance de ce concours moral se fera sans doute sentir au moment où il faudra réorganiser l’Italie par les délibérations diplomatiques, et conformément aux vœux de ces populations ; mais pour la direction de ces vœux dans une voie salutaire, pour qu’ils aient cette puissance que donnent l’unanimité et la spontanéité, pour qu’ils ne soient pas traversés et affaiblis par d’intestines dissensions, de quelle importance n’est-il point que les résultats décisifs de la guerre s’accomplissent promptement ! Il faut rapporter encore à cet intérêt vital de la bonne organisation de l’Italie les résultats politiques d’un aussi grand fait de guerre que la bataille de Solferino.

Par une curieuse coïncidence, c’était au moment où la guerre prenait une tournure décisive qu’il nous était enfin donné de connaître la suite et l’ensemble des causes qui l’ont rendue inévitable. Nous devons cette intéressante, mais tardive information au volumineux recueil que le cabinet de lord Derby a publié avant sa retraite, et où est réunie la correspondance diplomatique entretenue par lord Malmesbury avec les agens anglais auprès des cours européennes touchant les affaires d’Italie depuis le mois de janvier jusqu’au mois de mai de cette année. Tandis que le public s’alarmait des effets d’une crise que l’on ne semblait pourtant pas renoncer encore à voir conjurer par la diplomatie, nous nous sommes plaints bien souvent de l’ignorance où nous demeurions sur les points en litige et sur des discussions qui pouvaient avoir de si redoutables conséquences. La lumière qui nous vient aujourd’hui n’arrive, il est vrai, qu’après coup ; elle ne peut plus guider l’action de l’opinion sur le dilemme qui s’est posé il y a six mois entre la paix et la guerre : elle s’adresse cependant à quelque chose de plus élevé que le sentiment de la curiosité. Quoique les délibérations qui ont précédé la guerre n’aient pas pu la prévenir, elles ne sauraient manquer d’étendre leur influence et sur la conduite de la guerre elle-même et sur la paix qui la terminera. L’on y peut discerner les positions prises par les diverses puissances et présumer d’après ces données leurs allures ou leurs résolutions futures. Ce ne sont donc point seulement des informations rétrospectives que contiennent les documens soumis au parlement anglais : ils fournissent des renseignemens utiles pour le présent et pour l’avenir.

Si nous voulions définir d’un mot le caractère du débat dont le blue-book de lord Malmesbury nous livre la vaste instruction, nous dirions que la lutte diplomatique engagée entre l’Autriche d’une part et de l’autre la Sardaigne, organe de l’Italie et cliente de la France, a été une lutte entre le droit écrit et l’équité. Ce sont de terribles contradictions dans les affaires humaines que ces conflits à outrance, qui mettent aux prises la légalité et la justice, car ils n’ont de recours extrême et d’arbitre que la force. Il y a plus que de l’imprudence, il y a souvent une témérité coupable à pousser ou à laisser venir les choses à de telles extrémités. Il est difficile pourtant d’attacher à des noms propres la responsabilité de ces crises, parce que cette responsabilité se partage ordinairement entre un grand nombre d’hommes. La plupart du temps, il serait injuste de l’imputer tout entière aux contemporains, parce que les fautes accumulées des générations passées ont créé en quelque sorte une force des choses, une fatalité qui ne laisse plus qu’un étroit domaine au libre arbitre des générations présentes. Enfin le droit écrit est lui-même une forme si essentielle de la justice, que ses défenseurs peuvent aussi bien que leurs adversaires se couvrir pendant quelque temps dans la lutte de l’illusion consciencieuse de l’honneur à défendre et du devoir à remplir. Il n’est pas inutile peut-être de s’élever à ces considérations, qui prescrivent l’impartialité, sinon l’indulgence, avant d’examiner cette controverse italienne à laquelle nous sommes redevables de la guerre.

C’est l’Autriche, cela va sans dire, qui dans ce duel a représenté le droit écrit, et c’est la Sardaigne qui, au nom de l’Italie, y a représenté l’équité. L’Autriche ne voyait dans ce débat que les traités ; la Sardaigne faisait éclater à travers l’étroite chaîne des traités le droit naturel d’une nation à vivre de sa propre vie. L’on n’attend pas de nous assurément que nous fassions ressortir l’importance des deux thèses. Le respect des traités est la seule garantie des relations internationales, de même que l’observation des contrats est la base des rapports sociaux. L’erreur de l’Autriche a été de ne pas vouloir comprendre que si les traités établissent les droits de propriété des souverains vis-à-vis des autres états, les clauses de ces contrats ne suffisent point à valider contre le droit des peuples les mauvais gouvernemens des souverains. Les traités obligent les étrangers à respecter les possessions territoriales qu’ils consacrent, ils n’obligent pas les populations qui couvrent ces territoires à subir une mauvaise administration. Pour la diplomatie autrichienne, l’on eût dit que l’Italie ne se composait que de cinq personnes, des princes qui régnaient à Naples, à Rome, à Florence, à Modène et à Parme. La prétention est si exorbitante qu’elle touche à la fois à l’odieux et au ridicule. C’était une autre prétention du formalisme autrichien de présenter comme opposé au principe des traités celui des nationalités : il avait beau jeu ensuite à montrer dans l’état actuel de l’Europe l’incompatibilité de ces deux principes, et à croire qu’il avait ainsi mis au-dessus de toute discussion ses argumens absolus en faveur du droit écrit. Il n’est pas nécessaire, il s’en faut, d’invoquer le principe des nationalités pour mettre un frein à l’absolutisme fondé sur la légalité littérale. Sans doute l’Europe actuelle est constituée d’après des considérations qui peuvent être quelquefois supérieures et même contraires aux vœux des nationalités. Obligée de garantir contre des tentatives réitérées de monarchie universelle l’indépendance et la liberté de chacune des communautés politiques qui la composent, elle s’est divisée conformément à un équilibre approximatif des forces, par conséquent d’après les données de la géographie militaire, et non suivant la distribution absolue des races et des langues. Il s’ensuit que dans le droit européen la nationalité ne saurait être un titre suffisant à l’indépendance politique, et que les états de l’Europe sont à peu près tous formés de races diverses ; mais si la nationalité n’est pas un titre absolu à l’indépendance politique, les populations soumises à un gouvernement dont elles diffèrent au point de vue de la race et de la langue n’en conservent pas moins un droit imprescriptible à être bien ou tolérablement gouvernées. C’est seulement par la satisfaction de ce droit que la légalité littérale des traités se concilie avec l’équité naturelle. Là où ce droit est respecté, l’on n’entend aucune de ces réclamations, aucun de ces cris de douleur qui retentissent partout où on le viole. Le royaume-uni comprend des Écossais et des Irlandais ; les Irlandais et les Écossais d’aujourd’hui songent-ils à demander le rappel de l’union ? En France, les Allemands de l’Alsace et de la Lorraine, les Italiens de la Corse, font-ils entendre un seul vœu de séparation ? Le principe des distributions territoriales tracées par les traités et le principe des nationalités ne sont donc point aussi irréconciliables que le soutiennent respectivement leurs partisans extrêmes. Il y a entre eux une transaction toujours possible, et ce sont les lumières, l’équité, l’initiative libérale et progressive des bons gouvernemens qui la fournissent.

Le gouvernement autrichien, se fondant sur l’étroite légalité littérale des traités, était donc condamné d’avance, dans l’application absolue qu’il en voulait faire à l’Italie, par le bon sens pratique autant que par l’équité. La cour de Vienne eût été bien plus forte, si, au lieu de se faire le type et l’organe des théories abstraites de l’absolutisme, elle eût compris que la liberté seule pouvait lui fournir le lien dont elle a besoin pour unir dans un même état les diverses races de l’empire. Des esprits éclairés, de vrais hommes d’état, des serviteurs dévoués de la maison d’Autriche, avaient senti bien avant la crise actuelle que là était pour l’empire la voie de la prospérité, de la puissance et du salut. La Revue a publié, il n’y a guère plus d’une année, une étude remarquable où un gentilhomme autrichien démontrait non-seulement la nécessité d’une réforme libérale, mais l’aptitude que les diverses provinces de l’empire ont déjà pour les institutions représentatives. La guerre actuelle donne un intérêt particulier aux vues développées dans l’écrit auquel nous faisons allusion. Les désastres de la guerre apportent quelquefois aux gouvernemens vivaces des leçons qu’il leur suffit de comprendre pour réparer promptement des malheurs passagers. Quelle puissance nouvelle et quel prestige n’acquerrait point l’Autriche, si, renonçant au rôle impopulaire qu’elle joue dans une lutte désespérée, elle se retrempait virilement dans la liberté ! Des institutions représentatives et franchement libérales ne donneraient pas seulement à l’Autriche une vaste influence en Allemagne et les sympathies éclairées de l’Europe occidentale : elles lui assureraient, vis-à-vis de sa sourde et implacable ennemie orientale, la Russie, un ascendant moral qui lui sera bien nécessaire le jour où, se résignant à des sacrifices indispensables en Italie, elle devra chercher en Orient de légitimes compensations.

L’on voit aujourd’hui de quel secours la liberté a été pour le Piémont dans la lutte hardie et heureuse qu’il a entreprise en Italie contre l’Autriche. C’est la liberté, nous espérons que les Italiens ne l’oublieront jamais, qui a donné au Piémont le droit et la force de revendiquer l’indépendance de l’Italie. Placé entre l’absolutisme autrichien, protégeant et perpétuant le despotisme des petits princes italiens, et les souffrances, ou si l’on veut les aspirations de populations qui, fières d’un passé glorieux et de l’initiative qu’elles ont eue si souvent dans la marche de la civilisation européenne, voulaient respirer enfin, se mouvoir, vivre de la vie du xixe siècle, le mouvement libéral de la Sardaigne devait aboutir à l’une de ces deux extrémités : ou la lutte déclarée du Piémont contre l’Autriche, obstacle permanent à l’émancipation régulière et progressive de l’Italie, ou une explosion révolutionnaire dans la péninsule, éclatant en dehors de l’influence du Piémont, mais sans lui permettre de demeurer étranger aux conséquences, l’entrainant même malgré lui dans la mêlée. Le roi de Sardaigne et son ministre, M. de Cavour, ont montré une réelle habileté politique en faisant résolument leur choix entre ces deux partis. Ils ont pris celui qui enlevait au fanatisme révolutionnaire et donnait au Piémont la direction du mouvement, et qui en revanche fournissait aux autres fractions de l’Italie le cadre précieux d’une organisation politique et militaire éprouvée. Voilà les nécessités générales qui dominaient la situation de l’Italie au moment où les complications actuelles sont nées. Il faut les avoir présentes à l’esprit en feuilletant le volume des correspondances diplomatiques anglaises ; l’on risquerait en effet de les oublier, et l’on perdrait de vite le sens élevé et historique des événemens au milieu des détails qui remplissent ce recueil. La diplomatie s’occupe surtout de la procédure de la politique, elle en dégage et en laisse voir rarement les grandes lignes. Tels étaient les élémens de la situation générale de l’Italie, et il n’est guère nécessaire d’ajouter que le jour où s’élèverait le conflit entre la Sardaigne et l’Autriche, la France ne pouvait éviter d’être engagée elle-même dans le sens de la politique piémontaise. Ces élémens de la situation italienne pouvaient sans doute être abandonnés quelque temps encore à eux-mêmes, sans que la crise dût nécessairement éclater. Nous avons toujours pensé, quant à nous, que la voie la plus sûre, la moins coûteuse, celle qui eût peut-être conjuré les chances redoutables et les inévitables malheurs de la guerre, eût été de poursuivre progressivement le développement des institutions libérales dans les petits états italiens. Pour que cette voie pût être suivie efficacement, il eût été nécessaire, il est vrai, que la France, si l’on nous passe le mot, prêchât elle-même d’exemple, et rentrât résolument dans la pratique de quelques-unes des libertés politiques qu’elle a autrefois possédées. L’opinion alors eût vu peut-être plus clair dans les tendances de la question italienne ; certaines méprises, certaines défiances eussent été impossildes ; la pensée publique ne se fût point égarée, dans certains pays, sur les vraies intentions de la politique française. Le cours des événemens eût paru plus naturel ; les solutions fussent nées peut-être avec plus de solidité de la force des choses ; peut-être aussi l’Autriche, moins brusquée, eût été moins obstinée, et se fût-elle pliée peu à peu aux circonstances. Que l’on raille, si l’on veut, nos scrupuleuses réserves : personne du moins ne niera qu’à la façon dont les choses se sont passées, une certaine action particulière ne s’est pas dissimulée à l’origine de la crise. La Sardaigne y a aidé, et ne s’en est guère cachée-, elle n’a fait en cela qu’obéir aux exigences de sa situation, et la discipline que les populations italiennes ont observée dans les diverses phases du mouvement a prouvé qu’elle avait pris ses mesures au sein même des divers états italiens. La politique sarde savait qu’elle pouvait marcher, et elle est allée de l’avant. On lui a reproché de s’être hâtée par ambition ; mais en tout cas elle s’est mise à l’abri du reproche de duplicité. Depuis les notes adressées par M. de Cavour au congrès de Paris, il n’était permis à personne d’ignorer où elle allait.

Quoi qu’il en soit des responsabilités encourues à l’origine de la crise, l’on suit avec intérêt dans le blue-book le développement gradué des complications. Elles parcourent trois phases. La première commence, dans le recueil parlementaire anglais, à l’incident du 1er janvier, et va jusqu’à la mission de lord Cowley à Vienne. C’est la période vague encore de la crise, il n’y a que des paroles dans l’air : l’émotion frémissante, mais contenue, des populations italiennes à l’écho que le roi Victor-Emmanuel vient de renvoyer au grido di dolore de l’Italie, les renforts que l’Autriche envoie en Lombardie, les armemens ou représailles de la Sardaigne, l’anxiété de l’opinion publique en Europe ; mais la partie diplomatique n’est pas encore liée. Il n’y a pas, pour parler comme lord Cowley, de question substantielle à la solution de laquelle puisse travailler la diplomatie des puissances désintéressées. Que veut la France ? que veut l’Autriche ? Où les prétentions rivales peuvent-elles se rencontrer ou se combattre ? On l’ignore. C’est pour faire cesser cette obscurité que le gouvernement anglais, n’ayant pu amener une explication directe entre la France et l’Autriche, se décide, dans une intention dont on ne saurait que louer la droiture, à aboucher en quelque sorte les deux puissances par l’intermédiaire de lord Cowley. Voilà la seconde phase. Lord Cowley sait que la France accepterait une négociation sur ces conditions qui sont devenues plus tard les quatre bases formulées par l’Angleterre, et il s’assure à Vienne que l’Autriche ne la refuserait point. La question italienne a maintenant trouvé une formule diplomatique. Il s’agit surtout de la réforme des traités particuliers de l’Autriche avec les duchés, de l’abrogation de cette clause honteuse par laquelle les petits souverains s’assuraient l’appui de l’étranger contre leurs propres sujets, tandis que le cabinet de Vienne se faisait, les yeux fermés, le fauteur obligé des mauvais gouvernemens de l’Italie, quelles que fussent leurs erreurs et leurs fautes. Il s’agit de substituer à la protection de l’ordre par l’Autriche une solidarité et une garantie fédérale entre les petits états. Il s’agit de l’évacuation par les troupes françaises et autrichiennes de Rome et des légations. Ainsi la question italienne a enfin un corps, une substance, et, sous cette forme, lord Cowley et le ministère anglais croient fermement qu’elle peut être heureusement résolue. Mais une troisième phase est tout à coup inaugurée par l’intervention imprévue de la Russie. Le cabinet de Pétersbourg propose un congrès. L’on dit à Pétersbourg que cette initiative est prise sur le désir de la France ; l’on dit à Paris que les Russes la tentent sur le bruit erroné que lord Cowley aurait échoué à Vienne. Quoi qu’il en soit, lord Malmesbury accepte un peu malgré lui le congrès, en définissant les bases sur lesquelles devront porter les délibérations ; mais ici le fond de la question disparaît : deux questions de forme le remplacent dans la controverse. La Russie n’a proposé qu’un congrès des cinq grandes puissances ; l’Autriche n’a accepté le congrès que sous la réserve du désarmement préalable de la Sardaigne. On s’embrouille dans cette procédure. L’Angleterre veut que les états italiens dont les intérêts doivent être discutés au congrès s’y puissent faire représenter. Là se donne carrière le formalisme autrichien. L’Autriche, se fondant sur un ancien protocole, chicane sur cette coopération des petits états italiens, décidés la plupart à ne point paraître au congrès. Un instant la France et la Russie paraissent abandonner la participation des petits états pour ne s’occuper que du désarmement, et le rendre acceptable à la Sardaigne en le généralisant. L’on va tomber d’accord pour désarmer lorsque la question de l’invitation des états italiens au congrès reparaît et est mise de nouveau en avant par la Russie et la France. Lord Malmesbury s’impatiente de voir la négociation traversée ainsi par des difficultés que l’on paraissait vouloir écarter d’un commun accord : il menace de s’en retirer ; mais il fait une dernière tentative de conciliation en combinant le désarmement général avec l’admission des états italiens au congrès, conformément aux précédons de Troppau et de Laybach. La Sardaigne, pressée par la France et l’Angleterre, accepte à contre-cœur cette transaction. C’est en ce moment que la maladroite Autriche, qui n’avait pas connaissance encore de la nouvelle combinaison et de l’acceptation du Piémont, envoie à M. de Cavour son fatal ultimatum, et que la guerre éclate.

Il y aurait dans cette histoire diplomatique de curieux incidens à noter au passage, mais il faudrait entrer dans des développemens trop considérables pour choisir dans cette masse de documens les traits caractéristiques d’une négociation minutieuse et souvent confuse. Le Piémont, ainsi que nous l’avons dit, y a la supériorité de la franchise. On ne peut manquer de signaler, à ce point de vue, le remarquable mémorandum écrit le 1er mars par M. de Cavour, et où l’habile ministre du roi Victor-Emmanuel expose avec une netteté courageuse et une intrépide logique ses vues sur les réformes qu’appelle la situation de l’Italie. C’est lord Malmesbury qui par ses interrogations fournit à M. de Cavour l’occasion d’écrire cet exposé, auquel le ministre sarde se réfère avec une légitime fierté dans la circulaire non moins saisissante qu’il vient d’adresser à ses agens diplomatiques sur le caractère politique de la guerre.

Il y aurait de l’injustice à méconnaître également l’excellente attitude du comte Buol dans les commencemens de la négociation. Il était impossible de plaider avec plus de finesse, d’aisance, de coquetterie, de présence d’esprit et de dignité, la thèse de la légalité littérale et des traités. On voit que l’esprit de M. de Buol est plus flexible que son principe, et ne répugnerait point aux tempéramens pratiques ; mais l’on sent à la fin que la haute direction des affaires lui échappe, et à mesure que les résolutions extrêmes de l’Autriche précipitent le dénoûment violent de la crise, il est forcé de confesser son impuissance et peut-être sa désapprobation implicite, en avouant que l’initiative des mesures prises appartient à l’empereur ou à l’état-major impérial. Les allures de la Russie se ressentent du caractère du prince Gortchakof : sa malveillance contre l’Autriche ne sait pas se contenir, et l’on devine le sourire narquois avec lequel le représentant de la Russie aux conférences de Vienne voit l’orage s’amonceler sur la tête des Autrichiens. La France n’a qu’à se louer sans doute des procédés du cabinet de Pétersbourg, mais le prince Gortchakof laisse percer dans ses actes et dans ses paroles plus de malice vindicative que de conviction sérieuse. Il a trop l’air de prendre plaisir à voir un grand état placé seul à son tour après la Russie sous le poids irrésistible de la puissance française. Le zèle sincère de lord Derby et de lord Malmesbury contraste noblement avec l’espièglerie russe. Les ministres anglais ont fait de sérieux efforts pour le maintien de la paix ; du reste, l’on doit les croire également convaincus dans leur profession de neutralité. Ils avaient signifié dès l’origine à l’Autriche qu’en aucun cas elle ne devait compter en Italie sur l’appui armé de l’Angleterre, et ils ont également enlevé aux agitateurs belliqueux de l’Allemagne l’espoir de la protection de la marine anglaise, si la confédération germanique prenait part à la guerre. Leur faute est d’avoir défendu la paix avec tant de sévérité, qu’ils s’étaient en quelque sorte enlevé l’influence nécessaire pour tirer des incidens de la guerre un parti favorable à la réorganisation politique de l’indépendance italienne. Quant à la France, elle n’apparaît dans la négociation avec d’autre parti-pris qu’une sympathie avouée pour le sort de l’Italie. Elle aurait même accepté des solutions qui n’eussent point satisfait entièrement le Piémont : il lui eût suffi d’obtenir pour l’Italie un progrès, si petit qu’il fût, sous une sanction européenne. Lord Cowley, bien qu’il n’eût pas lieu d’être content que la proposition d’un congrès fût venue contrarier et frapper de stérilité la négociation qu’il avait ouverte à Vienne avec une application si zélée, lord Cowley rend plus d’une fois ce témoignage à la sincérité de la politique française.

Nous espérons fermement que cette modération dont il voulait faire preuve avant la guerre n’abandonnera point l’empereur après les grands succès de la campagne d’Italie. Ces succès nous coûtent cher sans doute ; ils sont achetés au prix d’un sang héroïque. Nous ne connaissons point encore les pertes que nous avons faites à Solferino ; nous apprenons seulement avec douleur qu’un des généraux qui se sont le plus illustrés à Magenta et à Solferino, le général Auger, n’a pas survécu à la blessure qu’il a reçue dans cette dernière bataille, où sont tombés aussi plusieurs généraux distingués du Piémont. Ces succès n’en ont pas moins prouvé une fois de plus, et avec une facilité merveilleuse, la puissance de la France. La meilleure garantie de la conservation de cette puissance, notre histoire ne nous l’a que trop appris, c’est de ne point la prodiguer et d’en user avec modération. Nous lisions récemment, dans un éloquent article du Quarterly Review sur les affaires d’Italie, que l’on attribue à M. Gladstone, et qui est inspiré de la plus intelligente sympathie pour l’indépendance et la liberté italienne, un mot bien fait pour flatter notre fierté nationale, mais aussi pour éveiller notre prudence. « La France est si puissante, disait l’écrivain anglais, que ce n’est pas trop, pour lui faire équilibre, de l’union de tous les autres peuples de l’Europe. » Nous n’aimerions pas à entendre répéter trop souvent un si menaçant éloge. Nous craindrions qu’il ne rallumât ces jalousies et ces pensées de coalition qui, à d’autres époques, nous ont été si funestes. Le vœu que nous formons, c’est que ce soit dans notre modération même que se trouve le contre-poids de notre force. Nous aurons besoin en effet de modération bien plus que de nouvelles manifestations de puissance pour consolider en Italie l’œuvre désintéressée de notre armée et pour achever de calmer l’effervescence de l’Allemagne, que la rapidité de nos succès commence, nous l’espérons, à refroidir.

En Italie, des difficultés peut-être plus grandes que celles de la guerre nous attendent, lorsqu’il s’agira de reconstituer politiquement la péninsule, affranchie de la domination autrichienne. Ces difficultés, nous l’espérons, ne se présenteront ni au midi ni au nord. Au midi, à Naples, les débuts du jeune roi permettent de croire que les abus de l’ancien règne ne reviendront pas. Une amnistie a déjà effacé de vieilles injustices ou fait cesser de cruelles persécutions, et la présence du général Filangieri à la tête du ministère promet un gouvernement ouvert aux mesures progressives et aux bonnes inspirations du patriotisme italien. Au nord, nous avons confiance dans l’action intelligente et énergique du roi Victor-Emmanuel et de M. de Cavour. M. de Cavour saura sans doute, quand il sera temps, appliquer le ferme programme qu’il a tracé dans sa récente circulaire, et la popularité que le roi de Sardaigne a si justement acquise par la hardiesse de sa politique et sa bravoure militaire triomphera des obstacles que pourra rencontrer l’absorption en un seul état de populations qui ont été si longtemps divisées par les rivalités locales. Mais c’est au centre de l’Italie, c’est à Rome et dans les légations que sera notre grande difficulté. Nous en avons un avant-goût par les soulèvemens des villes des états pontificaux et par les protestations énergiques du saint-père contre les révolutions accomplies dans les légations. Napoléon disait qu’il fallait toujours traiter le pape comme s’il avait derrière lui trois cent mille hommes. Mal est advenu à l’empereur d’avoir oublié lui-même son propre précepte, et d’avoir abusé de sa force contre l’invincible faiblesse du pape. Il n’y a pas à craindre aujourd’hui sans doute les excès d’une telle lutte ; mais comment fera-t-on accepter au pape les modifications qu’il est impossible de ne point introduire dans le gouvernement des États-Romains ? Comment, d’un autre côté, après avoir si longtemps signalé le gouvernement pontifical comme le plus anormal de l’Italie et comme celui qui réclamait les plus urgentes réformes, oserait-on répondre par un déni absolu de justice aux espérances de ces populations énergiques des légations qui ne veulent plus rentrer sous l’administration cléricale ? Il s’agit, pour triompher de cet obstacle, de toucher la conscience de Pie IX ; et qui peut obtenir cette victoire, si ce n’est la modération ?

Nous croyons qu’il est de l’intérêt de la France d’opposer une longanimité tolérante aux effusions déplacées de l’Allemagne et aux mesures militaires par l’appareil desquelles la Prusse cherche en ce moment à satisfaire les susceptibilités du patriotisme germanique. Les armemens de l’Allemagne ne doivent pas nous surprendre, et encore moins nous irriter. Quand une nation comme la nôtre fait la guerre, elle doit s’attendre à cette épidémie des armemens militaires que son exemple étend partout. Il n’est qu’équitable également, quoique nous ne connaissions point par nous-mêmes le sentiment de solidarité que peut exciter la forme fédérale, de reconnaître qu’il est permis à l’Allemagne de ne point voir sans émotion une guerre qui pèse sur le membre le plus puissant de la confédération. Cette patience indulgente doit coûter peu de chose à la France, si l’on réfléchit que l’Allemagne après tout ne nous menace pas d’un péril bien sérieux. Nous pouvons avoir confiance dans les intentions modérées du gouvernement prussien, et nous devons condescendre à l’appréciation des embarras de sa position. La Prusse, depuis le commencement de la crise, a mis en avant trois principes comme devant servir de règle à sa conduite : premièrement le maintien des traités ; — s’ils ont perdu leur vertu en Italie, c’est par la faute de l’Autriche ; — secondement la conservation de l’équilibre ; — l’équilibre, M. de Cavour l’a clairement démontré dans sa dernière circulaire, ne saurait être troublé par la substitution d’un royaume de la Haute-Italie à la domination de l’Autriche en Lombardie ; troisièmement la sécurité de l’Allemagne ; — il dépend uniquement de l’Allemagne de maintenir ou de compromettre sa sécurité, car il n’y a pas d’apparence que la France aille de gaieté de cœur se mettre une seconde guerre sur les bras tandis qu’elle se bat avec l’Autriche. Nous ne nous attendons en conséquence à aucune agression de la part de la Prusse. Cherchera-t-elle à concilier son rôle de grande puissance avec les prétentions de ses confédérés en présentant à la France et à l’Autriche un projet de médiation ? Mais outre que cette médiation court le danger d’arriver bien tard, la Prusse la soumettra d’abord aux autres grands neutres, la Russie et l’Angleterre, et il est fort peu vraisemblable que ces deux puissances encouragent la Prusse dans sa tentative, si sa médiation n’est point de nature à convenir à la France. Y a-t-il lieu de redouter les coups de tête des états se condaires plus que les desseins de la Prusse ? Nous ne le pensons pas. On sait que toutes les fois qu’une grande question s’élève en Europe, les états secondeires de la confédération en profitent pour s’agiter et prendre des airs importans ; mais l’on sait aussi que toute cette agitation s’évapore en paroles. Nous ne rappellerons qu’un précédent, c’est celui même qu’invoque le ministre de Saxe, M. de Beust, dans sa réplique aigre à la circulaire du prince Gortchakof, le précédent de la dernière guerre d’Orient. Qui a oublié tout le mal que se donnèrent alors M. de Beust et M. von der Pfordten pour contrarier l’adhésion morale donnée par l’Autriche et la Prusse à la politique des puissances occidentales ? M. de Beust réunit les représentans des états scondaires à Bamberg ; il prit en main avec une chaleur singulière les intérêts de la Russie. Et à quoi tout cela vient-il aboutir ? Le petit schisme de Bamberg fut obligé de faire le sacrifice de ses sympathies russes et d’apposer la sanction de la confédération à un traité conclu entre la Prusse et l’Autriche, et dont les stipulations étaient dirigées contre la Russie. Ce qui est surtout piquant, c’est que pour réfuter une circulaire russe le ministre qui était, il y a cinq ans, le fougueux arni de la Russie cite lui-même ce précédent, dont le souvenir peut n’être point agréable au cabinet de Pétersbourg, mais ne fait pas non plus grand honneur à l’influence des états secondaires sur les déterminations de la confédération germanique. eugène forcade.




REVUE LITTÉRAIRE.

LES ROMANS NOUVEAUX.


Il y a un heureux symptôme à noter pour qui cherche à discerner l’action du roman sur le public de nos jours. Si frivole, si désireux du scandale qu’on suppose le lecteur français, on surprend malaisément deux fois de suite son adhésion par des moyens que condamne l’art plus encore que la morale. La meilleure preuve en est dans l’accueil fait aujourd’hui à la seconde production d’un romancier dont le début excita l’an dernier une si étrange curiosité. Les lectrices mondaines semblent avoir gardé pour le Daniel[1] de M. Ernest Feydeau bien peu de l’admiration si légèrement prodiguée à Fanny. Les deux études sont pourtant au fond de la même famille ; l’une est la digne continuation de l’autre, et ne la surpasse que par l’étendue. Pourquoi donc cette indifférence après cet engouement ? Il est certain que M. Feydeau n’a pas pris garde aux soudains retours de sévérité qui s’emparent quelquefois du public. La première opinion, celle des sens, précède le jugement sans appel, celui de l’esprit et de la raison, et cette sorte d’éducation s’accomplit toujours avec une certaine lenteur. Avant de rechercher comment cette réaction peut s’appliquer à Daniel, qu’on nous permette de faire ici une rapide analyse du livre : cette seule exposition nous dispensera de bien des commentaires.

Daniel est un enfant mélancolique, orphelin, élevé dans un vaste hôtel désert, sous la constante surveillance d’un tuteur. Dans cette solitude, il puise l’inévitable coutume de la contrainte, des longues rêveries, des sentimens refoulés, des aspirations héroïques, des plaintes stériles contre un monde qu’il ne connaît point encore. Quand il a vingt ans, son tuteur, obéissant à un système préconçu d’éducation, le laisse tout à coup libre de ses actions ; mais une vie complètement oisive arrête les bienfaits de cette liberté, et plonge Daniel dans un engourdissement, un malaise indéfinissable. Ses premières souffrances lui viennent du monde, dont la conduite et les préceptes sont dans une si parfaite contradiction. Il veut un moment essayer lui-même de cette hypocrisie, il aspire à descendre, mais il ne réussit point à feindre. Sa sincérité lui attire enfin « la haine des jeunes et le dédain amer des vieux. » Pris alors d’un profond scepticisme devant la réalité, il se réfugie nécessairement dans le monde des rêves, et se jette à esprit perdu dans la contemplation et l’extase. — Ce caractère ou plutôt cette apparence de figure typique, car Daniel manque absolument des côtés saillans et précis qui établissent la personnalité, est loin, on le voit, de se recommander par la nouveauté. Cependant l’exposition en est assez habilement faite, et cette première partie est sans contredit la meilleure du livre ; mais à mesure qu’on tourne les pages, on sent qu’on s’avance dans une atmosphère lourde et monotone, au milieu des brouillards de l’action la plus lente, alanguie encore par les nombreux détours d’une forme prétentieuse.

Daniel se laisse marier par son tuteur, et n’obéit en ceci qu’à un vague désir de changement. Nous connaissions déjà la femme qu’il épouse, et l’auteur ne s’est pas mis pour cette nouvelle figure en frais d’invention. Isabelle de Torreins est le calque de Fanny. C’est la même beauté froide, indolente, silencieuse : un marbre mou. « Grande et mince, avec son attitude de roseau penché, ses poses nonchalantes, ses yeux langoureux et les deux longues boucles de ses cheveux suavement déroulées sur ses épaules, elle semblait une âme exilée sur la terre, rêvant au ciel qu’elle avait perdu. » Une telle femme redouble la torpeur de Daniel par ses façons d’agir, et comment agit-elle ! « Elle ne me refusait ni même ne me disputait jamais rien. Elle se soumettait à mes caresses passivement, avec une aisance émoussée, lasse et fade, avec une sorte d’inappétence alanguie, comme font les gens désœuvrés à ces obligations journalières que commande la nature… Elle s’abandonnait à mes bras aussi tranquillement quelle eût fait à ceux d’un fauteuil. » Un tel caractère pouvait néanmoins être intéressant, quelque odieux qu’il fût, mais la forme lui fait défaut. Quand un personnage repousse, c’est à l’écrivain de ramener le lecteur. Cette espèce de levrette merveilleuse, « à laquelle vous m’avez accouplé, » dit plus tard Daniel à sa belle-mère, a toute l’âme d’une fille. Enfin il surprend un jour cette créature avec son amant. Il l’abandonne, quatre fois trompé par elle.

On devine ce que, grâce aux habitudes d’esprit de Daniel, cette catastrophe engendre chez lui de tristesse et de découragement. C’est ici en même temps que le procédé monotone de M. Feydeau dévoile surtout ce qu’il a d’impuissant et d’incomplet. Qu’on écoute l’illustre poète de la Confession d’un Enfant du siècle aux prises avec une situation à peu près identique : on verra de quelle manière à la fois précise et élevée doit s’exprimer la véritable passion, n’oubliât-elle rien de ses plus misérables ardeurs ; quelle éloquence peuvent atteindre même les regrets sensuels, fussent-ils causés, là comme ici, par d’indignes objets ! M. Feydeau ignore ce grand art d’imposer franchement au langage les plus cruelles vérités : il se réfugie dans les termes équivoques, dans les inversions ambitieuses, dans les tirades brusquement arrêtées ; en un mot il vise uniquement à l’effet matériel. — Au bout de deux années d’une solitude oisive, nous retrouvons Daniel à Trouville, sur les bords de la mer. Il faut mentionner ici quelques descriptions heureuses, quelques tableaux assez éclatans de couleur et d’harmonie, puis nous retombons pour n’en plus sortir dans le méchant style et le faux romanesque. Au bord de la mer, éclairée par les rayons du soleil couchant, une jeune fille apparaît à Daniel. « Sa robe, flottant légèrement derrière elle, moulait en avant ses formes charmantes et me les révélait toutes… » C’est le « quelque chose d’innomé et d’inconnu, » l’idéal si longtemps rêvé ; mais quelle peinture en fait l’auteur ! Aux crudités plastiques qui ternissent constamment une figure destinée à rester chaste et sympathique, M. Feydeau ne sait qu’ajouter un insupportable mysticisme, dont le ridicule ne prévient pas toujours le danger.

Si la fable ne brille point par l’invention, les détails ont encore moins de nouveauté. Il suffit à M. Feydeau de se reproduire lui-même, ne connaissant pas sans doute de meilleur modèle. L’auteur paraît avoir un faible pour cette situation équivoque qui fait assister secrètement ses héros à des spectacles dangereux pour leurs sens. Cette fois c’est à travers la fente d’une cloison que Daniel aperçoit la jeune fille, mal enveloppée d’un peignoir et agenouillée « sur une sorte de chauffeuse basse à dossier arrondi. » L’obscurité qui se fait bientôt l’arrache à cette contemplation ; mais cette obscurité même est loin d’être muette : « Je demeurai dans les ténèbres, écoutant le lit gémir et ployer sous le doux fardeau qu’il recevait. » Qu’ajouter à ceci ? Daniel aime Louise, et se sent le cœur soulevé par une exultation qui n’a pas d’égale. À son tour, Louise aime Daniel. J’omets les longs détails, les répétitions sans fin, les interminables conversations que rompent seules les descriptions d’habillement et de mobilier. Or il s’agit de justifier l’épigraphe empruntée à Chamfort « Deux amans sont l’un à l’autre de par la nature, ils s’appartiennent de droit divin, etc. » Mais Daniel est marié. Comment posséder Louise ? Il propose à l’un de ses amis, nommé Georget, de devenir l’époux de Louise,… sans l’être, à l’exemple de M. de Liancourt, marié par Henri IV à Gabrielle d’Estrées. Si Georget consent, Daniel lui donnera son hôtel, qui date de Louis XIII, son jardin dessiné par Lenôtre, ses chevaux de sang, nés en Angleterre, qui hennissent dans leurs boxes de chêne. — Ses chevaux aussi ! s’écrie Georget. — Ce n’est pas tout, lui dit Daniel ; « quand vous rentrerez chez vous, par les cours, par les larges escaliers de pierre de cet hôtel, par les salons, par les chambres, par les couloirs, vous suivront trente serviteurs marchant en bas de soie, couverts de leur grande livrée de drap fin. Ils soulèveront les tentures des portes devant vous. » Georget ne peut résister à ce dernier trait : il accepte ; mais Louise refuse ce pacte. Daniel essaie alors de faire à sa jeune amie une douce violence : elle s’y refuse encore.

C’est ici que se montre dans tout son éclat une curieuse figure de vieillard libertin, le propre tuteur de Louise, qui vient trouver Daniel, et lui tient à peu près ce langage : Quoi ! n’y a-t-il point au monde d’autres femmes que ma nièce ? Cherchez-en, je vous prie, et ne vous adressez point à celles « qui ne peuvent appartenir à un amant que lorsqu’elles ont sacrifié à la Vénus Bégueule représentée par cet être fatal qu’on appelle un mari. » — Je ne puis, répond Daniel. — Pour rendre le repos à Louise, ne pouvez-vous donc feindre une autre passion ? — Je ne puis, dit encore Daniel. Alors le tuteur : « Louise et vous, Daniel, vous devez succomber tôt ou tard… Je vous engage, mon bon ami, à succomber tout de suite. Le plus tôt sera le mieux… Seulement sauvez les apparences de votre liaison, et tout est sauvé. » — Heureusement M. Feydeau épargne cette honte à son héros ; Louise, brisée d’émotions, meurt de la rupture d’un anévrisme. Et Daniel ? Daniel retourne la nuit dans le caveau où l’on a enterré sa maîtresse. « Ce qui se passa ensuite fut rapide. Daniel tira à lui la dalle de marbre, il la fit retomber sur sa tête, et s’enterra vivant ! » Amen.

Cette simple analyse n’est-elle pas tout un jugement ? Est-il besoin de justifier par de longues phrases les impressions spontanées que fait naître une pareille œuvre ? Ceux de nos lecteurs qui aimeraient à s’édifier d’une manière plus précise sur les tendances que révèle, chez l’écrivain comme chez le public, ce genre de production n’ont point oublié l’éloquente étude publiée ici même sur le roman intime de la littérature réaliste[2]. M. Émile Montégut y a finement analysé les rapports qui unissent les mœurs réelles à ces mœurs factices. M. Feydeau, dont la première donnée dans Fanny, quoique singulière, était neuve et vraie, rompt complètement aujourd’hui avec la morale de l’art : ce n’est pas tant par la lubricité de ses termes et de ses tableaux que par le faux principe qu’il développe. Il eût été moins dangereux de montrer Louise appartenant réellement à Daniel que de la lui refuser en soutenant d’ailleurs qu’elle lui appartient de droit ; mais M. Feydeau veut être lui-même, et cette prétention est heureusement vraie. Daniel dit quelque part : « Je ne suis point Werther, je suis Daniel ! » L’aveu est précieux, et il faut en tenir compte : non, M. Feydeau n’appartient pas à la race des puissans analystes à qui nous devons René, Werther, Obermann. Le danger que des esprits faibles ont trouvé auprès de ceux-ci leur est venu d’en haut : avec Daniel, il leur viendrait d’en bas. Mais n’est-ce point encore faire trop d’honneur aux productions de ce genre que de leur accorder une semblable influence ? De Daniel aux ridicules essais du vicomte d’Arlincourt ou aux romans lycanthropes de Pétrus Borel, il y a moins loin qu’on ne pense. Ce dont peut-être Daniel se rapproche le plus, c’est encore des mélancoliques troubadours qu’inventa l’auteur du Solitaire ; il en a la phraséologie complète, les procédés dramatiques, les exclamations, les inversions célèbres, les épithètes dites de nature. Un des plus curieux passages du livre est celui où Daniel se fait dire par quelqu’un : « Peut-être votre style est-il trop chargé d’épithètes, mais vous êtes un romantique et vous avez lu les Grecs ; le public vous excuserait. » Soit : abandonnons Daniel à ce suprême arbitre ; avec le temps, l’opinion publique devient l’expression de la justice la mieux raisonnée et la plus rigoureuse. Et si M. Feydeau veut que l’on distingue en lui l’écrivain du moraliste, c’est qu’il ignore sans doute que ce double rôle est inséparable, et que les conditions de la morale sont exactement les mêmes que celles de l’art.

Cette sainte vertu de l’art, méconnue par les écrivains qui flattent les plus tristes instincts du public, est-elle bien comprise toujours par ceux qui prétendent le moraliser ? Parmi les formes du roman contemporain, il faut bien noter en effet celle dont le principal effort, le caractère distinctif est de marier l’enseignement moral au récit. Comment certaines œuvres récentes justifient-elles une si louable ambition ? Voici d’abord un roman de M. Alexandre Weill. Émeraude[3] est une histoire simple et touchante, mais gâtée par un mysticisme bizarre qui ne nous épargne même point ses formules ontologiques. Dégagée toutefois de sa lourde enveloppe, la fable ne manquerait ni de sensibilité ni de fraîcheur, car en dehors de ses théories elle fait uniquement appel à des sentimens que toutes les âmes peuvent partager. L’analyse d’une passion profonde, bien que douce, y est finement suivie ; mais le caractère d’Émeraude, tout sympathique qu’il se présente, est trop ouvertement exceptionnel pour servir d’exemple, ainsi que le voudrait l’auteur. On pourrait peut-être désirer de lui ressembler, si l’on y était entraîné par le charme souverain du style. Ici M. Weill nous permettra de faire toutes nos réserves. Il a beau nous prévenir qu’il n’écrit pas dans le but de nous apprendre le français ; c’est pourtant à la condition indispensable qu’il parle notre langue que nous consentirons à l’écouter, nous apportât-il des méthodes inconnues pour penser et pour agir.

La négligence de la forme est ce qui compromet également le Christian de M. Francis Wey[4]. La donnée en est pourtant intéressante, et elle se prête à une étude morale que l’auteur n’a pas laissée entièrement échapper. Beaucoup de gens nous étonnent, dont la conduite bizarre nous serait expliquée par l’éducation qu’à reçue leur jeunesse. M. Francis Wey analyse cette influence sur deux esprits destinés plus tard à se comprendre et à se réunir par leur contraste même. Cette étude est faite, nous dit-on, d’après la pure réalité, et l’auteur en prend acte pour s’excuser de n’avoir pas soumis son œuvre à certaines règles de composition ; il semble croire que les esprits méthodiques seuls s’obstinent à tout asservir à ces règles, même la vie humaine. Cette erreur d’observation égare par contre-coup l’écrivain : attendra-t-il pour donner de l’unité à son œuvre qu’il se soit aperçu de l’enchaînement fatal qui relie à une destinée précise tous les accidens de la vie, même ceux qui paraissent uniquement dus au hasard ?

Les Récits de la Vie réelle[5], de Mme Claude Vignon, ne justifient qu’à moitié leur titre. Il y a dans ces nouvelles une recherche évidente de la réalité, mais cette recherche est trahie par l’exécution. Ce n’est pas que l’auteur glisse sur la pente des trivialités grossières ; il est au contraire entraîné vers des combinaisons qui, plus que les accidens de la vie commune, paraissent propres à flatter une imagination dramatique. De là dans ces récits deux parties bien distinctes : l’une où l’auteur étudie sincèrement la vie réelle, l’autre où il cherche à étonner plutôt qu’à interpréter. Celle-ci, bien que paraissant plus naturelle et plus facile au tempérament de l’écrivain, est la moins réussie. Les efforts de l’artiste qui assemble et qui compose les élémens fournis par l’observation se font plus heureusement sentir dans Anna Bontemps, simple histoire d’une âme dupée par elle-même, dans la Surface d’un Drame, et surtout dans Adrien Malaret, dont le seul défaut est de n’être point assez développé. Adrien Malaret est un inventeur sérieux, mais jeune et pauvre. Après quelques essais dignes d’attention, qui n’ont pu cependant réussir faute d’une aide suffisante, après avoir subi les dédains d’une protection vaniteuse qui n’a point su attendre, ce jeune homme est obligé de s’enfouir au fond d’un village, auprès d’une parente dont l’affection égoïste et jalouse, particulière aux vieilles gens, aiguillonne tristement une existence monotone et oisive qui le consume peu à peu. Cette description d’un esprit condamné à ne plus agir et à s’atrophier est la partie la plus intéressante du roman, et aussi la mieux faite. Enfin l’amour, qu’Adrien n’avait jamais connu, vient arracher à la torpeur et à la mort ce penseur solitaire, et rien n’est plus frais ni plus gracieux que ce réveil subit de l’intelligence dû à une telle cause. Malheureusement cette fin n’est pas traitée avec la fermeté nécessaire qu’on pouvait attendre des premières pages. Avec une préoccupation plus sévère de la forme, l’auteur trouvera uniquement dans de semblables études un succès que les récits purement romanesques qui terminent son livre ne contribueraient que faiblement à lui assurer.

S’y prendre de la plus adroite façon pour amuser la foule, c’est à quoi visent trop modestement quelques esprits auxquels on pouvait supposer une ambition de meilleur aloi. Le dernier roman de M. Edmond About, Trente-et-Quarante[6], indique une fâcheuse persistance à chercher le succès dans une voie où ne se fondent guère les réputations durables. Les personnages de l’auteur dégénèrent souvent en caricatures et ses bons mots en trivialités. Le style lui-même s’émousse et se corrompt à satisfaire des goûts vulgaires et faciles. L’esprit public a-t-il donc aussi réellement qu’on le croit horreur de toute fatigue, et ne demande-t-il qu’à être diverti ? Les écrivains n’ont-ils plus qu’à exploiter cette fausse nonchalance ? Heureusement les succès de M. About n’ont pas que cette seule cause, et ils sont dus surtout à l’habileté de la mise en scène et à l’agrément particulier du style. Si l’invention, si le sentiment venaient se joindre à ces qualités, si cette forme moqueuse et cassante admettait plus de nuances, M. About sortirait de la sphère étroite où il semble vouloir se renfermer. Jusqu’à présent, malgré la vivacité de son esprit, le public s’est habitué à le considérer comme un écrivain moral, qu’on peut introduire sans trop de difficultés dans le sein des familles. Ceci nous explique comment ses livres plaisent à beaucoup d’esprits prudens, désireux néanmoins d’une honnête distraction. Est-ce donc à ce genre de popularité que doivent définitivement s’adresser les goûts et l’éducation littéraire de l’auteur ?

À côté de certains esprits heureusement doués qui limitent trop leur horizon, s’en présentent d’autres qui pèchent plutôt par exubérance juvénile. Le roman de M. Hector Malot, les Victimes d’Amour[7], est le roman d’un jeune homme riche d’illusions et de prétentions naïves. Je parle ici de l’écrivain autant que du héros, car c’est la même personnalité abondante, passionnée, indiscrète à l’endroit de ses sentimens et de ses expressions. L’auteur a traité son œuvre en enfant gâtée ; il ne lui a refusé aucune situation, il en a développé tous les détails, analysé tous les élémens. Chacune des qualités de l’auteur, chacun de ses défauts, chacun des intérêts du livre est présenté, commenté, retourné sous toutes les faces. Ces longueurs sont d’autant plus sensibles qu’elles sont appliquées à un drame bien souvent raconté déjà, et que l’invention manque souverainement à toutes ces aventures ; mais elles se recommandent d’une précieuse qualité, qui est la jeunesse et la vie. C’est toujours la vieille histoire de l’artiste amoureux de la grande dame et trompé par elle, de l’égoïsme irrité, de l’imagination éprise à froid et dupe d’elle-même. Cependant, si le fond du livre est banal, si l’inexpérience de l’écrivain est visible, il y a de l’habileté dans la bonne foi même avec laquelle le drame est présenté ; l’imitation, sans pouvoir se déguiser, y est sauvée quelquefois par d’originales observations. Quand M. Malot saura se borner, quand il saura par conséquent écrire, son style n’aura point de peine à acquérir une physionomie propre : il sera, ce qu’il se montre dans certaines pages, élégant et agréable. Les échappées audacieuses de l’auteur, qui impatientent là où elles sont un manque de goût, plaisent en d’autres endroits où elles sont le signe d’une force qui n’a besoin que de direction. Espérons que M. Malot saura se surveiller lui-même et se défier d’une incontestable facilité : c’est en condensant ses phrases qu’on arrive le plus souvent à en faire des idées ; c’est en se montrant sévère pour ses personnages, et non en les adorant, qu’on parvient à en composer des caractères.

Que conclure de ce rapide coup d’œil jeté sur quelques expressions récentes de la forme romanesque ? Il serait imprudent, nous le croyons, de trop s’attacher à une absence d’originalité regrettable, à des tendances dont le correctif est déjà trouvé. Un mouvement de transformation s’opère, dont témoignent même les plus humbles productions : le roman tend de plus en plus à simplifier le drame et à se renfermer dans la logique interprétation de la vie réelle. Moins encore que toute autre production de l’esprit, le roman peut échapper aux transformations que l’art en général subit à mesure que le temps s’écoule et que les mœurs se modifient. Nous sommes fatigués de l’aventure et de la fantaisie, nous ne suivons plus dans leurs royaumes imaginaires les héros d’autrefois ; nous voulons que l’imagination ne dépasse plus les limites entre lesquelles se meut réellement l’action de l’homme ; il faut en un mot qu’elle combine, et non qu’elle invente. De là dans le roman contemporain deux tendances distinctes, dont l’une l’emporte visiblement sur l’autre. La première est encore le reflet du passé ; elle ne peut consentir à ce que le roman cesse d’être romanesque pour devenir réel ; elle continue à faire abstraction de ces mille détails qui empêchent sans doute de forger de pied en cap les personnages comme des types, mais qui ne s’opposent pas moins à ce qu’on y reconnaisse des caractères ; elle prétend enfin rester dans un monde de convention peuplé de figures idéales qui parlent un langage exceptionnel. L’autre au contraire, acceptant telle qu’elle se manifeste la personnalité humaine, se contente de l’étudier dans la sphère commune à tous. Elle n’exagère ni les vertus ni les vices, elle ne cherche point aux accidens de la passion des causes mystérieuses, mais elle essaie de les expliquer en les soumettant d’abord aux véritables ressorts qui les meuvent. L’art doit-il perdre quelque chose à cette évolution ? Nous ne le pensons pas, car il trouvera dans ce milieu nouveau de nouvelles conditions d’harmonie, et il saura regagner du côté de la vérité certains secours qu’il abandonnera du côté de l’exagération.


LA LITTERATURE EN BELGIQUE.


La France doit accueillir avec sympathie les efforts des rares écrivains qui en Belgique essaient d’être eux-mêmes, et visent à produire des œuvres originales. Quels que soient les résultats jusqu’à présent obtenus, il serait injuste de ne voir dans ces honorables tentatives qu’une simple, question de décentralisation littéraire. La Belgique mérite qu’on ne la juge pas avec le dédain réservé aux petites provinces qui s’émancipent ; elle pense, non sans quelque raison, que si Genève a donné à la France d’excellens écrivains, elle peut aussi prétendre à cet honneur. Ne peut-elle en effet se réclamer orgueilleusement de son passé, et répondre par les noms glorieux de Rubens et de Marnix de Sainte-Aldegonde à ceux qui lui refuseraient pour l’avenir le privilège d’un art propre et d’une littérature nationale ?

Les temps sont changés cependant, et les conditions ne sont plus les mêmes. À une époque où les nationalités se mêlent et se confondent de plus en plus, où les génies des diverses races, autrefois distincts, sinon contraires, s’effacent et s’unissent dans une sorte de synthèse cosmopolite, où l’esprit français lui-même est envahi par les influences étrangères, croit-on qu’un pays dont la première inquiétude doit être de rester neutre au milieu des luttes européennes puisse présenter du jour au lendemain un ensemble méthodique d’œuvres originales ? dans le mouvement général de fusion qui s’opère, dans cette évolution nécessaire des familles humaines autour d’un centre commun, peut-on croire qu’une exception soudaine sera faite pour l’un des satellites ? Au point de vue intellectuel, la Belgique n’a point à se continuer : il lui faut se créer presque entièrement. Quoi qu’on dise, elle n’est plus la Flandre, elle n’est plus les Pays-Bas ; elle est une nation nouvelle. Elle ne possède point, comme la France par exemple, un fonds ou un tempérament toujours semblable à lui-même sous les transformations superficielles que lui imposent les années et les circonstances. Il faut donc qu’elle essaie de se donner à elle-même cette sorte d’essence qui constitue la personnalité, et où la prendra-t-elle à une époque où les facultés propres des nationalités et des races tendent à disparaître et à se compenser par un échange mutuel ?

Sans doute le génie d’un peuple est quelque chose d’individuel ; mais jusqu’à présent la Belgique, pour conserver peut-être son importance, n’a-t-elle pas trop vécu de la vie des autres ? Il semble que les écrivains belges craignent de s’égarer, s’ils dépassent les limites où le fait demeure à l’état d’accident, où l’idée se présente encore à l’état de sensation. Par cela même que la hardiesse semble surtout faire défaut à leurs habitudes, on ne peut guère s’attendre davantage à rencontrer chez eux une large analyse des grandes passions humaines. La raison en est simple : on ne s’engage pas dans les profondeurs de l’être moral sans quelque lumière qui guide nos recherches. Or, privés de modèles et de traditions littéraires, représentans indécis d’une nationalité naissante, les écrivains belges manquent à peu près complètement de cet idéal intellectuel dont les sociétés depuis longtemps constituées et définies ont seules le privilège. Il leur fallait cependant, et le plus vite possible, asseoir leurs prétentions sur un terrain quelconque ; aussi sont-ils allés droit à cette face toute moderne de l’art qui est d’une observation facile et d’une application immédiate, l’étude de mœurs. Ici encore, les écrivains belges auraient tort de se croire sur le chemin de l’originalité. Assurément les études de mœurs permettent de rassembler des faits instructifs et des détails curieux ; mais l’intérêt en sera tout spécial, et ne dépassera point un certain cercle, si l’écrivain les renferme dans le cadre tout tracé de ses habitudes et de ses observations quotidiennes. Pour être comprises au-delà d’un horizon assez borné, elles exigeront un commentaire perpétuel, dont l’absence les entachera d’obscurité, dont la présence constituera une grave infraction aux règles souveraines de l’art.

Tel est par exemple le principal défaut d’un roman de M. Louis Hymans, la Courte Échelle[8]. Ce volume est rempli d’allusions qu’on ne peut bien comprendre sans être parfaitement-au courant de la politique intérieure de la Belgique, et non pas seulement de ces faits qui intéressent l’histoire générale, mais encore de ces petits événemens qui sont comme autant étiquettes collées sur des personnalités périssables. En se faisant dans une œuvre littéraire l’interprète d’une opinion politique, quelle qu’elle soit, M. Louis Hymans obéit trop visiblement à des sentimens que la critique ne peut pas apprécier, et qui le poussent à prendre, sans qu’on en voie suffisamment la raison, tantôt le ton amer du pamphlet, tantôt la phrase élogieuse du panégyrique. La Courte Échelle doit à ce parti-pris de ne s’adresser qu’à un petit nombre de lecteurs ; elle lui doit aussi, il est vrai, un fonds de chaleur et de passion qui tend à compenser le défaut d’intérêt général, et qui nous paraît être la qualité la plus précieuse de l’auteur. Nos objections n’en subsistent pas moins, car dans ces conditions étroites l’étude de mœurs présente encore un autre écueil. Il arrive en effet qu’en voulant se tenir dans la réalité, on se borne à la copier, et qu’on s’éloigne de la vérité littéraire en se contentant de reproduire les faits dont on a subi le contact, d’esquisser les figures qu’on a vues se mouvoir. Avec ces seules préoccupations, on croit agrandir sa tâche, mais on rétrécit réellement la portée de son œuvre. On s’imagine être historien, on reste chroniqueur. Sous prétexte de présenter des types, on néglige l’étude intime des caractères pour n’en mettre en relief que le côté extérieur et grossier, et ce ne sont même plus des portraits, souvent ce sont des caricatures qu’on ébauche.

Les études de mœurs offrent sans contredit de précieuses ressources ; elles permettent surtout de produire rapidement : il n’y en a que plus de mérite à s’y montrer écrivain soigneux et sévère. M. Hymans est loin, par malheur, de posséder encore tous les secrets de l’art ; il ne compose pas, il ne présente d’une manière vraiment satisfaisante ni ses personnages ni ses épisodes : il plaque les uns, il étale les autres. Quant au style, la précipitation, qui est recueil du genre, y a laissé plus d’une trace, et le reproche que nous adressons ici à M. Hymans n’est que trop souvent applicable aux écrivains de son pays. À ce propos, nous avons remarqué que les romanciers belges soulignaient soigneusement les expressions qui leur paraissent avoir un goût de terroir ; c’est assurément trop de zèle ou trop de naïveté. La question du style, croyons-nous, est prématurée pour des écrivains qui méconnaissent encore les conditions fondamentales du roman. M. Hymans, qui paraît sincèrement désireux de voir les lettres belges vivre et grandir, et à qui l’on doit au moins de consciencieux et persévérans efforts, tombe à ce sujet dans une erreur regrettable. Il a soin d’annoncer que ses études de mœurs se proposent un but moral ; mais comment prétend-il l’atteindre ? Par cette méthode fausse qui est à la mode depuis quelques années, et qui a fait son chemin, puisque nous la retrouvons en Belgique, mais qui n’est au fond que le réalisme déguisé. Elle consiste tout bonnement à exposer les choses dans leur crudité, en se fondant sur l’exemple devenu banal du jeune Spartiate et de l’ilote ivre. Avec ce système, nous avons au théâtre et dans le roman une foule d’empressés qui vont chercher je ne sais où de monstrueuses maladies, nous les décrivent, et veulent nous persuader que nous en sommes nous-mêmes rongés. On est étonné, on se regarde, on finit par rire : en attendant, l’exhibition est faite. Que gagne la morale à ceci ? Nous l’ignorons, mais certainement la littérature n’a que faire des prédicateurs et des moralistes de ce genre. Une franchise hardie est préférable à ces détours hypocrites. — Décrivez, dirons-nous aux écrivains belges, décrivez sans précautions oratoires ce que vous aurez observé ; mais ayez plus de talent, et parlez mieux français.

M. Louis Hymans, dans ses scènes de mœurs bruxelloises, s’est donc pris à l’intrigue et non aux sentimens, à la réalité violente et non à l’analyse des caractères : c’est ce que témoigne encore une autre étude intitulée la Famille Buvard. Ce roman nous paraît supérieur à la Courte Échelle. Il y a plus d’unité et de savoir-faire, le sujet s’y trouve à la fois plus concentré et mieux développé, et les figures qui sont données comme des types y sont plus logiquement étudiées, bien qu’elles tombent parfois dans leur défaut ordinaire, qui est de friser la caricature. Voici, par exemple, M. Buvard, le type de l’administrateur corrompu, ganache et solennel. Ce M. Buvard (un faux bonhomme !), dont la femme, créature sensible et opprimée, serait intéressante si elle n’avait une passion ridicule pour certains petits poissons rouges, s’est fait faire son portrait en pied, où il est représenté « en habit brodé, orné de toutes ses croix, et tenant à la main son chapeau à plumes de cygne. » Eh bien ! ce portrait est dû « au pinceau d’un peintre d’animaux ! » De semblables détails donnent la mesure du ton satirique dans lequel l’ouvrage est composé. Quelquefois amusans, ils choquent néanmoins parce qu’ils ne sont point jetés çà et là comme des traits significatifs, mais parce qu’ils constituent le principal objet du livre, tandis qu’ils devraient simplement compléter la description des caractères. Or il n’y a guère en définitive qu’un caractère dans la Famille Buvard, c’est celui d’une jeune fille coquette, ambitieuse et froide, qui, trompée par les galanteries d’un fat et par la sottise de son père, manque ce qu’on appelle un beau mariage et ne le pardonne pas à ceux qui l’entourent. Cette figure est fermement tracée ; elle intéresse, malgré certains côtés odieux, parce qu’elle est véritablement vivante. Ajoutez à ce caractère l’exposition, où l’auteur nous introduit dans la famille Buvard, et qui ne manque ni de vivacité, ni de coloris : vous aurez ce que le roman contient de mieux.

Un autre écrivain belge, M. Émile Leclercq, s’est attaqué aussi aux études de mœurs. Il use à peu près des mêmes procédés, et il offre dans la forme les mêmes défauts, et, si l’on veut, les mêmes qualités que M. Hymans ; mais il dirige autrement son inspiration. Ce n’est pas la vie politique ou administrative, c’est la vie privée qu’il s’exerce à traduire. Tandis que M. Hymans choque les uns contre les autres les faits et les personnes, M. Leclercq cherche plus volontiers à les combiner. Il en résulte chez ce dernier écrivain des qualités plus prononcées de composition ; mais ce que l’auteur de la Famille Buvard exagère dans un sens, l’auteur de l’Avocat Richard[9] l’exagère dans l’autre. M. Hymans voit partout des types, M. Leclercq partout des caractères ! Tous deux savent observer, tous deux puisent dans la réalité ; mais l’un y reste volontairement, l’autre essaie de s’en dégager et d’arriver progressivement à l’unité et à la vérité. Les épisodes de M. Hymans, isolés entre eux, sont peut-être plus saillans et plus vifs ; un lien visible maintient au contraire les faits dont M. Leclercq compose son action. Aussi nous est-il possible d’analyser rapidement l’Avocat Richard. On pouvait, avec la donnée de ce roman, composer une belle thèse sur les vocations et sur l’influence de l’éducation : en se défendant de toute considération générale, M. Leclercq l’a construite entièrement avec des faits. Un brave tapissier de Charleroi, dont la femme est modiste, prend la résolution de faire un avocat de son fils Armand, encore au berceau. La vocation aidant, et aussi les conseils de M. Philibert Sureaux, un savant de l’endroit, renommé pour sa prose architecturale, entre la bavette et le rabat l’enfant devient un petit prodige et le pédant le plus insupportable. C’est plaisir de voir comme il parle bien et longtemps, et comme sa mémoire est heureuse, et comme enfin, sauf M. Philibert Sureaux, à qui la gloire en revient, personne ne comprend rien aux éloquentes tirades du jeune orateur. Démosthène ou Cicéron, ce n’en est pas moins en attendant un égoïste et l’esprit le plus faux du monde. L’engouement dont il se voit l’objet, les sottes louanges dont on l’enivre ne réussissent qu’à lui enlever toute jeunesse et tout sentiment. Tant de bon sens et tant de philosophie se trouvent bientôt gênés dans la petite ville de Charleroi ; mais à Bruxelles, où le jeune aigle dirige son vol, des ennuis de tout genre viennent l’assaillir. Le doute pénètre en lui avec les idées nouvelles, et il ne sait que leur opposer ; les auteurs classiques n’y peuvent rien, pas plus que les argumens trop souvent ressassés du pauvre Philibert Sureaux. Bref, le grand homme est bien près de devenir idiot. Quel miracle transforme cet hébété ? Sur quel chemin de Damas rencontre-t-il enfin la lumière ? — Un soir, on voit notre homme se glisser furtivement dans un théâtre….. Quel mélodrame belge va-t-il donc siffler au parterre pour quinze sous ? Ah ! il s’agit bien de sifflets ! Donnez-lui plutôt des mains, encore des mains, pour applaudir… quoi ? une actrice dont il s’est amouraché peut-être ? Non, la pièce elle-même, et cette pièce, ce n’est ni Hermione et ses fureurs, ni Auguste et sa clémence, ni Alceste et ses franchises. Ce n’est même ni George Dandin ni Pourceaugnac, encore moins une comédie réaliste, c’est un inepte vaudeville où Jocrisse joue le principal rôle. Ni Cicéron, ni Démosthène n’avaient pu déterminer la vocation de cette grande âme : la gloire en était réservée à M. Clairville. Mirabeau se fait Scapin, et Armand Richard devient acteur comique. Et dans cette même ville de Charleroi, qui vit naître tant d’espérances, tant de grandeurs, tant de brillantes promesses, il revient débiter ce même rôle de Jocrisse, qui l’a entraîné, séduit, fasciné….. Voilà ce qu’une fausse éducation a fait de l’avocat Richard !

Il y a dans ce récit beaucoup de figures secondaires que j’ai omises, mais qui sont toutes soigneusement étudiées par l’auteur. Nous en avons fait la remarque déjà : l’Avocat Richard pêche par l’abondance des caractères. Les qualités qu’on y trouve sont surtout de la finesse et de l’aisance, du véritable comique et une certaine sobriété. Néanmoins, en dehors de sa donnée, le roman plaide à chaque instant pour sa thèse libérale belge, non sans fatigue pour le lecteur. Ce défaut est moins sensible ici que chez M. Hymans, mais il faut en conclure qu’il est particulier aux écrivains belges, et certes ce n’est point un petit inconvénient que celui qui consiste, dans une œuvre littéraire, à vouloir toujours prouver quelque chose et à rappeler sans cesse une opinion, sympathique sans doute, mais dont les développemens seraient beaucoup mieux placés dans une profession de foi politique et religieuse.

M. Hymans croit que les lettres belges se développeront surtout par le roman. Il est vrai qu’en dehors de la critique philosophique et historique, on ne peut guère leur trouver de manifestation plus sérieuse et plus régulière ; mais il est difficile de partager l’opinion de l’auteur de la Famille Buvard quand il veut que le roman belge s’identifie avec les intérêts, les espérances, les intimes pensées de la foule. Que le roman ait ainsi son utilité, nous ne le contestons pas ; mais ce sera une utilité d’une certaine espèce, une utilité de polémique ou de propagande qui n’aura rien de commun avec cette utilité d’ordre supérieur qu’on appelle le beau. La Belgique aura des livres, elle n’aura point de littérature. « L’esprit littéraire, dit encore M. Hymans, n’est qu’une des faces du patriotisme. » C’est oublier que les lettres ont des conditions d’existence libres, contre lesquelles ne peuvent prévaloir les productions factices qui prirent à certaines époques de l’histoire le nom pompeux de littérature d’état. On ne peut ni les improviser, ni les enrégimenter. Ce n’est pas en s’appuyant sur la capricieuse opinion des masses, ce n’est pas en flattant leurs goûts et leur curiosité, qu’on créera une littérature nationale en Belgique. Une telle littérature est avant tout un ensemble de créations individuelles, librement conçues, et dégagées des influences secondaires de clocher : il faut que l’homme y apparaisse, et non pas le citoyen.

Dans ce milieu d’études descriptives et d’observations minutieuses, je ne trouve qu’un volume, les Récits d’un Flamand, qui rentre dans le domaine de l’imagination, et dont l’auteur, M. Émile Greyson, ose obéir un peu à la fantaisie. L’introduction de l’élément romanesque fait-elle que ces nouvelles soient composées avec plus d’art et de style que les romans d’observation ? On ne saurait le nier ; cependant, malgré des efforts sérieux, ces récits ne sortent pas des limites de l’agréable, et ils n’offrent point absolument de qualités spéciales qui les distinguent. C’est le recueil de rigueur que se permettent les jeunes écrivains à leurs débuts, et qui a remplacé le volume de poésies par lequel on entrait autrefois dans la littérature. — Nous devons donc reconnaître que ce qui fait surtout défaut aux romanciers belges, c’est le sentiment de l’idéal et la permanente aspiration vers cette harmonie dans le vrai qui est le beau. Une littérature nouvelle qui tend à se constituer ne saurait méconnaître impunément cette suprême condition de l’art. Il n’est pas d’originalité possible pour des œuvres qui introduisent dans leur esthétique des théories utilitaires, ou qui, dans une sphère plus élevée, se contentent facilement du pastiche. Quelles espérances fonder par exemple sur des mélanges de toute sorte d’inspirations, sur de médiocres essais dont il est superflu de nommer les auteurs ? Le pastiche présente parfois une valeur réelle, lorsqu’il s’étudie, comme dans les Légendes flamandes de M. Charles de Coster, à retracer les mœurs, le langage, la physionomie intime d’une époque nationale, fameuse elle-même par son importance et sa vitalité. En dehors cependant de l’intérêt qui s’attache à de semblables souvenirs et du mérite patient qui les assemble, quelle base sérieuse peut offrir à de jeunes intelligences l’unique recherche du pastiche ? L’état actuel de la peinture en Belgique nous éclaire suffisamment à ce sujet, et la critique locale elle-même est obligée de reconnaître le peu d’originalité des artistes qui copient les vieux maîtres, ou qui exagèrent Rubens en passant par M. Courbet. Tel est, malgré son indulgence, le genre de regrets que manifeste M. Ad. van Soust dans ses études sur les beaux-arts à Bruxelles et à Anvers. Ce qui est surtout plus fâcheux, c’est que rien ne vient contrarier ces tendances. La critique littéraire n’existe point en Belgique, ou du moins, si elle apparaît quelquefois, elle ne possède encore ni cette franchise ni cette autorité légitime qui, dans une littérature nationale, donnent à la critique une importance souvent égale à celle de la production elle-même. Certes ce ne sont point des livres comme celui que vient de publier un professeur, M. Ferdinand Loise, qui donneront à la critique cette autorité si désirable. M. Loise a traité de l’Influence de la Civilisation sur la Poésie en des termes que n’a point ennoblis le contact de si hautes idées. Il s’est contenté d’une maigre exposition historique, dont le seul mérite est un profond respect pour la chronologie. Rien ne ressemble davantage à ces entassemens barbares de dates et de batailles que, sous prétexte d’études historiques, on fait apprendre par cœur dans les collèges. Enfin la conclusion de M. Loise est celle-ci : il attend patiemment le retour de la foi pour renouveler une littérature épuisée. Une aussi grande résignation ne paraît point être du goût de la Belgique, pas plus qu’elle n’est de son devoir ; mais, tout en reconnaissant à la littérature belge le droit d’exister, il faut au moins exiger d’elle qu’elle sache trouver en elle-même sa raison d’être. Sans vouloir rien préjuger de l’avenir, il doit nous être permis de douter que les œuvres présentes justifient une pareille ambition : tout au plus avec le temps arrivera-t-on à composer un ensemble factice. Encore la gloire de cette demi-réussite reviendra-t-elle tout entière à une meilleure intelligence des procédés de l’art, et surtout à une étude mieux raisonnée, à un respect plus réel de la forme et du style ; mais alors n’est-ce point à la langue française qu’il appartiendra justement de revendiquer des droits jusqu’ici méconnus ?

Il serait injuste, dans ce rapide examen d’une situation qui nous touche de si près, de passer sous silence des efforts plus sérieux et d’une autre nature qui à l’heure présente constituent peut-être la véritable importance intellectuelle de la Belgique. Nous voulons parler de la critique philosophique, qui peut dans ce pays prendre un plus libre essor, et qui accomplit en dehors des habitudes françaises une évolution remarquable. Nous n’y sommes pas tout à fait étrangers cependant, puisque notre situation politique sert de cause et de prétexte à quelques-uns de ces travaux ; mais eussent-ils la licence de se produire chez nous, qu’ils ne rencontreraient sans doute pas chez tous les esprits cet amour et cette aptitude pour certaines discussions qui sont particulièrement en faveur au-delà du Rhin. En outre, ce qu’il y a d’important dans ces sortes d’œuvres, ce que nous devons surtout y considérer, c’est le cachet original qu’elles portent avec elles, puisque l’imitation n’y saurait être que du plagiat, et que tout y est dû nécessairement à la pensée individuelle. Les Études sur la Méthode dans les Sciences, publiées par M. J.-B. Annoot, se font remarquer par une concision et une clarté précieuses dans des questions aussi délicates. M. Annoot se plaint que personne ne se soit jusqu’à présent attaché à définir clairement la méthode, à en marquer avec précision le but et le caractère. Passant successivement en revue les théories les plus célèbres, il montre que les philosophes ont constamment confondu le problème de la méthode d’invention soit avec. Le problème de la certitude, soit avec le problème de la méthode d’enseignement, soit encore avec celui de l’origine de nos idées. Sans entrer dans les détails de la discussion, nous devons dire que M. Annoot justifie généralement les critiques qu’il élève, bien que lui-même ne rende peut-être point justice entière à l’analyse. Quant à lui, il semble se rapprocher de la théorie de Leibnitz, qui, pour découvrir la vérité, enseigne à rechercher partout ce qui est de nature à réaliser le plus d’ordre et le plus d’harmonie dans les choses : de là sans doute aux causes finales il n’y a qu’un pas ; mais ce pas doit être un abîme pour tout véritable philosophe, et nous craignons que dans sa théorie dogmatique M. Annoot ne l’ait trop facilement franchi.

Un critique qui s’est déjà fait connaître par des travaux estimés sur le système de Krause, M. G. Tiberghien, professeur à l’université de Bruxelles, a essayé, dans des Études sur la Religion[10], d’éclairer un problème que le XIXe siècle a compris tout autrement que le XVIIIe, et dont la solution intéresse souverainement nos croyances et notre liberté. M. Tiberghien s’appuie sur cette base que la question religieuse appartient à la science, et que l’esprit humain est pleinement apte à la résoudre. Ce n’est donc pas une alliance impossible entre la raison et la foi que l’auteur cherche à établir, mais il prend pour point de départ avec Leibnitz[11] une sorte de révélation philosophique qui n’est autre chose que notre raison étendue et pouvant à elle seule discerner des vérités qui émanent immédiatement de Dieu. M. Tiberghien reconnaît tout d’abord la nécessité d’une religion ; mais cette religion n’est ni le catholicisme, ni un ensemble de pratiques extérieures : c’est simplement les rapports de pensée et de sentiment qui s’établissent entre l’homme et Dieu dans la vie, suivant cet axiome : Religet religio nos ei à quo sumus, et per quem sumus, et in quo sumus. La théorie de M. Tiberghien est contenue à peu près tout entière dans ces paroles de saint Augustin. Après avoir résumé d’une façon remarquable le développement successif de l’idée religieuse à travers les religions positives que nous fait connaître l’histoire chez les différens peuples de la terre, l’auteur aborde l’étude des deux termes que comporte son problème, l’homme et Dieu. Tandis que l’animal est un être fragmentaire, sans équilibre, un organisme qui est et qui reste inachevé, l’homme est l’être d’harmonie de la création, l’être complet parmi tous les êtres finis, le microcosme en un mot. Les animaux sont des choses, l’homme est une personne. En remontant sans cesse de l’effet à la cause, de la pluralité à l’unité, il arrive seul à saisir par la raison l’être infini et absolu qui est cause du monde et qu’on appelle Dieu. Il faut donc voir un privilège de l’homme dans la religion, dont la manifestation sociale est l’église, et qui est l’ensemble de nos rapports personnels avec Dieu. — Cette conclusion serait absolument logique, si elle ne contenait dans ses prémisses une erreur commune à presque toutes les philosophies, qui est d’établir entre l’homme et les animaux une séparation complète, un abîme. Or il n’y a pas de milieu : ou il faut reconnaître entre nous et les animaux un système de gradations que justifie la physiologie, ou il faut comme Descartes ne voir dans les êtres animés différens de nous qu’une collection d’automates. Il n’est pas vrai que l’homme soit aux sept classes de l’animalité ce que la lumière blanche est aux sept couleurs du spectre solaire : la comparaison est harmonieuse, mais elle manque de justesse. L’homme n’est que supérieur aux autres êtres ; il n’est pas la combinaison suprême de tous les élémens qu’ils peuvent présenter. C’est un honneur qu’il nous faut savoir récuser, loin de nous croire orgueilleusement dans la création un centre ou une limite nécessaire.

Arrivons au second terme de la proposition : Dieu. M. Tiberghien, qui n’est pas catholique, n’est ni athée, ni théiste, ni panthéiste. Sa doctrine sur Dieu se résume dans l’expression significative de panenthéisme : au lieu de dire « tout est Dieu, » il faut dire, selon lui, « tout est en Dieu. » Dieu, cause du monde, est l’être d’harmonie infinie et absolue, comme l’homme est l’être d’harmonie dans les limites du monde. M. Tiberghien se sépare des théistes en ce qu’il n’isole pas Dieu dans une sphère où il se contemple stérilement ; il se sépare des divers systèmes de panthéisme en ce qu’il fait de Dieu une personnalité, et non pas une substance infinie dont nous ne devions être que les modes périssables ou les manifestations transitoires. L’homme doit agir comme cause et comme volonté libre. Il suffit d’indiquer cette seconde partie de la théorie sans la soumettre à des critiques qui s’écarteraient du plan de ce rapide tableau. Le plus ou moins de vérité que présente cette thèse n’en constitue pas l’importance : cette importance réside surtout, à nos yeux, dans les tendances mêmes que révèlent de pareils livres. Ce n’est point en un jour que l’ordre complet doit s’établir dans des questions aussi élevées ; néanmoins on ne peut atteindre un semblable résultat sans la discussion, et c’est ce que nous voulions faire ressortir.

La discussion est sortie de nos habitudes, malgré nous peut-être, dans un certain ordre d’idées ; ce qui est incontestable, c’est qu’elle est sortie volontairement de nos habitudes philosophiques : quand y rentrera-t-elle ? Qui pourrait le prévoir ? Nous n’avons jamais été bien sincèrement attirés par ces études qui nous effraient lorsqu’elles ne nous semblent pas inutiles : c’est à elles seules pourtant qu’on doit de posséder quelque certitude dans des questions plus directement applicables à nos idées et à nos besoins de chaque jour ; mais une sorte de revirement s’opère. L’économie et la politique se tournent franchement vers la philosophie et la morale, et leur demandent des bases certaines : une fois que le courant sera bien établi, grâce à la discussion, nul doute que nous ne soyons des premiers à fournir des développemens réguliers et à donner d’utiles conclusions. Constatons, en attendant, que nos voisins prennent les devans, et que les résultats dus par la suite à nos ingénieuses comparaisons ne pourront amoindrir le premier honneur de leurs patientes recherches. Cet avantage que nous aimons à reconnaître aux écrivains belges dans la critique philosophique nous permet d’augurer favorablement des efforts qu’ils dirigent dans un autre domaine, celui des lettrès et de l’art. Quand un peuple possède des penseurs sérieux, il nous semble que les poètes et les romanciers ne doivent pas être loin, — aujourd’hui surtout que le roman, abandonnant la fantaisie pour l’étude de la vie réelle, devient une sorte d’interprétation qui laisse le champ libre aux facultés analytiques. Que ces essais d’observation morale se revêtent d’une forme et d’un style qui leur manquent encore trop souvent, et la Belgique pourra se créer une littérature nationale, car ces qualités dont nous réclamons la présence s’obtiennent surtout par la volonté et le travail personnel de l’écrivain. Or ce n’est ni la volonté ni l’énergie qui manquent à la nation belge.


EUGENE LATAIE.




Leçons élémentaires d’Anatomie et de Physiologie humaine et comparée, au point de vue de l’hygiène et de la production agricole, par M. Le docteur Auzoux[12].


Les sciences ont ce double bonheur en notre siècle, qu’elles se vulgarisent en même temps qu’elles se perfectionnent, qu’elles étendent leur empire en même temps qu’elles l’affermissent et le justifient chaque jour davantage. On sait quelles merveilleuses conquêtes la physique et la chimie ont faites sur le monde de la matière ; ce n’est pas le seul progrès qu’elles aient accompli : elles ont fait des conquêtes non moins remarquables dans le monde des intelligences ; elles sont devenues d’un usage général depuis qu’on leur a découvert une foule d’applications jusqu’alors inconnues. Du cabinet des savans de profession, elles sont descendues dans le domaine de tous : l’industrie et l’agriculture, autrefois asservies à la routine, ont fait appel à leurs trésors, et les mettent chaque jour à profit. Les autres branches des connaissances humaines peuvent aspirer aux mêmes avantages : l’anatomie et la physiologie, qui ont fait sous Bichat et ses successeurs de si précieuses découvertes, ont droit à se faire connaître et rechercher du public, qui les ignore. Les mettre à la portée du grand nombre, en propager les notions, en faire comprendre l’utilité variée, tel est le but que se propose M. le docteur Auzoux en publiant ses Leçons élémentaires. Déjà depuis longtemps il a rendu service aux sciences qu’il pratique par l’invention d’un procédé, aujourd’hui apprécié de tout le monde, qui permet d’étudier l’anatomie en échappant aux dégoûts de la dissection. Le livre qu’il vient d’achever est le complément indispensable de ses modèles ; il donne avec méthode l’explication de tous les phénomènes de la nature animale.

Quelle peut en être l’utilité ? dira-t-on. Et n’est-ce pas assez que les médecins et les naturalistes soient instruits de ces choses, sans qu’il faille en occuper les profanes ? — Le livre de M. Le docteur Auzoux se justifie de lui-même. N’eût-il pour but que de faire mieux connaître et mieux observer les règles de l’hygiène, en nous initiant aux lois de la respiration, de la circulation, de la digestion, et aux principales fonctions de la vie, il ne serait certainement pas sans intérêt ; mais l’ouvrage n’a pas seulement l’hygiène de l’homme pour objet, et l’auteur propose une application nouvelle de l’anatomie qui semble destinée à produire des effets d’une réelle importance. En exposant les principes de la physiologie animale, en insistant particulièrement sur la structure du cheval, il montre comment les divers procédés de nutrition et de direction peuvent, suivant notre volonté, favoriser le développement des os, des muscles et de la graisse ; il fait ainsi de la production animale une véritable science, et son livre doit devenir le guide de l’éleveur. L’art de former et d’élever les animaux, qui touche de si près aux intérêts agricoles, a tout à gagner en effet, comme l’agriculture elle-même, à sortir des voies d’un empirisme vulgaire, et à faire appel aux notions précises de la science ; l’anatomie et la physiologie en sont les plus puissans auxiliaires, et il est précieux d’avoir un livre qui, par l’exactitude des données et la clarté des démonstrations, peut, sans grand effort, se faire comprendre des personnes les plus étrangères aux études médicales.

Ce serait toutefois rabaisser l’importance de l’anatomie et de la physiologie que de la restreindre à des avantages aussi matériels : ces deux sciences touchent à de plus hautes questions, qui sont d’un intérêt universel. Depuis Aristote jusqu’à Descartes et à Bossuet, tous les philosophes ont considéré la physiologie comme une partie nécessaire de la philosophie. Pour faire en nous la part de la matière et la part de l’esprit, il faut connaître notre nature physique presque aussi bien que notre nature morale : Bossuet, dans son traité De la Connaissance de Dieu et de soi-même, n’a pas suivi une autre méthode. Depuis deux siècles pourtant, quels progrès a faits la science du corps humain ! Bossuet ne connaissait ni la combustion de l’air dans les poumons, ni les diverses transformations que le sang subit dans notre corps ; il supposait tous nos membres parcourus par des esprits, dont rien ne révèle la trace. Quant aux différens usages des nerfs, à l’explication du sommeil et des phénomènes du système cérébral, quelle distance des anciennes hypothèses à la précision de la science moderne ! Il peut être utile de trouver dans un livre élémentaire le résumé de la doctrine actuelle, et tous ceux qui l’étudieront adopteront sans peine la conclusion de l’auteur : « J’ai remarqué qu’en exposant à mes auditeurs cette merveilleuse organisation, j’avais fait passer dans leur esprit non-seulement le sentiment d’admiration dont je me sens chaque jour de plus en plus pénétré pour le chef-d’œuvre du Créateur, mais encore cette conviction profonde qu’il y a en nous autre chose que de la matière. »


AM. LEFEVRE-PONTALIS.


V. DE MARS.


  1. 2 vol. in-12 ; Amyot.
  2. Voyez la Revue du 1er novembre 1858.
  3. 1 vol. in-12, Poulet-Malassis et de Broise.
  4. 1 vol. in-12, Librairie-Nouvelle.
  5. 1 vol. in-12, collection Hetzel.
  6. 1 vol. in-12, L. Hachette.
  7. 1 vol. grand in-18, Michel Lévy.
  8. 1 vol. in-12, édition A. Schnée.
  9. 2 vol, in-32, édition A. Schnée.
  10. 1 vol. in-8o, chez Guyot.
  11. Nouveaux Essais sur l’Entendement humain.
  12. 1 vol. in-8o, Paris 1858.