Chronique de la quinzaine - 30 novembre 1832

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Chronique no 16
30 novembre 1832


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.

30 novembre 1832.


Le fait le plus sonore et le plus retentissant de la quinzaine est sans contredit ce qui s’est appelé l’attentat du 19 novembre.

C’est merveille en vérité que la détonation d’un petit pistolet de poche ait été si bruyamment prolongée, qu’elle couvre même encore aujourd’hui tout le bruit que fait l’artillerie de notre armée sous les murs d’Anvers.

Cela s’explique pourtant aisément, si l’on veut bien songer que le coup de pistolet dont il s’agit a été tiré sur un pont, sur le pont Royal. Vous savez qu’il y a là de l’écho. Ce coup de pistolet ne pouvait donc manquer de résonner beaucoup et long-temps.

Quoi qu’il en soit, la chambre, sans s’intimider le moins du monde, s’est constituée d’abord, a délibéré et délibère encore courageusement sous le feu dudit pistolet de poche.

Quant à la doctrine, elle a montré dans le danger une rare présence d’esprit ; ramassant les balles, elle en a chargé ses canons et a tiré à mitraille sur le compte-rendu. Mais M. Dupin ne s’est pas laissé non plus étourdir, et tout en protestant, comme le ministère, contre l’attentat, il s’est fait nommer provisoirement président de la Chambre.

Ceci prouve bien que les avocats sont de meilleurs et de plus braves tacticiens qu’on ne le pensait. Que M. le maréchal Soult y prenne garde ! il ne serait pas impossible que son fauteuil fût mis incessamment en état de siége.

En attendant, au surplus, la guerre des portefeuilles à la tribune, et le commencement des hostilités en Belgique, nous avons eu, rue Richelieu, la grande bataille rangée du Roi s’amuse.

D’un côté M. Victor Hugo s’avançait sur le théâtre avec de détestables acteurs, mais avec un drame audacieux de pensée et de conception.

Il avait aussi des bataillons auxiliaires à l’orchestre, à la première galerie et au parterre. Le reste de son armée couronnait les hauteurs de la seconde galerie et de l’amphithéâtre.

Toutes ces troupes, formées de jeunes soldats pleins d’ardeur et d’enthousiasme, combattaient bravement, et sans autres armes que leurs puissantes mains.

L’armée ennemie, dispersée en petits pelotons, occupait le plus grand nombre des loges, le balcon et les baignoires. C’est là qu’elle avait placé son artillerie de sifflets ; c’est de là qu’elle dirigeait ses perfides batteries de ricanemens et de murmures.

La mêlée fut terrible, la lutte longue et acharnée.

Enfin, après quatre heures de combat, la victoire parut se ranger sous les drapeaux du poète. M. Victor Hugo resta maître du champ de bataille.

Cependant, si la soirée était à lui, la troupe ennemie se promettait bien de prendre le surlendemain sa revanche, et cette guerre aurait duré sans doute tout un hiver, ainsi que celle d’Hernani. Mais voici que M. d’Argout, sans respect pour le droit sacré de non-intervention, s’est avisé de s’immiscer dans la querelle, et d’interdire toute représentation ultérieure du Roi s’amuse.

Il en est résulté, comme dans la comédie de Molière, que l’armée battue s’est rangée contre le ministre du côté de M. Victor Hugo. Et c’était justice vraiment. En ce siècle de suprême liberté, n’est-ce pas le moins que l’on nous laisse celle de nous déchirer paisiblement dans le champ clos du drame et de la poésie ?

Les représentations anglaises qu’on nous promettait depuis long-temps ont commencé la semaine dernière à la salle Favart.

Miss Smithson, dont les débuts nous avaient laissé de si profonds souvenirs, a reparu dans Jane Shore, et s’y est montrée plus poétique, plus déchirante et plus admirable que jamais.

La troupe comique, telle qu’elle se trouve composée en ce moment, est excellente, et deux petites comédies, Raising the Wind et the Rendez-vous, ont été jouées par elle avec beaucoup de verve et d’ensemble.

Kean et Macready sont attendus, et nous ne tarderons pas à les revoir dans Romeo et Juliette, dans Othello, Macbeth et Hamlet.

À la Porte-Saint-Martin, on nous annonce la reprise de la Maréchale d’Ancre, de M. Alfred de Vigny, en attendant son nouveau drame, qui fera son apparition dans le mois de février prochain.

Cette époque est bien celle des rénovations de tout genre. Le mois dernier, c’était la Femme nouvelle qui se révélait à nous. C’est la ville nouvelle qui se bâtit et se fonde aujourd’hui.

Il ne s’agit de rien moins que de supprimer le Paris actuel et de mettre à la place la ville nouvelle, c’est-à-dire le Paris des Saint-Simoniens.

M. Charles Duveyrier, qui n’est pas seulement le poète de Dieu, mais encore bien son architecte, sera chargé de cette grande entreprise.

Or, voici le plan de la ville nouvelle, tel que M. Charles Duveyrier devra l’exécuter.

La ville nouvelle, qui sera en même temps la ville d’espoir et de désir, aura la forme d’un homme couché au bord de la Seine. La ville nouvelle sera un homme, attendu que la société est mâle.

Les palais des rois seront le front de la ville nouvelle. Elle aura un visage de parterres fleuris, une barbe de hauts maronniers, et une chevelure de tilleuls qui retombera en tresses sur ses joues. La ville nouvelle, on le voit, étant saint-simonienne, ne se coupera ni la barbe ni la chevelure.

La ville nouvelle portera un collier de grilles dorées, ce qui toutefois me semble une parure un peu trop efféminée pour une ville-homme.

M. Charles Duveyrier fera à son nouveau Paris une large poitrine qui s’étalera bombée et découverte, et se gonflera d’orgueil lorsqu’elle sentira les belles femmes marcher à sa surface.

Entre nous, ceci arriverait en pareil cas à toutes les poitrines.

Les buttes du Roule et de Chaillot seront les flancs du colosse. Il étendra son bras droit en signe de force jusqu’à la gare Saint-Ouen, et M. Charles Duveyrier lui mettra dans la main un vaste entrepôt, où la rivière versera la nourriture qui désaltérera sa soif et rassasiera sa faim.

Ce bras droit sera rempli par les ateliers, les passages, les galeries et les bazars.

Sur l’épaule droite du colosse, M. Charles Duveyrier placera la Madeleine comme une épaulette d’honneur.

La cuisse et la jambe droite seront formées de tous les établissemens de grosse fabrique. La cuisse gauche offrira aux étrangers de longues files d’hôtels. Les deux pieds seront d’airain, et l’on n’y mettra rien du tout.

Vous voyez, dit l’architecte, que ma ville est dans l’attitude d’un homme prêt à marcher.

Qu’il ne prenne pourtant pas à sa ville, bon Dieu ! fantaisie de le faire ! Que deviendraient alors ces belles femmes qui se promènent sur sa poitrine, et tous les flâneurs qui regardent les boutiques dans les passages et les galeries de son bras droit ?

N’oublions pas de dire que le Paris des Saint-Simoniens aura un manège en ellipse entre les genoux, et un immense hippodrome entre les jambes.

Maintenant que la ville nouvelle est construite, il s’agit de savoir comment on évacuera la vieille, qui ne sera plus bonne à rien, et de quelle manière s’opérera cet immense déménagement de 800,000 hommes.

Sans avoir recours à l’entreprise des petites messageries, M. Charles Duveyrier s’y prendra de la manière suivante.

En ce qui concerne par exemple le onzième et le douzième arrondissement du vieux Paris, M. Charles Duveyrier fera descendre des hauteurs de Sainte-Geneviève et du faubourg Saint-Germain, tous les savans emportant leurs chaires, leurs instrumens, et puis les arbres et les animaux du Jardin des plantes.

Ici quelques objections nous semblent indispensables.

Que M. Tissot charge sur son dos sa chaire de poésie latine, c’est un peu lourd, mais il n’y a rien à dire.

Que M. Desfontaines arrive tenant dans ses mains ses deux palmiers ainsi que deux pots de fleurs, c’est bien encore.

Mais M. Geoffroy Saint-Hilaire pourra-t-il donc raisonnablement prendre la giraffe sous un bras et l’éléphant sous l’autre, comme une chatte et un épagneul ? Au lieu de décider que les savans apporteraient leurs animaux, n’était-il pas au contraire plus convenable de s’arranger pour que les animaux apportassent leurs savans, ou tout au moins pour qu’ils vinssent se portant les uns les autres, à tour de rôle ?

Quant au déménagement des hôpitaux, qui présentait aussi ses difficultés, M. Charles Duveyrier se montre plus humain.

Les vieillards, les malades et les infirmes marcheront tant mal que bien, comme ils pourront, mais au moins il ne leur dit pas « Tolle grabatum tuum et ambula. » Non. Les lits étant pourvus d’excellentes roulettes, rouleront tout seuls en avant et donneront l’exemple.

Une fois son emménagement achevé, l’architecte jette un regard satisfait sur son nouveau Paris. Il admire son œuvre.

Mes rues, s’écrie-t-il, sont sinueuses comme des anneaux qui s’entrelacent.

Et moi je n’admire cela nullement. C’était bien la peine de bâtir une ville nouvelle, pour y faire de pareilles rues. Autant valait garder les quartiers de la halle et de la cité.

M. Charles Duveyrier se félicite aussi de ce que les murs de sa nouvelle ville sont couchés à terre.

C’est fort bien. Mais pour les placer de cette sorte, il était plus simple de ne pas en mettre, car à quoi vous serviront, je vous prie, ces murs couchés à terre, si l’on vient assiéger votre ville ?

Ce qui réjouit encore singulièrement M. Duveyrier, c’est que dans le Paris saint-simonien, on n’entendra que le bruit des marteaux et des haches, le grincement des vis et des scies, le bruit des laminoirs et les battemens cadencés des pompes à bascules.

Miséricorde ! quel concert industriel ! n’avions-nous pas assez déjà de la musique des chaudronniers et des forgerons ?

Vous vous souvenez bien, j’imagine, que le nouveau Paris est un homme.

Maintenant le monument où la religion doit le plus exalter les espérances humaines, aura les formes de la femme. Le nouveau temple sera du sexe féminin. Le nouveau temple sera une femme.

Le corps de cette femme-temple sera vaste. Le peuple montera sur elle et jusqu’à sa ceinture, — pas plus haut, — par des galeries en spirale, qui s’échelonneront comme les guirlandes d’une parure de bal. Les prêtres seuls auront un escalier dérobé par lequel ils arriveront au sommet de la femme à travers les plis de sa robe entr’ouverte et agrafée.

Dans la queue de la même robe, il y aura un immense amphithéâtre où l’on viendra jouir du spectacle des pacifiques carrousels et respirer le frais sous les orangers.

Les yeux de la femme-temple, dit enfin M. Charles Duveyrier, seront deux soleils éblouissans, comme serait le soleil véritable, s’il se montrait seul quand il fait nuit.

Cette image ne me semble pas absolument juste. Si le soleil se montrait quand il fait nuit, il ferait jour selon moi. Qu’en pensez-vous ?

Au surplus, voilà le temple de M. Duveyrier. Voilà sa ville.

La ville et le temple sont mariés.

Le temple est l’épouse de la ville, la ville est l’époux du temple.

Ce sont cependant, vous le voyez, deux êtres fort distincts. Mais comme dans les bons ménages, la femme et le mari ne sont qu’un, M. Charles Duveyrier nous a donné ce couple en bloc et l’a tout simplement appelé : la ville nouvelle, ou le Paris des Saints-Simoniens.


VALENTINE, PAR G. SAND[1].

Disons-le d’abord : avant de lire ce livre, nous avions conçu contre lui des préventions peu favorables. Ce second roman de l’auteur d’Indiana nous était suspect, venant si vite après le succès éclatant et mérité du premier. Nous ne voulions voir dans Valentine que l’exhumation de quelque étude vieillie au fond d’un portefeuille, ou bien la production prématurée de quelque ébauche incomplète arrachée à l’écrivain par l’avide sollicitation de ses éditeurs. L’égoïste spéculation, la spéculation impitoyable, qui s’attache soudain, comme un lierre, à tout nom qui surgit, à tout talent qui s’élève, se souciant peu de les étouffer, pourvu qu’elle profite et s’enrichisse de leur sève ; la hideuse spéculation nous apparaissait déjà sous la forme de la publication nouvelle de M. G. Sand.

Mais nous avons lu Valentine, et nous nous sommes bientôt reproché sévèrement l’injustice et la légèreté de nos soupçons.

Valentine est un livre qu’il faut placer aussi haut qu’Indiana, sinon au-dessus.

Le défaut d’Indiana, c’était peut-être le manque d’unité. La composition n’avait pas été suffisamment mûrie ; chaque portion de l’édifice était belle isolément, mais l’ensemble irrégulier.

Il n’en est pas ainsi dans le nouveau roman. Vous y apercevez d’abord une fatale et saisissante figure qui domine de bien haut les autres, et les fait mouvoir de son seul regard : c’est Bénédict.

C’est une belle et neuve situation que celle de ce jeune homme au milieu de l’amour de ces trois femmes agenouillées, dont il tient les ames entre ses mains. Bénédict est le pilier de tout le drame. En s’écroulant, il écrasera sous ses débris ces créatures aimantes et dévouées qui priaient encore à ses pieds. L’œuvre alors sera pleine et accomplie.

L’action, dans Valentine, s’avance constamment rapide et entraînante vers le dénouement. Il semble seulement qu’à cette marche impétueuse elle se soit fatiguée outre mesure, et que les forces lui aient quelque peu manqué sur la fin de sa course.

Quant au style, c’est encore celui d’Indiana. Quel éloge meilleur lui pourrions-nous donner ?

Quelles destinées meilleures que celle de sa sœur aînée pourrions-nous aussi promettre à Valentine ? Je ne sais. Et pourtant Valentine a peut-être plus de titres et de droits encore à une haute fortune littéraire.


NOUVEAUX CONTES PHILOSOPHIQUES, PAR M. DE BALZAC[2].

Ce nous devient une tâche fort difficile que de parler des livres de M. de Balzac. Cet intarissable écrivain s’obstine dans ses défauts avec une si féconde persévérance, que nous renonçons presque à l’en réprimander. Sans plus l’importuner de conseils dont il tient si peu de compte, enfant gâté qu’il est des cabinets de lecture, nous l’y laisserons donc quelque jour jouir en paix de sa vogue. Si elle passe vite d’ailleurs, ce n’aura pas été la faute de notre officieuse critique.

Soyons-lui cependant cette fois encore de sévères et bienveillans Aristarques.

Demandons-lui pourquoi, par exemple, il persiste à ne rien achever ; car c’est en général le défaut de ces nouveaux contes comme celui de leurs aînés. Maître Cornélius et l’Auberge rouge commencent à merveille. L’auteur nous introduit convenablement dans ces deux histoires ; mais de ce riche et spacieux vestibule où il nous a fait entrer, nous voudrions monter aux appartemens ; après être demeurés si long-temps sur le seuil, nous voudrions le franchir ; nous voudrions voir le reste de la maison. Par malheur, l’architecte a oublié de la finir. Il n’y a qu’un vestibule.

Madame Firmiani, c’est toujours la femme de trente ans. L’artiste avait un jour dessiné sur la pierre un portrait de femme, spirituel, élégant et fin ; mais à force de les multiplier, voici que les épreuves qu’il nous en donne pâlissent et s’effacent singulièrement.

Le meilleur morceau du volume est assurément la Notice sur Louis Lambert. C’est un long et triste regard jeté vers l’enfance. Ce sont les touchans souvenirs d’une amitié de collége, racontés simplement et sans prétention. Il ne fallait ici ni fable, ni drame. Et tant mieux, dès qu’il ne s’agit point de composer, quand il n’est besoin que de laisser courir la plume, M. de Balzac est passé maître, il est sur son terrain, et vous vous serez certes lassé de le lire, avant qu’il se soit lassé d’écrire.

Que si vous me demandez maintenant où est la philosophie de ces nouveaux contes, je vous dirai avec candeur tout ce que j’en crois savoir. M. de Balzac publie diverses séries de contes. Ce sont successivement et tour à tour des contes fantastiques, drolatiques et philosophiques. Les avant-derniers étaient drolatiques ; voilà sans doute pourquoi ceux-ci sont philosophiques.


DE L’ESPRIT ET DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRES CHEZ LES PEUPLES ANCIENS ET MODERNES, PAR M. THÉRY, PROVISEUR AU COLLÉGE ROYAL DE VERSAILLES[3].

C’est un livre plein d’instruction et de conscience que celui de M. Théry. Il se place dès l’abord au point de vue platonicien ou idéal, par opposition au point de vue aristotélique ou critique, et de cette hauteur il passe en revue les divers systèmes, les opinions nombreuses que nous offrent en fait d’esthétique les littératures des peuples anciens et modernes. On pourrait lui reprocher peut-être de n’avoir posé sa propre théorie qu’en termes un peu trop généraux, de l’avoir acceptée plutôt que faite, et en même temps de s’en préoccuper assez pour ne nous donner ses expositions historiques que sous une forme parfois trop sommaire : il y a des endroits, en un mot, où l’on voudrait plus de développement philosophique ; il en est d’autres où l’on désirerait des analyses plus détaillées. Mais à part ce léger embarras, qui tient, nous le croyons, à la conception même de l’ouvrage, on ne trouvera nulle part ailleurs une réunion aussi bien choisie de documens et de jugemens sur les divers travaux de critique littéraire. M. Théry ne s’est pas borné, dans sa partie ancienne, aux monumens de l’antiquité grecque et latine ; il a fait un choix ingénieux dans les trésors moins connus de l’Orient, Chine, Inde et Perse. On sent à merveille l’écrivain bien informé qui a puisé aux sources les plus saines et les plus récentes. Des extraits piquans et de fidèles traductions, jetés à la fin du premier volume, complètent ce que les mentions du texte peuvent avoir de trop rapide. Dans son second volume, M. Théry aborde les littératures allemande et française, et les conduit jusqu’à nos jours, au point où les ont poussées les contemporains. On y suit avec intérêt et profit les phases successives du goût, qui se réfléchissent dans les systèmes des critiques et rhéteurs. De nombreux fragmens, tirés de la République des Lettres de Klopstock, nous montrent en plein quelle laborieuse et forte méditation a présidé à l’enfantement de la moderne poésie allemande. Dans ses jugemens sur notre France du dix-neuvième siècle, M. Théry fait preuve d’une bienveillance tempérée de justesse, et d’une impartialité sans morgue, qui marque un esprit progressif autant qu’une ame sympathique. Je lui sais gré, dans sa revue du dix-huitième siècle, d’avoir remis en honneur l’excellent Essai du père André. Les volumes de M. Théry sont écrits d’un style toujours élégant et simple.


LES DEUX CADAVRES, PAR M. FRÉDÉRIC SOULIÉ[4].

C’était une entreprise difficile et périlleuse que de placer la scène d’un nouveau drame sur le théâtre sanglant de la première révolution anglaise, entre ces deux grandes et terribles décorations : d’un côté, l’échafaud de Charles Ier, et de l’autre le trône restauré de son fils.

Le spectacle des haines fanatiques de cette époque, de ses cruautés politiques, de ses vengeances furieuses, nous avait été tant de fois donné ! En nous le montrant à son tour, M. Frédéric Soulié ne s’exposait-il pas à ne trouver qu’un public indifférent et blasé ?

Il n’en a pas été cependant ainsi. M. Frédéric Soulié a su nous émouvoir encore avec une tragédie du temps de Cromwel.

Il est vrai qu’il n’a point ménagé nos nerfs, et qu’il a frappé sur eux de tous ses efforts et à coups redoublés.

Dans son livre, on n’aperçoit à l’horizon que le gibet ou les charniers. Le sol est partout inondé de sang. La peste infecte l’air. Puis tous les personnages, nobles, prêtres, bourgeois, soldats, se font à l’envi bourreaux et déterreurs de cadavres.

Au milieu de ce groupe de figures hideuses, il y avait pourtant une belle et douce jeune fille non encore souillée. Mais pouvait-elle rester pure dans l’atmosphère empoisonnée qui l’entourait ? Aussi son amant va-t-il, par un viol exécrable, la flétrir et la déshonorer sur le cercueil même de son père.

Le grand ressort du roman, le gond sur lequel sa fable roule tout entière, c’est la haine effrénée et mortelle qui pousse incessamment l’un contre l’autre Ralph Salnsby et Richard Barkstead, les deux principaux acteurs du drame.

Au commencement de l’action, vous les avez vus, encore tout enfans, s’attaquer de leurs dagues et se blesser sous l’échafaud de Charles Ier. Lorsqu’elle touche à son terme, vous les retrouvez se battant encore, et, de peur d’interrompre ce duel acharné, dans lequel ils succomberont tous deux, laissant mourir l’un sa maîtresse et l’autre sa mère, qu’ils pouvaient sauver peut-être, et qui les ont invoqués en vain tandis qu’ils se déchiraient.

L’espace nous manque ici pour examiner scrupuleusement ce livre et en critiquer les détails. Disons-le pourtant : s’il y est fait abus de l’horrible, si les plus fortes situations y sont gâtées souvent par l’exagération mélodramatique, si des négligences et des incorrections fréquentes en déparent le style, d’ailleurs énergique et vigoureux, on ne saurait nier qu’il y règne d’un bout à l’autre un intérêt poignant et convulsif.

C’est une longue et cruelle exécution. Le spectacle est atroce ; il donne la fièvre et le vertige, et cependant on n’en peut détourner les yeux : on veut tout voir.

L’ESPAGNE ROMANTIQUE, CONTES DE L’HISTOIRE D’ESPAGNE, PAR DON TELESFORO DE TRUEBA[5].

Confessons-le, nous avions soupçonné d’abord que ce livre pouvait bien être plutôt fabriqué que traduit sous la raison Defauconpret et compagnie. Nous avions été jusqu’à douter qu’il existât réellement un don Telesforo de Trueba.

Rien n’est cependant plus certain ; nous le savons maintenant de bonne source. Don Telesforo de Trueba vit bien et demeure à Londres. C’est bien à Londres que cet auteur espagnol a écrit et publié en anglais Gomez Arias, le Castillan, et plus récemment les Contes de l’Histoire d’Espagne. Qu’on ne s’étonne donc point de voir la manière de Walter Scott invariablement reproduite, son procédé constamment appliqué dans ces divers ouvrages.

En ce qui touche surtout les contes de l’histoire d’Espagne, il y avait cependant pour l’écrivain un parti bien meilleur à prendre. Puisqu’il empruntait le fond de ses sujets aux chroniques et au Romancero, que ne s’inspirait-il aussi de leur poésie ? Que ne traduisait-il la forme, l’esprit et l’originalité de ces récits espagnols, au lieu de tailler servilement les siens sur les patrons écossais ? C’est une grande maladresse à lui d’avoir négligé cette source abondante où il n’y avait que trésors à puiser et à pleines mains. À quoi bon aller prendre chez les autres quand on est si riche chez soi ?

Nos reproches ne s’adressent au surplus qu’au mode de mise en œuvre adopté par l’auteur. Il faut lui rendre cette justice, au moins a-t-il en général respecté les faits historiques, et si le vêtement dont il les habille n’est pas celui qui leur convenait le mieux, il ne manque point d’ailleurs de grâce. Il a dépouillé ses Castillans du manteau, et leur a jeté le plaid sur les épaules. Il les a déguisés avec élégance. Voilà tout.


LE PÉLERIN, PAR M. JOSEPH BARD[6].

Je ne sais pas si vous avez jamais ouï parler des Mélancoliques, poésies naguère publiées par M. le chevalier Joseph Bard ; mais sur les six couvertures des six livraisons du Pélerin, poème nouveau du même auteur, vous pourrez lire au moins six fois que les journaux les plus distingués de Paris et de Bruxelles ont cité l’Ode au peuple, l’une des susdites Mélancoliques, comme un modèle de poésie d’élévation et de sagesse, et que le Revenant l’a nommée sublime.

Hâtez-vous donc de souscrire au Pélerin.

Le Pélerin n’est ni plus ni moins sublime que cette Ode au peuple.

L’action du poème est simple, naïve et touchante, M. le chevalier Joseph Bard vous le déclare lui-même dans sa préface.

Et puis la liste de MM. les souscripteurs au Pélerin sera un précieux document pour l’avenir, ajoute le poète, et de plus elle s’imprimera sur papier Jésus couleur de rose.

Qui ne voudrait souscrire au Pélerin sur la foi de cette double promesse ?

Une objection doit pourtant être faite, quant au mode de souscription prescrit par l’auteur.

Je vois bien que toutes les demandes des provinces de France et de l’étranger doivent être adressées à Renduel pour le Nord et à Babeuf pour le Midi. Mais à qui donc le Levant et l’Occident devront-ils demander le Pélerin ? Il n’en est rien dit sur le prospectus. M. le chevalier Joseph Bard aurait-il oublié la moitié du monde ? Ce serait de sa part une grande injustice.


M. Vatout, à qui les Aventures de la fille d’un roi et l’Idée fixe avaient assuré depuis long-temps un rang honorable dans les lettres, vient de s’essayer avec bonheur dans le roman historique. Sa Conspiration de Cellamare, publiée par le libraire Ladvocat, ne peut manquer d’obtenir le même succès que ses précédens ouvrages, si nous considérons l’intérêt dramatique qui se rattache à ce singulier épisode de la régence, et le talent avec lequel l’auteur a su le faire ressortir. Les documens originaux et inédits qui accompagnent le livre, ajoutent encore à son prix. Nous reviendrons au reste prochainement sur le nouvel ouvrage de M. Vatout.


M. Lerminier, professeur au collége de France, se présente comme candidat à la cinquième classe de l’Institut. — Il rouvrira son cours mardi 4 décembre. Il exposera cette année l’histoire du pouvoir législatif chez les Germains, les Anglais et les Français.

  1. Chez Henri Dupuy.
  2. Chez Gosselin.
  3. 2 vol. in-8o, chez Hachette, rue Pierre-Sarrazin, no 12.
  4. Chez Renduel.
  5. Chez Gosselin.
  6. Chez Renduel.