Chronique de la quinzaine - 31 juillet 1848

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Chronique n° 391
31 juillet 1848


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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31 juillet 1848.

Les tempêtes intérieures, domptées et contenues plutôt peut-être qu’apaisées, nous laissent enfin, cette fois, quelque liberté d’esprit pour observer ce grand orage qui se forme au dehors et menace à tout instant d’éclater sur l’Europe entière. Il ne s’agit point, en ce temps-ci, de beaucoup prévoir : le loisir manque pour rien combiner d’avance. Nous vivons au jour le jour, et demain, c’est déjà l’inconnu ; reste seulement à s’en arranger du mieux qu’on pourra. Quelle que soit la part qu’il faille abandonner au hasard dans cet inconnu plein d’alarmes, il y a des faits accomplis avec lesquels le hasard lui-même est obligé de compter. Ce sont ces élémens certains de l’incertain avenir que nous voudrions un peu mettre en lumière avant qu’ils soient décidément aux prises, et qu’il y ait entre eux de lutte ouverte.

Tout le monde a remarqué la sollicitude avec laquelle le gouvernement et l’assemblée, à peine sortis des émotions de juin, se préoccupent maintenant des affaires étrangères : elles n’ont, pour ainsi dire, pas cessé d’être sur le tapis durant toute cette quinzaine. M. Bastide qui demeure à la fin possesseur titulaire de son département, se hâte d’en apprendre l’indispensable. C’est toujours l’histoire de ces patriciens de Rome dont Marius disait qu’ils commençaient à lire leurs auteurs militaires le jour où ils étaient nommés généraux. M. Bastide s’applique néanmoins avec un zèle si sincère à des études malheureusement trop nouvelles pour lui, que ce serait conscience de le décourager ; mais nous ne saurions nous empêcher de regretter qu’en un moment où les relations extérieures du pays devraient être suivies avec une vigilance si expérimentée, le plus bel éloge que nous ayons à donner au ministre chargé de cet important service, ce soit en somme, qu’il ne veut rien négliger pour accélérer sa propre éducation. L’assemblée paraît assez impatiente de s’instruire elle-même auprès du gouvernement ; M. Lherbette avait été très discret, l’autre semaine, dans ses interpellations ; nous avons eu aujourd’hui celles de M. Mauguin. Le comité des affaires étrangères travaille, de son côté, pour le profit commun, à débrouiller la situation ; il s’est partagé les questions européennes, et, si toutes ne sont pas tombées en des mains très compétentes, le bon esprit qui règne en général dans le comité corrigera sans doute les appréciations plus ou moins exactes de tel ou tel de ses rapporteurs. Nous aurions souhaité, par exemple, que la Russie échût à un investigateur plus sérieux, et nous ne sommes pas très édifiés sur la spécialité du jeune savant qui s’est adjugé l’Allemagne. Sauf ces réserves de détail, sauf quelque épisode surabondant, comme serait, si l’on veut, l’amplification compendieuse de cet orateur trop tendre à ses œuvres qui s’imaginait presque avoir découvert la géographie du Liban, sauf tous les accidens de personnes, nous attendons beaucoup des discussions de ce comité. Les grandes phrases, qui, en fait de politique extérieure, sont trop souvent de mise à la tribune, échouent devant un cercle plus étroit et moins impressionnable. M. de Lamartine s’en est bien aperçu ; l’exposé trop solennel de sa conduite vis-à-vis des puissances n’a point eu le succès dont il s’était flatté. Il déclarait que c’était la Providence qui depuis quatre mois avait été le ministre des affaires étrangères de la république. Le comité n’a pas du tout confessé que M. de Lamartine eût jamais parlé si directement au nom de la Providence. Le pays ne le croit pas davantage, aujourd’hui qu’il voit d’un peu plus près le véritable fond de la diplomatie humanitaire, et, tout en se fiant de bon cœur à l’intervention d’en haut, il entend bien appeler à son aide le plus qu’il pourra d’humaine sagesse. Aucune sagesse ne sera de trop dans la crise qui s’annonce. La guerre d’Italie n’est peut-être qu’un prélude ; le dernier mot de la situation européenne ne se trouvera point sur l’Adige ; il est à Constantinople, et cependant tous les regards sont plus que jamais tournés vers les champs de bataille de la Lombardie ; le vague des nouvelles incomplètes qui nous arrivent hier et aujourd’hui ajoute encore à l’anxiété avec laquelle on les reçoit. Cette brave armée piémontaise, qui tient presque seule au feu, pourra-t-elle arrêter les Autrichiens, quand ceux-ci, même après un échec éclatant, viennent maintenant de reprendre l’offensive en passant le Mincio ? Les Lombards, les Toscans, les Romains, auront-ils enfin, dans une extrémité désormais si pressante, l’énergie militaire qui leur a jusqu’ici manqué sur le terrain ? Le Piémont a levé ses derniers soldats et mobilisé toutes ses gardes nationales. Où refaire ses troupes, si ses troupes étaient détruites ? Rome elle-même ne va-t-elle pas s’annuler par de déplorables dissentiment ? La nationalité italienne, menacée dans sa résurrection, demain peut-être réduite à la défensive, impose presque forcément au souverain temporel qui règne à Rome des obligations que le père spirituel de toute la chrétienté ne sait encore comment accommoder avec son devoir religieux. Le ministère, les chambres, une partie de la population, réclament la guerre à grands cris : le parlement romain à presque vu son 15 mai. Le pape cédera-t-il, ou, pour se défendre, s’appuiera-t-il sur la sauvage affection de ses adorateurs du Transtevère ? Et s’il ne cède ni ne résiste, où s’en ira la politique du saint-siège, et avec elle ce rôle plus sublime que possible, ce rôle idéal de conciliateur universel auquel Pie IX avait été promu par le concours de tant d’illusions complaisantes ? Serait-il vrai qu’il y eût à présent un gouvernement provisoire installé dans l’état de l’église, au lieu et place de l’antique autorité du pontife ? Nous mentionnons seulement les mille murmures qui tourmentent l’opinion à l’heure où nous écrivons ces lignes. La France est-elle en mesure de faire face aux événemens ? On assure qu’il y aura bientôt une escadre française dans l’Adriatique, et, ce qui semblerait confirmer ce bruit, c’est la mission particulière de M. Lucien Murat, chargé par le pouvoir exécutif de visiter les Légations.

Le pouvoir exécutif aurait d’ailleurs, pour l’instant, des soucis plus graves encore au sujet de la politique extérieure, si nous nous en rapportons à des informations que nous regardons comme fondées. Il est question de récentes dépêches du général Aupick qui jetteraient un jour très inquiétant sur les desseins plus ou moins soupçonnés, mais non pas encore avoués, des grandes puissances. Constantinople est le meilleur théâtre qu’il y ait en Europe pour un observateur judicieux ; c’est là que passent les fils de toutes les affaires générales. Notre nouveau ministre se montrerait fort troublé des résolutions qu’il croit voir arrêtées dans les conseils diplomatiques. On serait, à ce qu’il paraît, à la veille de rétablir contre nous la situation de 1840, et le concert européen serait beaucoup plus avancé qu’on ne pouvait même le supposer. L’Angleterre marcherait tout-à-fait d’accord avec la Russie, ce qui est en vérité bien probable, à juger de ses intentions par la réserve affectée de sir Stratford Canning dans toutes les questions où les Russes ont un intérêt. La Turquie paierait les frais de cette bonne entente, et nous ne serions pas étonnés qu’on eût parlé d’avoir un port franc à Constantinople. Voilà, sauf de meilleurs ou de plus amples renseignemens, le fond même des choses dont l’occupation des provinces danubiennes n’est qu’un symptôme. Et, certes, il y a là de quoi justifier toutes les appréhensions : l’important est que ces appréhensions n’empêchent pas de s’éclairer pour n’agir au besoin qu’en connaissance de cause.

Il est deux manières de considérer la Russie, dont chacune est également fausse quand elle est adoptée sans correctif. On fait de l’empire russe, ou bien un épouvantail qui n’a qu’à se lever pour tout subjuguer, ou bien un colosse impuissant qui ne saurait risquer un pas sans se briser. Il faut des appréciations plus exactes et plus détaillées pour estimer de sang-froid la véritable mesure de l’action russe en Europe. Ainsi les troupes impériales ne sont plus ce qu’elles étaient en 1831, quand elles restèrent si long-temps en échec devant l’insurrection polonaise. Depuis 1833, la Russie n’a pas cessé de travailler à son organisation militaire, et l’armée qu’on appelle armée d’opération en Europe est tenue sur un pied de plus en plus imposant. Elle forme six corps, qui comprennent environ 360,000 hommes et 720 bouches à feu. Sur ce chiffre, 120,000 au moins sont toujours disponibles, sans compter la garde, qui donne à elle seule 60,000 hommes parfaitement exercés, et dont l’artillerie porte à 1,000 le nombre de pièces qu’on pourrait tout de suite mettre en campagne. Le service militaire, qui était autrefois de vingt-quatre ans et qui en réalité liait le soldat pour la vie, est réduit à dix ans, avec cinq ans de présence dans la réserve ; le soldat est mieux traité, mieux nourri, mieux logé. Il a ses anciennes qualités, l’obéissance muette, la résignation immobile, avec laquelle il attendait la mort en ligne ; il a de plus maintenant les qualités nouvelles que lui donne une discipline plus intelligente. Les Allemands, et surtout les Prussiens, ne veulent pas tenir compte de ces réformes pourtant très sérieuses ; ils ont dans leur supériorité militaire une confiance qui leur ferme les yeux, et, pendant que leurs journaux suivent avec une anxiété mal dissimulée les marches et les contre-marches des corps russes sur la frontière, leurs officiers rabaissent trop légèrement l’ennemi qu’on leur annonce. Les Allemands ne supportent pas que l’on compare des hommes fournis par le recrutement démocratique d’outre-Rhin aux serfs enrégimentés à la manière russe ; ils ne veulent pas comprendre tout ce qu’il y a d’énergie redoutable dans ce mépris de la souffrance auquel le Russe est habitué par son régime d’esclave comme à une seconde nature ; ils ne se figurent pas non plus l’exaltation superstitieuse qui pousserait à l’occasion ces paysans barbares, et qui peut valoir en eux ce que vaut chez d’autres l’enthousiasme du patriotisme. Enfin ils exagèrent les causes et les progrès de la dissolution sociale qui mine l’édifice moscovite, et ils la supposent bien plus près d’aboutir qu’elle ne l’est en effet. Le servage, qui ne peut subsister que dans un milieu patriarcal, devient à coup sur plus dangereux à mesure que la bureaucratie intervient davantage dans la vie intérieure de la nation moscovite ; mais le culte que le peuple rend à la majesté impériale dans toute la Grande-Russie, la vénération fanatique avec laquelle il salue son seigneur et son père, donnent sur cette masse une prise assez forte pour comprimer encore, soit chez elle, soit ailleurs avec elle, toutes les velléités d’émancipation dont on redouterait l’issue.

Ce n’est pas là qu’est l’embarras de la puissance russe, aussitôt qu’elle veut dépasser ses frontières et peser directement sur l’Europe. Il est, quant à la difficulté morale, dans l’aversion que la vieille noblesse agricole, le plus pur sang du pays, a toujours témoignée, lorsqu’il s’est agi d’aventures lointaines. Il est, d’un point de vue tout opposé, dans la crainte de propager la contagion libérale au sein de cette noblesse par un rapprochement quelconque avec l’Occident. L’embarras matériel est lui même plus incommode encore que l’embarras moral La Russie a beau garder sous sa main un effectif considérable ; ce n’est pas le tout d’avoir ordonné des levées aux quatre coins de l’empire, il faut encore les acheminer jusqu’à la base d’opérations, qui est le Dnieper ; il faut les placer sur les grandes lignes de défense qui sont en avant de cette base et qui la protègent contre l’Europe, sur la Dwina et la Bérésina, sur le Bug et le Niémen, sur la Vistule, sur la Warta. Or toutes ces lignes sont comprises dans le réseau stratégique de la Pologne, et elles sont coupées aussitôt que la Pologne se lève, ou bien il faut les garder pied à pied pour que la Pologne ne se lève pas. Tant que la Pologne n’est point réconciliée, la Russie, en guerre avec l’Europe, est donc obligée de veiller à ses communications tout le long de ces grandes lignes qui courent de la Warta au Dnieper, parce que le pays intermédiaire est aussitôt pays hostile. Il n’y a qu’un pacte avec les vaincus de Varsovie et de Cracovie qui puisse rendre à la Russie la liberté de ses mouvemens : c’est une nécessité qu’elle sent bien, et nous ne sommes pas, à présent, très persuadés qu’elle ne réussira jamais à l’aplanir : la cause des russomanes ne peut que gagner à la décomposition générale des états allemands.

Tout en estimant à leur valeur les ressources actives des Russes, les moyens matériels avec lesquels ils pourraient, en un jour donné, sortir de chez eux, nous trouvons, comme on voit, de grands obstacles à cette agression directe dont la pensée inquiète l’Europe. Il n’y aurait qu’une circonstance qui la rendit plus facile, ce serait que l’Europe elle-même s’entendit pour la favoriser, que l’Europe en désarroi, dans le pêle-mêle actuel de tous les intérêts et de toutes les prétentions, s’associât à quelque nouveau progrès de l’empire septentrional, et lui ouvrit le chemin, au lieu de le barrer. Comment savoir, après tout, la limite où s’arrêteront, dans ce tumulte infini, tant de passions surexcitées, les ambitions de grandeur politique, les fantaisies des vanités nationales, les rancunes de tous contre tous ? En face du spectacle de désordre et de confusion que nous avons partout sous les yeux, qui donc oserait dire que la démocratie sera bientôt assez sage pour opposer une force régulière à ce débordement ? qui donc ne craindrait pas que les vieux pouvoirs ne s’accordent, même au détriment de leur avenir, avec le seul pouvoir resté debout et solide ?

La Russie n’a pas eu besoin jusqu’à présent d’entrer en campagne contre l’Occident pour augmenter son influence. Depuis la révolution de février, elle a raffermi tous les liens qu’elle gardait au dehors ; elle a resserré pour ainsi dire le filet dont elle enlace ses plus proches voisins, et, ses positions ainsi prises, elle attend partout, elle saisit aujourd’hui en Valachie l’occasion d’étendre ou d’appesantir son protectorat. Le protectorat est la façon de conquérir qui semble le mieux appropriée aux gouvernemens et aux peuples modernes. Il a beaucoup des bénéfices de l’incorporation territoriale, il n’en a pas les difficultés et les charges. Le protectorat peut s’installer sans coup férir, parce que la diplomatie l’a toujours préparé de longue date avant l’heure où il est officiellement reconnu. C’est là vraiment l’agression la plus redoutable qui puisse nous venir de Pétersbourg, une agression indirecte et lente, mais patiente et sûre, car elle est l’œuvre d’une école diplomatique où il y a des traditions. Cette attaque continue s’est produite, dans tous ces derniers mois, avec une persévérance et une habileté que nous n’avons point assez remarquées au milieu de nos malheurs domestiques.

On se rappelle ce vaste plan de campagne imaginé par Napoléon, quand il renonça définitivement à l’expédition de Boulogne, cette ligne d’opérations militaires qui devaient toutes aboutir comme en un centre au champ clos d’Austerlitz, une longue ligne qui allait du Hanovre jusqu’à Naples, et semblait une barrière en mouvement contre l’Europe menaçante. On dirait que la Russie entreprend de retourner aujourd’hui contre nous le même plan d’attaque. Il y a, si l’on ose ainsi parler, toute une ligne de négociations et d’intrigues russes qui va de la Grèce à la Suède, en passant avec une suite merveilleuse par la Turquie et les principautés danubiennes, par les provinces slaves de l’Autriche et de la Prusse, pour aboutir aux cours de Copenhague et de Stockholm. Un mot seulement sur chacun de ces points, où veillent si soigneusement les agens de Pétersbourg.

En Grèce d’abord, la Russie a pris tout de suite le rôle que la France perdait. La brutalité maladroite de sir E. Lyons, son intraitable hostilité, forçaient toujours le gouvernement et le roi Othon à chercher un appui. M. de Lamartine n’ayant aucun goût pour la Grèce, et celle-ci se sentant bien et dûment abandonnée après la révolution de février, il a fallu recourir à l’influence russe. Antérieurement déjà, le roi Othon avait écrit de sa main à l’empereur pour lui demander sa médiation. Il n’avait rien obtenu qu’une réponse assez froide où le czar lui rappelait la protection qu’il devait aux intérêts sacrés de l’orthodoxie. L’intérêt religieux est en effet le grand mobile de l’action russe en Grèce, et c’est toujours celui-là qu’on met en avant pour la justifier ou la propager ; c’est celui-là qui rattache au czar tout ce qu’il y a de force réelle dans le parti napiste, non pas les meneurs de la capitale, mais les honnêtes gens des provinces. Nous ne savons pas si cet intérêt aura reçu depuis peu quelque satisfaction particulière ; on a va toutefois, dans ces derniers temps, M. Persiani communiquer aux consuls russes placés sous ses ordres une circulaire dans laquelle on les exhortait à combattre de leur mieux pour la monarchie contre la révolution, à prendre en toute occasion parti décidé contre les perturbateurs de la paix publique et les ennemis de la royauté. Ce n’était pas le langage que la Russie tenait en 1843 ; mais l’effet en était sûr, quand les ministres grecs se trouvaient au même instant obligés de réclamer soit contre l’hospitalité que l’Angleterre accordait aux rebelles dans les îles Ioniennes, soit contre l’insolence des matelots anglais, qui ne voulaient plus débarquer sur une côte hellénique sans tirer leurs canons à terre et les monter où il leur plaisait. Aussi M. Persiani fait-il aujourd’hui bâtir une magnifique église pour ses nationaux juste en face du palais du roi.

À Constantinople, la conduite des Russes est plus curieuse encore à observer. Ils n’ont jamais, vis-à-vis du divan, ces exigences de détail dans lesquelles la France et l’Angleterre usent trop souvent leur crédit ; ils sont très coulans dans les petites choses, ils ne lâchent rien dans les grandes ; mais, tout en sachant être inflexibles pour celles-là, ils ne laissent pas d’être insinuans et polis, de flatter les Turcs, même quand ils leur commandent. M. Persiani n’est qu’un agent secondaire doué de cette qualité commune aux instrumens du cabinet de Pétersbourg ; une exactitude minutieuse dans la parfaite obéissance, dans une obéissance prête à tout. M. de Titow est un homme de beaucoup supérieur, et qui sait jouer avec talent en son nom le rôle qu’on lui confie. Les vicissitudes ministérielles qui ont opéré dernièrement dans l’intérieur du divan un va-et-vient si singulier étaient plus ou moins dirigées par les conseils russes. On eût bien voulu ruiner d’avance la position de notre nouveau ministre ; on avait prévenu les Turcs que la république française ne leur enverrait qu’un homme de peu. Les épaulettes du général ont été d’autant plus agréables à l’orgueil du divan ; une attitude honorable a fait le reste et vaincu tous les ombrages. La crainte de l’agitation révolutionnaire, qui avait contribué à jeter le sultan dans les bras des ennemis de la réforme, a contribué de même à l’en arracher. Les bruits de révolution universelle, parvenant jusqu’aux vieux Turcs, se traduisaient pour eux, surtout dans les provinces, en un espoir de réaction. Ils songeaient au temps des janissaires. L’agitation se fût ainsi montrée, non pas à la suite des idées de progrès, mais au service de l’ancien fanatisme. On parle même d’une recrudescence d’inimitié qui soulèverait presque les musulmans de la Roumélie contre les chrétiens et contre la charte de Gulhané. Le sultan a senti de la sorte tout l’inconvénient qu’il y avait à suivre trop religieusement la politique conservatrice des Russes ; mais ceux-ci avaient un moyen trop commode de rattacher la Turquie à leur influence, de l’entraîner dans la voie où il leur convenait de la garder avec eux. Ils sont entrés dans les principautés, et la Turquie, pour maintenir son droit de souveraineté en présence de cette démarche, qui le compromettait sous prétexte de l’affermir, la Turquie, condamnée à ne jamais faire ses affaires toute seule, est à son tour entrée comme entraient les Russes. Il y avait long-temps, d’ailleurs, qu’elle pouvait se tenir avertie et se préparer même à de pires occurrences. Dès le mois d’avril, la Russie retirait ses troupes du Caucase et les y remplaçait par des régimens de Cosaques chargés simplement de surveiller la frontière et d’occuper les forts ; elle amenait ainsi aux bouches du Dnieper vingt ou vingt-cinq mille de ses meilleurs soldats, que la flotte de la mer Noire pourrait en un instant porter encore ailleurs. Le divan, très alarmé, rappela dès-lors à Constantinople les régimens de la garde dispersés en Asie mineure, et donna contre-ordre aux troupes qu’on embarquait pour Tripoli. M. de Titow avait pourtant dénoncé la mesure militaire de son gouvernement comme un gage de ses intentions pacifiques.

C’est encore avec ce langage insinuant que les négociateurs russes ont, petit à petit, rapproché leurs troupes de la frontière des principautés jusqu’à ce qu’ils n’eussent plus qu’un pas à risquer pour la franchir. Nous avons naguère, ici même, cité l’épître bienveillante adressée par M. de Nesselrode à l’hospodar Stourdza, pour le prévenir que l’intérêt dont sa majesté impériale entourait les possessions du sultan, son allié, ne lui permettraient pas d’y laisser paraître aucun des désordres du temps. Le czar a tenu parole au premier mouvement, aussitôt que les deux hospodars de Moldavie et de Valachie ont disparu dans l’essai malencontreux d’une révolution avortée. Il faut renoncer à dépeindre l’activité des agens moscovites durant tous les préliminaires de cette lutte si tôt terminée ; avoir remuer le général Duhamel et M. de Kotzebüe, on s’apercevait bien que leur siège était fait. Nous plaignons sincèrement les jeunes Roumains réfugiés maintenant dans les Karpathes après cette tentative désespérée. On peut leur reprocher d’avoir appelé sur leur pays une lutte qu’il était incapable de soutenir, d’avoir voulu trop brusquement élever la masse de leurs pauvres compatriotes au niveau de l’éducation qu’ils ont eux-mêmes reçue parmi nous ; mais nous concevons trop l’intolérable supplice que la condition faite à leur pays devait infliger à ces âmes généreuses. Qu’est-ce qu’un hospodar roumain ? C’est un gouverneur russe, qui, ayant acheté sa place à Constantinople et à Saint-Pétersbourg, contracte des obligations courantes vis-à-vis des ministres russes et de leur maison. Il a tout à côté de lui un consul russe qui lui servirait de censeur, s’il s’avisait d’une bonne inspiration, et qui, généralement, n’a rien autre chose à faire que de lui prêter aide et appui dans toutes les mauvaises manœuvres par lesquelles il peut se rendre impopulaire. C’est là le gouvernement qui vient de succomber ; la Turquie obtiendra-t-elle enfin qu’on y change quelque chose en le restaurant ?

Tels sont les procédés de la Russie à l’extrémité méridionale de cette ligne d’attaque dressée par sa diplomatie. Au centre, elle s’y prend d’une façon moins directe, et qui entraîne une moindre responsabilité. Ses démarches sont plus couvertes ; elle n’a pas tant à travailler pour que les événemens lui profitent. Au centre sont en effet serrées ces populations slaves de l’Autriche et de la Prusse, qu’une propagande acharnée entreprend, depuis quelque années, de réunir et de confondre, en vertu des affinités d’une même race. Nous croyons qu’il y a dans le panslavisme un élan naturel et spontané, supérieur à toutes les intrigues, et qui, par conséquent, ne leur doit rien. Nous croyons même très volontiers que la Russie n’a pas l’envie positive de réunir sous son sceptre tous ces territoires, dont l’étendue matérielle contrarie fatalement l’agglomération : il n’y a que des érudits aveuglés qui puissent rêver un Nicolas empereur des Slaves. Le grand labeur moscovite, un labeur que l’on ne connaît point assez en Europe, dont on ne se figure point du tout les difficultés, c’est l’œuvre d’identification poursuivie par la bureaucratie impériale pour assimiler entre eux les élémens hétérogènes de la Russie. Cette identification comporte déjà trop d’obstacles pour qu’on veuille en ajouter d’autres. Ce qu’on voudrait donc au centre de l’Europe, comme on le veut au midi, ce serait encore une extension d’influence, non pas une agrégation matérielle de territoires, mais un protectorat spirituel et temporel. De ce côté-là, on marche au but avec bien plus de confiance que dans le midi même ; on est servi par des instincts populaires qui concourent, sans le savoir, à l’accomplissement de l’œuvre politique. Les hommes de sang slave, condamnés par l’orgueil allemand à une infériorité qu’ils ont à peine secouée, se vengent en s’inspirant des théories historiques de dominateurs qui furent aussi leurs pédagogues. Préoccupés à la fois de leurs rancunes nationales et des théories de leur éducation universitaire, ils se perdent dans l’infini des ambitions de race, et ne se retrouvent qu’en renouant leur avenir à celui du glorieux Rurik, le frère aîné de tous les Slaves. Le cabinet de Saint-Pétersbourg n’a qu’à laisser faire ; il lui en coûte à peine quelques croix et quelques pensions pour les savans naïfs qui s’adonnent aux antiquités slaves. Il y a un petit livre, publié en 1842 par le comte de Thun, aujourd’hui gouverneur de Prague, où l’on trouve l’historique et la bibliographie de cette nouvelle littérature. Il est bien curieux de suivre là-dedans cette singulière infiltration par laquelle, de progrès en progrès, une idée scientifique, aidée de quelques réminiscences plus ou moins effacées, devient à la longue une passion populaire. On sait avec quelle effervescence cette passion slave s’est manifestée depuis la révolution de février. Les tristes événemens qui ont ensanglanté Prague au mois de juin, la guerre des Croates contre les Hongrois, sont des efforts mémorables de ces nationalités ressuscitées, de ces résurrections dans lesquelles il est si difficile de démêler ce qui est artificiel et ce qui ne l’est pas. Nous avons suivi attentivement le congrès slave de Prague : il est évident qu’il n’y avait point là d’inspiration russe qui fût dirigeante ; mais nous nous demandons s’il n’aura point servi contre son gré la prééminence du nom russe. Nous pensons assurément que le ban de Croatie, le vaillant Jellachich, en guerre ouverte avec la Hongrie, ne tient point à Saint-Pétersbourg par les mêmes liens dorés que le vladika de Monténégro ; mais nous déplorons ce triste conflit de nationalités qui oblige les Hongrois, menacés par les Croates, à promettre leurs troupes à l’Autriche pour la guerre d’Italie, parce qu’ils ont besoin de l’Autriche pour résister aux Croates. En fin de compte, c’est encore la cause libérale qui perd dans le monde à ce jeu-là ; n’est-ce pas une raison de croire que les Russes y gagnent ? M. de Nesselrode se défend beaucoup, il est vrai, dans sa récente circulaire, d’avoir où que ce soit contribué en quelque chose à la propagande panslavisme. Il est pourtant étrange que partout depuis quelques mois, du Danube à la Vistule et à la Moldau, il n’ait été question que d’agens russes arrêtés. Il y a des faits d’ailleurs que toutes les notes diplomatiques ne démentent pas ; c’est ainsi que le peuple de Posen attendait une grande démonstration russe pour le jour de la Pentecôte : il fallut que l’autorité affichât dans les rues un avis portant qu’il n’y aurait point ce jour-là cette procession qu’on annonçait avec drapeaux et cocardes moscovites. D’autre part, il n’est pas rare de trouver dans les gazettes officielles de l’empire des articles officiels où l’on dit, comme dans la Gazette d’état du royaume de Pologne du 19 mai, que la Pologne ne doit faire qu’un même tout avec la race slave et l’empire russe ; on annonce même à ce propos que le gouvernement a ordonné de traduire en plusieurs langues le petit ouvrage anonyme où cette doctrine est développée ; le précieux ouvrage établit de plus que la nation russe est la branche principale de toutes celles que comprenait jadis la grande fédération polonaise. La gazette censurée de Varsovie contredit un peu, comme on le voit, le Journal de Francfort, dépositaire de la note de M. de Nesselrode.

Reste enfin le nord de l’Europe, où l’autorité du cabinet de Pétersbourg, très sensible en tout temps, ne l’a jamais été comme aujourd’hui depuis les injustes exigences signifiées par l’Allemagne à la couronne de Danemark. Tandis que l’Allemagne est très mal défendue contre la Russie par ses acquisitions polonaises, la Russie est au contraire tout-à-fait bien gardée contre l’Allemagne par ses acquisitions d’origine germanique. La noblesse de Livonie et de Courlande n’a pas le moindre caprice d’indépendance, la moindre réminiscence de patriotisme national. Elle prodigue au czar les assurances de loyauté, les témoignages de dévouement. Elle a besoin d’être Russe pour garder ses paysans ; elle est Russe. Le Danemark et la Suède, poussés par le développement de leurs institutions libérales, allaient peut-être échapper plus ou moins à cet ascendant trop exclusif de la Russie ; c’est l’Allemagne elle-même qui les aura rejetés sous l’ombre de la protection moscovite. Le roi Oscar n’aurait pas mieux demandé que de suivre une politique différente de celle de Charles-Jean, et ces velléités avaient, dès son avènement, causé quelque inquiétude à Pétersbourg : le terrorisme teuton l’a étroitement uni au roi de Danemark, et tous deux savent que c’est l’intervention russe qui a fait vider le Jutland aux Prussiens. Il sera très intéressant de voir si le général Wrangel, qui, pour obéir à la diète de Francfort, prétend continuer la guerre malgré son souverain, sera mis en demeure de céder aux injonctions plus efficaces d’une cour étrangère. On dirait que l’Allemagne veut à toute force provoquer au combat le monde entier, qu’elle cherche où éprouver déjà cette unité dont elle est plus fière que sûre. Les doctes professeurs qui siègent à Francfort se brouillent en un même jour, sans qu’ils y aient de regret, avec la Hollande. pour le Limbourg, avec la Sardaigne pour Trieste, avec le Danemark pour les duchés, avec le Hanovre et la Prusse pour la gloire et l’empire. C’est une magnanimité trop superbe ; elle n’est point expérimentée. La circulaire de M. de Nesselrode, toute pacifique qu’elle affecte de paraître, pose à notre sens plus de cas de guerre sérieux qu’il n’en faut pour amener d’un moment à l’autre le dénomment de toutes ces bravades pédantesques. La Russie, d’après cette note du 6 juillet, n’attaquera point l’Allemagne malgré les mauvais sentimens de l’Allemagne à son égard, mais elle ne souffrira point qu’elle violente ses voisins, qu’elle étende sa circonscription territoriale ou sa compétence légitime au-delà des bornes fixées par les traités qui l’ont constituée. Dans les circonstances présentes, avec les ambitions avouées de l’assemblée de Francfort, avec les oppositions séparatistes qu’elle suscite déjà, ce manifeste russe acquiert la plus haute importance. C’est une alliance offerte à tous les intérêts et même à tous les droits lésés. C’est peut-être le premier symptôme officiel de cette entente que l’on nous annonce de Constantinople ; c’est le cas dont nous parlions tout à l’heure, le cas signalé d’avance, où la Russie, n’agissant plus seule en Europe, agirait enfin directement par ses armées, au lieu de travailler sous main, par sa diplomatie.

Ne nous y trompons pas, la résistance efficace, définitive, et, s’il plaît à Dieu, victorieuse, la résistance qui triomphera de cette grande coalition, elle n’est ni à Francfort, ni, à Berlin, ni à Vienne ; elle est en France. Nous souhaitons de toute notre ame les meilleures chances aux nouveaux ministres autrichiens et prussiens. M., Hansemann et M. Milde sont des hommes de talent et de vigueur, mais ils ne feront pas qu’ils n’aient point à défendre la Prusse contre l’Allemagne, au lieu de conduire l’Allemagne sous l’égide de la Prusse, comme ils s’en flattaient peut-être encore l’an dernier. Nous sommes très heureux de voir enfin Vienne délivrée du gouvernement puéril et des aveugles incartades de ses étudians, pour entrer dans la régularité des voies constitutionnelles ; mais nous ne savons absolument pas comment les habitudes et les souvenirs de l’ancien régime allemand pourront se concilier avec les exigences de cette majorité slave que le seul ressort des institutions démocratiques a tout de suite portée dans la diète. Quant à Francfort, nous ne pouvons dire qu’une chose, c’est que la diète et son vicaire n’ont de sanction réelle à leur autorité que dans la menace permanente d’une révolte populaire contre chacun des gouvernemens particuliers de l’Allemagne. Ou les gouvernemens qu’ils dépossèdent garderont rattachement de leurs peuples, et la diète ne sera point obéie, où elle sera obéie, et il y aura partout épuisement ou dissolution éclatante des gouvernemens séparés. Ni l’une ni l’autre de ces deux hypothèses n’est une garantie de force commune pour l’Allemagne en péril. Qui pourrait d’ailleurs assurer que l’Angleterre, jalouse de la concurrence maritime qu’on lui prépare sur la mer du Nord, ne maintiendra point par les armes l’avis qu’elle a donné dans l’affaire des duchés ? L’Angleterre souffre beaucoup en ce moment de sa plaie d’Irlande ; ce n’est pourtant pas l’Angleterre qui reculera devant les moyens énergiques, et nous doutons encore que le désespoir de la pauvre Irlande aille jamais jusqu’à nécessiter l’application en grand de pareils moyens. Que l’Allemagne ne l’oublie pas, l’Angleterre s’accorde pour l’heure avec la Russie à la cour de Copenhague comme dans les conseils du sultan, et la Prusse à Copenhague donne spontanément les mains aux conclusions de ses deux vieilles alliées. Que l’Allemagne avise !

Et nous aussi tachons enfin d’aviser, car tout ce vaste conflit diplomatique et militaire qui embrasse déjà la carte de l’Europe, c’est peut-être bien le commencement d’une partie jouée contre nous, sans avertissement préalable, par de rudes joueurs, qui voudront nous en imposer les frais. Sait-on même si l’Allemagne, domptée par la force, ou soulevée, ce qui serait pire, par l’injustice de ses propres passions, ne sera pas un instrument aux mains de ces ennemis que nous appréhendons en face de nous, un instrument peut-être volontaire ? Quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas découragés. Quand nous envisageons ainsi la situation matérielle et morale de tous nos voisins, quand nous revenons ensuite sur nous-mêmes, c’est encore en nous que nous trouvons le plus de forces vives. L’époque est mauvaise, nous le confessons : il y a bien des esprits rétrécis, bien des caractères abaissés ; nous assistons à des palinodies étranges, à de pitoyables fantasmagories ; nous avons eu l’air, plus d’une fois déjà, d’un peuple qui s’abandonnait lui-même, et qui, n’ayant plus de goût à vivre, se laissait mourir de la mort qu’il plaisait au hasard. Chaque fois cependant, à peine avions-nous touché le fond de l’abîme, que nous remontions par une sorte de merveilleux élan : nous nous reprenions de grand cœur à respirer, à penser, à vouloir. Voilà quinze jours mieux employés qu’on n’en avait encore vu depuis longtemps. Le vote de l’emprunt et la rapidité avec laquelle il s’effectue, la loi sur les clubs et l’adhésion générale qui accueille ces mesures répressives, enfin le beau rapport dans lequel M. Thiers a fait si bonne justice des théories spoliatrices de M. Proudhon, tels sont les événemens peu nombreux de notre histoire Intérieure durant cette quinzaine. L’état de siège est pour beaucoup, sans doute, dans la sécurité renaissante, et, nous avons quelque embarras à l’avouer, on s’en accommode avec une abnégation et une docilité qui prouvent combien on a conscience du péril auquel l’abus des libertés sans frein nous avait précipités.

Nous désirons du moins qu’il n’y ait rien de plus permanent dans cette disposition d’esprit qui fait du pouvoir absolu un joug peut-être trop agréable à nombre de nos concitoyens. Nous ne voulons pas voir un trait de caractère dans cette résignation si facile qui succède à tant d’emportemens. Nous désirons surtout que le temps approche où des moyens moins violens suffiront à préserver l’ordre et la confiance. Rétablir le travail en multipliant la circulation des capitaux, rétablir le sens public en combattant la circulation des idées fausses, ce sont là les grandes entreprises dans lesquelles la patrie doit mettre tout l’espoir qui lui reste. De ce point de vue, la loyauté généreuse avec laquelle l’emprunt s’est traité est un bon commencement. M. Goudchaux, mieux inspiré que dans la liquidation des caisses d’épargne et des bons du trésor, recueille déjà les fruits de son habileté. L’emprunt coûte cher, mais il se place. De ce même point de vue, l’on ne saurait trop louer la décision avec laquelle M. Thiers a voulu combattre de front les paradoxes malfaisans de l’adversaire qu’il a si bien saisi en flagrant délit de subtilité vaine ou perfide. La réfutation sera certainement aussi populaire qu’elle a été solennelle. M. Proudhon s’est défendu aujourd’hui contre la sentence lancée par l’assemblée. La sombre et sauvage énergie de ce plaidoyer, lu d’une voix sourde au milieu des murmures et des rires, ce mélange audacieux d’injures amères et de calculs insensés, tout ce fatras d’un talent vigoureux dévoré par la passion du moi, tout ce bizarre cynisme n’aura guère servi la cause perdue dont M. Proudhon s’est porté le soldat. Nous aussi nous aimons le bien du peuple et nous avons à cœur d’aider aux faibles et aux misérables qui seront toujours en ce monde. C’est pour cela que nous remercions si sincèrement les esprits éminens, les bons citoyens, qui se dévouent afin d’arracher les âmes à la contagion de ces tristes doctrines.

— On sait avec quelle fermeté courageuse M. Michel Chevalier a défendu, depuis février, les vrais principes de la science économique, si étrangement méconnus par quelques utopistes. On se souvient des pages, à la fois si substantielles et si brillantes, qu’il consacrait ici même à la question des travailleurs. Aujourd’hui, M. Michel Chevalier donne la forme du livre à ses études récentes sur les théories aventureuses qui ont si cruellement agité la France. Sous ce titre de : Lettres sur l’organisation du travail, il aborde la plupart des questions soulevées par les divers adeptes de l’école socialiste ; il oppose des faits à leurs rêveries, des argumens sérieux à leurs déclamations. Nous regrettons de ne pouvoir citer la remarquable conclusion où M. Michel Chevalier défend la cause du travail libre avec une si haute raison et une si ferme éloquence. Nous ne pouvons que renvoyer à son livre[1].



  1. Un volume in-18, chez Capelle, rue des Grés.