Chronique de la quinzaine - 31 juillet 1883

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Chronique n° 1231
31 juillet 1883


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 juillet.

Non, certes, le pessimisme n’est pas une politique, et ce serait une triste, une bien vaine satisfaction de se complaire sans cesse à recommencer le procès des partis et des gouvernemens, à refaire d’un ton morose le compte de leurs fautes et de leurs excès. Non, l’opposition, la fronde perpétuelle, n’est ni un système ni un plaisir, et ceux qui ont la vraie passion de leur pays, qui ont le généreux souci de ses destinées compromises par les fausses politiques, aimeraient vraisemblablement beaucoup mieux voir l’habileté dans les conseils, la prospérité et l’honneur dans les affaires de la France; mais, en vérité, il y a des momens où il n’est pas facile d’être optimiste : c’est bon pour ceux qui ne voient rien et qui ne doutent de rien. Il n’est pas toujours aisé de garder sa bonne humeur devant les fautes qui s’accumulent qui s’enchaînent, qui, en définitive, retombent sur tout le monde et à la longue on ne peut se défendre d’un certain dépit à voir comment une situation, qui aurait pu être encore relativement favorable ou suffisante pour vivre, se trouve chaque jour perdue ou compromise par tous les abus d’une domination vulgaire de parti.

Assurément les républicains qui, sous des noms différens, se succèdent aux affaires depuis quelques années, ont eu en arrivant au pouvoir de singuliers avantages. Ils trouvaient des institutions acceptées, une nation prompte à se soumettre, des adversaires désarmés, des finances prospères, la paix morale et civile dans le pays. Ils n’avaient qu’à gouverner, avec un peu de modération et de bon sens, dans une situation où tout était assez facile. Ils se sont figuré que ce n’était pas assez républicain, qu’il fallait changer tout cela. Ils ont tout changé effectivement. Ils ont mis l’esprit de révolution dans la politique; ils se sont fait, pour vivre, des majorités avec lesquelles la première condition était de livrer au radicalisme les garanties libérales, les institutions éprouvées, la rectitude financière, la paix religieuse, et aujourd’hui on aurait beau se faire illusion, on aurait beau se défendre de tout sentiment d’opposition, les difficultés sont partout. Elles naissent justement de la fausse direction imprimée aux affaires publiques par des pouvoirs, par des ministères forcés de compter à chaque instant avec les partis extrêmes. On ne sort pas de là, si bien que, même lorsque le gouvernement, pressé par les circonstances et la nécessité, se décide à faire un effort sérieux pour raffermir les finances par ses conventions avec les compagnies de chemins de fer, il se croit en même temps obligé de rassurer les passions radicales, de leur donner d’autres satisfactions. C’est là, en définitive, la moralité de cette double discussion qui a rempli, qui a surchargé les derniers jours d’une session jusqu’ici assez stérile. D’un côté, le gouvernement soutient un combat énergique pour ses conventions, pour la seule mesure pratique qu’il ait proposée depuis longtemps; d’un autre côté, il poursuit jusqu’au bout une œuvre de vengeance et de représaille révolutionnaire contre la magistrature : de sorte que la victoire utile qu’il peut se promettre dans la chambre des députés est, pour ainsi dire, neutralisée par la défaite d’une institution respectée, d’un principe tutélaire, dans le sénat.

Désormais, en effet, la question est tranchée; l’inviolabilité judiciaire est livrée au Luxembourg comme au Palais-Bourbon, Ce que la chambre des députés a exigé, décidé, ce que le ministère a accepté, — la suspension temporaire d« l’inamovibilité, — le sénat l’a voté il y a trois jours. C’est fait! La lutte, il est vrai, a été vive, sérieuse, et l’indépendance de la magistrature a trouvé de vigoureux défenseurs. Si elle avait peut-être sauvée, elle l’aurait été, à coup sûr, par l’éloquence de M. Jules Simon, qui a montré avec autant de force que d’éclat tout ce qu’il y avait de malfaisant, de dangereux dans cette sorte d’attentat légal contre la justice; elle aurait été préservée par le discours rapide et nerveux de M. Buffet, qui a résumé en traits saisissans les caractères de cette violente mesure; elle aurait été garantie par M. Allou, par M. Grandperret, par M. Bardoux, par M. Batbie. Disons mieux : l’inviolabilité judiciaire eût été infailliblement sauvée, même à une grande majorité, si le sénat eût mis ses sentimens intimes dans le scrutin. Elle a succombé, parce que le gouvernement l’a voulu, parce que le ministère a demandé plus ou moins au sénat de payer par une concession la victoire dont il avait besoin dans la chambre des députés; mais le vote arraché à la faiblesse d’une assemblée irrésolue, craintive, ne change pas le caractère d’une loi que les juges les plus indulgens ont appelée une loi d’expédient, qui reste dans tous les cas une loi d’épuration et d’exclusion.

Sans doute, ce qui était vrai hier l’est encore aujourd’hui. Si l’on avait voulu se donner ce soin, si on s’était préoccupé avant tout de l’intérêt public, une réforme du système judiciaire pouvait être entreprise avec profit pour le pays, pour l’administration de la justice elle-même. Tous les esprits sérieux y ont pensé; les projets ne manquent pas dans les archives de la chancellerie, dans les archives parlementaires. Malheureusement, c’était là un travail aussi délicat que difficile. M. le garde des sceaux a été le premier à en faire l’aveu naïf, et comme les haines, les rancunes, les convoitises étaient impatientes, on est allé au plus pressé, à ce qu’on a appelé la «réforme du personnel.» Vainement la commission du sénat, par un dernier scrupule, a essayé de compléter ce que la chambre des députés avait fait et de relever son œuvre par quelques réformes de détail. La vérité n’a pas tardé à jaillir de la discussion. Le rapporteur de la commission n’a pas caché que la loi tout entière était dans l’article 15, — et l’article 15, c’est justement celui qui donne à M. le garde des sceaux le droit de choisir « indistinctement » dans le corps judiciaire six ou sept cents magistrats, dont il fera ce qu’il voudra, qu’il éliminera comme il l’entendra, qu’il remplacera, comme il le jugera bon. Le reste peut attendre, voilà l’essentiel! Épurer six ou sept cents membres des cours et des tribunaux, c’est là ce qu’on veut; c’est la question dans toute sa crudité. Quelques-uns de ces magistrats, dit-on, ont manifesté de l’hostilité contre les institutions, contre la république, ils refusent même de saluer les préfets! c’est possible. La plupart de ces magistrats ont déjà disparu ou disparaissent chaque jour. La cour de cassation est là, dans tous les cas, pour réprimer les écarts sérieux, et quand il serait vrai que quelques magistrats eussent manqué à la réserve qui est un devoir pour eux, serait-ce une raison suffisante pour prononcer trois mois d’interdit sur l’indépendance de la magistrature tout entière, pour affaiblir l’idée même de la justice dans le pays? Serait-ce un motif pour s’armer de ce moyen révolutionnaire de l’épuration politique, qu’on aurait pu comprendre encore à la rigueur, il y a six ou sept ans, à l’avènement définitif de la république, qui n’est plus aujourd’hui qu’une représaille exercée à froid, menaçante, comme on l’a dit, pour « tous les magistrats qui gênent ? »

Ce qu’il y a d’assez étrange dans ces débats, c’est l’appel incessant à un passé dans lequel on ne va chercher des exemples que pour prendre les plus suspects, les plus équivoques. C’est à qui invoquera les précédens. Eh! sans doute, on n’a qu’à interroger cette série de révolutions, de contre-révolutions dont se compose l’histoire de notre glorieux et malheureux pays, on y trouvera à peu près tout ce qu’on voudra. Napoléon ne se gênait pas avec cette inamovibilité de la magistrature qu’il décrétait en se réservant de la respecter quand il le voudrait. La restauration, elle aussi, a eu ses épurations dans les premières effervescences de son avènement. Et après? Au lieu de demander à des pouvoirs exorbitans, à des temps de crise ce qu’ils ont fait, pourquoi ne cherche-t-on pas des exemples plus salutaires dans d’autres époques où des gouvernemens bien différens ont su s’arrêter devant cette inamovibilité de la magistrature, qui n’est point sans doute un dogme, qui n’est pas moins restée jusqu’ici la première, la plus efficace garantie de l’indépendance de la justice? La monarchie de juillet n’a pas mis en doute l’inviolabilité judiciaire. La république de 1848 elle-même a inscrit l’inamovibilité dans la constitution. Précédens pour précédens, ceux-ci ont apparemment leur autorité ; mais il y a quelque chose de plus évident encore, c’est que si les républicains d’aujourd’hui sont assez malheureux dans le choix de leurs exemples, dans leur manière d’interroger le passé, ils se montrent bien peu prévoyans pour l’avenir. Car enfin, ce qu’ils font maintenant, d’autres auront le droit de le faire contre les républicains eux-mêmes, et M. le président du conseil a beau prétendre qu’il respecte l’inamovibilité; il la respecte, — en la suspendant, — comme celui qui assurait qu’il respectait la loi, — puisqu’il la tournait ! Le précédent est créé, il subsiste.

Depuis plus d’un demi-siècle, tous les esprits libéraux se sont épuisés à faire reculer l’arbitraire dans la vie publique; l’arbitraire reparaît aujourd’hui de la manière la plus blessante en prenant un semblant de légalité; il est dans ce droit extraordinaire laissé à un homme seul, jugeant à huis-clos, de disposer pendant trois mois de la magistrature tout entière. La république ressuscite, à son usage, les procédés des régimes absolus. Et qu’on ne dise pas que tout sera fait avec mesure, qu’on épurera avec prudence, avec équité : M. le président du conseil et M. le garde des sceaux, en parlant ainsi, commettent une double méprise. D’abord ils promettent ce qu’ils ne peuvent pas tenir; ils savent bien qu’ils dépendent des passions qui leur ont imposé la loi nouvelle. Et puis, quelles que soient les intentions, c’est l’arbitraire par lui-même qui est corrupteur. Le mal est dans cette dictature de trois mois étendue sur tout te corps judiciaire et le réduisant à attendre la vie ou la mort d’un acte de bon plaisir. C’est là, cependant, ce qu’on a pressé le sénat d’accepter et ce que le sénat a voté ou achève de voter. Il se serait sûrement honoré en répondant avec M. Jules Simon : « Ce que vous nous demandez, nous ne pouvons pas vous l’accorder! » Il est à craindre maintenant qu’après avoir livré l’inviolabilité des autres, il ne se soit désarmé pour le jour où l’on viendra lui demander sa propre inviolabilité et que la république ne se soit créé une faiblesse de plus.

Chose curieuse! Entre les deux assemblées, si, à l’heure qu’il est, dans cette laborieuse fin de session, il en est une qui montre un certain esprit politique, ce n’est pas le sénat; c’est plutôt cette remuante chambre des députés dans le débat un peu prolixe et diffus, mais instructif, qu’elle poursuit sur ces conventions avec les compagnies des chemins de fer qui font partie du système financier. Depuis quinze jours, en effet, la discussion est engagée et va au but sans trop dévier. Ce n’est point sans doute que bien des idées fausses, bien des déclamations surannées, bien des théories chimériques et même des incidens disgracieux, n’aient trouvé l’occasion de se produire dans cette mêlée de discours ; mais la discussion reprend toujours sa marche, vigoureusement conduite par M. le ministre des travaux publics, par M. le rapporteur Rouvier, et la chambre, si souvent divisée ou incohérente, semble assez décidée à aller jusqu’au bout, sans se laisser déconcerter ou émouvoir par les diversions passionnées. Au fond de quoi s’agit-il? La question, si grosse qu’elle paraisse, est après tout assez simple. On a entrepris d’immenses travaux sur la foi d’inépuisables ressources dans le budget ou avec la dangereuse pensée qu’on pourrait recourir indéfiniment au crédit. Aujourd’hui l’heure des mécomptes ou des réflexions est venue. Le budget, au lieu des excédens qui ont éveillé tant d’illusions et fait croire à une opulence sans limites, n’a plus que des déficits inquiétans. Recourir dans ces conditions à des emprunts incessant, indéfinis, ce serait une sorte de dilapidation de la fortune nationale. Il y avait cependant un parti à prendre. Interrompre brusquement les travaux commencés, on ne le pouvait pas pour bien des raisons. Si on voulait continuer les travaux, à défaut des ressources du budget qui sont diminuées ou des emprunts indéfinis, démesurés qui ne sont plus possibles, quel moyen restait-il donc? Il n’y en avait qu’un sérieux, efficace, c’était de renoncer à beaucoup de chimères dont on s’était payé depuis quelques années, de ramener les travaux à des proportions plus pratiques et d’associer résolument les anciennes compagnies à des entreprises que l’état seul ne pouvait plus mener à bonne fin. M. le ministre des travaux publics, et c’est son mérite, n’a point hésité. Placé en face de la réalité telle qu’elle apparaissait, et dans le budget et dans l’état général du crédit, il a pris son parti; il est entré en négociation avec les compagnies et il a signé les conventions qui sont aujourd’hui soumises à la chambre. M. le ministre des travaux publics a évidemment agi en homme d’affaires sensé et pratique, reconnaissant une nécessité, s’efforçant de dégager d’une situation difficile ce qu’il y avait de possible; mais il est bien clair qu’en agissant ainsi, en revenant au système des transactions avec les compagnies, il devait rencontrer devant lui toutes les idées, les théories, les utopies qui se sont fait jour depuis quelques années, qui une fois de plus sont rentrées en lutte dans cette longue et vive discussion.

Oui, sans doute, la guerre a recommencé contre la « féodalité financière » et la « ploutocratie, » contre les compagnies qui sont suspectes de ne pas être assez républicaines, contre le monopole des transports et l’exagération des tarifs livrés à la haute banque. Le thème n’a rien de nouveau, et M. Madier de Montjau ne l’a pas rajeuni. L’avantage des conventions, est justement d’en finir, au moins pour le moment, avec les déclamations et les idées vagues, de renouer les traditions des grandes combinaisons de 1859, de raffermir l’alliance un peu ébranlée de l’état et des compagnies en associant toutes les forces de crédit pour des entreprises nouvelles. C’est évidemment le seul système vrai, le seul qui ait produit jusqu’ici des résultats féconds et qui puisse en produire encore. En dehors des banalités et des déclamations qui ne résolvent rien, qu’a-t-on à proposer de mieux? Veut-on que l’état, qui a déjà une dette démesurée, se charge de racheter tous les chemins de fer et de poursuivre seul, jusqu’au bout, l’extension de notre réseau? On ne le peut pas sérieusement. Ceux-là mêmes qui caressent toujours cette grande chimère n’ont pas osé aller jusqu’au bout de leur pensée. Proposer, comme on l’a fait, à défaut du rachat universel, le rachat partiel du réseau d’Orléans, c’est une combinaison équivoque qui a les inconvéniens de tous les systèmes sans en avoir les avantages, qui ne serait d’ailleurs que la guerre organisée entre l’état et les compagnies survivantes, qui enfin ne répondrait nullement à la situation financière. Ce qu’on a fait était donc la seule chose à faire ; mais dès qu’on se décide à négocier avec les compagnies, il faut apparemment les traiter en puissances sérieuses auxquelles on a des services à demander ou à imposer, si l’on veut. On dirait que certains républicains, imbus de vieux préjugés, jaloux de domination, ne redoutent rien tant que de voir s’élever dans la société, à côté de l’état, des forces indépendantes sérieusement constituées. A la rigueur, s’il le faut, ils laisseraient vivre les compagnies; seulement ils les voudraient asservies, subordonnées, entourées de liens, surveillées dans leurs conseils, mises pour ainsi dire en régie. Bref, ils voudraient des compagnies qui ne feraient pas leurs affaires, qui ne seraient que des faiblesses; mais, en vérité, l’état n’a aucun intérêt à être entouré de ces faiblesses, à avoir des compagnies qui ne feraient pas leurs affaires. Il est, au contraire, intéressé à avoir autour de lui des forces réelles, indépendantes, qui puissent au besoin le soutenir et lui être d’efficaces auxiliaires. Lorsque les grandes crises de 1870-1871 sont survenues, l’état n’a trouvé un appui sérieux, décisif dans la Banque de France, dans les compagnies elles-mêmes, que parce que c’étaient des puissances indépendantes, fortement constituées. Il y a mieux : lorsqu’à propos de l’organisation industrielle des chemins de fer consacrée par les conventions, on parle toujours de féodalité financière, c’est un étrange abus de langage. Cette organisation est en réalité ce qu’il y a de plus démocratique, comme l’a dit M. Rouvier. Où sont donc toutes ces actions, ces obligations qui représentent un immense capital? Elles sont partout, dans les hameaux comme dans les villes, chez le pauvre comme chez le riche, — de sorte que c’est la puissance de tout le monde .

Que l’état doive toujours garder un droit de surveillance et de contrôle, qu’il puisse imposer des conditions, avoir son influence sur les tarifs, rien de mieux sans doute, ce n’est pas contesté; mais l’état n’a pas cessé d’avoir ce droit, et il est toujours libre de l’exercer. Il n’est pas plus désarmé en cela qu’il ne l’est pour cet intérêt stratégique dont on a parlé, qu’on a cru découvrir, et, à vrai dire, il n’a jamais été désarmé. Est-ce qu’en 1870 ce sont les compagnies qui ont manqué ? En dix jours, la compagnie de l’Est a trouvé le moyen de transporter à la frontière cent quatre-vingt-six mille hommes avec tout le matériel. S’il y a eu des désordres et des confusions, ils sont venus des administrateurs militaires. Depuis dix ans, il y a au ministère de la guerre une commission des chemins de fer, et elle n’a pas sans doute attendu d’être aussi solennellement avertie pour préparer les règlemens qui suffiraient à tout dans le cas d’une mobilisation nécessaire. L’état n’a pas besoin d’être propriétaire, administrateur, gérant des chemins de fer pour en disposer le jour où la défense du pays l’exigerait. On a donc pu voter sans embarras ces conventions destinées à siéger la situation financière, et si, depuis cinq ou six ans, il n’y avait eu que des mesures semblables proposées par les ministères, votées par la chambre, bien des difficultés qui existent aujourd’hui auraient été épargnées au pays.

De nos affaires intérieures, concentrées pour le moment dans ce double débat du Palais-Bourbon et du Luxembourg, il en sera ce que les chambres auront décidé avant les vacances, qui vont s’ouvrir d’une heure à l’autre. Les discussions sont malmenant épuisées, tout a été dit. Sur tous ces points de notre politique intérieure, on sait désormais à peu près à quoi s’en tenir. On n’est pas aussi bien fixé, à la veille du prochain congé parlementaire, sur d’autres questions qui n’ont pas moins de gravité puisqu’elles touchent à nos rapports extérieurs, à notre influence, à la direction de la politique française dans le monde.

Des interpellations, il est vrai, se sont produites depuis quelques jours dans les deux chambres : c’était une curiosité assez naturelle de désirer avoir avant les vacances quelques éclaircissemens sur ces entreprises lointaines où la France se trouve engagée aux bords du Fleuve-Rouge comme dans le canal de Mozambique. Le gouvernement a été interrogé, et il a répondu. À parler franchement, rien n’a été éclairci. M. le ministre des affaires étrangères n’a pas laissé même de montrer quelque embarras en répondant à la question que M. le duc de Broglie lui adressait au sujet de l’état présent de nos affaires dans le Tonkin. Y a-t-il guerre ouverte ? Sommes-nous encore dans la phase des négociations diplomatiques avec l’Annam et la Chine ? Ce n’est pas, à ce qu’il paraît, facile à définir. Non, sans doute, ce n’est pas la guerre, si l’on veut. Elle n’a point été déclarée par le roi ou l’empereur Tu-Duc ; elle ne l’a pas été non plus par la France : on n’a pas eu à demander au parlement l’autorisation nécessaire pour une déclaration de guerre. Prenez garde seulement : ce n’est pas la guerre, et c’est pourtant la guerre puisqu’il faut agir par les armes, et pour venger la mort du malheureux Rivière, et pour maintenir une prépondérance acquise, puisqu’on a chaque jour affaire à ces bandes de Pavillons-Noirs ou de Pavillons-Jaunes, qui ne sont que des soldats déguisés de l’Annam et de la Chine. De sorte que M. le ministre des affaires étrangères n’a pas pu réellement préciser le caractère de cet état singulier qui n’est ni la guerre ni la paix. Voilà le fait simple et évident : nous restons dans l’inconnu sur les bords du Fleuve-Rouge, comme on était dans l’inconnu à la veille de la campagne de Tunis, et c’est là justement ce qu’il y a d’inquiétant dans une affaire lointaine, mal définie, où la France peut se trouver entraînée au-delà de ses intentions et de ses prévisions.

Qu’en est-il, d’un autre côté, de cette expédition de Madagascar, au sujet de laquelle un jeune député aussi intelligent que modéré, M. Francis Charmes, demandait récemment quelques explications? Là aussi, il y avait une situation compromise; depuis quelques années. Le gouvernement a envoyé des forces navales aux ordres de M. le contre-amiral Pierre pour relever notre influence et assurer, fût-ce par les armes, l’exécution d’anciens traités. L’amiral Pierre a rempli sa mission en vaillant soldat; il s’est emparé de quelques positions, notamment du port de Tamatave, sur la côte orientale de l’île. Il n’a pas eu de peine à disperser des bandes indigènes d’Hovas qui se croyaient de force à lui résister. Malheureusement la prise de Tamatave, où campent aujourd’hui nos marins, aurait été, au dire des Anglais, marquée par un incident imprévu et pénible. M. L’amiral Pierre, pour la sûreté de ses opérations, aurait jugé nécessaire de prendre quelques mesures contre des agens étrangers, de signifier notamment un ordre d’expulsion au consul britannique, M. Pakenham, qui était déjà gravement malade et qui est mort avant l’heure fixée pour son départ. Qu’y a-t-il de vrai en tout cela? On ne le sait pas même encore; M. le ministre des affaires étrangères n’a pu rien dire de précis à la chambre. Ce qu’il y a de caractéristique, c’est le bruit qu’on a fait aussitôt dans certains pays avant même de savoir exactement ce qui s’était passé à Tamatave. C’est le signe d’une situation délicate où les moindres incidens dénaturés ou exagérés peuvent susciter à tout instant des complications, peut-être des dangers dans les rapports des peuples. Ce n’est point sans doute une raison, ainsi que le disait justement l’autre jour M. le duc de Broglie, pour renoncer à des prétentions légitimes, pour abandonner la défense de nos intérêts et de nos droits. c’est un motif pour mesurer tout ce qu’on fait, pour s’étudier à dissiper d’avance les malentendus par la netteté des actes et du langage, pour « ôter même à l’imprévu tout ce que la prudence peut lui enlever. » Qu’est-ce que cet incident de Tamatave? Il n’a par lui-même évidemment que peu d’importance. Il n’a paru avoir pour un jour une gravité particulière que parce qu’il s’est produit dans un moment où l’Angleterre est disposée à se défier et à s’irriter de tout, où l’opinion livrée à une surexcitation factice suit avec une jalouse inquiétude toutes ces entreprises françaises représentées comme le développement méthodique d’une nouvelle politique coloniale. La vérité est que les Anglais, pour un peuple si viril, si puissant, ont d’étranges colères et d’assez ridicules ombrages. Ils sont depuis quelque temps dans une phase de violence et d’aigreur contre la France, et ils ne laissent échapper aucune occasion d’exposer leur mauvaise humeur, tantôt à propos du Tonkin et de Madagascar, tantôt à propos de l’isthme de Suez. Tout est bon aux meneurs de cette singulière et imprévoyante campagne, l’affaire de Madagascar en est la preuve significative. Un jour, on reçoit à Londres une dépêche incohérente et équivoque, racontant avec une exagération évidente la prise de Tamatave, les brutalités de l’amiral Pierre, la mort du consul Pakenham, l’expulsion du secrétaire du consulat et d’un missionnaire. Aussitôt, sans se demander si la dépêche a une autorité suffisante, les journaux prennent feu contre l’attentat français; ils réclament une réparation exemplaire, et le chef du cabinet lui-même, M. Gladstone, se laisse aller à grossir la voix dans la chambre des communes. Le cabinet de Londres se hâte de demander des explications à Paris. Le gouvernement français ne pouvait évidemment répondre qu’une chose, c’est qu’il ne savait rien, que tout ce qu’on disait était bien peu d’accord avec les instructions aussi bien qu’avec le caractère de l’amiral Pierre, et il s’offrait d’ailleurs à provoquer immédiatement des explications de l’amiral. C’était pourtant bien simple de commencer par là à Londres comme à Paris, d’attendre des informations plus exactes et plus dignes de foi, au lieu d’exposer du premier coup les rapports des deux pays par des polémiques passionnées et des déclarations presque menaçantes. Maintenant il ne s’agit plus déjà de l’incident de Tamatave, qui a quelque peu disparu depuis quelques jours, dont on ne parlera plus bientôt; mais l’isthme de Suez reste toujours le grand objectif, le thème de toutes les polémiques. Oh! sur ce point la campagne est vigoureusement menée. Les passions anglaises n’entendent pas raillerie; elles ne pardonnent même pas à ceux qui veulent respecter le bien d’autrui en Égypte.

Étrange revirement des choses ! lorsque le canal de Suez a été commencé par notre intrépide compatriote, M. de Lesseps, il n’est pas de difficulté que les Anglais ne lui aient suscitée à Constantinople comme à Londres. Aujourd’hui, ils ne peuvent arriver à comprendre que ce qui s’est fait sans eux, malgré eux, n’ait pas été fait pour eux et ne soit pas leur propriété. Que les Anglais, qui ont les Indes, qui règnent aujourd’hui en maîtres aux bords du Nil et dont le trafic sur le canal dépasse de beaucoup le trafic de toutes les autres nations réunies, tiennent à sauvegarder leurs intérêts, les prérogatives de leur commerce, on le comprend encore. Mais ce qui ne se comprend plus de la part d’une nation comme l’Angleterre, qui a le respect de toutes les garanties, c’est cette campagne inique engagée pour infirmer des droits évidens et consacrés, pour s’emparer directement ou subrepticement, par un abus de prépotence, d’une entreprise indépendante, pour essayer de mettre la main sur ce qui ne lui appartient pas. M. Gladstone, dans sa loyauté, il faut se hâter de le dire, s’est refusé à sanctionner ces âpres prétentions, à se faire le complice de ces revendications violentes. Il n’a pas cherché à ruser avec ce droit de M. de Lesseps, que les jurisconsultes de la couronne ont eux-mêmes reconnu. Il a procédé franchement, et le premier ministre d’Angleterre, croyant tout concilier, espérant apaiser une opinion surexcitée sans manquer à l’équité, est entré en arrangement avec le directeur du canal. Il a négocié, il a obtenu de la compagnie de Suez de meilleures conditions de tarifs, l’ouverture d’un nouveau canal qu’on réclamait, en promettant en échange un emprunt pour la construction de l’œuvre nouvelle; mais c’est ici que tout devient bizarre. La question, au lieu d’être simplifiée et résolue, s’est trouvée plus compliquée que jamais. A peine la convention de Suez a-t-elle été connue, elle a provoqué une nouvelle explosion de colères. Ce n’était point là du tout ce qu’on demandait au cabinet ; on n’admettait pas particulièrement qu’il reconnût le « droit exclusif » de M. de Lesseps. Il y a eu une sorte de soulèvement, si bien que M. Gladstone, reculant devant ce qu’il avait fait, n’a pas osé soumettre son œuvre au parlement. Peut-être, en parlant il y a quelques jours avec une certaine rudesse de l’incident de Madagascar, s’était-il flatté de faire passer plus aisément la convention avec la compagnie de Suez ; il s’est singulièrement trompé, il n’a fait qu’offrir un aliment de plus à des polémiques antifrançaises qui finissent par lui créer à lui-même une situation assez difficile.

Qu’y a-t-il donc dans cette agitation trop visiblement exagérée pour être parfaitement sincère ? Il y a sans doute bien des élémens qui ne sont pas faciles à saisir. Lorsque M. Bright parlait il y a quelque temps des armateurs, des gens de négoce coalisés pour chercher une satisfaction en Égypte, fût-ce au prix d’une rupture ou d’un refroidissement des relations de l’Angleterre avec la France, il ne se trompait pas absolument. Les intérêts mercantiles et financiers ont certainement un grand rôle dans tout ce mouvement. Les uns voient dans l’isthme de Suez une question de tarifs pour le commerce anglais; les autres voient dans la construction d’un second canal une affaire lucrative qu’ils ne veulent pas laisser à l’ancienne compagnie. Ce qu’on désire avant tout, c’est faire de l’Égypte une terre anglaise exploitée par des Anglais, fallût-il pour cela déposséder par la force tout ce qui représente une influence étrangère. Les grands commerçans de l’Angleterre se sont pris de passion pour l’isthme de Suez, qu’ils dédaignaient autrefois, dont ils sentent aujourd’hui l’importance pour leurs intérêts ; mais il est bien clair que ce n’est pas le seul élément de cette agitation fort extraordinaire, que ces partis à leur tour n’ont pas tardé à s’emparer de la question dans l’espoir de s’en faire une arme contre le ministère. Depuis longtemps les conservateurs en étaient à chercher le point vulnérable du cabinet libéral ; ils ont cru cette fois l’avoir découvert, ils ont pu se flatter de trouver un puissant appui dans le sentiment populaire. Lord Salisbury dans la chambre des lords, sir Stafford Northcote dans la chambre des communes, se sont faits les patrons des revendications violentes. Ils se sont associés à ce mouvement aussi confus que passionné, et il est assez vraisemblable que, si la question était restée soumise au parlement, les conservateurs auraient pu retrouver pour la circonstance une majorité d’un jour. Le ministère risquait fort d’avoir un échec. C’est précisément parce qu’il a vu le danger que M. Gladstone, en tacticien habile, s’est dérobé et a retiré la convention de Suez, pour laquelle il se disposait à demander le vote du parlement. Qu’en est-il résulté ? À vrai dire, ce coup de tactique de M, Gladstone a été peut-être utile à tout le monde, même aux conservateurs qui, au lendemain d’une victoire de hasard, auraient été bien embarrassés pour satisfaire des passions auxquelles ils auraient dû le succès. Aujourd’hui la situation reste à peu près intacte. Le ministère libéral a échappé à un péril imminent, la question de l’isthme de Suez n’a point été compromise dans un vote douteux. M. de Lesseps s’est montré aussi habile que M. Gladstone en dégageant aussitôt le cabinet anglais de ses obligations, en lui rendant sa liberté, et les relations de l’Angleterre avec la Fronce se trouvent allégées du poids des complications qui auraient pu naître d’une solution violente.

On a du moins gagné du temps, et ce qu’il y aurait de mieux aujourd’hui pour des gouvernemens sensés, ce serait d’employer ce temps à dissiper les malentendus que d’imprévoyantes polémiques réveillent sans cesse entre deux nations dont l’aisance est utile au monde. À quel propos raviver aujourd’hui des haines surannées ? Que peuvent gagner les polémistes anglais à démontrer puérilement que la France nourrit des desseins menaçans pour la grandeur britannique ? Le ministère anglais n’est sûrement pour rien dans ces violences, M. Gladstone, au contraire, en rendant hommage, dans un de ses derniers discours, aux créateurs du canal de Suez, a saisi cette occasion de témoigner sa cordialité pour la France, de montrer l’importance de cette question égyptienne pour les rapports des deux grandes nations. Le gouvernement français a les mêmes sentimens pour l’Angleterre, cela n’est point douteux, et la meilleure, preuve qu’il ait pu en donner a été certainement d’envoyer M. Waddington comme ambassadeur à Londres. M. Waddington a été mêlé aux grandes affaires de ces dernières années. Il a participé, comme ministre des affaires étrangères de France, au congrès de Berlin; il était récemment au couronnement du tsar. Par son origine, par son éducation, il connaît mieux que tout autre l’esprit et les mœurs de l’Angleterre. Il a maintenant à se montrer bon diplomate, et, après tout, de quoi s’agit-il entre l’ambassadeur de France et le cabinet anglais? Il s’agit de mettre un terme à toutes les difficultés visibles ou invisibles d’aujourd’hui, qui ne pourraient se prolonger sans péril, de renouer autant que possible, sinon une alliance intime qui ne répondrait à rien, du moins de bonnes et cordiales relations entre deux peuples faits pour être des émules dans toutes les œuvres de la civilisation.


CH. DE MAZADE.


LE MOUVEMENT FINANCIER DE LA QUINZAINE

Les quelques jours qui précédaient la liquidation de quinzaine avaient vu se produire dans la situation du marché financier une amélioration très sensible, brusquement interrompue dès le 16 et qui n’a pas été reprise depuis. Les mouvemens de spéculation restent à la merci d’un fort petit nombre d’opérateurs, et le découvert a prouvé qu’il n’était encore nullement disposé à se laisser effrayer par les tentatives de hausse que l’on voit de timides et peu solides acheteurs hasarder de temps à autre.

La cause immédiate de l’amélioration survenue entre le 10 et le 15 a été l’annonce de l’accord intervenu entre le gouvernement anglais et la compagnie de Suez. En même temps que l’affaire du second canal paraissait définitivement résolue, la chambre allait aborder le 16 courant la discussion des conventions conclues entre l’état et les chemins de fer. De ce côté, aucune surprise à craindre. L’opinion publique imposait si impérieusement à nos chambres l’acceptation des propositions du gouvernement que le débat en se prolongeant plus ou moins ne pouvait modifier le résultat final, et que l’on devait considérer comme acquis le bénéfice depuis si longtemps attendu, pour les finances publiques, du règlement de la question des chemins de fer. La hausse des valeurs de la compagnie de Suez avait été accompagnée de celle de nos fonds publics, ce qui était de toute justice et promettait une heureuse fin de mois, au point de vue du relèvement général des affaires.

Nous avons dit que ces prévisions s’étaient trouvées déçues dès le jour même de la liquidation par un retour brusque aux anciens cours sur toutes les valeurs autres que nos fonds publics, dont l’amélioration s’est au contraire maintenue et accentuée pendant la seconde quinzaine du mois. Dès lors, en effet, on voit les rentes françaises suivre un autre courant que celui des valeurs propres de spéculation, telles que les actions et Parts civiles de Suez, l’Unifiée d’Egypte, la Banque ottomane, etc. Au reste, les transactions deviennent encore moins actives qu’au commencement du mois, et le marché retombe dans l’atonie d’où un mouvement éphémère venait de le tirer pour quelques jours. L’extension des ravages du choléra dans toute la Basse-Egypte et surtout au Caire, des nouvelles inquiétantes de Madagascar, ont servi de prétexte aux vendeurs pour peser de nouveau sur les cours, mais ce qui leur a surtout permis de déjouer sans peine les efforts des haussiers, c’est l’attitude absolument hostile prise par une partie de la presse anglaise et par un grand nombre de membres de la chambre des communes à l’égard de l’arrangement conclu entre lord Granville et M. de Lesseps. Il semblait maintenant que le commerce anglais n’eût obtenu aucune concession, et qu’en signant le contrat, les ministres de la reine eussent trahi les intérêts britanniques. Le but de la campagne engagée contre la compagnie commençait d’ailleurs à se dévoiler clairement; il ne s’agissait plus d’obtenir pour le transit de nouvelles facilités au triple point de vue de la durée, de la sécurité et du prix du passage, mais bien de contester à la compagnie l’existence du monopole qu’elle tient de ses actes de concession, et de revendiquer pour une compagnie anglaise le droit de construire un second canal absolument indépendant et concurrent du premier.

L’opposition à l’arrangement a pris en si peu de temps au-delà du détroit une telle vivacité et les passions politiques se sont déchaînées à cette occasion avec une telle violence que l’adoption par le parlement, de certaine qu’elle avait paru d’abord, devenait fort douteuse. On découvrit bientôt qu’il y allait du sort du cabinet anglais, et que, si M. Gladstone s’obstinait à demander l’assentiment de la chambre des communes, il risquait fort sa position de premier ministre. C’est ainsi que le 23 courant, on a vu ce singulier spectacle d’un chef du cabinet britannique retirant avec une hâte significative une proposition qu’il venait de déposer. M. de Lesseps avait d’ailleurs rendu sa parole à M. Gladstone par une lettre datée du 20 juillet, où les raisons de ne pas maintenir l’accord intervenu se trouvent exposées comme suit : « En France, l’opinion publique, oubliant le passé, a unanimement applaudi à cet accord; en Angleterre, il me semble qu’une partie de l’opinion publique, qui s’est peut-être prononcée hâtivement, n’a pas compris toute la portée de l’arrangement équitable intervenu, et il en est résulté entre les deux nations amies des discussions fâcheuses, susceptibles, je le crains, de nuire profondément et pour longtemps, aux sentimens nécessaires de forte amitié qui unissaient les deux peuples. »

Les armateurs anglais hostiles à la compagnie ont donc obtenu le succès espéré. Après avoir empêché le gouvernement anglais de donner son appui à l’entreprise existante, ils vont s’efforcer, avec plus d’ardeur que jamais, de dépouiller la Société française de son monopole et d’assurer la constitution d’une société rivale. D’autre part, M. de Lesseps, qui a recouvré toute liberté d’action, annonce l’intention de convoquer avant peu les actionnaires pour leur proposer la construction immédiate du second canal, aux frais de la compagnie, et le système de réduction des tarifs tel qu’il était exposé dans le contrat désormais abandonné.

L’action Suez a baissé naturellement de plus de 100 fr., sur ses plus hauts cours, à la suite des déclarations faites, le 23, par M. Gladstone à la chambre des communes, et celles qu’il a été amené à faire encore depuis, en réponse aux innombrables questions qui lui sont posées sur son opinion touchant le monopole exclusif de la compagnie, ne sont pas de nature à relever l’enthousiasme des acheteurs.

Le débat sur les conventions se prolonge à notre chambre des députés plus qu’on ne l’avait supposé. Le vote, en tout cas, est assuré, aussi bien pour les cinq conventions déjà proposées par le ministre des travaux publics que pour celle de l’Ouest, déposée plus tard, et dont la clause principale, en dehors de celles qui sont communes à toutes les conventions, porte que, sur les 241 millions dont se compose la dette de la compagnie envers l’état (190 millions en capital et 51 millions en intérêts), la compagnie devra employer 160 millions à des travaux nouveaux, l’état abandonnant les 81 millions restant.

C’est la conviction du vote prochain des chambres sur les conventions qui explique la fermeté des rentes françaises et la hausse du 5 pour 100 au-dessus de 109 francs, pendant que les valeurs se trouvent si délaissées et que la spéculation se prépare à payer les frais d’une nouvelle déception. Avec les rentes, les titres les plus solidement tenus, et pour le même motif, ont été les actions des compagnies de chemins de fer.

Nous retrouvons le Crédit foncier de France se maintenant aux environs de 1,300 francs. À ce prix, cette valeur, d’une sécurité si grande, constitue un placement exceptionnellement avantageux, contre lequel la spéculation proprement dite ne saurait guère avoir prise, en raison même de la prospérité du Crédit foncier. On peut voir de semaine en semaine s’accroître le chiffre de ses opérations, et le caractère spécial de la surveillance de l’état à laquelle il est soumis assure à ces opérations un développement considérable, non moins que les nécessités sociales et économiques auquel il répond. Le compte des bénéfices qui vient d’être établi pour le premier semestre de l’année courante présente sur la période correspondante de l’année dernière une augmentation de 1,900,000 francs en chiffres ronds. C’est donc une élévation assurée du dividende annuel. D’autre part, les obligations de diverses catégories continuent à être recherchées par l’épargne au même titre que la rente ou les obligations de chemins de fer. Ce sont là autant de traits révélateurs de la prospérité que nous venons de signaler et qui font des obligations comme des actions du Crédit foncier des valeurs de premier ordre.

L’affaire de la Compagnie du Gaz contre la ville de Paris était venue devant le conseil de préfecture le 11 juillet; le conseil a rendu le 16 un arrêté aux termes duquel, les fias de non-recevoir invoquées par la Compagnie parisienne du Gaz étant rejetées, il sera fait une expertise ayant pour objet de rechercher si, depuis 1856, la compagnie aurait pris l’initiative de procédés nouveaux de fabrication du gaz, ou d’exploitation de ses sous-produits, constituant des améliorations dénature à amener un abaissement notable dans le prix de revient du gaz. L’expertise ordonnée ne préjuge naturellement pas l’arrêté définitif; l’effet produit sur les cours n’en a pas moins été d’abord assez vif. L’action a fléchi de 30 francs environ et se maintient depuis aux environs de 1,365 francs.


Le directeur-gérant : G. BULOZ.