Chronique de la quinzaine - 31 mars 1838

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Chronique no 143
31 mars 1838


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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31 mars 1838.


La coalition qui devait en finir du ministère, dans la discussion des fonds secrets, consent à le laisser vivre, mais non pas respirer, jusqu’à la discussion de la proposition de M. Gouin sur les rentes. Le ministère a profité de ce répit, qu’on veut bien lui laisser, pour donner communication d’un traité qu’il vient de conclure avec le gouvernement de notre ancienne possession de Saint-Domingue. Ces négociations, commencées à l’époque où se faisait l’expédition de Constantine, ont été couronnées, comme cette expédition, par un heureux résultat, et, cette fois, sans qu’il en ait coûté un seul soldat à la France. On voit que le petit ministère ne se lasse pas de faire de petites choses, et d’exciter la pitié.

Le résultat de la négociation avec Haïti semble presque inespéré, quand on songe à l’aigreur qui s’était élevée dans nos relations avec cette république, et quand on connaît sa situation peu florissante. Si le gouvernement français avait résolu de traiter avec le gouvernement haïtien sur le pied de la restauration, en ne lui accordant qu’une reconnaissance conditionnelle, ou en le taxant arbitrairement, non d’après ses ressources, mais selon les prétentions individuelles, les voies de négociation n’auraient pas même été ouvertes, et la France eût été réduite à en venir à des extrémités toujours fâcheuses et certes moins profitables qu’un traité. Le choix des commissaires témoigne seul du soin et du tact avec lesquels a été traitée cette affaire par M. Molé. M. de Las Cases se présentait à Saint-Domingue avec un nom vénéré dans tout le pays, et qui se rattache aux premières améliorations sociales qui y ont été tentées, il y a trois siècles. Un de ses aïeux, le célèbre évêque Las-Casas, avait déjà élevé jadis la voix en faveur du peuple haïtien, qui n’a pas oublié sa mémoire. L’envoi de M. de Las-Cases, autant que son caractère modéré et conciliant, disait assez la nature de sa mission, appuyée cependant par des forces imposantes et telles qu’il convient d’en déployer quand une grande nation comme est la France, réclame l’exécution des traités et parle au nom de ses droits. De prompts résultats ont répondu à tous ces soins, et MM. de Las-Cases et Baudin débarqués le 25 janvier, ont vu accepter, le 15 février, leurs stipulations par le sénat, en séance publique.

En 1825, M. de Mackau, commandant une division navale, composée de quatorze bâtimens de guerre, armés de six cents pièces de canon, avait fait accepter, presque de vive force, une ordonnance royale, qui accordait une reconnaissance sous des conditions impossibles à remplir. L’indemnité imposée était de 150 millions. On sait l’histoire de cette indemnité qui n’aboutit qu’à faire remplir, à des capitalistes français, un désastreux emprunt de 30 millions, dont une partie seulement a été remboursée. Une concession d’un demi-droit à l’entrée et à la sortie fut aussi faite, en 1825, au commerce français. Cette concession diminua encore les revenus de la république. Les différends qui s’élevèrent depuis, à mesure que se déclaraient les impossibilités de remplir les engagemens pris par le gouvernement haïtien, la crainte d’une attaque de la part de la France, obligèrent la république d’Haïti à porter son armée à trente mille hommes, autre source de ruine qui dure encore. C’est dans cet état de choses que les commissaires de 1838 ont trouvé notre ancienne colonie ; c’est avec un gouvernement réduit à émettre, depuis dix ans, 15 millions d’assignats non hypothéqués, avec un pays où la culture est presque abandonnée dans la crainte d’une invasion, qu’ils avaient à traiter d’une double indemnité pécuniaire qui ne pouvait être réduite à moins de 90 millions, en y comprenant les 30 millions de l’emprunt de 1815, déjà remboursés en partie, c’est-à-dire plus qu’une année des revenus de cet état.

Les envoyés français avaient pour instruction de s’assurer des ressources du pays, de n’exiger rien d’impossible, de se défier des conditions qui rendent un traité plus brillant, mais qui ne se réalisent point, comme celles de 1825. Il leur était recommandé de se baser uniquement sur des investigations financières, sur des notions positives, dont ils emportaient déjà avec eux presque tous les élémens. Ils avaient à stipuler pour les anciens colons, à assurer le paiement intégral de l’emprunt de 1825, et à régler les relations commerciales d’une manière avantageuse pour la France, sans diminuer les ressources du pays, dont la prospérité doit garantir désormais l’exécution du traité. Toutes ces conditions ont été remplies. Au lieu de suivre les erremens de la restauration, comme on en avait accusé le ministère, avant même que la conclusion du traité ne fût connue en France, on a employé dans l’article premier les termes mêmes du traité de 1783, par lequel la Grande-Bretagne reconnaissait l’indépendance des États-Unis d’Amérique. Par le traité financier, l’indemnité due par la république demeure fixée à 60 millions, payables par un mode progressif jusqu’en 1867, en monnaie de France, et dans les six premiers mois de chaque année. 2,800,000 francs ont été embarqués sur-le-champ sur la frégate la Néréïde, pour le montant du premier paiement. Un million est affecté tous les ans au service de l’emprunt d’Haïti. Cette dernière négociation offrait de grandes difficultés ; elle a été plusieurs fois sur le point d’être rompue. Qu’on se figure la situation délicate des commissaires français dans ces pénibles débats, entre les intérêts de malheureux créanciers, ruinés par l’emprunt, dignes de toute leur compassion, et les intérêts, non moins dignes de pitié, de débiteurs plus misérables encore, réduits à une impuissance avérée, dont ils avaient pu juger eux-mêmes à la vue du pays. La France a déjà recueilli le fruit de sa modération. Les feuilles politiques d’Haïti, arrivées avec le traité, manifestent la joie et l’enthousiasme excités par la conclusion du traité du 15 février, et tout permet d’espérer que de bonnes et actives relations commerciales ne tarderont pas à s’ouvrir avec notre ancienne colonie. Depuis vingt-cinq ans, le traité définitif avec Haïti avait été tenté sans succès ; le cabinet actuel n’a pas hésité à aborder cette tâche difficile, entreprise par d’autres ministères, et il l’a menée à fin. Ce cabinet, si inhabile, est encore sorti de cette difficulté, devant laquelle avaient échoué ses prédécesseurs, ainsi qu’il était arrivé pour l’amnistie, les élections et l’expédition de Constantine. Tous ces actes lui compteront peut-être bien pour un discours de tribune, et sont d’une éloquence qui parle assez haut.

Le projet de loi relatif à la réalisation de la garantie donnée par la France pour la négociation de l’emprunt de la Grèce, a été voté par la chambre des députés à une immense majorité. M. Molé a eu à essuyer, dans cette discussion, les reproches de l’opposition de gauche, qui s’adressaient en réalité à ses prédécesseurs, M. de Broglie et M. Thiers, mais qui n’étaient pas mérités, et que le ministre a pris généreusement pour son compte, afin de les mieux repousser. M. Auguis et M. Mauguin, les adversaires du gouvernement, se trouvaient ici dans le cas de presque tous les orateurs de la chambre qui entrent dans le détail des affaires extérieures. Leur argumentation reposait sur des erreurs matérielles, sur l’ignorance des faits. Ainsi M. Auguis ignorait que les recettes de la Grèce se sont accrues de près de cinq millions depuis cinq ans, et c’est en parlant du budget de 1833, sans tenir compte des budgets subséquens, qu’il s’efforçait de démontrer l’insolvabilité de la Grèce. M. Mauguin, qui parle toujours de prédilection sur les affaires étrangères, s’opposait a l’adoption du projet de loi par des causes d’une autre nature. Il s’attachait peu à rechercher la solvabilité ou la non-solvabilité de la Grèce. L’influence de la Russie en Grèce, influence qu’on ne peut nier, dit-il, devait suffire pour faire rejeter le projet. Quel emploi la Grèce ferait-elle des fonds qu’on allait lui voter ? Ne s’en servirait-elle pas pour payer à la Turquie les 12 millions qu’elle lui doit ? Et ces 12 millions n’iraient-ils pas du trésor de la Porte dans celui du czar ? Or, il n’était question que de mettre un terme à une irrégularité financière ; il s’agissait seulement de ne plus émettre des bons de la troisième série de l’emprunt, pour assurer le service des intérêts des deux premières séries, nécessité à laquelle avait été réduit le ministère du 22 février. Le ministère ne venait pas mettre en question la garantie de l’emprunt grec, que nous avons donnée solennellement, il demandait à la chambre de régulariser le mode du paiement, et c’est ce que la chambre a parfaitement compris, malgré les écarts de certains orateurs. Quant aux questions politiques qui s’agitent en Grèce, la France n’aurait qu’à gagner en montrant au grand jour ses négociations ; elles tendent toutes à demander l’établissement d’une administration plus régulière, la diminution de l’armée, l’éloignement des corps bavarois, en un mot l’emploi des fonds accordés par les puissances, d’une manière utile aux véritables intérêts de la Grèce. Depuis bien des années, le rôle de la France, vis-à-vis de la Grèce, a été un rôle de générosité, mais d’une générosité éclairée, et M. Mauguin, ainsi que ses amis, peuvent se rassurer. Jamais le gouvernement grec n’a entendu, de la part de la France, un langage à la fois plus ferme et plus sage que celui qu’elle lui tient aujourd’hui. La Grèce a engagé ses domaines nationaux comme hypothèque de l’emprunt ; le gouvernement français a adressé à lord Palmerston un plan d’aliénation de ces domaines, au profit de l’emprunt. La Bavière réclame, du gouvernement grec 4 millions qu’elle prétend lui être dus ; la France exige l’ajournement du paiement de cette dette, et en fait la condition de ses émissions. Il se peut que l’influence de la Russie s’exerce en Grèce, c’est le sort de tous les états faibles de subir l’influence des grandes puissances ; mais on peut être assuré que l’influence du gouvernement français est loin d’y être nulle, comme on voudrait le faire croire ici. Au reste, voici les conditions auxquelles les trois grandes puissances verseront la troisième série de l’emprunt. 1o  Le gouvernement grec cédera le revenu des biens nationaux hypothéqués par l’emprunt, et le revenu de ces biens sera affecté au paiement des intérêts annuels ; 2o  le trésorier-général rendra tous les six mois un compte exact de ces revenus ; 3o  on déduira de cette série les intérêts et l’amortissement de l’année courante ; 4o  le gouvernement grec sera invité à rétablir l’équilibre entre les recettes et les dépenses ; 5o  le remboursement de 4,000,000 de francs que réclame le gouvernement bavarois sera ajourné jusqu’en 1840, si toutefois cette réclamation est admise. Enfin le gouvernement français demande que 4,000,000 de la troisième série soient employés à l’établissement d’une banque nationale. Assurément, si l’influence de la Russie et de la Bavière se sont fait sentir, ce n’a été ni à Paris, ni à Londres, où ont été dictées ces conditions.

Tandis que la France imposait au gouvernement grec la condition de repousser ou d’ajourner les prétentions financières de la Bavière, quelques journaux se plaisaient à répandre le bruit que le gouvernement français négociait humblement, quelques millions à la main, le mariage d’une des filles du roi des Français avec l’héritier de la couronne de Bavière. Ces bruits n’ont trouvé aucune créance dans le monde où l’on est un peu informé des affaires ; mais ce monde n’est pas grand, et il n’en a pas fallu davantage aux journaux de l’opposition pour accuser le ministère de ravaler la dignité de la France. Un de ces journaux ne trouvait-il pas étrange que le ministère n’eût pas pris à partie la Gazette de Leipsig, qui dément en termes hautains la nouvelle de ce mariage ? La feuille allemande disait, il est vrai, que nul peuple n’est plus détesté en Grèce que les Français, et qu’un mariage entre une princesse française et un prince bavarois n’ajouterait rien, en Grèce, à l’influence de notre gouvernement. La lettre insérée dans la Gazette de Leipsig était datée de Munich, où sans doute on a la prétention d’avoir fait naître de vifs sentimens d’affection en Grèce ! De telles attaques ne se font-elles pas juger elles-mêmes ? Le cabinet français, qui demandait, en ce moment-là, des millions pour la Grèce, a-t-il besoin de l’apologie des feuilles du gouvernement bavarois, qui demande des millions à la Grèce, ce pays épuisé à qui la Bavière n’a jamais rien donné, qu’une administration dont les actes ont révolté tout ce qu’il y a d’esprits droits ? Le cabinet français a répondu d’avance à ces attaques en stipulant pour les intérêts de la Grèce contre les demandes pressantes du gouvernement bavarois ; et en cela il n’a fait que suivre la noble politique dont les effets se sont manifestés par l’expédition de Morée, la bataille de Navarin, la garantie de l’emprunt, et tant d’autres preuves d’intérêt et de désintéressement données à la Grèce depuis quinze ans. Si, après tout cela, les Français sont détestés en Grèce, il sera curieux de savoir quelle sorte de sentimens la nation grecque porte aux Bavarois !

Il se peut aussi que nous soyons détestés en Belgique. Nous ne l’aurions pas moins mérité. Autrefois, la politique extérieure de la France consistait surtout dans la protection qu’elle accordait aux états secondaires, proches ou lointains. La France garantissait, elle protégeait les états faibles, loin de les intimider, comme faisaient les autres états. C’était là un des principes et un des secrets de sa prépondérance. Qui dira aujourd’hui que la France n’obéit pas à ce système ? À l’heure présente, sous le ministère actuel, ce système a plus de force que jamais. C’est donc un fait très important que ce qui se passe aujourd’hui entre la Belgique et la Hollande.

La conférence de Londres a reçu, depuis peu de temps, une communication du roi de Hollande, qui semble disposé à accepter un arrangement basé sur les vingt-quatre articles du traité du 15 novembre 1831, et à faire les concessions territoriales exigées par ce traité. Le gouvernement belge se trouverait ainsi forcé d’évacuer, conformément au traité de 1831, quelques parties de territoire qu’il occupe en ce moment, et de supporter sa part de la dette nationale des Pays-Bas, que le refus absolu de négocier, de la part du roi Guillaume, a mise jusqu’à ce jour à la charge de la Hollande. Déjà, en 1832, le roi de Hollande semblait pencher pour un arrangement ; mais les conditions qu’il mettait à la reconnaissance du gouvernement belge n’étaient pas acceptables de leur nature. Cette fois, une nécessité pressante semble avoir motivé sa démarche, la disposition des états généraux se trouvant telle qu’il faut renoncer à maintenir l’état de l’armée sur le pied onéreux où elle se trouve. La conférence de Londres s’est bornée à donner acte de la communication du roi de Hollande, en faisant seulement remarquer que la situation des choses n’est pas aujourd’hui la même qu’elle était à l’époque où les vingt-quatre articles furent soumis à l’acceptation de S. M. le roi Guillaume. Cette observation importante, et qui semble devoir changer toute la nature des négociations, a été introduite dans le protocole de la conférence, d’un commun accord, par la France, l’Angleterre, et par le représentant de la Prusse, qui l’avait lui-même rédigé. Le représentant de la Russie élevait, il est vrai, quelques difficultés, au moment de signer cette pièce ; mais il n’a pas tardé de se joindre aux autres membres de la conférence, et d’y apposer son seing.

Le traité du 15 novembre 1831 se composait, non de vingt-quatre, mais de vingt-cinq articles. Par le dernier, les puissances contractantes prenaient, avec la Belgique, l’engagement de faire exécuter le traité dans un bref délai. Sept années se sont écoulées, et l’article vingt-cinquième où se résume le traité tout entier, l’article qui est le traité lui-même, n’a pas été exécuté. Pendant ces sept années, le gouvernement belge a été forcé d’entretenir des forces militaires onéreuses, il a subi tous les inconvéniens de la non-reconnaissance ; aujourd’hui il paraît ne vouloir traiter de la liquidation de la dette avec la Hollande que sur de nouvelles bases, et semble surtout décidé à ne pas subir la charge de l’arriéré, qui est énorme. Cet arriéré se compose de 8,400,000 florins par an, accumulés depuis le mois de novembre 1830, avec les intérêts. Le gouvernement hollandais ne supporte ce fardeau qu’au moyen de ses colonies, dont il perd ainsi le revenu. Aujourd’hui, il croit pouvoir charger la Belgique de cette dette par une reconnaissance qui n’engage que faiblement l’avenir, et par la cession de quelques parties du territoire fédéral dans le Luxembourg, pour l’aliénation desquelles la Belgique aura à débattre avec la diète germanique. Tous les bénéfices du statu quo sont donc pour la Belgique, et il est étonnant que le roi de Hollande n’ait pas songé plus tôt à le faire cesser.

Sans vouloir exagérer les difficultés qui naîtront de cette démarche du roi de Hollande, auxquelles fera sans doute face l’attitude de la France et de l’Angleterre, étroitement unies, on ne peut nier que la force morale et l’influence dont nous aurons besoin, sans contredit, nous viendront de la position que nous avons conservée. Grace à Dieu, nos embarras ont cessé en Afrique, à Saint-Domingue. Nous avons les mains libres, des soldats en nombre, nos finances sont prospères, la réduction de la rente n’est encore qu’un projet ; en voilà assez pour qu’il ne se tire pas un coup de canon en Hollande et en Belgique sans notre permission. Si les chemins de fer du midi au nord de la France étaient en voie d’exécution, on pourrait dire d’avance que les difficultés entre la Belgique et la Hollande seraient bien promptement aplanies. Toutefois, rien n’est encore compromis dans l’état actuel des choses, le statu quo ne sera pas troublé sans notre approbation, et le cabinet actuel, qui a prouvé suffisamment, ce nous semble, qu’il ne perd pas son temps, ne le laissera lever qu’à des conditions telles que la France et la Belgique n’auraient pas à se repentir du changement.

Si la coalition veut se placer sur le terrain de la rente pour attaquer le ministère, comme on l’a déjà annoncé, elle peut s’attendre à échouer encore une fois, comme il lui est arrivé dans la discussion des fonds secrets. Le ministère, loin de se refuser à la réduction, ou de l’écarter pour des fins de non-recevoir, doit, dit-on, demander lui-même qu’une époque et un mode de remboursement soient fixés. Son motif est que l’idée de la réduction est entrée trop avant dans les esprits pour y mettre obstacle, et que l’incertitude où on laisserait les rentiers serait pour eux un mal presque aussi grand que l’opération projetée. Le ministère ne s’emparera donc pas de cette complication survenue à la frontière de Belgique, pour combattre la proposition de M. Gouin. Il cherchera loyalement, de bonne foi, avec une ardeur sincère pour le bien public, à la rendre compatible avec les intérêts réels et actuels de l’état ; il s’efforcera d’atténuer, par des mesures bienveillantes, tout ce qu’elle peut avoir de fâcheux pour les rentiers, et pour peu que l’opposition apporte les mêmes sentimens dans la discussion de cette mesure, elle se trouvera faite sans perturbation, à l’époque qu’on jugera la plus favorable. En un mot, l’affaire des rentes sera une affaire toute financière, et si l’opposition contribue à la mener à fin à l’aide de quelques bonnes idées, c’est un succès que ne lui enviera pas le ministère. Mais sont-ce bien là les succès que recherche l’opposition ?

La question des chemins de fer est de même nature, quoiqu’on s’efforce aussi, nous le savons bien, d’en faire une tout autre question. Au sujet des chemins de fer, M. Odilon Barrot, qui est pour les concessions aux compagnies particulières, est tout-à-fait d’accord, nous dit-on, avec M. Thiers, qui est pour l’exécution des travaux par l’état. Voilà qui est édifiant ! Si ces messieurs mettaient seulement la moitié de cette bonne volonté à s’entendre avec le ministère, l’accord serait général et tout-à-fait touchant. M. Guizot s’entend sans doute aussi avec M. Thiers et M. Odilon Barrot, sur la question des chemins de fer, et ce serait vraiment, pour lui, le cas d’émettre sa fameuse opinion sur les affaires d’Espagne : « On peut prendre l’une ou l’autre voie. » Au surplus, la grande question n’est pas de s’entendre pour faire des chemins de fer, mais de s’entendre pour que le ministère n’en fasse pas ; voilà tout l’esprit de la ligue.

La chambre ne comprend rien aux passions qui s’agitent autour d’elle. Elle a vu un ministère débuter par la plus grande mesure politique de ce temps-ci, l’amnistie, continuer sa marche en se signalant par une grande expédition militaire, par de grands travaux d’utilité publique ; elle le voit traiter au dehors des plus importans intérêts, terminer des difficultés de vingt ans, comme était celle de Haïti, appeler la discussion publique sur tout ce qu’il y a de vital en France, les fleuves, les routes, les canaux ; améliorer la législation en ce qui concerne les faillites, les tribunaux civils, les conseils-généraux, les conseils d’administration, les aliénés ; et au milieu même de toutes les questions dont le ministère la saisit, elle s’entend dire que c’est là une administration sans capacité et sans force. Ces accusations varient même d’une étrange manière. Pour le Courrier Français, c’est un cabinet ignorant, impropre à traiter toute matière ; M. Martin du Nord n’entend rien aux travaux publics, M. de Montalivet aux conseils-généraux, M. Barthe aux justices de paix, M. de Salvandy à l’étude et à la science, le général Bernard à l’art militaire et à l’organisation des armées. Pour le Constitutionnel, le ministère n’est pas un ministère politique, c’est convenu : on ne peut le regarder que comme une réunion d’hommes spéciaux. Sans doute ce sont là des hommes spéciaux, mais est-ce sérieusement qu’on refuse la qualité d’homme politique à M. Molé, qui posait le premier, en 1830, le principe de non-intervention, et le faisait respecter par l’Europe, déjà à demi levée contre nous ? M. Barthe et M. Montalivet ne faisaient-ils pas partie autrefois d’un ministère tout-à-fait politique, qui n’avait malheureusement qu’une tâche politique à remplir, au milieu des violences de l’esprit de parti. Les autres ministres ne sont-ils pas d’anciens députés, des pairs, des publicistes ? Ne sont-ils pas réunis dans un système politique qu’on ne peut nier, puisqu’on le blâme et qu’on le combat ? On a vraiment quelque regret en se voyant forcé de réduire à leur valeur ces imputations, et en songeant à l’aveuglement passionné qu’elles dénotent dans les hommes, d’ailleurs sensés, qui les élèvent.

On écrit aussi que le ministère actuel n’a et ne doit attendre que des échecs législatifs. Mais des projets de loi importans ont été déjà adoptés par la chambre, tandis que le rejet s’est porté sur des propositions individuelles faites par les députés, telles que celles de M. Mercier sur le règlement, de M. de La Rochefoucault sur la législation militaire, de MM. Jobart et Ledéan sur le costume, de M. Jaubert sur les alluvions artificielles, de M. le colonel Garraube sur la pension de la veuve du colonel Combes, de M. Luneau sur les lais et relais de la mer. La seule énumération des lois adoptées indique leur importance, ce sont l’adresse d’abord, la loi de la pension de Mme Damrémont, celles du chemin de fer de Strasbourg à Bâle, des attributions départementales, des tribunaux civils, des fonds secrets, de l’assèchement des mines, des pensions militaires, des aliénés, de l’emprunt grec. Un journal a compté les échecs législatifs essuyés par le fameux ministère du 11 octobre, qui est en ce moment en projet de restauration, ils sont au nombre de dix dans une seule session. Et quels échecs ! l’adresse, réduction des fonds secrets, rejet du traité des États-Unis, refus de la demande de pension pour la veuve Daumesnil, retraite de la loi des attributions municipales, diminution des crédits de la guerre, etc. — On voit qu’en fait d’échecs et de mauvaise fortune, le ministère du 15 avril aurait encore de la marge avant que d’en subir autant que le cabinet du 11 octobre, cabinet tout politique, qui, en effet, n’a pas été très préoccupé des améliorations matérielles.

Si l’on en est encore à élever le doute sur le système politique du ministère actuel, on répondra en deux mots, en disant : la paix au dedans, la paix au dehors, deux choses incompatibles avec le principe de réaction des doctrinaires, et le principe d’intervention du côté gauche, principes qui forment les deux bras de ce corps, dont la tête est on ne sait où, et qu’on nomme la coalition. Mais, dit-on, M. Guizot a renoncé à ses idées violentes. Il ne pense plus qu’on ne puisse absolument gouverner la France sans des lois de rigueur et d’exception. Il serait presque conciliant aujourd’hui ! À ce compte, M. Guizot se serait rapproché du ministère actuel dont l’esprit de conciliation fait le principe. Pourquoi donc voudrait-il le renverser, et d’où vient que ce rapprochement dans les idées, l’ait jeté du côté de la gauche et dans les rangs de la coalition ?

On ajoute : M. Thiers n’est plus aussi absolu sur la question de l’intervention qu’il l’était au 12 janvier dernier. Il trouve qu’on peut temporiser. M. Thiers a donc laissé de côté la grande difficulté de politique extérieure qui le séparait de ce ministère, auquel il tient d’ailleurs par des idées communes, telles que l’amnistie, l’éloignement pour les réactions inutiles, tout ce qui le sépare de M. Guizot. Comment se trouve-t-il donc aujourd’hui si près de M. Guizot, si loin du ministère ? Comment cet esprit, éminemment conciliateur, se laisse-t-il prendre à l’aigreur des doctrinaires, et se peut-il qu’il aille se placer dans des rangs d’où il s’était retiré avec tant de noblesse !

On dit encore : Si M. Barrot se rapproche de M. Thiers, lequel se rapproche de M. Guizot, c’est que M. Barrot se fait homme d’affaires. Il se décide à devenir un jour ministre, voyant bien enfin que la charte n’a pas assigné de place pour les tribuns dans notre organisation. Mais pour être apte à faire un ministre, il faut avoir été ministériel, et M. Barrot soutiendra le gouvernement quand M. Thiers sera rentré aux affaires. Ce sont là les paroles des amis de M. Barrot. C’est-à-dire, selon eux, que le ministère de M. Thiers ne serait que la préface de celui de M. Barrot ! M. Thiers l’entend-il ainsi ?

Tout ceci ne peut être sérieux. M. Thiers a trop de sens, trop de cet esprit de divination qui fait les hommes d’état, pour ne pas s’apercevoir bientôt que ses meilleurs amis ne sont pas ceux qui lui serrent la main à chaque heure du jour. Il s’arrêtera. Arrivé à un but glorieux, il n’entrera pas dans un avenir sans but. Il ne fera pas défaut à la cause des idées justes et sages, qui l’avait conquis au milieu même de l’effervescence de juillet. M. Thiers estime avec raison le succès. Quel rôle jouera-t-il donc, à ses propres yeux, si le succès ne seconde pas les tentatives où l’on voudrait l’entraîner ? Qu’il laisse M. Guizot et ses amis tourner autour du pouvoir, en baissant les yeux, tout en lui jetant chacun sa pierre. M. Thiers doit marcher dans une autre route. Ce n’est ni par la chambre sans la royauté, ni par la royauté sans la chambre, qu’il pourra parvenir à rentrer aux affaires. Il en est sorti constitutionnellement, qu’il y revienne de même. Pour les doctrinaires, il y a un an que le pouvoir les a quittés ; il y a un an juste aussi que la France est tranquille, et qu’elle a vu disparaître cette sorte d’inquiétude sinistre qui descendait du pouvoir sur le pays. On ne parle plus de lois de dénonciation ; le jury se trouve suffisant pour punir les crimes politiques, qu’on ne commet plus ; les lois de septembre contiennent la presse, sans qu’il soit nécessaire d’élever une forteresse dans les mornes de l’île Bourbon pour renfermer les écrivains ; l’activité commerciale se manifeste par une exubérance et des excès que réprimera une surveillance active ; l’annonce d’une bonne nouvelle, d’une grande affaire extérieure heureusement terminée, apparaît de temps en temps au Moniteur, et ajoute à la confiance publique. — Voilà, en effet, de grandes raisons pour demander un changement de ministère !


— La nouvelle tentative que l’auteur d’Ahasvérus vient de faire par la publication de Prométhée, n’est pas moins digne que les premières d’attirer l’attention, d’obtenir les suffrages du public sérieux. La fable de Prométhée a survécu au paganisme ; c’est l’humanité même qui est personnifiée dans le prophète antique, et, comme l’a dit M. Quinet, ce drame divin ne finira jamais. Les reproches qu’on pourrait adresser à une imitation irréfléchie de la poésie païenne, ne sauraient donc convenir à l’œuvre de M. Quinet. Avant lui Caldéron, Racine, Goëthe, Shelley, ont donné une ame nouvelle aux statues sorties des mains divines de Sophocle et d’Eschyle. L’œuvre de Caldéron, la tragédie de Shelley, la Phèdre de Racine et l’Iphigénie de Goëthe, sont rangées, d’un aveu unanime, parmi les conceptions les plus élevées de la poésie. Sans méconnaître le but de l’art moderne, M. Quinet a donc pu, après ces maîtres, choisir parmi les types du paganisme l’interprète de sa pensée.

Le poème de M. Quinet se divise en trois parties ; le titre de la première est : Prométhée inventeur du feu. La terre vient de sortir des eaux du déluge ; Prométhée forme les hommes du limon recueilli au bord de l’océan ; il anime de son souffle le corps de la première femme ; Hésione, la mère des hommes, sort de l’argile. Prométhée l’interroge ; il lui révèle les épreuves qu’elle devra subir, et la laisse libre de choisir entre la vie et le néant. Hésione se laisse décider par l’espérance ; elle salue la mer argentée, le ciel qui lui sourit, la terre qui la porte ; elle accepte la vie.

Prométhée enlève le feu aux cyclopes ; il revient près d’Hésione. Le foyer est construit pour la première fois ; le souffle d’Hésione l’attise ; l’eau, le vin et le lait tiédissent autour de la flamme, et les premiers hommes, sortant peu à peu de leurs retraites, viennent prendre place au banquet de Prométhée.

Cependant le vol sacré se découvre ; les Olympiens se liguent contre le créateur de l’humanité. Némésis, aidée des Cyclopes, enchaîne Prométhée sur le Caucase. Le règne des dieux est affermi, la violence triomphe, l’humanité servile adore la force et oublie Prométhée. Mais les accens prophétiques du Titan troublent bientôt le calme de l’Olympe. Prométhée voit dans l’avenir un autre Caucase, un autre dieu crucifié ; il prédit la ruine de ses vainqueurs. Les dieux, pour se venger, livrent Prométhée au doute. Cependant la terre a recueilli les plaintes du prophète, et, dans un religieux enthousiasme, elle appelle le roi de l’avenir. Le chœur, qui exprime cette attente solennelle, termine la seconde partie du poème : Prométhée enchaîné.

L’avénement du christianisme est célébré dans la troisième partie : Prométhée délivré : Au lever du soleil, les archanges Michel et Raphaël descendent sur la terre ; ils aperçoivent Prométhée enchaîné sur le Caucase ; ils s’approchent du Titan, qui contemple, avec des yeux ravis, ces dieux inconnus. Ils l’interrogent. Prométhée leur raconte sa vie. Michel révèle à Prométhée la chute de Jupiter et la victoire du Christ. Prométhée n’ose croire au récit de Michel. Alors l’effet se joint aux paroles : les chaînes rivées par les cyclopes tombent d’elles-mêmes ; le vautour meurt, percé par les flèches divines ; le doute abandonne Prométhée ; la délivrance du Titan est accomplie. Au même instant, les lamentations des dieux retentissent ; la nuit descend sur leur séjour ; les Olympiens s’enfuient des temples et se dispersent comme de vains fantômes. Enlevé par les archanges, Prométhée remonte au sein de Jéhovah ; le chœur des séraphins célèbre le triomphe de la liberté humaine.

Telle est l’œuvre de M. Quinet. Le style de cette tragédie se distingue, comme le style d’Ahasvérus, par la grandeur et l’abondance ; mais ces qualités sont unies, dans Prométhée, à un ordre plus savant, à une plus grande précision. Il nous suffira, en terminant cette courte analyse, de constater ce progrès, et nous devons nous abstenir d’aborder, pour le moment, les questions d’art et de philosophie que Prométhée soulève. Le poème de M. Edgar Quinet sera le sujet d’un travail spécial que nous donnerons plus tard.


— La première partie inédite de l’ouvrage de M. Villemain sur la littérature du xviiie siècle, depuis long-temps promise et désirée, et que les soins divers et les préoccupations politiques de l’auteur avaient toujours retardée, paraîtra enfin sous quelques jours. Les onze années qui nous séparent déjà de l’époque où ces leçons attiraient la foule à la Sorbonne, ont laissé vieillir la génération qui applaudissait à tant de spirituelles saillies, à une si vive éloquence, mais n’ont rien ôté de leur charme et de leur éclat à ces jugemens, où se mêlent si à propos la finesse et l’élévation. Nos lecteurs n’ont certainement pas oublié le morceau sur Voltaire et la littérature anglaise de la reine Anne, qu’une précieuse communication de M. Villemain nous avait donné l’année dernière. Les deux volumes, dont ce fragment fait partie, comprennent une longue appréciation de Voltaire, de Buffon, de Montesquieu et de Rousseau. Tous les noms moindres d’historiens, de poètes et de romanciers depuis Mably jusqu’à Saint-Lambert, depuis Lesage jusqu’à Fontenelle, y viennent se grouper habilement autour de ces grands écrivains. Nous reviendrons plus au long sur le beau travail de l’illustre critique dès qu’il aura paru.


— La popularité dont jouit depuis longues années l’Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands a donné l’idée d’illustrer la cinquième édition de cet admirable livre, et à l’entourer d’un luxe typographique qui répondît à l’intérêt du drame puissant que M. Augustin Thierry a su raconter avec un art de style, une vivacité de narration, qui ne nuisent jamais à la sévérité de l’érudition, à la gravité des jugemens. L’œuvre de l’historien n’avait pas besoin de ces précautions de librairie pour arriver à la réputation européenne qui lui est acquise ; mais maintenant que l’Histoire de la Conquête est en possession d’une popularité qui ne fait que s’accroître, il était juste que les arts payassent enfin à M. Thierry un tribut mérité dont le public sentira la valeur.


— À ceux qui douteraient que les préoccupations du monde et de la politique puissent se concilier avec des préoccupations littéraires, à ceux qui croient que l’égoïsme et la frivolité sont inséparables d’un titre et d’une fortune, l’exemple d’un homme du monde, d’un diplomate, M. le commandeur Mouttinho, ambassadeur du Brésil en France, sera une réponse victorieuse. C’est pour la première fois, grace à M. Mouttinho, que la charmante idylle du Tasse, l’Aminta, a paru traduite dans la langue du Camoëns. M. Mouttinho est lui-même l’auteur de cette élégante traduction, et non content d’employer noblement sa fortune à protéger les lettres, il a voulu également leur consacrer les richesses d’un esprit judicieux, d’une vaste érudition. C’est aussi sous les auspices de M. Mouttinho que vient d’être publiée une traduction en langue française du livre d’Hénoch, sur l’Amitié[1], ouvrage qui n’avait encore été traduit dans aucune langue européenne. Cette traduction est l’ouvrage de M. Pichard, jeune écrivain d’un talent sérieux qu’ont fécondé de consciencieux travaux ; elle pourra servir, nous n’en doutons pas, à tirer la littérature rabbinique de l’oubli injuste où elle est depuis long-temps plongée. Le livre d’Hénoch est la paraphrase hébraïque d’une œuvre fort curieuse, composée en latin par Pierre Alphonse, sous le titre de Disciplina clericalis. C’est un mélange de proverbes, d’allégories et de fables empruntés aux philosophes arabes les plus célèbres. La première partie, intitulée Conseils des sages, présente, sous la forme des exhortations d’un père à son fils, les préceptes de la morale la plus noble et la plus pure ; la seconde partie et la troisième complètent la première en l’éclaircissant ; la forme de la fable, du conte allégorique, vient en aide aux raisonnemens du sage et en rend la conclusion plus saisissante. M. Pichard a joint à la traduction de ces maximes, de ces paraboles naïves, des notes relatives aux antiquités, aux mœurs, à la langue et à la littérature des Israélites anciens et modernes. La publication du livre d’Hénoch est, on le voit, une tentative pleine d’intérêt au point de vue de l’art comme au point de vue de la science, et les consciencieuses recherches de M. Pichard, aussi bien que la généreuse sollicitude de M. Mouttinho, méritent à la fois les éloges des savans et des artistes.


— Nous avons à signaler un début heureux dans la littérature, nous voulons parler du roman de M. Léon de Wailly, qui vient de paraître. Angelica Kauffmann est une œuvre pleine de poésie et de charme, qui, par la délicatesse de l’analyse, par la sévérité de l’exécution, mérite un rang distingué parmi les publications nouvelles.


M. Filon, maître de conférences à l’École normale, vient de publier deux volumes sous le titre d’Histoire de l’Europe au seizième siècle. L’époque qui a été témoin des grandes luttes du Nouveau-Monde, de la rivalité de François Ier et de Charles-Quint, de la réforme, de la ligue et de la renaissance des lettres, ce xvie siècle enfin, si rempli de grandeur et de mouvement dans les faits comme dans les idées, n’avait jusqu’ici été l’objet que de monographies intéressantes sans doute, mais où l’ensemble était difficile à saisir à travers la multiplicité des détails. Nous pouvons dire, dès aujourd’hui, que M. Filon, en comblant cette lacune, a rendu un service, à la science et à l’enseignement.


— La collection des Simples Discours de Claudius sur la Science populaire s’est accrue de trois nouvelles livraisons, et présente à cette heure un ensemble de dix-huit volumes. Nous citerons, parmi les volumes nouveaux, la série d’Essais sur les sources de l’histoire de France, série qui s’ouvre par une analyse consciencieuse de l’ouvrage de Grégoire de Tours. On aime, avec les résultats des études modernes, à voir populariser ainsi le principe même et l’esprit de ces études. — Les questions géologiques et les questions botaniques sont posées avec autant d’attrait que de solidité dans les discours sur l’Histoire de la Terre et sur la Botanique. — Le volume sur l’Hygiène peut servir de préface à nos bons traités sur cette matière. Nous pouvons citer encore la relation du Second Voyage du capitaine Ross, où se trouvent de précieux détails qui n’étaient pas encore passés dans notre langue ; le simple discours où la Vie de Francklin est racontée par lui-même avec une convenance parfaite à l’appui d’une des thèses de morale les plus importantes ; les Premiers Voyages autour du Monde, précédés d’une notice sur les débats philosophiques et religieux, auxquels mirent fin les deux grandes explorations de Magellan et de Drake. — La liste se termine par deux volumes qu’on ne s’attend guère à trouver l’un à côté de l’autre, ni à voir sortir de la même plume. L’un est une revue des livres de la Bible, considérée exclusivement sous le point de vue poétique et dramatique. — Le dernier volume, qui contraste si fort avec le précédent, est une leçon de technologie élémentaire. L’auteur a pris pour texte les Chemins de fer et les voitures à vapeur ; après un exposé des particularités que présente la construction des rails-ways, il donne une description complète de la machine locomotive, avec deux planches gravées qui en mettent l’intérieur à nu. Nous connaissons peu de bibliothèques élémentaires plus réellement utiles et plus dignes d’encouragement[2].


F. Buloz

  1. Librairie de Dondey-Dupré,
  2. Chez Jules Renouard, rue de Tournon, 6.