Chronique du 14 juin 1873

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7 juin 1873

14 juin 1873

21 juin 1873

Chronique du 14 juin 1873

CHRONIQUE

Académie des sciences naturelles à Philadelphie. — Cette académie possède maintenant plus de 6 000 minéraux ; 700 espèces de pierres ; 6 500 fossiles ; 70 000 espèces de plantes ; 1 000 espèces de zoophytes ; 2 000 espèces de crustacés ; 500 espèces de cocons et d’araignées ; 25 000 espèces d’insectes ; 20 000 espèces de coquillages ; 2 000 espèces de poissons ; 800 espèces de reptiles ; 21 000 oiseaux, dont 200 avec les nids et 1 500 avec leurs œufs ; 1 000 mammals et plus de 900 squelettes et pièces d’ostéologie. Plusieurs de ces espèces sont représentées par quatre ou cinq spécimens, de sorte que, y compris les cabinets d’archéologie et d’ethnologie, l’établissement nécessite l’espace requis pour la disposition de 400 000 objets, plus pour une bibliothèque de 22 500 volumes. On érige une nouvelle construction dont le coût sera d’un demi-million de dollars.

Les fourmis rouges. — Le R. P. Homer, missionnaire de la côte orientale d’Afrique, regarde les fourmis rouges et noires comme un des plus grands fléaux de ce pays. Ces insectes traversent les chemins, en bandes tellement serrées, que souvent les bêtes de sommes refusent de passer dessus. Si on ne les voit pas à temps pour les éviter, le linge et les vêtements en sont remplis. Il arrive aussi que grimpant sur les arbres, elles tombent sur le voyageur qui passe. Les indigènes les appellent madinodo, c’est-à-dire eau bouillante, désignation en rapport avec la sensation cuisante que produit leur piqûre. Ces fourmis sont énormes et s’enfoncent si profondément dans la chair, qu’on a de la peine à les en arracher. On dit que dans certaines forêts, elles sont assez grosses et assez puissantes par le nombre pour détruire les rats et les lézards.

La sparterie chez les Arabes d’Algérie. — La plupart des ustensiles de ménage dont l’Arabe se sert sous la tente sont tressés en alpha ou en diss. Tous ces objets doivent être portatifs et quand ils viennent à manquer, il faut pouvoir les remplacer à l’instant. L’alpha est coupé vert ; on l’expose à la chaleur et on l’ouvre en faisant courir une lame de couteau sur toute la longueur de la tige. La diss ou feuille de palmier est exposée au soleil, plongée dans l’eau et exposée de nouveau au soleil ; avant qu’elle soit sèche, on la roule entre les deux mains. Les objets de vannerie les plus communs sont : les tasses à traire les chèvres, les plats dans lesquels on met le couscoussou, les nattes pour se coucher, et les sindoukh, sorte d’amphore romaine. Les plus renommés viennent de Bou-Taleb, dans la province de Constantine.

Bateau de sauvetage en fer. — On a fait de récentes expériences à Garston, près Liverpool, sur la valeur comparative des life-boat en bois et en fer. Le bateau en fer, destiné aux navires qui transportent des passagers, avait 7 mètres de long sur 2m,30 de bau et 1m,15 de creux ; à l’avant et à l’arrière, il comporte des chambres à air, qui ont une capacité égale à la partie laissée libre pour la manœuvre. On a placé quarante-sept hommes à bord qui se sont portés tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, sans compromettre la stabilité, malgré l’eau qui embarquait. Le même bateau rempli d’eau a flotté sans aucun danger, avec vingt et un hommes à bord ; il y avait encore une hauteur de 40 centimètres au-dessus de la ligne de flottaison.

Un aéronaute français en Russie. — M. Bunelle, aéronaute du siège de Paris, a exécuté à Saint-Pétersbourg une très-belle ascension, le 15 mai dernier, avec le ballon le Jules Favre. Il est parti à 4 heures de l’École des Cadets, où Robertson avait fait sa grande ascension en 1802. Le vent qui était violent à terre l’a poussé sur le golfe de Finlande, et les phénomènes observés ont été identiques à ceux que M. Tissandier a constatés dans son ascension du 16 août 1868 exécutée à Calais. À une hauteur de 800 mètres environ régnait un courant différent qui a ramené le Jules Favre dans la direction de Saint-Pétersbourg. Le ballon étant redescendu vers la terre s’est dirigé au-dessus du lac Ladoga. En s’élevant de nouveau, à 2 000 mètres, M. Bunelle a retrouvé un courant qui l’a conduit de nouveau vers Saint-Pétersbourg. Il a exécuté une heureuse descente dans le voisinage d’une station du chemin de fer de Finlande, dont il s’est trouvé séparé par une forêt impénétrable à travers laquelle les habitants du pays ont frayé une route improvisée, la hache à la main. Cette inversion des courants sur les bords de la mer ne serait-elle point un phénomène assez général pour être utilisé dans les manœuvres aérostatiques ? C’est une question que M. Tissandier a posée lors de son ascension de Calais et à laquelle il semble devoir être affirmativement répondu.

W. de F.

La Société africaine d’Allemagne. — Le 19 avril, les différentes sociétés géographiques d’Allemagne se sont réunies à Berlin et ont constitué une société spécialement consacrée à l’exploration de l’Afrique.

Nous ne pouvons nous empêcher d’approuver cet acte, et d’émettre l’espérance que la France qui est une puissance africaine en même temps qu’une puissance européenne y verra un nouveau motif pour redoubler d’efforts dans la civilisation et la conquête de cet immense continent.

Le président de la République, qui a passé en Afrique une partie de sa glorieuse carrière et qui a laissé en Algérie tant de traces de son gouvernement, ne saurait manquer d’encourager toutes les tentatives rationnelles faites dans ce sens. La Société de Géographie de Paris vient, du reste, d’être saisie d’un projet d’exploration, pour visiter la région des lacs équatoriaux où le nom français n’a pas encore pénétré. Ce projet va être mis en exécution par un jeune voyageur qui ne demande aucune allocation et qui se propose de partir incessamment.

La chaleur de la lune. — Dans une des dernières séances de la Société royale de Londres, le comte de Ross a donné le résultat définitif d’observations faites dans son château de Birr avec le magnifique télescope dont son père a fait un si glorieux usage. Le jeune et habile astronome, continuant à étudier un problème légué par le savant dont il est le digne héritier, est parvenu à démontrer par des expériences thermométriques directes que la lune est un corps chaud dont l’influence pénètre jusqu’au fond de l’océan aérien. L’éclipse partielle du 14 novembre 1872, est venue lui donner un argument nouveau ; en effet, il a prouvé que la chaleur varie pendant les phases de la même manière que la lumière, qu’elle durait jusqu’au moment de la plus grande phase pour croître de nouveau lorsque ce moment est passé. Un ciel magnifique a favorisé ces expériences que les nuages rendront si souvent infructueuses et incertaines, jusqu’au jour où l’on aura trouvé moyen de les dompter en les exécutant à l’aide d’un aérostat.

Le télescope d’un million de dollars. — Les Américains se décideront-ils à fondre le fameux canon de Jules Verne, cette pièce d’artillerie monstrueuse qui lance jusque dans la lune, des voyageurs enfermés dans un boulet ? C’est ce qui ne paraît pas encore décidé de l’autre côté de l’Atlantique. En attendant la réalisation de ce prodige, on se préoccupe vivement aux États-Unis, de la construction d’un télescope monstre, qui devra coûter un million de dollars. Cet instrument gigantesque serait aux plus grandes lunettes de nos observatoires, ce que le Great-Eastern est au canot, ce que le canon Krupp est à l’arquebuse des temps passés. Il rapprocherait la lune de notre planète à un tel point qu’on pourrait envisager, étudier notre satellite, comme jamais astronome n’a pu l’espérer. Cet instrument formidable va se construire, à ce que disent les journaux américains, quand le mode de souscription public sera définitivement organisé. Mille propositions sont, chaque jour, mises en avant ; les uns demandent que les souscripteurs aient le droit de regarder dans ce télescope, d’autant plus souvent que l’apport de leur cotisation sera plus considérable, les autres désirent que l’on établisse à chaque bureau de poste, un tronc spécial pour "the million dollar telscope," afin que le plus pauvre puisse offrir son obole ; d’autres, enfin, veulent fonder une nouvelle Société astronomique américaine, au capital de deux millions de dollars : on consacrerait la moitié de la somme à la construction du télescope, et l’autre moitié à l’édification de l’observatoire qui le renfermerait. Cette dernière proposition nous semble sage ; car, enfin, il ne suffit pas de créer un télescope monstre, il faut songer à la boite qui devra le contenir.

Quoi qu’il en soit, jusqu’à preuve du contraire, nous nous tiendrons sur la réserve au sujet de ce que les journaux américains débitent à ce propos. Nous craignons même que ce géant des lunettes soit uniquement exploité par quelque Barnum, en quête de nouveauté.

Le télescope d’un million de dollars est-il vraiment fait pour compter les volcans lunaires ? Ne serait-il pas destiné à mesurer le degré de la crédulité humaine, d’après le nombre des naïfs qui y ont ajouté foi ?

Le détroit de Magellan. — Le détroit de ce nom est une suite de chenaux et de passes irrégulières qui séparent le continent américain de la Terre-de-Feu, très-dangereux pour la navigation à voiles, il est plus facile pour les bateaux à vapeur qui évitent ainsi d’allonger leur trajet en doublant le cap Horn, et de rencontrer la grosse mer qui règne constamment dans ces parages. Jusqu’ici les navigateurs redoutaient de s’y engager, à cause de l’incertitude des documents hydrographiques.

La marine Britannique comprenant tout l’avantage qu’il y aurait pour les compagnies de navigation à vapeur, a organisé une expédition qui a relevé ce dédale inextricable des passes magellaniques, très-peu fréquentées depuis 1519, époque de la découverte. Le détroit de Magellan a d’une mer à l’autre une longueur de 300 milles. La largeur est extrêmement variable ; elle a 15 milles entre le cap des Vierges et le cap Espiritu Santo, tandis que dans certains endroits, au milieu des îlots, et les promontoires du milieu, elle est juste suffisante pour le passage d’un navire. L’eau est généralement profonde, mais il faut tenir compte des marées qui s’élèvent jusqu’à 23 mètres. Le côtes sont très-accidentées, bordées de précipices, leur aspect est tout ce qu’on peut concevoir de plus sauvage. La hauteur des sommets principaux atteint jusqu’à 2 000 mètres au-dessus du niveau de la mer. Les forêts de sapins couvrent la plupart des pentes. Il y a tout lieu de supposer que la navigation fréquentera cette route, car un service de remorqueurs est sur le point de s’établir à Puntas Arenas, pour aider les navires à voiles à franchir le détroit.