Clélie, histoire romaine/Epistre

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Augustin Courbé Voir et modifier les données sur Wikidata (Tome Ip. i-ix).

A
MADEMOISELLE
DE
LONGVEVILLE.



M ADEMOISELLE,

C’eſt une Fille à qui Rome a eſleué des Statuës, qui s’en va dire à VOSTRE ALTESSE que vous meritez d’en auoir : & que ſi nous eſtions encore en vn temps où la vertu fuſt recompensée, la voſtre vous feroit obtenir des Autels, de la reconnoiſſance Publique. En effet, comme peu de Princeſſes ont une Naiſſance auſſi illuſtre que vous l’auez, moins encore ont voſtre vertu : & quoy qu’il y ait eu des Reſtaurateurs de l’Eſtat dans voſtre Maiſon, & qu’il y ait des Heros dans voſtre Alliance ; voſtre bonté vous rend encore plus conſiderable que voſtre Grandeur. Oseray-ie vous le dire Mademoiselle ? la plus part des perſonnes de voſtre condition, manquent d’vne qualité ſi neceſſaire : elles naiſſent dans vn ſi grand eſclat, qu’elles s’en eſbloüiſſent elles meſmes : & les Flateurs qui les aprochent, corrompant leurs belles inclinations, leur perſuadent qu’elles ne ſont plus ce que nous ſommes ; qu’elles doiuent auoir des Regles à part ; & que la bonté eſt vne vertu populaire, qui ne doit point aprocher des Throſnes ny des Baluſtres. Mais comme vos ſentimens ſont plus Nobles & plus equitables, vous ſuiuez des Maximes plus humaines : ayant peu de choſe à regarder au deſſus de vous, V. A. ne deſdaigne pas d’abaiſſer les yeux au deſſous d’elle : & ſon obligeante facilité la fait autant aimer de tout le monde, que le Sang des Rois dont elle eſt, l’en fait reſpecter. V. A. a de la beaute, V. A. a infiniment de l’eſprit, & meſme du plus eſclairé : mais apres auoir dit toutes ces choſes, ie crois encore dire dauantage, quand ie dis que V. A. a de la bonté. C’eſt donc à cette bonté, Mademoiselle, que Clelie va demander protection : & cette illuſtre Romaine, à qui l’orgueil du Tibre ne fit point de peur, quand elle le trauerſa à la nage, trauerſeroit l’Ocean, pour vous aller rendre vn deuoir ſi legitime. Il eſt vray que ſi ie confonds mes intereſts auec les siens, elle s’y trouue obligée par bien plus d’vne raison : car i’ay eu la gloire d’eſtre aimé de feuë Madame voſtre mere : d’auoir quelque part en l’eſtime de feu Monſeigneur le Comte de Soiſſons voſtre Oncle : & V. A. ſçait quel eſt mon attachement pour Madame de Longueuille, & pour toute ſa Maiſon. Que vous diray-ie encore Mademoiselle ? pluſieurs Gentils-hommes de nos Parens, ont eu l’auantage d’eſtre à Monſeigneur voſtre Pere : deux de mes Parentes ont eu celuy d’eſtre vos Dames d’honneur : & i’ay eu moy meſme la gloire d’eſtre aſſez long-temps attaché à la ſuite du Grand Prince à qui vous deuez la vie, quoy que ie ne fuſſe pas ſon Domeſtique. Enfin, i’ay reçeu ſept ans tous entiers, les commandemens de Monſeigneur le Prince de Carignan voſtre Oncle, dans les Armées du Grand Charles Emanuel ſon Pere, de qui i’auois l’honneur d’eſtre aimé : ainſi, Mademoiselle, ſoit que ie vous conſidere, ou ſoit que ie me regarde, ie me trouue touſiours obligé de faire ce que ie fais : & de ne chercher point d’autre protection à Clelie, que celle de V. A. I’eſpere que vous ne la luy refuſerez pas : & que vous adiouſterez à cette grace, celle d’agréer que ie ſois toute ma vie,

MADEMOISELLE,

De V. A.

Le tres-humble, & tres-obeïſſant Seruiteur,
DE SCVDERY.